L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Temps de lecture 7 min

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Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money  !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche «  physique  ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche «  logique  ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des «  contenus  »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait  : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux  ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être  : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome  ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent  !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang  : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple  : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet «  taille unique  » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de «  éclaternet  » pour décrire ce phénomène (NdT  : the splinternet).

«  Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe  » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. «  Il y aura des gagnants et des perdants  ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques  ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, «  Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus  ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des «  communautés fermés  ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité  : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute  : «  bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles  ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge  ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets  ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute  : «  quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête  ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

«  C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises  », explique Yagan, «  Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort  ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan «  les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires  ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après  ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup  : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir «  une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes  ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

«  Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu.  »

Notes

[1] Crédit photo  : Raúl A. (Creative Commons By)

11 Responses

  1. Valentin Villenave

    C’est plutôt bon signe, en ce que cela montre que les questions d’interopérabiilté et de standards ouverts gagnent peu à peu les médias "mainstream"… (à l’étranger du moins, parce que bon, je crains qu’on ne doive attendre encore un peu en France).

    Sur le même sujet, je ne sais pas si tu as vu passer cet article qui m’a laissé songeur : "l’iPhone est en train de devenir le nouveau MSIE6 !" http://www.guardian.co.uk/technolog

  2. ashledombos

    Elessar: +1
    non seulement ça confond internet et web, mais aussi protocoles/formats, logiciels applicatifs, supports physiques, systèmes d’exploitation…bref tout dans le même panier pour dire que finalement, ça ressemble à ce que c’était déjà avant, mais en plus moderne qu’hier et moins que demain.

  3. gillou22

    Je rejoins les commentaires précédents. Encore un article qui confond tout et qui généralise à partir de quelques exemples.
    Je ne suis pas d’accord avec l’auteur. Oui, de nouveaux appareils apparaissent, et bien sûr les entreprises qui les fabriquent essaient de créer leur propre standard puisque il n’y en a pas de reconnu. Mais une fois que l’usage de ces appareils sera plus mature, les utilisateurs demanderont plus d’interopérabilité. S’il n’y a plus d’innovation majeure, les utilisateurs utiliseront le facteur interopérabilité pour choisir.

  4. Grunt

    "Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites."

    C’est une étrange construction de phrase pour dire que, en fait, de nombreux sites utilisent une technologie fermée, ce qui empêche certains utilisateurs d’y accéder. Et ce problème n’a pas attendu l’iPad pour apparaître.

  5. ellisfr

    D’accord avec les autres commentaires, c’est un faux débat et/ou de mauvais exemples.

    "Tweetie n’est disponible que sur l’iPhone" : c’est un client twitter parmi tant d’autres, il y a des tonnes de clients twitter sur toutes les plateformes, idem pour les clients gMail. Ce sont les services Twitter et gMail qui sont "universels", les moyens de les utiliser sont variés et multiples, j’y vois plus une richesse qu’autre chose.

    "Une entreprise qui crée des applications doit faire le choix d’une plateforme". Ca n’a rien à voir avec le net, et ça a toujours été le cas depuis les débuts de l’informatique, Apple II ou IBM PC, Amiga ou Atari ST, Mac OS/Windows/Linux, Xbox ou PS3 etc…

    Après on retombe dans l’éternel problème des logiciels propriétaires et de leur adoption ou non par le plus grand nombre (Flash pas sur l’iPhone/iPad, ni sur Windows phone 7, Quicktime pas sur Linux, AAC vs MP3, format ebook propriétaires etc…), mais là encore ça n’a pas grand chose à voir avec le net…

  6. Ginko

    En fait, le monsieur vient de (re)découvrir l’histoire de l’informatique: les grandes firmes cherchent à enfermer les utilisateurs dans des prisons plus ou moins dorées et les petites entreprises qui gravitent autour doivent se contenter des miettes en entrant elles aussi dans ces prisons sous peine de péricliter.

    La seule différence avec d’autres phénomènes de l’histoire informatique c’est qu’internet est né d’un mélange de techno militaire et de compétences scientifiques ce qui lui a donné quelques années pour échapper à cette ritournelle.

    Comme dit Valentin Villenave, cet article montre que cette problématique commence à percer dans les media mainstream. Gageons que ce soit plutôt positif.

  7. agens

    Ce mec pense que pour naviguer sur un site internet il faut obligatoirement une application web par site, j’ai l’impression qu’il annonce la fin des navigateurs web!!!

  8. Altefcat

    ça me fait penser à la dernière pub iPhone où on voit une appli dédiée seloger.com pour trouver une maison à acheter…

  9. Jedai

    Comme les autres commentateurs, cet article me semble complètement à côté de la plaque : pratiquement tous les exemples sont applicatifs, éventuellement lié à un service web mais uniquement en tant que facilité… Twitter est accessible sous toute plateforme connecté au net (et même du point de vue applicatif il y a des client "lourds" pour pratiquement tous les OS mobiles), GMail également.

    En bref, l’auteur n’avait visiblement utilisé que Windows par le passé et pensait que toutes les applications marchaient partout, maintenant que les mobiles ont atteint un niveau de sophistication tel qu’un utilisateur lambda peut y installer des applications, il découvre la notion d’incompatibilité et confond semble-t-il OS et Internet.

    Par ailleurs il y a des phénomène de morcellement d’internet et une tendance à le transformer en super Minitel, mais cet article est au mieux très confus sur le sujet.

  10. uhuuhu

    eh, les fortiches en distinction Web/Internet : vous avez lu l’édito de Framablog qui présente l’article ?

    > "… car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.
    l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »)."

    donc la question est : est-ce que sur les 3 couches réseaux (comme défini par LESSIG), web et Internet ne se confondent pas, du fait du développement stratégiques des Apple (Ipad) et autres ???….