Le CRM libre et citoyen CiviCRM adopté par la FSF

CiviCRM - LogoCRM est l’acronyme anglais de Customer Relationship Management, que l’on traduit chez nous par Gestion de la relation client.

Dans la communauté du libre, il y a un CRM qui a le vent en poupe actuellement, c’est CiviCRM. Déjà utilisé par Creative Commons ou la Fondation Wikimedia, c’est aujourd’hui la Free Software Foundation (FSF) de Richard Stallman qui a décidé de l’adopter (et nous invite à faire autant), en nous disant tout le bien qu’elle en pense dans un communiqué traduit ci-dessous.

Remarque : On est beaucoup plus ici dans la gestion de la relation de membres d’associations que dans la gestion de la relation de clients.

PS : La prochaine étape sera-t-elle la Paypal libération ?

Pour les associations à but non lucratif, il est temps d’abandonner les outils propriétaires de collecte de dons

Matt Lee – 14 avril 2010 – FSF.org
(Traduction Framalang : Eric Moreau)

La Free Software Foundation (FSF) annonce aujourd’hui que CiviCRM a obtenu son agrément en tant que système complet de gestion de donations et de relations clients pour les associations à but non-lucratif.

Dans le cadre de sa campagne hautement prioritaires, la FSF avait souligné la nécessité d’une solution libre dans ce secteur. En parallèle à ce communiqué, la FSF adopte CiviCRM pour ses propres besoins, et encourage vivement les autres associations sans but lucratif à en faire autant.

Depuis toujours, les associations sans but lucratif sont dépendantes de solutions propriétaires ou « SaaS » (NdT : Software as a Service, logiciel en tant que service en ligne) pour la collecte de dons, comme Blackbaud’s Raiser’s Edge ou eTapestry. Les organisations qui les utilisent en sont prisonnières, ont peu de contrôle sur les fonctionnalités du logiciel, et sont à la merci des caprices d’une seule entreprise. Ces associations doivent également assumer le coût de la migration si elles souhaitent passer à un système propriétaire différent, et ne parviennent pas à gagner leur indépendance. Dans ces conditions, les outils censés améliorer leur efficacité finissent en réalité par réduire leur capacité à accomplir leurs missions sociales.

CiviCRM, au contraire, partage le code de son logiciel pour permettre aux associations de comprendre son fonctionnement, offre la possibilité à tout un chacun de lui apporter des améliorations, et peut aussi l’héberger sur ses serveurs sécurisés. Le code et le format de données étant libres, utiliser ce programme n’implique pas qu’on en devienne prisonnier. Puisqu’il est disponible pour le système d’exploitation libre GNU/Linux, il permet aussi de s’affranchir d’un autre logiciel souvent nécessaire à l’utilisation des solutions propriétaires de collecte de dons : Microsoft Windows.

« Les avantages qu’offre CiviCRM satisferont les associations qui souhaitent organiser leurs relations avec les donateurs, les sympathisants et les médias. En plus de sa fonction de répertoire de contacts, il prend en charge la collecte de fonds en ligne, l’inscription à des manifestations, la gestion des adhésions et l’envoi de courriers personnalisés, électroniques ou traditionnels. Cerise sur le gâteau, ce logiciel libre est distribué sous la licence GNU Affero General Public License : les associations peuvent l’héberger elles-mêmes et garder la liberté nécessaire afin de mener leur activité sans entraves », a déclaré John Sullivan, le directeur des opérations de la FSF.

Les idéaux du logiciel libre encourageant le partage et la modification sont au cœur du développement de CiviCRM, explique le développeur Dave Greenberg. « Le projet CiviCRM a été lancé par un groupe de développeurs et de directeurs de projet qui avaient auparavant collaboré sur une application propriétaire de gestion des dons. Étant très désireux d’accroître la portée et l’efficacité des associations sans but lucratif, nous nous sommes rendu compte qu’existait le besoin d’une application de GRC capable de répondre aux demandes du secteur associatif. Dès le départ, il nous a paru évident que celle-ci devait être un logiciel libre, développée en collaboration avec une communauté qui en aurait la jouissance. En ce qui me concerne, je trouve l’interaction avec notre communauté d’utilisateurs stimulante et gratifiante intellectuellement. Voir des gens qui possèdent une expertise dans un domaine particulier donner de leur temps et nous soumettre des idées pour nous aider à améliorer le produit, c’est très excitant. »

En adoptant ce nouveau service, la FSF rejoint d’autres organisations telles qu’Amnesty International, Creative Commons et la Fondation Wikimédia, qui utilisent elles aussi CiviCRM.

Le directeur exécutif Peter Brown décrit comment la FSF utilise logiciel et a l’intention de la donner publiquement en exemple : « Je me réjouis d’encourager les autres associations sans but lucratif à échapper à leur logiciels propriétaires actuels ou à leurs systèmes de « logiciels en tant que service » et à essayer plutôt CiviCRM. La FSF gère plus de 40 000 contacts et 15 000 dons par an, une branche éditoriale, une boutique en ligne et plusieurs sites de campagne auxquels sont associées des listes de diffusions – le tout avec des logiciels libres.

Un système complet de gestion des dons et de relations clients constituera la dernière pièce du puzzle pour les associations caritatives qui désirent n’utiliser que des logiciels libres. Nous prévoyons de publier un guide destiné à faire partager notre expérience à d’autres associations soucieuses de l’aspect éthique de leurs logiciels.

Nathan Yergler, responsable des ressources informatiques de Creative Commons, fait lui aussi l’éloge de cet outil : « CiviCRM est une composante cruciale de l’infrastructure de Creative Commons. Nous avons vu cette application mûrir et s’améliorer au fil du temps, offrir de nouvelles fonctionnalités et des performances meilleures à chaque nouvelle version. La communauté de développeurs de CiviCRM est accessible et réactive, et se met en quatre pour aider ses utilisateurs lorsque c’est nécessaire. Je recommande chaudement CiviCRM aux associations semblables à Creative Commons qui cherchent une solution de GRC. »

Piotr Szotkowski, membre de l’équipe principale de CiviCRM, indique que malgré la maturité du projet, il reste encore du travail gratifiant à accomplir : « Tous ceux qui souhaitent nous aider sont les bienvenus. Contribuer au développement de CiviCRM est source de nombreuses satisfactions, par exemple lorsqu’on sait que le code qu’on a écrit a servi à aider les victimes de l’ouragan Katrina, qu’il aide les associations comme Amnesty International ou Front Line à se battre pour les droits de l’Homme, ou la Fondation Wikimedia à mieux organiser son excellent travail sur Wikipedia et tous ses autres projets. »

Pour savoir où télécharger CiviCRM, comment l’utiliser et comment y contribuer, rendez-vous à l’adresse : http://civicrm.org. Vous trouverez une discussion ayant pour sujet la comparaison des solutions disponibles pour les bases de données libres sur le wiki LibrePlanet de la FSF.

Pour connaître les dangers que représente l’utilisation des « logiciels en tant que service », consulter Who does that server really serve? (NdT : De qui ce serveur est-il vraiment le serviteur ?).




La liberté contre les traces dans le nuage – Une interview d’Eben Moglen

SheevaPlugIl y a un peu plus d’une semaine Tristan Nitot évoquait sur son blog une « magnifique interview » du juriste Eben Moglen par le journaliste Glyn Moody (que nous connaissons bien sûr le Framablog, preuve en est qu’ils ont l’honneur de tags dédiés : Moglen et Moody).

C’est la traduction de l’intégralité de cette interview que nous vous proposons ci-dessous.

Pourquoi Nitot était-il si enthousiaste ? Parce qu’il est légitime de s’inquiéter chaque jour davantage du devenir de nos données personnelles captées par des Facebook et des Google. Mais la critique récurrente sans possibilités d’alternatives pousse au découragement.

Or, poursuit-il, cette interview propose « une ébauche de solution technique qui pourrait bien signer la fin du Minitel 2.0 ». Eben Moglen y explique « comment des petits ordinateurs comme le Sheevaplug (cf photo ci-contre) ou le Linutop 2 pourraient bien changer la donne en permettant la construction d’un réseau social distribué (ou a-centré) dont chacun pourrait contrôler un bout et surtout contrôler son niveau de participation ».

Et Tristan de conclure de manière cinglante : « l’identité en ligne, la liste de nos relations, les archives de nos messages échangés sont bien trop précieuses pour être confiées à quelconque organisation privée, quelle qu’elle soit ».

La décennie « Microsoft » qui s’achève nous aura vu essayer, avec plus ou moins de succès, d’empêcher le contrôle de nos ordinateurs personnels, en y substituant du logiciel propriétaire par du logiciel libre.

La décennie « Google » qui s’annonce risque fort d’être celle des tentatives pour empêcher le contrôle d’Internet, en ne laissant plus nos données personnelles sur des serveurs privés mais sur nos propres serveurs personnels.

Remarque : à propos d’Eben Moglen, nous vous rappelons l’existence d’une conférence que nous considérons parmi les plus importantes jamais présentées par la communauté du Libre.

Une interview d’Eben Moglen – La liberté contre les données dans le nuage

Interview: Eben Moglen – Freedom vs. The Cloud Log

Eben Moglen interviewé par Glyn Moody – 17 mars 2010 – The H
(Traduction Framalang : Goofy, Simon Descarpentries et Barbidule)

Le logiciel libre a gagné : presque tous les poids lourds du Web les plus en vue comme Google, Facebook et Twitter, fonctionnent grâce à lui. Mais celui-ci risque aussi de perdre la partie, car ces mêmes services représentent aujourd’hui une sérieuse menace pour notre liberté, en raison de l’énorme masse d’informations qu’ils détiennent sur nous, et de la surveillance approfondie que cela implique.

Eben Moglen est sûrement mieux placé que quiconque pour savoir quels sont les enjeux. Il a été le principal conseiller juridique de la Free Software Foundation pendant 13 ans, et il a contribué à plusieurs versions préparatoires de la licence GNU GPL. Tout en étant professeur de droit à l’école de droit de Columbia, il a été le directeur fondateur du Software Freedom Law Center (Centre Juridique du Logiciel Libre). Le voici aujourd’hui avec un projet ambitieux pour nous préserver des entreprises de services en ligne qui, bien que séduisantes, menacent nos libertés. Il a expliqué ce problème à Glyn Moody, et comment nous pouvons y remédier.

Glyn Moody : Quelle est donc cette menace à laquelle vous faites face ?

Eben Moglen : Nous sommes face à une sorte de dilemme social qui vient d’une dérive dans la conception de fond. Nous avions un Internet conçu autour de la notion de parité – des machines sans relation hiérarchique entre elles, et sans garanties quant à leur architectures internes et leur comportements, mises en communication par une série de règles qui permettaient à des réseaux hétérogènes d’être interconnectés sur le principe admis de l’égalité de tous.

Sur le Web, les problèmes de société engendrés par le modèle client-serveur viennent de ce que les serveurs conservent dans leur journaux de connexion (logs) les traces de toute activité humaine sur le Web, et que ces journaux peuvent être centralisés sur des serveurs sous contrôle hiérarchisé. Ces traces deviennent le pouvoir. À l’exception des moteurs de recherche, que personne ne sait encore décentraliser efficacement, quasiment aucun autre service ne repose vraiment sur un modèle hiérarchisé. Ils reposent en fait sur le Web – c’est-à-dire le modèle de pair-à-pair non hiérarchisé créé par Tim Berners-Lee, et qui est aujourd’hui la structure de données dominante dans notre monde.

Les services sont centralisés dans un but commercial. Le pouvoir des traces est monnayable, parce qu’elles fournissent un moyen de surveillance qui est intéressant autant pour le commerce que pour le contrôle social exercé par les gouvernements. Si bien que le Web, avec des services fournis suivant une architecture de base client-serveur, devient un outil de surveillance autant qu’un prestataire de services supplémentaires. Et la surveillance devient le service masqué, caché au cœur de tous les services gratuits.

Le nuage est le nom vernaculaire que nous donnons à une amélioration importante du Web côté serveur – le serveur, décentralisé. Au lieu d’être une petite boîte d’acier, c’est un périphérique digital qui peut être en train de fonctionner n’importe où. Ce qui signifie que dans tous les cas, les serveurs cessent d’être soumis à un contrôle légal significatif. Ils n’opèrent plus d’une manière politiquement orientée, car ils ne sont plus en métal, sujets aux orientations localisées des lois. Dans un monde de prestation de services virtuels, le serveur qui assure le service, et donc le journal qui provient du service de surveillance induit, peut être transporté sur n’importe quel domaine à n’importe quel moment, et débarrassé de toute obligation légale presque aussi librement.

C’est la pire des conséquences.

GM : Est-ce qu’un autre facteur déclenchant de ce phénomène n’a pas été la monétisation d’Internet, qui a transféré le pouvoir à une entreprise fournissant des services aux consommateurs ?

EM : C’est tout à fait exact. Le capitalisme a aussi son plan d’architecte, qu’il rechigne à abandonner. En fait, ce que le réseau impose surtout au capitalisme, c’est de l’obliger à reconsidérer son architecture par un processus social que nous baptisons bien maladroitement dés-intermédiation. Ce qui correspond vraiment à la description d’un réseau qui contraint le capitalisme à changer son mode de fonctionnement. Mais les résistances à ce mouvement sont nombreuses, et ce qui nous intéresse tous énormément, je suppose, quand nous voyons l’ascension de Google vers une position prééminente, c’est la façon dont Google se comporte ou non (les deux à la fois d’ailleurs) à la manière de Microsoft dans sa phase de croissance. Ce sont ces sortes de tentations qui s’imposent à vous lorsque vous croissez au point de devenir le plus grand organisme d’un écosystème.

GM : Pensez-vous que le logiciel libre a réagi un peu lentement face au problème que vous soulevez ?

EM : Oui, je crois que c’est vrai. Je pense que c’est difficile conceptuellement, et dans une large mesure cette difficulté vient de ce que nous vivons un changement de génération. À la suite d’une conférence que j’ai donnée récemment, une jeune femme s’est approchée et m’a dit : « j’ai 23 ans, et aucun de mes amis ne s’inquiète de la protection de sa vie privée ». Eh bien voilà un autre paramètre important, n’est-ce pas ? – parce que nous faisons des logiciels aujourd’hui en utilisant toute l’énergie et les neurones de gens qui ont grandi dans un monde qui a déjà été touché par tout cela. Richard et moi pouvons avoir l’air un peu vieux jeu.

GM : Et donc quelle est la solution que vous proposez ?

EM : Si nous avions une classification des services qui soit véritablement défendable intellectuellement, nous nous rendrions compte qu’un grand nombre d’entre eux qui sont aujourd’hui hautement centralisés, et qui représentent une part importante de la surveillance contenue dans la société vers laquelle nous nous dirigeons, sont en fait des services qui n’exigent pas une centralisation pour être technologiquement viables. En réalité ils proposent juste le Web dans un nouvel emballage.

Les applications de réseaux sociaux en sont l’exemple le plus flagrant. Elles s’appuient, dans leurs métaphores élémentaires de fonctionnement, sur une relation bilatérale appelée amitié, et sur ses conséquences multilatérales. Et elles sont complètement façonnées autour de structures du Web déjà existantes. Facebook c’est un hébergement Web gratuit avec des gadgets en php et des APIs, et un espionnage permanent – pas vraiment une offre imbattable.

Voici donc ce que je propose : si nous pouvions désagréger les journaux de connexion, tout en procurant aux gens les mêmes fonctionnalités, nous atteindrions une situation Pareto-supérieure. Tout le monde – sauf M. Zuckerberg peut-être – s’en porterait mieux, et personne n’en serait victime. Et nous pouvons le faire en utilisant ce qui existe déjà.

Le meilleur matériel est la SheevaPlug, un serveur ultra-léger, à base de processeur ARM (basse consommation), à brancher sur une prise murale. Un appareil qui peut être vendu à tous, une fois pour toutes et pour un prix modique ; les gens le ramènent à la maison, le branchent sur une prise électrique, puis sur une prise réseau, et c’est parti. Il s’installe, se configure via votre navigateur Web, ou n’importe quelle machine disponible au logis, et puis il va chercher toutes les données de vos réseaux sociaux en ligne, et peut fermer vos comptes. Il fait de lui-même une sauvegarde chiffrée vers les prises de vos amis, si bien que chacun est sécurisé de façon optimale, disposant d’une version protégée de ses données chez ses amis.

Et il se met à faire toutes les opérations que nous estimons nécessaires avec une application de réseau social. Il lit les flux, il s’occupe du mur sur lequel écrivent vos amis – il rend toutes les fonctionnalités compatibles avec ce dont vous avez l’habitude.

Mais le journal de connexion est chez vous, et dans la société à laquelle j’appartiens au moins, nous avons encore quelques vestiges de règles qui encadrent l’accès au domicile privé : si des gens veulent accéder au journal de connexion ils doivent avoir une commission rogatoire. En fait, dans chaque société, le domicile privé de quelqu’un est presque aussi sacré qu’il peut l’être.

Et donc, ce que je propose basiquement, c’est que nous construisions un environnement de réseau social reposant sur les logiciels libres dont nous disposons, qui sont d’ailleurs déjà les logiciels utilisés dans la partie serveur des réseaux sociaux; et que nous nous équipions d’un appareil qui inclura une distribution libre dont chacun pourra faire tout ce qu’il veut, et du matériel bon marché qui conquerra le monde entier que nous l’utilisions pour ça ou non, parce qu’il a un aspect et des fonctions tout à fait séduisantes pour son prix.

Nous prenons ces deux éléments, nous les associons, et nous offrons aussi un certain nombre d’autres choses qui sont bonnes pour le monde entier. Par exemple, pouvoir relier automatiquement chaque petit réseau personnel par VPN depuis mon portable où que je sois, ce qui me procurera des proxies chiffrés avec lesquels mes recherches sur le Web ne pourront pas être espionnées. Cela signifie que nous aurons des masses d’ordinateurs disponibles pour ceux qui vivent en Chine ou dans d’autres endroits du monde qui subissent de mauvaises pratiques. Ainsi nous pourrons augmenter massivement l’accès à la navigation libre pour tous les autres dans le monde. Si nous voulons offrir aux gens la possibilité de profiter d’une navigation anonymisée par un routage en oignon, c’est avec ce dispositif que nous le ferons, de telle sorte qu’il y ait une possibilité crédible d’avoir de bonnes performances dans le domaine.

Bien entendu, nous fournirons également aux gens un service de courriels chiffrés – permettant de ne pas mettre leur courrier sur une machine de Google, mais dans leur propre maison, où il sera chiffré, sauvegardé chez tous les amis et ainsi de suite. D’ailleurs à très long terme nous pourrons commencer à ramener les courriels vers une situation où, sans être un moyen de communication privée, ils cesseront d’être des cartes postales quotidiennes aux services secrets.

Nous voudrions donc aussi frapper un grand coup pour faire avancer de façon significative les libertés fondamentales numériques, ce qui ne se fera pas sans un minimum de technicité.

GM : Comment allez-vous organiser et financer un tel projet, et qui va s’en occuper ?

EM : Avons-nous besoin d’argent ? Bien sûr, mais de petites sommes. Avons-nous besoin d’organisation ? Bien sûr, mais il est possible de s’auto-organiser. Vais-je aborder ce sujet au DEF CON cet été, à l’Université de Columbia ? Oui. Est-ce que M. Shuttleworth pourrait le faire s’il le voulait ? Oui encore. Ça ne va pas se faire d’un coup de baguette magique, ça se fera de la manière habituelle : quelqu’un va commencer à triturer une Debian ou une Ubuntu ou une autre distribution, et va écrire du code pour configurer tout ça, y mettre un peu de colle et deux doigts de Python pour que ça tienne ensemble. D’un point de vue quasi capitaliste, je ne pense pas que ce soit un produit invendable. En fait, c’est un produit phare, et nous devrions en tout et pour tout y consacrer juste un peu de temps pour la bonne cause jusqu’à ce que soit au point.

GM : Comment allez-vous surmonter les problèmes de masse critique qui font qu’on a du mal à convaincre les gens d’adopter un nouveau service ?

EM : C’est pour cela que la volonté constante de fournir des services de réseaux sociaux interopérables est fondamentale.

Pour le moment, j’ai l’impression que pendant que nous avancerons sur ce projet, il restera obscur un bon moment. Les gens découvriront ensuite qu’on leur propose la portabilité de leur réseau social. Les entreprises qui gèrent les réseaux sociaux laissent en friche les possibilités de leurs propres réseaux parce que tout le monde veut passer devant M. Zuckerberg avant qu’il fasse son introduction en bourse. Et c’est ainsi qu’ils nous rendront service, parce qu’ils rendront de plus en plus facile de réaliser ce que notre boîte devra faire, c’est-à-dire se connecter pour vous, rapatrier toutes vos données personnelles, conserver votre réseau d’amis, et offrir tout ce que les services existants devraient faire.

C’est comme cela en partie que nous inciterons les gens à l’utiliser et que nous approcherons la masse critique. D’abord, c’est cool. Ensuite, il y a des gens qui ne veulent pas qu’on espionne leur vie privée. Et puis il y a ceux qui veulent faire quelque chose à propos de la grande e-muraille de Chine, et qui ne savent pas comment faire. En d’autres termes, je pense qu’il trouvera sa place dans un marché de niches, comme beaucoup d’autres produits.

GM : Alors que le marché des mobiles est en train de décoller dans les pays émergents, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux demander aux téléphones portables de fournir ces services ?

EM : Sur le long terme, il existe deux endroits où vous pouvez raisonnablement penser stocker votre identité numérique : l’un est l’endroit où vous vivez, l’autre est dans votre poche. Et un service qui ne serait pas disponible pour ces deux endroits à la fois n’est probablement pas un dispositif adapté.

A la question « pourquoi ne pas mettre notre serveur d’identité sur notre téléphone mobile ? », ce que je voudrais répondre c’est que nos mobiles sont très vulnérables. Dans la plupart des pays du monde, vous interpellez un type dans la rue, vous le mettez en état d’arrestation pour un motif quelconque, vous le conduisez au poste, vous copiez les données de son téléphone portable, vous lui rendez l’appareil, et vous l’avez eu.

Quand nous aurons pleinement domestiqué cette technologie pour appareils nomades, alors nous pourrons commencer à faire l’inverse de ce que font les opérateurs de réseaux. Leur activité sur la planète consiste à dévorer de d’Internet, et à excréter du réseau propriétaire. Ils devront faire l’inverse si la technologie de la téléphonie devient libre. Nous pourrons dévorer les réseaux propriétaires et essaimer l’Internet public. Et si nous y parvenons, la lutte d’influence va devenir bien plus intéressante.




Dell doit cesser de proposer à reculons son offre GNU/Linux Ubuntu

Dell - UbuntuIl y a plus de trois ans déjà le célèbre constructeur d’ordinateurs Dell avait ouvert le site IdeaStorm qui invitait les internautes à soumettre des idées à la société.

Et quelle est la demande qui arriva loin devant ?

Je vous le donne en mille : pouvoir également acheter des machines avec GNU/Linux pré-installé dedans.

Dell, qui se veut à l’écoute de ses clients, a bien été obligé de s’exécuter et s’est donc mis à vendre en ligne des ordinateurs avec la distribution Ubuntu dedans.

Nous nous en étions fait l’écho dans ses deux articles : De la difficulté du Linux inside chez Dell et ailleurs par Mark Shuttleworth d’Ubuntu et Dell + GNU/Linux Ubuntu : Un mariage assumé et médiatisé qui m’émeut.

Le problème c’est que Dell n’a jamais véritablement assumé ce choix en enfouissant l’offre dans les tréfonds de son site et ne la proposant que sur un nombre restreints et peu puissants de modèles. C’est ce que vient nous rappeler ce blogueur américain ci-dessous qui demande à Dell de cesser l’hypocrisie.

Espérons que la prochaine imminente sortie de la version 10.4 Lucid Lynx LTS d’Ubuntu sera l’occasion d’être entendu. Parce que si l’on se restreint à la rubrique actuelle Ubuntu du site francophone de Dell, c’est vrai que c’est plus que décevant.

On est d’abord accueilli par un bandeau au slogan étrange : « Ubuntu, restez le meilleur ! ». Je n’avais déjà pas envie d’être le meilleur en utilisant des logiciels libres alors je ne vois pourquoi je voudrais le rester ! (en fait, je crois surtout qu’il s’agit d’une horrible traduction de « Ubuntu, keeps getting better! »)

Et puis tout de suite cette première phrase très anxiogène : « Ubuntu est-il fait pour vous ? ». S’ensuit alors une explication assez peu convaincante ma foi avec ce lien Windows ou Ubuntu ? où il est conseillé noir sur blanc de « choisir Windows si vous êtes novice dans le domaine informatique ».

Vous me direz que Dell ne fait sans doute que répondre à la perplexité de ses clients (qui pourraient effectivement se tromper). Vous me direz peut-être également qu’il ne faut pas faire la fine bouche et que personne n’oblige Dell à s’intéresser à GNU/Linux sachant que d’autres constructeurs continuent de l’ignorer royalement. Vous me direz enfin qu’il existe certainement des accord commerciaux confidentiels entre Dell et Microsoft qui nous échappent. Certes mais je reste tout de même d’accord avec notre blogueur : soit on décide de proposer enfin une réelle offre GNU/Linux, soit on laisse tomber.

Parce qu’en l’état actuel des choses, on en vient même à se demander si cette opération ne fait pas plus de tort que de bien à GNU/Linux, Ubuntu et Dell réunis.

Lettre ouverte à Dell concernant Ubuntu, ou « faites-le en grand ou bien lâchez l’affaire »

An open letter to Dell regarding Ubuntu, or “go big or go home”

Trent – 2 mars 2010 – The Linux Critic
(Traduction Framalang : Simon Descarpentries, Étienne et Mathieu Adoutte)

Cher Dell,

Jusqu’à présent vous n’avez offert qu’une poignée dérisoire d’options Ubuntu, et je confesse que je ne comprends pas bien pourquoi vous vous êtes donné cette peine.

À l’exception des deux ultra-portables qui vous proposez, je n’ai pas encore vu quoi que ce soit d’autre qui puisse indiquer que vous ayez l’intention de faire d’Ubuntu une véritable option pour vos clients.

Oh je sais… pendant un temps vous proposiez Ubuntu sur vos portables Inspirons 15n, et même sur vos XPS M1330 pendant un courte période, sur votre site web.

Mais ils étaient tous deux très limités en terme d’options de configuration matérielle (CPU, RAM). De même, le poste de travail que vous proposiez pendant un temps était un veau impotent comparé à ce qui est disponible ailleurs sur Dell.com

Et maintenant ? Eh bien maintenant il n’y a presque plus rien à commenter concernant Ubuntu sur Dell.com.

Pour citer ce que je vois sur votre page Ubuntu : « Une sélection de modèles peut désormais être livrée avec Ubuntu 9.10 ».

Par « Une sélection » vous entendez la liste suivante, basée sur ce qui est trouvable sur le site :

  • Nos deux ultra-portables cités précédemment ;
  • Le Vostro V13, un impuissant demi-portable qui, franchement, est une blague ;
  • Le Latitude 2100, qui est également un ultra-portable.

C’est tout ? Vraiment ?

« Mais il n’y a pas tant de demande que ça pour Ubuntu », vous entends-je presque répliquer.

Voyons cela. Vous enterrez ça sur votre site. Vous ne proposez que des épaves disponibles sous Ubuntu (comparé aux machines disponibles sous Windows).

Pas étonnant que vos ventes de machines sous Ubuntu soient faibles. En fait, je serais même surpris que vous vendiez quoi que ce soit vu comment vous vous y prenez.

Voici ce que je vous conseille. Cela risque de paraître un peu élitiste, mais j’ai acheté des ordinateurs récemment et ça m’a mis d’humeur taquine.

Comme je vois les choses, vous avez deux options :

1. Lâchez l’affaire

Sérieusement. Vous n’impressionnez personne avec ces offres Linux minables. Ceux qui s’intéressent suffisamment à Linux pour chercher (et trouver) les produits Ubuntu enterrés dans votre site se sentent insultés par ce qu’ils y trouvent, et vont simplement voir ailleurs, là où on ne leur proposera pas avec force langue de bois des ordures que la plupart des utilisateurs de Windows ne s’embêteraient pas à regarder de plus près (du point de vue du matériel).

2. Proposez Ubuntu sur des ordinateurs comparables à vos machines sous Windows 7

Faites-le en grand, ou bien lâchez l’affaire les gars. Votre micro-marketing pour une niche d’utilisateurs bernés niveau matériel est un échec, mais si vous joignez vraiment le geste à la parole, vous gagnerez les coeurs et les esprits, et vous éviterez la plupart des critiques venant de la communauté Open Source, pour ce que ça vaut.

De plus, en l’absence de la Taxe Windows, un ordinateur sous Ubuntu devrait permettre aux acheteurs de constater qu’un ordinateur, à matériel égal, vendu sans Windows, coûte quelque centaines d’euro MOINS cher, ce qui signifie qu’ils seront plus enclin à acheter des accessoires parmi ceux sur lesquels vous insistez lourdement, sur votre site.

Sérieusement, ce qu’il y a jusqu’ici sur votre site est tout simplement insultant. Abandonnez Ubuntu complètement ou bien passez aux choses sérieuses.

Désolés les gars, mais quelqu’un se devait de vous le dire. Vous ne vous rendez pas service, ici.

En vous remerciant,

Trent




Mark Shuttleworth d’Ubuntu n’est pas motivé par la haine de Microsoft

Ubuntu - Nouveau LogoC’est non seulement une habitude mais l’une des nombreuses originalités de la célèbre distribution GNU/Linux : tous les six mois Ubuntu sort sa nouvelle version, qui, faisant de plus en plus d’adeptes, est logiquement de plus en plus attendue.

La prochaine version 10.04 LTS[1] se prénomme Lucid Lynx et est prévue pour le mois prochain. Elle promet beaucoup. Mais elle promet aussi d’être l’amie des trolls 😉

Il faut dire que lorsque l’on occupe la place enviée et reconnue qui est la sienne dans la communauté (notoriété grand public incluse), on s’expose inévitablement à des critiques. Mais il faut également reconnaître qu’un certain nombre d’annonces récentes ont pu parfois jeter le trouble, en particulier chez ceux qui sont moins attachés à l’open source qu’au logiciel libre.

De là à craindre que Canonical, la société créée par Mark Shuttleworth pour développer et soutenir Ubuntu, se transforme en une sorte de nouveau Microsoft, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons certainement pas.

Se contentant de lister quelque éléments selon lui sujets à caution, c’est un pas que n’a cependant pas hésité à franchir un dénommé Alan Lord sur son blog, dans un court et lapidaire billet intitulé explicitement Is Canonical Becoming The New Microsoft?[2].

Et cela n’a évidemment pas loupé, le billet a généré très rapidement une centaine de commentaires divers et variés, nécessairement orientés par ce titre choc.

Le journaliste Sam Varghese a alors jugé bon de contacter Mark Shuttleworth pour avoir son avis dans un article publié sur le site iTWire que vous proposons traduit ci-dessous[3].

PS : Notons que dans l’intervalle, Ubuntu a également révélé sa nouvelle charte graphique et son nouveau logo (ci-dessus). Personnellement j’aime bien, même si je note la disparition apparente du slogan « Linux for Human Beings », qui était peut-être maladroit mais avait le mérite d’évoquer Linux. La confusion entre les deux ou l’aspiration de l’un par l’autre risquent de se faire plus grande encore.

Mark Shuttleworth : « Ma motivation, ce n’est pas la haine de Microsoft. »

I’m not driven by Microsoft hatred: Shuttleworth

Sam Varghese – 15 février 2010 – iTWire
(Traduction Framalang : Don Rico et Simon Descarpentries)

Mark Shuttleworth, fondateur et directeur général de la société Canonical, déclare que s’il a créé sa distribution GNU/Linux Ubuntu, ce n’est en aucun cas par animosité envers Microsoft.

Il a répondu aux questions d’ITWire concernant un récent billet de blog dont l’auteur accusait Canonical de devenir le nouveau Microsoft.

« J’admire plusieurs des accomplissements de Microsoft. J’estime qu’il est tout aussi détestable de diaboliser les employés d’une entreprise que des gens pour leur couleur de peau, leur nationalité ou toute autre particularité » explique Shuttleworth.

« Microsoft se livre toutefois à d’inacceptables abus de position dominante, et je suis fier qu’Ubuntu offre au monde un réel choix entre la servitude continue et la liberté utile, sûre et authentique. »

« Cela dit, mon rôle n’est pas de punir Microsoft, ni de les haïr ; je suis là pour proposer une meilleure voie, si je le peux. Ce sera dur, mais nous le pouvons. Et, dans les cas où nous partageons une cause commune, je travaille volontiers avec Microsoft. Il est possible que ce soit difficile à concevoir pour ceux qui pensent que la vie est plus facile à appréhender si on a un ennemi pour justifier sa cause, mais à mon sens ce comportement conduit au sectarisme, nuit aux résultats et nous empêche de corriger les erreurs du passé. »

Dans son billet, l’auteur énumérait les raisons pour lesquelles Ubuntu devenait d’après lui le nouveau Microsoft : l’intégration de Mono par défaut, la création d’Ubuntu One (un outil propriétaire de stockage en ligne), le retrait de GIMP et d’autres logiciels de la distribution, le passage à Yahoo! comme moteur de recherche par défaut, une enquête visant à savoir quelles applications propriétaires devaient être incluses dans les dépôts d’Ubuntu, et enfin, la nomination de Matt Asay au poste de PDG.

Sans entrer dans les détails concernant chacun de ces points, Shuttleworth indique cependant que « toutes les questions abordées dans le billet que vous mentionnez ont été consciencieusement débattues sur des forums publics. Les gens de chez Canonical et les animateurs de la communauté Ubuntu y ont, je crois, présenté nos intentions sans faux-semblant. »

« Chacune de nos décisions affectant nos utilisateurs auront leurs détracteurs et leur partisans, » a-t-il ajouté, « mais c’est notre volonté de maintenir le cap face au changement qui confère à notre plateforme son dynamisme et sa pertinence, et nous ne nous soustrairons pas à cette responsabilité. »

Shuttleworth explique que son objectif personnel, ainsi que celui de tous ses collaborateurs chez Canonical, est d’apporter les avantages du logiciel libre au plus grand nombre. « C’est ce qui est au cœur de notre motivation, et à maintes reprises nous avons dû employer des chemins détournés pour rester cohérents avec ce principe. »

Il précise que la grande majorité du travail produit par Canonical est mis à la disposition de tous sous licence libre. « Y compris des éléments de nature éminemment stratégique, tel que Launchpad, qui est publié sous une licence compatible avec les réflexions les plus récentes concernant les services internet libres. Nos réalisations propriétaires n’impliquent jamais qu’il faille installer des outils fermés de Canonical dans Ubuntu, se limitent à des services réseau, permettent de promouvoir tout le reste, et restent totalement optionnelles pour les utilisateurs d’Ubuntu. C’est une pratique que l’on retrouve sur d’autres plateformes. »

En conclusion, Mark Shuttleworth affirme être très fier de ce qu’apporte Canonical à la communauté du logiciel libre. « Si nous rencontrons autant de succès que je le souhaite, alors le monde aura pour la première fois une plateforme de qualité professionnelle disponible gratuitement pour tous. Ce qui n’est pas le cas avec les acteurs dominants du marché Linux. Je me consacre corps et âme à ce but, et j’apprécie énormément de partager cette cause avec des milliers d’autres au sein de la communauté Ubuntu. »

« Travailler en partenariat avec Yahoo! n’a jamais, à ma connaissance, induit la moindre négociation avec Microsoft. Et nous n’accepterons pas les conditions de Microsoft en matière de licence de propriété intellectuelle, comme le fit Novell. En revanche, si nous pouvons collaborer de façon constructive avec Microsoft, Oracle ou IBM, lesquels incluent une grande quantité de code propriétaire dans leurs produits, il est certain que nous nous engagerons de façon ouverte et de bonne foi. Je suis convaincu que nous le ferons avec le soutien sans faille des responsables de la communauté Ubuntu. »

Notes

[1] Une version LTS (pour « Long Term Support ») garantit aux utilisateurs, constructeurs et assembleurs, une maintenance et un suivi sur plusieurs années.

[2] On notera qu’Alan Lord a fait depuis amende honorable.

[3] Edit : Alan Lord est intervenu dans les commentaires ci-dessous, en nous signalant notamment la mise au point suivante concernant l’article du journaliste : Sam Varghese Got It Wrong?.




Toute recherche scientifique digne de ce nom doit ouvrir son code informatique

TenSafeFrogs - CC byVoici un récent article du Guardian qui tourne paradoxalement autour du logiciel libre et des formats ouverts mais sans véritablement les nommer.

Nous avons cependant jugé qu’il avait son intérêt dans la mesure où la science et la recherche ont désormais de plus en plus recourt à l’informatique pour traiter des données et en tirer analyses et conclusions[1].

Or comment voulez-vous que l’on puisse valider les résultats si les applications utilisées sont propriétaires ou si les chercheurs eux-mêmes ne mettent pas le code de leur programme à disposition ?

L’article s’appuie sur la récente affaire dite du « Climategate » qui a fait grand bruit outre-Manche (et étrangement peu de cas chez nos grands médias français).

Quand recherche sérieuse rime avec libération du code informatique

If you’re going to do good science, release the computer code too

Darrel Ince – 5 février 2010 – The Guardian
(Traduction Framalang : Kovalsky et Olivier)

Les programmes informatiques prennent chaque jour plus de place dans le travail scientifique. Mais partie prenante dans les conditions de l’expérience vous devez pouvoir les vérifier comme en atteste la bataille qui se joue autour des données sur le changement climatique.

On retiendra de l’affaire concernant la révélation publique des e-mails et des documents de l’Unité de Recherche Climatique de l’Université d’East Anglia qu’ils mettent en lumière le rôle du code informatique dans la recherche climatique. Il y a notamment une série de « README » produite par un programmeur de l’UEA connu sous le nom de « Harry ». Ces notes sont celles de quelqu’un qui lutte avec du code ancien non-documenté, et des données manquantes. Et pourtant, on parle bien d’un élément de l’une des trois bases de données climatiques principales dont se sont servis les chercheurs du monde entier pour en tirer analyses et conclusions.

Beaucoup de scientifiques du climat ont refusé de publier leur programme informatique. À mes yeux, ça n’est ni scientifique, ni responsable, parce que les logiciels scientifiques sont réputés pour leur manque de fiabilité.

L’Histoire nous a appris à ne pas faire une confiance aveugle aux logiciels scientifiques. Par exemple le Professeur Les Hatton, un expert international en tests logiciels, résident de l’Université du Kent et de Kingston, a mené une analyse approfondie de plusieurs millions de lignes de code scientifique. Il a montré que les logiciels présentaient un nombre exceptionnellement élevé d’erreurs détectables.

Par exemple, les erreurs de communication entre les modules de logiciels qui envoient les données d’une partie d’un programme à une autre se produisent à une fréquence de 1 pour 7 communications en moyenne dans le langage de programmation Fortran, et de 1 pour 37 communications dans le langage C. C’est d’autant plus inquiétant qu’une seule et unique erreur est susceptible d’invalider un programme informatique. Plus grave encore, il a découvert que la précision des résultats chute de six chiffres significatifs à un chiffre significatif après traitement par certains programmes.

Les travaux d’Hatton et d’autres chercheurs indiquent que les logiciels scientifiques sont souvent de mauvaise qualité. Il est stupéfiant de constater que cette recherche a été menée sur des logiciels scientifiques commerciaux, produits par des ingénieurs logiciels soumis à un régime de tests, d’assurance qualité et à une discipline de contrôle des modifications plus connue sous le nom de gestion de configuration.

À l’opposé, les logiciels scientifiques développés dans nos universités et nos instituts de recherches sont souvent produits, sans assurance qualité, par des scientifiques qui n’ont pas de formation en ingénierie logicielle et donc, sans aucun doute, l’occurence des erreurs sera encore plus élevée. Les fichiers « Harry ReadMe » de l’Unité de Recherche Climatique sont une preuve flagrante de ces conditions de travail. Ils résument les frustrations d’un programmeur dans sa tentative de conformer ses séries de données à une spécification.

Le code informatique est au coeur d’un problème scientifique. La science se définit par sa potentielle remise en cause : si vous érigez une théorie et que quelqu’un prouve qu’elle est fausse, alors elle s’écroule et on peut la remplacer. C’est comme cela que fonctione la science : avec transparence, en publiant chaque détail d’une expérience, toutes les équations mathématiques ou les données d’une simulation. Ce-faisant vous acceptez et même encouragez la remise en question.

Cela ne semble pas être arrivé dans la recherche climatique. De nombreux chercheurs ont refusé de publier leur programme informatique, même ceux qui sont encore utilisés et qui ne sont pas sujet à des accords commerciaux. Le Professeur Mann, par exemple, refusa tout d’abord de fournir le code, employé pour construire en 1999 le graphique en cross de hockey, qui a démontré que l’impact de l’homme sur le réchauffement climatique est un artefact unique de la dernière décennie (il l’a finalement publié en 2005).

La situation n’est pas aussi désastreuse pour tous les travaux académiques. Certaines revues, économiques et économétriques par exemple, imposent que l’auteur soumette ses données et ses programmes au journal avant publication. Un cas fondamental en mathématiques a également fait parler de lui : la preuve « par ordinateur » de la conjoncture des quatre couleurs par Appel et Haken. Cette démonstration a partagé la communauté scientifique puisque pour la première fois le problème de la validation du théorème s’est trouvé déplacé vers le problème de la validation de l’algorithme d’exploration et de sa réalisation sous forme de programme. Bien que critiquée pour son manque d’élégance, la preuve n’en était pas moins correcte et le programme informatique, publié et donc vérifiable.

Des organismes et des individus, ralliés à l’idée du quatrième paradigme, attachent beaucoup d’importance au problème de l’informatique scientifique à grande échelle et à la publication des données. C’était l’idée de Jim Gray, un chercheur expérimenté de Microsoft, qui a identifié le problème bien avant le Climategate. Actuellement, la recherche consacrée aux mécanismes qui pourraient faire du Web un dépôt pour les publications scientifiques est très active, elle englobe également les logiciels et la formidable quantité de données qu’ils consomment et génèrent. Un certain nombre de chercheurs mettent au point des systèmes qui montrent le progrès d’une idée scientifique, des premières ébauches d’idées jusqu’à la publication papier[2]. Les problèmes rencontrées avec la recherche climatique apporteront un élan à ce travail pour qu’il soit accéléré.

Donc, si vous publiez des articles de recherche qui s’appuient sur des programmes informatiques, si vous prétendez faire de la science mais que vous refusez de publier les programmes en votre possession, je ne peux vous considérer comme un scientifique. J’en irais même jusqu’à dire qu’à mes yeux les publications basées sur ces programmes seront nulles et non avenues.

Je trouve incroyable qu’une faute de frappe puisse être à l’origine d’une erreur dans un programme, un programme qui pourrait à son tour être à l’origine de décisions portant sur des milliards d’euros, et le pire, c’est que la fréquence de ces erreurs est élevée. Les algorithmes (ou copules gaussiennes), sur lesquels se sont appuyées les banques pour s’assurer que les crédits sub-prime étaient sans risque pour eux, ont été publiées. La facture était salée. La facture du changement climatique sera aussi élevée. Raison de plus pour qu’aucune erreur dans les calculs ne soit tolérée là non plus.

Notes

[1] Crédit photo : TenSafeFrogs (Creative Commons By)

[2] Voir à ce sujet l’article du Framablog : Première démonstration « open source » d’un théorème mathématique.




Logiciel Libre : la Guerre Mondiale aura bien lieu

The U.S. Army - CC byUn évènement d’importance est passé totalement inaperçu la semaine dernière du côté des médias francophones (à l’exception notable de Numerama). Il faut dire qu’à priori cela ne nous concerne pas puisqu’il oppose un lobby américain à l’état indonésien.

Et pourtant, à l’heure de la mondialisation (de moins en moins heureuse), cet épisode est riche d’enseignements et annonce peut-être la fin de l’enfance et de l’innocence pour le logiciel libre.

« Ils » veulent la guerre économique et politique ? Alors ils l’auront ! Et tant qu’Internet demeurera neutre et ouvert, « nous » ne sommes en rien assurés de la perdre, quand bien même nous n’ayons pas la puissance financière de notre côté et la capacité à mobiliser un bataillon des meilleurs avocats à notre service[1].

En perdant un brin notre sang-froid, nous pourrions presque qualifier cela de « Choc des Civilisations 2.0 » !

Plantons le décor de ce qui ressemble au départ à une information trop grosse pour être vraie.

Compagnies aériennes, paradis fiscaux, organisations terroristes… nombreuses sont les listes noires, émanant d’organismes divers et variés (nationaux ou internationaux, publics ou privés). Ainsi en va-t-il du « Special 301 Report » qui provient du bureau s’occupant officiellement de la politique commerciale internationale des États-Unis (The Office of the United States Trade Representative ou USTR).

Ce rapport vise à examiner chaque année la situation de la protection et de l’application des droits de la « propriété intellectuelle » à l’échelle mondiale. Il classe ainsi les pays en trois catégories : « surveillance en priorité » (on y retrouve en 2009 par exemple la Chine, la Russie et, plus surprenant, le Canada), « surveillance inférieure » et les autres, les bons élèves (cf cette mappemonde Wikipédia).

C”est un instrument de la politique économique internationale des États-Unis, et gare à vous si vous êtes en haut de la pyramide. Parce que vous fabriquez de fausses chaussures Nike, parce que vous produisez des médicaments sans y avoir autorisation, parce que vous proposez, dans la rue ou sur vos serveurs, des versions « piratés » de tel film, musique ou logiciel, etc.

Que la contrefaçon, la copie illégale, le non respect des brevets… fassent du tort à une économie américaine qui repose beaucoup sur l’exploitation de sa « propriété intellectuelle » et constituent par là-même un grand manque à gagner, nul ne le conteste. Qu’adossés à l’USTR on trouve un certain nombre d’associations qui agissent comme des lobbys en poussant le gouvernement américain à faire pression sur les pays incriminés pour qu’ils prennent les mesures nécessaires afin d’améliorer la situation, c’est de bonne guerre, d’autant que l’on connait l’influence et la force de persuasion des États-Unis dans la géopolitique internationale.

Mais que, tenez-vous bien, la volonté d’un état à développer le logiciel libre dans son pays en fasse un ennemi des intérêts américains de la « propriété intellectuelle » propre à vouloir le faire figurer en bonne place dans le « Special 301 Report », c’est nouveau, c’est scandaleux, et c’est ô combien révélateur des craintes, pour ne pas dire de la panique, qu’il suscite désormais dans l’économie « traditionnelle » de la connaissance.

C’est pourtant ce que n’a pas hésité à suggérer la très sérieuse et puissante International Intellectual Property Alliance (ou IIPA), coalition d’associations représentants les plus grandes multinationales des secteurs de la culture, du divertissement et des nouvelles technologies. On y retrouve ainsi le RIAA pour l’industrie musicale (Universal, Warner…), le MPAA pour le cinéma (Walt Disney, Paramount…), l’IFTA pour la télévision, l’ESA pour le jeu vidéo (Electronic Arts, Epic Games…) sans oublier la BSA pour l’informatique (Apple, Microsoft…).

Donc ici l’Inde, la Brésil et surtout l’Indonésie sont pointés du doigt pour la simple et (très) bonne raison qu’ils souhaitent favoriser l’usage du logiciel libre au sein de leur administration ! Vous avez bien lu, mis à l’index non pas parce qu’on veut l’imposer (ce qui aurait pu alors se discuter) mais juste parce qu’on souhaite l’encourager !

Plus c’est gros mieux c’est susceptible de passer, comme dirait le dicton populaire. Mais quels sont alors les (pseudos) arguments avancés ? Vous le saurez en parcourant l’article ci-dessous, traduit du journal anglais The Guardian.

On veut clairement nous abuser en nous faisant croire qu’il y a la « propriété intellectuelle » d’un côté et le logiciel libre de l’autre (qui tel Attila détruirait toute valeur marchande sur son passage). C’est de la propagande économique mais ne nous y trompons pas, c’est également éminemment politique puisque derrière cette initiative se cache une certaine conception du libéralisme et du rôle des états, où vieille Europe et monde anglo-saxon ne sont d’ailleurs pas forcément toujours sur la même longueur d’onde.

Cet épisode est évidemment à rapprocher avec ce qui se passe en ce moment du côté de l’ACTA.

L’ironie de l’histoire (outre le fait que le logiciel libre soit « né » aux USA), c’est que le Framablog passe son temps à patiemment ajouter des pays à sa propre liste blanche des institutions légitimement intéressées par les logiciels, les contenus et les formats libres et ouverts : Suisse, Angleterre, Canada, Brésil, Équateur, Amérique latine… sans oublier les États-Unis d’Obama qui n’en sont plus à un paradoxe près.

La liste est blanche pour certains et noire pour d’autres. Un nouvel échiquier se dessine, et la partie peut alors commencer…

Vous utilisez l’open source ? Vous êtes un ennemi de la nation !

When using open source makes you an enemy of the state

Bobbie Johnson – 23 Février 2010 – The Guardian Blog Technology
(Traduction Framalang : Tinou et Goofy)

Le lobby du copyright aux États-Unis s’est longtemps battu contre les logiciels open source – c’est maintenant au tour de l’Indonésie d’être dans la ligne de mire pour avoir poussé à leur utilisation dans les institutions gouvernementales.

Nous ne sommes que mardi, et cette semaine s’est déjà révélée intéressante pour les droits numériques. Le gouvernement britannique a reformulé sa proposition controversée de riposte graduée, et le traité secret de lutte contre la contrefaçon, l’ACAC (NdT : ou ACTA en anglais), fait de nouveau les gros titres. Pendant ce temps, un juge américain est encore en train de délibérer dans l’affaire Google Books.

Et comme si cela ne suffisait pas, voilà une nouvelle pierre à ajouter à l’édifice branlant des dernières nouvelles, grâce à Andres Guadamuz, professeur de droit à l’université d’Édimbourg.

Suite à des recherches, Guadamuz a découvert qu’un lobby influent demande, en substance, au gouvernement des États-Unis de considérer l’open source comme l’équivalent de la piraterie — voire pire.

Pardon ?

Il apparaît que l’Alliance Internationale pour la Propriété Intellectuelle (NdT : International Intellectual Property Alliance ou IIPA en anglais), groupe qui allie des organisations comme la MPAA et la RIAA, a demandé au représentant américain au commerce d’envisager d’inclure des pays comme l’Indonésie, le Brésil et l’Inde dans sa « Liste de surveillance n°301 », parce qu’ils utilisent des logiciels libres.

Qu’est-ce que la « Liste de surveillance n°301 » ? C’est un rapport sur « le respect réel de la propriété intellectuelle » dans le monde – en réalité une liste de pays que le gouvernement des États-Unis considère comme des ennemis du capitalisme. Elle est souvent utilisée comme moyen de pression commerciale — souvent dans le domaine de l’industrie pharmaceutique et de la contrefaçon — pour essayer de forcer les gouvernements à changer d’attitude.

On pourrait avancer qu’il n’est pas surprenant de la part du représentant américain au commerce — supposé militer pour un capitalisme de l’économie de marché — de ne pas aimer pas les logiciels libres, mais la situation n’est pas aussi simple.

Je sais bien qu’on a tendance à rattacher l’open source aux idéaux socialistes, mais je pense aussi que c’est un exemple de l’économie de marché en action. Quand les entreprises ne peuvent pas jouer contre des concurrents écrasants, elles contournent le problème et trouvent d’autres moyens de réduire les coûts pour rester dans la course. La plupart des logiciels libres, qui n’appartiennent pas à des états, se contentent de pousser la logique de la réduction du coût jusqu’à son terme et se servent de la gratuité comme d’un bâton pour taper sur la concurrence (iriez-vous accuser Google, dont le produit phare est gratuit, d’être anti-capitaliste ?).

Ceci dit, dans les pays où le gouvernement a légiféré en faveur de l’adoption de logiciels libres et/ou open source, cette tactique ne manque pas de cohérence, puisqu’elle attaque des acteurs comme Microsoft. Mais ce n’est pas tout.

Là où ça devient intéressant, c’est que Guadamuz a découvert que les gouvernements n’ont même pas besoin de légiférer. Une simple recommandation suffit.

L’année dernière, par exemple, le gouvernement indonésien a envoyé une circulaire à tous ses ministères et aux entreprises nationales, les incitant à utiliser des logiciels libres. Selon l’IIPA, il « encourage les agences gouvernementales à utiliser des logiciels libres ou open source, avec l’objectif d’en avoir terminé le déploiement fin 2011. On aboutira ainsi, selon la circulaire, à un usage légitime de logiciels libres, ainsi qu’à une réduction générale des coûts en logiciel ».

Rien de grave là-dedans, non ? Après tout, le gouvernement britannique a déclaré qu’il mettrait le turbo sur l’usage de logiciel open source.

Mais l’IIPA suggère que l’Indonésie mérite sa place sur la liste n°301 parce qu’encourager (et non forcer) de telles initiatives « affaiblit l’industrie du logiciel » et « ne contribue pas au respect des droits relatifs à la propriété intellectuelle ».

Extraits de la recommandation :

« La politique du gouvernement indonésien (…) affaiblit l’industrie du logiciel et sabote sa compétitivité à long terme en créant une préférence artificielle pour des sociétés qui proposent des logiciels open source et des services dérivés, et va même jusqu’à refuser l’accès du marché gouvernemental à des entreprises reconnues.

Au lieu de promouvoir un système qui permettrait aux utilisateurs de bénéficier de la meilleure solution disponible sur le marché, indépendamment du modèle de développement, elle encourage un état d’esprit qui ne reconnaît pas à sa juste valeur la création intellectuelle.

Ainsi, elle échoue à faire respecter les droits liés à la propriété intellectuelle et limite également la capacité du gouvernement ou des clients du secteur public (comme par exemple les entreprises nationales) à choisir les meilleures solutions. »

Oublions que cet argument ne tient pas compte du grand nombre d’entreprises qui prospèrent autour du modèle du logiciel open source (RedHat, WordPress et Canonical, pour ne citer qu’eux). Au-delà de ça, voici ce qui me paraît stupéfiant : il suffit de recommander des produits open source — produits qui peuvent être facilement taillés sur mesure sans affecter les règles définies par la licence — pour être accusé de vouloir tout « saboter ».

En fait, la mise en œuvre du respect de la propriété intellectuelle est souvent plus stricte dans la communauté open source, et ceux qui enfreignent les licences ou oublient d’attribuer les crédits à qui de droit sont souvent cloués au pilori.

Si ce que vous lisez vous met hors de vous, vous avez raison. C’est abracadabrant. Mais l’IIPA et l’USTR n’en sont pas à leur coup d’essai : il y a quelques années, ils ont mis le Canada sur leur liste des pays à surveiller en priorité.

Notes

[1] Crédit photo : The U.S. Army (Creative Commons By)




Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ?

The unnamed - CC by-saBruce Byfield est un journaliste américain que nous avons souvent traduit sur le Framablog.

Il nous livre ici une sorte de témoignage confession autour de cette simple question : Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ? Une question qui, vers la fin, en cache une autre : Pourquoi le logiciel libre n’est-il pas important pour les autres ?

La réponse m’a alors fait fortement penser à l’Allégorie de la caverne de Platon parce que « pour une grande majorité, le Libre contraste tellement avec ce qu’ils connaissent qu’ils peinent à concevoir que cela existe »[1].

Mais je ne vous en dis pas plus…

Pourquoi les 4 libertés du logiciel sont plus importantes que jamais pour les Linuxiens

Why ‘Free as in Freedom’ is More Important Than Ever for Linux Users

Bruce Byfield – 17 novembre 2009 – LinuxPlanet.com
(Traduction Framalang : Don Rico)

Une marionnette heureuse de sa condition

La Free Software Foundation organise un concours de vidéos sur le thème « Pourquoi le logiciel libre est-il important pour vous ? » C’est une question qui tombe à point nommé, en raison, d’une part, de la récente sortie de Windows 7, et d’autre part des bisbilles au sein de la communauté du Libre qui ont tellement gagné en virulence que ses partisans semblent en passe d’oublier leur objectif commun.

Je n’ai pas le talent pour monter une vidéo, mais ce concours m’a poussé à m’interroger : Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ? Pourquoi la plupart de ceux qui m’entourent s’en soucient comme d’une guigne ? Ces deux questions sont plus intimement liées qu’on pourrait le croire au premier abord.

Une changement de logiciel et de relations

À certains égards, il m’est plus facile d’expliquer ce qui ne présente pas d’intérêt pour moi dans le logiciel libre que ce qui en présente. Par exemple, le code que j’écris se limite à des modifications d’un code existant, aussi avoir accès au code source n’est pour moi qu’un avantage indirect.

De la même manière, être journaliste spécialisé dans le domaine du logiciel libre ne présente que peu de bénéfices pour moi. J’aurais davantage de débouchés et de lecteurs si j’écrivais des rubriques sur le matériel, Windows, et même OS X.

La gratuité du logiciel m’importe peu elle aussi, car depuis des années je peux défalquer le prix des logiciels acquis de ma déclaration de revenus. D’ailleurs, utiliser des logiciels libres et gratuits est même un désavantage lorsque je déclare mes impôts, car j’ai moins de frais professionnels à déduire.

Je ne peux même pas avancer l’argument que je voue une vive haine à Microsoft – mon sentiment envers cette entreprise est plus une grande méfiance et le désir d’avoir le moins possible affaire à elle.

Microsoft a néanmoins contribué à me pousser vers le logiciel libre. Un mois à peine après l’acquisition de ma première machine, je pestais déjà contre les carences du DOS, que j’ai remplacé par 4DOS. 4DOS était alors un partagiciel (à l’époque, quasi personne ne connaissait l’existence des logiciels libres) et ses fonctionnalités plus riches m’ont appris que le prix de vente d’un programme n’avait rien à voir avec sa qualité.

C’est aussi cette recherche de qualité qui m’a conduit à préférer OS/2 à Windows 3.0, et à vouloir être en mesure de bidouiller mes logiciels.

L’abandon d’OS/2 par IBM sous la pression de Microsoft m’a fourni un enseignement supplémentaire : je ne pouvais compter sur une entreprise commerciale pour protéger mes intérêts en tant que client. Lorsque j’ai découvert le logiciel libre, je me suis aussitôt rendu compte que mes intérêts en tant qu’utilisateur seraient sans doute mieux protégés par une communauté. Au moins, la mise à disposition du code source réduisait les risques que l’on cesse de veiller à mes intérêts.

Au cours des dix dernières années, l’évolution du monde des affaires et de la technologie n’a fait que renforcer ces convictions. À une époque où primait le bon sens, les ordinateurs et internet auraient été construits à partir de standards élaborés de façon collaborative et soumis à la régulation des pouvoirs publics, comme la télévision et la radio l’ont été au Canada et en Europe. Hélas, l’informatique et l’internet étant apparus à l’ère où dominait le conservatisme américain, ils ont été développés pour leur majeure partie par des entreprises privées.

Le résultat ? Qualité discutable, obsolescence programmée, et absence quasi totale de contrôle par l’utilisateur. Les utilisateurs de Windows et de Mac OS X ne possèdent même pas les logiciels qu’ils achètent, on leur accorde seulement un licence pour les utiliser. D’après les termes de ces licences, ils n’ont même pas le droit de contrôler l’accès que peuvent avoir Microsoft ou Apple à leur matériel ou à leurs données.

Du point de vue du consommateur, une telle situation serait inacceptable avec n’importe quel appareil. Qui tolérerait pareilles restrictions si elles s’appliquaient aux voitures ou aux cafetières électriques ?

La véritable liberté

Dans le domaine de l’informatique et de l’internet, pourtant, la situation est quasi catastrophique. Les ordinateurs pourraient être le plus formidable outil de tous les temps pour la promotion de l’éducation et de la liberté d’expression. De temps à autre, les entreprises propriétaires reconnaissent par un petit geste ce potentiel en créant des logiciels éducatifs ou en vendant leurs produits à bas prix aux pays en voie de développement.

Pourtant, dans la plupart des cas, ce potentiel n’est exploité au mieux qu’à 50% par les logiciels propriétaires. Leur coût élevé et l’absence de contrôle par l’utilisateur signifient que l’accès à ces outils reste bridé et filtré par leurs fabricants. À cause d’un hasard de l’Histoire, nous avons laissé des entreprises commerciales utiliser ces technologies, ce qui est bien sûr tout à fait acceptable, mais aussi avoir le contrôle sur tous ceux qui comme eux les utilisent.

Le logiciel libre, lui, reprend une partie de ce contrôle aux entreprises commerciales et rend l’informatique et internet plus accessibles à l’utilisateur moyen. Grâce aux logiciels libres, notre capacité à communiquer n’est plus restreinte par notre capacité financière à acquérir tel ou tel programme. Ce n’est pas la panacée, car le prix du matériel reste une barrière pour certains, mais il s’agit d’un pas de géant dans la bonne direction.

Pour résumer, le logiciel libre est une démocratisation d’une technologie privative. On retrouve cet esprit intrinsèque dans les communautés qu’il génère, dans lesquelles la norme est le bénévolat,le partage et la prise de décision collégiale. On le retrouve aussi dans l’utilisation de logiciels libres pour la création d’infrastructures dans les pays en développement, ou dans les initiatives que mènent l’Open Access Movement (NdT : Mouvement pour l’Accès Ouvert) pour affranchir les chercheurs universitaires des revues à accès restreint, de sorte que tout un chacun puisse les exploiter. En un mot, le logiciel libre, c’est un pas en avant pour atteindre les idéaux sur lesquels la société moderne devrait reposer.

On pourrait me rétorquer que d’autres causes, telles que la lutte contre la faim et la misère dans le monde, sont plus importantes, et je vous donnerais raison. Néanmoins, c’est une cause à laquelle je peux apporter ma modeste contribution. À mon sens, elle est non seulement importante, mais si essentielle pour les droits de l’homme et la liberté de la recherche que je peine à comprendre pourquoi elle n’est pas déjà universelle.

Hors du cadre de référence

Hélas, le logiciel libre ne peut se targuer que d’un nombre d’utilisateurs réduit, même si celui-ci augmente sans cesse. On cite souvent les monopoles, l’ampleur de la copie illégale, l’absence d’appui des constructeurs, les luttes intestines au sein des communautés et l’hostilité envers les non-initiés, pour expliquer pourquoi l’utilisation des logiciels libres n’est pas plus répandue. Toutes ces raisons jouent sans doute un rôle, mais je soupçonne les véritables causes d’être beaucoup plus simples.

« Je ne comprends pas qu’on puisse encore utiliser Windows », ai-je un jour grommelé en présence d’un ami. « Parce que c’est préinstallé sur tous les ordinateurs ? » a-t-il répondu. Il n’avait sans doute pas tort.

On pourrait penser que des gens qui passent de huit à quatorze heures devant leur machine souhaiteraient avoir davantage de contrôle sur elle. Mais il ne faut jamais sous-estimer la force de la peur du changement. Si les ordinateurs sont vendus avec un système d’exploitation préinstallé, la plupart des utilisateurs s’en accommodent, même s’ils passent leur temps à s’en plaindre ou à s’en moquer.

Je pense néanmoins que le frein principal à une adoption plus massive des logiciels libres est plus basique encore. Pour une grande majorité, le Libre contraste tellement avec ce qu’ils connaissent qu’ils peinent à concevoir que cela existe.

Le logiciel libre trouve son origine dans l’informatique universitaire des années 1960 et 1970, mais pour le plus grand nombre, l’histoire de l’informatique ne commence qu’avec l’apparition de l’ordinateur personnel sur le marché vers 1980.

Depuis, les logiciels sont avant tout des produits marchands, et le fait que les fabricants aient tout contrôle sur eux constitue la norme. Même si de temps à autre il arrive aux utilisateurs de râler, ils sont habitués à perdre les droits qui devraient être les leurs en matière de propriété dès qu’ils sortent leur logiciel de sa boîte.

De nombreux utilisateurs ignorent encore quels sont les objectifs du logiciel libre. Pourtant, s’ils sont un jour amenés à découvrir le logiciel libre, ils apprennent vite que ses aspirations sont radicalement différente.

Pour le mouvement du Libre, le logiciel n’est pas une marchandise mais un médium, comparable aux ondes télé ou radio, qui devrait être fourni à tous avec leur matériel informatique. Cette philosophie suggère que l’utilisateur moyen devrait être plus actif dans sa façon d’utiliser son ordinateur et modifier son rapport aux fabricants.

Face à des aspirations si opposées, quelle peut être la réaction de l’utilisateur moyen à part l’incompréhension et le rejet ? Il se peut que son premier réflexe consiste à penser que tout cela est trop beau pour être vrai. Il risque de ne pas croire à la façon dont sont conçus les logiciels libres, et craindre des coûts cachés ou la présence de logiciels malveillants.   Cet utilisateur n’est pas près de prendre ces promesses pour argent comptant, et il n’y a rien d’étonnant à cela.

Le logiciel libre diffère tant des logiciels qu’il utilise depuis toujours qu’il n’a pas de cadre de référence. Le fait que le Libre offre plus de souplesse et plus de possibilité de contrôle qu’il n’en a jamais eu ne fait pas le poids contre l’incapacité de l’utilisateur à le rapprocher du reste de son expérience avec les logiciels. Plutôt que de de se jeter dans les bras du Libre, il risque de le rejeter par incompréhension.

Retour aux fondamentaux

Lors de mon premier contact avec le Libre, je l’ai considéré comme un phénomène isolé. Ses similitudes avec d’autres tendances ou mouvements historiques ne me sont apparues que plus tard. Aujourd’hui encore, il m’arrive de temps à autre de négliger trop facilement son importance, et je soupçonne qu’il en va de même pour de nombreux membres de la communauté.

Cette remarque s’applique surtout pour ceux qui se définissent comme partisans de l’Open Source, lesquels accordent de la valeur au logiciel libre principalement pour la qualité supérieure que permet le code ouvert. Ils oublient parfois, comme me l’a un jour confié Linus Torvalds, que ce confort accordé aux codeurs n’est qu’un moyen permettant d’accéder à la liberté de l’utilisateur.

Mais négliger l’importance du logiciel libre a un effet encore plus profond. Nous, qui appartenons à la communauté, sommes conscients de cette importance, mais nous la prenons souvent pour acquise. Pris dans notre routine, nous perdons de vue que ce qui nous semble normal peut se révéler déroutant et menaçant pour qui en entend parler pour la première fois.

Chaque année, le logiciel libre accomplit de nouvelles avancées. Quand je fais le point sur mes dix ans d’activité dans ce domaine, je suis souvent stupéfait par les progrès dont j’ai été témoin, à la fois concernant les logiciels eux-mêmes et le succès qu’ils remportent en dehors de la communauté. Néanmoins, le logiciel libre pourrait rencontrer le succès plus vite si ceux qui participent au mouvement se remémoraient plus souvent son importance et se rendaient compte du caractère déconcertant qu’il peut avoir pour les néophytes.

Notes

[1] Crédit photo : The unnamed (Creative Commons By-Sa)




Naissance du (pas très bien nommé) Conseil National du Logiciel Libre

Gruntzooki - CC by-saCe matin je reçois dans ma boite aux lettres (électronique) un communiqué de presse m’informant de la création du Conseil National du Logiciel Libre (ou CNLL).

Le nom m’a intrigué parce que de Conseil national, je connaissais surtout celui de Suisse, de la Résistance et de l’Ordre des médecins !

En fait il s’agit d’une nouvelle association nationale regroupant 10 associations régionales représentant 200 entreprises françaises spécialisées dans le logiciel libre.

Le CNLL a pour vocation de parler au nom de l’ensemble de la filière économique du logiciel libre, sans discrimination, afin de faire connaître les bénéfices du logiciel libre dans le contexte actuel de relance économique, et de faire entendre les demandes de ses membres auprès des pouvoirs publics, pour un soutien à l’activité économique de la filière.

L’union faisant la force, c’est une très bonne nouvelle que voilà.

D’ailleurs l’Aful, associée au communiqué de presse, se réjouit de cette création. Tandis que l’April salue l’initiative.

On remarquera au passage la subtile nuance entre la réjouissance et la salutation. Le titre de l’annonce n’étant d’ailleurs pas le même chez nos deux associations : Création du Conseil National du Logiciel Libre pour le premier, Création d’une fédération professionnelle du Logiciel Libre pour le second 😉

J’ai eu la curiosité de parcourir la FAQ du site.

« Logiciels Libre » ou « Open Source », quelle est la position du CNLL ?

Logiciel Libre et Open Source Software désignent des logiciels dont les licences permettent de les utiliser, de les modifier et de redistribuer librement, selon des conditions qui ont été codifiées précisément, respectivement par la FSF et l’OSI. Les deux termes ont cependant des connotations différentes, et certains préfèrent utiliser l’un plutôt que l’autre, ce que nous respectons, tout en estimant que nous n’avons pas à trancher dans ce débat.

Quelle que soit la façon dont on les appelle, nous estimons que le processus de développement et de diffusion des logiciels libres / open source est à même d’apporter plus de valeur à moindre coût, et plus de contrôle sur leurs choix technologiques, aux clients des entreprises que nous représentons.

Cette dernière phrase a tout de même de forts accents « open source » selon moi. Comme si on répondait tout de même à la question en faisant un choix (au demeurant tout à fait cohérent, logique et respectable)[1].

Mais du coup je n’aurais pas forcément adopté un tel nom de baptême, qui peut prêter à confusion dans le sens où on ne comprend pas forcément qu’il s’agit de fédérer des entreprises.

Proposition alternative : l’ANAREFOS pour Association Nationale des Associations Régionales des Entreprises Françaises Open Source. Mais c’est plus long, moins sexy et puis il y a « anar » dedans !

Certaines mauvaises langues m’objecteront qu’il existait déjà une structure similaire avec la FniLL, qui a pour « vocation de représenter en France l’ensemble des acteurs professionnels qui participent au dynamisme de l’économie du Logiciel Libre ». N’étant pas dans le secret des dieux, je me dis qu’il doit y avoir quelques bonnes raisons à une telle (saine) concurrence.

Aful / April, CNLL / FniLL, Logiciel Libre / Open Source, ce billet figurera en bonne place dans le « Hall of Troll » du blog !

Mais qu’on ne se meprenne pas. Moi aussi je salue, que dis-je, je me réjouis de la naissance de ce projet qui témoigne du dynamisme des FLOSS dans notre beau pays 😉

Notes

[1] Crédit photo : Gruntzooki (Creative Commons By-Sa)