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Les lobbys ont toujours tenté d’influencer les politiques. Mais lorsqu’il s’agit de lobbyistes américains qui arrivent à faire passer mot pour mot certains textes de loi en Europe avec la complicité de nos députés, il y a d’autant plus de quoi s’interroger que cela va dans le sens des entreprises US et non du citoyen européen.
Un article traduit du chroniqueur anglais Glyn Moody, souvent traduit sur le Framablog)
Heureusement que nous avons désormais des sites qui permettent de mieux connaître le comportement individuel des députés et leurs éventuelles « sources d’inspiration ». Heureusement aussi que nous avons des structures comme la Quadrature du Net qui tente tant bien que mal d’agir et veiller au grain. Mais la vigilance reste de mise.
Protection des données dans l’Union Européenne : Les amendements proposés, écrits par des lobbyistes américains
EU Data Protection : Proposed Amendments Written by US Lobbyists
Glyn Moody – 11 février 2013 – ComputerWorld.uk
(Traduction : Fly, Alpha + anonymes)
Il devient évident que le lobby autour des directives européennes sur la protection des données est l’un des plus intenses lobbys jamais rencontrés, certains activistes ont déclaré que le phénomène était même pire que durant le projet de loi ACTA, alors que du côté des États-Unis, le bruit court qu’une guerre commerciale est sur le point d’être lancée si la loi est voté sous sa forme actuelle.
Etant donné la pression exercée pour affaiblir la protection de notre vie privée, une question-clé est : qui défend nos intérêts ?. La réponse évidente serait les députés européens, puisqu’il s’agit de nos représentants élus au Parlement Européen. Leur travail consiste précisément à nous représenter et dans ces circonstances particulières et à nous défendre. Et certains, tel le député européen Vert, Jan Albrecht, font probablement de leur mieux, comme j’ai pu l’écrire dans un billet précédent. Mais qu’en est-il du reste ? Que font-ils exactement ?
Dans le passé il était impossible de répondre à cette question, mais grâce aux miracles de la technologie moderne, et à l’avènement de l’ouverture des données qui permettent l’accès à toutes sortes d’informations. Il est désormais possible d’obtenir une vision claire de ce que font nos représentants européens.
Un nouveau site a été créé, il porte le nom plutôt lourd de LobbyPlag (NdT : Association des mots lobby et plagiat). Aussi disgracieux, que son nom puisse être, ce site ne décrit pas moins une vérité choquante : les députés européens proposent des amendements sur le projet de loi sur la protection des données qui reprennent mot pour mot les propositions des lobbyistes. En tout état de cause, ce qui est inquiétant ici n’est pas le plagiat, mais plutôt le fait que les mesures destinées à protéger les populations européennes soient supprimées ou altérées par les mêmes personnes que nous avons élues pour nous défendre.
Voici par exemple, un paragraphe important sur le fichage. On peut lire, sur la version originale :
Chaque personne physique (NdT : every natural person) doit avoir le droit de ne pas être soumis à une mesure entraînant des effets juridiques relatifs à cette personne physique particulière ou l’atteignant de manière significative, dès lors qu’elle se base uniquement sur un traitement automatisé ayant pour but l’analyse ou la prédiction de certains aspects personnels en lien avec cette personne physique, en particulier, l’efficacité au travail, la situation financière, la localisation, la santé, les préférences personnelles, la fiabilité, ou le comportement de cette personne physique.
Mais la Chambre de Commerce américaine, cette célèbre organisation européenne, n’aimait pas cette version et a souhaité la changer en :
Une personne concernée par la collecte des données (NdT : a data subject) ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.
Ce qui est sensiblement différent car on supprime ici un droit important.
Or quel texte a été proposé par des députés européens dans pas moins de trois commissions ? Le voici :
Une personne concernée par la collecte des données ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.
Ce qui correspond donc mot pour mot à la demande de la Chambre de Commerce américaine.
Voici un exemple explicite, issu d’une section extrêmement récente, rédigée par des députés européens, on peut y lire ce qui suit :
La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agit de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué comme étant conforme aux articles 38 ou 39 de ce Réglement, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.
Ce qui rend la certification autonome quasiment suffisante pour les services de cloud computing. Alors, d’où vient ce texte sinon d’une modification précise suggérée par Amazon ?
La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agît de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.
Ce qui donc, par une autre extraordinaire coïncidence, est quasiment identique à ce que des députés européens ont choisi comme une très bonne idée.
LobbyPlag fournit une analyse intéressante sur le pourcentage d’amendements proposés avec du contenu repris des lobbyistes. Ci-dessous les chiffres pour les députés anglais calculés par le site :
- Giles Chichester (giles.chichester@europarl.europa.eu) : amendements repris des lobbys : 10 sur 44 (22.73 %)
- Malcolm Harbour (malcolm.harbour@europarl.europa.eu) : amendements repris des lobbys : 14 sur 55 (25.45 %)
- Sajjid Karim (sajjad.karim@europarl.europa.eu) : amendements repris des lobbys : 13 sur 55 (23.64 %)
- Emma McClarkin (emma.mcclarkin@europarl.europa.eu) : amendements repris des lobbys : 1 sur 8 (12.50 %)
Malheureusement, à l’heure actuelle, aucun de ces députés européens ne me représente donc je ne pourrais pas les contacter. Mais si l’un de vos députés apparaît, ils ont le devoir de vous répondre donc peut-être que vous devriez leur envoyer un courriel et leur demander pourquoi ils ont proposé ces amendements qui sont repris mot-à-mot ou presque d’entreprises américaines et de lobbyistes et que cela nuira à la population européenne tout en bénéficient à ces mêmes entreprises américaines.
Vous pourriez leur demander qui ils pensent représenter réellement : vous et 500 millions citoyens européens dont les impôts paient leurs salaire, qui s’élève actuellement à 80.000 £ par an (NdT : 93 000 € environ) ou alors, une poignée d’entreprises américaines ayant pour but de nous spolier notre vie privée pour pouvoir devenir encore plus riche ?
Si jamais vous recevez un réponse intéressante, merci de me l’envoyer à glyn.moody(AT)gmail.com que je puisse la partager avec mes lecteurs. Je suis certain que les explications seront passionnantes.
Crédit photo : European People’s Party (Creative Commons By)
Buddha
Comment savoir quel député me représente ?
yankyank
@Buddha : http://www.europarl.europa.eu/meps/…
grammar nazi (sic)
> […] dont les impôts paient leurs salaire, qui s’élève actuellement à […]
Sauf cumul de mandats très très pabô, le « s » de « leurs » est en trop.
bobo38
« Une personne concernée par la collecte des données (NdT : a data subject) ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire, point. »
Ça suffit pas ? Non, si on reformule le paragraphe proposé par suppression de la négation en appliquant la simple logique booléenne :
« Une personne peut « faire l’objet de décision injuste ou discriminatoire », dans la mesure où celle-ci ne repose pas uniquement « sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne », suite à une « collecte de données » »
Il y en a qui écrivent ça dans la loi : c’est choquant. Est-ce que j’ai mal interprété ?
aucuneimportance
Intéressant comme démarche mais elle a ses limites…
Exemple, la seule députée française dans le lot n’a que trois amendements « influencés » sur 45 (un peu plus de 6%). Si on lui fait un courrier pour la sermonner, sa réponse est toute trouvée et imparable : « et donc ? dans 94% des cas mes interventions sont normales. Cela dit, je suis capable de discerner si un amendement est pertinent ou pas. Et toute proposition doit être évaluée etc etc… »
Impact => zéro.
(si encore les pourcentage était inverses ou proches de 50/50…)
question : pour l’auteur original n’aurait pas de député le représentant « actuellement »(?), il est anglais et il y a des députés anglais dans la « top »-liste …
Philippe G.
Le Parlement européen coûte très très … très cher aux contribuables. Parce qu’il n’y a pas que les salaires des parlementaires. Il y a aussi les frais de fonctionnements divers. Cette article https://uprjura.wordpress.com/2012/… donne une idée des dépenses, uniquement pour le Parlement. C’est sans compter celles de la Commission …
Marmoth
@bobo38
Ce raisonnement serait juste si cet article était le seul de la loi (au sens large). La seule interprétation que l’on puisse faire est que cet article ne protège pas contre les autres types d’injustice. Il n’en reste pas moins que la portée protectrice de l’article est bel et bien réduite.
bobo38
Merci Marmoth, je comprends mieux mon erreur d’interprétation. Ce paragraphe est sensé empêcher les traitements injustes et discriminatoires uniquement liés à la collecte automatique de données « ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne » . D’autres lois sont sensées encadrés les autres traitements injustes.
La portée protectrice de cet article ne protège donc pas contre les « décisions injustes et discriminatoires » utilisant le traitement de données collectées automatiquement. Mettez un gonze en validation qui clique sur un formulaire web ou tamponne un papier, et l’article ne s’applique pas.
C’est ainsi que je comprends votre déclaration « la portée protectrice de l’article est bel et bien réduite ». Dire que nul n’est sensé ignoré la loi, mais s’il faut se retourner le cerveau pour comprendre la signification d’une malheureuse phrase…
Sinma
J’ai pas compris grand chose à ce charabia… Si quelqu’un pouvait expliquer en phrases «simples» les textes de loi de cet article, je ne pense que pas mal de monde en profiterais!