Être un géant du mail, c’est faire la loi…

Google, Yahoo, Microsoft (Outlook.com & Hotmail) voient forcément vos emails. Que vous soyez chez eux ou pas, nombre de vos correspondant·e·s y sont (c’est mathématique !), ce qui fait que vos échanges finissent forcément par passer sur leurs serveurs. Mais ce n’est pas là le seul problème.

Quand les facteurs deviennent shérifs…

« Bonjour, c’est moi qui fais la loi ! »
Par Mennonite Church USA ArchivesAlta Hershey, Incoming Mail, 1957, No restrictions, Link

Ça, c’est côté public : « Tout le monde est chez eux, alors au final, que j’y sois ou pas, qu’est-ce que ça change ? ». En coulisses, côté serveurs justement, ça change tout. La concentration des utilisateurs est telle qu’ils peuvent de fait imposer des pratiques aux « petits » fournisseurs d’emails, de listes de diffusion, etc. Ben oui : si vous ne respectez pas les exigences de Gmail, les emails que vous enverrez vers tou·te·s leurs utilisateurs et utilisatrices peuvent passer en spam, voire être tout bonnement bloqués.

Comme pour Facebook, on se trouve face à un serpent qui se mord la queue : « Tous mes amis sont dessus, alors je peux pas aller sur un autre réseau… » (phrase entendue lors des début de Twitter, Instagram, Snapchat, et Framasphère*…). Sauf qu’en perdurant chez eux, on devient aussi une part de la masse qui leur confère un pouvoir sur la gouvernance – de fait – d’Internet !

Il n’y a pas de solutions idéale (et, s’il vous plaît, ne jugeons pas les personnes qui participent à ces silos… elles sont souvent pas très loin dans le miroir 😄) ; mais nous pensons que prendre conscience des enjeux, c’est faire avancer sa réflexion et sa démarche vers plus de libertés.

Nous reprenons donc ici un article de Luc, notre administrateur-système, qui a partagé sur son blog son expérience de « petit » serveur d’email (à savoir Framasoft, principalement pour Framalistes) face à ces Léviathans. Luc ayant placé son blog dans le domaine public, nous nous sommes permis de remixer cet article avec des précisions qu’il a faites en commentaires et des simplifications/explications sur les parties les plus techniques (à grands coups de notes intempestives 😜 ).

Le pouvoir de nuisance des silos de mail

Crédits : Illus­tra­tion de Vincent Van Gogh, Joseph Roulin assis

par Luc Didry, aka Framasky.

Quand on pense aux GAFAM, on pense surtout à leur vilaine habi­tude d’as­pi­rer les données de leurs utili­sa­teurs (et des autres aussi d’ailleurs) mais on ne pense pas souvent à leur poids déme­suré dans le domaine du mail.

Google, c’est gmail, Micro­soft, c’est hotmail, live, msn et je ne sais quels autres domaines, etc. [Outlook.com. On l’oublie souvent. – Note du Framablog]

Tout ça repré­sente un nombre plus que consé­quent d’uti­li­sa­teurs. Google reven­diquait en 2015 900 millions de comptes Gmail. Bon OK, il y en a une part qui ne doit servir qu’à avoir un compte pour son téléphone Android, mais quand même. C’est énorme.

Je n’ai pas de statis­tiques pour Micro­soft et Yahoo, mais c’est pareil : ils pèsent un certain poids dans les échanges mondiaux [nous, on en a trouvé : 1,6 milliard de comptes à eux trois en 2016 – NdF].

Ce qui nous ramène à une situa­tion des plus déplai­santes où un petit nombre d’ac­teurs peut en em***er une multi­tude.

WARNING : la liste à puce qui suit contient des exemples techniques un poil velus. Nos notes vous aideront à y survivre, mais vous avez le droit de la passer pour lire la suite des réflexions de Luc. Ah, et puis il a son franc-parler, le loustic. ^^ – NdF.

Petits exemples vécus :

  • Micro­soft bloque tout nouveau serveur mail qu’il ne connaît pas. C’est arrivé pour mon serveur perso, le serveur de mail de Frama­soft que j’ai mis en place, sa nouvelle IP [l’adresse qui permet d’indiquer où trouver un serveur – NdF] quand je l’ai migré, le serveur de listes de Frama­soft et sa nouvelle IP quand je l’ai migré. Ça me pétait une erreur 554 Message not allowed (de mémoire, je n’ai plus le message sous la main) [erreur qui fait que l’email est tout bonnement refusé – NdF]. Et pour trou­ver comment s’en débrouiller, bon courage : la page d’er­reur de Micro­soft n’in­diquait rien. Je n’ai même pas trouvé tout seul (et pour­tant j’ai cher­ché) : c’est un ami qui m’a trouvé la bonne adresse où se faire dé-black­lis­ter (notez au passage qu’il est impos­sible de faire dé-black­lis­ter une adresse ou un bloc d’adresses IPv6 [la nouvelle façon d’écrire les adresses IP, indispensable face à la croissance du nombre de machines connectées à Internet – NdF]).
  • Gmail qui, du jour au lende­main, décide de mettre tous les mails de mon domaine person­nel en spam. Ce qui ne serait pas trop gênant (hé, les faux posi­tifs, ça existe) si ce n’était pour une raison aber­rante (ou alors c’est une sacrée coïn­ci­dence) : ça s’est passé à partir du moment où j’ai activé DNSSEC [une façon de sécuriser les échanges avec les serveurs DNS [ces serveurs sont les annuaires qui font correspondre une adresse web avec l’adresse IP difficile à retenir pour les humains – NdF²]] sur mon domaine. Et ça s’est terminé dès que j’ai ajouté un enre­gis­tre­ment SPF [une vérification que les emails envoyés ne sont pas usurpés – NdF] à ce domaine. Or le DNSSEC et le SPF n’ont rien à voir ! Surtout pas dans cet ordre-là ! Qu’on ne fasse confiance à un enre­gis­tre­ment SPF que dès lors que le DNS est de confiance (grâce à DNSSEC), soit, mais pourquoi néces­si­ter du SPF si on a du DNSSEC ? [Oui, pourquoi ? – NdF qui laisse cette question aux spécialistes]
  • Yahoo. Ah, Yahoo. Yahoo a décidé de renfor­cer la lutte contre le spam (bien) mais a de fait cassé le fonc­tion­ne­ment des listes de diffu­sion tel qu’il était depuis des lustres (pas bien). En effet, quand vous envoyez un mail à une liste de diffu­sion, le mail arrive dans les boîtes des abon­nés avec votre adresse comme expé­di­teur, tout en étant envoyé par le serveur de listes [le serveur de listes se fait passer pour vous, puisque c’est bien vous qui l’avez envoyé par son intermédiaire… vous suivez ? – NdF]. Et Yahoo a publié un enre­gis­tre­ment DMARC [une sécurité de plus pour l’email… heureusement que Luc a mis des liens wikipédia, hein ? – NdF] indiquant que tout mail ayant pour expé­di­teur une adresse Yahoo doit impé­ra­ti­ve­ment prove­nir d’un serveur de Yahoo. C’est bien gentil, mais non seule­ment ça fout en l’air le fonc­tion­ne­ment des listes de diffu­sion, mais surtout ça met le bazar partout : les serveurs de mail qui respectent les enre­gis­tre­ments DMARC appliquent cette règle, pas que les serveurs de Yahoo. Notez qu’AOL fait la même chose.
  • Orange fait aussi son chieur à coup d’er­reurs Too many connections, slow down. OFR004_104 [104] [« trop de connexions, ralentissement », une erreur qui fait la joie des petits et des grands admin-sys – NdF]. C’est telle­ment connu que le moteur de recherche Google suggère de lui-même wanadoo quand on cherche Too many connections, slow down. Voici la solu­tion que j’ai utili­sée.

Pour s’en remettre, voici une image qui fait plaisir…

On peut le voir, le pouvoir de nuisance de ces silos est énorme. Et plus encore dans le cas de Yahoo qui n’im­pacte pas que les commu­ni­ca­tions entre ses serveurs et votre serveur de listes de diffu­sion, mais entre tous les serveurs et votre serveur de listes, pour peu que l’ex­pé­di­teur utilise une adresse Yahoo [on confirme : dès qu’une personne chez Yahoo utilisait Framalistes, ça devenait un beau bord… Bref, vous comprenez. Mais Luc a lutté et a fini par arranger tout cela. – NdF]. Et comme il y a encore pas mal de gens possé­dant une adresse Yahoo, il y a des chances que vous vous rencon­triez le problème un jour ou l’autre.

Je sais bien que c’est pour lutter contre le spam, et que la messagerie propre devient si compliquée que ça pourrait limite devenir un champ d’expertise à part entière, mais le problème est que quand un de ces gros acteurs tousse, ce sont tous les administrateurs de mail qui s’enrhument.

Si ces acteurs étaient de taille modeste, l’en­semble de la commu­nauté pour­rait soit leur dire d’ar­rê­ter leurs bêtises, soit les lais­ser crever dans leurs forte­resses injoi­gnables. Mais ce n’est malheu­reu­se­ment pas le cas. 🙁 « À grand pouvoir, grandes responsabilités »… Je crois avoir montré leur pouvoir de nuisance, j’aimerais qu’ils prennent leurs responsabilités.

Ils peuvent dicter leur loi, de la même façon qu’Internet Explorer 6 le faisait sur le web il y a des années et que Chrome le fait aujourd’hui (n’ayez pas peur, le titre de la vidéo est en anglais, mais la vidéo est en français). C’est surtout ça qui me dérange.

Une seule solu­tion pour faire cesser ce genre d’abus : la dégoo­gli­sa­tion ! Une décen­tra­li­sa­tion du net, le retour à un Inter­net d’avant, fait de petites briques et pas d’im­menses pans de béton.

 

PS : ne me lancez pas sur MailInB­lack, ça me donne des envies de meurtre.