Dossier OLPC : 1 Présentation du projet One Laptop Per Child
Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)
- 1. Présentation et enjeux d’un projet qui peut « réinventer le monde »
- 2. La dépêche AP : Quand Nicholas Negroponte critique la communauté Open Source et envisage Microsoft Windows
- 3. La précision de Nicholas Negroponte à l’équipe du projet
- 4. Réaction : Le souhait de Benjamin Mako Hill
- 5. Réaction : Le point de vue de Richard Stallman
- 6. Réaction : L’analyse d’Ivan Krstic « Sic Transit Gloria Laptopi »
Nos récents articles sur l’OLPC nous ont donné envie d’une nouvelle traduction / introduction en direction d’un public plus large qui, au delà de la polémique, présente bien selon nous le projet et ses enjeux.
Merci à Yonnel pour tout le travail de traduction.
La liberté pour tous avec le projet One Laptop Per Child
Impossible thing #6: Freedom for all with the One Laptop Per Child project
Terry Hancock – Avril 2008 – FreeSoftware Magazine
Plus les années passent et plus on s’inquiète de l’émergence d’une « fracture numérique » entre les riches et les pauvres. L’idée, c’est que ceux qui n’atteignent pas un certain seuil de revenu ne pourront pas se permettre d’investir dans des ordinateurs et une connexion internet qui rendent possible une éducation et un développement avancés. Ils seront pris au piège de leurs contingences. Avec les systèmes d’exploitation propriétaires et payants, qui imposent une sorte de plancher sur le prix des systèmes, cela pourrait bien être le cas. Mais GNU/Linux, le matériel en constante amélioration et une implication de tous pour réduire les coûts plutôt que d’améliorer le matériel, ont amené une nouvelle vague d’ordinateurs à très bas prix, à commencer par le XO d’OLPC. Ces ordinateurs à base de logiciels libres seront le premier contact à l’informatique pour des millions de nouveaux utilisateurs, et ceci annonce un avenir plus libre.
One Laptop Per Child, un portable par enfant
Kofi Annan, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, fut à l’origine de l’idée il y a quelques années : un projet pour changer les méthodes d’apprentissage des enfants partout dans le monde. Nicholas Negroponte, professeur au MIT, a décidé de s’occuper du problème, et avec le temps, après un long examen des options possibles, une solution d’apprentissage constructiviste a été choisie : fournir aux enfants un outil pour « apprendre à apprendre » (selon les termes de l’expert de l’éducation Seymour Papert). Le type d’ordinateur sélectionné est un « portable », même si le terme doit être compris dans un sens plutôt large, car l’OLPC XO 1, étant conçu pour une mission totalement différente de celle du portable typique de l’homme d’affaires en voyage, ne ressemble à aucun design antérieur.[1]
Un des principaux critères pour le design est que le XO doit être très très peu coûteux. L’objectif était d’arriver à 100$ US. Les premiers exemplaires devraient plutôt s’approcher de 200$, même si on espère que cela baissera suivant les prix des composants et la stabilisation du design. Le projet s’est engagé à baisser les coûts plutôt que d’améliorer les performances, puisque tout l’intérêt du portable OLPC est de créer un produit que les ministères de l’éducation des pays du Tiers-Monde auront les moyens d’acquérir pour les enfants de leur pays.
« Absolument tous les composants logiciels de la machine seront sous licence libre – même jusqu’au BIOS, qui sera LinuxBIOS, écrit en langage Forth. »
Vous ne pouvez vraiment pas faire un ordinateur comme celui-ci avec des logiciels propriétaires pour plusieurs raisons. D’abord, évidemment, vous ne pouvez pas vous permettre d’acheter les licences pour 100 millions de copies de Windows – ce qui coûterait plus que le matériel ! Deuxièmement, même si des rabais importants étaient accordés pour le rendre abordable, ce choix de système serait une énorme contrainte pour le design, à cause du manque de flexibilité des logiciels basés uniquement sur des binaires. Troisièmement, puisque tout l’intérêt est d’aider les gamins dans leur apprentissage-exploration, il est contre-productif de cacher les mécanismes – l’open source pour le système d’exploitation est vraiment un élément de l’expérience d’apprentissage.
Ce ne devrait donc pas être une surprise de voir le portable OLPC tourner sous Linux. En fait, absolument tous les composants logiciels de la machine seront sous licence libre – même jusqu’au BIOS, qui sera LinuxBIOS, écrit en langage Forth. A cause de la complexité liée à la présence du code source pour tous les logiciels sur des ordinateurs si minuscules, avec de telles contraintes de stockage, l’équipe a également décidé d’écrire une énorme partie du système en Python, un langage de programmation interprété qui simplifie grandement cette exigence. En Python, la source est le programme fonctionnel, donc il n’y a en fait qu’une seule chose à distribuer ; la source est particulièrement facile à lire, même pour des élèves de secondaire ; de plus, aucun compilateur ou système pour le build n’est requis pour qu’ils utilisent ou modifient le logiciel sur l’ordinateur. Les changements se voient immédiatement, dans l’environnement d’exécution. [2]
En fait, les portables OLPC sont conçus pour faciliter autant que possible ce genre d’exploration. Le développement de logiciels est une des nombreuses « activités » qu’un enfant est invité à explorer dans Sugar, l’interface utilisateur de la machine. Chaque programme est conçu pour permettre à l’enfant d’appuyer sur une simple touche « View source » pour voir le code Python qui se cache derrière l’application (vous avez peut-être remarqué que la plupart des navigateurs web disposent d’une telle fonctionnalité, ce qui rend le HTML hautement accessible, même aux « non-programmeurs » partout dans le monde).
« Le développement de logiciels est une des nombreuses activités qu’un enfant est invité à explorer dans l’interface utilisateur de la machine Sugar. »
Les conséquences de cette décision donnent le vertige et font et rêver. Autour du monde, peut-être avant 2010 ou 2012, il pourrait y avoir jusqu’à cent millions d’enfants, de six à dix ans, qui utiliseraient un environnement de programmation Python complet et facile d’accès, ainsi qu’un système d’exploitation rempli de programmes amusants à bidouiller. Il est difficile d’imaginer un enfant qui ne serait pas attiré. [3]
Juste pour dire, imaginez qu’en fait seul un enfant sur mille soit réellement impliqué, et atteigne le point où l’on puisse légitimement l’appeler un « développeur open source ». Cela ferait cent mille personnes. Rappel : Debian GNU/Linux, dont nous avons déjà vu que la valeur peut être évaluée à dix milliards de dollars ou plus, a été produit par bien moins de développeurs.
Toujours est-il que le projet OLPC lui-même a été cité dans la presse pour des raisons moins positives. Il y eut des accusations de mauvaise gestion, et des conflits de personnalité sont apparus. Il y eut une brouille avec Intel, et une réorganisation de certains aspects de la gestion du projet est actuellement étudiée. Certains craignent que les grandioses objectifs ne soient pas atteints. Mais sur le long terme ce ne sont pas des considérations très importantes, parce que même si OLPC en lui-même échoue, le concept de la mission est déjà validé, et c’est la mission qui importe. Si ce n’est pas XO, alors une autre machine à très bas coût sera déployée de par le monde pour occuper la même niche. Certains concurrents ont déjà fait leur apparition sur ce marché.
Un marché totalement nouveau pour les ordinateurs
Assez de gens dans les pays développés ont été impressionnés par le design du XO, pour que les grands fabricants et concepteurs s’y intéressent. Clairement, il y a une demande pour un ordinateur entre 200 et 400 dollars qui fasse ce que le XO fait. Et comme les chaînes de production et de distribution pour OLPC sont en quelque sorte handicapées par les spécificités de sa mission, les développeurs commerciaux apparaissent pour occuper l’espace vide de ce marché.
Une nouvelle gamme de portables à bas coût, basés sur de la mémoire flash, des processeurs faibles, un design extrêmement rustique, et des systèmes d’exploitation GNU/Linux sont en cours de conception et de fabrication pour répondre à la demande. [4]
Par chance, ces ordinateurs auront au moins le même impact dans les pays riches que le XO en aura dans les pays pauvres : des millions et des millions de personnes seront exposées à une expérience immédiate, grâce à GNU/Linux et aux logiciels libres. De tels utilisateurs ne demanderont pas « pourquoi devrais-je passer au logiciel libre ? », mais « pourquoi est-ce que je voudrais un jour passer à quoi que ce soit d’autre ? ». La motivation du garde-ce-que-tu-connais est puissante, et cet avantage s’appliquera alors au logiciel libre.
« Des millions et des millions de personnes seront exposées à une expérience immédiate, grâce à GNU/Linux et aux logiciels libres. »
Pourtant, le plus intéressant est que, avec une telle exposition supplémentaire (et tellement de publics différents), le potentiel pour de nouvelles implications, de nouvelles idées, et de nouveaux développements de logiciels augmente également. Et bien sûr, chaque morceau grignoté entraîne dix fois plus de gens, ce qui signifie qu’il y a aussi un plus vaste bassin de ressources pour la croissance des infrastructures (plus souvent dans le cas de systèmes déployés dans des pays riches, évidemment).
Les pionniers et la nouvelle vague
Ce qui en découlera, bien sûr, est que la « culture libre » actuelle n’est vraiment que le « projet pilote ». Le vrai phénomène social est encore à venir. Et si les développeurs de logiciels libres, les hackers de matériel ouvert, et les créateurs de culture libre peuvent faire bouger le monde autant que nous l’avons déjà vu, alors il est clair que cette nouvelle vague d’un toute autre ampleur réinventera tout simplement le monde.
Notes
[1] Figure 1 : Les ordinateurs One Laptop Per Child « XO » sortant de la chaîne d’assemblage, pour leur première utilisation. Dans le sens des aiguilles d’une montre, depuis le coin en bas à gauche : les tout premiers portables qui sortent de la chaîne d’assemblage ; des enseignants lors d’un séminaire OLPC ; des enseignants à Oulan-Bator, en Mongolie ; une représentante du ministère de l’éducation mongol, lors de la cérémonie de remise des premiers exemplaires (Images : OLPC Project / CC-By 2.5).
[2] Figure 2 : les portables OLPC sont déjà déployés dans beaucoup d’endroits du monde technologiquement sous-équipés (les données de participation sont basées sur la fin de l’année 2007, depuis des informations présentes sur le site http://www.laptop.org).
[3] Figure 3 : Des enfants à la découverte de la technologie. L’OLPC, à cause de sa conception à base de logiciels libres, offre des possibilités sans précédent pour ses nouveaux utilisateurs partout dans le monde (Images : OLPC Project / CC-By 2.5).
[4] Figure 4 : Bien que OLPC vise les pays en développement, il oriente le marché et des concurrents commerciaux viennent rapidement occuper le vide dans le marché (Crédits: OLPC Project / CC-By-2.5 (XO), S2RD2@Flickr/CC-By-2.0 (Classmate), Red@Wikipedia/CC-By-3.0 (Eee), Sinomanic et ONE sont des photos provenant de communiqués de presse des entreprises respectives).