Droit d’auteur : le contrat est rompu ! (et je vous emmerde)
Le droit d’auteur est un équilibre subtil et fragile entre les intérêts du public et les titulaires des droits.
Tout du moins tel était le cas à ses origines puisqu’il n’en demeure (presque) plus rien aujourd’hui tant la pression constante des derniers a continuellement réduit l’espace temps des premiers.
La subtilité a disparu et la fragilité se retrouve toute entière du côté de l’usager qu’un simple clic peut potentiellement criminaliser[1].
Allons-nous continuer encore longtemps à accepter docilement et servilement cette évolution mortifère à contre-courant de l’avènement d’Internet et de ses pratiques ?
Remarque : J’en profite pour rappeler l’existence de notre framabook Un monde sans copyright, des fois que vous voudriez voir ce qui pourrait se passer si on balayait radicalement tout ça.
Droit d’auteur : le contrat est rompu !
Dirk Poot – 13 septembre 2011 – Blog perso
(Traduction Framalang : Cédric, Goofy, kabaka, psychoslave)
Cela aura pris trois cent deux ans aux éditeurs et à leurs lobbyistes, mais à compter du 12 septembre 2011, le contrat social qui avait légitimé nos lois sur le droit d’auteur a été rendu caduc.
Le Copyright Act (loi sur le droit d’auteur) de 1709 est généralement admis comme étant le fondement des lois sur le droit d’auteur en application aujourd’hui. La Loi Anne, qui doit son nom à la reine du Royaume-Uni, fut la première loi sur le droit d’auteur à reconnaître que les œuvres littéraires, scientifiques et artistiques doivent autant à leurs créateurs qu’à la société qui a permis leur naissance.
Combien de musiciens pourraient écrire de superbes morceaux s’ils n’avaient pas été exposés à de la musique durant leur vie ? Peu d’écrivains seraient en mesure de produire un roman convenable s’ils n’avaient pu ni lire ni apprendre dans d’autres livres. Et quelle valeur auraient les ouvrages éducatifs si les auteurs ne pouvaient citer des publications scientifiques ? Si la science et les arts devaient être sous le monopole perpétuel d’une poignée d’éditeurs, il serait pratiquement impossible d’éduquer et d’inspirer les nouvelles générations.
Un équilibre délicat…
La reine Anne a reconnu les droits des auteurs et des éditeurs de protéger le fruit de leur travail, mais elle a aussi reconnu les droits de la société comme source fondamentale de toutes sciences et arts. Ainsi dans sa sagesse, elle a ordonné un Quid Pro Quo. Les auteurs et les éditeurs se verraient accorder un monopole sur leurs livres pour une durée maximale de deux fois quatorze ans.
Pour les livres déjà parus, la limite avait été portée à vingt-et-un ans. Après cette période de protection, l’œuvre tombait dans le domaine public, et la société obtenait le droit d’en jouir et de le copier. En conséquence, toutes les œuvres scientifiques et artistiques retournaient à la source d’où elles avaient jailli, permettant aux générations futures d’utiliser cette source de connaissances et d’inspiration. La reine Anne avait ainsi défini un équilibre entre les droits des artistes et éditeurs de tirer un revenu de leur travail et les droits du public à bénéficier d’une culture prospère et innovante.
…sous pression constante
Mais au cours de ces trois derniers siècles, les éditeurs ont financé un lobby extrêmement efficace afin de faire pencher la balance en leur faveur, regagnant étape par étape les droits perpétuels dont ils bénéficiaient avant que la reine Anne ne s’en mêle. Vingt-huit ans devinrent trente, trente se changèrent en cinquante ans, et hier, les cinquante ans se sont transformés en soixante-dix ans (Ndt : En fait le monopole accordé dans le texte de la reine d’Anne ne s’étendait que pour une période fixe à partir de la date de publication de l’œuvre, alors que les rallongements s’opèrent désormais sur une période variable, 30, 50, 70 ans après le décès du dernier auteur de l’œuvre, ce qui rend ces extensions encore plus considérables).
Et nous pouvons nous estimer chanceux, car les éditeurs avaient initialement fait pression sur la Commission européenne pour quatre-vingt-quinze ans !
En contradiction avec l’esprit du contrat initial, vingt ans de plus, soit une génération de musique enregistrée empêchée d’entrer plus tôt dans le domaine public. Les générations de musiciens à venir viennent de se voir retirer toute une source d’inspiration, sauf à payer des droits de licence souvent prohibitifs.
Les éditeurs, ainsi que de riches et vieux musiciens du passé, tels que Placido Domingo et Cliff Richards, ont applaudi ce coup porté au contrat initial sur le droit d’auteur, satisfaits à l’idée de continuer à vendre au moins encore 20 autres compilations de leurs meilleurs titres.
Leur insistance à dire que ce contrat est « juste » à cause de la « plus grande espérance de vie » des musiciens d’aujourd’hui, passe totalement à côté de ce que la reine Anne avait accompli. La loi sur le droit d’auteur était un contrat destiné à favoriser la culture et la connaissance, pas un fonds de pension pour d’anciens artistes enrichis, refusant aux musiciens plus jeunes les influences et l’inspiration dont ils ont eux-mêmes profité.
La fin d’un accord
Il est clair que l’accord sur le copyright est mort. Le monopole perpétuel auquel la reine Anne avait mis fin en 1709 a en pratique été rétabli. Le public a perdu tous les bénéfices qui avaient rendu ce marché initialement pertinent ; d’un point de vue culturel, nous voilà revenus à la fin du XVIIe siècle.
Que reste t-il donc au public ? Les bénéfices ont disparu et pour couronner le tout, les lobbyistes du droit d’auteur imposent activement le flicage du Web, l’inspection des paquets et des technologies de blocage à la société, mettant délibérément en danger les libertés fondamentales. Quelle incitation, sinon par les lourdes menaces de poursuites pénales et mesures draconiennes, y a-t-il pour que public accepte cette mascarade de loi sur le droit d’auteur ? Combien de temps la société tolérera-t-elle de coûteuses amendes et la loi des trois coups ?
Cette dernière prolongation de la durée du droit d’auteur de la part de l’Union Européenne a peut-être porté un coup fatal au droit d’auteur. Les valeurs de référence que sont la morale et l’éthique en ont été balayées ; la seule chose que la loi sur le droit d’auteur a encore pour elle, est la menace infondée mais réelle de lourdes conséquences si elle est enfreinte.
Le droit d’auteur a perdu sa légitimité ; sa mise en application plus que maladroite ne peut qu’aboutir à remettre en question la validité des lois qui la sous-tendent. Elle pourrait bien un jour devenir une simple curiosité historique, au même titre que celle, provenant du fond du Moyen Âge britannique, obligeant les hommes à pratiquer deux heures de tir à l’arc par semaine.
Annexe
Quelques rapports que la Commission européenne a choisi d’ignorer :