Des bienfaits en tout point positif de la concurrence d’Apple et Microsoft à l’école
Petit cours d’économie libérale sur les vertus de la compétition.
Plusieurs sociétés se font concurrence sur le même marché. L’offre se multiplie, les prix baissent, et c’est le consommateur ravi qui en profite. La mécanique est bien huilée, et ce ne sont pas les quelques crises conjoncturelles et situations de monopole qui apparaissent de temps en temps qui doivent nous faire douter du bien fondé du modèle. Le discours dominant n’a de cesse de nous le rappeler, accompagnant toute critique d’une réponse ferme et définitive : il n’y a pas d’alternative.
Que se passe-t-il lorsque le marché se trouve être l’éducation ? On prend certes un peu plus de précautions, mais la logique est rigoureusement la même puisque, on vous l’a déjà dit, il n’y a pas d’alternative.
Et c’est ainsi que l’on peut tranquillement mettre entre les mains des jeunes enseignants (en l’occurrence des professeurs des écoles stagiaires à l’IUFM), des articles sans nuances comme celui que nous allons vous présenter et commenter aujourd’hui.
Paru en avril 2009, il est issu d’un hors-série « gratuit » spécial IUFM du journal La Classe dont l’éditeur, le groupe Martin Media, se présente comme un « professionnel de l’enseignement primaire ». Vous pouvez le télécharger à cette adresse du site (l’article en question se trouvant en page 16-17).
Tout de suite, on annonce la couleur :
Titre : Des bienfaits de la concurrence
Sous-titre : Apple et Microsoft s’immiscent dans l’éducation… Et c’est en tout point positif !
On eût aimé un peu plus de retenue mais il n’y a pas d’altern…
L’idée c’est donc de vous raconter comment l’activisme éducatif de ces deux géants bénéficie à l’école. Ce qui n’interdit pas quelques éclairs de lucidité (bien vite balayés d’un revers de plume) :
J’entends d’ici les mauvaises langues : sensibiliser les élèves permet de toucher les enseignants ainsi que les parents. Personne ne contredira cette vérité économique. Cependant, cette pénétration s’accompagne d’actions innovantes.
Les mauvaises langues n’ont rien à dire puisque fleurissent les actions innovantes. Pour rappel le mot « innovation » (et toutes ses déclinaisons) a été annexé par Microsoft et son partenaire le Café Pédagogique.
Mais point de procès d’intention. Regardons un peu les « actions innovantes » exposées. Il y a du podcasting chez Apple, de l’ENT et la suite MS Office 2007 offerte « sans frais » aux enseignants chez Microsoft. Et c’est tout. Autrement dit rien qui n’augure de la qualité pédagogiquement innovante de ces actions.
Microsoft organise, entre autres, des conférences sur ce thème, présentant ainsi aux enseignants la manière d’utiliser efficacement ces plateformes dans le monde scolaire. (…) En effet l’une comme l’autre propose des ressources TICE à télécharger en ligne ainsi que des formations à l’intention des enseignants du primaire et du secondaire.
Conférences, formations et ressources TICE proposées directement par Microsoft et Apple. Nous ne disposons certainement d’aucune compétence interne pour devoir ainsi nous reposer sur les épaules ces deux géants américains.
Les enseignants peuvent ainsi juger de l’impact de l’informatique sur les apprentissages, et inviter leur collectivité à investir dans un parc Apple (avec une remise de 8%).
Nous ne sommes pas chez Auchan mais c’était tout de même important de préciser le montant de la remise. VRP Apple pour votre collectivité, ça vous dirait ? Ce n’est pas rémunéré mais à vous la gloire d’avoir fait économiser 8% à votre commune !
Quant aux offres de types AbulÉdu – Ryxeo, évidemment nous ne saurons rien.
Ces actions démontrent les intérêts tout à la fois pédagogique et commercial de ces entreprises. Mais, elles font aussi évoluer l’utilisation des technologies dans le domaine de l’enseignement.
Il y a certes évolution, mais est-elle nécessairement positive ? Quant au « pédagogique », il est peut-être de trop.
Et pour finir, la caution d’un drôle de témoignage d’un formateur IUFM :
« Apple travaille depuis un certain temps avec l’Éducation nationale (…) Pour Microsoft, cette volonté est plus récente, mais il tend à développer cette relation (…) Cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à une multiplication des logiciels libres. »
Les deux derniers mots de l’article seront donc, ô surprise, pour les logiciels libres. Mais quel étrange contexte pour leur apparition ! Les agissements des uns aboutiraient donc à la multiplication des autres ? J’eus été l’auteur, je serais allé au bout de ma démarche en concluant ainsi : « cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à freiner la multiplication des logiciels libres ».
Il n’empêche qu’ils sont cités. Et c’est le petit grain de sable dans la machine parce que peut-être, finalement, qu’il existe quand même des alternatives (des alternatives bien moins compétitives que coopératives). En les ignorant nous avons un article en apparence factuel et objectif. En les prenant en considération, nous sommes alors face à un texte bien moins neutre qu’il n’y parait. Manipulation et propagande ne sont plus très loin…
Cher nouveaux collègues, abonnez-vous à « La Classe » si bon vous semble mais n’oubliez pas d’élargir votre horizon TICE avec d’autres sources d’information (pourquoi pas le Framablog par exemple, l’abonnement est plus que gratuit, il est libre).
Vous y lirez alors que lorsque Apple ou Microsoft s’immiscent dans l’éducation (sans oublier Google), ce n’est pas forcément « en tout point positif », cette intrusion, pas toujours désirée, impactant non seulement les logiciels libres mais, aussi et surtout, les mentalités.
Histoire de ne pas payer cet article gratuit au prix fort…