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Les CGU (« Conditions Générales d’Utilisation »), c’est long, c’est en langage juridique… Bref, c’est chiant !
Du coup, quasiment personne ne les lit. Et c’est problématique. Car il s’agit du contrat qui vous lie à la plateforme.
Nous avions d’ailleurs fait l’expérience pour un premier avril il y a quelques années à Framasoft : nos CGU ont contenu, pendant quelques jours, une clause comme quoi tout⋅e utilisateur⋅ice de nos services acceptait de nous offrir son âme pour une période indéfinie. Autant vous dire qu’on les a toujours, ces plus de 50 000 âmes collectées, même si on ne sait plus trop où on les a rangées. 🤔 😅

Avec les consolidations des positions de Trump, d’Elon Musk et d’autres, la fascisation du web (en tout cas celle de ses grandes plateformes) se révèle au grand jour de manière de plus en plus décomplexée. Ainsi, début janvier 2025, c’est Meta (maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp) qui a réécrit la section « discours haineux » de ses standards de la communauté, élargissant ainsi considérablement le contenu autorisé sur ses plateformes Facebook, Instagram et Threads.
Bien entendu, la presse (et pas que) en a largement parlé. Mais pour bien en parler, il faut pouvoir objectiver ces changements : qu’est-ce qui a été supprimé ? Qu’est-ce qui a été ajouté ? Dans quel contrat ? À quelle date ?
Et là, souvent, ça devient compliqué à suivre.
Heureusement, l’initiative « Open Terms Archive » vise à rendre cela plus transparent, en traçant ces modifications de contrat de la même façon qu’on peut tracer les modifications de code d’un logiciel sur une forge.
L’équipe de ce projet (qui, en toute honnêteté, était demeuré en dehors de nos radars) a accepté de répondre à nos questions. Merci à elles et eux !
Framasoft : Commençons par le début : c’est quoi Open Terms Archive ?
Équipe Open Terms Archive : Open Terms Archive est un commun numérique dont l’objet est de rendre transparentes les conditions d’utilisation et autres politiques des services digitaux. Souvent, les grandes plateformes (réseau social, vente en ligne, rencontre…) profitent d’une grande opacité dans leurs conditions d’utilisation. Nous permettons aux régulateurs, aux associations d’utilisateurs, activistes, journalistes, organismes de recherche etc. de suivre facilement les évolutions de ces documents et ainsi repérer en temps réel les modifications importantes.
Open Terms Archive organise les services suivis en collections. Les collections sont créées et maintenues par des groupes ayant un intérêt commun pour suivre les conditions d’utilisation de services dans des industries, langues et juridictions spécifiques. Chaque collection rassemble plusieurs services, et au sein de chaque service on peut suivre plusieurs types de documents contractuels. Par exemple, la collection Platform Governance Archive s’intéresse aux principaux médias sociaux, comme Instagram ou X (ancien Twitter). Pour chaque service, plusieurs types de documents contractuels sont suivis, comme les standards de la communauté, les conditions générales d’utilisation et la notice de traitement des données personnelles, entre autres.

L’initiative Open Terms Archive n’est pas sans rappeler celle de « Terms of Service, Didn’t Read » – Vous connaissiez ce projet ? Quelles différences identifiez-vous entre les deux ?
Nous travaillons avec ToS;DR depuis le début d’Open Terms Archive ! ToS;DR est un outil à destination des utilisateurs finaux, qui a pour objectif de faire noter par la foule le respect des utilisateurs par les services en ligne. Les conditions d’utilisation et autres documents contractuels sont la source de ces notes. ToS;DR s’appuie depuis quelques mois sur Open Terms Archive pour collecter les documents qui sont ensuite notés. La bascule depuis le moteur historique vers Open Terms Archive a été financée par une bourse du fonds européen NGI Zero Entrust.
Qui est derrière OTA ? Comment fonctionnez-vous ?
Open Terms Archive est un commun numérique incubé au sein de l’incubateur de services numériques du ministère des affaires étrangères. Ce projet est notamment financé par la direction du numérique du ministère, et soutenu par l’ambassadeur pour le numérique. Il est en cours d’autonomisation pour s’établir en tant qu’organisation de la société civile en 2025, probablement sous la forme d’une association loi 1901. Open Terms Archive est également en partie financé par des fonds européens tels que NGI et des fondations comme Reset.tech. Tout notre budget est public et transparent.
De même, l’ensemble de l’équipe d’Open Terms Archive est présentée sur notre site web. Cette équipe construit et déploie le logiciel et accueille le travail des bénévoles et des partenaires qui créent et maintiennent les collections. Sans eux, Open Terms Archive ne collecterait pas grand-chose !
Récemment, OTA a pris une position claire concernant le fait que Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) retirait un certain nombre de protections concernant les discours haineux sur ses réseaux. Pouvez vous nous en dire plus ?

Open Terms Archive ne prend pas de position. Tous nos mémos sont uniquement des descriptions aussi neutres que possible des changements qui sont détectés, pour les rendre plus compréhensibles par le grand public. Ces mémos sont rédigés par des contributeurs tiers ou exceptionnellement par l’équipe elle-même, en suivant des règles de rédaction claires. Nous tenons à maintenir cette neutralité, car il est important pour nous de pouvoir collaborer avec l’industrie pour la standardisation des formats des documents contractuels.
La diffusion de ces mémos par les individus et partenaires peut ensuite s’accompagner d’un message plus orienté, qui leur revient. Dans le cas spécifique des changements des standards de la communauté de Meta, nous avons fait le choix de ne pas hésiter à laisser les membres de l’équipe diffuser eux-mêmes des messages non neutres, en raison de l’importance des changements et du contexte général de transformation très rapide des politiques des big tech depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
À moyen/long terme, comment envisagez-vous l’avenir de OTA ?
Avant tout, nous espérons que les données produites seront exploitées par les acteurs capables d’influencer les plateformes pour qu’elles respectent plus leurs utilisateurs : les régulateurs, les parlementaires, les associations de protection des consommateurs, et les journalistes. C’est ce que nous expliquons dans notre modèle d’impact.
Nous espérons bien évidemment couvrir un nombre croissant de services, de juridictions, de langues, et de types de documents contractuels, mais la collecte de ces données est d’abord un moyen de renforcer la capacité de ceux qui disposent d’un pouvoir réel face aux grands acteurs du numérique. Des projets qui s’appuieraient sur nos API seraient également très bienvenus à cette fin !
L’autonomisation d’Open Terms Archive, prévue cette année, constitue une étape clé dans le développement de notre organisation. Nous envisageons de nous établir en tant qu’association loi 1901 pour continuer à promouvoir la transparence des plateformes numériques et consolider nos actions en tant qu’acteur de l’intérêt général. Pour réussir cette transformation, nous nous appuyons sur nos partenaires actuels et souhaitons en développer de nouveaux.
Identifiez-vous des besoins (financiers, humains, autres) qui pourrait vous aider à atteindre votre objectif ? Peut-on vous aider (et si oui comment) ?
En premier lieu, nous cherchons toujours des personnes pour contribuer à l’amélioration du suivi des documents existants ou à l’ajout de nouveaux documents. Cela peut se faire facilement pour les personnes ayant des compétences techniques type développement web, ou même sans. De nombreuses collections pourraient bénéficier d’un peu d’aide, comme par exemple la collection des principaux services français, celle des applications de rencontre ou encore celle des services publics français. Nous organisons des rendez-vous mensuels en visio pour commencer à contribuer 🙂 Rejoignez notre communauté pour obtenir de l’aide !
Au-delà du suivi des documents, les analyser et produire des mémos pour traduire les changements détectés en des articles compréhensibles par le grand public est tout aussi important ! Là encore, notre documentation explique comment faire et rejoindre notre communauté vous aidera à démarrer 😃
Il est également possible et utile de contribuer financièrement à la maintenance de ces collections : les dons permettent de payer les serveurs et le travail d’un community manager technique qui prend en charge les relectures des contributions pour en garantir la qualité.

La question financière reste évidemment critique pour maintenir l’activité de l’équipe cœur et garantir ainsi la disponibilité et l’évolution du logiciel, le support, l’adoption et la valorisation des données pour faire évoluer la gouvernance des plateformes. Nous cherchons donc en permanence des partenaires et des financeurs. Si vous connaissez des organisations intéressées, faites-nous signe (contact@opentermsarchive.org) !
Dernière question, traditionnelle : y a-t-il une question que l’on ne vous a pas posée ou un élément que vous souhaiteriez ajouter ?
Open Terms Archive est reconnu comme Digital Public Good (« bien commun numérique ») par la DPGA, une initiative de l’ONU pour distinguer des logiciels libres avec une gouvernance ouverte qui participent à accomplir les objectifs de développement durable. On avait envie de partager cette initiative car elle est alignée avec nos valeurs, elle met en avant d’autres beaux outils, et qu’elle nous a bien aidé en nous permettant par exemple d’être distingué comme outil de lutte contre les manipulations de l’information lors du Sommet du Prix Nobel 2023 ! Si vous opérez des logiciels qui répondent à ces critères, on vous encourage à vous en rapprocher !
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