Je ne publierai plus chez toi (lettre ouverte à Apple)

Temps de lecture 4 min

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Yann Houry est un professeur de français et auteur de manuels numériques dont nous avions encouragé la libération en 2014.
Nous reproduisons ici, avec son accord, la lettre ouverte (publiée initialement sur son blog), qu’il a adressée à un de nos GAFAM préféré dans laquelle il explique pourquoi il ne publiera plus chez Apple. Celle-ci est extrêmement instructive sur les conditions qu’ils peuvent imposer sur les contenus publiés.


En effet, la situation pourrait être comique si elle n’était kafkaïenne  : Yann Houry se voit refuser – une n-ième fois – la publication d’un de ses manuels libres de grammaire sur la plate-forme iTunes au prétexte que «  l’orthographe et la grammaire sont incorrects  »  ! (Le signalement est fait en anglais, en plus…)

Ce genre de pratique montre à notre sens bien les limites d’une trop grande concentration des pouvoirs des plate-formes sur internet  : pour être vu, il faudrait publier sur ses plate-formes et pas ailleurs. Or ces dernières gèrent un tel volume de données publiées par leurs utilisateurs, qu’il devient impossible de les valider par des humains. C’est donc la machine qui prend le relais. Et on se retrouve alors avec des cas absurdes, comme celui de la peinture de Courbet, «  L’origine du monde  », censurée par Facebook.

Yann a finalement décidé de ne plus publier sur iTunes (tout en continuant – nous le regrettons – à publier chez Amazon ou Google Play, avec le risque que le problème se reproduise). Preuve supplémentaire que le secteur de l’édition a décidément bien besoin de se «  dégoogliser  » lui aussi. Framasoft propose par exemple le catalogue Framabookin.org pour partager, parmi des milliers d’autres œuvres, les ouvrages de sa collection Framabook. À quand le développement de ces « micro-catalogues », qui pourraient très bien être agrégées par des « moissonneurs » afin de proposer une recherche globale, et qui seraient surtout à l’écoute de leurs auteurs  ?

 


Chère Apple,

Ma pomme préférée (alors que c’est moi la pomme), je t’écris pour te dire que je ne publierai plus chez toi.

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Depuis que tu t’es amusée, en 2012, à retirer mon livre de ton store parce que j’avais mis « libre et gratuit » sur la couverture, on s’est franchement bien marré ! Souviens-toi, tu m’avais dit : « Si tu veux revoir ton livre sur mon beau magasin, il faut retirer lesdits mots. Ils sont laids. Comment ? Tu l’as déjà fait, petit écrivaillon conciliant ? Eh bien retire « pour iPad » maintenant ! ».

Remove libre or gratuit

Et je l’avais fait.
Ce n’était qu’un début.
Dernièrement, j’avais écrit « Kobo » dans la préface du livre de grammaire et de littérature (mon dieu, quand j’y repense…). Encore plus récemment, j’ai dû oublier un truc dans la table des matières. Je t’ai envoyé des photos de mon dos que j’ai fouetté. J’espère que tu as aimé.

Et il y en a eu d’autres encore ! À propos du petit recueil que j’avais fait des fables de La Fontaine, j’avais dit que je m’appelais Yann Houry ! Grossière erreur ! Hop, on ne publie pas le livre !
Une fois, une vidéo ne fonctionnait pas ! Et hop ! on retire le livre. Une autre fois, tu as même retiré un livre parce que le « spelling and grammar must be correct » ! Ah ! tu t’es bien foutue de ma gueule ! Et ce en anglais ! Bah oui, tu ne vas quand même pas condescendre à t’exprimer dans la langue de ton interlocuteur ! Enfin ! Rien ne vaudra les mois que tu as mis à publier mon Manuel de 5e pour une raison que toi seule tu es incapable de donner.

grammar and spelling

Enfin bref. C’en est trop.
Je ne supporte plus. Raison pour quoi, je me barre ! Je m’en vais (et tes larmes – si tu étais capable d’émotion – n’y pourraient rien changer).
Imagine-t-on un éditeur publier puis retirer puis republier puis retirer à nouveau un livre de la vente ? C’est pourtant ce que tu viens de faire avec mon manuel de grammaire. C’est complètement insensé !

Problème

Je retire donc tous mes livres de ton store. J’imagine que tu t’en fiches comme de l’an quarante, mais moi ça me fait un bien fou.

Adieu.

Yann

5 Responses

  1. Katsono

    De ce que je vois, ce sont toutes des raisons techniques. Debian fait pareil de ses repos et garantit ainsi la propreté. La seule vraie erreur étant celle de la publication des fables de La Fontaine, je ne vois absolument pas où est le problème.

    • pyg

      « Des raisons techniques » ?!
      Quand on refuse la publication parce qu’un livre contient « libre » ou « gratuit » ? Parce qu’il contient de soi-disantes « faute de grammaire » ? parce que l’auteur à laissé les mots « pour ipad » ?
      Evidemment que la technique est, au final, responsable : c’est la machine qui fait le tri et envoie automatiquement les messages (sur Debian, au moins tu peux échanger avec de vrais humains).

      Ce que nous dénonçons ici, ce n’est pas la censure de la machine (il a bien fallu la programmer), mais le fait qu’iTunes étant la seule plateforme disponible pour les applications i(phone|mac|pad|autre), le non-respect d’une règle, aussi absurde soit-elle, te coupe de près de 20% de tes utilisateurs (sans doute plus dans l’éducation nationale).
      Si Google Play appliquait les mêmes règles, c’est simple : tu n’aurais tout simplement plus aucune possibilité de proposer ton application.
      La similarité avec Debian me parait donc complètement fallacieuse : Sur Debian (et autres distribs), les dépôts ne sont que des « références » : tu peux passer outre en proposant l’ajout de ton propre dépôt, ou en proposant le .deb ou les sources à compiler. Sur iPad, c’est impossible me semble-t-il. Et c’est bien là le souci : si Apple ne t’aime pas, pour quelque raison que ce soit, c’est fini, tu ne peux pas rentrer à la fête et tu rentre chez toi.

      • Jean-Philippe Gervais

        « iTunes étant la seule plateforme disponible pour les applications i(phone|mac|pad|autre) » : pas d’accord.
        Je lis sur iPad, énormément et depuis assez longtemps (depuis l’iPad 1, en fait) et je n’ai jamais utilisé iTunes (et donc iBooks) pour ce faire.
        Stanza a une époque, Marvin.app ou Gerty.app aujourd’hui m’ont toujours permis de gérer mes bibliothèques librement, sans avoir à utiliser « La Bête » iTurnes… mais en passant juste par Calibre ou même, encore plus simplement, directement par Dropbox.
        Donc oui, il est possible et facile de gérer publications en dehors des circuits fermés obligés, particulièrement pour les produits sans DRM.

        • Yann Houry

          Oui, on peut se passer d’iTunes ou d’iBooks et oui on peut « gérer ses publications en dehors des circuits fermés », mais on se ferme aussi tout un public (tu me diras, j’ai décidé de me le fermer tout seul) qui, pour telle ou telle raison, ne cherche pas ailleurs que sur iTunes ou sur iBooks. Parce qu’in fine, si je me suis farci 3 ans d’iTunes Connect, d’iBooks et autres, ce n’était pas vraiment par masochisme, mais pour toucher un public qui, en matière d’éducation, est assez vaste. Malheureusement, son truc à ce public, c’est iTunes ou iBooks et pas Calibre. 🙂

      • Katsono

        Ce n’est pas le fait d’avoir les mots « libre » ou « gratuit » qui dérangent comme je l’ai dit mais le fait qu’il y ait autre chose qu’un titre et le nom de l’auteur sur la couverture. Ça me parait aussi con que ça et il n’y sans doute pas plus derrière.

        La comparaison avec Debian n’est absolument pas fallacieuse parce que Debian offrirait des alternatives : on n’est pas à discuter de la monopolisation d’Apple et je ne faisais que dénoter la similarité du fonctionnement des deux dépôts, et entre autre ça marche de la même manière : si un certain code n’est pas respecté à la lettre, on n’accepte pas dans les dépôts ( excepté que la vérification est faite à la main ).