De la question des marques dans le logiciel libre

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Le navigateur Firefox étant libre, vous pouvez l’adaptez à vos besoins, le modifier et le distribuer mais vous n’aurez plus nécessairement le droit, sauf autorisation de la Fondation Mozilla, de l’appeler Firefox. Dans le cas contraire il faudra lui trouver un autre nom.

Même chose s’il vous prend l’envie de vendre des tee-shirts avec le célèbre logo du panda roux entourant la terre. Sans autorisation de la fondation cela ne vous sera pas légalement possible.

On pourrait presque dire que dans le logiciel libre tout est libre sauf sa marque (nom, logo…).

Cela se conçoit bien car il est important de savoir qui fait quoi, mais c’est souvent une surprise pour l’utilisateur.

Ce billet de Benjamin Mako Hill évoque donc de cette question du branding qui doit être au service du projet et non mettre des bâtons dans les roues de sa communauté.

Roadsidepictures - CC by-nc-nd

Open Brands

Open Brands

Benjamin Mako Hill – 2 septembre 2012 – Copyrighteous (blog personnel)
(Traduction  : GPif, ehsavoie, Fe-lor, goofy_chromium, Louson, JoKoT3, Penguin, pwetosaurus, Giant Jack)

Fin juillet, les membres de l’Awesome Foundation m’ont invité à participer, lors de leur conférence, à une interessante discussion au sujet des marques ouvertes (NdT  : Open Brands). Awesome est un jeune regroupement d’organisations qui s’interroge pour savoir s’il faut, et si oui comment, controler ceux qui utilisent le terme Awesome dans leur nom. Ils m’ont demandé d’intervenir pour présenter comment la communauté du logiciel libre abordait ce problème.

La gouvernance d’un logiciel libre est souvent étonnamment floue sur le sujet. J’ai assisté et participé a des discussions houleuses sur cette question de la marque, dans chaque projet de logiciel libre (réussi) où j’ai travaillé. Plusieures années en arrière, Greg Pomerantz et moi avons écrit, autour de quelques bières, un brouillon de politique de marque déposée pour la distribution Debian. J’ai également travaillé avec le responsable du projet Debian, Stefano Zacchiroli et un avocat de du Software Freedom Law Center afin d’aider à la rédaction d’un brouillon pour la politique de marque déposée du projet Debian dans son ensemble.

Grâce à ces réflexions, j’en suis venu à élaborer trois principes, qui, à mon avis, mènent à des discussions plus claires pour déterminer si la culture libre et le logiciel libre doivent enregistrer une marque déposée et, s’ils le font, comment ils doivent concevoir d’accorder ou non l’utilisation de la marque à d’autres (et sous quelles conditions). J’ai listé, ci-dessous, ces principes par ordre d’importance.

1. Nous voulons que les gens utilisent nos marques.

Les discussions concernant les marques déposées semblent tourner à un exercice consistant à imaginer tous les abus possibles de l’image de la marque déposée. C’est à la fois idiot et erroné. Il faut être très clair sur ce point  : Notre problème n’est pas que les gens n’utilisent pas correctement nos marques, mais qu’ils ne sont pas assez nombreux à les utiliser. Le but primordial d’une politique de protection des marques devrait être d’en rendre possible et facile son utilisation légitime.

Nous voulons que les gens fabriquent des tee-shirts avec nos logos. Nous voulons que les gens écrivent des livres sur nos logiciels. Nous voulons que les gens créent des groupes d’utilisateurs et tiennent des conférences. Nous voulons que les gens utilisent, parlent, et fassent la promotion de nos projets, commercialement ou non.

Or le branding peut limiter la diffusion de notre marque et va ainsi nuire à nos projets. Parfois, après avoir soigneusement considéré ces inconvénients, nous pensons que ces compromis en valent la peine. Et c’est parfois le cas. Cependant, les projets sont souvent trop prudents, et en conséquence font l’erreur de trop vouloir contrôler. Je pense que le désir des projets libres de contrôler leur marque a fait plus de dommage que tous les mauvais usages des marques mis bout à bout.

2. Nous voulons que nos projets soient capables d’évoluer.

La création d’une marque déposée donne le pouvoir légal de contrôler une marque dans les mains d’un individu, d’une firme ou une organisation à but non lucratif. Même si ça n’a pas l’air d’être si important, ce pouvoir est, fondamentalement, la capacité à déterminer ce que le projet est, et ce qu’il n’est pas.

J’ai entendu dire que dans le monde politique américain, il n’y a aucune marque déposée pour les termes Républicain ou Démocrate et qu’aucune permission n’y est requise pour créer une organisation affirmant appartenir à l’un ou l’autre parti. Et cela n’implique pourtant pas de confusion générale. À travers les structures sociales et organisationnelles, on voit clairement qui en fait partie ou non, et qui est à la marge.

Plus important, cette structure permet à de nouvelles branches et des groupes extérieurs à la ligne officielle de grandir et se développer en marge. Les deux partis se disputent depuis le XIXe siècle, ont changé de position dans le spectre politique sur un grand nombre de questions, et ont été le lieu d’importantes divergences idéologiques internes. La plupart des organisations devraient aspirer à une telle longévité, à de tels débats internes et à une telle flexibilité.

3. Nous ne devrions pas troubler nos communautés.

Bien qu’ils soient souvent sources d’abus, les marques sont foncièrement en faveur des consommateurs. Le but des marques légalement déposées est d’aider les consommateurs à ne pas être induits en erreur sur la source d’un produit ou d’un service. Des utilisateurs peuvent aimer un logiciel du projet Debian, ou peuvent le détester, mais il est agréable pour eux de savoir qu’ils ont la Qualité Debian lorsqu’ils téléchargent une distribution.

Bien évidemment, protéger des marques légalement n’est pas le seul moyen pour atteindre ce but. Les noms de domaine, les politiques internes et les lois contre la fraude et l’usurpation d’identité servent également ce but. L’Open Source Initiative a fait une demande de marque déposée pour le terme open source, et leur demande a été heureusement rejetée. L’absence d’enregistrement d’une marque ne les a pas empêchés de contrôler l’utilisation de ce terme. Si certaines personnes tentent de donner le terme open source à leurs produits open source alors qu’ils ne le sont pas, elles sont rappelées à l’ordre par une communauté de personnes qui savent de quoi ils parlent.

Et puisque les avocats sont rarement dans la boucle, il est difficile de savoir si déposer une marque aiderait dans la grande majorité des cas. Il est également vrai que la plupart des structures du libre manquent d’argent, de conseils juridiques ou de temps, pour obliger à une utilisation correcte de la marque. Il est effectivement très important que votre communauté d’utilisateurs et de développeurs sache précisément ce qu’est, et ce que n’est pas, votre produit et votre projet. Mais comment nous décidons d’arriver à cela n’est pas quelque chose que nous devons considérer comme acquis et tout le monde doit être impliqué dans les décisions.

Crédit photo  : Roadsidepictures (Creative Commons By-Nc-Nd)

9 Responses

  1. Axel

    Bonjour,

    J’y vois une utilité de déposer un nom de logiciel libre. Cela permet d’éviter que des petits malins s’amusent à redistribuer un logiciel vérolé sous ce même nom et au finale entacher l’image de la « marque », ainsi que la réputation de le l’ensemble des logiciels libres. Même si c’est contradictoire avec la philosophie, parfois il faut savoir rester raisonnable pour le bien de tous et surtout des utilisateurs vulnérables.

    Cordialement.

  2. Bartux

    En fait, le dépôt de marque est absolument nécessaire dans la situation actuelle. Je m’explique: sans dépôt de marque, d’autres peuvent alors déposer cette même marque et ainsi tenter d’empêcher son utilisation, même par ceux qui l’ont créée.
    Il faudra ensuite passer par la case justice afin de tenter de prouver l’existence d’une antériorité (par un nom de domaine exploité par exemple), ce qui peut être long et couteux et sans garantie. C’est triste, mais c’est le monde actuel qui veut cela.

  3. Bartux

    D’ailleurs je vais en profiter pour vous raconter l’histoire du père de mon grand-père. Ce dernier était un paysan immigrant francophone venu participer à la conquête du nouveau monde. Un jour il découvrit un engrais révolutionnaire réalisé à partir d’excréments séchés de bisons. La fortune l’attendait et il appela logiquement son invention le Caca Colé. Malheureusement il ne pensa pas à protéger sa marque. C’est alors qu’un puissant conglomérat dirigé par un certain Sam découvrit son invention puis, à partir des mêmes ingrédients, créa un engrais liquide et déposa une marque très similaire en ne changeant que deux lettres seulement. Mon arrière grand-père fut contraint d’abandonner la commercialisation de sa découverte. Par erreur, le fameux liquide fut vendu dans un petit commerce comme boisson rafraîchissante et connu un succès fulgurant. La suite de l’histoire vous la connaissez certainement et la morale aussi.
    Bartux

  4. Sylvain

    @Axel

    Si je suis un petit malin et que je veux abuser des gens, le dépôt de la marque ne changera rien (je suis déjà malhonnête alors un peu plus, un peu moins…).

    Je trouve toujours bizarre de vouloir partager des sources, de la musique, des livres, etc. avec les principe du libre mais de empêcher l’utilisation de nom s(qui, en plus, sont souvent des noms communs répandus dans le langage courant bien avant le dépôt de la marque).

    Je peux éditer un article de Wikipédia en quelques clics mais je dois demander l’autorisation pour utiliser leur logo. Je peux pourtant autant, voire plus, nuire à la réputation de Wikipédia en y écrivant des âneries qu’en détournant la marque (pareil pour un logiciel).

  5. totopipo

    @Bartux
    Sur ton premier message, j’ai en tête un exemple qui m’a étonné il y a peu : les Simpson
    En effet, la bière fictive depuis des années dans la série est devenue soudainement floutée…

    Un gros moment d’aberration.

  6. xaccrocheur

    Un peu lèger cet article non ? C’est confus, il veut empêcher les gens d’utiliser le mot « Génial » (Awesome) c’est ça ? J’ai du mal à comprendre vu le manque de références légales…
    Ensuite il trouve anormal qu’un fork de Firefox doive changer de nom…?
    Après il veut vendre des T-shirt avec le logo d’un projet ou d’une marque quelconque sans rendre de comptes…? (d’ailleurs c’est quoi « le célèbre logo du panda roux entourant la terre » ?)

    Je veux dire, il dit « La gouvernance d’un logiciel libre est souvent étonnamment floue sur le sujet. » mais il n’est guère plus précis avec son billet de trois paragraphes ? Qu’est-ce qu’il propose au *juste* ?

  7. xaccrocheur

    Par ailleurs je voudrais pas avoir l’air d’insister (je vous ai envoyé un mail ce matin mais vous répondez pas) mais quand est-ce que vous publiez la traduction de l’article de Nozomi Hayase daté de September 16, 2012 et qui ne devient pas plus actuel avec le temps ? 🙂

    C’était un gros boulot de trad, yen avait des pages, pour certains passages techniques j’ai du appeler à le rescousse un pote SR dans la presse ; je veux dire, vous avez lancé un appel à traduction (http://identi.ca/notice/96829723) mercredi soir, perso j’ai passé une bonne partie de la soirée à traduire et la pause déjeuner du lendemain à corriger et relire, et depuis, plus de nouvelles !?

    Il faudrait faire une page listant les articles en attente de trad, avec des statuts, de toutes façons je dois regarder la doc d’Etherpad, en attendant, RSVP ?

  8. Amaury

    @xaccrocheur Le « célèbre logo du panda roux entourant la terre » ne serai pas le logo de Firefox, justement ? Cf. http://commons.wikimedia.org/wiki/F… 😉 .

    Sinon, je suis plutôt d’accord avec ce qui est dit. Je plussoie, même.

  9. Schoumi

    Dans l’actualité de ces derniers jours, j’ai vu passé une info à propos de laguiole (les couteaux). Rien à voir avec le coté open source. Mais la marque à été déposé en 93 par quelqu’un qui a décidé de faire des licences Laguiole alors que ce ne sont pas de vrai couteaux laguiole ou autres.(http://lci.tf1.fr/economie/entrepri…) Déposer la marque, la protégé contre la contrefaçon c’est autre chose que vouloir contrôler tout ce qui touche ce que l’on produit. Dans le cas de laguiole, on se retrouve avec des couteaux pourri qui nuise à l’image de ces couteaux pourtant bien fabriqué et de qualité parce qu’un mec à profité de la situation.