Librologie 2 : Linus a gagné

Classé dans : Mouvement libriste | 22

Temps de lecture 15 min

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Bonjour à tous et à toutes, ami(e)s du Framablog  !

Par un heureux hasard du calendrier, la publication de cette nouvelle chronique Librologique coïncide avec le vingtième anniversaire du noyau Linux. Après nous être intéressés à Richard Stallman, c’est donc le moment idéal pour nous pencher sur une autre personnalité marquante du logiciel Libre… Quant à moi, je vous retrouve la semaine prochaine… et d’ici là, dans les commentaires  !

V. Villenave.

Librologie 2  : Linus a gagné

Martin Streicher_- CC by-sa - Wikimedia CommonsIl y a tout juste vingt ans, un jeune étudiant en informatique finlandais, Linus Torvalds[1], publie un bout de programme qui deviendra plus tard le noyau du système d’exploitation le plus répandu au monde.

Plus ou moins fortuite, cette édification se fera par tâtonnements mais Linus sait ce qu’il veut et ne se prive pas de le faire savoir  : au fil des ans, il se fera remarquer par un nombre impressionnant de citations toujours abruptes, souvent désopilantes, qui en sont venues à constituer sa marque de fabrique, voire sa persona  : lire un message de Linus sans pique ni acidité, est toujours décevant.

Parmi ses souffre-douleurs de prédilection, on trouve des programmes (Emacs, GNOME), des techniques de programmation (le langage C++, les micronoyaux, le système de fichiers HFS+), et des entreprises (SCO, Oracle, Microsoft). Il est particulièrement réjouissant pour tout Libriste de voir Torvalds s’en prendre à l’empire de Microsoft, dont la domination hégémonique sur les systèmes d’exploitation remonte aux origines de l’informatique personnelle (et dont la haine des principes Libres n’est plus à démontrer)  :

Je vous assure que mon but n’est pas de détruire Microsoft. Ce sera un effet collatéral tout à fait involontaire.

Ou, dans un même ordre d’idées  :

Le jour où Microsoft développera des applications pour Linux, cela voudra dire que j’aurai gagné.

Le noyau Linux a donc été fondé il y a plus de vingt ans, et vient d’atteindre sa troisième version majeure. Se combinant avec d’autres programmes du projet GNU, il forme le système d’exploitation GNU/Linux qui s’est répandu dans le monde, particulièrement dans les domaines des serveurs et des supercalculateurs, qu’il domine très largement. Sous une forme plus réduite, le noyau Linux est également embarqué dans la grande majorité des équipements informatiques domestiques et professionnels  : télévisions, box Internet, ordinateurs de bord… Enfin il s’est aussi emparé des téléphones mobiles, en particulier avec le système Android développé par l’entreprise Google.

Ce dernier point est d’une actualité brûlante, puisqu’Android est en pleine ascension et dépasse à la fois les mobiles proposés par Microsoft et les iPhone® d’Apple. Les applications Android se multiplient et sont devenues un format de distribution incontournable… y compris pour les concurrents de Google… ce qui inclut Microsoft.

Ce qui nous renvoie, comme l’ont remarqué de nombreux commentateurs ces derniers jours, à la citation que nous évoquions à l’instant  :

Android Market - Microsoft

Le paysage a changé. Les marchés à conquérir ne se situent plus sur le bureau des utilisateurs, mais dans les téléphones portables et le «  nuage  » des services Internet. Microsoft n’a plus, aujourd’hui, d’autre choix que de présenter des applications pour Android, et même de contribuer au code de Linux. Il tire davantage de profit des ventes d’Android que de son propre système d’exploitation mobile.

En d’autres termes, nous y sommes  : Linus a gagné.

Ce qui explique l’enthousiasme des Libristes et inconditionnels de l’open source. Le projet Linux, rappelons-le, est développé par une communauté d’informaticiens du monde entier, dont beaucoup sont financés par de grandes entreprises (voir plus bas), mais dont une proportion conséquente est faite de bénévoles qui gagnent leur vie dans des domaines parfois étrangers à l’informatique. De là à voir en la personne de Linus Torvalds un hérault du pro-am il n’y a qu’un pas  : la victoire de Linus sur Microsoft serait ainsi une revanche de l’illégitimité.

Joie et liesse  : Linus a gagné.

Certes, mais à quel prix  ?

D’un point de vue technique, le système Android est certes construit sur le noyau Linux, mais il y apporte une surcouche sous une licence différente, qui ne garantit pas la réciprocité du logiciel Libre digne de ce nom. Des commentateurs ont d’ailleurs fait remarquer combien le développement d’Android diffère de celui de Linux en particulier, et des logiciels Libres en général.

D’un point de vue éthique, le noyau Linux est resté sous la version 2 de la licence GPL, ce qui autorise bien des abus d’un point de vue Libriste  : des versions modifiées peuvent en être distribuées sans nécessairement rendre publiques lesdites modifications, les serveurs sous GNU/Linux servent à des sites qui privatisent les données, et assujettissent leurs utilisateurs. Linux a sans doute «  gagné  », mais certainement pas les libertés civiques — même si le PDG de la Linux Foundation s’en défend.

Linux Mask - Linus TorvaldsCe qui nous invite à nous interroger sur les modalités d’expression de la persona publique de Linus Torvalds. D’une génération (et d’une culture politique) différente de celle de Richard Stallman, il s’oppose volontiers à ce dernier, notamment sur le plan terminologique (dont nous avons vu combien il importe à rms). Parangon du mouvement open source, il se construit une persona inversée (et donc symétrique) de celle de Stallman, et se décrit complaisamment comme non-idéologue et «  pragmatiste  » — qualificatif que Stallman lui-même, paradoxalement, revendique également — nous y reviendrons.

Attardons-nous un instant sur cette posture à travers trois fragments relativement longs du discours de Torvalds, dont nous allons voir qu’il va bien au-delà des citations-choc.

Je ne crois pas qu’il y ait d’idéologie (dans le projet Linux), et je ne crois pas qu’il *devrait* y avoir d’idéologie. Et ce qui compte ici, c’est le singulier — je pense qu’il peut exister *beaucoup* d’idéologies. Je le fais pour mes propres raisons, d’autres gens le font pour les leurs. Je pense que le monde est un endroit compliqué, et que les gens sont des animaux intéressants et compliqués qui entreprennent des choses pour des raisons complexes. Et c’est pour cela que je ne crois pas qu’il devrait y avoir *une* idéologie. Je pense qu’il est très rafraîchissant de voir des gens travailler sur Linux parce qu’ils peuvent rendre le monde meilleur en propageant la technologie et en la rendant accessible à plus de monde — et ils pensent que l’open source est un bon moyen d’accomplir cela. C’est _une_ idéologie. Et une excellente, pour moi. Ce n’est pas vraiment pour cette raison que j’ai entrepris Linux moi-même, mais cela me réchauffe le cœur de le voir utilisé en ce sens. Mais je pense _aussi_ qu’il est génial de voir toutes ces entreprises commerciales utiliser de l’open source tout simplement parce que c’est bon pour les affaires. C’est une idéologie entièrement différente, et je pense qu’elle est, elle aussi, parfaitement acceptable. Le monde serait _nettement_ pire si l’on n’avait pas d’entreprises réalisant des choses pour de l’argent. Aussi, la seule idéologie qui m’inspire vraiment du mépris et de l’aversion est celle qui consiste à exclure toutes les autres. Je méprise les gens dont l’idéologie est «  la seule véritable  », et pour qui s’éloigner de ces règles morales en particulier est «  mal  » ou «  malfaisant  ». Pour moi, c’est juste mesquin et stupide. Donc, le plus important dans l’open source, n’est pas l’idéologie — il s’agit simplement que tout le monde puisse l’utiliser pour ses propres besoins et ses propres raisons. La licence de copyright sert à maintenir en vie cette notion d’ouverture, et à s’assurer que le projet ne se fragmente pas au fil des gens qui garderaient cachées leur améliorations, et donc doivent ré-inventer ce qu’ont fait les autres. Mais la licence n’est pas là pour imposer telle ou telle idéologie.

Ces propos de Torvalds méritent d’être ici reproduits in extenso. Tout d’abord parce qu’ils suffisent à mettre en mouvement notre détecteur de mythes  : on y retrouve une vision prétendument «  naturelle  » des choses, ainsi qu’une propension à s’abstraire de toute implication ou responsabilité éthique  : «  le mythe, écrit Roland Barthes, est une parole dépolitisée  ». Et de fait, il n’est pas rare qu’un discours qui rejette toute idéologie ait pour fonction de masquer une idéologie sous-jacente, le plus souvent contre-révolutionnaire  : nous y reviendrons prochainement.

Est-ce le cas ici  ? Linus Torvalds prête certainement le flanc à de telles accusations, en particulier dans ses rapports vis-à-vis des grandes entreprises (le développement de Linux, et le salaire de Linus lui-même, a fait l’objet de nombreux financements d’entreprises, en particulier IBM).

Cependant son point de vue ne me semble pas dépourvu d’ambiguïtés  : ainsi, loin de les rejeter, il prend acte des motivations «  idéologiques  » de certains contributeurs et utilisateurs, et s’en déclare même proche.

Autre ambiguïté primordiale  : Torvalds est, et demeure, cet informaticien brillant qui prit un jour la décision, là où rien ne l’y obligeait, de publier son travail sous une licence Libre (la GPL), dans le but explicite d’ouvrir au monde entier, sans distinction de provenance ni de capital, des outils techniques (et par extension, une forme de connaissance, comme nous allons également le voir)  :

À l’origine, explique-t-il en 1997, j’avais publié Linux et son code source complet sous un copyright qui était en fait bien plus contraignant que la GPL  : il n’autorisait aucun échange d’argent quel qu’il soit (c’est-à-dire que non seulement je ne voulais pas essayer d’en tirer profit moi-même, mais j’interdisais à quiconque de le faire).

(…)

Je voulais que Linux soit aisément disponible sur ftp, et je voulais qu’il ne soit onéreux pour _personne_. (…) Je ne me sentais pas rassuré vis-à-vis de la GPL au début, mais je voulais témoigner ma reconnaissance pour le compilateur GCC (du projet GNU) dont Linux dépendait, et qui était bien sûr GPL.

Rendre Linux GPL est sans aucun doute la meilleure chose que j’aie jamais faite.

Les paradoxes ne manquent pas ici, à commencer par cette reconnaissance qu’exprime spontanément Linux Torvalds envers le projet GNU, lui qui se refusera pourtant toujours à dire «  GNU/Linux  » plutôt que seulement «  Linux  » pour désigner le système d’exploitation Libre… Autre paradoxe intéressant au plus haut point  : nous voyons ici que c’est la licence GNU GPL qui est venue libérer Linus lui-même de ses craintes, en particulier vis-à-vis de l’exploitation commerciale de son travail.

Le dernier fragment sur lequel je voudrais m’arrêter ici est une interview recueillie dix ans plus tard, sur laquelle Torvalds revient sur sa (non-) «  idéologie  » personnelle  :

Je pense que l’open source est la bonne voie à suivre, de la même façon que je préfère la science à l’alchimie  : tout comme la science, l’open source permet aux gens d’ajouter leur pierre à l’édifice solide de la connaissance pré-existante, plutôt que de se cacher de manière ridicule.

Cependant je ne crois pas qu’il faille considérer l’alchimie comme «  malfaisante  ». Elle est juste hors de propos  : on ne pourra évidemment jamais réussir aussi bien barricadé chez soi qu’au grand jour avec des méthodes scientifiques.

C’est pourquoi la FSF (de Richard Stallman) et moi divergeons sur des notions fondamentales. J’adore absolument la GPL version 2 — qui incarne ce modèle de «  développer au grand jour  ». Avec la GPL v.2, nous tenions quelque chose où tout le monde pouvait se retrouver et partager selon ce modèle.

Mais la FSF semble vouloir changer ce modèle, et les ébauches de la GPL version 3 ne servent plus à développer du code au grand jour mais à déterminer ce que l’on peut faire de ce code. Pour reprendre l’exemple de la science, cela reviendrait à dire que non seulement la science doit être ouverte et validée par des pairs, mais qu’en plus on vous interdit de vous en servir pour fabriquer une bombe.

Et ce dernier exemple de «  fabriquer des bombes  » donne lieu, à son tour, à un nouveau paradoxe  : les arguments soulevés ici par le créateur du noyau Linux trouvent un écho frappant dans certaines prises de position de… Richard Stallman. J’en veux pour illustration la critique toute pragmatique que fait la FSF d’une licence «  Hacktiviste  », la HESSLA, dont le propos est précisément d’interdire tout usage des logiciels qui ne serait pas conforme aux droits de l’Homme (dans un même ordre d’idées, on lira avec intérêt la licence CrimethInc. N©  !, que je découvre à l’instant et qui vaut également son pesant de cacahuètes). Un autre exemple du pragmatisme de Stallman est à trouver dans la migration de Wikipédia vers les licences Creative Commons en 2008.

Le pragmatisme n’est donc pas nécessairement une posture de mercenaire, et le discours de Linus Torvalds (particulièrement si on le considère sur les deux décennies écoulées) me semble plus ambigu que celui d’un programmeur sans éthique ou d’un entrepreneur sans foi ni loi. Certes, Torvalds n’est ni un intellectuel ni un philosophe, et sa culture politique semble celle d’un simple spectateur. Cependant son propos apparaît comme pleinement politique, même lorsqu’il s’agit d’affirmer la neutralité idéologique du code qu’il écrit  :

Je n’aime pas les DRM moi-même, mais en fin de compte je me vois comme un «  Oppenheimer  ». Je refuse que Linux soit un enjeu politique, et je pense que les gens peuvent utiliser Linux pour tout ce qu’ils veulent — ce qui inclut certainement des choses que je n’approuve pas personnellement.

La GPL exige qu’on publie les sources du noyau, mais ne limite pas ce qu’on peut faire avec le noyau. Dans l’ensemble, ceci est un exemple de plus de ce pourquoi rms me traite de «  seulement un ingénieur  », et pense que je n’ai pas d’idéaux.

(En ce qui me concerne, ce serait plutôt une vertu  : essayer d’améliorer le monde un tant soit peu sans essayer d’imposer ses propres valeurs morales aux autres. Vous pouvez faire ce qui vous chante, je m’en fous, je suis seulement un ingénieur qui veut faire le meilleur système d’exploitation possible.)

Cette position me renvoie à la phrase faussement attribuée à Voltaire sur la liberté d’expression («  je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire  »), et qui est en fait d’origine anglo-saxonne. L’on sait combien cet esprit post-Lumières (d’ailleurs plus ou moins bien compris), qui défend la liberté comme un absolu, est important aux États-Unis  : peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est dans ce pays qu’est né le mouvement Libre… Et si c’est de ce même pays que Torvalds a récemment acquis la nationalité.

Alors, Linus a-t-il gagné  ? Pour un personnage aussi marquant et aussi vocal, il est étrange qu’on ne l’ait que très peu entendu s’exprimer sur l’avènement d’Android. La sortie du noyau Linux version 3, coincidant avec le 20e anniversaire du projet, s’est faite dans le calme et avec une humilité remarquable, et j’avoue n’avoir vu passer aucun message de Linus Torvalds revendiquant sa «  victoire  » — laquelle est pourtant acquise et incontestable, pour douce-amère qu’elle puisse être par ailleurs.

Linux a gagné, mais seulement en se rendant acceptable par les entreprises  : c’est-à-dire sous une forme dégradée, aseptisée, dépolitisée dirait Barthes, débarrassée du «  bazar  » idéologique que représente le mouvement Libre, et que d’aucuns (à commencer par Richard Stallman) voient comme essentiel. Essentiel d’un point de vue intellectuel, puisque le mouvement Libre se pense originellement comme un mouvement social  ; primordial également d’un point de vue affectif, le logiciel et la culture Libre reposant souvent sur des communautés de bénévoles dont la motivation n’est jamais tout à fait exempte de composantes idéalistes ou romantiques — et auxquelles Linus lui-même, nous l’avons vu, n’a pas toujours été étranger.

Ce sont ces valeurs et cet esprit que voile, sous l’aspect d’une victoire technique, l’avènement du noyau Linux sous ses avatars et déclinaisons plus ou moins lointaines. Et la victoire que promettait le jeune Linus d’il y a vingt ans, semble aujourd’hui faire tristement défaut au triomphe d’un Torvalds quadragénaire.

Notes

[1] Crédit photo  : Martin Streicher (Creative Commons By-Sa)

22 Responses

  1. Evpok

    Bon article, mais un peu trop orienté Stallmann et pas assez objectif à mon goût. Juste une précision

    « Cependant son point de vue ne me semble pas dépourvu d’ambiguïtés : ainsi, loin de les rejeter, il prend acte des motivations « idéologiques » de certains contributeurs et utilisateurs, et s’en déclare même proche. »

    Il n’y a pas d’ambiguïté. Il a son opinion, il n’a jamais dit qu’elle était la seule bonne opinion. Ne pas considérer les opinions des autres comme mauvaises ne veut pas dire qu’on ne devrait pas en avoir soi-même.

  2. vvillenave

    @Evpok: « orienté Stallman » ? Il faudra m’expliquer. Mais si c’est une question de goût, alors…
    En substituant au mot « idéologie » le mot « opinion », vous supprimez vous-même l’ambigüité. Mais mon propos était de montrer qu’il y **a** bien une idéologie chez Torvalds, même s’il s’en défend et si elle n’est pas clairement définie. D’où l’ambigüité.

  3. Christophe

    @vvillenave

    « Linux a gagné, mais seulement en se rendant acceptable par les entreprises : c’est-à-dire sous une forme dégradée, aseptisée, dépolitisée dirait Barthes, débarrassée du « bazar » idéologique que représente le mouvement Libre, et que d’aucuns (à commencer par Richard Stallman) voient comme essentiel. »

    Cette réflexion, je l’ai lu ce midi, juste avant de lire ta chronique, dans le chapitre 11 de la bio de RMS : Richard Stallman et l’open source. Ce n’est pas du mot pour mot mais cette idée y est clairement énoncée : « Du point de vue de Torvalds et de ses supporters, dont le nombre allait grandissant, ce n’était que du bon sens. Pourquoi fuir les bons logiciels, même non libres, par pure idéologie ? Être un hacker ne signifiait pas faire vœu d’abnégation, mais produire des résultats. » Le parti des opportunistes, selon RMS.

    Quand tu dis : « il n’est pas rare qu’un discours qui rejette toute idéologie ait pour fonction de masquer une idéologie sous-jacente ». C’est cela que je m’attendais à voir analyser. Pas nécessairement anti-révolutionnaire, d’ailleurs.

  4. Alain Fertas

    La librologie en 1984 non pas chez Orwell mais dans un monde qui pensait différemment , pour cela un petit retour dans l’histoire de la micro-informatique, lorsque que le « Club Apple » prônait les vertus du partage et des logiciels du domaine public.

    Ça ne s’invente pas, attention la nostalgie pourrait vous guetter.

    Le lien INA :
    http://www.ina.fr/economie-et-socie

  5. tshirtman

    j’ai pas tout lu, mais j’ai tiqué (et scrollé directement jusqu’aux commentaires pour voir si quelqu’un avait relevé) sur
    «  » »
    D’un point de vue éthique, le noyau Linux est resté sous la version 2 de la licence GPL, ce qui autorise bien des abus d’un point de vue Libriste : des versions modifiées peuvent en être distribuées sans nécessairement rendre publiques lesdites modifications,
    «  » »
    La gpl 2 n’a jamais permis ça, et le tivoisation n’a aucun rapport, la tivoisation ne cache pas le code, et n’empèche pas de le modifier, il empèche de faire tourner une version modifié du code, sur un support précis… bref, on a le code, on peut en faire tout ce qu’on veux, sauf changer ce qui tourne sur la machine ou est précisément ce code… on peut alors se demander si le _matériel_ concerné respecte bien la philosophie libre, mais le code respecte bien la GPL 2, les modifications sont donc tout à fait connues.

  6. vvillenave

    @Christophe: Justement, je ne comprends pas bien. S’agit-il d’une insuffisance dans mon texte ? Peux-tu préciser ?

    @AFertas: Merci pour le lien. Décidément, on trouve toutes sortes de trouvailles dans les commentaires du framablog !

    @tshirtman: Tout dépend de ce que l’on entend par « distribuer », et c’est la raison pour laquelle la GPLv3 est nettement plus claire avec sa distinction entre « convoyer », « propager » etc. La GPL n’a **évidemment** jamais autorisé explicitement la distribution de versions modifiées sans publication du code, toutefois elle comportait des faiblesses juridiques (inenvisageables à l’époque de sa rédaction) qui **aujourd’hui**, rétrospectivement, font que, de fait, certains distributeurs se cachent derrière des astuces plus ou moins grossières pour ne pas jouer le jeu. Le bridage matériel que vous décrivez n’est qu’une partie du problème, il a plus d’une raison pour laquelle les grandes entreprises fuient la GPLv3 comme la peste.

  7. Christophe

    @vvillenave

    « un discours qui rejette toute idéologie [a] pour fonction de masquer une idéologie sous-jacente ». CQFD. C’est cela qu’il aurait fallu analyser dans le détail, au-delà du survol, pour monter que la forme aseptisée et dépolitisée est une position tout aussi idéologique. Une insuffisance, donc.

  8. vvillenave

    @Christophe: La phrase que tu cites est effectivement une des thèses que je cherchais à illustrer dans l’article, et il m’a semblé qu’à ce titre les (longues) citations étaient assez parlantes pour ne pas devoir gloser par-dessus… Ma démarche n’est pas universitaire (ni mon lectorat, en général) ; cependant je n’ai pas l’impression d’être resté au stade du « survol », simplement de n’avoir gardé que les quelques points qui m’intéressaient le plus. (Mais peut-être suggèreras-tu d’autres « détails » qui auraient mérité plus d’attention ou qui auraient mieux démontré ma thèse !)
    Au demeurant, cette question de la « dépolitisation » du Libre, de l’open-source et des « libertés numériques » est un thème important sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans quinze jours, sous un autre angle qui te convaincra peut-être davantage (ou non). — Oui, ceci est un commentaire-teasing !

  9. sir.chamallow

    Très bonne article. Simple ajout de ce que je comprends de la philo de Linus Torvalds. Il est simplement content que son logiciel, son bout de code est pris forme, que la terre entière l’utilise (quelque soit son utilisation). Il a simplifier quelque chose, répondu à une problématique : Done ! This is it.

    L’Envol, et l’aura que connait Linux (à mes yeux de newbie) vient de là. On veut juste quelque chose qui marche point barre. Richard Stallman à une vision « long-terme » et politique de l’open-source. Torvalds la surement aussi comme chaque citoyen, mais ce ne sont pas les même méthodes de travail.

  10. Antoine

    « Certes, mais à quel prix ?
    […]
    D’un point de vue éthique, le noyau Linux est resté sous la version 2 de la licence GPL »

    Oui, mais à quel prix la GPL v3 ? Sa complexité et sa lecture difficile restent en travers de la gorge de pas mal de gens, pour des raisons différentes de celles de Linux Torvalds.

    « Les paradoxes ne manquent pas ici, à commencer par cette reconnaissance qu’exprime spontanément Linux Torvalds envers le projet GNU, lui qui se refusera pourtant toujours à dire « GNU/Linux » plutôt que seulement « Linux » pour désigner le système d’exploitation Libre… »

    Ce n’est un paradoxe que pour ceux qui ont décidé d’obéir aux admonestations de RMS. Reconnaître l’importance du projet GNU sans céder aux injonctions terminologiques me paraît plutôt sain.

    « L’on sait combien cet esprit post-Lumières (d’ailleurs plus ou moins bien compris), qui défend la liberté comme un absolu, est important aux États-Unis : peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est dans ce pays qu’est né le mouvement Libre… »

    Je pense que c’est au contraire la culture de la conciliation et de la négociation qui fait du libre un produit d’origine anglo-saxonne : loin de défendre la liberté à tout prix, ils ont tendance à rechercher le consensus (alors que nous latins serions plutôt du genre à nous étriper sur des virgules et des divergences sémiologiques).

    « j’avoue n’avoir vu passer aucun message de Linus Torvalds revendiquant sa « victoire » — laquelle est pourtant acquise et incontestable, pour douce-amère qu’elle puisse être par ailleurs »

    Peut-être simplement parce que la dite « victoire » est une projection romantique ou sentimentale faite sur le processus de développement d’une oeuvre collaborative qui s’inscrit dans un temps long (à l’échelle de l’informatique) et ne s’estime pas à l’aune des batailles et des commémorations.
    Et que d’autre part le but de Linus Torvalds n’a jamais été de gagner contre qui que ce soit, mais de faire ce qui lui plaît avec plaisir et profit.

  11. vvillenave

    @sir.chamallow: « This is it. » But is it, really?

    @Antoine: Dans l’ordre.
    La « complexité » de la GPLv3 me semble toute relative ; pour ma part je la trouve nettement mieux conçue que la v2, mieux écrite, plus claire. Pour le reste, {{refnec}}.

    Les « injonctions terminologiques » de rms, dont j’ai déjà parlé dans l’épisode précédent, sont en général l’expression (saine, à mon sens) d’un problème de conceptualisation. Dans le cas de « GNU/Linux » toutefois, il s’agit simplement d’une exigence d’attribution (notez d’ailleurs qu’il ne s’agit pas de dire « RMS/Linux », le projet GNU représente des centaines de contributeurs).
    Les Libristes sont souvent plus respectueux du droit d’auteur que le reste de la population, et c’est la moindre des choses que de veiller à attribuer les choses à leur auteur : le but du projet GNU a été, dès son origine, d’écrire un système d’exploitation, et GNU/Linux est en grande partie l’aboutissement de ce but.
    Du reste, votre point de vue demeure intéressant et pourrait être tout à fait justifié si Torvalds lui-même n’avait statué très clairement que son choix de ne *pas* dire « GNU/Linux » est un pied de nez à rms.

    « Culture de la conciliation et de la négociation »… Pourquoi pas. Je suis en général circonspect vis-à-vis de ce genre de généralités culturo-nationalo-ethno-je ne sais quoi ; invoquer « l’esprit des Lumières » me semblait ici justifiable d’un point de vue historique (puisque c’est une référence largement invoquée, notamment par les « pères fondateurs » du XVIIIe siècle).

    « Projection romantique ou sentimentale » : sur ce point je vous rejoins tout à fait (voir la fin de mon texte). Je vois à quels propos de Torvalds vous faites référence : « je développe Linux parce que c’est amusant ; si je cessais de trouver cela amusant un seul instant j’aurais arrêté immédiatement », etc.
    Cependant ce que je cherchais à montrer, c’est que cette vision « sentimentale » s’est fréquemment imposée à Torvalds au fil des années : non seulement lui-même n’a pas toujours été exempt de « romantisme » (je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise chose), mais de plus il ne peut ignorer que des millions de gens dans le monde veulent voir en lui un héros (ou un hérault) de leur cause.
    Qu’il le veuille ou non, c’est un habit qu’on lui demande d’endosser, c’est ce que « la communauté » attend de lui… d’où, peut-être sa propension à dégainer des petites phrases assassines : je vous rappelle que ce terme de « victoire » qui sert de fil conducteur à ma chronique (et que vous critiquez à juste titre), c’est Torvalds lui-même qui l’a introduit avec sa citation sur Microsoft.

  12. Antoine

    « Les Libristes sont souvent plus respectueux du droit d’auteur que le reste de la population, et c’est la moindre des choses que de veiller à attribuer les choses à leur auteur : le but du projet GNU a été, dès son origine, d’écrire un système d’exploitation, et GNU/Linux est en grande partie l’aboutissement de ce but. »

    Mais attributer les choses à leur auteur n’implique pas de se traîner l’attribution dans le titre en permanence. Torvalds ne nie pas l’existence de logiciels GNU dans les distributions Linux, ni la paternité de ces logiciels. L’argument est donc fallacieux.

    « pourrait être tout à fait justifié si Torvalds lui-même n’avait statué très clairement que son choix de ne *pas* dire « GNU/Linux » est un pied de nez à rms. »

    Je ne vois pas en quoi c’est disqualifiant. Au sérieux contrit de Stallman, Torvalds oppose l’humour et une certaine espièglerie, ce n’est pas pour cela qu’il y a rien sur le fond.

    « invoquer « l’esprit des Lumières » me semblait ici justifiable d’un point de vue historique (puisque c’est une référence largement invoquée, notamment par les « pères fondateurs » du XVIIIe siècle) »

    L’esprit des Lumières est aussi invoqué par les Français, malgré une culture philosophique et politique assez différente. Ma remarque provient de ma propre expérience du libre, certes personnelle et parcellaire, mais qui a le mérite d’être concrète.

    « cette vision « sentimentale » s’est fréquemment imposée à Torvalds au fil des années »

    Je crois que c’est un contresens. Quand Torvalds prononce les phrases que tu cites, c’est dit sur le ton de l’humour (et probablement parce qu’on lui a posé une question à ce sujet). En réalité, Microsoft apparaît très peu souvent dans les propos de Torvalds, parce qu’il s’en fiche.

    Par exemple, dans la récente interview sur Linuxfr, la seule évocation de Microsoft est la suivante (elle est à l’initiative de l’intervieweur) :

    « LinuxFr : Windows?8 va fonctionner sur l’architecture ARM. Est?ce que c’est une menace réelle pour la domination de Linux sur le marché de l’embarqué??

    Linus Torvalds : Ce n’est pas comme ça que je raisonne, je ne m’en préoccupe pas. Linux n’est en compétition qu’avec lui?même, pas avec Windows. Autrement dit, du moins en ce qui me concerne, la seule chose dont je veux m’assurer, c’est que Linux s’améliore. »

    cf. https://linuxfr.org/news/linus-torv

    (on ne peut pas utiliser de balises de mise en page dans les commentaires ?)

  13. vvillenave

    @Antoine: J’avoue ne pas trouver grand chose à ajouter. Que Torvalds se soucie très peu de Microsoft (et de rms), ça me paraît certain ; mon propos ci-dessus était de montrer que ce choix du « je ne suis qu’un technicien » n’était pas de si bonne foi que cela, et quand bien même il serait sincère, ne serait de toute façon pas neutre idéologiquement.

    Pas davantage, au demeurant, que votre intervention : en deux commentaires vous parlez de « s’étriper sur des divergences sémiologiques », de « fallacie », de « contresens » et vous vantez les « mérites » d’une expérience « concrète » (je ne sache pas que ma propre expérience ne le soit pas, au demeurant). Et la rigueur conceptuelle de rms, que j’ai tenté de mettre en lumière dans l’épisode précédent, vous semble pouvoir être réduite à des « injonctions » édictées avec un « sérieux contrit »…

    Que le mouvement Libre soit immensément prometteur à long terme quel que soit le nom qu’on lui donne, et qu’on puisse le faire avec humour et légèreté et par-delà des cultures idéologiques diverses, tout cela j’en conviens volontiers. Mais le propos de ces « chroniques idéologiques », comme je les ai intitulées, est justement d’aller un peu plus loin que cela…

  14. gnuzer

    @Alain Fertas :

    */me tape du poing sur la table*

    Formats **ouverts**, bon sang !

    C’est un site libriste ici, comment voulez-vous qu’on vous prenne au sérieux si vous débarquez avec un lien affichant :

    « Ce contenu nécessite l’installation du lecteur Adobe Flash Player, cliquez ici pour l’installer »

    Diffusez des contenus lisibles, ou ne les diffusez pas. C’est aussi simple que cela.

    Pour info, une vidéo lisible, ça ressemble à ça :

    http://www.mirorii.com/fichier/90/4

  15. Octavius N'Idraw

    Bon article, mais je partage le propos d’autres commentateurs sur le fait qu’il y ai un parti pris en faveur de Stallman. Je me sens, personnellement, plus proche de Torvalds finalement, il fait preuve d’une certaine neutralité et ne s’appuie que sur les réalités pragmatiques, concrètes, froides, il est dépourvu d’autre idéal que celui de l’artisan qui veut bien faire son travail. Ensuite, la licence est un autre domaine… Un domaine juridique. Sans idéologie, pas de juridique…

  16. Antoine

    « Et la rigueur conceptuelle de rms, que j’ai tenté de mettre en lumière dans l’épisode précédent, vous semble pouvoir être réduite à des « injonctions » édictées avec un « sérieux contrit » »

    Ah, oui. J’ai évité de répondre à l’article précédent, qui tient de l’exégèse (très) bienveillante. Par exemple, signaler que Stallman décourage l’emploi du terme « créateur » (très bien) sans relever qu’il refuse les licences libres pour ses propres textes d’opinion, ce qui le met d’emblée dans la posture du créateur, justement. On ne peut mettre à part la rigueur conceptuelle de RMS de ses actes, alors que c’est principalement un militant : cette « rigueur conceptuelle » n’est pas destinée à fabriquer un corpus de spéculations métaphysiques, mais à appuyer une pratique concrète (et, parallèlement, à recruter des adeptes).

    Ou bien le passage lyrique sur « la coiffure et la barbe de Stallman, mi-négligées mi-visionnaires » (je pense qu’il y aurait effectivement des choses à dire sur la barbe – celle de RMS et de certains geeks -, mais dans un autre sens, comme le fait le collectif féministe la Barbe).

  17. vvillenave

    @gnuzer: Certes. 🙂

    @Octavius: Ne pas choisir, c’est *déjà* choisir. Vous dites « neutralité et pragmatisme », je dis « idéologie qui ne s’assume pas ».

    @Antoine:L’épisode précédent s’intitulait « les MOTS interdits de rms », c’était l’angle que je souhaitais aborder et celui qui me paraissait le plus intéressant d’un point de vue sémiologique/idéologique/conceptuel. Alors certes, vous pouvez le baptiser « exégèse » mais il vous aura alors peut-être échappé que je cite Torvalds bien plus abondamment que Stallman (j’avoue avoir trouvé ces interviews de Torvalds beaucoup plus intéressantes que les écrits de rms : moins monolithiques, plus « fragiles »).

    Cette histoire de licence by-nd est effectivement intéressante ; j’ai une explication personnelle, que je prévoyais d’exposer dans l’épisode 5 de ces chroniques. Encore une fois, c’est une question d’angle.

    Quant au « lyrisme », je vous invite à relire plus attentivement le paragraphe en question qui se réfère au texte de Roland Barthes sur l’Abbé Pierre en 1953 (texte qui n’est pas particulièrement gentil ni à l’égard de l’abbé ni à l’égard du cirque médiatique qui, déjà à l’époque, se mettait en place autour de lui) :

    « le culte de rms donne lieu à sa propre iconographie […] il y aurait beaucoup à dire, par exemple, sur la coiffure et la barbe de Stallman, mi-négligées mi-visionnaires. Cependant dans ce cas précis, le culte cède le pas au folklore »

    Je ne sais pas si c’est délibéré de la part de rms (je soupçonne que oui), mais son apparence physique tape dans deux réseaux de signes dont son public est familier : le premier est celui du « hippie négligé », le deuxième est celui du « vieux sage ». C’est tout ce que j’indique, et je suis pour le moins surpris que vous ayez pu y voir du « lyrisme » — ou bien sont-ce là vos propres préjugés qui vous influencent ?…

    (En général, c’est de cette façon là que je décris Stallman à des gens qui ne l’auraient jamais vu : « imagine le chaînon manquant entre Karl Marx et The Dude ».)

  18. BeHuman

    très intéressant. idéologie….enfin tous dépends, car bon on pourrait considérer le logiciel privateur comme une composante idéologique du système capitaliste actuel, non?
    Le plus intéressant dans tous ça est Richard Stallman le dit bien dans BIO http://www.framabook.org/stallman.h
    « le logiciel libre n’est rien de plus que la normalité ». J’irais même plus loin en désignant le logiciel libre comme une normalité dans l’évolution de l’espèce humaine (imaginer deux seconde si la roue avez été privatisée :P). Cela pourrait donc laisser à supposer que le logiciel libre n’a pas d’idéologie, mais sont contraire (le logiciel privateur) oui. bizarre :/

    merci pour cet article ++ ckdevelop

  19. vvillenave

    @BeHuman: La « propriété intellectuelle » est, effectivement, une idéologie en soi. Mais il me semblerait abusif de dire que le mouvement Libre est « normal » ou « naturel » : il est important, effectivement, de dire qu’il n’est **pas anormal**, mais il me semble que c’est tout de même une idéologie. Idéologie qui, de surcroît, a l’honnêteté de se penser comme telle depuis RMS, alors que le système capitaliste, quant à lui, fait tout ce qu’il peut pour nous convaincre qu’il est totalement dépourvu de toute idéologie. Parce que, c’est bien connu, l’idéologie c’est bon pour les gauchissstes et les droitsdelhommissssstes.