Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft

Cet article est un extrait remanié et détaillé de l’article Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants.

Copie d'écran du site Forum-rennes2008.fr

Louable initiative si il en est, en ces temps troubles où l’école et ses professeurs sont souvent critiqués pour leur immobilisme, les 28 et 29 mars prochain aura lieu à Rennes le premier Forum des Enseignants Innovants. A priori Microsoft n’en est qu’un partenaire parmi d’autres. Rien n’est moins sûr.

Voici comment l’évènement est annoncé en accueil du site (www.forum-rennes2008.fr) :

« Organisé par des associations d’enseignants (l’AFEF, l’AFT, l’APBG, l’APHG, l’Assetec, le Café pédagogique, les Clionautes, Cyberlangues, Projetice, l’UDPPC, WebLettres) ce forum vise à faire connaître et à valoriser les nombreux projets pédagogiques innovants. La manifestation bénéficie du soutien du ministère de l’Éducation nationale, de la Ligue de l’Enseignement, du Rectorat et de la Ville de Rennes, du Conseil général d’Ille-et-Vilaine, du Conseil régional de Bretagne, et de partenaires industriels parmi lesquels France 5 et Microsoft. ».

Microsoft s’affiche donc discrètement et humblement en toute fin de communiqué. Il en va de même pour l’affichage de son logo sur la page d’accueil de l’évènement en dessous de tous les autres partenaires.

Toujours est-il que l’organisation est donc commune à toutes les associations participantes ce qui est en soi assez original (quand bien même le bas de page donne le copyright au Café pédagogique et le mail du contact à Projetice).

On attend la venue du ministre Xavier Darcos. Un concours sera lancé et primé à cette occasion.

La charte graphique du site rappelle celle du site de l’Éducation Nationale. L’enfant qui inscrit Imagine au tableau noir rappelle au choix la chanson emblématique de John Lennon ou la campagne de publicité On imagine de Microsoft.

Et tant qu’à rester dans l’iconographique voici une charmante petite fille issue du site Microsoft de Hong-Kong

Copie d'écran issue du site de Microsoft Hong-Kong

…que l’on retrouve (inversée) en accueil du site du Forum.

Copie d'écran du site Forum-rennes2008.fr

United Colors of Microsoft en quelque sorte. Mais il y a plus troublant.

Microsoft est propriétaire du nom de domaine du site. Il suffit en effet de faire une courte recherche depuis n’importe quel whois du net (par exemple ici) pour avoir les informations suivantes :

Copie d'écran Who Is forum-rennes2008.fr

Voici donc une manifestation organisée par un parterre d’associations d’enseignants dont l’un des partenaires est propriétaire du nom de domaine qui héberge le site de la manifestation !

Et puis enfin il y l’expression Enseignants Innovants qu’il est encore plus difficile de détacher de Microsoft que l’expression Imagine.

En effet Microsoft a lancé depuis quelques années un ambitieux programme intitulé Innovative Teachers. La société de Redmond s’est ainsi petit à petit construit un véritable réseau d‘Innovative Teachers à travers le monde. Lorsque, sur ce dernier lien, on cherche les Innovative Teachers de France on tombe sur le Café pédagogique.

Copie d'écran Microsoft Innovative Teachers Network

Dans le cadre de ce programme est organisé chaque année et pour chaque pays un Innovative Teachers Forum. Morceau choisi de la page Innovative Teachers Forums du site de Microsoft :

« Innovative Teachers Forums are part of the Innovative Teachers program, a global community of educators sponsored by Microsoft Partners in Learning. The forums are annual events that recognize and reward innovative teachers who practice the elements of 21st century learning in their own classrooms, and then incorporate these skills into the student learning environment. Teachers from around the globe have the opportunity to build global communities of practice, collaborate with colleagues from over 100 countries, access quality content developed by their peers, and challenge themselves to take their use of technology to the next level. Every year, teachers who exhibit the greatest innovation are selected by their schools to attend a regional forum. Next, the most innovative teachers are selected to participate in the forum for their country. Finally, the teachers who demonstrate the greatest innovation at the countrywide forum are selected to attend the Worldwide Innovative Teachers Forum. »

Ces forums sont aussi donc l’occasion d’assister à un processus de sélection nationale des enseignants dont les plus innovants se retrouveront réunis pour un Worldwide Innovative Teachers Forum.

C’est ainsi qu’à eu lieu l’été dernier pour le Sénégal le Forum Innovative Teachers de Dakar 2007 dont le Café Pédagogique et Projetice étaient partenaires. Voici ce qu’on peut y lire en accueil du site (où Microsoft est citée pas moins de 17 fois soit dit en passant) :

« Partners in Learning qui organise ce forum, est un programme de partenariat éducatif que Microsoft propose à l’ensemble des gouvernements, à leurs structures en charge de l’Éducation et à leurs partenaires nationaux comme internationaux. L’objectif principal de ce programme est de contribuer aux côtés des gouvernements et des autres acteurs du secteur de l’éducation, à favoriser l’introduction et la généralisation voire la vulgarisation des NTIC comme outils de transmission des connaissances mais aussi comme matière de connaissance. Renforcer la capacité des Ressources Humaines œuvrant dans le secteur de l’éducation, en particulier le personnel enseignant, Encourager les enseignants à embrasser une attitude propice à l’innovation. Aider les enseignants par la maîtrise des TIC à mieux préparer leurs élèves et étudiants. »

Je précise que le programme Partners in Learning de Microsoft englobe celui des Innovative Teachers.

Le dernier Worldwide Innovative Teachers Forum s’est déroulé à Helsinki en octobre 2007 et il était ainsi présenté à la presse par Microsoft :

« Today in Helsinki, Finland, 89 teachers were recognized for their creativity and innovation in the classroom as part of Microsoft Corp.’s worldwide Innovative Teachers Forum (ITF). »

Tout ceci ressemble à s’y méprendre à ce qui sera proposé à Rennes le 28 et 29 mars prochain à ceci près que je ne suis pas certain que toutes les associations qui organisent conjointement la manifestation se considèrent comme a global community of educators sponsored by Microsoft Partners in Learning ni que les futurs gagnants du concours se voient nécessairement as part of Microsoft Corp.’s worldwide Innovative Teachers Forum.

Ce qui m’amène à poser quelques questions simples en guise de conclusion :

  • A-t-on bien précisé aux associations qui ont choisi de participer à l’organisation le rôle exact du partenaire Microsoft dans cette manifestation ?
  • N’aurait-il pas été plus cohérent d’inviter les associations non pas à organiser mais plutôt à participer à une manifestation organisée par Microsoft ?
  • Pourquoi l’incontournable association de professeurs de mathématiques Sésamath ne participe pas à la manifestation ?
  • Pourquoi a-t-on choisi le nom Enseignants Innovants pour cette manifestation ?
  • Pourquoi la charmante petite fille qui illustre l’accueil du site de la manifestation se retrouve également sur un site de Microsoft ?
  • Pourquoi a-t-on confié à Microsoft la propriété du nom de domaine de la manifestation ?
  • Pourquoi le copyright du site de la manifestation et le mail du contact de la manifestation sont attribués au Café Pédagogique et à Projetice, les deux seules associations organisatrices qui ont Microsoft comme partenaire affiché ?
  • Quelle est la part de Microsoft dans le budget de cette manifestation ?
  • Bien que ce ne soit annoncé nulle part dans son règlement, le concours lancé à cette occasion participe-t-il de la sélection française des Enseignants Innovants qui s’en iront ensuite au prochain international Worldwide Innovative Teachers Forum ?

Questions qui pourraient se résumer en une seule :

  • Le premier Forum des Enseignants Innovants de Rennes entre-t-il ou non dans le cadre du programme Innovative Teachers Forums de Microsoft ?

J’espère vous fournir bientôt les réponses sachant que j’ai déjà celle concernant l’association Sésamath par le biais de son président[1].

« Nous avons été invités en octobre 2007 au siège de Microsoft France pour nous voir proposer une association à l’organisation du Forum des Enseignants Innovants. Nous avons décliné poliment l’invitation. Cela nous semblait bien loin de la philosophie générale de l’association : "L’association Sésamath a pour vocation essentielle de mettre à disposition de tous des ressources pédagogiques et des outils professionnels utilisés pour l’enseignement des Mathématiques via Internet. Inscrite délibérément dans une démarche de service public, l’association est attachée aux valeurs de la gratuité d’utilisation des ressources et du logiciel libre : elle favorise donc, dans la mesure du possible, des licences libres pour les documents et logiciels mis en ligne ainsi que des formats ouverts ; elle recommande à ses membres et contributeurs leur utilisation pour la communication, la production de documents et de ressources pédagogiques." »

Edit du 19 février : Il y a une suite particulièrement instructive à ce billet.

Notes

[1] Témoignage apparu dans les commentaires du billet sur Projetice.




Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants

Copie d'écran du site Projetice.fr

C’est entendu, ce n’est pas tant l’outil que l’usage que l’on en fait qui est important, et il se fait chaque jour des choses formidables en informatique scolaire indépendamment des caractéristiques de l’outil adopté. Mais tout de même, comment peut-on encore aujourd’hui, en 2008, se déclarer « association d’enseignants cherchant à promouvoir les utilisations pédagogiques des technologies de l’information et de la communication » (TICE) et ignorer superbement le logiciel libre ?

Je n’ai pas de réponse à cette question mais j’ai une hypothèse : avoir Microsoft comme partenaire. Et, comme vous allez vous en rendre compte ci-dessous, avec l’association Projetice ce partenariat est plus que privilégié.

Pour faire illico connaissance avec Projetice, rien de tel que ce petit reportage LCI. Et c’est bien parce que Projetice bénéficie de telles tribunes que j’ai décidé d’en faire mon billet blog du jour.

Entendons-nous bien. Je n’ai rien contre Microsoft en tant que tel. Je pense simplement que favoriser ses produits et sa culture marchande à l’école retarde d’autant l’adoption non seulement des logiciels libres mais aussi et surtout de cette salutaire culture non marchande des biens communs qui leur est associée. C’est mon parti-pris assumé et assené depuis des années avec Framasoft et que je puis caricaturer ainsi : en matière de TICE, tout ce qui retarde, oublie ou disqualifie le logiciel libre à l’école n’est pas bon pour l’école.

Je n’ai strictement rien non plus contre l’existence d’une association d’enseignants qui s’appuieraient massivement sur des logiciels Microsoft pour développer l’usage des nouvelles technlogies en milieu éducatif. C’est une question de… liberté ! Libre à eux de les mettre en avant et libre à moi (à nous ?) d’essayer de démontrer qu’ils font fausse route en freinant par là-même ce qu’ils essayent pourtant de faire avancer. Mais encore faudrait-il que ce choix, car c’est bien d’un choix qu’il s’agit, soit clairement énoncé. Or ce n’est pas vraiment le cas ici.

Parce qu’en se promenant ne serait-ce que dix minutes sur leur site (et ses hyperliens), il est difficile de ne pas se poser quelques questions quant à la transparence, la légitimité, la crédibilité, l’influence et l’indépendance de cette association. Jusqu’à me poser le plus sérieusement du monde la question suivante. Est-ce l’association une fois créée qui a sollicité Microsoft ou bien est-ce Microsoft qui a suggéré à quelques enseignants volontaires de créer l’association ?

Visite guidée du site de Projetice pour étayer mon propos. Je précise que cette visite a été effectuée le 10 février 2008 parce qu’il est possible, sait-on jamais, que cet article arrive un jour jusqu’à Projetice et il est alors probable et souhaitable qu’à la lumière (et la mise en lumière) de ce qui va suivre ils décident de faire quelques petites retouches au site. Ce qui explique la présence de nombreuses copies d’écran issues du site de l’association pour que l’article demeure compréhensible dans le temps.

Copie d'écran du site Projetice.fr

Avant même de nous pencher sur le détail on remarque globalement quelque chose devenue très rare pour des sites éducatifs : l’absence du quatuor magique libre LAMP (Linux Apache MySQL PHP) pour le serveur web. C’est la technologie web de Microsoft qui est utilisée comme le révèle la terminaison en .aspx des pages du site. Il n’y a guère que le célèbre et incontournable Café Pédagogique qui ait décidé d’en faire autant. Il faut dire qu’il est lui-même en partenariat avec Microsoft.

Pour ce qui concerne l’accueil, on se retrouve en haut de page avec un sympathique message : « Bienvenue sur Projetice. Des enseignants se forment à l’usage des TIC. Devenez membre de Projetice et rejoignez une jeune association composée d’enseignants passionnés par leur métier, désireux de dialoguer, d’apprendre et de partager. » Et puis à gauche : « Projetice est une association qui cherche à promouvoir les utilisations pédagogiques des TIC. »

Si vous souhaitez aller plus loin il y a le livre blanc des objectifs de l’association. Ouvrez-le et on vous vous retrouverez avec de belles généralités sur les TICE à grands coups de « ne pas séparer la dimension technique et la dimension pédagogique de l’usage éducatif des TIC » ou encore « s’appuyer sur la mutualisation des pratiques par les enseignants et des questions techniques et pédagogiques qu’elles soulèvent ». Pour finir par une analyse de la situation qui ne fâche personne et qui justifie l’existence et l’action de l’association. Aucune marque n’est citée, le logiciel libre non plus (mais comme je l’ai dit en amont il ne le sera jamais).

Toujours est-il que le cadre est posé. Il se veut neutre, consensuel et rassurant. Ici nous sommes entre profs, je dirais même plus nous sommes entreprofs.fr

Copie d'écran du site Projetice.fr

À y regarder de plus près on notera tout de même sur la droite l’icône caractéristique des documents Word. Ceci fait craindre la subsitution des termes génériques (et préconisés par les administrations) traitement de texte, tableur ou encore logiciel de présentation par Word, Excel et Powerpoint. Ces craintes seront malheureusement confirmées par la suite.

Plus bas on trouve cet encart dont je vous laisse juge de l’opportunité directement en accueil du site : « Microsoft, qui propose d’équiper gratuitement, depuis un certain temps déjà, les étudiants de certains logiciels via le service de Téléchargement Gratuit Etudiants disponible sur le portail Etudiants, indique que ces licences peuvent être utilisées par les enseignants dans un cadre pédagogique et à but non lucratif. »

Copie d'écran du site Projetice.fr

Mise à jour du 16 février : Cet encart a aujourd’hui disparu de l’accueil du site.

Mais allons plus avant dans le site via son menu horizontal que l’on prendra dans l’ordre, de gauche à droite. Dans la rubrique Manifestations je constate que Projetice est bien présente et active sur le terrain.

Comment une association aussi jeune (née en 2006 me semble-t-il), aussi peu googlelisée, et dont je n’avais jamais entendu parler autrement que par des annonces du… Café Pédagogique, a-t-elle pu si rapidement se retrouver à Helsinki, à Dakar ou encore à Philadelphie ? La réponse est à la portée d’un clic.

Voilà en tout cas un partenariat qui fait faire de beaux voyages et de belles rencontres. Au retour on ne peut qu’être comblé et le dire publiquement par exemple sur le site du Café Pédagique, ses 160.000 abonnés et ses 800.000 visiteurs par mois. Parmi les témoignages celui du membre de Projetice commence ainsi : « C’est dans une atmosphère très douce et remarquable pour la saison que s’est tenue la conférence mondiale des enseignants innovants organisée par Microsoft… » (retenons l’expression enseignants innovants).

Mais on retrouve bien entendu également la jeune association chez nous en France, que ce soit dans le cadre prestigieux de l’Unesco ou dans le cadre affluent (et donc influent) du Salon de l’Education (Educatice). J’ai eu moi-même par le passé l’occasion de me pencher un peu sur le coût d’une location d’un stand à ce même salon pour finalement y renoncer car je puis vous dire que cela représente plusieurs milliers d’euros. Microsoft était en tout cas très fier de les annoncer dans son communiqué de presse relatant l’évènement (dont on ne s’étonnera pas soit dit en passant d’y retrouver également mention du Café Pédagogique).

Et puis il y a les interventions pour présenter l’association et éventuellement y engager des projets. Il est tout à fait normal que les portes des établissements s’ouvrent à « une association composée d’enseignants passionnés par leur métier, désireux de dialoguer, d’apprendre et de partager. ». Qui plus est lorsqu’elle propose du matériel haut de gamme en prêt gratuit comme nous le verrons plus bas. Ainsi les collègues du lycée professionnel Don Bosco (Lyon) semblaient très attentifs le 7 janvier dernier.

Copie d'écran du site Forum-rennes2008.fr

Quelle est la prochaine date sur l’agenda de l’association ? Il s’agit du premier Forum des Enseignants Innovants (www.forum-rennes2008.fr) qui se déroulera en mars à Rennes. Outre Projetice, du beau monde côté associations d’enseignants : Clionautes, Weblettres, Cyber-langues, Assetec, Afef, Apbg, Udppc, AFT-RN… et bien sûr le Café Pédagogique dont l’annonce donne vraiment envie d’y participer. Il y a un concours qui nécessite de s’inscire sur le site. Et puis en plus, comme il est dit dans la plaquette (Weblettres), le Forum recevra la visite de Xavier Darcos, notre Ministre en personne !

Lors de ma première visite j’ai eu l’impression d’être sur un site de l’Institution. En effet il y a à droite la présence rassurante du logo caractéristique de Ministère et puis on est un peu dans le même habillage graphique que le site de la Maison Mère. Mais juste après des indices qui ne trompent pas : les pages web au format .aspx, l’enfant qui écrit Imagine au tableau noir (souvenez-vous de la campagne publicitaire On imagine), et puis surtout notre expression rencontrée plus haut Enseignants Innovants ce qui en anglais donne Innovative Teachers. On trouve une carte du monde de ces Innovative Teachers. Regardez un peu ce que cela donne pour la France mais aussi graphiquement pour la Grèce, la Jordanie ou encore Hong-Kong…

Vous l’aurez deviné, Microsoft est partenaire de l’opération. Une présence discrète en bas de page d’accueil, bon dernier parmi tous les autres partenaires (dont cinq sont publics). Une discrétion qui contaste avec le fait que… Microsoft est propriétaire du nom de domaine du site !!! Il suffit en effet de faire une courte recherche depuis n’importe quel whois du net (par exemple ici) pour avoir les informations suivantes :

Copie d'écran Who Is forum-rennes2008.fr

Le Café Pédagogique peut toujours mettre son copyright Tous droits réservés en bas de toutes les pages du site (et Projetice son email pour le contact), il n’empêche que le propriétaire légal du nom de domaine www.forum-rennes2008.fr c’est Microsoft et uniquement Microsoft. Sans vouloir refroidir l’ambiance voici donc une manifestation dont l’un des partenaires est propriétaire du nom de domaine qui héberge la manifestation ! J’avoue avoir rarement vu ça. Et je ne suis pas certain que tous les participants, membres des associations ou inscrits au concours (qui doivent, j’imagine, mettre leurs documents sur le site), soient au courant de ce que j’appellerai une légère incongruité.

Je comprends mieux en tout cas l’absence de la plus libre de toutes les associations d’enseignants, l’association de professeurs de mathématiques Sésamath. Et pourtant, pour utiliser tous les jours la suite d’exercices libre Mathenpoche avec mes élèves, je puis témoigner que ce sont de formidables et authentiques innovative teachers. Vous en connaissez beaucoup vous des associations d’enseignants qui aient réussi à lancer avec succès une véritable petite bombe dans le milieu : des manuels scolaires libres et collaboratifs ?

Mais oublions ce Forum made in Microsoft et revenons à nos moutons en poursuivant la visite Projetice.

Pour ce qui concerne la rubriques Projets deux fiches pdf sont à disposition : Besoin de matériels ? et Accompagnement de projets. Sur la base d’un projet personnel TICE de l’enseignant on peut vous donc vous accompagner et vous prêter du matériel. Et pour le matériel on ne lésine pas : « chariot mobile (structure + 11 PC portables + dispositif wifi + vidéoprojecteur + appareil photo numérique + imprimante/scanner/copieur) – Tablet PC – Tableau Numérique Interactif – PDA »… Rien que ça ! Le tout en prêt… gratuit ! C’est alléchant non ?! Allez hop je signe tout de suite ! Je vois d’ici la mine réjouie de mon chef d’établissement annonçant fièrement aux parents d’élèves et à la collectivité que notre école est à la pointe des expérimentations TICE ! Quelles en sont les conditions ? « Il est simplement demandé à l’un des membres (au moins) de l’équipe pédagogique concernée d’adhérer à l’association. Un compte-rendu des actions menées doit être communiqué à l’association à intervalles réguliers et en fin de prêt. » Mais oui bien sûr, c’est la moindre des choses, où dois-je signer ?

Petite parenthèse. Pour le matériel ne pas s’étonner si, autre partenaire, c’est du HP qui débarque, à en croire les termes de ce document .doc (qui très étrangement traîne sur internet, mais à mon avis plus pour très longtemps). Quant au système d’exploitation présent dans tous ces petits bijoux technologiques, mieux vaut ne même plus se poser la question.

Petite anecdote photographique. L’accueil Éducation de Microsoft :

Copie d'écran du site Microsoft.fr

La rubrique Projets : Tablet PC de Projetice :

Copie d'écran du site Projetice.fr

Il y a également d’autres photographies issues du site de Microsoft dans le livre blanc de Projetice (ainsi la gentille dame de la couverture on la retrouve ici, peu de chance qu’il s’agisse donc d’une vraie enseignante Projetice). Elles sont toutes non créditées (ou alors je suis passé à côté). Mais on a bien le droit de puiser dans le stock iconographique du partenaire. Pour votre gouverne on en trouve de toutes aussi jolies (et moins "formatées") sur le site Flickr.com restreint aux licences de libre diffusion Creative Commons, par exemple avec le tag education.

Vient ensuite le volet Actions, peu fourni pour le moment. Une page est consacrée au B2i et l’aide que l’association peut vous y apporter. Il n’y a qu’un seul lien sur cette page : un lien vers l’éditeur Nathan. Huit ans que le B2i existe mais aucune autre ressource n’est proposée (comme par exemple le logiciel libre GiBii que quasiment toutes les académies sont en train de déployer). Je suggère fortement à Projetice d’aller faire un tour chez leurs amis du Café Pédagogique pour pallier à cela.

Lorsque vous cliquez sur le site de Nathan vous arrivez sur un espace dédié pour « tester et évaluer le niveau de vos élèves dans le cadre du Brevet informatique et internet ». Ce genre de test en ligne n’est pas conforme à l’esprit du B2i qui doit être évalué dans les classes tout au long de l’année. Et ce genre d’annonce « Attention le site B2i est consultable uniquement sur PC et utlisant le navigateur Explorer » n’est pas conforme à l’esprit d’interopérabilité qui doit animer tout acteur des TICE.

Copie d'écran du site Nathan.fr

Du coup impossible de vous en dire plus avec mon navigateur libre Firefox sous système d’exploitation libre GNU/Linux Ubuntu. Sur la droite de l’accueil du site dédié de Nathan, on peut lire « Réalisé avec l’aide du programme Partenaire pour l’éducation de Microsoft Education ». Je commence à comprendre…

Continuons (courageuseument) notre petite investigation avec la rubrique Ressources. Dans la catégorie Fiches découvertes on vous propose de nombreux documents « permettant de découvrir des outils, des matériels, des logiciels ».

Microsoft Word, Microsoft Powerpoint, Microsoft Frontpage, Microsoft Encarta, Microsoft Windows Movie Maker, Microsoft Photorécit… Voilà un éditeur de logiciels propriétaires qui a la cote sur Projetice ! En cherchant bien on trouve néanmoins la présence de deux logiciels libres mais jamais cités en tant que tels (Audacity et Camstudio). Gageons qu’ils doivent se sentir bien seuls !

Exemple 1 :

Copie d'écran du site Projetice.fr

Exemple 2 :

Copie d'écran du site Projetice.fr

Créer un site avec Word ! C’est le parent d’élèves Tristan Nitot qui va être content ! Quant à Dreamweaver, il fait écho au tutoriel sur Flash MX. Ajoutez-y tous les logiciels cités plus haut et ça commence sérieusement à plomber le budget TICE d’un établissement scolaire (de quelles poches provient-il déjà ce budget ?). Parce que, petit rappel, dans un établissement scolaire il faut payer autant de licences de logiciels propriétaires qu’il y a de postes (assorti d’une interdiction faite à l’élève d’installer ces logiciels chez lui). Il en va tout autrement avec les logiciels libres.

Dans la catégorie Téléchargement, cinq logiciels propriétaires (dont deux sharewares et deux Microsoft) et, vous en doutiez ?, aucun logiciel libre. On y trouve ainsi l’anglophone Fun With Construction permettant de faire de la géométrie dynamique. Mais, feignons l’indignation, pourquoi diable ne pas citer Geogebra, Geonext ou, encore un projet Sésamath, Tracepoche ?

Regardons désormais un peu la rubrique Formation et commençons par la rubrique Se former. Je passe outre les formats de fichiers, nous ne sommes plus à ça près. Par contre je ne risque pas de passer outre la ressource suivante : « Aspects juridiques : droit et éducation – La lutte contre la copie illégale de logiciels ». Allez-y, cliquez dessus, C’est du format .ppt (Powerpoint) mais nous on a la suite bureautique libre OpenOffice.org pour l’ouvrir et la lire correctement, suite bureautique libre dont la renommée et la pertinence scolaire doivent être confidentielles puisque jamais citée par Projetice.

Je vous laisse un petit temps pour lire le document (et éventuellement pour encaisser le coup) en exposant ci-dessous trois copies d’écran du diaporama.

Diapo n°18

Projetice - Logiciels - Extrait

Diapo n°13

Projetice - Logiciels - Extrait

Diapo n°23

Projetice - Logiciels - Extrait

« Comment lutter contre ce problème ? En établissant une stratégie d’acquisition de logiciels afin de fournir les outils nécessaires aux besoins fonctionnels des utilisateurs, notamment ceux qui utilisent des postes fixes… » Mais d’où sort-il ce document ? Du sein de Projetice, de Microsoft, de la BSA ou des trois réunis ? Oh bien sûr, on y trouve aucune contre-vérité. Ils ont leurs experts. Tout est certainement juridiquement sans faille. Exemple (diapo n°10) : « Les logiciels sont ainsi considérés comme des œuvres de l’esprit : ils sont protégés par les droits d’auteur, ce qui indique clairement qu’ils ne peuvent être ni copiés, ni utilisés en dehors des conditions autorisées par leur auteur. Par conséquent, un logiciel sans licence d’utilisation est une contrefaçon. » Irréfutable en effet si l’on est en dehors des conditions autorisées et/ou sans licence. Le problème c’est qu’il donne la très désagréable impression que n’existent que les logiciels propriétaires (et leur réthorique de contrôle/coercition) dans le monde pourtant pluriel des logiciels.

Ce n’est pourtant pas compliqué de lutter contre ce problème sans la moindre stratégie d’acquisition parce que sans acquisition tout court (ce qui n’empêche pas le don et la facturation de services) en faisant fi de cette sombre histoire de postes fixes. Ce n’est d’ailleurs pas un problème mais c’est une solution. Et, désolé d’être un peu emphatique, cette solution porte un nom : le logiciel libre.

Nous pouvons en témoigner, le logiciel libre recouvre aujourd’hui tout le spectre des besoins applicatifs d’une école, d’un collège ou d’un lycée (si vous n’en avez jamais entendu parler, vous pouvez sous Windows tester les plus populaires d’entre eux en les installant sans risques sur votre clé USB). Et ce spectre va jusqu’au système d’exploitation lui-même. GNU/Linux (pour exemple la distribution Ubuntu) ou Windows Vista ? Telle est désormais la question et elle mérite sérieuse évaluation.

Je reconnais cependant que si vous envisagez de n’utiliser que des Tablet PC, Tableaux Numériques Interactifs et autres PDA, alors le logiciel libre et GNU/Linux ont un temps de retard (ce n’est d’ailleurs pas tant leur faute que celle des constructeurs). Mais, franchement, est-ce la priorité numérique de l’école que d’utiliser de tels outils aussi puissants soient-ils ?

Bon. Sachant cela, voici ce que pourrait donner la diapo n°13 dans un autre monde possible des logiciels. Quelques pratiques courantes dans les établissements scolaires utilisant des logiciels libres. Le logiciel libre se télécharge tout ce qu’il y a de plus légalement sur internet. On peut l’installer partout (sur les postes de l’école, sur les ordinateurs personnels des enseignants, des élèves…). Il peut-être copié autant de fois qu’on le souhaite. La diffusion d’un logiciel libre est non seulement autorisé mais même encouragé. Et on peut même le modifier pour l’adapter à ses besoins.

C’est tentant non ? Tellement tentant que j’ai envie d’adhérer de ce pas à l’APRIL pour soutenir le mouvement dans son ensemble et le suivre au quotidien sur LinuxFr.org !

Au lieu de cela Projetice nous propose d’aplomb ce document. Imaginez une seconde l’effet qu’il peut produire sur un enfant dans l’hypothèse où un professeur zélé membre de l’association aura eu la bonne idée de le projeter en classe !

Ce qu’un costard-cravate de Microsoft ne peut pas faire justement, vous me suivez ?

J’encours peut-être un risque à écrire ce qui va suivre mais tant pis. Dans un contexte éducatif proposer ce document en réussissant l’exploit de ne pas évoquer ne serait-ce qu’une seule fois les logiciels libres ce n’est plus une omission c’est de la propagande !

Mais calmons-nous et finissons tant bien que mal la visite. Dans la catégorie Vidéos Projets, un document a également retenu mon attention.

Copie d'écran du site Projetice.fr

Il a fallu que je retourne sous Windows (XP) pour lire la vidéo parce que mon GNU/Linux Ubuntu apprécie peu le format multimédia non libre de Microsoft, le format .wmv. Je vous invite à la regarder à votre tour parce que c’est très intéressant. Publicité Microsoft ou documentaire de pratiques pédagogiques ? À vous de juger. En tout cas tous les logiciels de la suite bureautique propriétaire MS Office de Microsoft sont bien cités. Je ne nie pas le fait que par rapport au référentiel du BTS en question cette suite soit peut-être le meilleur choix mais je me demande tout de même pourquoi le CRDP Orléans-Tours a éprouvé le besoin d’apposer le sceau de l’Institution à ce publi-reportage.

Dans la catégorie Tutoriels vidéos 26 ressources au format .wmv (à ce propos jetez un coup d’oeil à l’URL de la page avec ses "training et ses "webcasts", tout le reste du site est à l’avenant). 15 ressources concernent Excel et 5 Word. Et par n’importe quelle version de ces deux logiciels, la toute dernière, la 2007. N’oubliez pas de vous mettre à jour et donc de repasser à la caisse !

Copie d'écran du site Projetice.fr

Sinon il y a également une page Questions fréquentes : Comment devenir membre de Projetice ? Pourquoi devenir membre de Projetice ? etc. Et puis plus bas… cette question : « Mon ordinateur est un peu ancien et je ne dispose pas des dernières versions des logiciels que j’utilise. Cela pose-t-il problème pour tirer profit du site Projetice ? »

Réponse Projetice : « Le site Projetice ne nécessite pas de disposer des configurations et logiciels les plus récents. Le programme est compatible avec Microsoft Windows® 98, Windows Millennium ou Windows XP, et avec Microsoft Office 97 ou version ultérieure. Une connexion Internet haut débit facilite le téléchargement des ressources. »

Copie d'écran du site Projetice.fr

Je reconnais avoir été d’emblée un peu choqué par la réponse fournie. Mais à la réflexion, c’est du bon sens. Mieux vaut en effet posséder Windows XXX et MS Office pour tirer pleinement parti des ressources du site !

Mise à jour du 16 février : Projetice a depuis ainsi modifié sa réponse : « Le site Projetice ne nécessite pas de disposer des configurations et logiciels les plus récents. Une connexion Internet haut débit facilite le téléchargement des ressources. » Plus aucune mention de Microsoft et de son système d’exploitation Windows.

Pour comparer : La page Questions fréquentes photographiée par Internet Archive le 29 décembre 2006.

Toujours est-il que je la trouve un peu légère cette Foire Aux Questions. On pourrait y ajouter d’autres questions. Non pas : Faut-il être un partisan de l’informatique propriétaire en général et de Microsoft en particulier pour adhérer à l’association ? Ce ne serait pas sérieux. Mais par exemple : Mon établissement scolaire envisage de renouveler une partie de son parc informatique. Il hésite à passer à Windows Vista qui serait dit-on très gourmand en ressources et nécessiterait par conséquent l’achat d’un matériel fort coûteux. Qu’en pensez-vous ? Ou encore, corollaire de la question précédente : J’ai entendu parler de nouveaux ordinateurs nomades vraiment pas chers qui reposent sur GNU/Linux et des logiciels libres comme l’Eee PC ou l’ OLPC. Me conseillez-vous de les acheter pour mon école ?

Mais j’ai gardé le meilleur, si j’ose dire, pour la fin : le pied de page du site.

Dans l’onglet La presse en parle des articles du Dauphiné Libéré, de La Provence et même du Monde de l’Éducation. Ils pourront désormais y ajouter le Framablog.

Et puis arrivent les deux pages Confidentialité et Conditions. Vous savez, les trucs qu’on ne lit jamais (sauf peut-être justement ceux qui sont familiarisés avec le logiciel libre sachant qu’un tel logiciel n’existe que parce qu’une licence libre l’accompagne).

Mise à jour du 16 février : Deux ans que le site existe. Deux ans que ces Confidentialité et Conditions étaient en ligne. Et il aura fallu qu’un simple internaute ait la curiosité de voir un peu dans le détail de quoi il en retourne pour qu’elles disparaissent illico. Le lien Confidentialités pointe désormais sur un très court message : « Le site public de Projetice ne contient aucune donnée à caractère personnel. Le site privé est hébergé par Itop qui assure lui-même la confidentialité des données personnelles dans le cadre de son Environnement Numérique de Travail NetLycée sur lequel est hébergé le site www.projeticiens.org ». Quant au lien Conditions son contenu a disparu. Bien entendu je m’en réjouis. Mais je ne puis m’empêcher de penser à tous les professeurs qui dans l’intervalle ont adhéré à Projetice et placé des documents sur le site sans avoir lu les termes de ce contrat.

Pour comparer : Les pages Confidentialité et Conditions photographiées par Internet Archive le 29 décembre 2006.

Copie d'écran du site Projetice.fr

La page Confidentialité expose les conditions de collecte de vos données personnelles.

Extrait 1 : « Le Site peut également collecter des informations anonymes sur votre visite, dont le nom de votre fournisseur d’accès Internet et l’adresse IP utilisés pour accéder à Internet, la date et l’heure d’accès au site, les pages auxquelles vous accédez sur le Site et l’adresse Internet du site Web à partir duquel vous êtes arrivé sur notre site. Ces informations sont destinées à l’analyse des tendances et à l’administration et l’amélioration du Site. »

Soit.

Extrait 2 : « Les informations personnelles collectées sur le Site peuvent être stockées et utilisées aux États-Unis ou dans tout autre pays où Projetice, ses filiales, ses partenaires ou ses agents sont présents. En utilisant le Site, vous consentez à de tels transferts de vos informations personnelles en dehors de votre pays. Projetice respecte et se conforme au cadre du Safe Harbor comme mis en avant par le Département du Commerce des États-Unis en ce qui concerne la collecte, l’utilisation et la rétention de données en provenance de l’Union Européenne. »

Yes Sir, I Will ! (but what is a Projetice agent exactly ?)

Extrait 3 : « Projetice utilise parfois d’autres entreprises pour fournir certains services de sa part. Il peut s’agir par exemple de l’hébergement de sites Web, de l’empaquetage, de l’expédition et de la livraison de prix, de réponses à des questions posées par un client sur les produits et services. Nous ne transmettrons à ces entreprises que les informations personnelles nécessaires à leur service. En acceptant les conditions d’utilisation du site Projetice.fr et la présente déclaration de confidentialité vous consentez à ce que vos données fassent l’objet d’un tel transfert aux dites entreprises. Ces entreprises sont tenues de respecter la confidentialité de ces informations et ne peuvent en aucun cas les utiliser dans un autre but, notamment à des fins de prospection commerciale. »

Pourquoi donc me parler à moi, enseignant membre d’une association d’enseignants : d‘autres entreprises, de prix et de transfert de mes données à ces entreprises ?

Surtout que, extrait 4 : « Il arrive que cette déclaration de confidentialité soit mise à jour. Dans ce cas, nous corrigeons la date de « dernière mise à jour » en haut de la déclaration de confidentialité. En cas de modifications substantielles de cette déclaration, nous vous le signalerons en plaçant une notice visible sur la page d’accueil du site Web ou en vous envoyant directement une notification. Nous vous encourageons à consulter régulièrement cette déclaration de confidentialité afin de rester informé de comment nous vous aidons à protéger les informations personnelles que nous collectons. L’utilisation continue de ce service constitue votre accord quant à cette déclaration de confidentialité et à ses mises à jour. »

Elle est potentiellement bien volatile c’est déclaration de confidentialité !

Penchons-nous pour finir (en beauté) sur les Conditions d’utilisation du site.

Extrait 1 (dit Les Services) : « A travers son réseau Internet, Projetice vous fournit l’accès à une grande variété de ressources, y compris des outils de développement, des espaces de téléchargement, des forums de discussion et l’information sur les produits (appelés "Services "). Les Services, y compris toutes les mises à jour, les perfectionnements, les nouveaux dispositifs, et/ou l’ajout de n’importe quelles nouvelles propriétés, sont soumis aux conditions d’utilisation. (…) Sauf spécification contraire, les Services sont destinés à un usage personnel et non-commercial. Sont interdits : toute modification, création de travaux dérivés, utilisation sur un autre site, reproduction, publication, diffusion, commercialisation des informations, logiciels produits ou services obtenus sur ce site. »

Euh… Sommes-nous vraiment sur un site d’enseignants censé « s’appuyer sur la mutualisation des pratiques par les enseignants et des questions techniques et pédagogiques qu’elles soulèvent ». À moins que l’intégralité du site soit sous spécification contraire, j’y vois une certaine incohérence avec la dernière des Questions Fréquentes : Est-il possible de partager les ressources téléchargées sur le site Projetice avec d’autres collègues ? Réponse (sibylline) de Projetice : Vous pouvez profiter de toutes ces ressources de notre site avec vos collègues.

Mise à jour du 16 février : La réponse (sibylline) de Projetice a été modifiée depuis ainsi : « Les ressources proposées sur le site sont libres et disponibles sans aucune restriction. ». Toutes les restictions mentionnées plus haut se sont donc envolées ! Il n’est pas encore précisé sous quelle licence ces ressources sont libres. J’imagine que cela ne saurait tarder.

Extrait 2 (dit Les logiciels) : « Tout logiciel disponible pour téléchargement à partir de ce Site (le « Logiciel ») est protégé par les droits d’auteur de Projetice et/ou de ses fournisseurs. L’utilisation du Logiciel est régie par les termes du contrat de licence utilisateur final, s’il existe, qui est inclus dans le Logiciel ou qui l’accompagne (le « Contrat de licence »). L’utilisateur final doit accepter les termes du Contrat de licence pour pouvoir installer le Logiciel… »

STOOOP ! Pas la peine de poursuivre. Je vous livre le secret.

Vous prenez la page Mentions Légales du site de Microsoft et dans le corps du texte, à chaque fois que vous voyez le mot Microsoft vous le remplacez par Projetice. Simple non ?! Un trivial rechercher/remplacer ! (pour la confidentialité c’est moins grossier mais cela se passe sur cette page)

Du coup ça donne des petites choses assez cocasses :

Copie d'écran du site Projetice.fr

Et :

Copie d'écran du site Projetice.fr

« Le fabricant est Projetice Corporation, One Projetice Way, Redmond, WA 98052-6399. » Et voilà notre association d’enseignants français qui se transforme en un fabricant d’une corporation domiciliée à Redmond USA, c’est-à-dire exactement à la même adresse postale que Microsoft !!!

Il est grand temps de conclure je crois.

Une dernière chose.

Vous vous souvenez ? L’enseignant alléché par le prêt gratuit de somptueux matériels dernier cri. On ne lui demandait rien d’autre qu’une adhésion et des compte-rendus à intervalles réguliers. Bon ben nous y sommes avec le paragraphe Documents fournis à Projetice ou postés sur le Site.

Copie d'écran du site Projetice.fr

Extrait 3 (dit Mes documents) : « Projetice ne réclame pas la propriété des documents que vous lui fournissez (y compris les suggestions et commentaires), que vous envoyez, téléchargez ou enregistrez sur n’importe quel Service et services associés pour la visualisation par le grand public, ou par les membres de toute communauté privée ou publique. Cependant, en postant, en téléchargeant, en entrant, en fournissant ou en soumettant ("postant") votre contribution, vous accordez à Projetice, à ses sociétés apparentées et associées la permission d’employer votre contribution en liaison avec ses activités Internet (comprenant, sans limitation, tous les services de Projetice), y compris, sans limitation, les droits de : copier, distribuer, transmettre, montrer publiquement, exécuter publiquement, reproduire, éditer, traduire et restructurer votre contribution ; pour publier votre nom en liaison avec votre contribution ; et le droit de céder de tels droits à tout fournisseur des services et ce pour la durée de validité des droits d’auteur et pour le monde entier. Aucune compensation ne sera payée en ce qui concerne l’utilisation de votre contribution, de la manière prévue ci-dessus. Projetice n’a aucune obligation de poster ou d’employer n’importe quelle contribution que vous pouvez fournir et peut enlever n’importe quelle contribution à tout moment, à sa seule discrétion. »

Voici donc très exactement ce que Projetice peut faire avec votre compte-rendu ou tout autre document que vous aurez placé sur son site. Et elle peut en faire des choses ! Éditer, traduire et restructurer sans limitation votre contribution pour le monde entier, vous appelez cela comment vous ? Vous d’ailleurs qui n’êtes pas tout à fait à la même enseigne (rappel de l’extrait 1 ci-dessus) : Sauf spécification contraire, les Services sont destinés à un usage personnel et non-commercial. Sont interdits : toute modification, création de travaux dérivés, utilisation sur un autre site, reproduction, publication, diffusion, commercialisation des informations, logiciels produits ou services obtenus sur ce site. En plus il n’y a pas que Projetice qui peut faire des choses avec votre contribution, il y a toutes les sociétés apparentées et associées (et jamais nommées).

Admettons, ça n’est qu’un cas d’école, que Microsoft fasse partie de ces sociétés apparentées ou associées. Alors elle peut en toute légalité restructurer votre contribution (par exemple avec un joli et fort visible logo). Puis la présenter sous votre nom dans le monde entier pour montrer comment les enseignants français font tout plein de belles choses avec les TICE et… avec Microsoft ! Bien entendu rien ne dit qu’elle le fera. Et si tel était le cas il est fort possible que cela vous convienne. Il est fort possible que vous en soyez même flatté. Mais dans le cas contraire cette petite explicitation n’était peut-être pas inutile.

Toujours est-il que baignant dans la culture libre depuis des années, ce n’est pas le genre de contrat que je suis habitué à rencontrer. Jamais je n’aurais pu imaginer un site d’enseignants proposer de telles conditions aux collègues. Surtout, je me répète une dernière fois, quand on en appelle dans son livre blanc à la mise en commun et la mutualisation des ressources. À comparer avec les licences de documents les plus adaptées à l’école à l’heure actuelle, les licences Creative Commons.

Ouf ! Voilà. Fin de la visite. Désolé d’avoir été aussi long mais je dois dire qu’au cours de ma petite enquête j’ai été de découverte en découverte. La dernière étant l’étrange impression que personne ne semble voir là un problème ou tout du moins l’écrire publiquement. Sauf à penser que je suis le seul à y voir un problème…

Il n’en demeure pas moins que, comme cela a été dit en préambule, j’ai eu beau chercher, pas une mention du logiciel libre (ni a fortiori de GNU/Linux) sur le site. Un assourdissant silence mais un silence me semble-t-il compréhensible à la lumière de cet exposé.

Un exposé qui malgré tout ne doit pas nous exonérer de la question de l’espace libre (sic !) occupé actuellement par Projetice et affiliés (je pense en particulier aux interventions dans les classes qui répondent à un réel besoin et à une réelle demande). Un exposé non exempt de commentaires péremptoires et sarcastiques (à la limite de l’arrogance parfois) qui ne s’imposaient peut-être pas. Un exposé, j’en conviens fort bien, sélectif et orienté. Mais un exposé néanmoins factuel puisque je me suis borné aux informations que j’ai pu lire sur le web tout comme pourrait le faire n’importe quel internaute.

Un exposé enfin que j’ai souhaité, j’ose le mot, pédagogique et que j’ai tenté dans la mesure de mon possible de rendre accessible (d’où la présence de nombreux liens connexes). Car, pourquoi le nier, j’espère dépasser ici la sphère des initiés et toucher un maximum d’enseignants, parents d’élèves et plus généralement tous ceux qui se sentent concernés par les questions éducatives dans la société de l’information.

Ce ne sera pas facile parce nous ne disposons clairement pas des mêmes moyens (marketing, etc.) et des mêmes leviers (lobbying, etc.) que Projetice et son partenaire. Un partenaire dont je signale ou rappelle au passage qu’il est également engagé globalement depuis des années avec l’Éducation Nationale via des accords de coopération qui ne nous facilitent pas la tâche. Du coup je peux aussi objectivement mettre une croix sur l’espoir d’un quelconque relai institutionnel (et je ne vous parle même pas du Café Pédagogique dont ce billet signe certainement l’arrêt de mort des annonces du réseau Framasoft sur son site).

Je compte donc sur internet, c’est-à-dire sur vous si vous le jugez opportun, pour réussir malgré tout à diffuser le présent article et atteindre le plus large public possible. Un peu pour mettre en garde les collègues enseignants des choix implicites de l’association Projetice. Beaucoup pour évoquer une discrète mais habile stratégie d’entrisme de Microsoft à l’école française. Passionnément parce que je crois à l’alternative du logiciel libre non seulement pour l’école mais pour l’ensemble de la société.

Running with the seagulls - Eschipul - CC BySa

PS : Il va sans dire que les colonnes de ce blog sont ouvertes à un droit de réponse qu’il provienne de Projetice, de Microsoft France Éducation, des deux ensemble ou des deux réunis.

L’illustration finale est une photographie de Eschipul intitulée Running with the seagulls disponible sur le site Flickr.com sous licence Creative Commons By-Sa.




Mon ministère me désespère… ou le fabuleux non destin du logiciel libre à l’école française

Not a happy end - Miikas - CC BySa

Un billet d’humeur péremptoire et de parti-pris qui n’engage que moi… [1]

Il était une fois un professeur qui décida d’écrire une lettre à son Ministre de l’Éducation.

En voici la conclusion : « La thèse défendue ici revient à dire à peu près ceci : en utilisant les logiciels libres, non seulement on effectue des économies spectaculaires pour le matériel, non seulement on se libère des logiques que tentent d’imposer les grandes multinationales de l’informatique, mais, en plus, on se met en relation avec l’un des foyers les plus vivants de la société qui est en train de se créer, celle de l’intelligence distribuée. Cette intelligence distribuée a déjà donné quelques résultats spectaculaires. La recherche scientifique en est l’exemple historique le plus éclatant, mais, plus près de nous, Internet, Linux, la Toile témoignent aussi de la validité du concept. Cette intelligence distribuée, en fait, ne fait que commencer à faire sentir ses effets et ils vont être majeurs. De grandes surprises attendent les instances politiques et commerciales qui ne vont pas bien en saisir les enjeux. Le maillage massif, sur des modes originaux, de centaines et de milliers d’esprits va conduire à de nouvelles formes de territoires, d’identités et donc de réalisations. Le schéma offert ci-dessus, tout en permettant de fonctionner mieux que jamais dans la société d’aujourd’hui, prépare déjà la société de demain. Or, ceci correspond exactement à l’enjeu fondamental d’une vraie politique de l’éducation. »

Ce professeur c’est Jean-Claude Guédon[2] et ce « il était une fois » est de rigueur puisque son document fut rédigé en… octobre 1998. Dix ans déjà ! Autant dire une éternité à l’échelle des temps numériques…

Certes Jean-Claude Guédon s’adressait à son propre ministre québécois et non à son homologue français. Certes il y a dix ans le logiciel libre était loin de sa maturité actuelle (et Wikipédia n’existait pas !). Il n’empêche que les arguments avancés étaient pourtant simples à comprendre. Il n’empêche que « gouverner c’est prévoir » et qu’au Ministère de l’Education nationale française, c’est bien simple, on n’a, durant cette longue période, strictement rien prévu d’envergure en faveur du logiciel libre.

Nous aurions dû montrer l’exemple et être en tête du mouvement. C’est à peine si on arrive à le suivre lamentablement.

Oh, bien sûr il s’en est passé des choses en dix ans et heureusement ! Il faut dire que l’Éducation Nationale dépasse le million de fonctionnaires qui jouissent tout de même d’une certaine liberté. De très nombreux professeurs ont adopté des logiciels libres. De très nombreux projets libres éducatifs ont vu le jour, il est vrai souvent soutenus localement par des académies (heureusement que le système est un tant soit peu décentralisé soit dit en passant). Mais tout ceci ne s’est fait au départ qu’à la base et à la marge.

Par nature et par culture, je me méfie des décrets et autres directives autoritaires venus d’en haut. Mais on aurait pu et on aurait dû être bien plus courageux et volontariste à la rue de Grenelle vis-à-vis du logiciel libre. On aurait dû encourager et accompagner avec force et conviction l’utilisation massive du logiciel libre à l’école. On aurait dû organiser des plans de migration du propriétaire vers le libre. On aurait dû soutenir réellement tous ces projets libres dont certains s’épuisent ou sont carrément morts de n’avoir pu trouver le temps et l’argent pour se développer.

Comment se fait-il qu’au sein des différents cabinets des ministres qui se sont succédés on n’ait pas remué ne serait-ce que le petit doigt vis-à-vis du logiciel libre ? Il n’y a que deux hypothèses en guise de réponse. Soit ils n’étaient pas au courant. Soit ils étaient au courant mais ont jugé que (tout faire pour) favoriser l’usage du logiciel libre à l’école n’était pas le bon choix. Soit irresponsables soit coupables en quelque sorte…

Alors voilà. Aujourd’hui on nous annonce que la Gendarmerie Nationale, après avoir fait le choix radical et unilatéral d’OpenOffice.org pour sa suite bureautique, se prépare à migrer tous ces postes clients vers GNU/Linux Ubuntu. De plus en plus de pays déploient ouvertement du Linux dans leurs écoles (le dernier en date : les Philippines). De plus en plus de pays affirment sans ambiguité que le nouveau système d’exploitation Windows Vista n’est pas bon pour l’école et qu’il convient d’utiliser des formats ouverts (le dernier en date : l’Angleterre).

Et chez nous ?

Rien.

Ah si, j’oubliais. Monsieur Darcos vient d’installer la mission « E-educ » sur les technologies de l’information et de la communication pour l’Enseignement. Extrait du communiqué de presse : « Le ministre va confier à Jean Mounet, président de SYNTEC informatique, une réflexion globale et ambitieuse visant au développement des technologies de l’information et de la communication pour l’Enseignement (TICE) au sein du monde éducatif. Cette mission, d’une durée de trois mois, rassemblera des représentants de l’Éducation nationale et des professionnels du secteur informatique. Les propositions feront l’objet d’un rapport qui sera remis à Xavier Darcos courant avril aux fins d’envisager de nouvelles actions dès la rentrée 2008. »

Pensez-vous que, comme le récent rapport Attali, le logiciel libre soit cité dans la lettre de mission ? Pensez-vous que le logiciel libre soit représenté au sein de la commission ?[3] Par contre, tiens, tiens, on y trouve non pas un, non pas deux, mais trois membres de la société Microsoft !

Il y a des jours comme cela où l’on se demande vraiment si créer Framasoft et y dépenser tant d’énergie valait vraiment le coup…

GHCA Computer lab running Gentoo Linux - Extra Ketchup - CC BySa

Notes

[1] Illustrations : Not a happy end de MiikaS et GHCA’s Computer Lab Running Gentoo Linux d’Extra Ketchup sous licence Creative Commons By-Sa.

[2] Fichtre, pas de lien Wikipédia vers Jean-Claude Guédon, il va falloir y remédier !

[3] On nous invite tout de même à nous exprimer sur un forum dédié. Si le cœur vous en dit…




Tentations cinématographiques sur internet ou le clic qui pouvait donner mauvaise conscience

Préparez pop-corn, bière et pizza… aujourd’hui, dans ma grande générosité, je vous invite au cinéma !

Mais il s’agit d’un cinéma un peu particulier puisque visible d’un seul clic de souris depuis votre navigateur connecté au Net. Cette lénifiante simplicité d’usage ne peut cependant masquer une réalité plus complexe qui peut mettre à mal votre sens moral…

The Corporation - Make a Donation

Tentation cinématographique 1 : The Corporation ou la tentation du prendre sans donner

Peut-être avez-vous laissé passer en salle cet excellent film documentaire The Corporation coincé qu’il était entre deux Pirates de Caraïbes et trois Spiderman ?

Qu’à cela ne tienne séance de rattrapage pour ne pas mourir idiot.

Il vous suffit de cliquer successivement sur les trois parties ci-dessous. Easy isn’t it ? Mais attention l’entrée est libre mais pas forcément gratuite (sauf si le décidez en ne donnant… rien !).

Voici ce qu’en disait Sébastien Delahaye, le 24 novembre 2006, sur le site des Ecrans (du journal Libération) :

Sorti discrètement fin 2004 sur les écrans français, le documentaire canadien The Corporation s’apprête aujourd’hui à vivre une nouvelle vie. L’un de ses co-réalisateurs, Mark Achbar, également producteur du film, a décidé de mettre en ligne la version complète et gratuite du film. Disponible en utilisant BitTorrent, le documentaire est téléchargeable en cliquant sur ce lien. La qualité est annoncée comme équivalente à celle d’un DVD, et le film profite, en bonus, d’un entretien de 40 minute avec le scénariste du film.

The Corporation est consacré à une critique des multinationales et contient des entretiens avec Noam Chomsky, Michael Moore, Milton Friedman et Naomi Klein. En 2004, le documentaire a remporté le Prix du public du Festival de Sundance. Mark Achbar encourage les internautes téléchargeant le film à faire un petit don, afin de rembourser les frais de production. « Nous avons déjà reçu 635 dollars en contributions. Elles vont de 2 dollars à trois dons très généreux de 100 dollars. Toutes sont très appréciées. »

Du coup on retrouve aussi bien le film sur YouTube que sur Dailymotion d’où est issue cette version sous-titrée française. Et il faut reconnaître que lorsqu’il s’agit de tels documentaires, la piètre qualité d’image n’est pas trop handicapante puisque c’est avant tout l’audio qui est privilégié.

The Corporation – Partie 1

The Corporation – Partie 2

The Corporation – Partie 3

On comprend bien les motivations des auteurs qui, de par le sujet même du film, jugent à juste titre que sa diffusion passe avant son exploitation économique. Mais, tout de même, peut-on tranquillement le regarder sans rien faire (ne serait-ce qu’un mail de remerciement aux auteurs dans un anglais approximatif) alors qu’ils cherchent uniquement à rentrer dans leur frais puis éventuellement trouver des fonds pour un prochain film ?

Pour ce qui me concerne j’ai donné 5 € au nom de Framasoft.

The Corporation - Make a Donation

Tentation cinématographique 2 : Stage6 ou la tentation du voir sans se faire prendre

D’un simple clic depuis votre navigateur lancez dans la seconde, en plein écran, et en haute définition des films en version française comme Les Inflitrés, OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, Before Sunset, Miami Vice ou encore Dead Man.

Est-ce possible ?

Réponse : Oui. Cela s’appelle Stage6, et si ça reste en l’état (ce qui m’étonnerait) ça risque de faire autant de bruit dans l’industrie cinématographique que Napster pour l’industrie musicale. Tel YouTube ou Dailymotion il s’agit d’une plate-forme vidéo de plus à ceci près que via un plugin DivX (propriétaire) le streaming est de bien meilleure qualité et permet le plein écran avec un confort plus que correct.

Est-ce légal ?

Réponse : Non (of course !). Mais à la différence du peer-to-peer vous ne risquez a priori absolument rien puisque vous visionnez une simple page web et ne conservez rien sur le disque dur votre ordinateur. Autre différence vous n’êtes pas obligé d’attendre le téléchargement intégral du film puisqu’il se charge en mémoire au fur et à mesure de la lecture.

Ajoutons que vous pouvez proposer le player vidéo intégré sur votre propre site ou blog exactement comme ce que je viens de faire avec Dailymotion et The Corporation. C’est délirant rien que d’y penser mais j’aurais donc pu carrément mettre Les Infiltrés en version française à même ce billet blog si je ne sais quelle mouche m’avait piquée !

Les coupables légaux clairement désignés sont Stage6 qui met (sciemment ?) un certain temps à effacer les fichiers incriminés (c’est tout de même pas compliqué de regarder tous les jours les gros fichiers qui ont été uploadés pour faire le tri) et les membres inscrits qui les mettent sciemment en ligne (dont je me pose la question de la motivation).

Quant aux coupables moraux ce sont vous et moi si vous vous faites spectateur d’un de ces films indûment mis en ligne. Et comme Stage6 est à ma connaissance le premier site à lever quasiment toutes les barrières de la lecture vidéo sur internet (temps, qualité et… peur du gendarme), on se retrouve en quelque sorte seul avec notre conscience. Adieu répression et bonjour éducation…

Un autre coupable ce serait peut-être moi qui sous couvert de faire de l’info se retrouve peut-être indirectement ici à verser dans, argh, l’apologie du crime ?! Pas forcément parce que c’est tout de même intéressant de faire remarquer que la technologie de lecture vidéo sur internet est proche d’une certaine maturité (il n’y manque guère plus que des formats libres). Et puis comme toujours avec ces plate-formes de partage vidéos, musicales ou autres, on n’y trouve pas que des ressources illégales ce qui interdit de jeter le bébé avec l’eau du bain.

C’est du reste avec Route 66, un road movie allemand qu’il est tout à fait légal de visionner puisque sous licence Creative Commons BY-NC-SA (un pionnier du genre !) que je vous invite à découvrir Stage6.

Et l’on est ainsi ramené à la tentation précédente puisqu’ils cherchent aussi à lever des fonds pour réaliser leur prochain film The Last Drug.

Pour ce qui me concerne j’ai là encore donné 5 € à l’équipe du film au nom de Framasoft.

Conclusion

Ce billet aurait aussi pu s’intituler « L’article qui valait 10 € ». C’est d’ailleurs la somme que je demande à ceux qui vont me contacter en privé pour que je leur donne directement les liens Stage6 des films cités ci-dessus 😉




Citation de Tocqueville

Une (longue) citation de Tocqueville entendue sur France Culture en clôture de l’émission L’Esprit Public du 26 juin dernier (merci le podcasting).

Après recherche, elle semble notoirement diffusée sur internet, surtout depuis le buzz de la campagne présidentielle. Mais pour ce qui me concerne je l’ai découverte aujourd’hui et je souhaitais malgré tout vous la faire partager.

Parce qu’en y réfléchissant bien nous ne sommes peut-être pas si hors-sujet que cela…

L’illustration est une photographie de eva101 intitulée us issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY.

us - eva101 - CC BY

« Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques.

Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent ; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes (…)

Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.

Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. (…)

Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple…

Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n’est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier. »

Alexis de Tocqueville
Extrait de De la Démocratie en Amérique, Livre II, 1840




Mortelle randonnée

Last Thoughts… - jurvetson - CC BY - détail

Voici une impressionnante photographie dont j’ai recadré quelques détails pour en accentuer l’effet dramatique (quand bien même ce n’était pas vraiment utile tant l’image se sufft à elle-même).

Last Thoughts… - jurvetson - CC BY - détail

Sous licence (libre) Creative Commons BY, elle est l’oeuvre de Steve Jurvetson.

Elle est disponible sur Flickr mais également dans l’annuaire d’images de Wikipédia (en) qui l’a élue photo du jour le 11 avril dernier.

On notera que l’auteur se trouve ravi de voir son image reprise dans un magazine grâce à la licence Creative Commons BY.

Last Thoughts… - jurvetson - CC BY - détail

Rien de plus naturelle que cette scène de la vie quotidienne d’une buse à queue rousse. Et pourtant difficile d’échapper à une sorte d’anthropomorphisme compassionnelle…

Last Thoughts… - jurvetson - CC BY




Une belle histoire comme on les aime chez Framasoft

Voici le récit du passage sous licence libre d’une police cursive éducative que ne renierait pas mes amis de Veni Vidi Libri. Il nous est narré par mon collègue et néanmoins ami Julien Noël qui annonce dans son introduction que c’est le type d’histoire comme on les aime chez Framasoft. Et… il a parfaitement raison 😉

Il cite au passage l’une des grandes réussites francophones du monde du libre à l’école, à savoir Gcompris dont il se murmure qu’il pourrait même être intégré dans les futures versions de l’OLPC.

Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant : n’oubliez pas de remercier son auteur si vous l’utilisez parce que ce n’est pas autrement que nous perpétuerons ce bon esprit qui nous anime et qui réussit, comme ici, à convaincre de plus en plus de monde de nous rejoindre.

L’image est un exemple d’utilisation de cette jolie police avec les premiers vers de Liberté célèbre poème de Paul Eluard.

Exemple police cursive Écolier court

Libérez la police !

Julien Noël – Juin 2007

Voici une belle histoire comme on les aime chez Framasoft.

J’ai tout compris

Il était une fois un jeune papa qui initia son fiston, de trois ans à peine, à l’ordinateur. Évidemment, pas question d’apprendre le B-A-BA de l’informatique sur du logiciel propriétaire. Dans la famille, on est libre de père en fils depuis 30 générations[1]. Le futur fils prodige est donc placé devant une machine sous Linux et découvre le maniement du clavier, de la souris, etc. via le formidable logiciel Gcompris.

En cinq jours à peine (si si), l’enfant est capable de reconnaître toutes les lettres et tous les chiffres. Et tout cela, en s’amusant – alors même que le père, féru d’informatique libre et passant de nombreuses heures quotidiennement devant son PC, était très dubitatif quant à l’apprentissage assisté par ordinateur.

Un an plus tard, l’enfant a grandi et il est temps de passer à l’étape supérieure. Au primaire, on apprend d’abord à identifier et à écrire les majuscules (ou les capitales – je n’ai jamais compris la différence). Il s’agit donc maintenant, à partir de polices cursives, d’identifier les lettres calligraphiées… Mais si, vous savez, celles que l’on écrit avec la main (vous savez bien, la main, ce truc qui permet de taper au clavier : eh bien, initialement, au moyen âge, il permettait d’écrire… Si, si !).

L’heureux papa contacte donc le développeur principal de Gcompris[2] et lui demande s’il est possible d’intégrer une police cursive.

La réponse tombe comme un couperet : pas de police cursive dans Gcompris parce que pas de police cursive libre tout court.

Recherche police désespérément

Le papa, têtu comme un Bill Gates décidé à trucider Linus Torvalds, se met donc à la recherche de la perle rare. Il google, google, google et finit par tomber sur ça : http://perso.orange.fr/jm.douteau/index.htm (évidemment, à l’époque, ce n’était pas libre).

Il joint le créateur de ces polices[3] et tente de le convaincre de les passer sous licence libre. Jean-Marie Douteau aime comprendre ce qu’il fait et pourquoi il le fait. S’ensuivent alors de nombreux échanges “épistomail” afin de mieux percevoir les principes et les enjeux du logiciel libre, pourquoi une police gratuite est inutilisable dans Gcompris, pourquoi la GPL et la LGPL… Bref, tout ce qui fait ce joli monde qui nous est si familier mais si obscur lorsque l’on ne baigne pas dedans.

Après un court passage sous licence creative common, le créateur des polices " Écolier court” et “Écolier lignes court” décide de les passer sous licence OFL, orienté dans ce choix par Sophie Gautier, la responsable OpenOffice.org France. Cette décision permettra d’intégrer les deux polices dans Gcompris ET dans OOo[4].

Vive la police libre !

Jean-Marie Douteau se demande maintenant ce que vont devenir ses bébés : il s’impatiente de les voir grandir et attend vos questions, vos remarques, vos encouragements, vos suggestions et vos contributions (par exemple pour ajouter des caractères qui n’y sont pas).

Notes

[1] au moins

[2] Bruno Coudoin

[3] Jean-Marie Douteau

[4] et évidemment dans tout logiciel compatible avec cette licence




Ouvrons le débat de l’informatique à l’école

Reproduction de Informatique et TIC : une vraie discipline ?, un récent article de Jean-Pierre Archambault[1], que nous connaissions depuis longtemps comme héraut du libre éducatif, mais qui élargit ici la problématique au présent et à l’avenir de l’informatique et des TIC à l’école, et ce faisant pose finalement la question de la place des technologies de l’information et de la communication dans notre actuelle et future société.

L’occasion pour moi de citer en rappel deux initiatives liées à la récente campagne présidentielle française 2007, l’une de l’ADULLACT et l’autre de l’APRIL (avec son initiative Candidats.fr).

Extrait de la Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 (ADULLACT)

C’est la jeunesse qui fera le monde de demain. Il est très urgent d’enseigner très tôt la maîtrise et non pas seulement l‘utilisation de l’informatique, les techniques et non pas les modes opératoires. Il faut promouvoir l’informatique comme discipline à part entière dans l’enseignement secondaire, et y encourager l’esprit et les outils de production et de partage, pour le savoir et les richesses. Il faut former les acteurs et non de simples consommateurs de la société de l’information. Pourquoi dans notre pays collégiens et lycéens ne peuvent-il s’initier à la programmation ou au travail collaboratif ?

Extrait du Questionnaire de Candidats.fr (APRIL)

Êtes-vous favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique au lycée ?

Êtes-vous favorable à ce que les élèves soient formés non pas à une gamme de produits (e.g. la suite Microsoft Office) mais à des catégories d’outils (e.g. traitement de texte, tableur, logiciels de présentation…) ?

Avec des réponses contrastées (ADULLACT et APRIL) en particulier de celui qui est devenu dans l’intervalle le président de la République française (réponses PDF de Nicolas Sarkozy à l’ADULLACT et à l’APRIL).

Il est effectivement temps de faire bouger les lignes et ne pas se satisfaire de la situation actuelle qui ressemble parfois à de l’inertie pendant que le monde avance.

Heureusement que, dans un contexte proche de l’urgence, nous pouvons compter sur l’expérience (et l’expertise) de la communauté du libre qui, je crois, lui donne une perception fine des enjeux. Encore faut-il qu’elle soit écoutée en haut lieu…

Vous trouverez une version PDF de l’article en fin de page.[2]

Student in Class - foundphotoslj - CC-BY

Informatique et TIC : une vraie discipline ?

Jean-Pierre Archambault – Medialog 62 Juin 2007

Avec l’introduction de la maîtrise des TIC dans le socle commun de connaissances et de compétences et la généralisation du B2i, un consensus existe pour affirmer qu’il faut préparer les futurs citoyens de la société de la connaissance à devenir des utilisateurs « intelligents » et non « presse-boutons » des technologies. Mais il n’existe pas de consensus sur la façon de s’y prendre. Certains militent pour la création d’une discipline scolaire « Informatique et TIC ».

Tout le monde a en mémoire les débats qui ont accompagné en 2006 la transposition de la directive européenne sur les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) [3]. Ils concernaient notamment l’exercice du droit à la copie privée, la possibilité d’écouter sur plusieurs appareils un morceau de musique acquis en bonne et due forme… c’est-àdire la vie quotidienne de millions de gens. Ils portaient également sur l’interopérabilité, les DRM (Digital Rights Management) ou mesures techniques de protection, les logiciels de peer to peer, le code source des programmes (il fut abondamment question des logiciels libres), le droit un peu abscons des bases de données… Il est difficile au simple citoyen de maîtriser la complexité de ces notions techniques et juridiques et donc de mesurer l’impact de la loi. Par exemple, dans l’article 13 de la loi finalement adoptée, on peut lire : « Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection… Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article… Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur… » [4]

Une nouvelle forme d’illettrisme

Or, nul n’est censé ignorer la loi ! Mieux, chacun doit être en mesure de contribuer à sa manière à son élaboration et, pour cela, de comprendre ce dont il s’agit et de bien mesurer les enjeux et les conséquences des textes adoptés par le Parlement. Quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent qu’il en soit ainsi ? Ces questions valent également pour la vie de tous les jours, quand il faut décrypter l’offre d’un fournisseur d’accès à Internet, avoir une idée de l’origine et de la responsabilité d’un dysfonctionnement (savoir par exemple pour quelles raisons une page web peut se faire attendre). Nous sommes de plain-pied dans la problématique de la culture générale informatique qui doit être dispensée par l’École. Comment procéder pour former tous les élèves à la société de l’immatériel ? Car, comme le soulignent Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet, dans l’économie de l’immatériel « l’incapacité à maîtriser les TIC constituera (…) une nouvelle forme d’illettrisme aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire » [5]. Et comment, dans le même temps, dispenser un enseignement qui prépare au mieux la formation ultérieure des spécialistes de haut niveau dont le pays a besoin ? Car, comme le relevait un article du Monde du 18 octobre 2006 sur les métiers de l’informatique, « la profession, où l’âge moyen est de 35 ans, commence à connaître une forte tension sur les recrutements des meilleurs profils : chefs de projet, ingénieurs spécialisés dans les nouvelles technologies, commerciaux, consultants spécialisés… ».

La question n’est pas nouvelle. Depuis une trentaine d’années, pour l’essentiel, deux approches se succèdent, coexistent, suscitent de vifs et intéressants débats. Pour l’une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes. Pour l’autre, l’informatique étant partout, elle doit être quelque part en particulier, à un moment donné, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle [6].

Dans sa thèse, La constitution de l’informatique comme discipline scolaire (1987), Georges- Louis Baron, professeur à l’Université Paris V, parle de « lent cheminement vers le statut de discipline scolaire », et rappelle les conclusions d’un colloque international organisé à Sèvres en 1970 par le CERI-OCDE : « L’introduction d’un enseignement de l’informatique dans l’enseignement de second degré est apparu comme indispensable » [7]. Il y a eu, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, une option informatique dans les lycées d’enseignement général. Créée en 1982, elle a été supprimée en deux temps, alors qu’elle était en voie de généralisation (première suppression en 1992, rétablissement en 1995, deuxième suppression en 1997). Le « cheminement » est donc quelque peu tortueux. Le cours de technologie au collège comporte une composante informatique bien identifiée. Le B2i, quant à lui, s’inscrit dans la démarche qui situe les apprentissages dans les usages de l’outil informatique dans l’ensemble des disciplines. Il figurera dans les épreuves du brevet des collèges et du baccalauréat, ce qui constitue une reconnaissance institutionnelle qui n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur, indépendamment des avis que l’on peut avoir sur les contenus et les modalités d’évaluation.

Il arrive que cette question de la culture générale informatique ne soit pas exempte d’une certaine confusion, dans la mesure où l’on ne distingue pas suffisamment les objectifs généraux, les compétences à acquérir, les contenus scientifiques permettant de les atteindre – que l’on doit expliciter très précisément –, les méthodes pédagogiques et didactiques des disciplines. Rappelons donc succinctement que les statuts et les enjeux éducatifs de l’informatique et des TIC sont multiples.

L’informatique, outil et objet d’ensignement

Il y a un enjeu d’intégration d’instruments modernes pour améliorer la qualité de l’enseignement dans le contexte de sa démocratisation. L’ordinateur enrichit la panoplie des outils de l’enseignant. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la motivation. Il favorise l’activité. Il aide à atteindre des objectifs d’autonomie, de travail individuel ou en groupe. L’ordinateur est aussi encyclopédie active, créateur de situation de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d’images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif… L’informatique s’immisce dans l’ « essence des disciplines » et leur enseignement doit en tenir compte. Cela vaut pour tous les ordres et niveaux d’enseignement, et notamment pour les formations techniques et professionnelles, tant les métiers, les processus de travail, les profils et les qualifications requises ont évolué. L’ordinateur est outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative. Enfin, l’informatique et les TIC sont objet d’enseignement car composantes incontournables de la culture générale de notre époque. Tous ces statuts ne s’excluent aucunement. Au contraire, ils se complètent et se renforcent. Ainsi le professeur de SVT pourra-t-il d’autant mieux enseigner l’expérimentation assistée par ordinateur et la simulation qu’il pourra s’appuyer sur de solides connaissances de base que ses élèves auront acquises précédemment et ailleurs que dans sa discipline.

Une discipline scolaire ?

En fait, la vraie question posée est celle de savoir s’il doit y avoir, à un moment donné de la scolarité obligatoire, apprentissages en matière de TIC et d’informatique sous la forme d’une discipline scolaire à part entière, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays, par exemple la Corée du Sud, la Pologne et dernièrement le Maroc. Différentes raisons, selon nous, militent en faveur d’une réponse positive. D’abord, peuton considérer que « s’immerger c’est apprendre » ? À l’École et hors de l’École. L’utilisation d’un outil, matériel ou conceptuel, suffit-elle pour le maîtriser ? L’existence des enseignements techniques et professionnels est là pour rappeler que la réponse est évidemment non ! Jean-Michel Bérard, Inspecteur général de l’Éducation nationale, dit sans ambages que « l’utilisation d’un outil, si fréquente et diversifiée soit-elle, ne porte pas en elle-même les éléments qui permettent d’éclairer sa propre pratique » [8]. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas s’appuyer sur les pratiques et les expériences des élèves, mais avec l’objectif de les dépasser. Jean-François Cerisier, maître de conférences à l’Université de Poitiers, s’étonne de propos selon lesquels « les jeunes seraient naturellement outillés pour mettre en oeuvre des dispositifs techniques complexes dans une logique d’immersion qui postule implicitement que la pratique naïve des outils suffirait à produire des apprentissages pourtant complexes » [9]. Il indique qu’une étude conduite auprès d’élèves du cycle 3 a montré que la plupart d’entre eux ne disposaient pas d’une représentation suffisamment structurée d’Internet pour engager des démarches de recherche d’information même simples, et qu’ils « peinent à élaborer une requête documentaire lorsqu’ils utilisent un moteur de recherche standard ». Cela ne saurait surprendre quand on sait que le sens des opérateurs logiques (ET, OU) diffère de celui qu’ils ont dans le langage courant, que des éléments de logique figuraient dans les programmes de mathématiques des classes de seconde dans les années soixante-dix, et que leur compréhension n’allait pas de soi. On ne peut donc que le suivre quand, dans un autre article, il demande : « Comment en effet procéder à une recherche d’information efficace lorsque l’on n’a aucune connaissance du mode de fonctionnement de l’instrument utilisé ? » [10]. Par ailleurs, on sait que la science progresse en dégageant du « simple » dans la réalité complexe. Et que la pédagogie recommande de ne pas faire compliqué quand il faut faire simple. Dans une discipline donnée, se fixer, dans le même mouvement, des objectifs cognitifs et d’autres relatifs à l’outil informatique que l’on utilise, risque d’amener à échouer sur les deux tableaux. Chaque chose en son temps. J.-F. Cerisier fait également référence à « l’École comme seul lieu possible de prise en compte systématique des conceptions naïves ». C’est aussi le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée et organisée, où ils s’approprient « l’intelligence » des outils conceptuels pour bien s’en servir.

On ne fait pas des sciences expérimentales, ou de la technologie, de la même façon à l’école primaire et au lycée. La culture informatique s’acquiert donc selon des modalités diversifiées dans le temps. À l’école primaire, le B2i correspond bien aux méthodes d’initiation des enfants aux sciences et aux techniques. De plus, et c’est fondamental, il y a un enseignant unique, qui maîtrise donc ses progressions pédagogiques et leurs cohérences, l’organisation du temps scolaire et qui se coordonne facilement avec lui-même ! Ce qui n’est pas le cas au collège : là résident pour une bonne part les difficultés constatées de mise en oeuvre du B2i. Il n’est déjà pas évident d’organiser des apprentissages progressifs sur la durée lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »), éventuellement répétitives à l’identique d’un cycle à l’autre, et que les contenus scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas explicités. Mais, quand, en plus, cela doit se faire dans des contributions multiples et partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des outils et notions informatiques, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de l’organisation concrète. Ainsi, un rapport de l’IGEN souligne-t-il que, « si différentes circulaires précisent les compétences qui doivent être validées et le support de l’évaluation (feuille de position), elles laissent néanmoins dans l’ombre de l’autonomie les modalités concrètes de mise en oeuvre » [11]. Pour se faire une idée de ces difficultés, il suffit d’imaginer l’apprentissage du passé composé et du subjonctif qui serait confié à d’autres disciplines que le Français, au gré de leurs besoins propres (de leur « bon vouloir »), pour la raison que l’enseignement s’y fait en français.

Former des utilisateurs « intelligents »

Au collège, le cours de technologie nous semble être un lieu institutionnel adapté à l’acquisition d’une maîtrise des outils informatiques, dont les enseignants des autres disciplines peuvent alors bénéficier dans leurs démarches pédagogiques, d’une manière réaliste. La complémentarité objet-outil d’enseignement peut donner toute son efficacité quand on l’envisage dans cette optique.

Au lycée, dans le prolongement des acquis précédents, une approche spécifique et scientifique, dans le cadre d’un enseignement particulier, permet de les capitaliser et de favoriser les usages pédagogiques des TIC dans les autres matières. Elle constitue une étape qualitativement nouvelle permettant de se fixer des objectifs ambitieux et incontournables pour des générations appelées à évoluer dans la société de la connaissance, dans laquelle on sait le rôle éminent joué par les TIC, de former des « utilisateurs intelligents » et des citoyens à part entière. Quand une matière est omniprésente dans la société, elle devient un élément de la culture générale, et de la culture scolaire, sous la forme d’une discipline particulière que l’on étudie pour elle-même afin de mieux la mettre au service des autres disciplines. Avec des enseignants spécialisés, des programmes, des horaires et des épreuves au baccalauréat. Jacques Baudé, président d’honneur de l’EPI (association Enseignement Public et Informatique), rappelle opportunément que « pendant plus de dix ans, le Conseil scientifique national (CSN), pilotant l’option informatique des lycées, a montré que la mise au point de programmes d’enseignement n’a pourtant rien d’impossible ; ce n’est ni plus difficile ni plus facile que dans n’importe quelle autre discipline ! Les invariants enseignables au lycée se dégagent somme toute assez facilement à condition de pratiquer une large concertation avec les universitaires et les enseignants du terrain » [12].

Ces invariants, dont parle Jacques Baudé, doivent inclure des activités d’algorithmique et de programmation, non pas pour former des informaticiens professionnels – même si cela y contribue – mais pour que les élèves comprennent la logique de fonctionnement de l’ordinateur et des environnements informationnels (si l’on apprend à résoudre des équations du second degré ce n’est pas parce qu’on en résout tous les jours !). Charles Duchâteau, professeur aux facultés universitaires N.-D. de la Paix de Namur, s’exprime en ce sens : « J’ai été et je reste parmi ceux qui croient que l’apprentissage de la programmation est formatif et qu’il ne faut pas tout mesurer à l’aune de l’utilité immédiate. Je crois aussi que les méthodes et concepts typiques de l’algorithmique sont parmi les plus fondamentaux de l’informatique et que, de plus en plus, une certaine familiarité avec le “faire faire” qui est au coeur de la programmation, au sens large, fait partie d’une utilisation efficace de beaucoup d’outils logiciels récents » [13]. Écrire des programmes informatiques, même très simples, permet également de donner de la substance à ce que sont les codes source et objet, et donc de mieux percevoir les enjeux des logiciels libres. La « philosophie » de ces logiciels est en phase avec l’objectif de former des utilisateurs « intelligents » car la connaissance du code permet la compréhension de la logique et du fonctionnement des logiciels.

Pour Jean-Pierre Demailly, membre de l’académie des Sciences, « un enseignement des langages, des algorithmes et de la programmation serait bien utile à partir du lycée. Tout d’abord parce que c’est un véritable besoin économique de mieux préparer les élèves à acquérir des connaissances technologiques solides, mais aussi parce que cela intéresserait de nombreux jeunes – dont l’informatique est parfois une passion en dehors de l’école » [14].

Pour résumer, une approche équilibrée garante d’une bonne culture générale scolaire doit, selon nous, s’appuyer sur l’utilisation de l’ordinateur dans les disciplines pendant toute la scolarité, le B2i à l’école primaire, le cours de technologie au collège et une matière « Informatique et TIC » au lycée. Avec la conviction que pareille intégration résolue de l’informatique et des technologies modernes dans le système éducatif est de nature à faciliter les évolutions économiques, sociales et culturelles du XXIe siècle.

Notes

[1] Jean-Pierre Archambault – CNDP-CRDP de Paris – Chargé de mission veille technologique

[2] L’illustration est une photographie de foundphotoslj intitulée Student in Class issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY-SA

[3] Jean-Pierre Archambault, « Innover ou protéger ? Un cyberdylemne », Médialog n°58.

[4] lien

[5] Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, L’économie de l’immatériel – La croissance de demain, rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel remis à Thierry Breton, décembre 2006.

[6] Jean-Pierre Archambault, Démocratie et citoyenneté à l’heure du numérique : les nécessités d’un enseignement lien

[7] lien.

[8] Jean-Michel Bérard, « Ordinateur et système éducatif : quelques questions » in Utilisations de l’ordinateur dans l’enseignement secondaire, Hachette Éducation, 1993.

[9] Jean-François Cerisier, « Qui est derrière Internet ? Des représentations tenaces », Les Cahiers pédagogiques n°446, octobre 2006.

[10] Jean-François Cerisier, « La nature du B2i lui permet-elle d’atteindre ses objectifs ? », Les dossiers de l’ingénierie éducative n°55, septembre 2006.

[11] lien en page 17.

[12] Jacques Baudé, Pour une culture générale intégrant l’Informatique et les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), lien

[13] Charles Duchâteau, Peut-on définir une « culture informatique » ? lien

[14] Jean-Pierre Demailly, professeur à l’université Grenoble I, directeur de l’Institut Fourier, membre de l’académie des Sciences, in interview à l’EPI, avril 2005. lien