Quand Google fait l’ange avec nos données

The Data Liberation Front - GoogleGoogle fait peur et Google le sait. Alors Google fait de gros efforts pour tenter de nous rassurer.

Mais cela sera-t-il suffisant ? Google n’est-il pas devenu intrinsèquement trop gros, quelle que soit la manière dont il brasse nos nombreuses données personnelles, quelle que soit l’indéniable qualité de sa myriade de services et de produits ?

Telle est la vaste question du jour, tapie derrière notre traduction évoquant leur projet du « Front de Libération des Données ».

La page d’accueil Google propose depuis peu un petit lien Confidentialité en bas du champ de recherche. Il vous mènera au portail google.fr/privacy qui a pour titre Centre de confidentialité : Transparence et liberté de choix.

Chez Google, nous sommes parfaitement conscients de la confiance que vous nous accordez, ainsi que de notre devoir de protéger la confidentialité de vos données. À cette fin, vous êtes informé des données qui sont collectées lorsque vous utilisez nos produits et services. Nous vous indiquons en quoi ces informations nous seront utiles et comment elles nous permettront d’améliorer les services que nous vous proposons.

On y décline alors la philosophie Google résumée en « cinq principes de confidentialité » et illustrée par cette vidéo que je vous invite à parcourir et qui témoigne une fois de plus de la maîtrise didactique de Google dans sa communication.

Du lard ou du cochon ? De l’art de faire l’ange quand on fait la bête ? Les commentaires accueilleront peut-être certaines de vos réactions.

En attendant la vidéo fait référence à un récent service, le Google Dashboard, qui est censé vous permettre de « savoir ce que Google sait de vous » en centralisant en un unique endroit toutes les informations collectées associées à votre compte Google (Gmail, Google Docs, Agenda, Maps, etc.) et à ses services connexes (YouTube, Picasa, etc.). Pour en avoir un bref aperçu, là encore, nouvelle et toujours efficace vidéo dédiée.

Cette initiative est louable parce qu’elle vous expose à priori la situation en vous facilitant la modification des paramétrages. Mais elle est à double tranchant parce que vous vous rendez compte d’un coup d’un seul de l’étendu de la pieuvre Google et de la quantité impressionnante de vos données que Google peut potentiellement manipuler. Et puis n’oublions jamais la force d’inertie du paramétrage par défaut.

La vidéo nous parle également du « Data Liberation Front », ou « Front de Libération des Données » en français, dont le logo ouvre ce billet. Ce n’est pas un nouveau mouvement révolutionnaire mais un projet interne qui œuvre à ce que l’assertion suivante devienne réalité :

Nous voulons que nos utilisateurs restent chez nous parce qu’ils le souhaitent, non parce qu’ils ne peuvent plus en sortir.

Il s’agit donc en théorie de pouvoir facilement quitter Google en listant sur un site, service par service, les procédures à suivre pour exporter nos fichiers et nos données depuis les serveurs de Google vers notre disque dur local dans des formats standards et ouverts. Les manipulations à réaliser ne sont pas toujours des plus simples (quand elles existent effectivement), mais le projet nous dit qu’il travaille justement à constamment améliorer cela.

On retrouve cette idée, lorsque Google nous affirme que « Competition is just one click away », autrement dit que tout est fait pour qu’il suffise d’un clic de souris pour s’en aller chez un concurrent, et que les autres devraient en faire autant pour que s’établisse une saine compétition. Pas sûr que Microsoft soit sensible à l’argument.

Centre de confidentialité, Google Dashboard, Data Liberation Front, One click away, Sens de l’ouverture… il n’y a pas à dire, Google met les bouchées doubles pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec son fameux slogan « Don’t be evil ».

Alors, convaincu ?

Dans l’affirmative, remercions Google pour son souci de transparence et continuons à lui faire confiance, sachant alors que le futur et novateur système d’exploitation Google Chrome OS vous tend les bras. Point trop d’inquiétudes mal placées, vos données sont bien au chaud dans les nuages.

Dans le cas contraire, c’est plutôt un « Google Liberation Front » qu’il va falloir songer à créer !

Pourquoi Google vous laisse facilement quitter Google

Why Google makes it easy to leave Google

Nate Anderson – 1 mars 2010 – Ars Technica
(Traduction Framalang : Goofy et Don Rico)

Nous avons déjà évoqué le Front de Libération des Données de Google (FLD) l’année dernière, lorsque ce projet a été rendu public, mais depuis, qu’a fait l’équipe interne de Google qui se consacre à l’exportation des données ? Eh bien… elle a créé des autocollants, pour commencer.

« DONNÉES ÉLEVÉES EN PLEIN AIR », proclament-ils, ce qui résume en quelques mots les efforts du Front de Libération des Données. L’objectif de l’équipe n’est rien moins que de permettre aux utilisateurs de quitter plus facilement Google et ses multiples services, en emportant avec eux leurs courriels, leurs photos et tous leurs documents.

Les travaux les plus récents concernaient Google Docs, qui propose désormais une option pour télécharger en masse. Sélectionnez les documents que vous désirez, cliquez sur un bouton, Google les archive en un seul fichier .zip (jusqu’à 2Go) et vous les envoie par e-mail.

Au cours d’une récente visite aux bureaux de Google à Chicago, où le FLD est basé, nous avons discuté avec Brian Fitzpatrick, qui dirige l’équipe, pour savoir plus en détail pourquoi il souhaite que l’on puisse s’affranchir facilement des services Google, et comment il compte s’y prendre.

Empêcher l’inertie

Il est certain que lancer cette initiative estampillée « ne faites pas le mal » au sein de l’entreprise est une bonne manœuvre de communication, mais le FLD ne découle pas d’une décision prise au sommet de la hiérarchie. Fitzpatrick déclare qu’en ce qui le concerne, il a « commencé en toute naïveté ». Après avoir écouté pendant des années le président Eric Schmidt déployer son éloquence pour expliquer combien il est important de ne pas enfermer les utilisateurs, Fitzpatrick a remarqué que certains produits Google compliquaient l’application de cette politique.

Le FLD est l’émanation de son travail de réflexion. L’équipe existe depuis deux ans maintenant, et depuis les choses ont changé : à ses débuts, c’est elle qui allait trouver les autres équipes d’ingénieurs, mais à présent, selon Fitzpatrick, ce sont ces dernières qui « viennent nous consulter » pour savoir comment elles s’en tirent.

La rétention des données n’est pas mauvaise que pour les utilisateurs ; Fitzpatrick estime qu’elle est aussi mauvaise pour Google. « Si l’on crée une base d’utilisateurs verrouillée, avance-t-il, on devient forcément complaisant avec soi-même ».

Rendre aussi facile l’abandon de Google Docs que celui du moteur de recherche de Google force Google à cultiver un de ses points forts : engager des collaborateurs brillants. Le travail du FLD « met en effervescence les équipes d’ingénieurs », explique Fitzpatrick, puisque les ingénieurs doivent satisfaire les utilisateurs en innovant, et non en les mettant en cage.

The Data Liberation Front - Google - Sticker

Les utilisateurs se préoccupent-ils vraiment de la libération de leurs données ? Certains, oui, mais l’utilisation des fonctions d’exportation demeure limitée. Google enregistre « un niveau constamment faible de l’usage de ces fonctions », déclare un ingénieur de l’équipe, particulièrement quand le géant de la recherche choisit d’abandonner des services peu performants.

Disposer d’outils d’exportation facilite également de telles interruptions de services ; souvenez-vous des problèmes rencontrés par les sites de vente de musique bardés de DRM, lorsqu’ils ont finalement tenté de fermer leurs serveurs de DRM. Grâce à l’ouverture des données de Google, l’entreprise évite ce genre de critiques publiques quand survient une fermeture de service, comme lorsque Google Notebook a été mis au rebut.

Nicole Wong, conseillère juridique adjointe de Google, nous a confié que Google prend le FLD au sérieux pour deux raisons : d’abord, il donne le contrôle aux utilisateurs, et ensuite, « quand nous déclarons qu’il suffit d’un clic pour passer à la concurrence, des initiatives telles que le FLD le prouvent ».

Ce dernier commentaire nous rappelle que l’ouverture représente un réel bénéfice stratégique pour l’entreprise qui va bien au-delà de la conception des produits et du pouvoir accordé à l’utilisateur. Google est de plus en plus en ligne de mire des investigations antitrust, de la part du ministère de la Justice américain, et subit déjà des enquêtes en Europe au nom de la lutte antitrust. Le FLD est ainsi un argument de plus que Google peut employer pour démontrer qu’il n’est pas un Cerbère pour usagers captifs.

Il arrive que l’équipe du FLD affronte les critiques de ceux qui accusent Google de ne rendre « libres » et exportables que les données à faible valeur marchande pour l’entreprise (voyez par exemple ce commentaire du chercheur Ben Edelman à propos de la récupération des données Adwords). Mais depuis sa création, le FLD a travaillé avec plus de vingt-cinq équipes de Google pour faciliter l’exportation des données, et nul doute que ses efforts concernant les applications comme Google Docs sont une bonne nouvelle pour les utilisateurs.

« Nous nous efforçons de provoquer une plus grande prise de conscience au sein de l’entreprise, » déclare Fitzpatrick, tout en admettant avec une petite grimace qu’il n’a aucun « pouvoir » réel sur les décisions des différents chefs de projet.

On peut toujours aller plus loin. L’équipe surveille la page du modérateur Google, sur laquelle les utilisateurs peuvent soumettre des suggestions – et elles sont nombreuses. « Mes contacts Gmail — pouvoir les exporter, et ré-importer une version modifiée, sans copier chaque élément un à un » propose l’un d’eux. « Ajouter les microformats hCalendar à l’agenda Google, pour pouvoir réutiliser partout ailleurs les rendez-vous enregistrés » suggère un autre. « Je veux récupérer l’historique de mon tchat avec Gmail », réclame un troisième.

Fitzpatrick promet que d’autres avancées vont suivre, bien qu’il ne puisse pas parler des projets qui sont dans les incubateurs. Ce qu’il peut faire, pour l’instant, c’est vous envoyer un autocollant.




Logiciel Libre : la Guerre Mondiale aura bien lieu

The U.S. Army - CC byUn évènement d’importance est passé totalement inaperçu la semaine dernière du côté des médias francophones (à l’exception notable de Numerama). Il faut dire qu’à priori cela ne nous concerne pas puisqu’il oppose un lobby américain à l’état indonésien.

Et pourtant, à l’heure de la mondialisation (de moins en moins heureuse), cet épisode est riche d’enseignements et annonce peut-être la fin de l’enfance et de l’innocence pour le logiciel libre.

« Ils » veulent la guerre économique et politique ? Alors ils l’auront ! Et tant qu’Internet demeurera neutre et ouvert, « nous » ne sommes en rien assurés de la perdre, quand bien même nous n’ayons pas la puissance financière de notre côté et la capacité à mobiliser un bataillon des meilleurs avocats à notre service[1].

En perdant un brin notre sang-froid, nous pourrions presque qualifier cela de « Choc des Civilisations 2.0 » !

Plantons le décor de ce qui ressemble au départ à une information trop grosse pour être vraie.

Compagnies aériennes, paradis fiscaux, organisations terroristes… nombreuses sont les listes noires, émanant d’organismes divers et variés (nationaux ou internationaux, publics ou privés). Ainsi en va-t-il du « Special 301 Report » qui provient du bureau s’occupant officiellement de la politique commerciale internationale des États-Unis (The Office of the United States Trade Representative ou USTR).

Ce rapport vise à examiner chaque année la situation de la protection et de l’application des droits de la « propriété intellectuelle » à l’échelle mondiale. Il classe ainsi les pays en trois catégories : « surveillance en priorité » (on y retrouve en 2009 par exemple la Chine, la Russie et, plus surprenant, le Canada), « surveillance inférieure » et les autres, les bons élèves (cf cette mappemonde Wikipédia).

C”est un instrument de la politique économique internationale des États-Unis, et gare à vous si vous êtes en haut de la pyramide. Parce que vous fabriquez de fausses chaussures Nike, parce que vous produisez des médicaments sans y avoir autorisation, parce que vous proposez, dans la rue ou sur vos serveurs, des versions « piratés » de tel film, musique ou logiciel, etc.

Que la contrefaçon, la copie illégale, le non respect des brevets… fassent du tort à une économie américaine qui repose beaucoup sur l’exploitation de sa « propriété intellectuelle » et constituent par là-même un grand manque à gagner, nul ne le conteste. Qu’adossés à l’USTR on trouve un certain nombre d’associations qui agissent comme des lobbys en poussant le gouvernement américain à faire pression sur les pays incriminés pour qu’ils prennent les mesures nécessaires afin d’améliorer la situation, c’est de bonne guerre, d’autant que l’on connait l’influence et la force de persuasion des États-Unis dans la géopolitique internationale.

Mais que, tenez-vous bien, la volonté d’un état à développer le logiciel libre dans son pays en fasse un ennemi des intérêts américains de la « propriété intellectuelle » propre à vouloir le faire figurer en bonne place dans le « Special 301 Report », c’est nouveau, c’est scandaleux, et c’est ô combien révélateur des craintes, pour ne pas dire de la panique, qu’il suscite désormais dans l’économie « traditionnelle » de la connaissance.

C’est pourtant ce que n’a pas hésité à suggérer la très sérieuse et puissante International Intellectual Property Alliance (ou IIPA), coalition d’associations représentants les plus grandes multinationales des secteurs de la culture, du divertissement et des nouvelles technologies. On y retrouve ainsi le RIAA pour l’industrie musicale (Universal, Warner…), le MPAA pour le cinéma (Walt Disney, Paramount…), l’IFTA pour la télévision, l’ESA pour le jeu vidéo (Electronic Arts, Epic Games…) sans oublier la BSA pour l’informatique (Apple, Microsoft…).

Donc ici l’Inde, la Brésil et surtout l’Indonésie sont pointés du doigt pour la simple et (très) bonne raison qu’ils souhaitent favoriser l’usage du logiciel libre au sein de leur administration ! Vous avez bien lu, mis à l’index non pas parce qu’on veut l’imposer (ce qui aurait pu alors se discuter) mais juste parce qu’on souhaite l’encourager !

Plus c’est gros mieux c’est susceptible de passer, comme dirait le dicton populaire. Mais quels sont alors les (pseudos) arguments avancés ? Vous le saurez en parcourant l’article ci-dessous, traduit du journal anglais The Guardian.

On veut clairement nous abuser en nous faisant croire qu’il y a la « propriété intellectuelle » d’un côté et le logiciel libre de l’autre (qui tel Attila détruirait toute valeur marchande sur son passage). C’est de la propagande économique mais ne nous y trompons pas, c’est également éminemment politique puisque derrière cette initiative se cache une certaine conception du libéralisme et du rôle des états, où vieille Europe et monde anglo-saxon ne sont d’ailleurs pas forcément toujours sur la même longueur d’onde.

Cet épisode est évidemment à rapprocher avec ce qui se passe en ce moment du côté de l’ACTA.

L’ironie de l’histoire (outre le fait que le logiciel libre soit « né » aux USA), c’est que le Framablog passe son temps à patiemment ajouter des pays à sa propre liste blanche des institutions légitimement intéressées par les logiciels, les contenus et les formats libres et ouverts : Suisse, Angleterre, Canada, Brésil, Équateur, Amérique latine… sans oublier les États-Unis d’Obama qui n’en sont plus à un paradoxe près.

La liste est blanche pour certains et noire pour d’autres. Un nouvel échiquier se dessine, et la partie peut alors commencer…

Vous utilisez l’open source ? Vous êtes un ennemi de la nation !

When using open source makes you an enemy of the state

Bobbie Johnson – 23 Février 2010 – The Guardian Blog Technology
(Traduction Framalang : Tinou et Goofy)

Le lobby du copyright aux États-Unis s’est longtemps battu contre les logiciels open source – c’est maintenant au tour de l’Indonésie d’être dans la ligne de mire pour avoir poussé à leur utilisation dans les institutions gouvernementales.

Nous ne sommes que mardi, et cette semaine s’est déjà révélée intéressante pour les droits numériques. Le gouvernement britannique a reformulé sa proposition controversée de riposte graduée, et le traité secret de lutte contre la contrefaçon, l’ACAC (NdT : ou ACTA en anglais), fait de nouveau les gros titres. Pendant ce temps, un juge américain est encore en train de délibérer dans l’affaire Google Books.

Et comme si cela ne suffisait pas, voilà une nouvelle pierre à ajouter à l’édifice branlant des dernières nouvelles, grâce à Andres Guadamuz, professeur de droit à l’université d’Édimbourg.

Suite à des recherches, Guadamuz a découvert qu’un lobby influent demande, en substance, au gouvernement des États-Unis de considérer l’open source comme l’équivalent de la piraterie — voire pire.

Pardon ?

Il apparaît que l’Alliance Internationale pour la Propriété Intellectuelle (NdT : International Intellectual Property Alliance ou IIPA en anglais), groupe qui allie des organisations comme la MPAA et la RIAA, a demandé au représentant américain au commerce d’envisager d’inclure des pays comme l’Indonésie, le Brésil et l’Inde dans sa « Liste de surveillance n°301 », parce qu’ils utilisent des logiciels libres.

Qu’est-ce que la « Liste de surveillance n°301 » ? C’est un rapport sur « le respect réel de la propriété intellectuelle » dans le monde – en réalité une liste de pays que le gouvernement des États-Unis considère comme des ennemis du capitalisme. Elle est souvent utilisée comme moyen de pression commerciale — souvent dans le domaine de l’industrie pharmaceutique et de la contrefaçon — pour essayer de forcer les gouvernements à changer d’attitude.

On pourrait avancer qu’il n’est pas surprenant de la part du représentant américain au commerce — supposé militer pour un capitalisme de l’économie de marché — de ne pas aimer pas les logiciels libres, mais la situation n’est pas aussi simple.

Je sais bien qu’on a tendance à rattacher l’open source aux idéaux socialistes, mais je pense aussi que c’est un exemple de l’économie de marché en action. Quand les entreprises ne peuvent pas jouer contre des concurrents écrasants, elles contournent le problème et trouvent d’autres moyens de réduire les coûts pour rester dans la course. La plupart des logiciels libres, qui n’appartiennent pas à des états, se contentent de pousser la logique de la réduction du coût jusqu’à son terme et se servent de la gratuité comme d’un bâton pour taper sur la concurrence (iriez-vous accuser Google, dont le produit phare est gratuit, d’être anti-capitaliste ?).

Ceci dit, dans les pays où le gouvernement a légiféré en faveur de l’adoption de logiciels libres et/ou open source, cette tactique ne manque pas de cohérence, puisqu’elle attaque des acteurs comme Microsoft. Mais ce n’est pas tout.

Là où ça devient intéressant, c’est que Guadamuz a découvert que les gouvernements n’ont même pas besoin de légiférer. Une simple recommandation suffit.

L’année dernière, par exemple, le gouvernement indonésien a envoyé une circulaire à tous ses ministères et aux entreprises nationales, les incitant à utiliser des logiciels libres. Selon l’IIPA, il « encourage les agences gouvernementales à utiliser des logiciels libres ou open source, avec l’objectif d’en avoir terminé le déploiement fin 2011. On aboutira ainsi, selon la circulaire, à un usage légitime de logiciels libres, ainsi qu’à une réduction générale des coûts en logiciel ».

Rien de grave là-dedans, non ? Après tout, le gouvernement britannique a déclaré qu’il mettrait le turbo sur l’usage de logiciel open source.

Mais l’IIPA suggère que l’Indonésie mérite sa place sur la liste n°301 parce qu’encourager (et non forcer) de telles initiatives « affaiblit l’industrie du logiciel » et « ne contribue pas au respect des droits relatifs à la propriété intellectuelle ».

Extraits de la recommandation :

« La politique du gouvernement indonésien (…) affaiblit l’industrie du logiciel et sabote sa compétitivité à long terme en créant une préférence artificielle pour des sociétés qui proposent des logiciels open source et des services dérivés, et va même jusqu’à refuser l’accès du marché gouvernemental à des entreprises reconnues.

Au lieu de promouvoir un système qui permettrait aux utilisateurs de bénéficier de la meilleure solution disponible sur le marché, indépendamment du modèle de développement, elle encourage un état d’esprit qui ne reconnaît pas à sa juste valeur la création intellectuelle.

Ainsi, elle échoue à faire respecter les droits liés à la propriété intellectuelle et limite également la capacité du gouvernement ou des clients du secteur public (comme par exemple les entreprises nationales) à choisir les meilleures solutions. »

Oublions que cet argument ne tient pas compte du grand nombre d’entreprises qui prospèrent autour du modèle du logiciel open source (RedHat, WordPress et Canonical, pour ne citer qu’eux). Au-delà de ça, voici ce qui me paraît stupéfiant : il suffit de recommander des produits open source — produits qui peuvent être facilement taillés sur mesure sans affecter les règles définies par la licence — pour être accusé de vouloir tout « saboter ».

En fait, la mise en œuvre du respect de la propriété intellectuelle est souvent plus stricte dans la communauté open source, et ceux qui enfreignent les licences ou oublient d’attribuer les crédits à qui de droit sont souvent cloués au pilori.

Si ce que vous lisez vous met hors de vous, vous avez raison. C’est abracadabrant. Mais l’IIPA et l’USTR n’en sont pas à leur coup d’essai : il y a quelques années, ils ont mis le Canada sur leur liste des pays à surveiller en priorité.

Notes

[1] Crédit photo : The U.S. Army (Creative Commons By)




Mardi 4 mai 2010 : Journée Mondiale contre les DRM

Martin Krzywinski - CC byLe 21 mars 2010 aura lieu la dixième édition de l’initiative Libre en Fête, permettant de faire découvrir le logiciel libre sur tout le territoire français.

Mais il n’y a pas que des journées de promotion. Dicté par le contexte actuel, il existe également des journées de résistance.

Ainsi en va-t-il du 4 mai prochain que la Free Software Foundation et l’Open Rights Group ont décidé d’ériger en « Journée Mondiale contre les DRM », (ou GDN en français, pour Gestion des Droits Numériques).

Il faut dire que le sujet est malheureusement toujours, voire plus que jamais, d’actualité. Pour s’en convaincre il suffit de parcourir cette longue chronologie non exhaustive de faits et de méfaits qui courent sur une décennie sur le site Defective by Design (la lecture de l’article dédié de Wikipédia étant également particulièrement instructive)[1].

Il y a un choix à faire (ou tout du moins accepter les alternatives). Soit contraindre la technologie actuelle pour la forcer artificiellement à rentrer dans les cases de la production de valeur de l’économie d’avant (fondée principalement sur la captation du client et la rareté du produit). Soit s’adapter et tirer parti des formidables possibilités de création et d’échanges liées à l’interopérabilité des fichiers, leur copie et leur remix à coût marginal, ainsi que leur diffusion massive et rapide sur le réseau.

En 1997, Richard Stallman écrivait sa nouvelle Le droit de lire. De la pure science-fiction (ou du délire paranoïaque) a-t-on pu alors penser. Sauf qu’en 2009, Amazon a décidé, sans préavis et sans accord préalable, de s’introduire dans le Kindle de ses clients pour en effacer tous les romans 1984 de George Orwell (notes des lecteurs incluses). La réalité peut toujours dépasser la fiction…

Journée mondiale contre les DRM : mardi 4 mai 2010

Day Against DRM: Tuesday, May 4th 2010

Holmes Wilson- 25 février 2010 – Communiqué FSF
(Traduction Framalang : Don Rico)

« Chaque fois qu’une entreprise conçoit des produits destinés à limiter nos libertés, nous devons nous organiser afin de déjouer ses projets » — Richard Stallman, président de la FSF.

Le 25 février, des groupes pour la défense de la justice sociale et les droits en ligne ont annoncé que le mardi 4 mai 2010 aura lieu la Journée Mondiale contre les DRM.

La Journée contre les DRM réunira de nombreux acteurs — organisations pour l’intérêt public, sites Internet et citoyens —, qui mettront sur pied une opération destinée à attirer l’attention de l’opinion publique sur les dangers d’une technologie qui restreint l’accès des utilisateurs aux films, à la musique, à la littérature, aux logiciels, et d’ordre plus général à toutes les formes de données numériques. De nombreux dispositifs de DRM enregistrent les activités de l’utilisateur et transmettent leurs données aux grosses entreprises qui les imposent.

Dans le cadre de sa campagne anti-DRM, Defective by Design, la Free Software Foundation (FSF) participera à la coordination des activistes anti-DRM de par le monde pour mobiliser l’opinion publique contre cette technologie antisociale. Il a aussi été publié un billet offrant un bref historique d’une Décennie de DRM (NdT : Decade in DRM).

« Les DRM s’en prennent à votre liberté à deux égards. Leur but est d’attaquer votre liberté en limitant l’utilisation que vous pouvez faire de vos copies d’œuvres numériques. Pour cela, ils vous obligent à utiliser des logiciels privateurs, dont vous ne contrôlez pas les actions. Chaque fois qu’une entreprise conçoit des produits destinés à limiter nos libertés, nous devons nous organiser afin de déjouer ses projets, » a déclaré Richard Stallman, le président de la FSF.

Jim Killock, le directeur exécutif de l’Open Rights Group, précise quant à lui que « les dispositifs de DRM sont une catastrophe pour les usages légaux de musique, de films et de livres. Ils sont conçus pour enchaîner les utilisateurs à des logiciels et à des appareils particuliers, et anéantissent vos droits à l’usage de la liberté d’expression tels que l’information, l’enseignement et la critique. À cause des DRM, vous n’avez plus la maîtrise des données et êtes à la merci des fabricants. »

Richard Esguerra, de l’Electronic Frontier Foundation, partenaire de la Journée contre les DRM, explique que « Les activistes et les utilisateurs de technologie bien informés ont joué un rôle clé dans la dénonciation des méfaits des DRM à l’époque où les mesures techniques consistaient en programmes anticopie. À présent, les DRM évoluent car les entreprises cherchent à limiter les utilisateurs bien au-delà de leur capacité à copier des fichiers. La Journée mondiale contre les DRM est une nouvelle occasion de relever le défi et de se battre pour la liberté technologique. »

Les évènements, partenaires et partisans qui s’ajouteront à la « Journée contre les DRM » seront annoncés à mesure que la date approchera. Les organisations et les particuliers qui souhaitent s’impliquer peuvent contacter info@defectivebydesign.org ou se rendre sur le site http://defectivebydesign.org/ pour s’inscrire et suivre la campagne.

La Free Software Foundation

La Free Software Foundation, fondée en 1985, se consacre à la défense des droits des utilisateurs à utiliser, étudier, copier, modifier et redistribuer les programmes informatiques. La FSF promeut la conception et l’utilisation des logiciels libres — en particulier du système d’exploitation GNU et de ses dérivées GNU/Linux —, et d’une documentation libre pour les logiciels libres. La FSF contribue aussi à informer le public sur les questions éthiques et politiques qui sont en jeu dans la liberté d’utilisation des logiciels ; ses sites Web, que l’on trouve aux adresses fsf.org et gnu.org, offrent d’importantes sources d’information sur GNU/Linux. Si vous souhaitez soutenir financièrement l’action de la FSF, vous pouvez faire un don sur la page http://donate.fsf.org. Son siège se trouve à Boston, Massachusetts, aux États-Unis.

L’Open Rights Group

L’Open Rights Group est un groupe de défense des droits numériques basé au Royaume-Uni, qui vise à attirer l’attention sur les questions des droits numériques, à favoriser l’activité citoyenne, ainsi qu’à protéger et étendre les libertés civiques à l’ère numérique.

Notes

[1] Crédit photos : Martin Krzywinski (Creative Commons By) et Martin Krzywinski (Creative Commons By)




Rapport Fourgous – Notes de lecture de François Elie

François ElieFrançois Elie est co-fondateur et président de l’Adullact[1] ainsi que vice-président de l’Aful[2], professeur agrégé de philosophie et élu de la ville et de l’agglomération d’Angoulème dont il a été longtemps en charge des nouvelles technologies.


Vous comprendrez alors aisément pourquoi lorsqu’a été mis en ligne le rapport Fourgous Réussir l’école numérique[3] (dont nous avons publié ici-même quelques libres extraits), nous lui avons demandé son avis, qui a pris la forme d’une note de lecture que nous vous proposons ci-dessous.


François Elie est également l’auteur du livre Économie du logiciel libre[4] dont la première phrase annonce la couleur : « Cet ouvrage s’adresse à ceux qui font, vendent, utilisent ou achètent du logiciel libre, c’est-à-dire tôt ou tard… à tout le monde ».


Et puis l’on se souvient de sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007[5]. Elle reste plus que jamais d’actualité. Mais nous en sommes déjà à mi-mandat et le constat est là. « En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du développement du logiciel libre pour la France, j’écris ces mots en tremblant: l’avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l’auront pas fait porteront une lourde responsabilité devant l’histoire ».


Le rapport Fourgous est une belle occasion d’agir, a fortiori si l’on prend ces quelques notes en considération.

Remarque : Vous pouvez également voir sur le Framablog cette interview de François Elie réalisée par Intelli’n TV à l’occasion de la sortie de son livre.

Notes de lecture du rapport Fourgous par François Elie

Précaution


Même si je suis un geek, très loin d’être un technophobe, je crois pour d’assez fortes raisons comme Alain que « l’enseignement doit être résolument retardataire »[6] (relire les Propos sur l’éducation). On ne commence pas par la fin !

Pour ce qui nous occupe, ce qu’il faut craindre, ce sont les séductions du numérique. Apprendre le clavier avant de savoir écrire ? Non ! L’école doit éclairer et exercer l’esprit. Elle doit nous rendre libres, et non nous habituer/enchaîner à telle ou telle interface. Alors on aurait peut-être du parler de l’école à l’ère du numérique. Mais cela n’a pas d’importance si ce n’est qu’affaire de mots. Disons qu’il faut vraiment craindre l’école numérisée.

Le numérique ?


Je n’ai pas vu que le rapport définisse le numérique. En philosophie nous avons tendance à nous méfier des fausses évidences. Le numérique, tout le monde saist ce que c’est ! Pas si sûr. Alors je développe un instant. Car au fait, c’est quoi le numérique ?


La codification digitale de l’information sur des supports informatiques a deux conséquences énormes.


La première conséquence : là où l’imprimerie avait édifié une interface de pouvoir entre celui qui écrit et celui qui lit, l’internet rend à chacun le pouvoir d’écrire. L’école à l’ère du numérique n’est pas une école où l’on apprend surtout à lire, mais une école où l’on apprend aussi à écrire.

Le rapport le mentionne, 41% des jeunes ont un blog. Pensera-t-on à l’inclure dans leur e-portfolio ? Apprend-on aux enfants à écrire dans Wikipédia? Est-ce le pays qui a fait naître l’Encyclopédie de Diderot (et où Arago a racheté le brevet du daguerréotype pour le donner au monde) doit aider au financement de Wikipédia ? Mais je pose peut-être de mauvaises questions. Le rapport mentionne la création, la participation, comme ingrédient et adjuvant des enseignements, sans doute. L’école numérique peut être plus enthousiasmante: elle peut être le lieu où l’on accède au savoir, où l’on apprend à le produire et à le partager.


La seconde conséquence : dans le monde du numérique, copier n’est pas reproduire[7]. La diffusion du savoir peut se faire à coût marginal nul.

Cela change tout (ou devrait tout changer) de la façon dont l’école se situe par rapport aux éditeurs de contenu. Cela bouscule les systèmes juridiques, les modèles économiques. On sent comme une hésitation dans le rapport sur ce point. J’y reviendrai.

Sur le contexte

Analogie avec l’arrivée de la télévision – J’appartiens à la génération qui a vu se développer la télévision: on ne s’en est pas servi ou si peu ou si mal à l’école. Il y aurait eu là un instrument formidable pour accompagner la massification. Il y avait là aussi une menace terrible. L’école n’a pas réussi à en faire un instrument, sans doute faut-il le regretter. Elle a su résister à s’en faire l’instrument. Il faut s’en féliciter. Il y aura deux manières de rater l’école numérique : ne pas réussir à intégrer le numérique dans les situations d’enseignement, réduire le système éducatif à n’être qu’un client pour des industries numériques. Nous devons craindre davantage ce second danger.


Souvenir

La France qui était un géant de l’informatique est devenue un nain. Elle a retardé par exemple son entrée de plain pied dans l’internet grâce/à cause du minitel. Il me semble qu’il faut considérer cela comme un élément de contexte. Parmi les freins: notre aptitude à nous tirer des balles dans le pied, à ne pas voir nos atouts. Que serait une ligne Maginot numérique ?


Sur la méthode. Il est toujours important de regarder ce qui se fait ailleurs. mais attention à « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Il faut aussi regarder ici, d’ailleurs. Regarder ailleurs ce qu’on nous envie! On s’extasie à l’étranger sur le développement du logiciel libre en France et sur Sésamath (Serons-nous les derniers à nous en apercevoir, et à miser vraiment, réellement sur nos atouts, pas sur ceux que nous envions aux autres). Et puis on ne gagne pas les guerres avec les armes de la précédente.

Comment ne pas partager le diagnostic du rapport ?

  • En France, l’orientation ressemble trop à une sélection par l’échec.
  • « L’impact du milieu socio-économique de l’élève a en France une très forte influence sur ses résultats scolaires ». Autrefois on disait « l’ascenseur social est cassé ».
  • « La France fait partie des pays dans lesquels l’écart de performance entre les élèves est le plus important, même s’il y a peu d’élèves brillants et une forte proportion d’élèves très faibles ». Ce que je réponds à des amis qui me demandent si le niveau baisse: « non, l’écart se creuse ».
  • Le discours tenu sur les enseignants et sur l’école est catastrophique. La (dernière) priorité du rapport: « médiatiser les enjeux du numérique en valorisant le travail des enseignants ».
  • « 97% des enseignants sont équipés d’un ordinateur à leur domicile et si 94% l’utilisent pour la préparation de leurs cours, seuls 12% des enseignants utilisent les Tice dans un quart de leurs cours ». On les décourage ou quoi ? Pourquoi feraient-ils davantage ? Ils seraient mieux notés, mieux payés, mieux considérés ?

Il me semble qu’il faut fixer des objectifs, évaluer. Comment mesurer si les mesures préconisées ont été efficaces ? Finalement, plutôt que d’expérimenter sans évaluer, je me demande s’il ne suffirait pas parfois de seulement mesurer… On gagnerait du temps !


On mentionne l’Académie en ligne. Dispose-t-on d’une évaluation de ses premiers résultats ?

Sur le rapport, dans son ensemble

Ce n’est pas toujours très lisible, trop d’items, où l’on trouve mélangés des détails d’équipement et des principes. Sans doute la loi du genre.


J’ai tendance à penser qu’il faut réfléchir aux buts avant de réfléchir aux moyens. J’observe que le rapport commence par mesurer que le haut débit n’est pas assez utilisé en France et l’on y parle d’abord « équipement ». Revenons aux fondamentaux: aux frontons de nos écoles figure la devise de la République: liberté, égalité, fraternité. Regardons comment le numérique pourrait aider l’école à redevenir ou rester l’école.


  • La liberté – Je la vois dans les logiciels libres, et dans les ressources libres. Nous sommes le pays des Lumières. C’est là que le monde nous attend. Le rapport l’évoque, mais très timidement.

  • L’égalité – Le rapport ne s’indigne pas assez de ce qu’introduit actuellement le numérique à l’école: l’inégalité! Entre les collectivités de rattachement, entre les écoles, entre les classes, entre les élèves. Il n’y a pas besoin de développer en détail. On lutte contre la fracture numérique en grattant la plaie. Equiper c’est bien, rétablir l’égalité c’est mieux!

  • La fraternité – Il faut encourager le travail collaboratif, la coopération, la coopétition, les formes de communication asynchrones et distantes, la production d’un patrimoine commun de ressources. Entre les élèves évidemment, entre les enseignants sans doute, mais aussi et surtout entre tous les acteurs (en particulier ceux qui financent, et qui peuvent massivement mutualiser).

Mesure 2 – Tableau numérique interactif

Je suis un peu surpris que dans un rapport d’un tel niveau on préconise en mesure 2 le déploiement d’un outil particulier.


D’autant que les videoprojecteurs intègrent désormais cette fonction[8] ! Mais pas exactement au même prix…


Ces matériels doivent être interopérables ! Actuellement ce n’est pas le cas. Il y a des établissements avec des TBI de plusieurs marques différentes, incompatibles et a fortiori non interopérables.

Mon inquiétude générale


Mon inquiétude, c’est que l’école soit vue après ce rapport par les industriels comme un simple marché pour leurs produits. L’école vaut mieux que cela. Oui au « serious game » ! Mais par exemple le critère d’évaluation ne sera pas la santé de l’industrie du serious game, mais le progrès des élèves. Si l’on voulait faire du serious game libre, avec des systèmes-auteurs à libre disposition ce serait possible! Mais est-ce cela que l’on veut ?


Je vais prendre un exemple plus parlant.

À propos des handicapés

La situation des personnes handicapées en matière de nouvelles technologies est alarmante. Oui, les nouvelles technologies sont un formidable instrument d’accessibilité. Mais à quel prix ? Dans cette niche les marchands ne sont pas exactement des philanthropes. Vous savez combien coûte un système mécanique pour tourner les pages d’un livre ? Est-ce qu’il serait utile de financer un système de visio-conférence libre ? Vous imaginez les conséquences pour le développement du télétravail ? Le frein, ce n’est pas l’usage des outils, c’est le coût exhorbitant des outils ! Il faut choisir entre promouvoir les usages et promouvoir les outils.


Promouvoir vraiment les usages (et l’économie qui va avec) c’est libérer les outils !


Plutôt que d’aider les gens à se payer des logiciels… libérons les logiciels. L’économie autour des usages est plus rentable que le commerce sur les outils.

Sur l’enseignement de l’informatique

C’est une très bonne chose ! Au sein du groupe ITIC[9], j’ai suivi ce dossier. C’est une chose qui me tient à coeur. Mais s’est-on demandé pourquoi cet enseignement n’existait pas, avait été supprimé ?


Il faut aller au bout des choses: créer une inspection d’informatique, proposer un concours, avec une certification ouverte à la VAE[10]. Tout cela est bel et bon.


L’enjeu de fond reste toujours quand même : faut-il enseigner à utiliser ou à maîtriser. Je ne suis pas rassuré sur ce point. Faut-il enseigner à « maîtriser l’utilisation » ? La Finlande, c’est le pays où sont nés Linux et Nokia. Excusez du peu. Il faut croire qu’ils ont du chercher à vraiment comprendre comment ça marchait !

Sur l’enseignement des langues

Sur les langues j’ai écrit[11] l’an dernier à tous les départements, toutes les régions, au ministère, pour leur dire qu’il serait intelligent d’investir dans le développement d’LLSOLL[12], le labo de langue libre qu’avait commencé la ville de Genève.


Je suis un peu désabusé, même si j’observe qu’en matière de langues on met le paquet dans la réforme de la seconde (avec une inquiétude sur l’enseignement de l’allemand, mais c’est une autre histoire…).

Naïveté ?

Le logiciel qui renforce l’estime de soi « bravo, continue ». Les enfants ne sont pas dupes… Pour parler philosophie, disons que le désir de reconnaissance d’un sujet n’est pas exactement le désir d’être reconnu par un objet.

ADNE


L’idée d’une structure de coordination nationale est-elle une bonne idée ? Cela me rappelle la formule de Clémenceau : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ».


Va pour l’Agence pour l’Accompagnement au Développement du Numérique dans l’Education (ADNE). La vraie question c’est: que devra-t-elle faire ?


Ce serait l’occasion pour faire du collaboratif entre acteurs de l’école, pour donner l’exemple : on n’enseigne que ce qu’on est !

Opportunité pour le soutien scolaire

Accompagnement à la scolarité. Il faut impliquer les enseignants, en profiter pour transformer les relations avec les élèves. Sinon les élèves iront chercher tous chercher ailleurs.


Il manque une offre logicielle de qualité en la matière ? Il faut faire développer, la mettre en libre et distribuer partout. Il y a 70.000 établissements scolaires. On paie 1 fois le développement en amont et on économise 70.000 licences. Cela devrait s’appeler de l’efficience non ?

À moins que l’on se prépare à faire payer 70.000 fois ceci, et 70.000 cela.

Les ENT

Le développement des ENT[13] a été un poème… On aurait voulu qu’ils ne se développent pas ou le plus lentement possible qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Passons…


Au lieu de se mettre autour d’une table et de financer en mutualisant un système libre qui puisse 1) être déployé vite et bien et 2) être maintenu correctement partout, on a laissé chacun se débrouiller, et on y est encore…


La région Ile de France vient de notifier un marché pour un ENT libre. I had a dream…

Mesure 27 – Développer un ENT spécifique pour le premier degré aux fonctionnalités adaptées, en particulier cahier de textes, et de liaison, pour la relation école-familles.

Si les enseignants doivent rentrer leurs notes, pourquoi l’Institution ne développerait pas en libre (ou ne racheterait pas un logiciel de notes pour le mettre sous licence libre), pour une ergonomie commune.

La forge de l’Adullact[14] l’accueillera avec plaisir.

À propos du haut débit


C’est très bien de mettre du très haut débit partout. Mais il faudra aller au bout de la démarche. Est-ce que cela va nous conduire à nous déplacer… pour avoir tout à disposition, comme dans le télétravail, qui existe déjà: on se déplace… pour télétravailler ! Le rapport le mentionne : le temps et le lieu de l’école vont devoir changer. Décidement le haut débit pour tous, ça touche à tout !


L’école numérique ce n’est pas l’école + le haut débit…

Mesure 14 – Exception pédagogique

Comme suppléant de Bernard Lang au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistisque[15], je crains que voter une exception pédagogique en urgence ne soit une contradiction dans les termes. Le test en trois étapes peut-il passer ?


Il y a pourtant une solution simple et très rapide à mettre en place : miser vraiment sur les ressources libres et ouvertes (logiciels et ressources documentaires).

Sur le pilotage

Je n’ai pas compris le but. Ou alors il n’est pas lisible. Mutualisation ?

Dommage qu’il ne soit pas question des développements logiciels d’ENT (à partir de la souche de Dijon par exemple[16]).

Mesure 23 – Favoriser les ressources libres et la mise à disposition de ressources non payantes


À première vue c’est formidable. Mais la mesure précédente, la 22, est un fonds pour soutenir l’édition propriétaire. Doit-on comprendre alors que l’on va encourager/favoriser les ressources libres… sans argent.

Pourtant elles sont comme les logiciels : elle sont gratuites une fois qu’elles ont été payées… Dire (tandis qu’on finance par ailleurs les marchands) à ceux qui produisent bénévolement un patrimoine libre avec le souci du bien commun « Bravo, merci, continuez », ce n’est pas vraiment les y encourager !

Le collaboratif

Sésamath est présenté comme une référence (son influence sur d’autres associations professionnnelles dans d’autres matières que les mathématiques en atteste assez). Le rapport encourage-t-il l’Institution à promouvoir à grande échelle cette exception française ? Et dans toutes les matières ?


Il y a comme une hésitation dans le rapport. Il faudrait que les enseignants collaborent, coopèrent, surtout pour se former. Le fait qu’ils aillent jusqu’à produire des contenus, et les plus adaptés, semble un peu embêtant…


Comment dire aux enseignants: collaborez, tandis que les contenus et les logiciels s’achèteraient ailleurs. Ca va forcément clocher quelque part.

Mutualisation : qui paie ?

Une certitude: ce sont les collectivités qui paieront. Habituellement c’est celui qui paie qui finalement décide. (C’est celui met la pièce dans le juke-box qui choisit la musique).


Il y a deux scénarios possibles:


  • Mutualisation tous azimuts: on rétablit et on assure l’égalité en pariant sur les ressources logicielles et documentaires libres et ouvertes (ENT, visio-conférences, laboratoires de langue, forges de développement de ressources, outils d’administration, etc.)

  • Pas de mutualisation, les régions, départements et communes riches s’équipent richement et le fossé se creuse.

Dans les deux cas l’industrie du numérique se développera… mais dans le second cas l’école numérique sera une autre école.

Priorité forges de développement : ce qu’il faudrait bâtir

Le rapport parle de la mise en place de plate-formes collaboratives. Plus que des lieux de rencontre, ce sont des lieux de production: les places de marchés sont là, pas ailleurs !

C’est là que se produisent les ressources (logicielles et documentaires).


Conclusion:


Pourvu qu’on ne soit pas en train de passer à côté d’une opportunité formidable, en se trompant sur ce qu’est l’Economie Numérique. On risque de déplacer un modèle de l’édition (d’outils et de contenus) qui est totalement inadapté, et qui va se fonder sur des modèles instables et transitoires. Cela fera peut-être la fortune de quelques habiles, mais l’école en tirera-t-elle bénéfice? C’est ce que je saurais dire…


Ce que j’espère ? Que les collectivités, qui vont payer, aillent vers la mutualisation, pour produire ensemble des resssources libres. Mais je ne sais pas si ce choix sera fait, car il n’est pas simple d’organiser cette mutualisation et d’inventer. Mais à coup sûr nous aurions là une école à donner au monde !


De toutes manières, nous aurons l’école numérique que nous méritons.

Notes

[1] Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales : http://adullact.org et http://adullact.net

[2] Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres : http://aful.org

[3] Le rapport Fourgous dans son intégralité + brochure de synthèse

[4] Économie du logiciel libre – François Elie – Éditions Eyrolles – Novembre 2008

[5] Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 – François Elie – Février 2007

[6] Voir cette formule reprise par André Maurois

[7] Pour le dire d’un mot: pour reproduire une automobile dans le monde réel, il faut en construire une; mais copier une ressource numérique ou un logiciel n’est pas le reconstruire, c’est le copier, et la copie du logiciel fonctionne aussi, et le livre est en deux exemplaires! Il est évident qu’on ne peut pas penser l’articulation de la production et de la diffusion des objets numériques comme dans le monde de choses !

[8] Voir Deux nouveaux vidéoprojecteurs « révolutionnaires» présentés au Bett 2010

[9] Groupe de travail ITIC au sein de l’ASTI

[10] VAE pour la Validation des Acquis de l’Expérience

[11] La lettre au sujet de la mutualisation du projet LLSOLL

[12] LLSOLL (Laboratoire de langues en Standards Ouverts et Logiciels Libres)

[13] ENT pour Espace numérique de travail

[14] Forge Adullact

[15] Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique

[16] Le projet Eole




Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart

llawliet - CC byReprise du second article de l’enquête de Mediapart sur l’école à l’ère numérique, introduite dans un précédent billet.

« Derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin », nous dit Louise Fessard.

Et Microsoft non plus[1].

Mais la journaliste a eu la bonne idée d’en décrypter la présence et l’influence en s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur de nombreux articles de ce blog (cf notes de bas de page). Inutile de vous dire que cette reconnaissance nous honore quand bien même la situation évoquée mérite toujours d’être mise à jour en faveur du Libre.

Remarque : Cet article a été publié juste avant la sortie du rapport Fourgous désormais disponible.

Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel

Louise Fessard – 8 février 2010 – Mediapart
(avec son aimable autorisation)

URL d’origine du document

En visite au Bett, le salon mondial du numérique éducatif à Londres, le 17 janvier, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a réaffirmé sa volonté de lancer un grand plan numérique pour l’école « dans le cours du premier trimestre 2010 ». Près de 7.000 communes de moins de 2.000 habitants ont déjà bénéficié de subventions de 10.000 euros pour équiper leur école dans le cadre du plan écoles numériques rurales.

Devant une rangée d’industriels français du numérique, il a confirmé la possibilité d’utiliser une partie du grand emprunt à cette fin. Car derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin. « Ce sont des réservoirs, des perspectives de croissance très importants que d’avoir des pouvoirs publics qui investissent de manière durable dans ce secteur », lance ainsi Luc Chatel (cf vidéo).

En moyenne, l’école française ne dispose que d’un ordinateur pour 12 élèves (contre un pour 6 en Grande-Bretagne) et moins de 30.000 tableaux blancs interactifs (contre 470.000 en Grande-Bretagne)[2]. Plus préoccupant, il existe une grande disparité d’équipement entre les territoires : un rapport de la Cour des comptes révélait en décembre 2008 que, dans les écoles primaires, le taux d’équipement allait d’« un ordinateur pour 5 élèves à un pour 138 élèves » selon les communes.

La faute à une absence de politique nationale : ce sont les collectivités territoriales (commune pour les écoles, département pour les collèges, région pour les lycées) qui financent ordinateurs, logiciels, connexion au réseau. « C’est bien de venir voir les innovations, se désolait un principal de collège rencontré au salon professionnel Educatice en novembre 2008, mais budgétairement on n’a pas la maîtrise, c’est le conseil général qui décide. »

Aussi le plan écoles numériques rurales, qui a laissé aux écoles candidates le choix des solutions informatiques tout en assurant un financement étatique, a-t-il fait mouche parmi les petites communes[3]. Devant l’afflux des candidatures, Luc Chatel a dû débloquer 17 millions d’euros supplémentaires, en plus de l’enveloppe initiale de 50 millions. « Le fait que l’Etat prenne en charge ce dispositif peut éviter un accroissement des inégalités », se réjouit Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat des professeurs des écoles.

Privilégier ressources et formation

Le matériel n’est pas « forcément le nerf de la guerre », a souligné Luc Chatel le 17 janvier, jugeant en revanche « absolument capitales la question des ressources pédagogiques et la question de la formation »[4]. Le député (UMP) des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, doit rendre son rapport sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) à Luc Chatel le 15 février. « Si on ne veut pas renouveler les échecs des grands plans informatiques précédents, il faut abandonner l’histoire du 80% pour l’équipement / 20% pour la formation, et passer au 50/50 », explique-t-il.

Les industriels ont déjà largement investi le terrain : les grands groupes ne se contentent plus de vendre du matériel ou des logiciels, ils offrent aux enseignants des espaces d’échange, des forums, des ressources pédagogiques, des formations pour utiliser leur technologie. « Il faut comprendre qu’accrocher une boîte noire au mur, ça n’apporte pas grand-chose, explique Emmanuel Pasquier, directeur général de la société Promethean, leader des tableaux blancs interactifs (TBI) en Europe. Il faut faire un très gros travail avec la communauté éducative et mettre en place un écosystème autour du TBI qui comprenne les tableaux interactifs, les boîtiers d’évaluation, les ardoises mais aussi des logiciels d’aide à la création pédagogique, la formation et l’accompagnement continu des enseignants. » La communauté virtuelle Promethean Planet revendique ainsi plus de 500.000 enseignants dans le monde.

Microsoft « à l’assaut du monde de l’éducation »

Microsoft France a choisi de multiplier les partenariats avec le monde associatif enseignant, en adaptant son programme international « Partners in learning »[5], actif dans une centaine de pays, au contexte français : « Nous apportons un support technologique et financier aux initiatives des enseignants, mais notre plus grosse valeur ajoutée, c’est la mise en réseau entre enseignants », explique Thierry de Vulpillières[6], directeur des partenariats éducation. Microsoft vient ainsi en aide à des projets peu reconnus et relayés par l’institution scolaire. En toute discrétion, se gardant bien de placarder son logo à tout-va.

L’entreprise américaine a ainsi participé à la refonte de la plateforme Internet du Café pédagogique[7], le site d’actualité pédagogique de référence avec ses 222.000 abonnés, « qui craquait de partout », mais se contente d’y animer un forum sur une opération commerciale « Microsoft Office 2007 gratuit pour les enseignants ». Elle a aussi développé une offre de formations à cette suite bureautique et à son « espace de travail numérique » par l’intermédiaire de Projetice[8], une association d’enseignants créée en 2006.

« Au départ, différents enseignants ressentaient comme un manque l’absence d’associations sur les Tice dans le paysage français, raconte Thierry de Vulpillières. Ils sont venus me voir et j’ai participé au financement de la création de l’association. » Une association qui se dit « indépendante » mais vit en partie des commandes commerciales de Microsoft. « Au côté de celles d’Orange, de Texas Instrument, Smart, etc. », nuance Thierry de Vulpillières.

C’est encore Microsoft qui est à l’origine de la tenue du premier forum des enseignants innovants à Rennes en 2008, que l’entreprise finance à hauteur de 30%[9]. « En 2007, Microsoft avait, avec l’Unesco, organisé au Louvre le forum européen des enseignants innovants, raconte Thierry de Vulpillières. J’ai impliqué des enseignants français et ils se sont dit qu’ils allaient organiser quelque chose au niveau national pour récompenser l’innovation pédagogique. »

Microsoft emploie aussi des méthodes plus classiques et massives. Depuis juin 2008, les enseignants peuvent télécharger et installer gratuitement Office 2007 à leur domicile. Pour mener cet « assaut du monde de l’éducation » (voir doc joint), Microsoft et l’agence de communication Infoflash ont créé un site Web spécifique et envoyé des centaines de courriers nominatifs aux enseignants (120.000 aux enseignants et personnels de collège en juin 2008 puis une seconde vague de 350.000, visant aussi les instituteurs, en novembre 2008)[10]. Une performance récompensée en 2009 par l’obtention du grand prix « acquisition et fidélisation clients » du Club des directeurs marketing et communication des TIC (Cmit)[11].

« Un potentiel de 50.000 emplois »

Théoriquement, selon l’accord-cadre signé entre l’éducation nationale et Microsoft en 2003, l’offre n’est pas à proprement parler gratuite puisqu’elle doit être compensée par l’achat de licences par les établissements scolaires. Microsoft « autorise la duplication des logiciels Microsoft Office sur des postes de travail personnel dans la stricte limitation du nombre de licences déployées pour usage professionnel », précise l’avenant signé en 2006 (doc joint). Mais dans les faits, tout enseignant peut télécharger gratuitement Office, même si son établissement n’a pas acheté de licence à Microsoft.

Ce type d’opération est régulièrement dénoncé sur la Toile par des enseignants adeptes du libre comme Jean Peyratout. « Les industriels, et notamment Microsoft, ont une attitude extrêmement offensive mais ils font leur métier, c’est normal, estime cet instituteur de Pessac (Gironde). C’est plutôt du côté des prescripteurs qu’est le problème. »

Même analyse d’Alexis Kauffmann, enseignant de mathématiques, actuellement à Rome, qui dénonce sur son blog « l’influence disproportionnée de Microsoft à l’école ». « Je reproche surtout au ministère de l’éducation de laisser Microsoft rentrer comme dans du beurre dans le système éducatif français, faute d’avoir pris une position volontariste vis-à-vis du logiciel libre, explique-t-il. Alors qu’en Grande-Bretagne, le Becta (l’agence britannique en charge des Tice) n’hésite pas à rédiger de longs rapports[12] déconseillant l’adoption des nouvelles versions de Windows et MS Office en milieu scolaire tout en invitant à découvrir leurs alternatives libres que sont GNU/Linux et OpenOffice. »

Conscient de cette dépendance, Jean-Michel Fourgous propose qu’une partie du grand emprunt aille à « la formation, la simplification des ressources pédagogiques, la clarification du rôle des collectivités locales et une meilleure coordination des acteurs ». « Je pense qu’il y a un potentiel de 50.000 emplois dans les Tice dans les années à venir, prévoit-il. Il faut inciter nos chercheurs français à travailler sur tous les services Tice car il va y avoir une explosion dans ce domaine. »




Si Google is not evil alors qu’il le prouve en libérant le format vidéo du Web !

Diegosaldiva - CC byQuel sera le futur format vidéo du Web ? Certainement plus le Flash dont les jours sont comptés. Mais quel nouveau format va alors s’imposer, un format ouvert au bénéfice de tous ou un format fermé dont le profit à court terme de quelques-uns se ferait au détriment des utilisateurs ?

Un acteur, à lui seul, possède semble-t-il la réponse ! Et c’est une fois encore de Google qu’il s’agit. Une réponse que la Free Software Foundation attend au tournant car elle en dira long sur les réelles intentions de la firme de Moutain View.

Tentative de résumé de la situation.

Faute de mieux, et alors qu’il n’avais pas été spécialement conçu pour jouer les premiers rôles, le format Flash Video d’Adobe (.flv) s’est imposé pendant des années comme format standard de fait de la vidéo en lecture continue (ou streamée) sur Internet, comme par exemple sur le site emblématique YouTube.

Pour le lire il nécessitait la présence d’un player Flash sur son ordinateur, ce qui a toujours posé problème aux Linuxiens puisque la technologie Flash est propriétaire et (en partie) fermée et qu’il n’est donc pas possible de l’inclure dans les distributions libres de GNU/Linux (ceux qui juste après une installation ont recherché comment lire ce satané format comprendront fort bien ce que je veux dire). Un problème si important que la FSF n’a pas hésité à le placer au top de ses priorités logicielles avec son projet de lecteur libre Gnash (juste en dessous d’un lecteur alternatif pour le format PDF, autre format problématique).

Mais tout ceci sera bientôt du passé car la nouvelle version du format des pages Web, le HTML5, est en train de changer la donne avec l’introduction de la balise <video> (cf cet article du Framablog pour en savoir plus : Building the world we want, not the one we have).

Exit le Flash donc dans nos vidéos du Web. D’ailleurs, coup de grâce, il ne figurera pas dans l’iPad et Steve Jobs aurait déclaré « ne pas vouloir perdre du temps sur une technologie dépassée aussi ringarde que les disquettes » !

Conséquence et grand progrès, on peut donc potentiellement lire directement les vidéos sur tout navigateur qui implémente le HTML5 (actuellement Firefox 3.5+, Safari 4+, Chrome 3+). Plus besoin de télécharger de plugins (Flash, QuickTime ou autre). Sauf que comme le dit Tristan Nitot « la spécification HTML5 précise comment un navigateur doit interpréter l’élément video, mais pas sur le format dans lequel doit être publiée la vidéo en question ».

Or justement deux formats sont les principaux candidats à la succession, l’un ouvert, que nous connaissons bien, le Ogg Theora (adopté notamment sur les projets Wikimedia), et l’autre fermé le H.264. Tristan Nitot expose avec la clarté qu’on lui connaît, la situation, ses contraintes et ses menaces, dans son billet Vidéo dans le navigateur : Theora ou H.264 ?.

Il en rajoute une couche sur Rue89 dans Firefox refuse que YouTube devienne « un club de riches » :

« Si le Web est si participatif, c’est parce qu’il n’y a pas de royalties pour participer et créer un contenu. (Faire le choix du H.264) serait hypothéquer l’avenir du Web. On créerait un îlot technologique, un club de riches : on pourrait produire du texte ou des images gratuitement, mais par contre, pour la vidéo, il faudrait payer. »

En effet, il en coûterait plusieurs millions par an à Mozilla si elle voulait intégrer le H.264 dans Firefox. Ce qu’elle ne pourrait pas se permettre et du coup si YouTube adoptait définitivement ce format (que la célèbre plate-forme teste actuellement), nous serions face à un choix cornélien : Firefox sans YouTube (et tous les autres sites de vidéos qui auront alors suivi YouTube, gageons qu’ils seront nombreux) ou YouTube sans Firefox.

Ceux qui pensent, comme Stallman, qu’on « ne brade pas sa liberté pour de simples questions de convenances » feront peut-être le premier choix. Mais pour le grand public, rien n’est moins sûr (c’est même sûr qu’il fera le choix inverse).

Or c’est un feuilleton à épisodes car un tout dernier évènement est venu semer le trouble en apportant son lot de spéculations. Un évènement passé un peu inaperçu à cause du buzz (négatif) engendré par la sortie simultanée de Google Buzz : le rachat par Google de la société On2 Technologies pour un peu plus de cent millions de dollars.

On2 Technologies est justement spécialisée dans la création de formats vidéos, dont un, le VP3, a d’ailleurs été libéré et est directement à l’origine de l’Ogg Theora. Mais c’est le tout dernier de la gamme, le VP8 qui focalise l’attention de par ses qualités (cf présentation et comparaison sur le site d’On2).

Ce rachat a quelque peu atténué les craintes des observateurs, à commencer par Mozilla (cf cet article de Numerama : Codec vidéo : Google rachète On2 et rassure Mozilla). Pourquoi en effet débourser une telle somme puisque le H.264 est là ? Peut-être pour le remplacer par le VP8. Mais alors aura-t-on un VP8 également fermé (et peut-être aussi payant) ou bien ouvert pour l’occasion ?

La balle est dans le camp de Google.

Soit la société fait le choix du H.264. Firefox ne peut pas suivre et alors il y a fort à parier que cela profitera au navigateur Google Chrome (nombre d’utilisateurs ne pouvant désormais concevoir le Web sans YouTube). Comme de plus l’essentiel des revenus de Mozilla provient de l’accord avec Google sur le moteur de recherche par défaut de Firefox, et que cet accord ne court que jusqu’en 2011, on voit bien que Google peut en théorie si ce n’est tuer Firefox, tout du moins participer directement à freiner son ascension.

Soit la société oublie le H.264 en optant pour le VP8 d’On2. Mais reste alors à savoir quelle sera la nature de ce format. Si Google décide de le libérer en donnant le la en l’installant sur YouTube, c’est non seulement Firefox qui en profitera mais le Web tout entier.

Le choix est important, parce qu’au-delà de l’avenir de la vidéo sur le Web, c’est l’avenir de Google dont il est question. Et aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, l’avenir de Google rejoint souvent l’avenir du Web tout court, ce qui en dit long sur sa puissance et son influence actuelles sur le réseau.

Il est bien évident que le H.264 ou le VP8 fermé serait à priori la meilleure option pour Google en tant que multinationale cotée en bourse avec des actionnaires qui réclament leurs dividendes. Mais ce serait la plus mauvaise pour les partisans d’un Web libre et ouvert. « Google is not evil » nous dit le slogan, alors qu’elle le prouve en faisant le bon choix, celui de l’intérêt des utilisateurs. Google en tirerait alors l’avantage de conserver une image positive de plus en plus écornée ces derniers temps. Dans le cas contraire le masque serait définitivement levé[1] et le bénéfice du doute ne serait plus permis.

Tel est en substance le message lancé par la FSF que nous avons traduit ci-dessous.

Lettre ouverte à Google : libérez le VP8, et utilisez-le sur YouTube

Open letter to Google: free VP8, and use it on YouTube

Holmes – 19 février 2010 – FSF Blogs
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Après son acquisition d’On2, entreprise spécialisée en technologie de compression vidéo, le 16 février 2010, Google est à présent en position de standardiser les formats vidéo libres et ainsi libérer le Web à la fois du Flash et du codec propriétaire H.264.

Cher Google,

Après votre rachat d’On2, vous possédez désormais le plus important site de vidéos au monde (YouTube) et tous les brevets déposés pour un nouveau codec vidéo de haute performance, le VP8. Imaginez ce que vous pouvez accomplir si vous rendez disponible, de façon irrévocable, le codec VP8 sous une licence libre de royalties, et le proposez aux utilisateurs de YouTube ? Vous pouvez mettre un terme à la dépendance du Web aux formats vidéo criblés de brevets et aux logiciels propriétaires tel que Flash.

Garder le secret sur les spécifications de cette technologie ou ne l’utiliser que comme levier de négociation desservirait le monde du Libre, en n’apportant dans le meilleur des cas que des bénéfices à court terme à votre entreprise. Libérer le code du VP8 sans recommander ce format aux utilisateurs de YouTube constituerait une occasion manquée et nuirait au navigateurs libres tel que Firefox. Nous voulons tous que vous fassiez le bon choix. Libérez le code de VP8, et utilisez-le pour YouTube !

Pourquoi ce serait un immense bond en avant

Le monde disposerait alors d’un nouveau format libre affranchi de brevets logiciels. Internautes, créateurs de vidéo, développeurs de logiciels libres, constructeurs de matériel informatique, tout le monde pourrait distribuer de la vidéo sans se soucier des brevets, des droits d’utilisation et des restrictions. Le format vidéo libre Ogg Theora est au moins aussi performant pour la vidéo sur le web (voir comparatif) que son concurrent fermé, le H.264, et jamais nous n’avons approuvé les objections que vous opposiez à son utilisation. Puisque vous avez pris la décision d’acquérir le VP8, on peut néanmoins supposer que ce format ne soulève pas selon vous les mêmes objections, et que l’implémenter dans YouTube est un jeu d’enfant.

Vous avez le pouvoir de faire de ce format libre un standard planétaire. Si YouTube, qui héberge la quasi totalité des vidéos numériques jamais conçues, proposait un format libre en option, ce simple changement vous vaudrait le soutien d’une pléthore de fabricants d’appareils et d’applications numériques.

Cette capacité à proposer un format libre sur YouTube n’est toutefois qu’une partie infime de votre véritable pouvoir. On passera aux choses sérieuses quand vous encouragerez les navigateurs des utilisateurs à prendre en charge les formats libres. Il existe un tas de moyens de s’y prendre. La meilleure, à nos yeux, serait que YouTube abandonne le Flash au profit des formats libres et du HTML, et propose à ses utilisateurs équipés de navigateurs obsolètes un plug-in ou un navigateur moderne (un logiciel libre, bien sûr). Apple a eu le cran de mettre au rebut le Flash pour l’iPhone et l’iPad (même si leurs raisons sont suspectes et leurs méthodes détestables les DRM), et cette décision pousse les développeurs Web à créer des alternatives sans Flash de leurs pages. Vous pourriez faire de même avec YouTube, pour des raisons plus nobles, ce qui porterait un coup fatal à la prédominance de Flash dans le secteur des vidéos en ligne.

Même des actions de moindre envergure porteraient leur fruits. Vous pourriez par exemple susciter l’intérêt des utilisateurs avec des vidéos HD disponibles sous format libre, ou inciter fortement les utilisateurs à mettre à niveau leur navigateur (plutôt que de mettre Flash à jour). De telles mesures sur YouTube porteraient la prise en charge des formats libres par les navigateurs à un niveau de 50% et plus, et elles augmenteraient lentement le nombre d’internautes qui ne prendraient pas la peine d’installer un plug-in Flash.

Si le logiciel libre et l’internet libre vous tiennent à cœur (un mouvement et un médium auxquels vous devez votre réussite), vous devez prendre des mesures drastiques pour remplacer Flash par des standards ouverts et des formats libres. Les codecs vidéo brevetés ont déjà fait un tort immense au Web et à ses utilisateurs, et cela continuera tant que nous n’y mettrons pas un terme. Parce qu’il était coûteux d’implémenter des standards bardés de brevets dans les navigateurs, un logiciel privateur aussi lourd qu’inadapté (le Flash) est devenu le standard de facto pour la vidéo en ligne. Tant que nous ne passerons pas aux formats libres, la menace des actions en justice pour violation de brevet et des royalties à verser pèsera sur tous les développeurs de logiciel, les créateurs de vidéo, les fabricants de matériel informatique, les sites Internet et les entreprises du Web, vous y compris.

Vous pouvez utiliser votre acquisition d’On2 comme simple levier de négociation pour apporter votre propre solution au problème, mais ce serait à la fois un faux-fuyant et une erreur stratégique. Si vous ne faites pas du VP8 un format libre, ce ne sera jamais qu’un codec vidéo de plus. À quoi servirait un énième format vidéo souffrant d’une compatibilité avec les navigateurs limitée par des brevets ? Vous devez au public et à l’Internet de résoudre ce problème ; vous le devez à nous tous, et pour toujours. Des organisation telles que Xiph, Mozilla, Wikimedia, la FSF et On2 elle-même mettent l’accent sur la nécessité d’imposer les formats libres et se battent corps et âme pour rendre cela possible. À votre tour, maintenant. Si vous en décidez autrement, nous saurons que vous avez à cœur non pas la liberté des utilisateurs mais seulement le règne sans partage de Google.

Nous voulons tous que vous preniez la bonne décision. Libérez le code du VP8 et utilisez-le sur Youtube !

Notes

[1] Crédit photo : Diegosaldiva (Creative Commons By)




Google, Apple et l’inexorable déclin de l’empire Microsoft

Seanmcgrath - CC byQuel est le dénominateur commun des récents évènements qui ont défrayé la chronique du Web ? L’absence de Microsoft.

On peut à juste titre critiquer Google, et son jeu du chat et de la souris avec nos données personnelles. Dernier exemple en date : Google Buzz.
On peut en faire de même avec Apple, qui prend un malin plaisir à enfermer les utilisateurs dans son écosystème. Dernier exemple en date : l’iPad.

Il n’empêche que ces deux géants innovent en permanence et se détachent chaque jour un peu plus d’un Microsoft visiblement trop lourd pour suivre le rythme[1].

C’est ce que nous rappelle Glyn Moody dans ce très intéressant article qui vient piocher dans la toute fraîche actualité des arguments de son édifiante conclusion.

Il note au passage que contrairement à Microsoft, Google (beaucoup) et Apple (avec parcimonie) utilisent des technologies open source. Ceci participe aussi à expliquer cela.

Il s’est passé quelque chose, mais où est passé Microsoft ?

Something Happened: Where’s Microsoft?

Glyn Moody – 15 février 2010 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Goofy)

Vous en avez probablement entendu parler, la semaine dernière il y a eu tout un pataquès à propos de Google Buzz et de ses conséquences sur le respect de la vie privée. Et voici ce que Google a répondu :

Nous avons bien reçu votre réaction, cinq sur cinq, et depuis que nous avons lancé Google Buzz il y a quatre jours, nous avons travaillé 24h sur 24 pour dissiper les inquiétudes que vous avez exprimées. Aujourd’hui, nous voulons vous informer que nous avons fait ces derniers jours une quantité de modifications en tenant compte des réactions que nous avons reçues.

D’abord, l’ajout automatique des contact suivis. Avec Google Buzz, nous avons voulu faire en sorte que les premiers pas soient aussi rapides et aisés que possible, et donc nous ne voulions pas que vous ayez à reconstruire manuellement votre réseau social depuis zéro. Cependant, beaucoup de gens voulaient juste essayer Google Buzz pour voir en quoi il pouvait leur être utile, et ils n’ont pas été contents de voir qu’ils avaient déjà une liste de contacts suivis. Ce qui a soulevé une énorme vague de protestations et incité les gens à penser que Buzz affichait automatiquement et de façon publique ceux qu’ils suivaient, avant même d’avoir créé un profil.

Jeudi dernier, nous avons entendu dire que les gens trouvaient que la case à cocher pour choisir de ne pas afficher publiquement telle ou telle information était difficile à trouver, nous avons aussitôt rendu cette option nettement plus repérable. Mais ce n’était évidemment pas suffisant. Donc, à partir de cette semaine, au lieu d’un modèle autosuiveur, avec lequel Buzz vous donne automatiquement à suivre des gens avec lesquels vous échangez le plus sur le chat ou par email, nous nous orientons vers un modèle autosuggestif. Vous ne serez pas voué à suivre quiconque avant d’avoir parcouru les suggestions et cliqué sur « Suivez les contacts sélectionnés et commencez à utiliser Buzz ».

Le plus intéressant dans cette histoire c’est que 1. Google aurait pu prévoir un problème aussi évident et crucial et 2. ils ont réagi non pas une mais deux fois en quelques jours à peine. C’est ce qui s’appelle vivre à l’heure d’Internet, et démontre à quel point les choses ont changé depuis le « bon vieux temps » – disons il y a quelques années – où les erreurs pouvaient mariner plusieurs mois dans un logiciel avant qu’on prenne la peine de s’en occuper.

Mais ce n’est pas le seul évènement qui s’est produit la semaine dernière. Relativement masquée par l’excitation autour de Buzz, voici une autre annonce de Google :

Nous avons le projet de réaliser un réseau à large bande ultra-rapide dans quelques localités tests aux États-Unis. Nous fournirons un accès à Internet par fibre optique à 1 gigabit par seconde, soit cent fois plus rapide que ce que connaissent aujourd’hui la plupart des Américains connectés. Nous avons l’intention de procurer ce service à un prix concurrentiel à au moins 50 000 personnes, et potentiellement jusqu’à 500 000.

Notre objectif est d’expérimenter de nouvelles façons d’aider chacun à accéder à un Internet plus rapide et meilleur. Voici en particulier ce que nous avons en tête :

Les applications du futur : nous voulons voir ce que les développeurs et les utilisateurs peuvent faire avec des vitesses ultra-rapides, que ce soit des applications révolutionnaires ou des services utilisant beaucoup de bande passante, ou d’autres usages que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Nouvelles techniques de déploiement : nous testerons de nouvelles façons de construire des réseaux de fibre optique, et pour aider à l’information et au support de déploiement partout ailleurs, nous partagerons avec le monde entier les leçons que nous en aurons tirées.

Le choix et l’ouverture : nous allons organiser un réseau en « accès ouvert », qui donnera aux usagers le choix parmi de multiples prestataires de services. Et en cohérence avec nos engagements passés, nous allons gérer notre réseau d’une façon ouverte, non-discriminatoire et transparente.

Google a démarré, souvenez-vous, comme un projet expérimental sur la recherche : en arriver à déployer chez un-demi million d’utilisateurs finaux des connexions par fibre optique à 1 gigabit, voilà qui en dit long sur le chemin parcouru par Google. Tout aussi impressionnante dans le même genre, l’irruption de Google dans monde des mobiles avec Android. Là encore, le lien avec le moteur de recherche n’est peut-être pas évident à première vue, mais tout cela revient à essayer de prédire le futur en l’inventant : Google veut s’assurer que quel que soit le chemin que prendra le développement d’Internet, il sera bien placé pour en bénéficier, que ce soit par la fibre à débit ultrarapide ou par des objets intelligents et communicants que l’on glisse dans sa poche.

Google n’est pas la seule entreprise qui se réinvente elle-même en permanence. C’est peut-être Apple qui en donne l’exemple le plus frappant, c’était pourtant loin d’être prévisible il y a quelques années. Mais au lieu de disparaître, l’entreprise Apple a colonisé la niche lucrative des produits informatiques sophistiqués, en particulier les portables, et a fini par remodeler non seulement elle-même mais aussi deux marchés tout entiers.

Le premier a été celui de la musique numérique, qui se développait bien mollement sous les attaques répétées d’une industrie du disque à courte vue, qui pensait pouvoir conserver le rôle qu’elle jouait dans le monde de l’analogique, celui d’intermédiaire obligé entre les artistes et leur public. En utilisant ses pouvoirs quasi hypnotiques, Steve Jobs s’est arrangé pour faire avaler à l’industrie du disque le lot iTunes + iPod, et la musique numérique a décollé comme jamais auparavant pour toucher l’ensemble de la population.

Tout aussi significative a été la décision de Jobs d’entrer dans le monde des téléphones portables. Le iPhone a redéfini ce que devait être un smartphone aujourd’hui, et a accéléré la convergence croissante entre l’ordinateur et le téléphone. Beaucoup pensent qu’avec son iPad Apple est sur le point de transformer la publication numérique aussi radicalement qu’il a déjà bouleversé la musique numérique.

Quoi que vous pensiez de ces récents évènements, une chose est parfaitement claire : pas un seul des événements les plus excitants du monde de l’informatique – Buzz, le réseau par fibre à 1 gigabit, le iPad, Android et tout le reste – n’est venu de chez Microsoft. La façon dont Google et Apple ont complètement masqué les nouveautés de Microsoft pendant des mois est sans précédent, et je pense, représente un tournant décisif.

Parce que nous assistons à la fin du règne de Microsoft en tant que roi de l’informatique – sans fracas, mais avec un petit gémissement. Bien sûr, Microsoft ne va pas disparaître – je m’attends vraiment à ce qu’il soit là encore pour des décennies, et qu’il distribue de jolis dividendes à ses actionnaires – mais Microsoft sera tout simplement dépourvu d’intérêt dans tous les domaines-clés.

Ils se sont plantés en beauté sur le marché de la recherche en ligne ; mais, d’une façon plus générale, je ne connais pas un seul service en ligne lancé par Microsoft qui ait eu un impact quelconque. Et ça n’est pas mieux côté mobile : bien que Windows Mobile ait encore des parts de marché pour des raisons historiques, je pense que personne, nulle part, ne se lève le matin en se disant « Aujourd’hui il faut que je m’achète un Windows Mobile », comme le font manifestement les gens qui ont envie d’un iPhone d’Apple ou d’un des derniers modèles sous Android comme Droid de Motorola ou Hero de HTC (même moi j’ai acheté ce dernier modèle il y a quelques mois).

Quant au marché de la musique numérique, le Zune de Microsoft est pratiquement devenu le nom générique de la confusion électronique, tant le système est mauvais et mal-aimé. Et même dans le secteur où la part de marché de Microsoft est davantage respectable – celui des consoles de jeu – le problème de l’infâmant « cercle rouge de la mort » menace là encore de ternir sa réputation.

Tout cela nous laisse l’informatique grand public comme dernier bastion de Microsoft. Malgré des tentatives constamment renouvelées de la part des experts (dont votre serviteur) pour proclamer « l’année des ordinateurs GNU/Linux », Windows donne peu de signes qu’il lâche prise sur ce segment. Mais ce qui est devenu de plus en plus flagrant, c’est que les tâches informatisées seront menées soit à travers le navigateur (porte d’accès à l’informatique dans les nuages) soit à travers les smartphones tels que que le iPhone ou les mobiles sous Android. Les uns comme les autres rendent indifférent le choix du système d’exploitation de l’ordinateur de bureau (d’autant que Firefox tend de plus en plus à faire jeu égal avec Internet Explorer sur beaucoup de marchés nationaux), donc savoir si l’on trouve Windows ou GNU/Linux à la base de tout ça est une question vraiment sans intérêt.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. Dick Brass est bien mieux placé que moi pour en parler, il a été vice-président de Microsoft de 1997 à 2004. Voici ce qu’il a écrit récemment dans le New York Times :

Microsoft est devenu empoté et peu compétitif dans l’innovation. Ses produits sont décriés, souvent injustement mais quelquefois à juste titre. Son image ne s’est jamais remise du procès pour abus de position dominante des années 90. Sa stratégie marketing est inepte depuis des années ; vous vous souvenez de 2008 quand Bill Gates s’est laissé persuader qu’il devait littéralement se trémousser face à la caméra ?

Pendant qu’Apple continue à gagner des parts de marché sur de nombreux produits, Microsoft en perd sur le navigateur Web, le micro portable haut de gamme et les smartphones. Malgré les milliards investis, sa gamme de Xbox fait au mieux jeu égal avec ses concurrents du marché des consoles de jeu. Du côté des baladeurs musicaux, ils ont d’abord ignoré le marché puis échoué à s’y implanter, jusqu’à ce qu’Apple le verrouille.

Les énormes bénéfices de Microsoft – 6,7 milliards de dollars au trimestre dernier – viennent presque entièrement de Windows et de la suite Office qui ont été développés il y a des décennies (NdT : cf ce graphique révélateur). Comme General Motors avec ses camions et ses SUV, Microsoft ne peut pas compter sur ces vénérables produits pour se maintenir à flot éternellement. Le pire de tout ça d’ailleurs, c’est que Microsoft n’est plus considéré comme une entreprise attractive pour aller y travailler. Les meilleurs et les plus brillants la quittent régulièrement.

Que s’est-il passé ? À la différence d’autres entreprises, Microsoft n’a jamais développé un authentique processus d’innovation. Certains de mes anciens collègues prétendent même qu’elle a développé en fait un processus de frein à l’innovation. Bien qu’elle dispose des laboratoires les plus vastes et les meilleurs du monde, et qu’elle se paie le luxe d’avoir non pas un mais trois directeurs de recherches technologiques, l’entreprise s’arrange habituellement pour réduire à néant les efforts de ses concepteurs les plus visionnaires.

Il y a quelque chose de profondément ironique dans cet échec à innover, parce que Microsoft n’a pas cessé d’invoquer l’innovation comme argument principal pour n’être pas frappé par la loi anti-trust aux États-Unis comme en Europe, et pour justifier notre « besoin » de brevets logiciels. La déconfiture de cette argumentation est maintenant rendue cruellement flagrante par l’échec de l’entreprise à innover dans quelque secteur que ce soit.

Je dirais que le plus grand échec à ce titre a été de refuser de reconnaître que la manière la plus rapide et la plus facile d’innover c’est de commencer à partir du travail des autres en utilisant du code open source. Le succès de Google est presque entièrement dû à son développement de logiciels libres à tous les niveaux. Ce qui a permis à l’entreprise d’innover en plongeant dans l’immense océan du code librement disponible pour l’adapter à des applications spécifiques, que ce soit pour les gigantesques datacenters épaulant la recherche, ou pour la conception d’Android pour les mobiles – dans les deux cas à partir de Linux.

Même Apple, le champion du contrôle total du produit par l’entreprise, a reconnu qu’il était cohérent d’utiliser des éléments open source – par exemple, FreeBSD et WebKit – et s’en servir comme fondation pour innover frénétiquement au dernier étage. Refuser de le reconnaître aujourd’hui est aussi aberrant que refuser d’utiliser le protocole TCP/IP pour les réseaux.

Quelque chose s’est passé – pas juste cette semaine, ni la semaine dernière, ni même durant les derniers mois, mais au cours de ces dix dernières années. Le logiciel libre s’est développé au point de devenir une puissance considérable qui influe sur tout ce qui est excitant et innovateur en informatique ; et Microsoft, l’entreprise qui a reconnu le moins volontiers son ascendant, en a payé le prix ultime qui est son déclin.

Notes

[1] Crédit photo : Seanmcgrath (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)