PIQO : quand on peut faire simple…

Temps de lecture 12 min

image_pdfimage_print

Des ordis moins énergivores (mais aussi efficaces) pour les institutions françaises. Libres. assemblés en France ? C’est le pari osé d’une association de Nevers, qui a besoin de sous pour démarrer.
Nous avons voulu en savoir plus avant, peut-être, de mettre la main au portefeuille, et nous sommes allés interroger Émilien Court, l’un des responsables du projet PIQO.

Bonjour, Émilien. Ça vient d’où, ce projet ? Qui êtes-vous ? Comme dirait Isaac : comment justifiez-vous votre existence ?

Je vois qu’on a les mêmes références ! PIQO est le fruit d’un constat : le parc informatique des administrations, entreprises, écoles ou universités est très largement surdimensionné en termes de puissance compte tenu de l’usage qui en est fait. Cela entraîne un coût financier non négligeable en investissement ou consommation électrique. L’impact écologique est également considérable en traitement des déchets électroniques, transport ou production d’énergie. Enfin, tous les équipements informatiques sont actuellement produits en Asie, et il apparaît indispensable de mettre en place un « circuit court » de l’informatique en localisant l’assemblage en France.

PIQO est un projet de synthèse. Ça n’est pas que de l’informatique, c’est aussi un projet social et environnemental.

Je suis tombé dans l’informatique quand j’étais petit, j’en ai même fait mon métier à une époque. Parce que je suis aussi quelqu’un d’engagé et préoccupé par les questions de société, il m’apparaissait normal, dès lors que la technologie le permettait, de la sortir du seul champ de l’informatique pour la mettre au service de l’éducation, de l’économie, de l’environnement ou de l’emploi de façon constructive.

Il n’a pas été difficile de constituer une équipe de personnes issues d’horizons très divers : éducation, économie sociale et solidaire, environnement, industrie, design…

Aujourd’hui, PIQO compte une quinzaine de membres, qui tous voient derrière l’ordinateur un projet de société.

Pourquoi avoir créé une association et faire un crowdfunding ? Vous auriez pu monter une entreprise et démarrer avec un emprunt bancaire…

La question de créer une entreprise ne s’est même pas posée, à vrai dire. PIQO repose sur des technologies libres ou à but non lucratif, et c’est cette philosophie que nous souhaitons porter à grande échelle.

PIQO est aussi un laboratoire. Notre objectif est de démontrer qu’il n’existe pas qu’un seul modèle économique basé sur l’exploitation de l’humain et de la nature. On peut créer de l’activité économique, de l’innovation et des emplois sans recourir au modèle économique libéral. Notre démarche s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire, et ce qui peut être fait dans l’informatique peut s’appliquer partout ailleurs.

Dans cette optique de sortie du schéma « capital, dividendes », l’association était la meilleure solution pour garantir l’indépendance et l’autonomie du projet. PIQO n’appartient à personne … ou à tout le monde !

Pourriez vous, nous en dire plus sur les membres de votre association, et ce qui vous a amenés à vous unir ?

Nous sommes issus d’horizons très divers : éducation, santé, technologie, environnement ou encore social. La plupart des membres ne sont pas des pointures en informatique, mais sont cependant tout à fait conscients des enjeux d’un tel projet et de l’impact potentiel sur la société. C’est cette convergence de valeurs qui est la base de notre collaboration, parce que nous avons tous à cœur de proposer une alternative technique, environnementale et sociale.

On a l’impression que le fait que vous êtes tou(te)s Nivernais a une incidence sur la création de PIQO…

La Nièvre, comme beaucoup de départements ruraux, souffre d’une situation économique difficile, d’une baisse de sa population au profit de régions plus prospères, et d’un déficit d’image. La pauvreté de l’offre en matière d’éducation supérieure conduit notamment les bacheliers à quitter le département pour étudier dans les grandes villes, mais peu reviennent finalement sur leur territoire d’origine. La Nièvre offre cependant une excellente qualité de vie et Nevers est une ville à taille humaine dotée de bonnes infrastructures. Parmi les voies de développement, il y a évidemment le numérique. Toutes les villes aujourd’hui essaient de s’équiper pour attirer les entreprises du secteur et cela conduira à une mise en concurrence acharnée des territoires. Je pense que pour être efficaces, ces stratégies doivent tendre à se spécialiser faute de pouvoir affronter les métropoles française ou européennes. L’exemple de Lannion en Bretagne est à suivre. Cette ville de 20 000 habitants a développé son économie autour des technologies de télécommunication, notamment en proposant une offre éducative adaptée.

La Nièvre a ses propres atouts et problématiques. Il serait pertinent de s’appuyer dessus pour développer le numérique : la santé, la prise en charge des personnes âgées ou dépendantes, le tourisme, la compétition automobile et pourquoi pas le logiciel libre. C’est là que PIQO a un rôle à jouer parce que notre volonté est d’offrir au territoire une opportunité de développement qui réponde à des exigences environnementales, éthiques, sociales, et locales.

Je me dis souvent qu’on n’a pas besoin de 4Gio de Ram pour faire de la bureautique. C’est ça, votre postulat de départ ?

Je n’irai pas, comme Bill Gates en 1981, jusqu’à dire que « 640 Ko de mémoire devraient suffire à tout le monde », mais effectivement 4Gio de RAM pour faire de la bureautique c’est trop !

L’informatique a connu une croissance technologique et économique fulgurante. Les ordinateurs sont beaucoup plus puissants qu’hier et beaucoup moins que demain. Pour autant, il faut en mesurer l’impact sur notre civilisation.

Regardons ce qui se passe dans un autre secteur industriel : l’automobile. La notion d’efficience est devenue une nécessité en raison des conséquences environnementales et de l’explosion du coût de l’énergie. La voiture s’adapte de plus en plus aux besoins de l’utilisateur. Il est désormais difficilement concevable d’acheter un véhicule qui consomme 15 litres aux 100km pour faire de petits trajets urbains. Alors que les industriels se livraient par le passé une guerre sur le terrain de la puissance, aujourd’hui ils communiquent sur le confort, la sécurité ou la consommation. Les V8, les V10 ou les V12 disparaissent peu à peu des concessions.

On doit se poser les mêmes questions dans l’informatique. Lorsque j’achète un ordinateur, quelles sont les conséquences sur l’environnement, sur mon portefeuille, sur les ouvriers qui l’ont fabriqué ?

piqo

Certains commentateurs émettent des doutes en se référant au prix du Raspberry Pi 2, qui est le socle de votre solution. Que leur répondez-vous ?

Effectivement, de façon très surprenante nous sommes la cible d’attaques en règle sur ce point. Il nous est souvent opposé que le prix d’un Raspberry Pi 2 n’est que de 35-40€, ce qui est totalement vrai !

Restons pragmatiques. Le coût global d’un produit ne dépend malheureusement pas que du prix d’un seul de ses composants, fut-il aussi essentiel. Si nous pouvions vendre PIQO sous les 50€ nous le ferions avec plaisir, notre objectif n’étant pas le profit. Nous envisageons par ailleurs la possibilité d’une version moins chère dotée d’une mémoire de 8Gio.

Il faut bien comprendre que le Raspberry PI 2 est le socle de notre solution, mais c’est une carte inerte et pour en faire un ordinateur fonctionnel et plug and play pour tout le monde, nous devons lui ajouter d’autres éléments : 32 Gio de mémoire, une alimentation électrique, un boîtier, un OS, un conditionnement etc. Le prix de revient double presque au passage.

Ensuite, il y a des charges liées à la production et à la commercialisation de PIQO : les locaux, le matériel, la logistique ou le service après-vente pour en citer quelques-unes. Les contraintes économiques ne sont pas les mêmes que lorsqu’on bricole à la maison.

Comme toute activité économique, PIQO est soumis à la TVA, ça représente 16,5 € par exemplaire, ainsi qu’à l’IS et à la CFE.

Enfin, « but non lucratif » ne signifie pas « bénévole ». Les dirigeants de l’association ne sont pas rémunérés, mais pour assembler et distribuer PIQO, il faut créer des emplois, et c’est même l’une de nos missions en favorisant l’insertion et la formation des plus précaires.

Nous mettons un point d’honneur à être transparents sur l’activité économique de PIQO, et les coûts liés à sa production sont détaillés sur notre site. Nous poursuivrons cette transparence à l’avenir.

Par ailleurs, PIQO est une association ouverte à laquelle tout le monde peut adhérer pour prendre part aux décisions ou élire le conseil d’administration.

Ce qui est évident, c’est que notre solution ne convient pas aux besoins des technophiles, il leur suffit d’acheter un Rasperry Pi et de bidouiller. On retrouve le même principe chez ceux qui préfèrent montent leur PC et ceux qui l’achètent assemblé au supermarché du coin. Mais le grand public, les administrations ou les entreprises ont besoin de solutions clés en main, d’un service après-vente et de conseils. C’est ce que nous proposons.

D’accord, mais il a quelle valeur ajoutée, le PIQO, par rapport à des solutions qui existent déjà, comme le Linutop et le Cubox ? Qu’est-ce qu’on y trouve de plus ?

Linutop est deux à trois fois plus cher pour des performances similaires voire moindres. Cubox est un beau produit et affiche des prix nettement plus proches, mais sous Android, un OS peu adapté à l’usage desktop auquel nous destinons PIQO, sans parler de l’ingérence de Google dans cet environnement.

Notre objectif est clairement de proposer un ordinateur bureautique, qui prenne en compte les questions sociales, environnementales, et qui soit proche de ses utilisateurs particuliers, professionnels ou institutionnels.

PIQO sera un ordinateur déjà rempli de logiciels… libres. Ce choix du logiciel libre (outre son avantage financier), c’est aussi un choix éthique ? Et du coup, allez-vous mettre votre distribution maison à disposition des bidouilleurs et bidouilleuses qui veulent faire leur PIQO de leurs propres mimines ?

Le choix du logiciel libre est effectivement éthique. La contrainte financière est réelle aussi puisqu’il serait impossible de proposer PIQO à un tel prix avec des logiciels propriétaires. Nous aimons particulièrement l’idée que des milliers de personnes à travers le monde ont travaillé pendant toutes ces années pour aboutir à cet éventail de logiciels, sans rien attendre en retour que la satisfaction d’avoir été utiles à la collectivité. Nous travaillons avec la même philosophie et notre distribution basée sur Xubuntu sera évidemment disponible en téléchargement (c’est déjà le cas de la pre-alpha).

Par ailleurs, il n’y a pas de LUG actif dans la Nièvre, est ce que le projet PIQO, ou des membres de votre association, prévoient de développer des actions autour du Logiciel Libre ?

Nevers comme capitale française du logiciel libre, l’idée est séduisante ! Certains membres de l’association utilisent le Libre depuis longtemps, d’autres le découvrent et sont surpris de voir qu’il est en fait tout à fait possible de s’extraire des systèmes propriétaires. La vocation de PIQO est de faire cette démonstration à grande échelle, et cela passe par des actions de terrain. J’aimerais personnellement beaucoup pouvoir organiser des install-parties ou des conférences dans la Nièvre pour expliquer ce qu’est la philosophie du libre et sensibiliser les utilisateurs aux risques des logiciels propriétaires. On a de la place pour accueillir du monde et le cadre est sympa !

En fait en soutenant PIQO, on soutient indirectement des actions en faveur du logiciel libre et de l’open hardware dans la Nièvre ?

On peut dire ça. Le principe de réciprocité est selon moi indissociable du Libre. Si PIQO rencontre le succès, il est normal qu’à son tour l’association se fasse le porte-voix de cette philosophie et fédère autours d’elle d’autres utilisateurs, acteurs ou curieux.

Émilien, du projet PIQO. Photo Jérémie Nestel - CC by-sa
Émilien, du projet PIQO.
Photo Jérémie Nestel – Licences Art Libre


Supposons que la Mairie de Paris, qui vient d’adhérer à l’APRIL, vous passe commande pour 20.000 PIQO. Vous pouvez fournir ?

Vous me l’apprenez, c’est une grande nouvelle ! Nous sommes déjà en discussion avec des collectivités pour des volumes de 1500 pièces par an. 20 000 pièces d’un coup c’est une commande énorme, et un investissement considérable. Mais avec l’appui de nos partenaires institutionnels, et un délai raisonnable, nous serions en mesure de relever le défi.

Un dernier mot pour nous convaincre de participer à votre financement participatif ?

Le Libre est mûr pour faire son entrée dans la cour des grands ! Nous tâchons modestement à notre échelle d’œuvrer dans ce sens, tout en développant une activité économique qui soit socialement et moralement responsable.
Ça demande parfois un petit effort d’imagination pour certains, mais c’est possible !

En savoir plus et contribuer :

* Le site du projet PIQO : http://www.piqo.fr/
* Le financement participatif : http://www.kisskissbankbank.com/piqo
* Contacter l’équipe : http://www.piqo.fr/contact/

 


 

Merci à Jérémie Nestel d’être allé enquêter sur place.

Suivre Frédéric Urbain:

Frédéric Urbain est l'un des porte-parole de Framasoft, association d'éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels. Aimant jouer avec le langage, traquant l'anecdote et le bon mot, il publie ses travaux sous licence libre : articles, conférences, nouvelles, roman.

9 Responses

  1. Frédéric Urbain

    J’ai un peu souffert pour vous proposer la vidéo de Jérémie, mais la voilà !

    (et les champion-ne-s de la vidéo sous Gnu/Linux qui ne savent pas quoi faire de leurs soirées sont invité-e-s à se présenter)

    • oleg

      moi aussi, je trouve que c’est une belle initiative, mais j’ai du mal à comprendre… Pourquoi vouloir repackager quelque chose qui existe déjà? Sans rien apporter de vraiment mieux ou neuf, je veux dire.
      N’aurait il pas été plus simple de proposer du service autour du Rapsberry (installation, maintenance, formation…) ?

  2. Nestel

    @Nargote c’est pas parceque y a Debian qu’il ne peut y avoir Ubuntu. C’est la dynamique qui est intéressante si bien entendu la philosophie libre domine des bises librement Jérémie

    • Romirates

      Ok, mais là c’est plus : c’est pas par ce que y ubuntu sur raspberry pi 2, qu’il ne peut pas y avoir ubuntu sur raspberry 2 avec un boitier custom, surtout que là, jusqu’à preuve du contraire on parle de 80€ pour une rpi 2, un boitier, un OS, et une alim, et donc si le but est de proposer un ordinateur fonctionnel à des écoles, assos, etc. il faut donc ajouter un écran clavier et souris (et des enceintes), c’est plus que 80€ l’ordinateur tout ça hum? surtout qu’il existe des ordi portable sur le marché aux environ de 100€ et quid de l’utilisation des clients léger, dans les écoles, universités, administrations ? c’est surdimensionné comme parc info ça ? pour l’instant le méchant geek que je suis à du mal à voir l’utilité de ce projet, sans doute serait il plus profitable de mettre l’accent sur les services que vous pouvez proposer autour de la rpi 2, plutôt que de parler d’un ordinateur qui par rapport au public que vous prétendez vouloir toucher n’en ai pas vraiment un.

  3. Pascal

    On peut mettre ce qu’on veut sur la CUBOX , pas forcément ANDROID ?

  4. Jean-Baptiste Faure

    Bonjour,

    > le parc informatique des administrations, entreprises, écoles ou universités est très largement surdimensionné en
    > termes de puissance compte tenu de l’usage qui en est fait.

    Est-ce qu’il y a des références à l’appui de cette affirmation ?

    • Pierre

      Oui, il y a des références: ma propre expérience par exemple: en 1992, je travaillais intensivement sur des ordinateurs, et j’avais une productivité supérieure à la mienne aujourd’hui pour des tâches équivalentes (gestion de données, bureautique, CAD, DAO), alors que mes machines étaient bien moins puissantes que celles que j’ai aujourd’hui: 386SX 16 avec 4Mo de RAM par rapport à un Atom avec 2Go de RAM plus un quadcore avec 16 Go de RAM.

      Je suis loin d’être le seul dans ce cas, nous évoquons souvent, avec des collègues, combien de choses nous faisions à l’époque, à grande vitesse, que nous ne pouvons même plus faire maintenant, avec des machines bien plus puissantes. La faute à quoi? C’est là un autre débat…