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Voici le deuxième article de la série écrite par Falkvinge. Ce militant des libertés numériques qui a porté son combat (notamment contre le copyright1) sur le terrain politique en fondant le Parti Pirate suédois n’hésite pas à afficher des opinions tranchées parfois provocatrices 2.
Le groupe Framalang a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion la série d’articles qu’il a entreprise récemment. Son fil directeur, comme il l’indique dans le premier épisode que nous vous avons déjà livré, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.
Nous nous efforcerons de vous traduire ces articles, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.
De l’analogique au numérique : la correspondance
Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access
Traduction Framalang : draenog, wyatt, mo, simon
Au sein de leur monde analogique nos parents considéraient leurs libertés comme acquises. Ces mêmes libertés qui ne sont pas transmises à nos enfants dans la transition numérique — telles que simplement le droit d’envoyer une lettre sans mention externe de l’expéditeur.
Lors d’interventions, il m’arrive de demander aux personnes du public combien d’entre elles approuveraient des sites tels que The Pirate Bay, alors même qu’ils engendrent une perte de revenus pour les artistes (je pose la question en partant du principe que cette assertion est vraie). La proportion de spectateurs qui lèvent la main varie selon le public et le lieu.
Les défenseurs du droit d’auteur affirment que les lois hors ligne ne sont pas respectées sur Internet, lorsqu’ils souhaitent poursuivre en justice les personnes partageant savoir et culture. Ils n’ont pas tort, mais pas comme ils l’imaginent. Ils ont raison sur un point, il est clair que les lois relatives au droit d’auteur s’appliquent aussi en ligne. Mais ce n’est pas le cas des lois sur la protection de la vie privée, or cela devrait l’être.
Dans le monde hors ligne, le courrier bénéficiait d’un certain niveau de protection. Il n’était pas censé uniquement s’appliquer à la lettre elle-même, mais à toute correspondance ; la lettre était simplement l’unique moyen de correspondance lors de la conception de ces libertés.
D’abord, le courrier était anonyme. Libre à l’expéditeur de se faire connaître à l’extérieur ou seulement à l’intérieur de l’enveloppe (de cette façon l’expéditeur était inconnu du service postal, seul le destinataire en avait connaissance), ou pas du tout.
De plus, le courrier n’était pas pisté durant son transport. Les quelques gouvernements qui suivaient à la trace la correspondance de leurs citoyens étaient largement méprisés.
Troisièmement, la lettre était secrète. Jamais l’enveloppe n’était ouverte durant son transfert.
Quatrièmement, le transporteur n’était jamais tenu responsable du contenu, pour la simple et bonne raison qu’il lui était interdit d’examiner ce contenu. Quand bien même il aurait pu le faire, avec les cartes postales sans enveloppe par exemple, il ne pouvait être tenu responsable de faire son travail de transporteur — ce principe d’immunité du transporteur ou du messager remonte à l’Empire Romain.
Ces principes de liberté de correspondance devraient s’appliquer à la correspondance qu’elle soit hors ligne (la lettre) ou en ligne. Mais ça n’est pas le cas. En ligne vous n’êtes pas libre d’envoyer ce que vous souhaitez à qui vous le souhaitez, parce que cela pourrait constituer une atteinte au droit d’auteur — nos parents jouissaient pourtant de cette liberté dans leur monde hors ligne.
Les défenseurs du droit d’auteur ont raison — envoyer par courrier la copie d’un dessin est une violation du droit d’auteur, tout autant qu’envoyer une musique piratée via Internet. Seulement hors ligne, ces lois ont des pondérations. Hors ligne, quand bien même cela constitue une violation du droit d’auteur, personne n’est autorisé à ouvrir une lettre en transit simplement pour vérifier si son contenu n’enfreint pas la loi, parce que le secret de la correspondance privée est considéré comme plus important que la découverte d’une violation de droit d’auteur. C’est primordial. Ce principe de hiérarchie n’a pas été appliqué dans le monde numérique.
Le seul moment où une lettre est ouverte et bloquée, c’est lorsqu’une personne à titre individuel est suspectée au préalable d’un crime grave. Les mots « grave » et « au préalable » sont importants : l’ouverture de lettres simplement pour vérifier si elles contiennent un élément de crime sans grande gravité, tel qu’une violation du droit d’auteur, n’est tout bonnement pas autorisée du tout.
Il n’y a aucune raison que les libertés concédées à nos parents dans le monde hors ligne ne soient pas transposées en ligne de la même manière à nos enfants, peu importe si cela signifie que des modèles économiques deviennent caducs.
Après avoir mis ces points en évidence, je repose la question aux spectateurs pour savoir combien d’entre eux approuveraient des sites tel que The Pirate Bay, alors même qu’ils engendrent une perte de revenus pour les artistes. Mon argumentaire terminé, tous les spectateurs lèvent la main pour signifier leur approbation ; ils souhaiteraient que nos enfants jouissent des mêmes libertés que nos parents, et que le respect des acquis du monde hors ligne soit également appliqués en ligne.
Dans la suite de la série nous aborderons des sujets apparentés – les annonces publiques anonymes et le rôle essentiel rempli par les tribunes improvisées dans l’exercice de la liberté.
Votre vie privée est votre propre responsabilité.
- Dans cette traduction, nous utilisons « droit d’auteur » pour la compréhension du lecteur francophone, mais comme vous pourrez le lire en suivant ce lien, le copyright et le droit d’auteur sont des notions juridiquement différentes.
- Voyez les articles de lui que nous avons déjà traduits depuis quelques années
Goofy
corrigé, merci ! (j’ai failli écrire doigt d’auteur finalement)
Nathanaël
Chouette article, merci!
Un mot manque ici « ces lois ont pondérations. »
NH
Mifounet
Bonjour,
le constat est en effet dramatique. Quand on essaye de sensibiliser les gens même cultivés par ailleurs on passe pour un illuminé qui se croit dans un james bond avec du « il n’y a pas de théorie du complot » et autre « je n’ai rien a cacher ». La palme revient certainement au monde médical qui balance les dossiers via le net sans précautions (au mieux avec apicrypt qui n’est pas fiable: http://www.reddit.com/r/ReverseEngineering/comments/2vze/i_reversed_apicrypt_the_system_used_by_french/
et confier le chiffrement des données confidentielles à des tiers relève de la bêtise humaine).Si on a le culot de s’y opposer on est pris de haut; après tout sans blouse blanche on ne peut être que stupide.
Les exemples comme celui-ci ne manquent pas, c’est déprimant.
L’importance de votre action en devient capitale, seul on est désarmé!
Mifounet
Petit oubli: chez vous on a droit à des cookies google; c’est pas bien!!
JosephK
Comment ça ? Où ça ?!
Normalement, ça ne devrait pas être possible, on a fait le ménage pour enlever les scripts tiers de nos sites.
Mifounet
Mea culpa! En fait ça vient du moteur starpage, qui en passant s’est mis a afficher des résultats google (bloqués en interdisant leurs XHR).
Là, c’est la goutte qui fait déborder le vase, même si j’aime bien leur interface avancée, j’irai voir ailleurs.
Vous allez me dire Framabee, que je connais, mais ça n’a jamais marché correctement chez moi. Probablement ma parano envers l’espionnage généralisé qui me rend très restrictif; de même je n’accède pas aux sites « protegés » par cloudflare comme openclassroom ou les captcha qui ne s’affichent pas.Du coup je n’ai accès qu’à un net limité.
C’est regrettable, mais la vie privée passe avant.
Désolé, j’aurais dû vérifier plus sérieusement avant de poster.
Fouminet
Salut Mifounet !
Parles-tu de Startpage (ixquick.com) ?
Si oui, ça m’étonne ! Personnellement, je ne vois rien de tel dans uMatrix (peut-être car mon navigateur est configuré pour bloquer les cookies tiers, mais ça reste étonnant).
Si tu ne veux pas passer à Searx, tu as aussi ixquick.eu qui utilise plusieurs moteurs sauf celui de Google (Gigablast, Yandex, etc.).
Bien sûr, il y en a d’autres : Yacy, Qwant / Lite Qwant, Duckduckgo…
Mifounet
En effet j’avais activé cookies et javascript comme c’est souvent le cas quand on veut poster et un onglet avec startpage était ouvert. Le soir même je m’étais dit que si framasoft envoyait ça après la campagne dégooglisons internet ce serait un comble et ça m’a incité à faire un essai (concluant) avec juste startpage. Ayant la prétention d’être honnête, j’ai donc dû m’excuser pour cette négligence et suis passé a searx.
libre fan
Je ne vois que gravatar, rien de google. Mais gravatar, c’est pas bien. On pourrait avoir des p’tits chats comme sur peppercarrot.com.
Mifounet
Gravatar n’est pas malfaisant, ça ne sert qu’a afficher un avatar quand on poste un commentaire
Fouminet
Avec Gravatar, on fait appel à un tiers qui centralise des données, c’est un peu le même problème que les boutons créant des liaisons avec les réseaux sociaux.
Ce problème n’existe pas avec la solution proposée par libre fan :
https://www.peppercarrot.com/article390/my-fight-against-cdn-libraries
JosephK
Bon normalement, il n’y a plus de Gravatar. Ils sont définitivement remplacés par des lettres colorées.
Fouminet
Oui, et merci pour ça ! 🙂
Jeece
OK. Mais bon, The Pirate Bay n’est pas un service de correspondance. Je ne vois donc pas le rapport entre la confidentialité du contenu d’une correspondance d’une personne vers une autre et un agrégateur public de ressources pour télécharger des fichiers divers et variés.
StelFux
De ce que j’ai compris, quand tu demande une œuvre à The Pirate Bay, tu communique avec leur serveur (-> correspondance), ce n’est pas aux FAIs (-> postiers) de vérifier que tu fais des choses illégales, mais si on veut que le crime s’arrête, l’état doit s’attaque directement à The Pirate Bay.