Framaconfinement semaine 5 – Colère et apaisement

C’est à nouveau moi Angie qui reprend le clavier pour vous raconter notre cinquième semaine de confinement, et ce malgré ma leucosélophobie ! Avec un titre pareil, vous allez croire que je me prends pour Dostoïevski ! Mais je vous rassure de suite, cet article ne sera ni très long, ni très littéraire. Ce titre m’est venu comme ça, un matin sous la douche, et je l’ai adopté parce qu’il semble assez pertinent pour vous raconter nos aventures framasoftiennes pour la semaine du 13 au 19 avril !

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Les raisons de la colère…

Après Dostoïevski, voilà qu’elle nous détourne Steinbeck !

Cette cinquième semaine de confinement a commencé par un jour férié, le lundi de Pâques. Mais pas n’importe quel lundi de Pâques ! Car en plus de l’avoir vécu toutes et tous en mode confiné, c’est ce lundi 13 avril qu’a eu lieu la quatrième allocution du Président Macron durant laquelle il nous a annoncé la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai prochain. Un long discours aux accents moins guerriers que les précédents, afin de faire passer la pilule auprès du plus grand nombre.

Au sein de l’association, personne n’a été surpris. Cependant, même s’il nous semblait évident qu’on n’allait pas être déconfiné⋅es immédiatement, les annonces de ce discours (pas uniquement la prolongation, mais aussi la levée progressive des restrictions et la réouverture des écoles à cette date) a mis une partie d’entre nous en colère.

Nous en avons parlé en introduction de la réunion de l’équipe salariée dès le mardi après-midi, mais aussi, lors de la Framapapote proposée par Maiwann et qui s’est tenue mercredi soir. Car comme elle nous le disait dans le message nous proposant ce temps de convivialité :

Je ne sais pas si je suis perdue ou en colère, si j’ai besoins de câlins ou de solutions magiques mais en tout cas, j’aimerais beaucoup discuter avec vous. Pour prendre de vos nouvelles, d’abord, mais aussi pour savoir comment vous vivez la situation / ce que vous en pensez, que vous soyez serein ou en colère, car j’en ai un peu marre de n’entendre que mes pensées et j’aimerais bien entendre les vôtres.

Nous sommes en colère quand on voit la façon dont ce gouvernement gère cette crise sanitaire. Sans revenir sur le manque d’anticipation, les lenteurs dans la prise de décisions, les erreurs d’appréciation ou les discours contradictoires qui ont été largement commentés, nous sommes indigné⋅es par l’hypocrisie du gouvernement qui, en ces temps d’austérité, trouve systématiquement de l’argent pour aider les grandes entreprises en difficulté.

Nous sommes en colère quand Geoffroy Roux de Bezieux, le patron du Medef, nous dit qu’il nous faudra travailler plus à la fin du confinement, augmenter notre temps de travail et envisager le report de nos congés et RTT, tout cela au nom de la croissance économique.

Nous sommes en colère quand certains patrons un peu trop zélés mettent en place des systèmes pour tracker l’activité de leurs salarié⋅es en télétravail ; certaines entreprises allant jusqu’à leur imposer de rester connecté⋅es en visioconférence toute la journée, afin de s’assurer qu’ils sont bien présent⋅es à leur poste de travail.

Nous sommes en colère parce que nous savons bien que cette crise va avoir (et a déjà) un impact sur nos libertés. Qu’après avoir vécu dans un État de surveillance, nous allons vivre nos prochaines années dans un État solutionniste. Nous n’avons pas besoin d’une application de traçage pour lutter contre le coronavirus, qu’elle émane d’un gouvernement ou d’une multinationale. Nous n’avons pas besoin de drones qui survolent nos villes et nos campagnes ou de reconnaissance faciale dans nos rues.

Nous sommes en colère face à la banalisation des dérives sécuritaires. Quelque 100 000 policiers et gendarmes ont été déployés en France pour sanctionner les déplacements injustifiés. Mais ce déploiement interroge, en particulier au sujet de la répartition des contrôles, notamment dans les territoires les plus pauvres et hébergeant des populations spécifiques. Ainsi, la Seine-Saint-Denis concentrait à elle seule 10 % des verbalisations au deuxième jour du confinement. Les forces de l’ordre ont « une marge de manœuvre extrêmement forte » pour faire respecter le confinement et n’hésitent pas parfois à verbaliser de manière totalement abusive.

Nous sommes en colère lorsqu’une partie de nos concitoyens se mettent à appeler les services de police ou de gendarmerie pour dénoncer leurs voisins. Il nous est difficile de supporter l’idée que certains confinés se sentent investis d’une mission judiciaire, même si nous sommes conscients que la peur de la maladie peut faire ressurgir ce type de comportements.

Nous sommes en colère quand nous voyons sur les chaînes de France Télévisions, qu’on indique toujours dans les bandeaux la mention « par Skype » pour parler de visioconférence. Oui, ça nous énerve beaucoup que les chaînes du service public fassent de la publicité à peine déguisée pour ce logiciel proposé par une multinationale du numérique.

Bref, nous sommes à l’image d’une grande partie de la population : nous ne vivons pas très bien cette restriction imposée de nos libertés. Alors, nous en parlons, car il n’est rien de pire que de ressentir ces émotions négatives et de ne pouvoir les exprimer, les regarder et les analyser.

Bonsoir Tristesse…

Oh non, Angie, tu abuses ! Dostoïevski, Steinbeck et maintenant Sagan ???

Comme une grande partie de la population, chez Framasoft, nous n’échappons pas aux effets du confinement sur nous et nos proches. Ainsi, nous avons toutes et tous dans notre entourage des personnes en souffrance qu’il nous faut accompagner au mieux, que ce soit des membres de nos familles ou nos ami⋅es.

Nous ressentons de la tristesse à ne pouvoir davantage accompagner nos proches touchés par la maladie et/ou le deuil, les couples autour de nous qui se déchirent, toutes les personnes victimes de maltraitance et de violences conjugales ou nos proches touchés par la dépression. Cette tristesse se mêle à un sentiment profond d’impuissance qu’il est parfois difficile de supporter. Car le seul moyen que nous ayons pour agir c’est d’entretenir un maximum de contacts avec notre famille, nos amis ou nos collègues de travail. Nous parlons donc entre nous de nos appréhensions et de nos craintes, nous nous soutenons mutuellement.

Mais surtout nous partageons nos « recettes » respectives pour vivre au mieux la situation. Certain⋅es d’entre nous s’évadent en jouant aux jeux vidéo, d’autres découvrent les bienfaits de la méditation, ou se découvrent une passion pour la cuisine. Il y en a même parmi nous qui prennent plus de temps pour développer leur créativité. Bref, il n’y a pas de solution unique (magique ?), mais parler de ce qui nous fait du bien est déjà un bon moyen d’aller bien !

Enfin, il nous semble nécessaire d’élargir nos horizons, de ne plus se projeter uniquement dans comment gérer les deux semaines à venir, mais de penser bien au-delà. Réfléchir aux impacts que ce confinement va avoir sur nos vies dans un futur plus ou moins lointain semble faire beaucoup de bien à plusieurs d’entre nous. Même si nous ne sommes pas tou⋅tes d’accord sur comment sera le monde d’après (retour massif de la pensée capitaliste ou prise de conscience des populations qu’un autre monde est possible ?)…

Et pourtant nous continuons à avancer…

Malgré tout cela, nous continuons chaque jour, du mieux que nous pouvons à remplir nos missions. Ce n’est pas toujours simple. Peut-être même que parfois, on n’y arrive pas vraiment. Mais on fait au mieux.

Côté technique, cette semaine Luc était en congé et ce sont donc tcit, chocobozzz et Théo qui ont assuré le maintien de nos services. On a eu quelques soucis avec Framacalc : chocobozzz a dû relancer le service de nombreuses fois, mais il semble que ce soit rentré dans l’ordre. On n’a pas réussi à savoir exactement d’où cela venait (comme souvent avec Ethercalc) mais chocobozzz suppute qu’un calc flingué provoquait un souci mémoire, faisant crasher le processus parent. Vous n’avez rien compris à cette dernière phrase ? Je vous rassure, moi non plus.

Plusieurs utilisateur⋅ices de nos services nous ont aussi fait savoir cette semaine qu’iels rencontraient des soucis sur notre nouvelle instance MyPads, ce service qui permet de conserver ses pads et de les organiser dans des dossiers. Nous n’avons pas réussi à trouver d’où cela peut venir et on attend donc avec impatience le retour de Luc la semaine prochaine pour régler le problème.
EDIT : à l’heure où nous publions ce billet, le problème est réglé.

Nous avons dû modérer les inscriptions sur Framapiaf, notre instance du logiciel Mastodon, car une vague de bots est venue s’y créer des comptes en pagaille. Toute personne créant un compte sur ce service doit dorénavant laisser une note pour expliquer pourquoi elle souhaite s’inscrire et notre équipe de modération doit approuver chaque nouveau compte. Cette technique nous permet de nous assurer que ce sont bien des humains qui s’inscrivent. Mais c’est une charge supplémentaire pour nos modérateur⋅ices dont nous nous serions bien passés.
EDIT : à l’heure où nous publions ce billet, ce système de modération a été arrêté.

Les serveurs et les clients de Framatalk ont été mis à jour samedi matin pour intégrer plusieurs corrections qui devraient régler certains soucis rencontrés lorsqu’on utilise le logiciel Jitsi Meet avec le navigateur Mozilla Firefox. On a tout de même décidé de conserver le message sur la page d’accueil du service tant qu’on n’aura pas constaté une amélioration du fonctionnement de l’outil avec le navigateur Firefox.

Vendredi, tcit s’est occupé de gérer l’espace disque du serveur qui héberge le service Framateam, lequel suite à la création d’une nouvelle team s’est retrouvé en surcharge. L’administrateur⋅ice de cette nouvelle team a essayé d’importer un export Slack de taille relativement conséquente (~1.4 Gio) de multiples fois et contenant des pièces jointes relativement lourdes comme des vidéos. Nous accueillons déjà plus de 80 000 utilisateur⋅ices sur notre service Framateam. Nous avons donc contacté cette personne pour lui rappeler que nos services sont des ressources partagées que les utilisateur⋅ices sont libres d’utiliser en ayant conscience de l’aspect « commun numérique » de ces espaces. tcit a également publié le code de l’application Nextcloud qu’il avait développée pour afficher les messages sur l’instance rdv-médecins.

Théo continue à travailler sur Framaforms et constate que les modifications qu’il y apporte sont parfois mal perçues par les utilisateur⋅ices ! Alors on prend du temps pour leur expliquer que cette nouvelle version vise à régler plusieurs problèmes, dont l’affichage des titres des pages qui causait problème, l’affichage sur mobile et l’adaptation à la taille des pages. Parce que vous imaginez bien que quand on fait des modifications, c’est bien dans le but d’une amélioration ! Théo découvre donc qu’il y aura toujours des personnes à qui le changement ne plaît pas !

En plus de toutes ces activités liées au maintien de nos services, tcit et chocobozzz ont trouvé le temps de se remettre sur le développement des logiciels dont ils ont la charge. Tcit développe actuellement les fonctionnalités des groupes dans Mobilizon. Il a eu cette semaine une réunion avec Marie-Cécile Godwin Paccard, designeuse en charge du suivi du projet, pour parler du report de la sortie de la V1, des différentes fonctionnalités que devaient proposer les groupes et de la manière dont on pouvait articuler l’organisateur⋅ice d’un événement VS le contact lors de l’événement. Cette discussion a aussi permis de clarifier le vocabulaire qui sera utilisé au sein de l’application, en particulier autour des concepts de public / privé. Marie-Cécile va donc réaliser une enquête dans les semaines (EDIT : elle est prête, et c’est ici) à venir pour identifier quels seraient les vocabulaires les plus adaptés pour distinguer les différentes formes d’évènements.

Parce que le monde a changé, nous avons décidé que la collecte pour la V3 de PeerTube que nous prévoyions de lancer en mai ne pourrait se faire sous sa forme initiale. Tout d’abord parce que chocobozzz, le développeur principal de PeerTube, a passé ces dernières semaines à maintenir et renforcer nos services. Mais aussi parce qu’il nous semble déplacé de lancer une collecte sans prendre en compte le contexte actuel. Nous avons donc pris le temps de réfléchir à cette question de comment nous allons arriver à financer les différents développements prévus dans la feuille de route de PeerTube. Chocobozzz a repensé sa feuille de route et nous avons cherché comment nous allions quand même vous demander de nous aider à financer ces nouveaux développements. Nous laissons actuellement mûrir ces réflexions avant de vous les présenter d’ici quelques jours.

En parallèle, les échanges entre les membres autour de la future application #StopCovid n’ont pas cessé. On a appris au début de la semaine que c’est beta.gouv.fr qui est en charge de son développement. Globalement, nous sommes assez énervés de constater que le gouvernement préfère croire que cette application résoudra le problème alors qu’aucun expert en épidémiologie et en sécurité informatique n’a prouvé que cette solution était efficace (et c’est même plutôt le contraire). On se dit qu’il nous faut donc continuer à publier de nouveaux contenus dans notre dossier StopCovid et pour cela, nous sommes nombreu⋅ses à prendre plusieurs heures par jour pour nous informer sur ces questions.

Nous partageons nos découvertes dans le canal Veille de notre Framateam associatif. Cela génère des réflexions collectives qui nous permettent d’affiner nos raisonnements et nos arguments. Et c’est aussi un très bon moyen d’élaborer une pensée commune. Et quand Théo nous requestionne sur la question du solutionnisme technologique, la #TeamChauves s’en donne à cœur joie de l’expliciter à nouveau en citant les penseurs de la question, Evgeny Morozov, Gilbert Simondon et Bernard Stiegler. Stph nous fait découvrir le texte de Pierre Steiner « Philosophie, technologie et cognition : état des lieux et perspectives » paru dans la revue Intellectica en 2010 qui présente la thèse TAC qui structure une partie des recherches du laboratoire Costech de l’UTC. C’est sûr que lire tout cela de bon matin, surtout pour celles et ceux d’entre nous qui ont du mal à ouvrir les yeux, c’était un peu violent !

Sur le framablog, cette semaine, nous avons laissé la parole aux membres bénévoles. Stph y a publié une synthèse sur les licences libres qu’il a réalisée dans le cadre du librecours Libre Culture. La #TeamMeme a fait son coming-out dans un article qui nous a redonné le sourire. Et Stph, décidément très productif, a repris son clavier pour nous raconter comment l’association Scenari, dont il est membre, a reçu une demande de retrait de contenu non-autorisé et les réflexions qu’il en a tirées. Stph (toujours lui !) a publié sur Framabook la nouvelle A&A la genèse, dans laquelle il raconte les origines de A&A, la multinationale du numérique présente dans son roman Traces publié en juin 2018.

Jeudi soir, j’ai participé avec Lise à la réunion virtuelle mensuelle du CHATONS. Chez les chatons aussi, on ressent le fait qu’après avoir réagi très vite à la situation en mettant en place entraide.chatons.org et en alimentant la litière (c’est le nom donné au wiki des CHATONS) avec des fiches de présentation des outils du télétravail, il nous faut reprendre une activité plus habituelle. Lors de cette réunion, nous avons continué à nous questionner sur le processus de validation des candidatures des structures souhaitant rejoindre le collectif. Plusieurs réflexions avaient été lancées sur notre forum ces dernières semaines. Il s’agit tout d’abord de faciliter la candidature au collectif de nouvelles structures en leur fournissant un formulaire de candidature pour qu’elles puissent voir en amont si elles remplissent bien les conditions. Dans ce document, elles préciseront un ensemble d’informations sur le fonctionnement de leurs services au regard des différents critères indiqués dans la Charte du collectif. Ce formulaire sera aussi un outil qui facilitera l’analyse des candidatures par les structures membres du collectif puisqu’y seront répertoriées les principales informations. Le collectif prévoit d’ailleurs de travailler prochainement à la mise en place d’un système d’audit pour l’analyse des candidatures.

Côté support, on est content de recevoir des petits mots de remerciements, mais parfois on s’agace un peu beaucoup de recevoir des injonctions de nos utilisateur⋅ices ! Par exemple, quand on nous envoie un message nous indiquant que nos serveurs Framaforms semblent avoir un problème et que ce serait bien qu’on les redémarre au plus vite, car ils sont utilisés pour piloter une antenne régionale de l’ARS, on grince des dents. Parce que nous demander de les redémarrer en urgence, c’est pas comme si on n’y avait pas déjà pensé ! Alors on rappelle gentiment que nous sommes une petite association, nos CGU précisant bien que nos services sont mis à disposition gracieusement et que nous faisons au mieux pour les faire fonctionner, mais que nous ne nous assignons aucune obligation de résultat.

spf, notre collègue en charge du support a parfois des difficultés à contenir sa colère

Quand cela s’ajoute à tous les messages que nous recevons dans lesquels on nous suggère des améliorations de nos services, l’ajout de fonctionnalités ou qu’on nous intime de mettre en place de nouveaux services (alors qu’on a annoncé qu’on allait en fermer), et bien parfois, spf en a un peu ras la casquette ! Le plus lassant, c’est le fait que les gens ne savent pas toujours que leur super idée nous a déjà été demandée 42 000 fois… mais ça on ne peut pas vraiment leur en vouloir !

Tendre à l’apaisement même dans ce contexte

Exprimer entre nous et face aux autres notre colère, notre tristesse, notre sentiment d’impuissance, c’est un premier pas pour tendre vers l’équilibre sans pour autant nier les difficultés que nous rencontrons. Verbaliser le fait de vivre ces émotions nous permet d’en prendre conscience et surtout de constater que nous ne sommes pas seul⋅es à les vivre. Dire qui l’on est, ce que l’on ressent, c’est aussi permettre aux autres de se dire. Partager ses ressentis, c’est accepter le soutien que les autres peuvent nous apporter. En dédramatisant nos situations, et en se concentrant sur les points satisfaisants des celles-ci, nous apaisons nos réactions instinctives d’attaque/défense et cultivons notre résilience. Et c’est pour moi une grande chance que de pouvoir mettre ceci en application dans le cadre de mon environnement professionnel. J’en profite donc pour remercier toutes les personnes qui au jour le jour sont à mon écoute et m’apportent leur soutien dans cette période complexe. Je suis cependant consciente que nous n’avons pas toutes et tous cette facilité à nous dévoiler. Alors pour celleux là, il y a toujours la possibilité d’être présent. Et ça fait déjà beaucoup !