Licence Art Libre 1.3 – Entretien avec Antoine Moreau

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« L’approche de Copyleft Attitude avec la Licence Art Libre est de ne pas donner le choix entre plusieurs licences. Nous avons décidé, dès le départ, de faire le choix du Libre, plutôt que d’avoir le libre choix. »[1]

Expo des LogoLefts - Licence Art Libre

Viva la un point trois !

Plus de trois ans après la 1.2, sortie officielle hier de la nouvelle version de notre licence copyleft préférée : la licence Art Libre millésime 1.3 (lien vers l’ancienne version pour comparaison).[2].

Nous avons voulu en savoir plus sur la génèse collective de cette nouvelle mouture en posant quelques questions à son pygmalion Antoine Moreau[3].

Outre Antoine Moreau, ont participé à sa rédaction Isabelle Vodjdani, Mélanie Clément-Fontaine et tous les membres de la liste de diffusion copyleft_attitude, particulièrement Antoine Pitrou, Benjamin Jean, Jean-Pierre Depétris et Esteban Hache.

Souhaitons donc nous aussi un bel avenir et épanouissement à la licence Art Libre (ou LAL pour les intimes)[4], quitte à la voir disparaître un jour en beauté parce qu’on aura plus besoin d’une licence libre pour faire des oeuvres libres.

Entretien avec Antoine Moreau

Quels sont les changements majeurs par rapport aux version précédentes ?

Cela a été un vrai bon travail de groupe. Les complémentarités du noyau dur de Copyleft Attitude ont pu faire une LAL équilibrée et plus précise. La version 1.3 apporte les améliorations suivantes :

  • une rédaction plus sobre.
  • une terminologie plus explicite.
  • des précisions concernant les droits voisins.
  • des précisions concernant les responsabilités des auteurs.
  • des précisions concernant l’incorporation de l’oeuvre
  • les critères de compatibilités avec les autres licences libres.
  • une dimension internationale et une capacité d’interopérabilité.

Quels ont été les principaux points d’achoppements qui ont nécessité débats voire compromis ?

La rédaction du préambule a été difficile. Il y a eu discussions pour conserver ou non certaines tournures de phrases. Un compromis a été trouvé. Le préambule est moins imagé, moins poétique, moins politique, il est plus sobre.

Quid désormais de la compatibilité avec les autres licences "copyleft" comme la Creative Commons BY-SA ou la GNU GPL/FDL ?

Nous avons établi clairement et précisément les critères de compatibilité. Mais il faut que l’intention soit réciproque de la part des autres licences libres.

La compatibilité entre licences libres n’est le fait pas du seul domaine juridique, c’est une question "politique" entre parties (entre la LAL et la CC by-sa ; entre la LAL et la GNU GPL ou FDL). Nous avons déjà fait une démarche avec CC france dans ce sens et allons poursuivre pour réussir la possibilité d’une réelle compatibilité. Il fallait poser les conditions, la LAL 1.3 le dit maintenant très clairement.

Pourrais-tu préciser en quoi cette double clause "Les auteurs des originaux pourront, s’ils le souhaitent, vous autoriser à diffuser et/ou modifier l’original dans les mêmes conditions que les copies." se distingue des usages liés aux logiciels libres ?

C’est pour les créations non numériques. L’original pourra être diffusé/modifié alors qu’il ne peut être dupliqué à l’infini. C’est aussi une précaution par rapport au droit moral.

Par rapport à d’autres licences similaires on trouve un préambule et un mode d’emploi. Pourrais-tu nous expliquer le pourquoi et l’intention de leur présence ?

Dès le départ nous avons décidé d’écrire un préambule et un mode d’emploi dans la LAL. Le préambule est utile car il explicite les intentions philosophiques et culturelles de la LAL. Le mode d’emploi est utile aussi car il dit comment, pourquoi et quand utiliser la LAL. Notre souci a toujours été de rédiger une licence simple à lire et à comprendre et claire dans ses intentions et dans sa pratique.

Comment vois-tu l’avenir de la LAL ?

Je pense que l’avenir de la LAL c’est de disparaître en beauté. C’est à dire qu’on ait plus besoin d’une licence libre pour faire des oeuvres libres. Cela implique un changement du CPI et il se pourrait bien que la LAL (mais toutes licences libres qui ont déjà fait leurs preuves) influe dans ce sens.

En attendant, la LAL a de l’avenir, elle est devenue une licence de référence pour les contenus libres copyleft. La Free Sofware Foundation la recommande et de plus en plus d’oeuvres (et pas seulement d’auteurs français) sont sous LAL.

Annexe : Comparaison des préambules

Préambule de la nouvelle version 1.3

Avec la Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.

Loin d’ignorer ces droits, la Licence Art Libre les reconnaît et les protège. Elle en reformule l’exercice en permettant à tout un chacun de faire un usage créatif des productions de l’esprit quels que soient leur genre et leur forme d’expression.

Si, en règle générale, l’application du droit d’auteur conduit à restreindre l’accès aux oeuvres de l’esprit, la Licence Art Libre, au contraire, le favorise. L’intention est d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre ; créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. La Licence Art Libre permet d’avoir jouissance des oeuvres tout en reconnaissant les droits et les responsabilités de chacun.

Avec le développement du numérique, l’invention d’internet et des logiciels libres, les modalités de création ont évolué : les productions de l’esprit s’offrent naturellement à la circulation, à l’échange et aux transformations. Elles se prêtent favorablement à la réalisation d’oeuvres communes que chacun peut augmenter pour l’avantage de tous.

C’est la raison essentielle de la Licence Art Libre : promouvoir et protéger ces productions de l’esprit selon les principes du copyleft : liberté d’usage, de copie, de diffusion, de transformation et interdiction d’appropriation exclusive.

Préambule de l’ancienne version 1.2

Avec cette Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.

Loin d’ignorer les droits de l’auteur, cette licence les reconnaît et les protège. Elle en reformule le principe en permettant au public de faire un usage créatif des oeuvres d’art.
Alors que l’usage fait du droit de la propriété littéraire et artistique conduit à restreindre l’accès du public à l’oeuvre, la Licence Art Libre a pour but de le favoriser.
L’intention est d’ouvrir l’accès et d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre par le plus grand nombre. En avoir jouissance pour en multiplier les réjouissances, créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. Dans le respect des auteurs avec la reconnaissance et la défense de leur droit moral.

En effet, avec la venue du numérique, l’invention de l’internet et des logiciels libres, un nouveau mode de création et de production est apparu. Il est aussi l’amplification de ce qui a été expérimenté par nombre d’artistes contemporains.

Le savoir et la création sont des ressources qui doivent demeurer libres pour être encore véritablement du savoir et de la création. C’est à dire rester une recherche fondamentale qui ne soit pas directement liée à une application concrète. Créer c’est découvrir l’inconnu, c’est inventer le réel avant tout souci de réalisme.
Ainsi, l’objet de l’art n’est pas confondu avec l’objet d’art fini et défini comme tel.
C’est la raison essentielle de cette Licence Art Libre : promouvoir et protéger des pratiques artistiques libérées des seules règles de l’économie de marché.

Notes

[1] Citation d’Antoine Moreau extraite d’une intervention le 28 juillet 2005 sur la liste de diffusion Creative Commons France.

[2] L’illustration, sous licence Art Libre of course, est un détail miniaturisé de la page Expo des LogoLefts du site artlibre.org.

[3] D’Antoine Moreau, on pourra lire ou relire les deux articles publiés sur la Tribune Libre de Framasoft : Qu’est-ce que l’art libre ? et La création artistique ne vaut rien.

[4] Ce serait du reste vraiment une bonne idée que, tel Jamendo pour exemple, de sites appréciés comme Flickr (photo) ou Blip.tv (vidéo) proposent à leurs utilisateurs la licence Art Libre en plus des Creative Commons.

2 Responses

  1. LS

    super boulot, super licence

    la seule divergence radicale porte sur l’avenir de la LAL : pourquoi souhaiter sa disparition, alors qu’une licence est un outil de sécurisation juridique ? On peut au contraire souhaiter sa diffusion et son adoption massives.

  2. antomoro

    Merci beaucoup. J’insiste pour dire que la LAL s’est faite à plusieurs et particulièrement avec Isabelle Vodjdani, Mélanie Clément-Fontaine, Antoine Pitrou et Benjamin Jean. Sans compter les membres de la liste <copyleft_attitude@april.org>.

    Pour l’avenir de la licence : oui, elle est un outil de sécurisation juridique dans la situation présente où il y a besoin de préciser les conditions de création libre. Oui, son avenir est dans la diffusion et apdoption massive. C’est en cours, c’est ce qui se passe.
    Mais, sa disparition sera son accomplissement. Dans combien de temps ? Pas demain la veille ? Je n’en sais rien.

    Voilà ce qui est dit de Pygmalion, le sculpteur mythique : "il avait atteint l’accomplissement suprême de l’art, l’art de dissimuler l’art".
    Dans la suprême réussite, il y a la disparition.
    En attendant…
    LAL LAL LAL…