Message du président de la République

Voici une récente et vibrante allocution télévisée du président de la République… équatorienne qui invite tous les pays d’Amérique latine à utiliser le logiciel libre à l’occasion du FLISOL, Festival Latinoamericano de Instalación de Software Libre, qui a eu lieu le 28 avril dernier.

Pour ce qui concerne la France, je crains qu’il ne faille encore un peu patienter !

Traduction

Mes chers amis. Rafael Correa président de la République d’Équateur vous salue. Comme vous le savez, le temps est venu de l’intégration de l’Amerique latine à tous les niveaux, incluant entre autres la technologie et l’utilisation des technologies de l’information.

Pour cette raison, il est nécessaire que nous tous adoptions le logiciel libre aussi bien au niveau public que privé. De cette manière nous garantirons la souveraineté de nos états, nous dépendrons de nos propres forces et non de forces externes à la région. Nous serons producteurs de technologies et pas seulement des consommateurs. Nous posséderons le code source, et développerons ainsi de nombreux produits qui, par la mise en commun de nos efforts, pourront être d’une grande utilité pour les entreprises publiques et privées de la région.

Aussi, je vous invite tous à utiliser le logiciel libre. Le gouvernement équatorien l’a deja établi comme politique de gouvernement et d’État. Ceci constituera un pas important dans l’integration et, pourquoi ne pas le dire, – pour la libération de l’Amérique latine.

La vidéo est classiquement extraite de YouTube mais ce qui l’est moins, et c’est assez malin, c’est qu’elle vient du canal YouTube de la présidence équatorienne qui peut ainsi l’inclure dans son annonce officielle sur le site gouvernemental tout en permettant à l’info de se diffuser.

edit : merci à plakat pour la relecture de la traduction




Libérons aussi le matériel informatique !

Freedom Tunnel 10 - by Pro-Zak - CC-BY

Cet article propose la traduction[1] non officielle d’un article important de la Free Software Foundation (FSF). J’en reprends ici la limpide présentation de Thomas Petazzoni dans sa news LinuxFr du 5 mars dernier.

La Fondation pour le Logiciel Libre (FSF) a publié, ce premier mars, un document intitulé The road to hardware free from restrictions: how the hardware vendors can help the free software community, dans lequel elle invite les constructeurs de matériel à travailler avec la communauté du Logiciel Libre pour établir une relation mutuellement bénéficiaire.

La fondation propose aux constructeurs d’agir dans cinq domaines :

– Développement de pilotes libres pour le matériel, en diffusant la documentation de leurs matériels, voire en aidant la communauté du Logiciel Libre à développer les pilotes, ou en les développant en interne
– Non-verrouillage au niveau des BIOS de certaines fonctionnalités (comme les marques de cartes mini-PCI acceptées, ou les fonctionnalités de virtualisation du processeur)
– Aider au développement d’un BIOS libre, en diffusant la documentation bas-niveau du matériel voire en distribuant du matériel utilisant un BIOS libre
– Vendre des ordinateurs sans système d’exploitation pré-installé, ou avec un système d’exploitation libre
– Résister à la pression des industries de la culture souhaitant mettre en place des mesures techniques de protection au niveau matériel

Pour chaque point, la Fondation pour le Logiciel Libre liste des moyens d’actions précis pour aider la communauté du Logiciel Libre, et donne les intérêts qu’auraient les constructeurs à agir dans ce sens.

L’occasion de rappeller l’action du site detaxe.org contre la vente liée qui continue à attendre vos signatures. Et d’évoquer la toute récente et salutaire décision de Dell d’inclure très prochainement des ordinateurs sous Ubuntu dans leur offre grand public, évènement majeur en phase avec les souhaits exprimés par cet article[2].

FSF screenshot - The road to hardware

Vers du matériel sans restrictions : comment les constructeurs peuvent aider la communauté du logiciel libre

The road to hardware free from restrictions: How hardware vendors can help the free software community

par Justin Baugh et Ward Vandewege
Senior systems administrators
Free Software Foundation

Février 2007

Introduction

Le marché du matériel informatique évolue résolument vers un écosystème standardisé basé sur du matériel sans restrictions. On voit déjà des petits fournisseurs augmenter leurs ventes en s’assurant que leur matériel fonctionne de manière optimale avec les logiciels libres et que leurs pilotes sont faciles à développer et entretenir. Les géants de l’industrie ont déjà mis à profit cette recette sur le marché des serveurs mais doivent encore prendre les mêmes engagements dans le domaine du matériel grand public.

Les vendeurs qui ont compris cette évolution sauront tirer profit de l’avantage stratégique que leur donnera la communauté du logiciel libre. Les vendeurs qui ne parviennent pas à réaliser ceci seront dépassés par des concurrents plus agiles.

Les pilotes libres

L’un des plus gros problèmes auquel doit faire face la communauté du logiciel libre aujourd’hui est le manque de pilotes libres pour le matériel courant. Des avancées significatives ont été faites dans ce domaine pour les systèmes GNU/Linux, soit par le support tacite des fabriquants soit par un laborieux processus de rétro-ingéniérie. Deux bastions des pilotes propriétaires restent toujours à conquérir: les interfaces de réseaux sans fils et les cartes graphiques. La communauté s’est largement mobilisée pour obtenir des pilotes libres pour tout le matériel. (La pétition Free Drivers Petition envoyée aux fabriquants de matériel a recueilli à ce jour plus de 5000 signatures.)

Presque toutes les cartes sans fils ainsi que les dispositifs USB nécessitent soit le chargement d’un firmware par un pilote libre soit l’utilisation des pilotes Windows grâce à un programme d’émulation libre (Ndiswrapper). Ndiswrapper entraîne une utilisation supplémentaire non nécessaire du processeur. Les pilotes propriétaires qu’il utilise sont souvent de mauvaise qualité, ce qui peut conduire à des problèmes de stabilité et de grandes difficultés pour fournir de l’aide aux utilisateurs. La plupart des cartes graphiques ne fonctionneront pas à 100% de leur potentiel sans des pilotes propriétaires, particulièrement dans les applications 3D.

On retrouve là les problèmes habituels du logiciel propriétaire. Des bugs dans les pilotes propriétaires peuvent aboutir à des failles de sécurité au cœur du système qui ne peuvent être corrigées sans l’intervention du vendeur. Cela peut prendre des mois pour corriger des bugs signalés par la communauté, si toutefois un correctif arrive un jour. Souvent les vendeurs prêtent peu attention aux problèmes des utilisateurs qui ont déjà acheté leurs produits. Par exemple, dans le cas particulier des pilotes binaires NVidia, quelques failles de sécurité de la plus haute importance sont restées sans correctif pendant bien trop longtemps. Le matériel qui requiert un firmware propriétaires, utilisable grâce à un logiciel libre, évite le problème en enfermant tous les renseignements dans un boîte noire que l’utilisateur ne peut ouvrir. C’est simplement de la poudre aux yeux, cela donne l’impression que le vendeur de matériel respecte le principe du libre alors que les problèmes de la communauté restent marginalisés.

Comment les vendeurs de matériel peuvent apporter leur soutien
  • Les vendeurs de matériel pourraient imposer que la documentation technique de base complète soit rendue disponible pour le matériel utilisé dans leurs produits. Cette documentation devrait être mise à la disposition des clients sans restriction, comme c’était le cas avant.
  • Les vendeurs pourraient encourager le développement de pilotes libres pour leur matériel soit en écrivant les pilotes eux même ou en aidant l’effort de développement de la communauté.
  • Les vendeurs pourraient travailler avec la communauté pour faire inclure les pilotes directement dans la version de base du noyau, Linux. Ceci rendrait la maintenance et la mise à jour des pilotes beaucoup plus simple aussi bien pour les développeurs que pour les utilisateurs.
Qu’est ce que cela apporterait au vendeur?

Un matériel bien documenté et supporté par des pilotes libres sera significativement plus utile aux membres de la communauté du logiciel libre ainsi qu’au grand public. Une image de matériel libre amène des critiques positives, une image de marque plus forte et des ventes en augmentation. (“Dans un sondage de 1800 jeunes, publié par Cone Inc. et AMP Insights, deux compagnies de marketing de Boston, 89% des sondés disent qu’ils seraient prêts à passer d’une marque à une autre si la seconde est associée à une bonne cause.” Chronicle of Philanthropy, 2006.11.09, Peter Panepento.) Le respect de la liberté de l’utilisateur est un signe distinctif d’une compagnie qui a une certaine éthique.

Le logiciel libre est une question de liberté: les gens devraient être libre d’utiliser les logiciels de toutes les manières qui soient socialement utiles. Voir http://www.gnu.org/philosophy/

Les verrous liés aux BIOS propriétaires

Il y a un certain nombre de problèmes sérieux avec les BIOS propriétaires livrés en général avec les systèmes vendus aux particuliers par les grands vendeurs. Deux problèmes particulièrement flagrants sont:

  • Le verrou qui empêche l’utilisation de cartes au format minipci dans les ordinateurs portables.

Plusieurs vendeurs emploient des codes dans le BIOS pour restreindre l’utilisation des emplacements minipci, qui sont pourtant complètement standardisées, afin qu’elles n’acceptent que des cartes d’extension pré-approuvées. C’est un problème majeur, en particulier car les cartes pré-approuvées sont souvent conçues par des vendeurs hostiles au logiciel libre, comme Broadcom.

  • La désactivation des fonctions de virtualisation matérielle des processeurs modernes.

Il a été signalé que certaines machines se sont vues amputées des fonctions de virtualisation matérielle du processeur par le BIOS d’usine. Les raisons invoquées par un vendeur sont que la virtualisation n’a pas été testée sur ses produits, c’est pourquoi cette fonction a été désactivée. (Voir Business support forums – nw8440 – VT disabled in bios.)
Il n’y a aucun intérêt à ce que les fabriquants de carte mère OEM appliquent des restrictions similaires.

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs ne devraient pas délibérément amputer leur matériel de certaines fonctions par le biais de cadenas ou de DRM dans le BIOS.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

En retirant ces restrictions artificielles, les utilisateurs seront libre d’utiliser leur matériel au maximum de ses capacités, ceci incluant la liberté de combiner les composants comme bon leur semble. Pour une grande communauté informée telle que la communauté du logiciel libre, cette liberté fait ou défait les décisions d’achat.

Le soutien des BIOS libres

Un mouvement entrain de se développer vise à remplacer les BIOS propriétaires par un BIOS libre. Le gros de l’effort fournit soutient LinuxBIOS. (Voir http://linuxbios.org/.)

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs de matériel pourraient apporter leur soutien à la communauté en donnant accès, sous une licence permissive, à toute la documentation matériel de base nécessaire pour développer un BIOS libre pour leur système et idéalement en apportant une aide sur le plan de l’ingénierie.

Les vendeurs de matériel pourraient vendre leurs produits avec un BIOS libre plutôt qu’un BIOS propriétaire. La communauté du logiciel libre apprécie le matériel qui peut être utilisé entièrement grâce à des logiciels libres, depuis le BIOS, et est prête à payer pour cela.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

C’est dans l’intérêt du vendeur de matériel de supporter un BIOS libre car il offre certains avantages par rapport aux BIOS propriétaires:

  • La majeure partie du code est écrite en C, qui est beaucoup plus simple à entretenir qu’un code d’assembleur.
  • Il travaille presque entièrement en mode 32-bits protégé.
  • Plutôt que de perpétuer des décisions faites dans les années 1970 il est basé sur une architecture moderne.
  • De nouvelles possibilités révolutionnaires sont possibles, comme implanter un noyau complet dans une puce ROM.
  • Le démarrage ne prend que quelques secondes, ce qui est seulement un faible pourcentage du temps qu’un BIOS propriétaire moyen met à démarrer.
  • Le vendeur ne dépend pas uniquement d’un fournisseur de BIOS propriétaire pour les modifications et corrections à apporter au code.
  • Comme il est sous licence GPL il n’y a pas de brevet, de redevance ou de taxe de licence à payer.

La “Taxe Microsoft”

Il est quasiment impossible d’acheter du matériel sans un système d’exploitation Microsoft pré-installé. Les vendeurs qui proposent ce genre de systèmes n’encouragent pas leur achat en les cachant. Les vendeurs qui pré-installent GNU/Linux se contentent souvent de n’offrir qu’une liste de systèmes sélectionnés. En aucun cas les vendeurs n’offrent un rabais, bien qu’ils économisent de l’argent en n’incluant pas de licence OEM de Microsoft.

Comment les vendeurs peuvent aider
  • Les vendeurs pourraient proposer des machines avec l’option “sans système d’exploitation” pour chacun de leurs produits, machines pour le grand public comprises, les ordinateurs portables en particulier.
  • Quand l’option “pas de système d’exploitation” est choisie, les vendeurs devraient baisser le prix de l’ordinateur du coût de la licence OEM de Microsoft.
  • Les vendeurs pourraient proposer de pré-installer certaines distributions GNU/Linux de manière optionnelle, également pour les machines grand public et en particulier pour les ordinateurs portables. Les fonctionnalités du sous-système comme ACPI devraient être testées sur ces machines.
Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

En vendant et en faisant de la publicité pour du matériel sans système d’exploitation pré-installé, ou avec un système d’exploitation GNU/Linux, les vendeurs deviendraient moins dépendant de Microsoft. Des millions de personnes utilisent déjà des systèmes GNU/Linux. La communauté du logiciel libre assistera sans aucun doute les vendeurs qui proposent du matériel sans assujettir leurs clients à la “Taxe Microsoft”. Un coût réduit pour le vendeur signifie des prix réduits et de meilleures ventes.

Digital Restrictions Management

La communauté du logiciel libre s’oppose à l’astreinte des Digital Restrictions Management (DRM) (Mesures Techniques de Protection (MTP) en français). L’implémentation logicielle actuelle des DRM s’est montrée non sécurisée, ardue et ingérable, cette technologie anti-consommateur se déplace de plus en plus du logiciel vers le matériel. D’habitude les vendeurs de matériel encouragent l’utilisation innovante des nouvelles technologies et des nouveaux médias plutôt que de la restreindre. Cette culture de l’innovation est la base de toute l’industrie du matériel informatique.

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs de matériel pourraient résister à la pression que leur imposent les industries du divertissement pour étouffer cette culture de l’innovation et faire pression pour obtenir des lois qui protègent les droits des consommateurs.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

La communauté du logiciel libre affluera vers les vendeurs qui protègent les droits des consommateurs en fournissant “du matériel libre de restrictions.” Les vendeurs qui vendent du matériel défectueux de par sa conception verront leurs ventes et le support de la communauté diminuer. En prenant la direction opposée aux DRM matériels les vendeurs resteraient également libres d’innover plutôt que de devoir attendre l’approbation des grands médias pour chaque nouveau produit.

Conclusion

En effectuant les changements recommandés dans une ou chacune de ces cinq directions (Les pilotes libres, les verrous liés aux BIOS propriétaires, le soutien des BIOS libres, la “Taxe Microsoft”, Digital Restrictions Management) les vendeurs de matériel aideront à établir une relation mutuellement bénéfique avec la communauté du logiciel libre. Les vendeurs augmenteront leurs ventes et la communauté du logiciel libre trouvera du matériel qui est conforme à ses aspirations éthiques. La Free Software Foundation est impatiente d’aider les vendeurs de matériel intéressés par les changements recommandés dans cette lettre. Les vendeurs ne devraient pas hésiter à tirer profit de cette opportunité encore très peu explorée.

Copyright © 2007 Free Software Foundation, Inc., 51 Franklin Street, Fifth Floor, Boston, MA 02110-1301, USA

La copie mot pour mot et la distribution de cet article sont permises dans le monde entier, sans redevance, sous n’importe quelle forme, à condition de préserver cette note.

Notes

[1] Merci à Olivier et GaeliX pour la traduction 🙂

[2] L’illustration est une photographie de Pro-Zak intitulée Freedom_Tunnel_10 issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY.




Richard Stallman, le philosophe de notre génération ?

Une traduction d’un article de Richard Hillesley paru récemment sur Tux Deluxe et qui fait écho à la récente conférence de Stallman mis en ligne sur ce blog.

Le titre interrogatif de ce billet est directement inspiré d’une citation de Larry Lessig extraite de la traduction :

Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur.

J’en profite pour signaler que nous avons entamé un projet ambitieux, celui de traduire collectivement via Wikisource la biographie de Stallman par Sam Williams Free as in Freedom. Avis donc à tout traducteur qui souhaiterait participer[1].

Soyez réaliste. Demandez l’impossible

Be Realistic. Demand the Impossible

Richard Hillesley – 18 mars 2007
(Traduction Framalang : Penguin, Daria et Olivier)

Chrys - CC byUn des slogans favoris des Situationnistes, pendant les agitations sociales de Mai 68 en Europe, était « Soyez réaliste. Demandez l’impossible ». Vivez votre vie à fond, osez rêver, nagez à contre-courant, et vos rêves deviendront réalité. Ce slogan aurait pu être écrit pour décrire la mission de Richard Stallman, le père de GNU, de la licence GPL et du mouvement du logiciel libre, qui a consacré sa vie à réaliser le rêve d’un système d’exploitation qui soit écrit de A à Z et qui soit totalement libre.

Stallman est un esprit implacable, et a souvent été comparé à un prophète de l’Ancien Testament – « une sorte de Moïse geek portant les commandements GNU GPL, et essayant d’amener la tribu hacker à la terre promise de la liberté, qu’ils veuillent y aller ou non. Ses longs cheveux, tombant abondamment sur ses épaules, sa grosse barbe, et un regard intense contribuent évidemment à cet effet. » (Glyn Moody – Le Code du Rebelle p29)

Comme cela est suggéré, Stallman est un ascète qui ne tolère aucun compromis, et qui a consacré sa vie et sa fortune, notamment les 240.000 $ de la « bourse du génie » (« genius grant ») offert par la fondation MacArthur en 1990, pour parcourir le monde avec son portable exsangue, évangélisant et prêchant à qui veut l’entendre la nécessité du logiciel libre. « La seule raison pour laquelle nous avons un système d’exploitation totalement libre », a-t-il confié à Moody, « c’est grâce au mouvement qui a dit que nous voulions un système d’exploitation totalement libre, et pas libre seulement à 90%. Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, il y a un avantage pratique à faire une exception. »

Stallman clame que le plus grand effet de la bourse MacArthur a eu sur son style de vie, c’est qu’il lui a été plus facile de s’inscrire pour voter. Stallman vivait dans son bureau. Les autorités refusaient de croire que son bureau était aussi son lieu de résidence, jusqu’à ce qu’un article de journal concernant la bourse MacArthur confirma ses affirmations.

« Je vis vraiment à peu de frais. Je vis encore en gros comme un étudiant, car je n’ai jamais eu envie d’arrêter », déclara-t-il à Michael Gross en 1999[2]. « Les voitures, les grandes maisons ne m’attirent pas. Pas du tout. Je n’étais pas un esclave de la soif de l’argent, et cela m’a permis de faire quelque chose qui en valait la peine. C’est pourquoi, lorsque j’ai commencé le projet GNU, j’ai aussi commencé à faire pousser mes cheveux. J’ai fait cela parce que je voulais dire : Je suis d’accord avec un aspect du mouvement hippie : ne faites pas de la réussite matérielle un but dans la vie. »

La vision ascétique et sans compromis de Stallman n’est pas universellement populaire, même parmi les hackers qui ont bénéficié de son dévouement. Car l’objectif du logiciel libre ne commence ou ne finit pas avec GNU/Linux, GNU Hurd, ou n’importe quel autre système d’exploitation, langage ou application qui a été, ou qui pourra être, développé sur le modèle ouvert que la GPL favorise. Stallman accorde moins d’importance au fait qu’un logiciel libre fonctionne mieux et soit plus efficace qu’à son caractère libre.

« Cela ne concerne pas l’argent », dit-il, « cela concerne la liberté. Si vous pensez que cela concerne l’argent, vous n’avez rien compris. Je veux utiliser un ordinateur librement, pour coopérer, pas pour restreindre ou interdire de partager. Le système GNU/Linux a obtenu du succès avec plus que cela. Le système est devenu populaire pour des raisons pratiques. C’est un bon système. Le danger réside dans le fait que les gens vont l’aimer parce qu’il est pratique et qu’il va devenir populaire sans que personne n’ait la plus vague idée des idéaux qui sont derrière, ce qui serait une manière ironique d’échouer. »

Stallman relate que lorsqu’il a fondé le projet GNU en septembre 1983, les gens disait, « Oh, c’est un boulot infiniment difficile; tu ne pourras tout simplement pas écrire un système comme Unix. Comment serait-il possible de faire tout cela ? Ce serait bien, mais c’est tout simplement sans espoir. »

La réponse de Stallman était qu’il allait le faire quand même. « C’est ici que je suis doué. Je suis doué à être très, très têtu et à ignorer toutes les raisons qui pourraient me faire changer de but, raisons qui pousseraient beaucoup d’autres personnes à le faire. Beaucoup de gens veulent être du côté gagnant. Je n’en avais rien à cirer. Je voulais juste être du côté de ce qui était bien, même si je ne gagnais pas, au moins, j’allais vraiment essayer. »

Neuf ans plus tard, Linus Torvalds annonçait sur comp.os.minix : « Je suis en train de faire un système (libre) d’exploitation (il s’agit juste d’un hobby, ce ne sera pas ambitieux ni professionnel comme GNU) pour les clones AT 386(486). » Du point de vue de Stallman, le noyau Linux est juste une partie du système d’exploitation. « Il n’existe pas de système d’exploitation appelé Linux. Le système d’exploitation appelé Linux est GNU. Linux est un programme – un noyau. Un noyau est une partie du système d’exploitation, le programme de niveau le plus bas du système qui surveille l’exécution des autres programmes et partage la mémoire et le temps de calcul du processeur entre eux. »

L’affirmation controversée de Stallman que Linux devrait correctement être connu sous le nom de GNU/Linux est motivé par son désir que « les gens comprennent que le système existe grâce une philosophie idéaliste. Si vous l’appelez Linux, vous allez à l’encontre de la philosophie. C’est un problème très grave. Linux n’est pas le système. Linux n’en est qu’une partie. (…) La vision idéaliste du projet GNU est la raison pour laquelle nous avons le système. »

La contribution particulière de Stallman au mouvement du logiciel libre a été de mettre en lumière les obstacles légaux et propriétaires de la libre distribution des logiciels et des idées. Le langage universel des contributeurs des projets open source (et de l’industrie du logiciel en général) a été influencé par les fondements philosophiques et politiques fournis par les écrits de Stallman, spécialement sa vision perspicace de la nature des lois concernant les copyrights et les brevets logiciels.

En introduction de Free Software, Free Society, une collection d’essais et de conférences de Richard Stallman, publiée par GNU press, Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, déclare que « Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur. »

Stallman n’est pas seulement le philosophe et la conscience (peut-être accidentels) du mouvement du logiciel libre, mais il est aussi considéré comme le hacker ultime, ayant contribué à de nombreux outils de base sans lesquels Linux n’aurait pu exister. Le code de Stallman réprésente l’une des contributions individuelles les plus importantes des distributions Linux classiques. Beaucoup de développeurs considèrent Emacs, le premier grand logiciel créé par Stallman, comme le système d’exploitation ultime au sein d’un système d’exploitation. Les outils GNU écrits par Stallman et la FSF (en particulier le compilateur GNU gcc) étaient les pré-requis pour construire le noyau qui deviendra Linux.

La plus grande réalisation de Stallman, la licence publique générale GNU (GPL), a amené beaucoup de bénéfices tout autant aux utilisateurs qu’aux développeurs, certains n’ayant même pas été nécessairement prévus au moment de sa création. La licence et son préambule sont une présentation en profondeur du but poursuivi par Stallman, de libérer le logiciel de chaînes propriétaires qui l’entravent, et de permettre aux hackers (dans le sens premier du mot, « un programmeur enthousiaste qui partage son travail avec les autres ») d’avoir la liberté de développer, d’améliorer et de partager leur code.

L’ingrédient essentiel de la GPL est le concept de Copyleft, qui utilise la puissance du copyright pour garantir qu’un logiciel libre restera libre. Le Copyleft inverse la loi du copyright en déclarant qu’un logiciel adapté d’un logiciel GPL et distribué au public doit rester aussi libre que la version du logiciel dont il est l’adaptation. La beauté de la GPL, comme tout développeur logiciel chevronné le reconnaîtra, c’est que, comme un morceau de code élégamment écrit, elle possède une simplicité et une transparence intrinsèques. La licence remplit ses objectifs, de protéger et de promouvoir les principes du logiciel libre, sans ambiguïté ni compromis, et reflète en cela la détermination et la personnalité de Stallman, qui par sa volonte a crée GNU, la GPL et le mouvement du logiciel libre.

Pour mesurer la réussite de Stallman, il suffit de voir comment la GPL a fait évoluer les mentalités dans l’industrie du logiciel. A l’origine le logiciel libre, extension des idéaux de Stallman appris au laboratoire d’I.A. du MIT au début des années 70, a été rejeté comme étant improbable et impraticable – une aire de jeu pour hackers, hippies et geeks – mais contre toute attente, le logiciel libre est devenu un paradigme acceptable pour le développement de logiciel, et la communauté perdue et tourmentée des hackers a enfin trouvé une maison.

« Vous ne changez pas les choses en vous battant contre la réalité. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rend l’ancien modèle obsolète » – R. Buckminster Fuller

Richard Hillesley

Notes

[1] Crédit photo : Chrys (Creative Commons By)

[2] Richard Stallman: High School Misfit, Symbol of Free Software, MacArthur-Certified Genius (Richard Stallman  : l’excentrique du lycée, Symbole du logiciel libre, Génie certifié par Mac-Arthur)




Exemple de bravitude chinoise

Gates China Protest - Copyright Elizabeth Dalziel AP

Mon info ou plutôt mon anecdote manque de précision ou, si vous voulez, de… sources (un comble quand on s’intéresse au logiciel libre !) mais elle a surtout valeur de symbole médiatique.

Bill Gates était en Chine dernièrement pour, entre autres choses et d’après le Quotidien du peuple en ligne, y être fait docteur honoris causa d’une prestigieuse université, créer un centre de recherche et développement avec Lenovo, et aussi j’imagine pour y faire la promotion de Windows Vista.

On le retrouve donc le 20 avril dernier à l’Université de Technologie de Pékin pour une remise de prix Microsoft à des étudiants. Seulement voilà c’était sans compter sur un chinois non discipliné[1] qui vient perturber la traditionnelle photo finale cloturant la cérémonie.

Le courageux effronté sort du public, monte sur scène, et se pointe devant Bill Gates entouré des ses heureux lauréats en brandissant pas même une pancarte mais une vulgaire feuille de papier où l’on peut lire (très) furtivement ces simples mots "free software – open source"[2].

L’histoire ne dit pas ce qu’il est ensuite advenu de notre élément subversif[3]. Gageons que cela a dû être plus compliqué pour lui que le traitement réservé à un intermitent du spectacle en pleine cérémonie des Cesars.

Les temps changent parce que sous Mao nul doute que le logiciel libre aurait eu les faveurs de l’état chinois et c’est Bill Gates qui aurait alors joué le rôle de l’élément subversif[4]

Notes

[1] Il s’agirait de Wang Yang membre du LPI (Linux Professional Institute) local.

[2] Une fois de plus, on remarquera au passage que free software n’est pas synonyme d‘open source sinon une seule expression aurait suffit. Je vous renvois sur la conférence de Stallman pour de plus amples explications.

[3] L’illustration provient du compte Flickr de YGGG (dont on peut voir quelques autres images de l’évènement) mais quand bien même sous licence Creative Commons BY-NC on nous dit qu’elle est d’Elizabeth Dalziel (AP).

[4] Pour ceux que la Chine, Microsoft et la politique-fiction intéressent, je rappelle l’existence du livre de Jean-François Susbielle La morsure du dragon qui fait un très bon pavé d’été.




Richard Stallman en grande forme (conférence à l’ENST le 3 avril 2007)

Que ce soit en direct dans la salle ou en différé sur le net, je commence à avoir pas mal de conférences générales sur le logiciel libre de Richard Stallman au compteur. Il faut dire que le bonhomme pour apprécier la France y revient souvent et s’exprime dans un français plus que correct (espèce étrangère en voie de disparition ?).

A priori on a l’impression d’assister toujours à la même conférence. Et celle que nous vous présentons en vidéo ci-dessous donnée mardi 3 avril 2007 dernier à l’ENST (École nationale supérieure des télécommunications) n’échappe à la règle. Chaussures ôtées et plus beau tee-shirt exhibé, on se retrouve invariablement avec la même entame (dont je ne me lasse toujours pas) : « Je puis expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… » (sous vos applaudissements). Idem pour la conclusion du reste (dont je commence à me lasser) : « …J’ai des autocollants, des pins et des porte-clé à vendre ». Sacré Richard !

Et pourtant, variation sur le même thème, elles ont toutes un petit quelque chose qui les distingue des précédentes. Voici ce qu’écrivait récemment un spectateur de cette conférence sur la liste de diffusion de l’APRIL. Je recopie d’autant plus volontiers cet extrait qu’il exprime bien ce que je voulais dire.

J’ai entendu RMS plusieurs fois depuis 1998. C’est toujours la même histoire mais elle est à chaque fois amendée, corrigée, complétée, modifiée, avec de nouvelles références et des éléments d’actualité…

Mardi soir il a présenté cette histoire sous un jour très nouveau et original, qui me semble intéressant pour sensibiliser le grand public (…) et lui faire comprendre concrètement l’intérêt du LL pour lui. C’était construit, tout était utile/indispensable, la boucle était bouclée. Tout cela à partir des mêmes grandes lignes de réflexion remontant à 1983/4.

Vous voulez un exemple d‘élément d’actualité de la conférence de l’ENST ? Point d’impatience, il suffit d’attendre… la deuxième phrase. Ce qui donne : « Je puis expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Trois principes que le gouvernement actuel de la France ne respecte plus…» No comment !

Toujours est-il qu’effectivement mardi soir et pour une heure environ c’était du grand Stallman (ou RMS pour les intimes). Définition et historique du logiciel libre (ou LL pour les intimes), différence avec le logiciel privateur (terme qu’il semble désormais privilégier à logiciel propriétaire), du danger des DRM et des brevets, différence entre son approche et celle de Linus Torvalds, différence entre Logiciel Libre et Open Source (quand l’un parle d’éthique et de liberté l’autre insiste plutôt sur rentabilité, efficacité et rentabilité), pourquoi il faut dire GNU/Linux et non Linux tout court, un point sur l’emploi, un autre sur l’éducation (et sa mission morale et sociale), un clin d’œil aux droits de l’homme… tout y était.

Pédagogie et vulgarisation de haute volée, une conférence que je vous invite à voir et à faire passer à vos proches qui seraient susceptibles d’être intéressés par un sujet qui dépasse en fait aujourd’hui le stricte cadre du logiciel libre pour ne pas être loin de proposer un véritable projet de société.

—> La vidéo au format webm




Je suis votre pire cauchemar

Janvier 2000, Eric S. Raymond, l’une des plus célèbres personnalités du logiciel libre (auteur notamment de La cathédrale et le bazar), se retrouve dans un ascenseur et remarque le badge Microsoft de l’un de ses occupants Craig Mundie.

Je vois que vous travaillez pour Microsoft, lui dit-il (avec perspicacité). Et l’autre, avec l’air un peu hautain du type en costard-cravate qui toise un hacker : Oui, et vous qui êtes-vous ?

Et Eric S. Raymond de réfléchir quelques instants et lui répondre… Je suis votre pire cauchemar !

—> La vidéo au format webm

Il n’avait pas tort.
Et Microsoft en tremble encore… [1].

😉

Annexe : retranscription de la vidéo

That was in january 2000, and one of the people who was there was Craig Mundie who is some kind of high mocky mocker at Microsoft. I think vice-president of consumer products or something like that. And, hum, I have actually met him, I bumped into him in an elevator, in an elevator and I looked his badge and said I see you work for Microsoft and he looked back at me and said Oh yeah and what do you do? And I thought he seemed just sort of a tad dismissive. I mean, here’s the archetype of, you know, guy in a suit looking at scruffy hacker and so I gave him a thousand yard stare and said I’m your worst nightmare.

Notes

[1] Cet extrait vidéo est issu du film Revolution OS (2001)




« La connaissance libre nécessite le logiciel libre » J. Wales (Wikipédia)

J’ai récemment publié sur ce blog un billet, un peu provocateur, sur la relation entre Wikipédia et le logiciel libre : Wikipédia peut-elle rester neutre lorsque l’on touche au logiciel libre ?. Ce que je tentais (péremptoirement ?) de dire c’est que le logiciel libre sera toujours un champ un peu spécial dans l’encyclopédie de part la filiation étroite qu’il existe entre les deux projets, mouvements et communautés. Et de me permettre d’ajouter que cela me convenait fort bien 😉

Dans la liste de mon argumentaire en faveur d’une accointance entre l’encyclopédie et le logiciel libre, on trouvait cette célèbre citation de Jimbo Wales, fondateur de Wikipédia : « Imaginez un monde dans lequel chacun puisse avoir partout sur la planète libre accès à la somme de toutes les connaissances humaines. C’est ce que nous faisons. ».

J’ai voulu aller encore un peu plus loin ici en demandant à notre groupe de travail Framalang de traduire un article du même Jimbo Wales paru sur son blog en octobre 2004 Free Knowledge requires Free Software and Free File Formats qu’il me sembait intéressant d’apporter à un débat qui pour moi n’est pas (encore) clos.

Mais avant cela je voulais témoigner (une nouvelle fois) de mon admiration pour Wikipédia puisqu’il n’aura fallu que quelques jours à l’encyclopédie pour lever la controverse de neutralité sur la page Linux – 9 avril 2007 (Linux aujourd’hui) qui avait servie de pretexte à mon billet.

Cette controverse portait principalement sur un passage ambigu avec usage a priori non factuel des mots maturité et succès :

Wikipédia - Screenshot - Linux - NPOV

Le passage en question a été à ce jour ainsi modifié (9 avril 2007) :

Wikipédia - Linux - 07/04/07 - screenshot 1

Elle portait également sur l’absence de section Critiques sur la page Linux en comparaison notamment avec la page Windows Vista qui elle en avait une (et plutôt deux fois qu’une !). Cette absence n’est plus puisqu’elle est apparue (9 avril 2007) dans l’intervalle en trois paragraphes : Support matériel, Gestion numérique des droits et Sécurité.

Cet épisode est selon moi tout à fait révélateur de l’excellente réactivité et capacité de Wikipédia à résoudre ses problèmes. Après échanges et communication, parfois assez vifs, sur la page de discussion de l’article Linux (exemple 1 : Pourquoi absence d’une section Critiques et exemple 2 : Comment rédiger cette section Critiques), on se retrouve avec le compromis actuel qui n’est certes pas la panacée mais qui est selon moi effectivement bien meilleur que la situation précédente.

On notera que la concertation ne s’est pas arrêtée là. Elle s’est poursuivie sur une page dédiée à la controverse de neutralité de l’article Linux mais surtout mon humble billet a suscité un fort intéressant sondage spontané au sein de la communauté Wikipédia : Neutralité de Wikipédia et logiciels libres.

Au passage, cet épisode est également révélateur pour moi de la difficulté de parler d’un article de Wikipédia à l’instant t de l’auteur qui dans la plupart des cas ne correspond plus à l’instant t+1 du lecteur (d’où la présence des dates et du recours aux historiques des articles pour figer leur contenu).

Toujours est-il qu’en une semaine (à partir de la date d’emission de mon billet le 1er avril), on relève, sur l’historique de la page Linux, 84 modifications réalisées par 17 contributeurs !

C’est aussi et surtout ça Wikipédia. Et le professeur que je suis demeure pédagogiquement impressionné par le produit de cette mise en relation surtout pour un article tel que Linux où le consensus est une douce chimère.

Le simple spectateur de l’encyclopédie qui visite l’article vitrine Linux ne se rend pas forcément compte de toute l’effervescence collective qu’il y a eu dans les coulisses pour aboutir au résultat qui s’offre à lui à l’instant t. Qu’il ait alors l’envie ou la curiosité de cliquer sur "modifier" et il est susceptible de basculer dans une toute autre dimension, un peu comme Alice et son miroir.

Sinon pour en revenir au sondage, il est en cours de vote et je m’en garderai bien d’en tirer la moindre conclusion si ce n’est pour relever que je ne suis pas le seul à m’interroger sur la relation ténue et privilégiée qui existe entre Wikipédia et le logiciel libre. À commencer par son influent et charismatique fondateur Jimbo Wales qui écrivait il y a un peu plus de deux ans sur son blog un billet au titre évocateur Free Knowledge requires Free Software and Free File Formats dont nous vous proposons la traduction ci-dessous (merci Penguin).

Parce que si la connaissance libre nécessite conceptuellement le logiciel libre (et des formats ouverts) alors tout ce qui le favorise n’est-il pas à encourager et ce qui le freine à décourager ?

Wikipédia - Wales's blog - screenshot

La connaissance libre nécessite le logiciel libre et les formats ouverts

Jimmy Wales – Octobre 2004

Des gens me demandent parfois pourquoi je suis si résolu à ce que Wikipedia utilise toujours des logiciels libres, même si dans certains cas un logiciel propriétaire pourrait être plus commode ou mieux adapté à un besoin particulier.

L’argumentation est la suivante : après tout, notre mission première est de produire de la connaissance libre, pas de promouvoir le logiciel libre, et bien que l’on puisse préférer les logiciels libres pour des raisons pratiques (puisqu’ils sont en général les meilleurs dans le domaine du web), nous ne devons pas faire une fixation là-dessus.

Je pense que cette argumentation est totalement erronée, et pas simplement pour des raisons pratiques, mais par principe. La connaissance libre nécessite le logiciel libre. C’est une erreur conceptuelle que de penser notre mission comme étant distincte de cela.

Qu’est-ce que la libre connaissance ? Qu’est-ce qu’une encyclopédie libre ? Son essence peut être immédiatement saisie par toute personne qui comprend le logiciel libre . Une encyclopédie libre, ou n’importe quelle connaissance libre, peut être lue librement, sans devoir obtenir la permission de personne. La connaissance libre peut être librement partagée avec d’autres. La connaissance libre peut être adaptée à vos propres besoins. Et vos versions modifiées peuvent être partagées librement avec d’autres.

Nous produisons un site web d’un volume très important, rempli d’une variété incroyable de connaissance. Si nous produisions ce site en utilisant un logiciel propriétaire, nous créerions des obstacles potentiellement insurmontables pour ceux qui voudraient prendre notre connaissance et faire la même chose que nous. Si vous devez demander l’autorisation d’un vendeur de logiciel propriétaire afin de créer votre propre copie de nos travaux, alors vous n’êtes pas totalement libres.

En ce qui concerne les formats propiétaires des fichiers, la situation est encore pire. Il est possible d’argumenter, même si ce serait à mon avis peu convaincant, que tant qu’il est possible d’ouvrir assez facilement le contenu Wikimedia dans un logiciel libre existant, alors une utilisation interne d’un logiciel propriétaire n’est pas si mauvaise. Pour les formats propriétaires, même cette séduisante erreur ne peut pas être acceptée. Si nous proposons des informations dans un format propriétaire ou avec la gêne d’un brevet, alors nous ne violons pas seulement notre propre engagement en faveur de la liberté, mais nous forçons ceux qui veulent utiliser notre connaissance prétendument libre à utiliser eux-mêmes des logiciels propriétaires.

Finalement, nous ne devrions jamais oublier en tant que communauté, que nous sommes l’avant-garde d’une révolution de la connaissance qui va transformer le monde. Nous sommes les pionniers et les guides de ce qui devient un mouvement mondial pour libérer la connaissance des contraintes propriétaires. Dans 100 ans, l’idée d’un manuel ou d’une encyclopédie propriétaire sera aussi bizarre et lointaine pour les gens qu’est pour nous l’utilisation de sangsues en médecine.

Grâce à notre travail, chaque personne sur la planète aura un accés aisé et à bas prix, à une connaissance libre qui leur donnera le pouvoir de faire ce qu’ils veulent. Et mon point de vue est qu’il ne s’agit pas d’un fantasme injustifié, mais bien de quelque chose que nous sommes déjà en train d’accomplir. Nous sommes devenus, en taille, l’un des plus grand site du monde, en utilisant un modèle d’amour et de coopération qui est encore presque totalement inconnu du plus grand nombre. Mais nous commençons à être connu, et nous serons connu, à la fois pour nos principes et nos réussites – car ce sont ces principes qui rendent ces réussites possibles.

Dans ce but, ce sera un élément important de fierté pour nous que la fondation Wikimedia ait toujours utilisée des logiciels libres sur tous les ordinateurs que nous possédons, et que nous mobilisions toutes nos forces pour garantir que notre connaissance libre _soit_ réellement libre, en n’obligeant pas les gens à utiliser des logiciels propriétaires pour la lire, la modifier et la redistribuer commme il leur convient.




Stallman, Torvalds, Novell et la licence GPL v3

GNU GPL - elloa - Flickr - CC BY-NC

La plus célèbre et la plus diffusée de toutes les licences libres, la GNU General Public License, est sur le point de sortir sa troisième version (la GPL v3). Ce sera un événement majeur dans la sphère plus si petite que cela du logiciel libre. Il faut dire que la version précédente, c’est-à-dire la version officielle actuelle pour quelques jours encore, remonte à 1991, Cette remarquable longévité témoigne de son efficience et de sa stabilité mais il fallait bien lui apporter quelques révisions car dans l’intervalle, le développement d’internet, les DRM, les brevets logiciels, le cas exemplaire de TiVo, l’accord Novell Microsoft… de l’eau avait coulé sous les ponts du monde numérique et la nouvelle donne impliquait aussi de nouvelles menaces.

Nous sommes désormais dans la dernière ligne droite d’un long processus de maturation discussion qui aura connu ses difficultés et ses controverses. Ainsi, en septembre 2006, lors de la mise en ligne du deuxième brouillon de cette troisième version, Linus Torvalds en personne menaçait de ne pas faire passer le noyau Linux sous GPL v3 mais de rester sous GPL v2 ce qui aurait inévitablement engendré une crise au sein de la communauté.

Le troisième et dernier brouillon de la GPL v3 (faut suivre !) vient de sortir et, bonne nouvelle, il semble qu’il ait plutôt rassuré Torvalds. Un article de Linux.com par Bruce Byfield fait le point en résumant les avis et positions de Richard Stallman (en quelque sorte le papa de la GNU GPL), de Linus Torvalds (en quelque sorte le papa de GNU/Linux) et d’un représentant de Novell (le papa de ses enfants).

Traduction (n’hésitez pas à en proposer des améliorations dans les commentaires).

Stallman, Torvalds, and Novell comment on GPLv3
Jeudi 29 mars 2007 – Bruce Byfield

Les commentaires à propos de la troisième version de la GNU General Public License (GPLv3), sortie hier, continuent d’affluer. Jusque là nous avons parlé avec le fondateur de la Free Software Foundation : Richard M. Stallman, le créateur de Linux : Linus Torvalds et le directeur des relations publiques de Novell : Bruce Lowry. Leurs réactions apportent de nouvelles perspectives et laissent entrevoir un possible premier pas vers un consensus. Ensemble, ils mettent en avant les points qui monopoliseront sûrement les discussions à propos de cette version dans les jours à venir.

Richard Stallman

Richard Stallman n’a pas pris part à la consultation autour de la GPLv3. A la place, il a quitté son poste de consultant au Software Freedom Law Center pour se concentrer sur les problèmes qui avaient été soulevés. Le processus, qui a duré presque deux ans pour lui, a représenté "pas mal de travail" dit-il. Cependant il ajoute "Je ne vois pas comment on aurait pu l’éviter. Beaucoup de problèmes que nous n’avions pas anticipés ont été soulevés".

Pour Stallman, la GPLv3 fait partie de l’évolution constante de la licence pour empêcher les tendances technologiques et légales de nuire aux principes du logiciel libre. "Avec la GPLv1 je voyais deux moyens pour quelqu’un de rendre un logiciel libre vraiment propriétaire" dit-il. "L’un était par l’ajout de termes supplémentaires à la licence, l’autre moyen était de ne pas publier la source. Donc la GPLv1 a rendu ces deux choses impossibles. Ensuite, en 1990 j’en ai trouvé un autre : les détenteurs de brevet pouvaient faire pression sur les développeurs et leur imposer des conditions plus restrictives sur l’utilisation du logiciel. Alors la GPLv2 a ajouté la Section 7, selon laquelle soit vous distribuez votre produit avec toutes les libertés liées à la GPL soit vous ne le distribuez pas, peu importent les conditions qui vous sont imposées. Actuellement nous avons découvert deux autres manières pour rendre un logiciel libre vraiment propriétaire : l’un d’entre eux est la TiVoisation (NdT : en rapport avec les enregistreurs numériques TiVo aux Etats-Unis) et l’autre est l’accord Novell-Microsoft, donc nous essayons de bloquer les deux. Et à chaque fois que nous découvrirons ce qui constitue une menace pour les libertés des utilisateurs nous essaierons de la bloquer."

Stallman dit que le dernier énoncé couvrant l’accord Novell-Microsoft a été achevé moins de cinq jours avant la sortie de la troisième version. L’astuce, dit-il, était d’écrire le langage dans la Section 11 afin de ne pas écarter de tels accords comme les licences partagées entre plusieurs sociétés qui incluent un engagement mutuel sur les brevets ou un arrangement avec ce qu’il appelle les "trolls des brevets", ces sociétés qui obtiennent des brevets et font leur beurre sur des litiges ou par des menaces de procès. A contre cœur il a accepté d’ajouter une ultime phrase qui consacrerait l’accord Novell-Microsoft, mais il dit "J’espère qu’on en arrivera pas là". Le maintien de cette phrase dépend, d’après lui, des commentaires de la communauté sur cette version.

Après le lancement de la GPLv3, Stallman prévoit une révision de la GNU Free Documentation License et de l’Affero GPL, une licence créée pour les logiciels proposés comme services Web. Malgré les efforts d’internationalisation de la GPLv3, il ne s’attend pas à voir de traductions officielles de la licence dans d’autres langues. "Ça serait bien d’avoir des versions officielles", dit-il, "mais c’est aussi très risqué. Je suis très peu enclin à prendre ce risque."

A propos de l’opposition d’opinion entre l’open source et les logiciels libres, que la GPLv3 a souvent accentués, Stallman dit qu’ils font tous les deux partie de la communauté du logiciel libre. Cependant, en se référant aux défenseurs de l’open source, il dit : "Tout le monde n’accorde pas le même prix à la liberté. Quand on donne la liberté aux gens de choisir leur propre opinion, ils ne tomberont pas tous d’accord." En même temps, Stallman dit qu’il pense qu’un consensus sur l’adoption de la GPLv3 est essentiel, car "les projets sous GPLv3 protègent les utilisateurs de nouvelles menaces contre leur liberté. Si la GPLv3 n’est pas largement adoptée, ou si de nombreux programmes restent sous GPLv2, alors ces programmes seront vulnérables à de nouveaux types d’attaques. Par exemple, si Linus (Torvalds) ne se convertit pas à la GPLv3, alors les utilisateurs de Linux seront vulnérables à la TiVoisation. C’est un problème important.

"Quand le but d’un programme est de vous limiter, le rendre plus puissant et fiable dans ce qu’il fait est pire. C’est donc une erreur de dire que l’obtention de logiciels plus puissants et fiables est un but" comme le maintient le point de vue de l’open source. Au contraire, "le but du mouvement des logiciels libres est de vous donner le contrôle du logiciel que vous utilisez. Ensuite, si vous voulez le rendre plus puissant vous pouvez y travailler." Malgré cela, Stallman garde quelques espoirs. Il remarque, par exemple, que les défenseurs de l’open source ne partagent pas tous le même avis. Il montre Sun Microsystems comme exemple d’une société dominée par la pensée open source et qui envisage d’embrasser la GPLv3 pour des raisons qui lui sont propres.

Linus Torvalds

Quand la deuxième version de la GPLv3 a été publiée, Linus Torvalds a été l’un de ses critiques les plus francs. Bien qu’il insiste sur le fait qu’il ne donne qu’une opinion rapide sur la GPLv3, et qu’il pourrait changer d’avis à mesure qu’il l’étudie plus en détail, sa première réponse à la troisième version donne un accord nuancé.

"Est-elle meilleure ?" demande Torvalds rhétoriquement. "Et de loin ! Mais elle a été limité de manière qui la rendent plus saine au moins. Je devrai y réfléchir. Le langage employé est plus clair et meilleur que celui de la GPLv2 à bien des égards et de nombreuses zones que j’aurai qualifiées d’"absurdité évidente et complètement idiote" ont soit été améliorées soit complètement retirées."

Torvalds approuve la reformulation et les clarifications des termes ajoutés dans la Section 7, suggérant que la troisième version rende la double licence plus simple dans des cas particuliers. Il ajoute : "l’absence totale de nouvelles restrictions est un soulagement énorme et rend la licence bien plus utile".

"Je ne suis pas certain que l’accord Novell (avec Microsoft) méritait tant d’attention", dit Torvalds, en référence à la Section 11 de la version. Cependant, il dit : "Je pense effectivement que ce sujet (plutôt que l’hystérie autour des DRM) était potentiellement une bien meilleure incitation à écrire la GPLv3 de prime abord."

La Section 6 autour de l’anti-TiVoisation couvre déjà cette "hystérie des DRM". A propos du langage tenu dans cette section de la version actuelle, qui remplace une interdiction complète des technologies restrictives et les logiciels espions par l’obligation d’inclure leur code source : "Il prétend toujours contrôler non seulement le logiciel, mais aussi le matériel ou l’environnement sur lequel le logiciel est installé. Je trouve ça odieux, mais le langage est bien meilleur, et ils (la FSF) semblent avoir réalisés que leurs anciennes versions étaient insensées (c’est-à-dire qu’ils disent clairement que si quelque chose est créé pour ne pas recevoir de mise à jour il n’y a pas de raison qu’il demande des ‘informations d’installation’ et des clés). Le fait de limiter les choses aux ‘dispositifs pour utilisateurs’ permet aussi de se débarrasser d’un grand nombre de problèmes idiots présents dans les versions antérieures de la GPLv3. "Sous cette nouvelle forme je pense que la GPLv3 devient au moins une alternative viable à la GPLv2. Je dois encore la lire en entier quelques fois et laisser les choses se décanter mais intérieurement, après l’avoir lue une première fois, je sens au moins que je n’ai plus cette impression de ‘Je n’aurai jamais choisi cette licence si je devais commencer un projet.’"

Novell

Représentant Novell, Bruce Lowry a refusé de fournir une réaction détaillée à cette version, apparemment pour réserver les commentaires officiels pour la version finale. Cependant il indique rapidement que "Rien dans cette nouvelle version de la GPLv3 ne réduit la capacité de Novell à inclure des technologies sous licence GPLv3 dans SUSE Linux Enterprise, openSUSE et d’autres offres open source, ni maintenant ni dans le futur."

Lowry dit "Nous sommes fermement décidés à poursuivre le partenariat avec Microsoft et ce, comme nous l’avons toujours fait, en total accord avec les termes des licences des logiciels que nous proposons, logiciels sous licence GPLv3 compris. Si la version finale de la GPLv3 a un impact potentiel sur l’accord que nous avons avec Microsoft, nous réglerons ça avec Microsoft." Lowry décrit Novell comme un "soutien fort au logiciel libre et à l’open source" et comme un "donateur important pour un grand nombre de logiciels libres et de projets open source."

Un avant goût des mois à venir

Stallman, Torvalds et Novell attendent de voir ce qui va se passer et la version finale de la licence avec de s’engager pleinement. Cependant, leurs commentaires mettent en avant les problèmes autour desquels tourneront les discussions dans les trois prochains mois à mesure que la GPLv3 s’approche de sa version finale. Malgré des efforts évidents de la part de chacun pour éviter les conflits et malgré quelques signes encourageants, le consensus est encore loin d’être atteint, mais l’adhésion générale à la GPLv3 semble déjà plus probable qu’il y a six mois.

Bruce Byfield est un journaliste informatique qui écrit régulièrement pour Newsforge, Linux.com et IT Manager’s Journal.