Hadopi à l’école : transformons la propagande en opportunité

Pink Sherbet Photography - CC byVous ne le savez peut-être pas, mais nous, professeurs, sommes désormais dans l’obligation légale « d’enseigner l’Hadopi » à vos enfants.

C’est évidemment un peu caricatural de présenter la chose ainsi. Sauf que voici ce qu’on peut lire actuellement en accueil et en pleine page de la rubrique Legamédia du très officiel site Educnet : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet (et) demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés ».

Le message est on ne peut plus clair, d’autant que Legamédia[1] se définit comme « l’espace d’information et de sensibilisation juridique pour la communauté éducative ».

Dura lex sed lex

Ceci place alors les nombreux collègues, qui n’étaient pas favorables à cette loi liberticide, dans une position difficile. Nous sommes de bons petits soldats de la République mais la tentation est alors réelle d’adopter une attitude larvée de résistance passive. Cependant, à y regarder de plus près, rien ne nous oblige à entrer dans la classe en déclamant aux élèves : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet, voici pourquoi… »[2].

Que dit en effet précisément la loi, pour les passages qui nous concernent ici ?

Elle dit ceci (article L312-6) :

Dans le cadre de ces enseignements (artistiques), les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique.

Elle dit cela (article L312-9) :

Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique.

Dans ce cadre, notamment à l’occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009) de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne.

Et puis c’est tout.

Sous les pavés du copyright, la plage du copyleft

Pourquoi alors évoquer dans mon titre aussi bien une propagande qu’une opportunité ?

La réponse est toute entière contenue dans les deux sous-amendements déposés par M. Brard et Mme Billard en avril 2009 (n° 527 et n° 528).

Ils visaient à ajouter la mention suivante au texte de loi ci-dessus : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. »

Et les justifications données valent la peine d’être rappelées.

Pour le sous-amendement n° 527 :

L’article L312-9 du Code de l’éducation dispose que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique ». Il serait fort regrettable que sous couvert de prévention et de pédagogie autour des risques liés aux usages des services de communication au public en ligne sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, soit présentée comme seule alternative une « offre légale » qui occulterait la mise en valeur et la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. On violerait là, dans la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, les principes de la neutralité scolaire sous l’égide même du ministère de l’Éducation nationale.

Pour le sous-amendement n° 528 :

Ce sous-amendement permet de préciser le lien entre « téléchargement » et « création artistique », dans le respect de la neutralité de scolaire.

Il ne s’agit pas de condamner une technologie par définition neutre, mais les usages illicites qui en sont faits, en mettant en avant les usages licites de partage des œuvres culturelles.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers, qui enrichissent la création artistique.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adaptée à l’éducation.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture, et de partage culturel entre particuliers. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et souvent la transformation des œuvres, encourageant de nouvelles pratiques de création culturelle.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres ne sont pas des oeuvres libres de droits : si leur usage peut être ouvertement partagé, c’est selon des modalités dont chaque ayant droit détermine les contours. Les licences ouvertes sont parfaitement compatibles avec le droit d’auteur dont les règles, qui reposent sur le choix de l’auteur, permettent que soient accordées des libertés d’usage.

Elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, le dernier album du groupe Nine Inch Nails, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plateforme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

Ces amendements ont été malheureusement rejetés, sous le prétexte fumeux que ça n’était « pas vraiment pas du ressort de la loi mais plutôt de la circulaire » (cf article de l’April). On pourra toujours attendre la circulaire, elle ne viendra pas. Car c’est bien ici que se cache la propagande.

De la même manière que le logiciel propriétaire a tout fait pendant des années pour taire et nier l’existence du logiciel libre en ne parlant que de logiciel propriétaire dûment acheté vs logiciel propriétaire « piraté », les industries culturelles (avec l’aide complice du gouvernement) ne présentent les choses que sous l’angle dichotomique de l’offre légale vs le téléchargement illégal en occultant totalement l’alternative des ressources sous licence libre. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour comprendre pourquoi !

Nous pouvons cependant retourner la chose à notre avantage, tout en respectant évidemment la loi. Il suffit de présenter la problématique aux élèves sous un jour nouveau. Non plus la dichotomie précédente mais celle qui fait bien la distinction entre ressources sous licence fermée et ressources sous licence ouverte ou libre.

Exemple de plan. Dans une première partie, on évoquera bien entendu l’Hadopi, le téléchargement illégal (les amendes, la prison), l’offre légale, les droits d’auteur classiques de type « tous droits réservés », etc. Mais dans une seconde partie, plus riche, féconde et enthousiaste, on mettra l’accent sur cette « culture libre » en pleine expansion qui s’accorde si bien avec l’éducation.

C’est bien plus qu’une façon plus ou moins habile de « lutter contre l’Hadopi ». C’est une question de responsabilité d’éducateur souhaitant donner les maximum de clés à la génération d’aujourd’hui pour préparer au mieux le monde demain.

Préalablement sensibilisés

Encore faudrait-il, et désolé pour la condescendance, que les enseignants comprennent de quoi il s’agit et adhèrent à cette manière de voir les choses. Ce qui n’est pas gagné, quand on regarde et constate la situation actuelle du logiciel libre dans l’éducation.

La loi stipule que « les élèves reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur… ». Peut-on aujourd’hui compter sur le ministère pour que cette sensibilisation ne se fasse pas à sens unique (et inique) ? Une fois de plus, je crains fort que non.

Peut-être alors serait-il intéressant de proposer aux collègues une sorte de « kit pédagogique dédié », élaboré conjointement par toutes les forces vives du libre éducatif et associatif ?

L’appel est lancé. Et en attendant voici en vrac quelques ressources internes et non exhaustives du Framablog susceptibles de participer à ce projet.

J’arrête là. N’ayant ni la volonté de vous assommer, ni le courage d’éplucher les quelques six cents articles des archives du blog. Sacrée somme en tout cas, qui me donne pour tout vous dire un léger coup de vieux !

Certains disent que la bataille Hadopi a été perdue dans les faits (la loi est passée) mais pas au niveau des idées et de la prise de conscience de l’opinion publique. Montrons ensemble qu’il en va de même à l’Éducation nationale en profitant de la paradoxale occasion qui nous est donnée.

Notes

[1] Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Framablog évoque Legamédia.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)