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Clicnat, une application pour trouver les plages naturistes cet été ? Pas vraiment, c’est plutôt le Pokemon Go de Picardie…
Mais un Pokemon Go en réalité réelle (même pas besoin de l’augmenter :p) et avec des bestioles de toutes sortes : grâce à l’association Picardie Nature, vos balades peuvent alimenter les données naturalistes locales, et en plus, c’est libre !
Notre Fred avait rencontré l’été dernier (lors des RMLL de Beauvais) la joyeuse troupe de cette association, mais (tout au peaufinage de son polar) il n’a pas pu réaliser l’interview.
Qu’à cela ne tienne, l’intrépide Tripou, un des Framacolibris furetant sur le forum des bénévoles de Framasoft, a pris le relais, et est allé interroger Picardie Nature pour qu’ils nous en apprennent plus sur Clicnat.
Pourquoi avoir choisi le libre pour Clicnat ?
C’est déjà un réflexe naturel, Picardie Nature utilise du logiciel libre et partage ce qu’elle produit, la plus grande partie des postes de travail est sous Ubuntu. Mais aussi parce qu’on a souhaité qu’il soit accessible à d’autres et au-delà de la Picardie. De cette façon, l’effort qu’on a fourni pour le créer ne devrait pas être à nouveau mobilisé et l’énergie qu’on y apportera doit servir à en faire quelque chose de mieux.
Ceux que ça intéresse peuvent aussi regarder comment c’est fait, comment ça marche et il y a aussi forcément l’argument économique qui va devenir prépondérant dans le contexte actuel où la fonte de nos subventions est indexée à celle des glaciers.
C’est pour nous aussi un moyen d’indépendance, le maintien en ligne uniquement pour la saisie des données peut ne coûter qu’une machine et un peu de temps bénévole. C’est le travail de développement, d’animation, de mise en circulation des données qui sera impacté, l’existant peut être préservé et on pourra toujours continuer à noter nos observations.
Est-ce parce que Sterne et BDN (utilisés à l’ONF) ne vous convenaient pas, que vous avez choisi de développer une application libre ?
Avant de se lancer on a testé plusieurs outils, on a pu accéder au code et en installer certains. Ces applications ont certainement eu une évolution depuis mais a ce moment-là pour nous elles étaient, selon nous, trop orientées vers un public scientifique et leur module cartographique ne nous satisfaisait pas. On s’approchait de ce qu’on voulait faire mais sans l’atteindre.
Clicnat a été créé avec des logiciels libres, lesquels ? (OpenLayers pour la cartographie, mais encore) ?
Clicnat est principalement écrit en PHP, pour la base de données c’est PostgreSQL avec PostGis et on utilise également MongoDB. Sur l’interface on a effectivement OpenLayers pour la cartographie et aussi l’incontournable jQuery. En ce moment on commence à introduire React dans les interfaces, on s’attaque aussi au développement pour les mobiles avec Cordova en utilisant toujours React et OpenLayers.
Il n’y a pas encore de standard d’échange de données dans le monde naturaliste. Comment fait-on, alors ?
On parle souvent de la même chose, au minimum, une date, un lieu, une espèce ou taxon. Pour les deux premiers on s’en sort bien, c’est une fois qu’on discute de l’espèce ou du taxon que ça commence à se compliquer.
Les noms changent régulièrement au fil du temps, certains peuvent être regroupés ou séparés en plusieurs nouveaux taxons, c’est là qu’il faut s’entendre sur un référentiel, Clicnat a son propre référentiel et on utilise le référentiel taxonomique TAXREF, qui est géré par le Muséum national d’histoire naturelle, pour les échanges, et qui devient maintenant un standard.
En France le Muséum national d’histoire naturelle propose aussi un standard d’échange, et travaille à la mise en place du SINP pour faire circuler les données. Au niveau international il y a le Système mondial d’information sur la biodiversité (GBIF) qui existe aussi, on peut accéder aux données via des API (interface de programmation applicative), c’est très ouvert.
Qui rédige les fiches espèces auxquelles on peut accéder ?
Principalement des naturalistes picards, les textes pour les oiseaux viennent du livre Les oiseaux de Picardie. Certains ont été écrits par des stagiaires ou CDD, c’est un exercice que l’on peut faire pour acquérir la connaissance locale pour une espèce qui va faire l’objet d’une étude.
Si on ne connaît pas l’espèce que l’on croise, c’est gênant pour alimenter Clicnat ?
Ça n’est pas gênant, il y a des processus de validation et de contrôle, votre observation ne fera pas obstacle à la construction d’une autoroute si elle est farfelue. L’erreur est permise et c’est aussi un des premiers contacts que vous aurez avec un humain qui va vous questionner sur votre observation peut-être inhabituelle.
Et selon le contexte d’utilisation on va adapter le niveau d’exigence pour une donnée d’observation, dans le cadre d’une action en justice ou pour évaluer l’impact d’un projet on va regarder à la loupe ce qui est rapporté. Si on ne connaît pas l’auteur, que la présence de cette bestiole implique de gros enjeux, on va vous demander d’étayer éventuellement avec une photo et de répondre à quelques questions pour évacuer une confusion avec une autre espèce par exemple et on saura dire si ça tient la route ou pas.
La donnée devient fiable à quel moment ? C’est à dire on observe un animal à un endroit précis, on va l’inscrire sur Clicnat et on sait que tel jour à tel moment un éléphant était devant la poste ?
Une fois que deux utilisateurs validateurs ont donné un avis favorable ou que le coordinateur du réseau faunistique concerné l’a validée manuellement dans un lot.
L’accumulation des données est traitée différemment ? Un troupeau d’éléphants passe chaque année à cette période devant la poste ?
Non, Clicnat est principalement un entrepôt et une ressource pour ceux qui vont écrire un article. Le travail d’étude est principalement fait en dehors de Clicnat mais il commence par une extraction de données de celui-ci. Et plus il y a de données, mieux c’est. Ça va permettre d’affiner les dates d’arrivée et de départ de certaines espèces, de détecter des régressions ou progressions d’espèces, de mesurer l’impact du réchauffement climatique.
C’est aussi un point d’échange, en Picardie et en Normandie les plateformes regroupent plusieurs structures qui mettent leur données en commun sur leur plateforme.
Existe-t-il un équivalent pour la flore ?
Oui, il y a Digitale 2 qui est porté par le CBNBL dans le Nord Ouest mais qui n’est pas libre.
Ça peut être pas mal pour alimenter la page Wikipédia sur la faune de Picardie dont les références les plus récentes datent de 1994. C’est prévu ou vous allez laisser faire les particuliers ?
L’article sur Picardie Nature a été supprimé de Wikipédia parce qu’on manque de notoriété d’après les critères wikipédiesques. Ça nous a laissé un goût amer, pour l’instant ça n’est pas prévu de notre côté.
Sur la carte on peut voir que Rouen ne participe pas du tout au référencement… à tous les coups son excuse sera probablement que ce n’est pas le même département…tst.
C’est normal on couvre la Picardie. Mais c’est une autre instance de Clicnat quand même. Le GONm utilise aussi Clicnat, on est encore dans une phase de déploiement pour la partie restitution. On a dû faire pas mal de modifications pour que le projet puisse tourner sur une autre région. Il y avait pas mal de choses dans le code qui nous étaient spécifiques et on a dû procéder à pas mal de nettoyage. Ça nous a servi de leçon et maintenant on est plus générique sur la façon de développer.
C’est le hasard mais j’ai entendu parler d’un système similaire il y a quelques jours : Silène, qui référence également la faune et la flore dans le sud de la France, vous vous inspirez entre vous, vous discutez, ou c’est cloisonné ?
Il n’y a pas beaucoup d’échanges entre bases, c’est vrai que c’est plutôt cloisonné. On regarde évidemment ce que les autres font, j’aime ce que fait Sigogne par exemple. Sinon les attentes des utilisateurs suffisent pour nourrir la réflexion et faire germer les idées.
Y’a t-il ce genre de système dans chaque région ?
Oui, pour ceux portés par des associations de naturalistes, le plus répandu est Visionature, ensuite il y a des choses comme Clicnat (Picardie, Normandie) et SIRF (Nord Pas de Calais)
D’autres régions/départements vous ont-elles contacté pour mettre en place ce type de dispositif ?
Évidemment la Normandie, on a aussi Faune-et-route, un morceau de Clicnat dédié au collisions routières, qui est porté également à présent par le CPIE de la Mayenne. On commence à être sollicité par d’autres régions et de temps en temps quelqu’un demande à accéder au dépôt du code.
Clicnat permet également de produire des synthèses, c’est-à-dire ?
C’est ce qu’on appelle entre nous le site public, il permet à tout le monde de consulter et télécharger les données de répartition des espèces.
Alors, si je comprends bien, étant braconnier revendeur d’espèces en danger, je peux aller sur Clicnat pour m’informer des meilleurs endroits pour les choper ?
Non, parce qu’on va flouter géographiquement la localisation sur des mailles de 5km2 et parfois ne pas indiquer les communes. On ne dévoile pas les indices de reproduction ou le comportement des espèces qui pourraient dire dans quel milieu elles se trouvaient.
Quand on travaille avec des bureaux d’études ou avec les fonctionnaires qui instruisent des dossiers liés à l’environnement, on passe au kilomètre carré. Et ensuite au cas par cas, pour de la rédaction d’articles, pour la contribution à un projet particulier ou pour des actions en justice, on peut extraire les données brutes avec un maximum de précision.
Sur quel animal menacé voudriez-vous attirer l’attention ?
Aucun, ils sont tous intéressants et méritent tous notre attention. Une espèce commune aujourd’hui pourra devenir menacée demain, et si personne ne prend le temps de les noter régulièrement on le verra pas venir. Quand on soupçonnera qu’il se passe quelque chose, on ne pourra pas étayer d’hypothèse avec des observations.
Pour aller plus loin :
- Le site de l’association Picardie Nature
- Découvrez Clicnat
- Le code source de Clicnat (licence AGPL V3)
RyDroid
> En ce moment on commence à introduire React dans les interfaces, on s’attaque aussi au développement pour les mobiles avec Cordova en utilisant toujours React et OpenLayers.
J’espère que votre logiciel continuera de fonctionner sans ce composant non libre, ou mieux que vous le supprimerez.
http://react-etc.net/entry/your-license-to-use-react-js-can-be-revoked-if-you-compete-with-facebook
https://github.com/facebook/react/blob/master/PATENTS
Nico
J’espère qu’aucun adhérent de l’asso ne va attaquer les brevets de facebook dans l’immédiat.
Vincent Liefooghe
Concernant le site faute-et-route, le conservatoire des espaces naturels du Nord Pas-de-Calais (qui fait maintenant partie de la même région des Hauts de France) a fait développer une application mobile (iOS et Android) et un site internet basé sur Drupal qui a le même but.
Les signalements peuvent se faire soit directement sur le site internet (www.faunequipeut.fr), soit via l’application mobile qui utilise le site en back-office via des appels REST.
Dommage que toutes ces agences / institutions n’aient pas encore la culture du partage et de la collaboration que l’on trouve dans le libre…
Nico
Ça a été discuté ou évoqué a un moment. Si vous êtes un « proche du dossier » ici on est partant.
Vincent Liefooghe
J’ai fait suivre les infos aux personnes du conservatoire avec qui je suis en contact. J’heberge le site et y fait un peu d’évolutions de temps en temps