Autos, téléphones… nous devrions pouvoir déverrouiller tout ce qui nous appartient

Temps de lecture 7 min

image_pdfimage_print

Vous venez de crever et vous vous retrouvez malencontreusement sur le bord de la route pour changer votre pneu. Tout d’un coup un policier arrive et vous verbalise parce que vous enfreignez je ne sais quel copyright de la marque de votre véhicule stipulant que vous n’avez pas le droit d’y changer quoi que ce soit. C’est surréaliste et pourtant c’est bien la situation actuelle des téléphones portables.

Quid d’un monde sous contrôle où les objets ne nous appartiennent plus faute d’avoir le droit de les bidouiller  ?

Håkan Dahlström - CC by

Oubliez la bataille du téléphone portable – Nous devrions pouvoir déverrouiller tout ce qui nous appartient

Forget the Cellphone Fight — We Should Be Allowed to Unlock Everything We Own

Kyle Wiens – 18 mars 2013 – Wired Opinion
(Traduction  : Alpha, Sphinx, aKa, marc, lgodard, M0tty, jtanguy, Moosh, Floréal, K4ngoo, Texmix + anonymes)

Alors que le Congrès des Etats-Unis travaille sur une loi visant à ré-autoriser le déverrouillage des téléphones portables, regardons le vrai problème en face  : les lois issues du copyright qui ont d’abord fait que le déverrouillage devienne illégal. À qui appartiennent les objets que nous possédons  ? La réponse avait pour habitude d’être évidente. Dorénavant, avec l’électronique, omniprésente dans tous les objets que nous achetons, la réponse a changé.

Nous vivons dans une ère numérique, et même les produits matériels que nous achetons sont complexes. Le copyright impacte plus de monde qu’auparavant car la frontière entre logiciel et matériel, ente monde physique et numérique, s’amenuise.

Le problème ne se réduit pas seulement au déverrouillage des téléphones portables  ; quand on achète un objet, n’importe lequel, nous devrions le posséder. Nous devrions être en mesure de soulever le capot, l’ouvrir, le modifier, le réparer, etc… sans demander la permission au fabriquant.

Sauf que nous ne possédons pas vraiment nos objets (enfin pas dans la totalité), les fabricants sont les vrais propriétaires. Parce que la modification d’un objet moderne requiert un accès à de l’information  : du code, des documents de conception, des codes d’erreur, des outils de diagnostic… Les voitures modernes sont des mécaniques puissantes mais également des ordinateurs sophistiqués. Les fours à micro-ondes sont une combinaison de plastique et de microcode. Le silicium imprègne et alimente presque tout ce que nous possédons.

C’est un problème de droits de propriété, et les lois actuelles sur le copyright prennent ce problème à l’envers, transformant les gens ordinaires, comme les étudiants, les chercheurs et les patrons de petites entreprises, en délinquants. Par exemple l’entreprise de télécoms Avaya, qui fait partie du top 500 de Fortune, est connue pour poursuivre des entreprises de services en justice, les accusant de violer le copyright simplement parce qu’elles utilsent un mot de passe pour se connecter à leurs systèmes téléphoniques. Vous avez bien lu  : rentrer un mot de passe est considéré comme  : une «  reproduction de matériel soumis au copyright  ».

Les fabricants ont systématiquement utilisé le copyright en ce sens ces 20 dernières années pour limiter notre accès à l’information. La technologie a avancé trop vite par rapport aux lois sur le copyright, les sociétés ont exploité cette latence pour créer des monopoles de l’information à nos dépens et à leur bénéfice. Après des années d’expansion et de soi-disantes améliorations, le copyright a transformé Mickey Mouse en un monstre immortel.

Cela n’a pas toujours été ainsi. Les lois sur le copyright ont été créés à l’origine pour protéger la créativité et promouvoir l’innovation. Mais maintenant, elles font exactement le contraire. Elles sont utilisées pour empêcher les entreprises indépendantes de réparer les nouvelles voitures. Elles rendent presque impossible aux agriculteurs de réparer leur matériel. Et, comme nous l’avons vu ces dernières semaines, elles empêchent les particuliers de déverrouiller leurs propres téléphones portables.

Ce n’est pas juste un problème qui affecte seulement les spécialistes en informatique  ; les fermiers sont également touchés. Kerry Adams, un agriculteur dans une ferme familiale de Santa Maria en Californie, a récemment acheté deux machines de transplantation pour la modique somme de 100000$ pièce. Elles sont tombées en panne juste après, et il a dû faire venir un technicien de l’usine pour les faire réparer.

Comme les constructeurs ont mis un copyright sur les notices techniques, les techniciens locaux ne peuvent pas réparer les appareils récents. De plus, les appareils actuels, remplis de capteurs et d’électronique, sont trop complexes pour être réparés sans la notice technique. C’est un problème pour les agriculteurs qui n’ont pas les moyens de payer les frais d’entretien élevés pour de l’outillage qui se détériore assez vite.

Adams a abandonné l’idée de faire réparer ses repiqueurs, c’était tout simplement trop cher de faire venir les techniciens en déplacement jusqu’à son exploitation. À présent, les deux repiqueurs sont à l’arrêt et il ne peut pas s’en servir pour subvenir aux besoins de son exploitation et de sa famille.

Dieu a peut-être donné vie à un fermier, mais les lois sur le copyright ne lui permettent plus de gagner sa vie.

Dans le proche domaine de la mécanique automobile, le copyright est aussi vu comme un étau, restreignant leur capacité à résoudre des problèmes. Les erreurs de code dans votre voiture  ? Protégés. Les outils de diagnostic pour y accéder  ? Des logiciels propriétaires.

Les nouvelles voitures se sophistiquent année après année, et les mécaniciens ont besoin d’un accès aux informations systèmes pour rester dans la course. Sous la protection du copyright, les constructeurs automobiles ont empêché l’accès des garagistes indépendants aux outils de diagnostic et aux schémas de fonctionnement dont ils ont besoin.

Les mécaniciens n’abandonnent pas pour autant. En septembre dernier, le Massachusetts a acté une loi sur le Droit à Réparer destinée à niveler le champ d’action entre les concessions et les garagistes indépendants. Sous le cri de ralliement de «  C’est votre voiture, vous devriez avoir la possibilité de la réparer où vous le souhaitez  », la loi a été adoptée à une très large majorité de 86 %. Cette loi contourne le copyright, forçant les constructeurs à publier toutes les informations techniques aux propriétaires de véhicules du Massachusetts et aux techniciens système. L’agitation populaire se propage  : les législateurs du Maine viennent de mettre en place une législation similaire.

Pendant ce temps, des progrès sont faits vers la légalisation du déverrouillage des téléphones portables. Avec des groupes locaux menant le combat, l’administration Obama a annoncé son soutien à l’annulation de cette interdiction la semaine dernière. Les membres du Congrès ont depuis rédigé pas moins de quatre projets de loi pour légaliser le déverrouillage.

C’est un pas dans la bonne direction mais ce n’est pas assez. Que les choses soient claires  : réparer nos voitures, tracteurs, et téléphones portables ne devrait rien avoir à faire avec le copyright.

Tant que le Congrès se concentre simplement sur le déverrouillage des mobiles, il passera à côté du vrai problème. Les sénateurs peuvent adopter cents projets de loi sur le déverrouillage  ; dans cinq ans, les grandes entreprises trouveront d’autres revendications de copyright pour limiter le choix des consommateurs. Pour vraiment résoudre le problème, le Congrès doit promulguer une réforme du copyright qui soit significative. Les bénéfices économiques potentiels sont significatifs, étant donné que l’information libre crée des emplois. Les informations techniques sont accessibles librement sur internet pour de nombreux smartphones sur iFixit (mon organisation) et d’autres sites. Ce n’est pas par hasard que des milliers d’entreprises de réparation de mobiles ont fleuri ces dernières années, exploitant les connaissances techniques pour éloigner les téléphones portables cassés des décharges.

Tant que nous serons limités dans notre faculté à modifier et réparer les choses, le copyright, pour tous les objets, entravera la créativité. Il nous en coûtera de l’argent. Il nous en coûtera des emplois. Et cela nous coûte déjà notre liberté.

Crédit photo  : Håkan Dahlström (Creative Commons By)

11 Responses

  1. Galuel

    Comme l’argent déposé dans les comptes bancaires… Il nous appartient ou pas ?

    L’exemple Chypriote démontre que non !

    http://www.creationmonetaire.info/2

    Alors à quand une monnaie véritablement libre ?

    Comment le droit de propriété déverrouillé serait-il possible au sein d’une économie dont la monnaie, l’outil universel d’acquisition, serait privatrice ?

  2. bab

    N’importe quoi… Toujours cette comparaison avec les voitures quand ça vous arrange.

    Un coup c’est « copier n’est pas voler », un coup c’est d’installer ce qu’on veut sur une machine.

    Mais si ça vous dérange, n’achetez pas !

  3. Nagual

    « N’importe quoi… un coup c’est d’installer ce qu’on veut sur une machine. »

    …un coup c’est d’installer ce qu’on veut sur SA machine.

    C’est moche, un larbin…

  4. aucuneimportance

    Effectivement, la comparaison automobile c’est du grand n’importe quoi.
    Le « verrouillage » des automobiles est certes une contrainte qui se traduit financièrement mais cette contrainte est induite par deux trois détails qui sont complètement ignorés dans l’article.

    a) pour faire un objet moderne, il faut également des compétences. Et ce n’est pas parce qu’on tritouille du C sur un github que l’on sait maitriser une cinquantaine de calculateurs embarqués temps-réel…

    b) le point précédent ne serait pas grave si, contrairement aux téléphones, l’automobile ajoute un paramètre anecdotique, j’en conviens : rouler en voiture, ça peut tuer. Rassurez-vous, le problème n’est pas tellement la ou les vies qui seraient perdues, mais surtout à qui va-t-on coller la responsabilité de la chose… (dédommagements, prison, toussa…)

    Bon, ok, vous avez votre bagnole qui roule au GPL (la licence, pas le carburant). Pas de bol, y’a un bug (si si dans le libre, c’est possible). Vous perdez le contrôle et écrasez 3 gosses à un passage piéton. Toujours pas de bol, on a la preuve dans les commits que c’est vous qui avez introduit un bug dans votre super-logiciel-qui-fonctionne-presque-bien…

    On fait quoi exactement ?

    Question corollaire : qui va tester la release sid ou testing du nouveau contrôleur de vitesse …??

    Personnellement, je préfère largement perdre ma liberté de « réparer » ma voiture plutôt que la vie… Mais c’est vous qui voyez 🙂
    Toutes les libertés ne sont pas interchangeables.

  5. pasplusdimportance

    Ok, on ne peut pas tout faire soi même, mais que dire quand un garagiste ne peut pas réparer ma voiture : « les constructeurs automobiles ont empêché l’accès des garagistes indépendants aux outils de diagnostic et aux schémas de fonctionnement dont ils ont besoin… »
    Personne ne parle de « tritouiller » ses calculateurs, ni de supprimer le copyright, mais de le réformer, de faire en sorte qu’il soit adapté a notre époque et notre environnement.

  6. Mapics

    Sous couvert du copyright ont peut faire se que l’ont veut pour vérouiller les réparation dans une enseigne de la marque, certaines voitures en France ont le même probleme, les garagistes refuse d’effectuer certaines réparation car ils n’ont pas les outils qu’ils faut et investir couterais trop chere si ils ni a pas du volume ensuite a faire pour le rentabilisé.

  7. Trotro

    aucuneimportance a écrit :
    «Question corollaire : qui va tester la release sid ou testing du nouveau contrôleur de vitesse …??»
    Question renversée : qui a « pondu » et contrôlé quoi (matériel ET logiciel s’il vous plaît, il y a très souvent des rappels de véhicules, allez savoir pourquoi !) et sous quelles conditions pour les contrôleurs actuels ? Même si ça n’évoque pas plus d’angoisse chez la plupart des automobilistes actuels et surtout pour les piétons que la consommation de certaines boissons et autres psychotropes (qui sont une réalité bien plus aléatoires et tangible chez une plus grande partie de la population que celle de regarder dans les entrailles mécaniques), je ne vois pas en quoi cette question devrait effrayer encore plus dans cette hypothèse.
    C’est vrai que cette analogie tourne vraiment au ridicule. Enfin, il paraît que l’Internet tue… si si ! Il tue les zartisss’. :o)

    «Personnellement, je préfère largement perdre ma liberté de « réparer » ma voiture plutôt que la vie… »
    Ça se veut choc mais au final ça perd totalement son sens. Il aurait été écrit plus simplement : « je préfère que tu perdes ta liberté d’étudier le fonctionnement des véhicules plutôt que tu prennes le risque de mettre ma vie en danger » ce serait plus compréhensible.
    Bon, au final c’est bien connu : L’ignorance, c’est la force. :o)

    «Toutes les libertés ne sont pas interchangeables.»
    La liberté à la carte ou par morceau pour paraphraser un vieil anarchiste, c’est mignon. Mais ça reste pour les gogos.

  8. Emertyl

    D’accord sur le fond de l’article. Hier, j’ai démonté un petit ordinateur éducatif premier âge. Pas de vis apparentes, pas de notice (bien sûr), une vrai misère pour le démonter! Que de temps passé pour une réparation de moins d’une minute (sans fer à souder!).
    Une parenthèse pourtant à propos des voitures: aujourd’hui, on trouve beaucoup de location longue durée avec maintenance/assistance (et option d’achat à la fin du contrat). Dans ce cas là, le verrouillage peut éventuellement être justifié le temps de la location, puisqu’il s’agit de location. Donc le propriétaire reste la marque. Par contre, le verrouillage devrait sauter en cas d’achat à la fin de la durée de location.

    Et pour revenir sur ce que dit « aucuneimportance », je suis d’accord: dans le logiciel libre/open-source, on peut retracer les commit d’un bug éventuel, donc faire peser la responsabilité sur un développeur (testeur? chef de projet?). Ce qui est d’ailleurs bien plus difficile dans un logiciel propriétaire. Pour le commun des mortels j’entends… Heureusement, ce n’est pas vraiment le fond du problème de l’article. Et puis en même temps, il n’y a pas besoin d’avoir un logiciel buggué pour tuer 3 enfants sur un passage piéton, des pneus été sur un sol enneigé suffisent. Et toi, tu vas chez un concessionnaire de ta marque pour poser tes pneus hiver (histoire qu’il endosse la responsabilité)?
    Vraiment, je pense que vu la masse de cerveaux dans le monde, se contenter de ceux qu’on peut employer réduit de beaucoup la capacité d’innovation. Après, la valeur ajoutée d’une entreprise pourrait être dans le processus de validation et de tests de sécurité, ce pour quoi je serais prêt à payer un peu plus cher…

  9. Ginko

    @bab,

    si vous êtes un esclave et fier de l’être, grand bien vous fasse ! Mais s’il vous plaît, ne nous donnez pas aux esclavagistes ! Nous ne le méritons pas.

    @Nagual, oui, @bab est moche !

    @aucuneimportance,

    a) Très révélateur de votre façon de penser (que j’ai déjà mise en lumière dans d’autres fils de commentaires ici, il me semble) : cette dichotomie entre ce prétendu « professionnel » compétent et son miroir : l’amateur, nécessairement un bidouilleur qui agirait aléatoirement par essai/échec, sans vision, aveugle tel la sélection naturelle elle-même. Vous vous mettez les doigts dans les yeux jusqu’au cervelet mon ami. Les mecs dans l’industrie ne sont rien de plus que des hommes : faillibles et incompétents au possible. Les amateurs peuvent être extrêmement pointus et rigoureux dans leur travail. Surtout lorsqu’il s’agît de technologie qui pourrait être dangereuse.

    b)Sérieusement ?

    Et les gens qui roulent sans permis ? Les pépés et mémés aveugles ? Les gens qui roulent dans des épaves ? Et tout ces gens qui roulent avec leurs capacité de réaction altérées (psychotropes divers (alcool, drogues, médicaments) et la fatigue). Et tous les gens qui font du tuning sur leurs véhicules ?

    Et vous avez peur de 3 gus dans un garage qui bidouilleraient en connaissance de cause leur véhicule alors que l’ado du voisin est en train de faire des roues arrières sur son scooter débridé à la sortie du collège ???

    Il ne s’agît pas tant de réclamer une nouvelle liberté que d’exiger qu’on nous rende cette liberté qu’ils sont en train de nous voler !

    Franchement, vous criez au loup sans aucune raison, vous êtes ridicule.

  10. Ptetbien

    Les plaquettes de freins sont en vente libre. Je peux donc changer mes plaquettes de frein. et tuer quelqu’un parce que le boulot aura été mal fait. Qui décide donc que je ne peux pas faire autre chose, et en particulier, détecter la panne de ma voiture en ayant connaissance de la documentation ?
    La différence vient du fait que d’un coté, le verrouillage est possible, via le copyright, et de l’autre, ce n’est pas encore interdit.
    Si l’argument de la sécurité tenait la route (sic), il nous serait interdit de changer les plaquettes de frein. Ce n’est pas le cas, donc …

  11. rouzejp

    Il y a longtemps que je ne suis plus développeur, mais dans mes débuts (fin des années 70, début des 80) je bossais dans une administration avec un service assez unique : nous développions des systèmes de régulation de trafic automobile. A ce poste, j’ai appris ce qu’est la sécurité d’une application et du matériel, deux feux qui se mettent au vert en même temps : des morts potentiels. Nous faisions du libre sans le savoir, pas de brevets, certains principes de mes créations ont été repris par le privé, nous travaillons en étroite collaboration avec des sociétés comme la SFIM (fabricants de radars automobiles entre autres 🙂 ) et le fait que rien ne soit verrouillé n’était pas un problème.
    Là nous sommes face à d’autres arguments ! le verrouillage pour se faire le maximum d’argent ! S’il est légitime pour un concepteur/constructeur de rentrer dans ses investissements et même de faire du profit la question est l’est-ce de maintenir ses clients en situation de dépendance totale ?
    Personnellement je ne le crois pas ! Le système de brevet actuel est un système pervers qui bloque l’innovation (regardez Apple qui va bientôt breveter l’air chaud qui sort des ventilos de ses bécanes 🙁 ). Alors oui, je suis pour faire sauter les verrous, mais à condition que ce ne soit pas pour carotter les créateurs en clonant simplement leur oeuvre mais en approtant une plus value en terme de service ou de fonctionnalités.
    J’ai trois enfants, ils sont tous sous licence CC copie autorisée en citant la source et sans utilisation commerciale 😉