Les bénéfices d’un combat, témoignage

Il n’est pas toujours facile de militer activement, ça demande du temps, de l’énergie et le courage de surmonter les difficultés.

Mais c’est aussi l’occasion de se confronter à la réalité du monde, de se découvrir aussi, et de tirer une fierté légitime de victoires auxquelles on a contribué. C’est dans cet esprit que nous publions aujourd’hui le témoignage de Bram.

Membre de Framasoft, il fut militant à la Quadrature du net et à la Nurpa, il se concentre aujourd’hui sur des actions plus locales comme la Brique Internet ou encore Neutrinet, une association bruxelloise fournisseur d’accès à Internet et membre de la fédération FDN.

Il nous propose ici un retour d’expérience en définitive plutôt positif et nous explique fort bien quels bénéfices il a tirés de cet épisode militant.
Alors bien sûr, face aux lobbies, les formes et stratégies du combat ont évolué depuis la victoire contre ACTA qu’il évoque dans ce témoignage, donc la lutte aux côtés de la Quadrature s’est donné de nouveaux outils et des campagnes moins difficiles à vivre.

Mais l’essentiel demeure : l’action collaborative résolue est déterminante et il est possible de faire une différence.

 Le jour où j’ai compris que je pouvais faire une différence en politique

par Bram

C’est une histoire que je raconte parfois, au coin d’une table, mais que je n’ai jamais eu le courage de mettre par écrit, je profite d’un instant de motivation parce que je pense qu’en ce moment difficile pour nos actions politiques il est important de partager nos histoires et les récits de réussites. Nous manquons d’ailleurs cruellement d’histoires de nos luttes dans nos communautés.

bramCela remonte à l’année 2010, le gouvernement français venait de faire passer la loi Hadopi malgré tous ses déboires et j’avais regardé l’ensemble des débats à l’Assemblée nationale, j’étais particulièrement remonté avec l’envie de faire quelque chose et je venais à la fois de rejoindre la Quadrature du Net depuis 6 mois et de co-fonder la Nurpa dans la même période.

À ce moment-là, 4 eurodéputé·e·s venaient de lancer la déclaration écrite numéro 12 qui disait grosso merdo « si la Commission européenne ne rend pas public le texte d’ACTA, le Parlement européen votera contre ». Une déclaration écrite est un texte, qui, s’il est signé par la moitié des eurodéputé·e·s en moins de 6 mois, devient une prise de position officielle du Parlement européen (sans pour autant être contraignante).

Le problème c’est que signer ce texte ne peut se faire que de 2 manières : soit dans une salle obscure que personne ne connait au fin fond du Parlement européen, soit avant d’entrer en séance plénière, au moment où les Eurodéputé·e·s ont franchement beaucoup d’autres choses en tête que d’aller signer un papier — et bien entendu les plénières ne durent que quelques jours une seule fois par mois.

Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé

Pour précision, une déclaration écrite est également quelque chose de fort facile à proposer et par son côté non contraignant elle ne représente pas beaucoup d’enjeux. On a donc le droit à toute une série de déclarations écrites farfelues et sans grand intérêt généralement proposées par des Eurodéputé·e·s cherchant un moyen de montrer à leur électorat qu’elles ont foutu quelque chose sur un sujet quelconque. À l’époque nous avions trouvé, entre autres, une déclaration écrite proposant une journée internationale de la glace à Italienne artisanale et une autre demandant la déclassification de documents sur les OVNIs. Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé, la Quadrature du Net décida donc de soutenir cette déclaration écrite.

Février 2010, branle-bas de combat, un certain moustachu m’informe via IRC (eh oui) de la situation et me dit en gros : « ça serait bien si tu pouvais trouver quelques personnes et qu’on se rejoigne au Parlement, on a un truc important à faire signer aux Eurodéputé·e·s contre ACTA ». Pas tout à fait sûr de vraiment comprendre de quoi il s’agissait, mais ayant pressenti l’importance de l’événement, je me ramenai avec 4-5 personnes — à l’agréable surprise dudit moustachu. Ce fut alors le début de la bataille.

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Une bataille épuisante qui dura plus de 6 mois à raison de une à deux visites au Parlement par mois. Notre action était simple : aller frapper à la porte des bureaux de tous les députés pour les convaincre de signer la déclaration écrite en leur expliquant à quel point c’était important et espérer qu’ils aillent signer, coller des affiches et distribuer mollement des tracts avant la plénière. Bien souvent nous n’avions affaire qu’aux assistants, les députés étant occupés à d’autres choses, quand ce n’était pas un bureau vide.

Ce fut l’occasion pour notre petit groupe (à l’exception du moustachu) de découvrir les rouages de l’advocatie de terrain, les lobbyistes ayant leur propre catégorie de badge au Parlement européen (que nous refusions, nous étions des citoyens, pas des lobbyistes) et les désillusions face aux arguments les plus efficaces… (« ton chef a signé et a dit de signer alors signe » « tous tes potes ont signé sauf toi » « ton adversaire a signé, si tu le fais pas tu vas passer pour un loser » « roh mais dites les Verts, l’ALDE a plus signé que vous ! » mais dit dans leur langue, bref, la cour de récré).

un travail pénible, ingrat et peu visible…

Je n’irai au Parlement que deux ou trois fois, cette activité étant bien trop stressante pour moi (merci les anxiétés sociales), je me suis retrouvé bien vite à m’occuper de quelque chose de fort important mais plus discret : maintenir la liste des signataires (en plus de trouver des bénévoles et de faire de la coordination). Une tâche bien moins simple que prévu à cause de l’incompétence technique du Parlement européen : il a plus de 700 Eurodéputé·e·s, certain·e·s partaient, certain·e·s venaient, les documents de ceux qui avaient signé changeaient tout le temps de forme et les députés parfois de nom (en fait c’était l’époque où le Parlement avait mal inscrit certains noms peu communs en Belgique notamment au niveau des accents) et le terme « opendata » commençait juste à apparaitre. Bref, un travail pénible, ingrat et peu visible, mais au moins on a pu faire des jolis graphiques (mmmh… en matplotlib) qui plaisaient beaucoup aux journalistes et qui étaient utilisés comme argumentaires auprès de certain·e·s Eurodéputé·e·s.

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La route fut difficile, nous n’obtenions que peu de signatures au début, car nous préférions viser la droite en premier lieu dans l’espoir que ça ne finisse pas comme « un texte de gauche » que la droite refuserait de signer. Les progrès étaient lents et démotivants et le public était d’une totale indifférence pour cette procédure peu connue, sur un sujet pas encore très en vogue (pas grand-monde avait entendu parler d’ACTA ou saisi son importance). Ainsi, nos appels répétés à contacter les Eurodéputé·e·s restèrent sans grand résultat, pire encore à la plénière d’avril nous n’obtiendrons que 27 signatures. Combinées aux 62 et 57 signatures précédentes, cela nous amenait à 146 signatures : très très loin des 369 dont nous avions besoin alors qu’il ne nous restait que 4 plénières. Le moral était au plus bas et les drames présents.

des listes sur papier des Eurodéputé·e·s

Ce fut également une période intéressante au niveau de l’invention d’outils d’activisme : à partir des données des signataires (que j’avais extraites de memopol, qui à l’époque était une collection de 28 scripts Perl écrivant des pages mediawiki et pas le projet qui existe aujourd’hui) nous nous mîmes à concevoir des listes sur papier des Eurodéputé·e·s que nous prenions avec nous au Parlement européen avec des cases à remplir pour ensuite nous les échanger. Dans le désespoir de l’action « j’inventais » les pads avec la liste de toutes les informations des député·e·s à appeler et des champs à remplir en dessous avec les réponses obtenues (à l’époque le piphone n’existait même pas au stade d’idée, mais en est en partie inspiré) et j’invitais absolument tout le monde à aller dessus, ce fut très ironiquement aussi le moment où nous réalisions que les pads étaient limités par défaut à 14 connexions simultanées. Ce fut aussi l’époque où j’ouvris le compte twitter @UnGarage avec le moustachu.

l’instant magique plein de synergie

Les plénières suivantes ne furent gère meilleures : 39, 34 et 34 signatures soit 253 signatures au total, il nous en manquait 116 pour la dernière plénière, cela nous semblait totalement impossible. Coïncidence heureuse : cette dernière plénière de juillet eut lieu pile pendant les RMLLs 2010 de Bordeaux. La pression était à son comble, nous étions épuisé·e·s et déjà fort occupé·e·s, l’idée était de lancer une séance d’appels au Parlement avec des téléphones SIP mais rien ne marchait. Après 2-3 jours d’engueulades et de tensions intenses (je me rappelle avoir vu Benjamin consoler une permanente en larmes), nous finîmes par occuper un local et mettre en commun tous les téléphones des gens voulant bien nous les prêter (avec la promesse de remboursement des factures) et à faire un atelier d’appels au Eurodéputé·e·s.

Ce fut alors l’instant magique de synergie où plein de participant·e·s des RMLLs se sont mis·es à appeler les Eurodéputé·e·s à la chaîne. Je me rappelle d’un présentateur radio qui avait particulièrement marqué la salle : après avoir appelé impeccablement bien tou·te·s les Français·es et les Belges, nous découvrîmes qu’il était bilingue lorsqu’il se mit à faire pareil avec tou·te·s Bulgares dans leur langue ! De son côté, le moustachu qui était lui au Parlement européen n’était pas en reste et les 4 Eurodéputé·e·s à l’origine de la déclaration non plus. Le résultat fut au rendez-vous : nous obtînmes 100 signatures, ce n’était pas les 116 qu’il nous fallait, mais c’était assez pour pouvoir demander une rallonge à la plénière suivante, qui fut obtenue, et nous savions que les 16 signatures manquantes étaient une formalité (et nous les obtînmes par la suite).

Nous avions gagné.

Les conséquences de cet événement furent également intéressantes : cette victoire nous avait coûté cher matériellement (tout le budget « actions européennes » de la Quadrature y était passé et nous étions à la moitié de l’année) et humainement pour un résultat moyennement intéressant : une déclaration écrite, soit une prise de position officielle mais non contraignante du Parlement européen. Les effets de bord l’ont été bien plus cependant : les personnes que j’avais embarquées dans l’histoire se sont forcément beaucoup politisées (Bouska par exemple se présentera quelques années plus tard en tant que député pour les Français à l’étranger du Benelux et a foutu le bordel sur la question des votes sur Internet), ce fut également une des premières actions politiques de la toute jeune Nurpa qui a beaucoup grandi et on retrouve également l’influence de cette période dans une partie de la boîte à outils de la Quadrature (memopol, piphone) comme dans une partie des méthodes d’action qui furent et sont encore parfois utilisées.

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Un travail de groupe avant tout

J’étais personnellement épuisé et ce fut l’un des plus grand soulagements de ma vie mais aussi un accomplissement : je n’avais absolument pas tout fait tout seul, c’était un travail de groupe avant tout mais j’y avais eu un des rôles centraux et je ne sais pas si ça se serait fait sans moi tant la victoire avait été difficile à obtenir. J’avais 22 ans et j’avais eu un rôle central dans un groupe qui avait obtenu une prise de position publique du Parlement européen.

C’était donc possible.

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