Quand le politique se met au service du privé pour que le public arrête le libre !

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«  L’affaire OpenJustitia  » qui se déroule actuellement en Suisse est un cas très intéressant.

Comme on peut le lire sur le site du projet, OpenJustitia est «  un ensemble de logiciels spécifiques pour les tribunaux. Le Tribunal fédéral a développé ces derniers de sa propre main et les a personnalisés à ses propres besoins. OpenJustitia permet notamment une recherche efficace dans les décisions du tribunal.  »

Il a donc été développé en interne et, comme son nom le suggère, il est libre (sous lience GNU GPL v3) et a d’ailleurs reçu un prix dernièrement aux CH Open Source Awards 2012.

OpenJustitia

Nous voici donc en présence d’un logiciel libre métier développé et mutualisé par l’administration. D’ailleurs le canton de Vaud a d’ores et déjà signé une convention de collaboration avec le Tribunal fédéral.

C’est exactement ce que prône en France une association comme l’ADULLACT avec la fameuse citation de son président François Elie  : «  l’argent public ne doit payer qu’une fois  ».

Sauf qu’un parti politique (et derrière lui un éditeur de logiciels propriétaires) ne l’entendent pas de cette oreille, comme nous le rapporte l’ICTjournal.

Pour ce qui concerne l’éditeur, c’est (plus que) maladroit mais (malheureusement) compréhensible  :

L’entreprise bernoise Weblaw, éditrice de logiciels de tribunaux propriétaires, estime que le Tribunal fédéral et sa solution font de l’ombre aux fournisseurs privés de logiciels. Le Tribunal fédéral doit-il s’occuper de droit ou de logiciels  ?

Mais ce qui l’est moins c’est de voir l’UDC lui emboîter le pas et ne pas saisir l’intérêt, voire le bon sens, à utiliser du logiciel libre dans les institutions publiques  :

Le Conseil fédéral doit examiner, à la demande de l’UDC, si le Tribunal fédéral a le droit de d’agir comme fournisseur du logiciel open-source Openjustitia. En agissant de la sorte, ce dernier délivrerait des services non liés à ses compétences judiciaires.

Il est «  totalement absurde  » que le Tribunal fédéral fonctionne comme distributeur de logiciels, a déclaré Martin Baltisser, secrétaire général de l’UDC. Selon lui, d’une part le Tribunal fédéral n’aurait aucun intérêt prépondérant à agir en tant que fournisseur de logiciels, d’autre part il serait également dépourvu de base légale. Selon la Constitution et la Loi sur les finances de la Confédération, l’Etat ne peut intervenir au niveau commercial uniquement s’il n’existe pas d’offre privée et qu’une loi l’y autorise. Le Tribunal fédéral réplique qu’il ne réalise « aucun service commercial », comme le projet est open source, le logiciel est mis à disposition gratuitement.

Comme on peut le voir ci-dessous, on en a même parlé le 20 octobre dernier à la RTS mais, triste classique, en occultant complètement le libre pour n’évoquer que le gratuit  :

D’autres voix se font heureusement entendre, comme celle de l’élu des Verts François Marthaler qui conteste, à juste titre et avec vigueur, cette demande de clarification de l’UDC sur son blog  :

Je veux bien croire que la situation économique de Weblaw soit menacée. Mais je ne peux pas imaginer que les pouvoirs publics se trouvent empêchés de développer des solutions plus performantes et surtout moins onéreuses, dans l’intérêt de tous les contribuables et du bon fonctionnement de l’Etat. Plus encore que les coûts du développement initial du logiciel, ce qui est en jeu, c’est la maintenance et l’évolution du système au profit de l’administration, des justiciables et, finalement, des contribuables.

Sans le dire, Weblaw s’attaque au modèle économique des logiciels libres (open source). Un modèle dans lequel le prestataire ne peut prétendre encaisser plus que la réelle valeur ajoutée au produit et pas une rente de situation. Que se serait-il passé si une société privée avait conçu le logiciel OpenJustitia et avait décidé de le mettre sous licence GNU/GPL  ? Rien  ! L’UDC n’aurait pas pu invoquer le «  moins d’Etat  » pour défendre les intérêts privés de cette petite société.

Espérons que comme le dit le dicton  : les chiens aboient, la caravane passe…

11 Responses

  1. Elessar

    Une piste : des administrations peuvent tout à fait lancer un appel d’offre exigeant que le logiciel livré le soit sous une licence libre. Si quelqu’un peut le faire, tant mieux, sinon développement interne.

  2. lesoutier

    Il faut quand même savoir que l’UDC est un parti assez voisin de ce qu’est le FN en France : xénophobe, autoritaire, et franchement réac.

  3. Marthaler

    De tendance franchement nationaliste, l’UDC devrait, au contraire, défendre le libre qui constitue une magnifique opportunité de développement économique local, au lieu de favoriser indirectement les produits de l’oncle Sam. Mais ils n’ont probablement pas réfléchi au fond de l’affaire, trop concentrés sur le coup médiatique…

  4. lesoutier

    Oui, ils sont nationalistes (c’est le moins qu’on puisse dire), et justement l’entreprise concernée est une entreprise helvète, et ce que l’UDC voit dans cette affaire, c’est la mainmise d’une institution fédérale (donc des fonctionnaires, peu aimés de l’UDC) qui empêche une libre entreprise suisse de vivre. Ils est vrai aussi qu’ils préfèrent bien souvent les coups médiatiques à un véritable aprofondissement politique.

  5. nicoals

    Cette société n’a pourtant qu’à se lancer dans la maintenance d’OpenJusticia…

  6. Visiteur

    Ne pouvant pas mettre à jour Flash Player, je dois m’en passer totalement (raison de sécurité)… Est-il possible de visualiser la vidéo de l’article en OGG ou WebM, svp ?

  7. shokin

    Bonne nouvelle que de voir les logiciels libres adoptés par le pouvoir judiciaire.

    Espérons que les personnes qui travaillent au Palais Fédéral à Berne adopteront aussi les logiciels libres, et les systèmes libres. Ainsi que de plus en plus d’entreprises. Pour ne plus avoir besoin de logiciels privateurs.

  8. untel

    J’aime beaucoup le commentaire de la dame (autour de 1:05sec) :
    « Une concurrence publique […] qui se finance avec l’argent du contribuable. » 🙂
    Un bel exemple de mauvaise foi.
    Un service public qui se finance par le public : quelle horreur!
    Par contre une entreprise privée qui fait son beurre avec de l’argent public, là…

  9. unPetitSuisse

    Petite précision concernant l’UDC pour nos voisin. À la différence du FN (me semble-t-il) l’UDC est clairement soutenu financièrement (ils ont un des budgets les plus importants pour les campagnes de vote), voire mené (cf. C. Blocher, homme d’affaire) par des acteurs de l’élite économique. L’intérêt du côté nationaliste me semble être pour certains de décaler la tension riche/pauvre vers la tension suisse/étrangers. Mais ce n’est qu’un avis…

  10. franswar

    Le problème c’est surtout effectivement qu’ils ne parlent que de gratuité. Ils ne disent pas qu’il s’agit d’un logiciel libre ! Chacun, fusse l’état, est tout à fait en droit de développer son outil propre. Je serai le tribunal fédéral, je créerai une association qui prendrait en main ce projet, un peu comme la fondation apache, la fondation mozilla pour firefox ou la DocumentFoundation pour libreoffice. Cette fondation répondrait aux appels d’offre du tribunal fédéral. Cela ne serait-il pas possible ?

  11. libre fan

    Intéressant.

    Mais c’est quoi cette plaisanterie que je dois installer Flash??? J’ai Linterna Magica et je ne vois rien. Bravo Framasoft. Les logiciels libres, c’est bien mais vous mettez du Flash. Et il faudrait faire un don?