Google Chrome : All your data are belong to us !

Ma photo du gribouillage Ubuntu sur une publicité Windows ayant fait étonnamment couler beaucoup d’encre, je vous en propose une autre aujourd’hui.

Elle n’est pas de moi, ne concerne pas Microsoft, et est sur le fond certainement plus intéressante, puisqu’il ne s’agit pas ici de mettre maladroitement en valeur une alternative libre à un produit propriétaire, mais de rappeler (certes illégalement) la principale menace que représente Google.

Bisonbison - CC by-nc-sa

Ainsi donc un irrévérencieux et non invité « Toutes vos données nous appartiennent ! », s’est subrepticement intercalé dans le tentant espace vierge laissé par l’affiche. Nous ne sommes plus comme avec Ubuntu dans la substitution mais dans l’ajout d’information de type… Wikipédia (sic), à la petite différence près que l’auteur du méfait s’est inventé lui-même un bouton « modifier » 😉

Si l’on en croit les informations sur Flickr, elle a été prise par Bisonbison, le 4 janvier 2010, à Édimbourg en Écosse, via, joli paradoxe, l’objectif d’un iPhone (sous licence Creative Commons By-Nc-Sa, la photo pas l’iPhone).

Au delà de l’anecdote, c’est aussi et surtout l’occasion pour moi d’évoquer ici brièvement la campagne médiatique sans précédent engagée actuellement par Google pour faire gagner des parts de marché à son navigateur Chrome (qui, pour rappel, prépare la venue de son futur système d’exploitation du même nom).

Sur ses propres sites (moteur de recherche…), dans le métro londonien (escalators inclus) et tout récemment parisien, sur les sites des grands médias totalement encerclés (Le Figaro, Il Corriere Della Sera…), en ouverture des journaux gratuits et donc dans la rue, en simple affiche ou carrément en délirant calendrier de l’Avent qui arrête les passants !

C’est la première fois que Google sort ainsi de sa tanière du Web et cela tient de tout sauf d’un hasard




Google : numéro 1 mondial de l’open source ?

Austin Ziegler - CC by-saAh qu’il était doux et rassurant le temps de l’informatique à grand-papa où nous avions nos ordinateurs fixes qui se connectaient de temps en temps et où nous luttions avec confiance et enthousiasme contre le grand-méchant Microsoft !

Ce temps-là est révolu. Nous entrons dans une autre décennie et il se pourrait bien que le principal sujet de conversation de la communauté du logiciel libre dans les dix ans à venir ne soit plus Microsoft (symbole du logiciel propriétaire, j’ai mal à mes fichiers !) mais Google (symbole de l’informatique dans les nuages, j’ai mal à mes données personnelles !)[1].

Firefox, bouffé par Chrome ? Ubuntu, court-circuité par Chrome OS ? Le Web tout entier se transformant petit à petit en un fort joli Minitel 2.0 bourré de services Google à tous les coins de rue ? Ces différents scénarios ne relèvent pas forcément de la science-fiction.

Le problème c’est que nous n’avons plus un Microsoft en face d’une limpide ligne de démarcation. Le problème c’est que nous avons affaire à rien moins qu’au premier contributeur open source de la planète. Et cela rend légèrement plus complexe le positionnement…

La plus grande entreprise mondiale de l’open-source ? Google

World’s biggest open-source company? Google

Matt Asay – 16 septembre 2009 – Cnet news
(Traduction Framalang : Julien et Cheval boiteux)

Red Hat est généralement considérée comme la principale société open source de l’industrie, mais c’est une distinction dénuée de sens parce qu’elle est inexacte. Alors que les revenus de Red Hat proviennent des logiciels open source que la société développe et distribue, d’autres entreprises comme Sun, IBM et Google écrivent et contribuent en réalité à beaucoup plus de code open source. Il serait temps d’arrêter de parler d’entreprises open source et de revenir à l’importance du code open source.

L’open source est de plus en plus le socle sur lequel reposent les entreprises d’internet et du logiciel. Myspace a dernièrement fait des vagues en ouvrant les sources de Qizmt, un framework de calcul distribué (qui curieusement tourne sur Windows Server) qui active la fonction « Personnes que tu pourrais connaître » du site. Mais Myspace, comme l’a noté VentureBeat, n’a fait que rattraper la récente ouverture des sources de Tornado par Facebook.

Aucun d’eux ne le fait pour marquer des points auprès des utilisateurs branchés. S’ils le font, c’est motivé par leurs propres intérêts, qui nécessitent de plus en plus souvent d’inciter des communautés de développeurs à adopter et étendre leurs propres applications et services Web.

C’est également un moyen d’améliorer la qualité des logiciels. En adoptant les projets open source d’une entreprise, puis en l’étendant à travers ses propres logiciels open source, la qualité collective de l’open source est forte et croissante, comme le note Kit Plummer d’Accenture.

C’est cette compréhension de l’intérêt qu’il apporte et la qualité qui en découle qui a fait de l’open source une architecture essentielle pour potentiellement tous les logiciels commerciaux, ce qui signifie que Red Hat et d’autres entreprises qui ne font que de l’open source ne sont désormais plus le centre de cet univers.

Le noyau Linux est composé de 11,5 millions de lignes de code, dont Red Hat est responsable à hauteur de 12% (mesuré en termes de lignes de code modifiées). Même si l’on y ajoute le serveur d’applications JBoss Application Server (environ 2 autres millions de lignes de code) et d’autres projets Red Hat, on obtient toujours un total inférieur à d’autres acteurs.

Prenons Sun, par exemple. C’est le principal développeur derrière Java (plus de 6.5 millions de ligne de code), Solaris (plus de 2 millions de lignes de code), OpenOffice (environ 10 millions de lignes) et d’autres projets open source.

Ou bien IBM, qui a contribué à lui seul à 12,5 millions de lignes pour Eclipse, sans parler de Linux (6.3% du total des contributions), Geronimo, et un large éventail d’autres projets open source.

Google, cependant, est la société la plus intéressante de toutes, car elle n’est pas une entreprise de logiciels en soi. J’ai interrogé Chris DiBona, responsable des programmes open source et secteur public de Google, à propos des contributions de la société dans le domaine de l’open source (NdT : Cf Tout, vous saurez tout sur Google et l’Open Source sur le Framablog). Voici sa réponse :

Au bas mot, nous avons libéré environ 14 millions de lignes de code. Android dépasse les 10 millions de lignes, puis vous avez Chrome (2 millions de lignes, Google Web Toolkit (300 000 lignes), et aux alentours d’un projet par semaine sorti au cours des cinq dernières années. Vous avez ainsi quelques centaines d’employés Google qui patchent sur une base hebdomadaire ou mensuelle.

Si DiBona se garde bien de suggérer que Google soit devenu le premier contributeur open source (« disons que nous sommes parmi les premiers »), c’est néanmoins probablement le cas, en particulier lorsque l’on considère ses autres activités open source, incluant Google Code, l’hébergement du plus grand dépôt peut-être de projets open source, avec plus de 250 000 projets hébergés, dont au moins 40 000 sont actifs, sans parler de son Summer of Code. Après tout, les lignes de code, bien que fondamentalement utiles, ne sont pas nécessairement la meilleure mesure de la valeur d’une contribution à l’open source.

En fait, Patrick Finch de la fondation Mozilla estime que la meilleure contribution de Google à l’open source n’a probablement rien à voir avec l’écriture de nouveau code :

La plus grande contribution de Google à l’open-source n’est sans doute pas du code, mais de prouver que vous pouvez utiliser Linux à grande échelle sur des machines démarquées (NdT : whitebox hardware).

C’est une étape importante, et qui souligne le fait que le label « entreprise open source » est devenu quelque peu obsolète. Google ne se présente pas, à juste titre, comme une entreprise open source. L’open source fait simplement partie de leur stratégie pour distribuer des logiciels qui vont aider à vendre davantage de publicité.

Sun a tenté de se transformer en entreprise open source, mais une fois que son acquisition par Oracle aura été finalisée, cette dernière ne va certainement pas prendre ce label. Pas parce que c’est un mauvais label, mais simplement parce qu’il n’est plus pertinent.

Toutes les entreprises sont désormais des entreprises open source. Ce qui signifie aussi qu’aucune ne l’est. L’open source est simplement un élément parmi d’autres de la politique de développement et de croissance de ces entreprises, que l’on s’appelle Red Hat, Microsoft, Google ou Facebook.

Et étant donné que les entreprises du Web comme Google n’ont pas besoin de monétiser directement l’open source, on va en fait avoir l’occasion à l’avenir de voir encore plus de code open source émerger de la part de ces sociétés que ce qui a déjà été réalisé par ces traditionnelles « entreprises de logiciels open-source » que sont Red Hat, Pentaho ou MySQL.

Notes

[1] Crédit photo : Austin Ziegler (Creative Commons By-Sa)




Le logiciel libre et le mythe de la méritocratie

Banoootah - CC byEn janvier 2008, Bruce Byfield écrivait, dans un article que nous avions traduit ici-même (Ce qui caractérise les utilisateurs de logiciels libres) : « La communauté du Libre peut se targuer d’être une méritocratie où le statut est le résultat d’accomplissements et de contributions ».

Deux ans plus tard, le même nous propose de sonder plus avant la véracité d’une telle assertion, qui ne va finalement peut-être pas de soi et relève parfois plus du mythe savamment auto-entretenu.

Et de poser en guise de conclusion quelques pertinentes questions qui si elles trouvaient réponse participeraient effectivement à combler l’écart constaté entre la théorie et la pratique.

Nos propres discours n’en auraient alors que plus de consistance et de maturité[1].

Les projets open source et le mythe de la méritocratie

Open Source Projects and the Meritocracy Myth

Bruce Byfield – 2 décembre 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Olivier et Cheval boiteux)

« Ce n’est pas une démocratie, c’est une méritocratie. »

On trouve cette déclaration sur la page de gouvernance d’Ubuntu, mais les notes de version de Fedora présentent quelque chose de similaire, tout comme la page Why Debian for developers et partout où l’essence des projets libres et open source (NdT : FOSS) est débattue.

La méritocratie est un mythe, une de ces histoires que la communauté des logiciels libres et open source aime se conter. Par mythe je n’entends pas mensonge, mais cette méritocratie est une histoire que les développeurs se racontent à eux-mêmes pour les aider à se forger une identité commune.

En d’autres termes, l’idée que les logiciels libres et open source sont une méritocratie est aussi vraie que de dire que les États-Unis sont une terre d’opportunité, ou que les scientifiques sont objectifs. Pour les membres de la communauté des logiciels libres et open source cette idée est primordiale dans leur perception du système et leur perception d’eux-même, car ils ont foi en cette idée que le travail est récompensé par la reconnaissance de leurs pairs et l’attribution de plus de responsabilités

Afin de perdurer, il faut que le mythe renferme une part de vérité, et ainsi personne ne le remet en question. Des exceptions peuvent survenir, mais elles seront justifiées, voire niées.

Cependant, si les mythes de la communauté ne sont pas des mensonges, ils ne révèlent pas toute la vérité non plus. Ils sont souvent des versions simplifiées de situations bien plus complexes.

La méritocratie dans les logiciels libres et open source n’échappe, à mon avis, pas à ce constat. Selon le contexte, si vous contribuez dans un bon projet et faites les choses biens, l’aspect méritocratique des logiciels libres et open source s’ouvrira à vous, c’est souvent le cas.

Mais de là à dire que les communautés ne fonctionnent qu’au mérite, il y a un pas que je ne franchirai pas. Le mérite n’est qu’un facteur à prendre, parmi tant d’autres, le mérite seul ne vous accordera ni reconnaissance, ni responsabilités. Bien d’autres considérations, souvent ignorées, entrent en jeu.

Hypothèses contestables

En invoquant l’argument du mérite on tourne rapidement en rond, c’est l’un des problèmes d’une méritocratie. Une hiérarchie est déjà établie, oui, mais comment ? Au mérite. S’ils n’avaient pas de mérite, ils n’auraient pas leur place.

Pas besoin de chercher bien loin pour voir que seul le mérite ne compte pas dans la hiérarchie des logiciels libres et open source. Les fondateurs du projet, en particulier, ont tendance à conserver leur influence, peu importe l’importance de leurs dernières contributions… si tant est qu’ils contribuent toujours au développement.

Par exemple, lorsque Ian Murdock fonda Progeny Linux Systems (entreprise pour laquelle j’ai travaillé) en 2000, il n’avait pas participé au projet Debian depuis quelques années. Et malgré cela, lorsque l’entreprise s’intéressa à Debian, son statut n’avait pas bougé. Tout portait à croire qu’il n’allait pas s’impliquer personnellement dans le projet et pourtant, s’il n’avait pas refusé la proposition, on lui aurait malgré tout attribué le titre de Debian Maintainer sans passer par le processus habituel.

Plus récemment, Mark Shuttleworth est devenu dictateur bienveillant à vie pour Ubuntu et Canonical, non pas à cause de ses contributions aux logiciels libres, mais parce qu’il disposait de l’énergie et de l’argent pour se propulser à ce rang. Sa position au sein d’Ubuntu ou de Canonical n’est pas remise en cause, mais toujours est-il qu’elle ne doit rien au mérite (au sens où l’entend la communauté), mais plutôt à son influence.

Et les leaders ne sont pas les seuls à gagner de l’influence pour des raisons autres que leur mérite. Dans les projets où certains contributeurs sont rémunérés et d’autres bénévoles, les contributeurs rémunérés ont presque toujours plus d’influence que les bénévoles. Dans certains cas, comme sur le projet OpenOffice.org, les contributeurs salariés peuvent presque entièrement éclipser les bénévoles.

D’autres projets, comme Fedora, repartissent l’influence plus équitablement, mais les contributeurs payés occupent souvent des postes à responsabilité. Par exemple, des dix membres du comité d’administration de Fedora, sept sont des salariés de Red Hat. Idem pour openSUSE où trois des cinq membres du comité sont des employés de Novell, le principal sponsor du projet, et un autre est consultant spécialisé dans les produits Novell. Et la situation est similaire dans bon nombre d’autres projets.

Alors oui, vous allez me dire que les membres payés ont plus de temps à accorder à ces responsabilités. C’est juste, mais ce n’est pas le sujet. Le fait est que les membres payés occupent statistiquement plus de postes à responsabilité que les bénévoles. Et c’est toute le postulat de départ qui est remis en cause, on constate alors que votre statut dans le projet n’est pas directement déterminé par votre mérite.

D’autres moyens de se faire remarquer

La méritocratie semble être le système parfait en théorie. Mais le fait est que la théorie est rarement mise en pratique. Avant de le reconnaître, encore faut-il déjà définir ce qu’est le mérite, la communauté des logiciels libres et open source ne fait pas exception.

Bâtie sur le code, la communauté des logiciels libres et open source valorise principalement la capacité à coder, bien que les plus gros projets soient beaucoup plus variés : tests, rédaction de la documentation, traduction, graphisme et support technique. De nombreux projets, comme Fedora et Drupal, évoluent et tentent de gommer cet a priori, mais cela demeure vrai pour la plupart des projets. Ainsi, les noms connus dans les projets ou les personnes qui font des présentations lors des conférences sont majoritairement des développeurs.

Cet a priori est cependant justifié. Après tout, sans le code, le projet de logiciel libre ou open source n’existerait pas. Et pourtant, le succès du projet dépend autant des autres contributions que du code lui-même.

Et comme le fait remarquer Kirrily Robert, blogueur chez Skud, même si certaines contributions sont moins estimées que d’autres, ça n’est pas une raison de les occulter complètement.

Par exemple, la personne la mieux placée pour écrire la documentation pourrait bien être le chef du projet, mais peut-être alors a-t-il mieux à faire que de rédiger la documentation. Il vaut peut-être mieux qu’une autre personne, même moins douée, rédige la documentation. Dans ce cas, celui qui écrit la documentation devrait être remercié, non seulement pour son travail, mais aussi parce qu’il libère l’emploi du temps du chef du projet. Et pourtant ceci est rarement reconnu dans les projets de logiciels libres ou open source.

L’idée que le mérite soit remarqué, reconnu et recompensé est rassurante dans notre culture industrielle moderne. J’aurai même tendance à penser que c’est encore plus rassurant dans le cercle des logiciels libres et open source, dont de nombreux membres admettent être introvertis, voire même se diagnostiquent eux-mêmes comme étant victime du syndrome d’Asperger.

Mais le mérite est-il toujours reconnu dans les logiciels libres et open source ? Voici ce que Noirin Shirley écrit à propos des obstacles à franchir par les femmes pour participer à cet univers :

Souvent, les valeurs reconnues dans une méritocratie deviennent rapidement le couple mérite/confiance en soi et obstination, dans le meilleur des cas. « Le travail bien fait ne vous apporte pas d’influence. Non, pour gagner de l’influence il faut faire du bon travail et bien s’en vanter, ou au minimum le rappeler à tout le monde régulièrement. » Les femmes échouent à cette étape là.

Shirley suggère ici qu’il faut non seulement être bon et régulier, mais il faut aussi savoir se rendre visible sur les forums, chats et listes de discussion, ainsi qu’aux conférences. Puisque les femmes sont apparemment conditionnées culturellement pour ne pas se mettre en avant, elles sont nombreuses à ne pas être à leur avantage dans un projet de logiciel libre ou open source (idem pour les hommes manquant de confiance en eux). Si elles ne peuvent ou ne souhaitent pas s’auto-promouvoir un minimum, leurs idées peuvent passer inaperçues, être sous-estimées ou carrément écartées.

À l’inverse, selon la même logique, certains gagnent en autorité plus parce qu’ils sont sociables ou opiniâtres que pour ce qu’ils réalisent concrètement (j’ai quelques exemples en tête, mais je ne veux pas faire d’attaque personnelle).

Tout comme la démagogie peut pervertir la démocratie, l’auto-promotion peut pervertir la méritocratie. Si un projet n’y prend pas garde, il se retrouvera bien vite à accepter des contributions, non pas sur la base de leur qualité, mais à cause de la visibilité et de l’insistance de celui qui les propose.

L’attraction sociale et comment s’y soustraire

Dans Le mythe de la méritocratie, Stephen J. McNamee et Robert K. Miller, Jr. avancent que la méritocratie aux États-Unis est influencée par ce qu’ils nomment l’attraction sociale. Ce sont des facteurs comme l’origine sociale ou l’éducation qui peuvent modifier positivement ou négativement la perception qu’ont les autres de nos contributions.

D’après moi, l’attraction sociale touche aussi la communauté des logiciels libres et open source, pas simplement parce qu’elle fait partie de notre société industrielle moderne, mais pour des facteurs qui lui sont propres. Reconnaître son existence n’est pas forcément facile, mais ça n’est pas pour autant une remise en cause de la méritocratie dans les logiciels libres et open source. L’importance du travail réalisé par les contributeurs n’en est pas non plus amoindrie.

Au contraire, reconnaître l’existence de l’attraction sociale peut être un premier pas pour améliorer la méritocratie dans le monde des logiciels libres et open source.

Kirrily Robert émet une idée intéressante. À l’instar des auditions anonymes où les musiciennes sont plus facilement choisies lorsque le sexe de la personne qui postule n’est pas connu, Robert propose que les soumissions soient également anonymes afin que leur évaluation ne soit pas biaisée. Si l’augmentation des contributions féminines lui tient à cœur, ces soumissions anonymes pourraient aussi garantir que seul le mérite entre en ligne de compte pour chaque contribution.

Mais ce n’est là qu’une proposition. Si vous voulez que la communauté des logiciels libres et open source devienne véritablement méritocratique, alors elle doit avoir le courage se poser quelques bonnes questions.

Pour commencer, par quel autre moyen peut-on réduire l’importance de l’auto-promotion ? Comment peut-on s’assurer que les employés et les bénévoles soient réellement au même niveau ? Peut-on redéfinir le mérite pour qu’il ne reflète pas uniquement ce qui est lié au code, mais au succès global du projet ?

Répondre à ces questions n’affaiblira pas le principe du mérite. Au contraire, ce principe de base de la communauté devrait en ressortir renforcé, et mieux utilisé. Et c’est, sans aucun doute, ce que souhaite tout supporter des logiciels libres et open source.

Notes

[1] Crédit photo : Banoootah (Creative Commons By)




Dis papa, pourquoi je ne peux pas dessiner dans les musées ?

SC Fiasco - CC byDis papa chéri , pourquoi ne puis-je dessiner dans ce musée ? Parce que le « copyright » ma fille ! Oui, mais c’est quoi le « copyright », papa ? Euh… c’est une chose de grandes personnes, tu ne peux pas comprendre…

Fin du dialogue fictif entre un père et sa fille. Mais ce qui n’a rien de fictif c’est la situation étrange et pénétrante qui verrait un enfant interdit de prendre son crayon et son carnet pour le simple plaisir d’étudier et garder en mémoire ce qu’il a sous les yeux[1].

Dieu soit loué, ce n’est pas le cas dans la majorité des musées et cela semble ne concerner que les expositions temporaires et non permanentes.

Il n’empêche que cela existe et en dit déjà long sur les dommages collatéraux désastreux de ces contrats juridiques qui, à trop vouloir se protéger, en arrivent à censurer un acte aussi inoffensif que celui-là.

Remarque : Ce n’est pas la première fois que le Framablog évoque Nina Paley (cf Libération du film d’animation Sita Sings the Blues et The Copyright Song).

Crayonner c’est copier. Copier c’est voler. Bientôt : l’interdiction de respirer

Sketching is copying; copying is stealing. Coming soon: no breathing

Karl Fogel – 29 octobre 2009 – QuestionCopyright.org
(Traduction Framalang : Julien)

Ce n’est certainement pas une nouveauté pour les étudiants des Beaux-Arts, mais pour le reste d’entre nous c’est toujours étonnant de constater que des établissements culturels comme les musées marchent dans le mythe du « copier c’est voler » en interdisant les croquis.

Dans certains cas, par exemple lors d’expositions temporaires, les restrictions concernant la copie sont imposées par l’institution qui prête l’œuvre. Il serait alors intéressant de savoir combien de fois le prêteur impose ces restrictions sur des œuvres qui ne sont pas sous copyright, ou qui autrement ne seraient pas restreintes.

Nina Paley a recueilli quelques exemples à la volée. Vous en connaissez d’autres ?

Le Philadelphia Museum of Art

« Tous les croquis dans les galeries d’exposition ou des œuvres prêtées sont interdits »

D’après la formulation, ceci s’applique à toute oeuvre en prêt, qu’elle soit dans le domaine public ou non. Quelqu’un a lancé une pétition pour obtenir que cette restriction soit levée, mais cela ne semble pas avoir abouti.

Le Musée Royal de l’Ontario : « Il est parfois interdit de dessiner à l’occasion de certaines expositions temporaires en raison d’ententes contractuelles avec les institutions ou les personnes qui nous prêtent des œuvres. ».

Ce serait bien s’ils affichaient ces accords sur le mur, à côté des autres informations qui concernent l’œuvre (et si les prêteurs ne souhaitent pas voir cela affiché peut-être devraient-ils se demander pourquoi).

Le Morris Museum of Art

« Exécuter des croquis des œuvres exposées dans les galeries permanentes du musées à des fins éducatives est autorisé. Faire des croquis ou dessiner à l’intérieur du Morris Museum of Art à des fins de revente ou de reproduction est strictement interdit. … Des restrictions supplémentaires peuvent s’appliquer sur le crayonnage de peintures et d’objets prêtés par d’autres musées. Veuillez vérifier auprès d’un représentant du musée avant de faire des croquis dans les galeries. Il vous sera demandé de signer un formulaire d’autorisation de dessiner et de vous conformer aux règles du musée. »

Par où commencer ? La revente ou la reproduction sont strictement interdites ? On se demande comment les conservateurs du Morris Museum ont reçu leur éducation artistique. Ont-ils réussi à visiter personnellement chaque musée où était exposée une œuvre qu’ils souhaitaient voir ? Et un formulaire « d’autorisation de dessiner » ! L’adjectif « orwellien » est galvaudé, mais parfois c’est le seul mot qui convient. Soyez heureux d’avoir déjà signé votre formulaire d’autorisation de penser.

La National Gallery of Victoria (Australie)

« Les croquis et la prise de notes sont permis dans les zones d’expositions temporaires et de collections permanentes de la National Gallery of Victoria. Cette politique est soumise à l’appréciation des prêteurs individuels ou institutionnels, à condition que les conditions suivantes soient respectées : … Il est important de noter que certains prêteurs individuels ou institutionnels peuvent interdire le crayonnage et la prise de notes dans le cadre des conditions exposées dans les accords de prêt et/ou des contrats d’exposition selon les termes d’une indemnité gouvernementale ou police d’assurance. Dans ces circonstances, le commissaire de l’exposition donnera des instructions spécifiques au personnel de sécurité. Nous demandons à tous les visiteurs de comprendre que dans ces circonstances la National Gallery of Victoria n’a pas d’autre choix que de se conformer aux conditions fixée par les prêteurs. »

De toutes les conditions exposées ici, celle-ci semble la plus raisonnable. Le texte complet montre qu’ils sont en priorité soucieux du public, et quand il s’agit de restrictions imposées par les prêteurs, la galerie admet plus ou moins ouvertement qu’elle regrette que ces restrictions soient toujours nécessaires. Cette politique résulte apparemment en partie d’une protestation du Free Pencil Movement, félicitations à eux pour cette action couronnée de succès. Encore une fois, j’espère que la National Gallery affichera les termes exacts des restrictions demandées par les prêteurs juste à côté des œuvres concernées.

La mentalité du « Copier c’est voler » peut créer des situations terriblement étranges. Ce post de 2005 sur BoingBoing rapporte l’histoire d’une élève de CE1 qui dessinait au North Carolina Museum of Art : « Un gardien du musée a dit aux parents de Julia que faire des croquis était interdit parce que les grands chefs d’oeuvres sont protégés par le copyright, un concept que la jeune Julia ne comprenait pas avant que sa mère ne lui explique le terme ».

Ne t’inquiète pas Julia, tu n’es pas la seule.

Notes

[1] Crédit photo : SC Fiasco (Creative Commons By)




Filtrage du Net : danger pour la démocratie et l’État de droit

Dolmang - CC by-saLe groupe de travail Framalang du réseau Framasoft, et La Quadrature du Net publient la traduction du résumé d’une étude juridique indépendante sur les dangers du filtrage du Net.

Ce que l’on retire de la lecture de cette étude, c’est que comme lors de la bataille HADOPI, où le gouvernement se cachait derrière la supposée « défense des artistes » pour imposer une absurde et dangereuse coupure de l’accès au Net, des politiques publiques légitimes sont désormais instrumentalisées pour imposer le filtrage gouvernemental des contenus sur Internet[1].

Toutefois, de même que les coupures d’accès, si elles sont appliquées, n’apporteront pas un centime de plus aux artistes et ne feront pas remonter les ventes de disques, le filtrage ne peut en aucun cas résoudre les problèmes au prétexte desquels il sera mis en place.

Si l’objectif de lutter contre la pédopornographie et son commerce est bien évidemment légitime, la solution qui consiste à bloquer les sites incriminés pour éviter leur consultation revient en réalité à pousser, dangereusement, la poussière sous le tapis. Le seul moyen de lutte véritablement efficace contre ces pratiques ignobles passe par le renforcement des moyens humains et financiers des enquêteurs, l’infiltration des réseaux criminels ainsi que le blocage des flux financiers et le retrait des contenus des serveurs eux-mêmes. Or, en la matière, des politiques efficaces existent déjà.

Il importe donc d’améliorer ces dispositifs existants et d’y consacrer les ressources nécessaires, plutôt que de remettre en cause les libertés au motif de politiques de prévention du crime totalement inefficaces. En effet, les arguments de lutte contre la criminalité, au potentiel émotionnel fort, sont aujourd’hui instrumentalisés pour tenter de légitimer un filtrage du Net qui porte pourtant radicalement atteinte à la structure du réseau, et entraîne de grands risques pour les libertés individuelles et « l’état de droit » tout entier.

L’étude dont le résumé de 30 pages vient d’être traduit en français conjointement par les volontaires de Framalang et de La Quadrature du Net est un pavé dans la mare. Elle conteste, démonstrations juridiques à l’appui, l’idée – évoquée par un nombre croissant de gouvernements européens – que le filtrage du Net puisse être une solution efficace et indolore de régulation des pratiques sur Internet. Réalisée par les éminents spécialistes Cormac Callanan[2], Marco Gercke[3], Estelle De Marco[4] et Hein Dries-Ziekenheine[5], ses conclusions sur l’inefficacité et la dangerosité du dispositif sont sans appel :

  • Quel que soit le mode de filtrage des contenus utilisé, il entraîne de graves risques de sur-blocage (risques de faux-positif : des sites innocents rendus inaccessibles).
  • Quel que soit le mode de filtrage retenu, il sera ridiculement facile à contourner. Les criminels se servent déjà de moyens de contournement et continueront d’agir en toute impunité.

La seule mise en place du filtrage entraine des risques de dérives : si l’on commence pour la pédopornographie, pourquoi ne pas continuer par la suite pour la vente de cigarettes sans TVA[6], le partage de musique et de films (comme le souhaitent les lobbies derrière l’ACTA)[7], les sondages en sorties des urnes ou même les insultes au président ? La plupart des pays non-démocratiques (Chine, Iran, Birmanie, etc.) utilisent le filtrage du Net aujourd’hui, systématiquement à des fins de contrôle politique.

La loi LOPPSI (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) sera bientôt examinée au Parlement français. Elle contient des dispositions visant à imposer le filtrage du Net sans contrôle de l’autorité judiciaire, par une autorité administrative dépendante du ministère de l’intérieur.

Il est indispensable que les citoyens attachés à Internet, aux valeurs démocratiques et à l’État de droit se saisissent de cette question, grâce à cette étude, afin de stimuler un débat public. Il est crucial de contrer cette tentative d’imposer un filtrage du Net attentatoire aux libertés fondamentales !

Passages essentiels :

p. 4 : Dans les pays où l’autorité judiciaire est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce qui devrait être le cas dans toutes les démocraties libérales, seul un juge devrait avoir la compétence de déclarer illégal un contenu, une situation ou une action.

Un problème crucial autour des listes noires est celui de leur sécurité et leur intégrité. Une liste de contenus tels que ceux-là est extrêmement recherchée par ceux qui sont enclins à tirer parti d’une telle ressource. Sans même mentionner les fuites de listes noires directement sur Internet, des recherches indiquent qu’il serait possible de faire de la rétro ingénierie des listes utilisées par n’importe quel fournisseur de services.

p. 5 : En tout état de cause, il faut souligner qu’aucune stratégie identifiée dans le présent rapport ne semble capable d’empêcher complètement le filtrage abusif. Ceci est d’une importance décisive lorsqu’on met en balance la nécessité de bloquer la pédo-pornographie et les exigences des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Il semble inévitable que des contenus légaux soient aussi bloqués lorsque le filtrage sera mis en œuvre.

p. 13 : Aucune des stratégies identifiées dans ce rapport ne semble être capable de protéger du sur-filtrage. C’est une des préoccupations majeures dans l’équilibre entre la protection des enfants et les droits de l’homme et de la liberté. Il parait inévitable que le contenu légal soit filtré aux endroits où les filtres sont implémentés. Le sous-filtrage est aussi un phénomène universel spécialement présent dans la plupart des stratégies étudiées.

p 18 : Que l’accès à Internet soit ou non un droit fondamental indépendant, celui-ci est tout au moins protégé comme un moyen d’exercer la liberté d’expression, et chaque mesure de filtrage d’Internet qui tente d’empêcher les personnes d’accéder à l’information est par conséquent en conflit avec cette liberté. Chaque mesure de filtrage limite le droit à la liberté d’expression, de manière plus ou moins large selon les caractéristiques du filtrage et le degré de sur-filtrage, puisque l’objectif initial d’une telle mesure est de limiter l’accès à un contenu particulier.

p 21 : La seule sorte d’accord qui pourrait autoriser une mesure de filtrage serait le contrat entre l’utilisateur d’Internet et le fournisseur d’accès. La légalité d’une telle mesure de filtrage dépendrait pour beaucoup du type de contenu consulté, de la nature de l’entorse aux droits et libertés et des preuves requises. Si cela n’est pas précisé d’une façon raisonnable, il est facile d’envisager que de tels contrats soient considérés comme des entorses à la directive européenne sur les clauses contractuelles abusives, particulièrement si cela permet au fournisseur d’accès à Internet de prendre des sanctions unilatérales à l’encontre de son client.

p 23 : Le filtrage du web et du P2P dans l’intérêt de l’industrie de la propriété intellectuelle. Une mesure de filtrage du web ou du P2P, qui servirait l’intérêt des ayants droit, aurait probablement un effet global plus négatif :

  • tout d’abord, si le filtrage du P2P peut être présenté comme menant à un chiffrement des échanges rendant toute surveillance ou la plupart des contenus impossible, il deviendrait alors impossible de surveiller ces communications, même dans les conditions où cela est autorisé ;
  • ensuite, cela impliquerait des coûts. Elevés pour l’industrie d’Internet, les gouvernements et les internautes ;
  • enfin, cela mènerait à coup sûr au filtrage de fichiers légaux.

Au regard du critère qui requiert qu’il existe une base suffisante pour croire que les intérêts des ayants-droits soient en péril , nous pouvons dire qu’il n’y a aucune preuve d’un tel danger. Il n’y a aucune preuve de la nature et de l’étendue des pertes possibles dont souffrent les ayants-droits à cause des infractions commises à l’encontre de leurs droits sur le web ou les réseaux P2P, étant donné que les études sur ce problème sont insuffisantes ou démontrent un résultat inverse.

Le filtrage des contenus illégaux du web ou du P2P dans le but de la prévention du crime. L’objectif de la prévention du crime devrait être d’empêcher les gens de commettre des crimes ou délits ou d’en être complices en achetant, téléchargeant ou vendant des contenus illégaux. Sa proportionnalité dépendrait de l’équilibre trouvé entre, d’une part, le pourcentage de la population qui ne commettrait plus de délits puisque n’ayant plus accès aux contenus illégaux et, d’autre part, les restrictions des libertés publiques que causerait la mesure. L’effet de la mesure ne devrait pas être une réduction significative de la liberté d’expression ni du droit à la vie privée de chaque citoyen. Il n’existe pour l’instant aucune preuve qu’une mesure de filtrage pourrait aboutir à une diminution des crimes et délits, alors qu’elle restreindrait certains comportements légitimes et proportionnés.

p 25 : Si avoir le droit d’attaquer devant un tribunal une décision qui limite une des libertés est un droit fondamental, cela suppose que cette limitation a déjà été mise en place et que le citoyen a déjà subi ses effets. Par conséquent, il est essentiel qu’un juge puisse intervenir avant qu’une telle décision de filtrage ne soit prise. En ce qui concerne le filtrage d’Internet, ces situations sont tout d’abord relatives à l’estimation et la déclaration d’illégalité d’un contenu ou d’une action, puis à l’appréciation de la proportionnalité de la réponse apportée à la situation illégale.

p. 26 : Un passage en revue technique des principaux systèmes de filtrage d’Internet utilisés de nos jours, et la façon dont ils s’appliquent à différents services en ligne, soulignent la gamme croissante des contenus et des services qu’on envisage de filtrer. Une analyse de l’efficacité des systèmes de filtrage d’Internet met en évidence de nombreuses questions sans réponse à propos du succès de ces systèmes et de leur capacité à atteindre les objectifs qu’on leur assigne. Presque tous les systèmes ont un impact technique sur la capacité de résistance d’Internet et ajoutent un degré supplémentaire de complexité à un réseau déjà complexe. Tous les systèmes de filtrage d’Internet peuvent être contournés et quelquefois, il suffit de modestes connaissances techniques pour le faire. Il existe des solutions logicielles largement disponibles sur Internet qui aident à échapper aux mesures de filtrage.

p. 27 : En bref, le filtrage d’Internet est conçu avec des solutions techniques qui sont inadéquates par elles-mêmes et qui en outre sont sapées par la disponibilité de protocoles alternatifs permettant d’accéder à du matériel illégal et de le télécharger. Il en résulte que l’estimation du caractère proportionné des mesures ne doit pas seulement respecter l’équilibre des divers droits en jeu, mais aussi garder à l’esprit l’incapacité des technologies de filtrage à préserver les droits en question, ainsi que les risques d’effets pervers, tels qu’une diminution de la pression politique pour rechercher des solutions complètes, ou le risque d’introduction de nouvelles stratégies chez les fournisseurs de sites illégaux pour éviter le filtrage, ce qui rendrait à l’avenir plus difficiles encore les enquêtes pénales.

Notes

[1] Crédit photo : Dolmang (Creative Commons By-Sa)

[2] Cormac Callanan est Membre du conseil consultatif Irlandais sur la sûreté d’Internet et directeur d’Aconite Internet Solutions, qui fournit des expertises dans le domaine de la cybercriminalité.

[3] Marco Gercke est Directeur de l’Institut du droit de la cybercriminalité et professeur de droit pénal à l’Université de Cologne.

[4] Estelle De Marco est juriste. Ancienne consultante de l’Association des Fournisseurs d’Accès.

[5] Hein Dries-Ziekenheine est PDG de Vigilo Consult, cabinet de juristes spécialisés dans le droit de l’Internet.

[6] Voir Tabac et vente sur Internet : le gouvernement dément.

[7] En juin 2008, interrogé par PCINpact, le directeur général de la SPPF, Jérome Roger, qui représente les producteurs indépendants français, a déclaré : « les problématiques de l’industrie musicale ne sont pas éloignées de ces autres préoccupations (la pédophilie) qui peuvent paraître évidemment beaucoup plus graves et urgentes à traiter. Bien évidemment, les solutions de filtrage qui pourraient être déployées à cette occasion devraient faire l’objet d’une réflexion à l’égard des contenus, dans le cadre de la propriété intellectuelle ». Voir Quand l’industrie du disque instrumentalise la pédopornographie.




Hadopi à l’école : transformons la propagande en opportunité

Pink Sherbet Photography - CC byVous ne le savez peut-être pas, mais nous, professeurs, sommes désormais dans l’obligation légale « d’enseigner l’Hadopi » à vos enfants.

C’est évidemment un peu caricatural de présenter la chose ainsi. Sauf que voici ce qu’on peut lire actuellement en accueil et en pleine page de la rubrique Legamédia du très officiel site Educnet : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet (et) demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés ».

Le message est on ne peut plus clair, d’autant que Legamédia[1] se définit comme « l’espace d’information et de sensibilisation juridique pour la communauté éducative ».

Dura lex sed lex

Ceci place alors les nombreux collègues, qui n’étaient pas favorables à cette loi liberticide, dans une position difficile. Nous sommes de bons petits soldats de la République mais la tentation est alors réelle d’adopter une attitude larvée de résistance passive. Cependant, à y regarder de plus près, rien ne nous oblige à entrer dans la classe en déclamant aux élèves : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet, voici pourquoi… »[2].

Que dit en effet précisément la loi, pour les passages qui nous concernent ici ?

Elle dit ceci (article L312-6) :

Dans le cadre de ces enseignements (artistiques), les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique.

Elle dit cela (article L312-9) :

Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique.

Dans ce cadre, notamment à l’occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009) de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne.

Et puis c’est tout.

Sous les pavés du copyright, la plage du copyleft

Pourquoi alors évoquer dans mon titre aussi bien une propagande qu’une opportunité ?

La réponse est toute entière contenue dans les deux sous-amendements déposés par M. Brard et Mme Billard en avril 2009 (n° 527 et n° 528).

Ils visaient à ajouter la mention suivante au texte de loi ci-dessus : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. »

Et les justifications données valent la peine d’être rappelées.

Pour le sous-amendement n° 527 :

L’article L312-9 du Code de l’éducation dispose que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique ». Il serait fort regrettable que sous couvert de prévention et de pédagogie autour des risques liés aux usages des services de communication au public en ligne sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, soit présentée comme seule alternative une « offre légale » qui occulterait la mise en valeur et la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. On violerait là, dans la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, les principes de la neutralité scolaire sous l’égide même du ministère de l’Éducation nationale.

Pour le sous-amendement n° 528 :

Ce sous-amendement permet de préciser le lien entre « téléchargement » et « création artistique », dans le respect de la neutralité de scolaire.

Il ne s’agit pas de condamner une technologie par définition neutre, mais les usages illicites qui en sont faits, en mettant en avant les usages licites de partage des œuvres culturelles.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers, qui enrichissent la création artistique.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adaptée à l’éducation.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture, et de partage culturel entre particuliers. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et souvent la transformation des œuvres, encourageant de nouvelles pratiques de création culturelle.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres ne sont pas des oeuvres libres de droits : si leur usage peut être ouvertement partagé, c’est selon des modalités dont chaque ayant droit détermine les contours. Les licences ouvertes sont parfaitement compatibles avec le droit d’auteur dont les règles, qui reposent sur le choix de l’auteur, permettent que soient accordées des libertés d’usage.

Elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, le dernier album du groupe Nine Inch Nails, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plateforme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

Ces amendements ont été malheureusement rejetés, sous le prétexte fumeux que ça n’était « pas vraiment pas du ressort de la loi mais plutôt de la circulaire » (cf article de l’April). On pourra toujours attendre la circulaire, elle ne viendra pas. Car c’est bien ici que se cache la propagande.

De la même manière que le logiciel propriétaire a tout fait pendant des années pour taire et nier l’existence du logiciel libre en ne parlant que de logiciel propriétaire dûment acheté vs logiciel propriétaire « piraté », les industries culturelles (avec l’aide complice du gouvernement) ne présentent les choses que sous l’angle dichotomique de l’offre légale vs le téléchargement illégal en occultant totalement l’alternative des ressources sous licence libre. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour comprendre pourquoi !

Nous pouvons cependant retourner la chose à notre avantage, tout en respectant évidemment la loi. Il suffit de présenter la problématique aux élèves sous un jour nouveau. Non plus la dichotomie précédente mais celle qui fait bien la distinction entre ressources sous licence fermée et ressources sous licence ouverte ou libre.

Exemple de plan. Dans une première partie, on évoquera bien entendu l’Hadopi, le téléchargement illégal (les amendes, la prison), l’offre légale, les droits d’auteur classiques de type « tous droits réservés », etc. Mais dans une seconde partie, plus riche, féconde et enthousiaste, on mettra l’accent sur cette « culture libre » en pleine expansion qui s’accorde si bien avec l’éducation.

C’est bien plus qu’une façon plus ou moins habile de « lutter contre l’Hadopi ». C’est une question de responsabilité d’éducateur souhaitant donner les maximum de clés à la génération d’aujourd’hui pour préparer au mieux le monde demain.

Préalablement sensibilisés

Encore faudrait-il, et désolé pour la condescendance, que les enseignants comprennent de quoi il s’agit et adhèrent à cette manière de voir les choses. Ce qui n’est pas gagné, quand on regarde et constate la situation actuelle du logiciel libre dans l’éducation.

La loi stipule que « les élèves reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur… ». Peut-on aujourd’hui compter sur le ministère pour que cette sensibilisation ne se fasse pas à sens unique (et inique) ? Une fois de plus, je crains fort que non.

Peut-être alors serait-il intéressant de proposer aux collègues une sorte de « kit pédagogique dédié », élaboré conjointement par toutes les forces vives du libre éducatif et associatif ?

L’appel est lancé. Et en attendant voici en vrac quelques ressources internes et non exhaustives du Framablog susceptibles de participer à ce projet.

J’arrête là. N’ayant ni la volonté de vous assommer, ni le courage d’éplucher les quelques six cents articles des archives du blog. Sacrée somme en tout cas, qui me donne pour tout vous dire un léger coup de vieux !

Certains disent que la bataille Hadopi a été perdue dans les faits (la loi est passée) mais pas au niveau des idées et de la prise de conscience de l’opinion publique. Montrons ensemble qu’il en va de même à l’Éducation nationale en profitant de la paradoxale occasion qui nous est donnée.

Notes

[1] Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Framablog évoque Legamédia.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Un Centre de Formation Logiciels Libres pour les Universités d’Île-de-France !

CF2L - La salle de formation - Jean-Baptiste YunesIl reste beaucoup à faire pour améliorer la situation du logiciel libre dans l’éducation en général et dans l’enseignement supérieur en particulier.

C’est pourquoi nous sommes fiers et heureux de pouvoir annoncer une grande première dans le monde universitaire : l’ouverture prochaine du CF2L-UNPIdF, c’est-à-dire Centre de Formation Logiciels Libres – Université numérique Paris Île-de-France en direction de tous les personnels des universités de la région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…).

D’autant plus fiers que Framasoft est directement impliqué en participant de près à la logistique.

Le programme, planning et site officiel seront disponibles prochainement, mais en attendant nous vous proposons un entretien avec le principal artisan de ce projet, Thierry Stœhr (que beaucoup ici connaissent déjà sous d’autres casquettes).

Vous pouvez relayer dès maintenant l’information, maximisant ainsi les chances de toucher le public concerné (contact : cf2l AT unpidf.fr).

Faire en effet salle comble dès la première session (et aux suivantes aussi !) témoignerait du besoin et de l’intérêt du personnel universitaire pour les logiciels libres et nous permettrait de poursuivre et d’étendre les formations au cours des prochaines années. Et au libre de trouver une place logique et méritée[1].

CF2L : Entretien avec Thierry Stœhr

Bonjour Thierry, vous n’êtes pas inconnu en ces lieux mais pouvez-vous néanmoins vous présenter ?

Styeb - CC by-saBonjour Alexis et bonjour aux nombreux lecteurs de Framablog ! Je m’appelle Thierry Stœhr, en effet déjà cité en ces lieux 🙂 Je suis enseignant de formation et je suis dans le monde du logiciel libre depuis 1998. J’ai commencé à m’impliquer dans le libre au travers de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL) en étant au Bureau de son Conseil d’Administration depuis sa création. J’en suis l’actuel président.

J’ai participé à de nombreuses manifestations et actions (comme les RMLL, le groupe éducation de l’AFUL, des conférences,…). Je traitais notamment du sujet des formats et j’ai ouvert en juillet 2004 avec Sylvain Lhullier un site Web sur le sujet, Formats-Ouverts.org (FOo pour faire court). Les formats y sont envisagés et expliqués au sens large (le cas des fichiers, mais aussi avec les capsules de café ou les déménagements). Et donc 5 ans d’âge en juillet dernier pour FOo.

Mais cela fait ne fait pas vivre son homme ! Et dans votre vie professionnelle, il y a aussi du logiciel libre ?

Tout cela était bénévole et hors de mon temps de travail, c’est exact. Mais le logiciel libre est présent professionnellement depuis la rentrée 2009.

En effet j’ai été recruté par l’université Paris Diderot Paris 7 (dont le campus principal est dans le 13e arrondissement, quartier Paris Rive Gauche). Je travaille au SCRIPT (oui, le nom est un clin d’œil et signifie quelque chose de réel : Service Commun de Ressources Informatiques Pédagogiques et Technologiques !). Au sein du SCRIPT j’ai 2 missions. D’une part je suis chargé de coordonner le C2i (Certificat informatique et Internet) que tous les étudiants doivent pouvoir passer au cours de leur licence. Ils ont tous à Paris Diderot un enseignement en informatique général au cours duquel ils travaillent la bureautique et à propos d’Internet. Et le libre est très présent (mais c’est un autre sujet !). D’autre part les logiciels libres occupent la seconde moitié de mes activités au sein du SCRIPT : diffusion interne et externe, veille, information et surtout en ce moment le CF2L.

Le CF2L ?

C’est le Centre de Formation Logiciels Libres, qui pourrait s’écrire CFLL mais CF2L a été retenu. Il s’agit d’une structure mise en place par l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF) qui regroupe les 17 universités… d’Île-de-France ! L’UNPIdF a décidé d’ouvrir début 2010 un centre destiné à la formation aux logiciels libres de tous les personnels des universités de la Région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…). Dans le cadre de sa stratégie de formation aux usages du numérique à destination des personnels universitaires, un premier centre de formation, le RTC Apple, a été ouvert début 2009. Il est implanté à l’université Paris Descartes. La volonté de l’UNPIdF est d’avoir aussi des centres à propos des autres plate-formes. D’où l’appel à candidature qui a été lancé pour un centre à propos des logiciels libres. Suite aux réponses obtenues, deux implantations ont été retenues : l’université Paris Descartes et l’université Paris Diderot.

Et quel est votre rôle dans ce CF2L ?

D’une manière générale, il s’agit de le faire vivre, en employant mes compétences et connaissances à propos du libre. Plus concrètement, je suis chargé du volet pédagogique du centre (contenu, programme, calendrier, intervenants,…) avec aussi un volet technique pour s’assurer que tout fonctionne. Mais ce dernier point repose sur les compétences internes en libre, qui sont très importantes. L’université Paris Diderot s’appuie beaucoup sur le libre (mais c’est encore un autre sujet !). Le projet du CF2L est fortement soutenu en interne, notamment par la Mission TICE.

D’ailleurs la mission TICE de l’Université Paris Diderot avait annoncé cette excellente nouvelle, mais les 140 caractères limitaient la description du projet. Nous en savons un peu plus, mais quelques détails supplémentaires à nous donner ?

Le Centre de Formation Logiciels Libres doit ouvrir le 5 février 2010, un vendredi. Ce sera la première journée de formation. Elle devrait porter sur la découverte des systèmes d’exploitation libres, les principes et les concepts généraux, le fonctionnement, l’installation. Bref, les premiers pas, la prise en main et les premières utilisations. Enfin il faut annoncer une autre caractéristique importante à propos du CF2L : Framasoft est partenaire de l’opération auprès de l’UNPIdF. Je suis très content de ce montage qui devrait permettre de belles réalisations.

Un mot de fin ?

Oui, et même quatre : diffuser, montrer, copier, adapter !

Il ne faut pas hésiter à diffuser l’information. Les personnels des universités d’Ile de France seront bien sûr informés officiellement, mais voilà un premier canal, qui va même vers le monde 😉

Montrer au grand jour des logiciels libres développés par des personnels de l’université et pour l’université (et plus largement encore) est possible via le CF2L. Cela peut compléter ce que font déjà PLUME ou Framasoft (je pense par exemple à 2 logiciels libres de 2 universitaires qui se reconnaitront… ; encore un autre sujet !).

Enfin copier et adapter : les logiciels libres sont très présents dans l’enseignement supérieur. Qu’ils se montrent donc encore plus au grand jour… et que ce qui a été mis en place (mon recrutement, le CF2L) soit copié dans d’autres universités et d’autres universités numériques en région, en adaptant (et en améliorant) le dispositif.

Merci pour toutes ces précisions. Et sinon continuez-vous à murmurer ouverts à l’oreille des formats ?

Il faut sans cesse le murmurer et aussi l’affirmer fortement, notamment aux oreilles de tous les enseignants (et des étudiants). Rendez-vous pour la suite (avec le programme, des détails techniques,…) car il y a encore du travail avant l’ouverture du CF2L : La route est longue mais la voie est libre !

Pour de plus amples informations : thierry.stoehr AT script.univ-paris-diderot.fr

Notes

[1] Crédit photos : Jean-Baptiste Yunes et Styeb (Creative Commons By-Sa)




Soutenir les Creative Commons – Lettre de Mohamed Nanabhay (Al Jazeera)

Oso - CC by-ncL’actuelle campagne de soutien des Creative Commons (CC) bat son plein. Elle vise à récolter un demi-million de dollars avant le 31 décembre. Inutile de vous dire que nous vous encourageons vivement à participer, si vous pensez, comme nous, que ces licences font partie de ce qui est arrivé de mieux à l’Internet au cours de la présente décennie.

À cette occasion, il a été demandé à des personnalités utilisant les CC de témoigner en rédigeant une Commoner Letter. C’est la première de ces lettres que nous avons traduit ici, faisant directement écho à un billet de janvier dernier où nous évoquions l’inauguration par Al Jazeera d’un dépôt d’archives vidéos sous licence Creative Commons[1].

Rendez-vous l’an prochain pour la lettre de TF1 ?

Commoner Letter #1 : Mohamed Nanabhay de la chaîne Al Jazeera

Commoner Letter #1: Mohamed Nanabhay of Al Jazeera

7 octobre 2009 – Blog Creative Commons
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et Yostral)

Introduction de Allison Domicone (Creative Commons)

J’ai le plaisir de vous annoncer le lancement de notre série Commoner Letter annuelle, une série de lettres rédigées par des membres importants de la communauté des CC pour appuyer notre campagne de soutien pour les CC. Mais cette campagne ne vise pas qu’à lever des fonds, nous voulons que cela soit bien clair. Nous cherchons avant tout à faire connaître plus largement les CC et à militer pour le partage en ligne et la culture collaborative.

Je suis donc fier de vous annoncer la parution de la première Commoner Letter, de Mohamed Nanabhay, directeur du développement en ligne pour Al Jazeera English. Mohamed et Al Jazeera ont offert une visibilité à l’international aux CC grâce au travail incroyable qu’ils ont founi cette année. Comme vous le savez peut-être déjà, Al Jazeera a lancé plus tôt dans l’année un dépôt Creative Commons qui héberge des rushes vidéo que tout le monde peut partager, réutiliser et remixer. Avoir un tel allié chez Al Jazeera est un honneur et j’espère que vous apprécierez le témoignage personnel que nous livre Mohamed sur son attachement aux Creative Commons.

Lettre de Mohamed Nanabhay (Al Jazeera)

Cher Creative Commoner,

L’année a été riche pour Al Jazeera et sa relation avec les Creative Commons. En janvier nous avons inauguré le premier dépôt mondial de vidéos professionnelles placées sous licence Creative Commons 3.0 Attribution (CC BY). Nous avions alors libéré une sélection de séquences filmées par Al Jazeera, des rushes sur la guerre à Gaza, permettant ainsi à tout le monde de les télécharger, de les partager, de le re-mixer, de les sous-titrer et finalement de les rediffuser, que l’on soit un particulier ou une chaîne de télévision, à la seule condition que nous soyons crédités pour la vidéo.

Embrasser la culture libre, c’est avant tout accepter que l’on renonce au contrôle en échange de quelque chose de plus grand : son appropriation par la communauté créative. Vous ne savez donc jamais vraiment où tout cela va vous mener. À l’origine, quand nous avons inauguré notre dépôt, nous pensions mettre là à disposition des ressources pertinentes pour quelqu’un désirant produire du contenu sur la guerre et qu’elles seraient principalement utilisées par d’autres chaînes d’informations et des réalisateurs de documentaires.

Le résultat fut à la fois surprenant et enthousiasmant. À peine nos vidéos furent-elles en ligne que déjà des contributeurs de Wikipédia en extrayaient des images pour compléter les articles sur le guerre de Gaza. Et rapidement, enseignants, créateurs de films, développeurs de jeux vidéos, organisations humanitaires et producteurs de clips musicaux s’inspirèrent de nos images. Cet accueil chaleureux de la communauté de la culture libre nous conforta dans notre choix.

Joichi Ito, président de Creative Commons dit au lancement : « Les séquences d’informations filmées sont l’un des pilliers du journalisme moderne. Rendre ainsi disponibles sous licence Creative Commons ces images, pour des usages amateurs et commerciaux, est une contribution fantastique au dialogue mondial autour d’évènements importants. Al Jazeera montre l’exemple et sera, nous l’espérons, imitée par beaucoup d’autres. »

Lancer un projet ne suffit pourtant pas à générer une communauté, un engagement à long terme et des valeurs communes sont nécessaires. Notre association avec Creative Commons remonte à 2007, lorsque Lawrence Lessig, fondateur des Creative Commons, a donné son discours d’introduction lors du 3ème Al Jazeera Forum à Doha, au Qatar. Dans ce discours il nous mettait au défi de libérer nos contenus afin de renforcer la liberté d’expression. Ce défi, nous l’avons relevé, en plus de notre dépôt Creative Commons, nous rendons également disponible nombre de nos reportages sur notre chaîne dédiée sur Youtube.

Après le lancement de notre dépôt, nous avons co-animé un atelier avec Creative Commons ayant pour titre « Créer des projets médias dans des réseaux ouverts », dont l’animation était assurée par le directeur de Creative Commons, Joichi Ito. Cet atelier fut diffusé en direct dans tout le Moyen-Orient dans le cadre de notre 4ème Al Jazeera Forum, qui s’est tenu en mars 2009. Cet évènement mondial a rassemblé près de deux cents journalistes, analystes, universitaires et intellectuels.

Grâce aux licences Creative Commons nous touchons un public plus large, mais la portée de notre projet est mieux résumé par ce commentaire de Lawrence Lessig : « Al Jazeera nous donne une leçon importante de promotion et de défense de la liberté d’expression. En offrant une ressource libre et gratuite au monde, le réseau encourage l’extension du débat et sa plus grande compréhension. »

La collaboration avec Creative Commons a été très enrichissante. Nous sommes reconnaissants envers Lawrence Lessig, Joi Ito et toute l’équipe qui œuvrent à la diffusion de la liberté d’expression pour leur aide, leurs conseils et leur soutien.

La collaboration involontaire qui s’est développée après que nous ayons ouvert notre dépôt de vidéos, ainsi que le bon accueil que ce dernier a reçu dans le monde entier, n’auraient pas été possible sans l’aide des licences Creative Commons. Nous apportons notre soutien à leur campagne car nous avons été témoin, et nous le sommes toujours, des bienfaits de l’enrichissement et du renforcement des communs numériques. J’espère que vous aussi, selon vos possibilités, vous apporterez votre soutien aux CC en renforçant ainsi les biens communs. Je vous conseille vivement de vous lancer et d’utiliser vous aussi les licences Creative Commons.

Sincèrement,

Mohamed Nanabhay
Directeur du développement en ligne, Al Jazeera English

Notes

[1] Crédit photo : Oso (Creative Commons By-Nc)