Le temps n’est plus où il était nécessaire d’alerter sur la prédation opérée par Google et ses nombreux services sur nos données personnelles. Il est fréquent aujourd’hui d’entendre dire sur un ton fataliste : « de toute façon, ils espionnent tout »
Si beaucoup encore proclament à l’occasion « je n’ai rien à cacher » c’est moins par conviction réelle que parce que chacun en a fait l’expérience : « on ne peut rien cacher » dans le monde numérique. Depuis quelques années, les mises en garde, listes de précautions à prendre et solutions alternatives ont été largement exposées, et Framasoft parmi d’autres y a contribué.
Il manquait toutefois un travail de fond pour explorer et comprendre, une véritable étude menée suivant la démarche universitaire et qui, au-delà du jugement global approximatif, établisse les faits avec précision.
C’est à quoi s’est attelée l’équipe du professeur Douglas C. Schmidt, spécialiste depuis longtemps des systèmes logiciels, chercheur et enseignant à l’Université Vanderbilt, qui livre au public une étude d’une cinquantaine de pages intitulée Google Data Collection. Cette étude, qui nous semble pouvoir servir de référence, a retenu l’attention du groupe Framalang qui vous en livre ci-dessous l’executive summary, c’est-à-dire une sorte de résumé initial, qui en donne un aperçu programmatique.
Si vous trouvez un intérêt à cette traduction et souhaitez que Framalang vous propose la suite nous ferons de notre mieux…
1.
Google est la plus grosse agence de publicité numérique du monde 1. Elle fournit aussi le leader des navigateurs web 2, la première plateforme mobile 3 ainsi que le moteur de recherche le plus utilisé au monde 4. La plateforme vidéo de Google, ses services de mail et de cartographie comptent 1 milliard d’utilisateurs mensuels actifs chacun 5. Google utilise l’immense popularité de ses produits pour collecter des données détaillées sur le comportement des utilisateurs en ligne comme dans la vie réelle, données qu’il utilisera ensuite pour cibler ses utilisateurs avec de la publicité payante. Les revenus de Google augmentent significativement en fonction de la finesse des technologies de ciblage des données.
2.
Google collecte les données utilisateurs de diverses manières. Les plus évidentes sont « actives », celles dans lesquelles l’utilisateur donne
directement et consciemment des informations à Google, par exemple en s’inscrivant à des applications très populaires telles que YouTube, Gmail, ou le moteur de recherche. Les voies dites « passives » utilisées par Google pour collecter des données sont plus discrètes, quand une application devient pendant son utilisation l’instrument de la collecte des données, sans que l’utilisateur en soit conscient. On trouve ces méthodes de collecte dans les plateformes (Android, Chrome), les applications (le moteur de recherche, YouTube, Maps), des outils de publication (Google Analytics, AdSense) et de publicité (AdMob, AdWords). L’étendue et l’ampleur de la collecte passive de données de Google ont été en grande partie négligées par les études antérieures sur le sujet 6.
3.
Pour comprendre les données que Google collecte, cette étude s’appuie sur quatre sources clefs :
a. Les outils Google « Mon activité » (My Activity) 7 et « Téléchargez vos données » (Takeout) 8, qui décrivent aux utilisateurs l’information collectée lors de l’usage des outils Google.
b. Les données interceptées lors de l’envoi aux serveurs de Google pendant l’utilisation des produits Google ou d’autres sociétés associées.
c. Les règles concernant la vie privée (des produits Google spécifiquement ou en général).
d. Des recherches tierces qui ont analysé les collectes de données opérées par Google.
4.
Au travers de la combinaison des sources ci-dessus, cette étude montre une vue globale et exhaustive de l’approche de Google concernant la collecte des données et aborde en profondeur certains types d’informations collectées auprès des utilisateurs et utilisatrices.
Cette étude met en avant les éléments clés suivants :
a. Dans une journée d’utilisation typique, Google en apprend énormément sur les intérêts personnels de ses utilisateurs. Dans ce scénario d’une journée « classique », où un utilisateur réel avec un compte Google et un téléphone Android (avec une nouvelle carte SIM) suit sa routine quotidienne, Google collecte des données tout au long des différentes activités, comme la localisation, les trajets empruntés, les articles achetés et la musique écoutée. De manière assez surprenante, Google collecte ou infère plus de deux tiers des informations via des techniques passives. Au bout du compte, Google a identifié les intérêts des utilisateurs avec une précision remarquable.
b. Android joue un rôle majeur dans la collecte des données pour Google, avec plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde 9. Alors que le système d’exploitation Android est utilisé par des fabricants d’équipement d’origine (FEO) partout dans le monde, il est étroitement connecté à l’écosystème Google via le service Google Play. Android aide Google à récolter des informations personnelles sur les utilisateurs (nom, numéro de téléphone, date de naissance, code postal et dans beaucoup de cas le numéro de carte bancaire), les activités réalisées sur le téléphone (applications utilisées, sites web consultés) et les coordonnées de géolocalisation. En coulisses, Android envoie fréquemment la localisation de l’utilisateur ainsi que des informations sur l’appareil lui-même, comme sur l’utilisation des applications, les rapports de bugs, la configuration de l’appareil, les sauvegardes et différents identifiants relatifs à l’appareil.
c. Le navigateur Chrome aide Google à collecter des données utilisateurs depuis à la fois le téléphone et l’ordinateur de bureau, grâce à quelque 2 milliards d’installations dans le monde 10. Le navigateur Chrome collecte des informations personnelles (comme lorsqu’un utilisateur remplit un formulaire en ligne) et les envoie à Google via le processus de synchronisation. Il liste aussi les pages visitées et envoie les données de géolocalisation à Google.
d. Android comme Chrome envoient des données à Google même en l’absence de toute interaction de l’utilisateur. Nos expériences montrent qu’un téléphone Android dormant et stationnaire (avec Chrome actif en arrière-plan) a communiqué des informations de localisation à Google 340 fois pendant une période de 24 heures, soit en moyenne 14 communications de données par heure. En fait, les informations de localisation représentent 35 % de l’échantillon complet de données envoyés à Google. À l’opposé, une expérience similaire a montré que sur un appareil iOS d’Apple avec Safari (où ni Android ni Chrome n’étaient utilisés), Google ne pouvait pas collecter de données notables (localisation ou autres) en absence d’interaction de l’utilisateur avec l’appareil.
e. Une fois qu’un utilisateur ou une utilisatrice commence à interagir avec un téléphone Android (par exemple, se déplace, visite des pages web, utilise des applications), les communications passives vers les domaines de serveurs Google augmentent considérablement, même dans les cas où l’on n’a pas utilisé d’applications Google majeures (c.-à-d. ni recherche Google, ni YouTube, pas de Gmail ni Google Maps). Cette augmentation s’explique en grande partie par l’activité sur les données de l’éditeur et de l’annonceur de Google (Google Analytics, DoubleClick, AdWords) 11. Ces données représentaient 46 % de l’ensemble des requêtes aux serveurs Google depuis le téléphone Android. Google a collecté la localisation à un taux 1,4 fois supérieur par rapport à l’expérience du téléphone fixe sans interaction avec l’utilisateur. En termes d’amplitude, les serveurs de Google ont communiqué 11,6 Mo de données par jour (ou 0,35 Go / mois) avec l’appareil Android. Cette expérience suggère que même si un utilisateur n’interagit avec aucune application phare de Google, Google est toujours en mesure de recueillir beaucoup d’informations par l’entremise de ses produits d’annonce et d’éditeur.
f. Si un utilisateur d’appareil sous iOS décide de renoncer à l’usage de tout produit Google (c’est-à-dire sans Android, ni Chrome, ni applications Google) et visite exclusivement des pages web non-Google, le nombre de fois où les données sont communiquées aux serveurs de Google demeure encore étonnamment élevé. Cette communication est menée exclusivement par des services de l’annonceur/éditeur. Le nombre d’appels de ces services Google à partir d’un appareil iOS est similaire à ceux passés par un appareil Android. Dans notre expérience, la quantité totale de données communiquées aux serveurs Google à partir d’un appareil iOS est environ la moitié de ce qui est envoyé à partir d’un appareil Android.
g. Les identificateurs publicitaires (qui sont censés être « anonymisés » et collectent des données sur l’activité des applications et les visites des pages web tierces) peuvent être associés à l’identité d’un utilisateur ou utilisatrice de Google. Cela se produit par le transfert des informations d’identification depuis l’appareil Android vers les serveurs de Google. De même, le cookie ID DoubleClick (qui piste les activités des utilisateurs et utilisatrices sur les pages web d’un tiers) constitue un autre identificateur censé être anonymisé que Google peut associer à celui d’un compte personnel Google, si l’utilisateur accède à une application Google avec le navigateur déjà utilisé pour aller sur la page web externe. En définitive, nos conclusions sont que Google a la possibilité de connecter les données anonymes collectées par des moyens passifs avec les données personnelles de l’utilisateur.
Framinetest Edu, et maintenant ?
Deux ans après son lancement, il est temps de dresser un premier bilan de l’aventure Framinetest. Souvenez-vous, le jour de la rentrée des enseignants, septembre 2016, nous écrivions ceci :
Combien d’utilisateurs se sont connectés ? Notre initiative a-t-elle réussi à faire ses chatons ? Autant de questions auxquelles nous vous proposons de répondre dans ce premier bilan public. Et avouons-le, si nous avons attendu avant de partager, c’est avant tout parce que nous n’avons pas eu une seconde à nous. Mais que d’aventures et de chemin parcourus depuis son lancement !
Commençons par un nombre
Forcément, lorsqu’on parle de bilan et d’une plateforme en ligne, vient à un moment la question : « c’est qui qui y va, sur ton bouzin ? Et combien c’est-y qui sont à y aller ? »
Voici la réponse… Le nombre total d’utilisateurs qui se sont connectés au moins une fois est de (tadaaa) : plus de 10 000. Après, on a arrêté de compter.
Qui se connecte, ou s’est connecté pour découvrir le jeu ?
Des élèves du premier et du second degré, des étudiants, des enseignants du premier et du second degré de toutes disciplines, des universitaires, des inspecteurs et des parents ! Oui, vous avez bien lu, des parents aussi. Et pourquoi pas, après tout ? Personnellement, j’y vois à minima un intérêt : la transparence des outils et de l’enseignement.
Autant dire que Framinetest a été un franc succès ! Mais alors que se passe-t-il en ce moment ?
Dans ce contexte, le premier, et non le moindre, des défis était de trouver une solution de modération qui ne demanderait pas aux modérateurs de rester en ligne 24h/24 et 7j/7. La solution que nous avons donc choisie est celle des privilèges différenciés entre les joueurs. En résumé, plus on est sérieux, attentif aux autres et actif, plus on gagne de privilèges. Solution simple mais particulièrement efficace puisque dès que les élèves sont arrivés sur la plateforme, le nombre de modérateurs a tout simplement triplé !
Le second défi à relever fut assez rapidement celui de l’entrée dans le jeu. En effet, lorsqu’on utilise un serveur Minetest public, le nombre de joueurs (français comme étrangers) peut rapidement devenir un problème, en particulier lorsque se glissent parmi eux quelques petits plaisantins aimant jouer avec le feu et la lave (« Ah, cool, j’y suis, je vais pouvoir jou… » Froutch !).
C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un quiz d’entrée. En résumé, chaque nouveau joueur arrivant dans le jeu possède des privilèges très limités (qui ne permettent pas le grief) et est invité à passer le quiz s’il veut en gagner davantage. Simple, mais particulièrement efficace !
Souvenez-vous : améliorations, évolutions…
Septembre 2016 : l’entrée dans le jeu est (donc) modifiée (construction du quiz, mise en place du spawn).
Décembre 2016 : l’accès aux blocs de lave devient un privilège (a pus, froutch).
Octobre-janvier : les mods utilisés sont adaptés et traduits.
Janvier : le serveur est mis à jour de la version 0.4.14 vers 0.4.15, ce qui ajoute de nouvelles fonctionnalités et corrige de nombreux bogues.
Janvier-février : les élèves testent et installent la « prison » de ré-éducation (on en reparle plus bas).
Décembre-février : de nouveaux mods sont testés, et parfois installés (dont « shérif » et véhicules).
Février-mars 2017 : l’entrée dans le jeu est encore améliorée avec la mise en place d’un nouveau quiz.
Année 2 : on a montré que c’était possible, maintenant il faut faire des chatons !
OK, c’est cool, mais un tel serveur, avec autant de joueurs, est-ce viable sur le long terme ? La question mérite d’être posée, en particulier après quelques nuits blanches à éteindre des incendies (j’en ris tout seul derrière mon clavier ; seuls les joueurs de la première heure et amis comprendront !).
Il fallait poser les choses : Framinetest n’a pas vocation à accueillir toutes les demandes ! Car elles étaient nombreuses et très diverses, pour ne pas dire toutes différentes. Oui, il faut que je vous explique : quand on vient de l’univers Minecraft, on a la fâcheuse tendance à imaginer son monde à soi, sans penser nécessairement qu’on n’est pas le seul joueur en ligne… CQFD. C’est là que la décentralisation trouve son intérêt, afin que chacun trouve chaussure à son pied.
Et puis soyons honnêtes, ce n’était pas humainement possible, franchement déraisonnable. Il fallait décentraliser ! Bref, peut-être encore plus que pour les autres framachins, le discours se devait d’être clair : « on vous a montré la voie, maintenant, à vous de jouer ! ».
Bien entendu, nous avons guidé aidé, conseillé… Et Framinetest est retourné à sa source : un bac à sable, un lieu d’essai où l’erreur est humaine, mais où on se fait plaisir ! Et des essais, des bugs… il y en a eu un paquet !
Octobre 2017 : nous participons au hackathon du Gamixlab !
Octobre 2017 à aujourd’hui : nous accompagnons des projets pédagogiques proposés par les enseignants sur Framinetest.
Souvenirs, anecdotes et retours d’expérience
Framinetest est basé sur Minetest, un logiciel libre, moteur de l’innovation pédagogique et favorisant l’élargissement du champ des possibles pour les utilisateurs.
Les administrateurs du serveur ont la possibilité d’ajouter, modifier, optimiser, l’ensemble du jeu : autant dire qu’un enseignant pourra s’y sentir libre, d’un point de vue pédagogique ! Les élèves deviennent force de proposition et d’amélioration du jeu ; c’est motivant et formateur.
Le jeu est une société miniature, avec ses évolutions, de l’idée à la réalisation… en passant par l’utopie ! Quelques exemples :
EnzoJP et sa prison, où comment rééduquer les joueurs ne respectant pas les règles ! Devant les joueurs les moins sérieux, enzoJP, jeune modérateur et accessoirement l’un de mes élèves, nous a un jour fait part de son idée au cours d’une partie : « monsieur Sangokuss, plutôt que de bannir ces joueurs-là, je pense qu’il serait mieux de les mettre en prison et d’essayer de les ré-éduquer. Est-ce que vous êtes d’accord ? » Bon, là, j’avoue, il y a un moment d’absence dans mon cerveau… Mais après réflexion, je lui dis que c’est envisageable s’il argumente et qu’il respecte la règle du « c’est celui qui dit qui fait ». Réponse d’enzoJP : « monsieur, ne vous inquiétez pas, on ne les tapera pas ! Mais quand ils font une bêtise, on les envoie en prison et un modérateur-psychologue s’en occupe pour le ré-éduquer ». Intérieurement, je me dis que cela devient intéressant (de quoi philosopher et débattre pendant longtemps…) et je réponds « OK, on essaie ». Quinze jours plus tard, la prison est construite et les premiers prisonniers y sont enfermés. Reste à savoir s’ils ressortiront un jour… Bref, restez sérieux !
Reproduire la vraie vie : travailler, dormir, faire ses courses, se cultiver.
« Promis monsieur, on ne se bat pas ! Mais on stocke des armes au cas où… ». Euh, ouais, il va falloir en parler, quand même.
Le lâcher prise : une posture pas si simple pour l’enseignant, et pourtant une nécessité.
L’apprentissage de la démocratie, les scrutins, les décisions communes.
Au fond, c’est une véritable réflexion sur notre société que le jeu permet et facilite pour les joueurs. Sans pour autant aboutir à un résultat idéal, il y a là des pistes intéressantes, parfois surprenantes ou amusantes, parfois politiquement incorrectes, mais toujours dans un esprit de co-construction et d’ouverture.
Je l’ai déjà évoqué, mais travailler l’entrée dans le jeu est une absolue nécessité ! En effet, lorsqu’un tel serveur est ouvert 24h/24, on remarque inévitablement des problèmes apparaître, plus particulièrement l’arrivée d’intrus qu’il convient de filtrer / cadrer… Mais il y a encore plus important dans un contexte pédagogique : faire prendre conscience aux joueurs (ici, des élèves), de l’importance de respecter certaines règles élémentaires. Et voici les solutions et pistes de réflexions qui ont été proposées par les intervenants eux-mêmes :
Forcer les joueurs à lire la charte ! D’où l’idée lancée de construire un labyrinthe dont seul le joueur qui lira les articles de la charte trouvera la sortie. Simple, mais très efficace !
Limiter les privilèges au minimum à l’entrée dans le jeu, tout en expliquant qu’il y a moyen d’en gagner, sous condition de respecter les règles du serveur.
Avantage important : cela libère du temps au(x) modérateur(s) ou enseignant(s) qui gèrent le serveur puisque l’entrée dans le jeu se fait en autonomie, alors qu’auparavant il fallait prêter une grande attention à cette étape cruciale..
Sur un serveur ouvert, au delà de l’entrée dans le jeu, un autre point de vigilance doit être abordé : l’encadrement. D’où la logique des privilèges croissants.
Ne deviennent « modo » que ceux qui disposent des privilèges associés, donc ceux qui respectent les règles.
Les déplacements sont également facilités par les téléporteurs qui permettent aux participants de se rendre rapidement d’un point à un autre de la map sans pour autant avoir le privilège dédié.
La responsabilisation progressive permet d’apprendre la coopération.
Retour vers le futur : le privilège du roll-back, c’est-à-dire pouvoir revenir à une situation précédente (soit restaurer le jeu à un point de sauvegarde).
Shérif, fait moi peur ! Ou tout simplement l’idée d’un élève de développer une police dans le jeu. Simple à dire, mais si difficile à mettre en place si l’on souhaite que cela se fasse avec calme et légitimité. D’où la notion de vote. Les participants ont, s’ils le souhaitent, la possibilité d’élire un (ou plusieurs) shérif dont les privilèges seront différenciés en fonction de son nombre de bulletins !
L’usage de surnom et le respect ne sont pas antagonistes, ce qui surprend parfois les collègues.
Le rôle des modérateurs est indispensable pour favoriser le développement de l’autonomie : accueillir, expliquer, former, faciliter les échanges, et si nécessaire… sanctionner. Comme dans la vraie vie, sauf que dans le jeu certains modérateurs sont eux aussi des participants, parfois plus jeunes que les joueurs « modérés ».
De nouveaux usages, ou plutôt des usages inattendus, ont vu le jour :
L’inauguration ;
L’organisation d’évènements festifs : pour Noël…etc. ;
La photo de classe.
Pourquoi pousser le libre dans l’éducation ?
Au-delà du discours libriste global, la fermeture du logiciel Minecraft rend difficile, pour ne pas dire impossible toutes personnalisation profonde du jeu par l’enseignant et donc encore moins par les élèves ! Jouer, dans un tel contexte, c’est davantage être utilisé qu’être utilisateur, pour reprendre une expression de Richard M. Stallman à propos de Facebook. Par conséquent, comment imaginer une démarche pédagogique de formation au numérique ? Car oui, former au numérique c’est former des utilisateurs éclairés, capables (ou du moins ayant la possibilité) de plier l’outil pour répondre à leurs besoins. Or, dans Minetest, cette voie est ouverte aux utilisateurs et les élèves ne s’y trompent pas ; à partir du moment où ils comprennent que tout n’est que dossiers et fichiers, ils personnalisent, adaptent, et créent même leurs propres serveurs.
Bref, ils deviennent indépendants. Libres. Et le devoir de l’école est accompli !
Et demain ?
Framinetest restera. Le projet se poursuit et nous sommes loin d’avoir épuisé l’imagination de nos joueurs et modérateurs ! Figurez-vous que pas plus tard que le week-end dernier, de grosses mises à jour ont été poussées sur Framinetest !
Mais les serveurs doivent se multiplier… Et de fait ils le font, avec de nouvelles expérimentations qu’il est toujours passionnant de suivre tant le jeu est riche de libertés. Si j’en crois ce que j’observe sur les médias sociaux, nous avons fait déjà un joli bout de chemin !
Tout est résumé dans un mot : Contributopia ! Il s’agit d’encourager les nouveaux serveurs pédagogiques et de les accompagner.
Le succès de Framinetest n’est pas passé inaperçu et mon petit doigt me dit que cette histoire n’est pas terminée…
Rendez-vous prochainement pour le troisième volet de l’aventure Framinetest.
Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux… et quelques autres métropoles régionales sont animées par des associations libristes actives et efficaces : réunions régulières, actions de terrain, conférences et rencontres… Mais dans les villes moyennes ça bouge aussi.
À l’ouest par exemple, entre Nantes, Quimper ou Brest, beaucoup de projets et d’initiatives sont déjà en place et parfois depuis longtemps. Mais ce sont les habitants de Lannion qui ont récemment pu bénéficier d’un premier Café Vie Privée, un événement qui a connu un beau succès (oui, l’évènement était accueilli au Truc café, ça ne s’invente pas…). Bravo aux organisateurs et organisatrices !
… et puis il y avait aussi la conférence de Clochix, dont il avait préparé le détail sur son blog Gribouillis dans les marges et que nous reprenons ici avec son accord.
Comme il est modeste, il nous signalait ne rien mentionner d’original, et en effet on retrouvera ici des indications et recommandations dont sont familiers les conférenciers libristes. Cependant, il nous a semblé qu’il abordait une question cruciale classique (comment protéger sa vie privée numérique) selon une démarche plus originale : il commence en effet par tracer les contours de notre intimité numérique avant de définir le « modèle de menace » auquel chacun⋅e s’expose potentiellement. La liste de ses exemples est assez riche… C’est seulement alors que peuvent venir les mesures ou plutôt contre-mesures dont nous pouvons disposer, et pas seulement à titre individuel, en ayant pleine conscience de leurs limites.
Hygiène et écologisme numérique
Remarque liminaire : je préfère parler plutôt d’intimitéque de vie privée. On a parfois l’impression que la vie privée ne concerne que les personnes publiques ou les gens qui ont des choses à cacher. En parlant d’intimité, j’espère que davantage de gens se sentent concerné·e·s.
En réfléchissant à ce que j’allais conseiller pour protéger son intimité, je me suis rendu compte que j’abordais le problème à l’envers. Parler de techniques et d’outils pour protéger son intimité n’est que la dernière étape du processus, avant d’en arriver là, il faut d’abord réfléchir à ce que l’on veut protéger et de qui ou quoi on veut le protéger.
Qu’est-ce que l’intimité numérique et pourquoi la protéger ?
L’intime est ce qui nous définit en tant qu’individus et motive une grande partie de nos actes.
L’intimité, c’est un endroit où l’on est seul avec soi-même (ou avec un nombre très restreint de personnes en qui on a confiance), et qui nous permet, à l’abri de tout regard, de tout jugement externe, de se construire, d’exister, de prendre des décisions, etc.
L’intimité, ce sont aussi nos rêves, et les carnets où parfois on les note. Ce sont nos projets fous que l’on élabore dans notre tête longtemps avant d’oser en parler à quiconque. Et qui ne pourraient pas naître à la lumière.
L’intimité n’a rien à voir avec des actions illicites.
L’intimité, ce sont aussi des choses sans conséquence mais dont on a un peu honte. Se curer le nez, roter, ce sont des choses que l’on s’autorise lorsqu’on est seul chez soi, mais qu’on peut avoir honte de voir exposer sur la place publique. Imaginez l’inconfort d’être dans une cellule de prison où vous devez faire vos besoins au vu et au su de vos co-détenu·e·s. Être privé⋅e d’intimité déshumanise, affecte l’image que l’on a de soi.
Dernier exemple de lieu intime : l’isoloir. Il est depuis longtemps acquis que le secret du vote est important dans une démocratie. Il est vital d’avoir la possibilité que certaines choses restent secrètes.
L’intimité numérique, ce sont toutes les traces de notre intimité sur des outils numériques. C’est naturellement notre correspondance, les informations qui révèlent directement nos pensées intimes. Mais c’est aussi tout ce qui, de manière plus large, permet indirectement, par des recoupements, d’accéder à notre intimité. Nos recherches en ligne, nos achats, nos rendez-vous médicaux, nos errances dans la rue (« tiens, il fait souvent un détour pour passer dans la rue où habite X, cherche-t-il à lae croiser ? »). Nos téléphones qui suivent chacune de nos activités permettent de savoir si nous fréquentons un lieu de culte, un local syndical ou un bar, et à quelle fréquence…
L’intimité est un besoin vital pour les humains, en être privé nous prive d’une partie de notre humanité. En être privé, être toujours sous la menace du regard et du jugement d’autrui, c’est perdre la capacité de penser par soi-même, d’exister, de se comporter en tant qu’individu indépendant, autonome. Priver les citoyen·ne·s d’intimité est une des caractéristiques des régimes totalitaires qui cherchent à nier les individualités pour ne gérer que des robots déshumanisés.
Protéger son intimité est donc essentiel. Mais il faut aussi veiller à ce que la société garantisse à chacun et chacune le droit à l’intimité.
Ok, mais de qui ou de quoi faut-il la protéger ?
Les menaces sur notre droit à l’intimité sont très nombreuses, selon les contextes. Attention, il ne faut pas croire que sont uniquement le fait de gens qui cherchent explicitement à nous nuire. En fait, l’essentiel des risques n’est pas lié à la malveillance, mais à la simple utilisation de nos données pour influencer notre vie. Petite liste non exhaustive :
votre employeur actuel : pour avoir certaines conversations avec des collègues, mieux vaut éviter d’utiliser les outils internes de l’entreprise ;
vos futurs employeurs : celleux-ci pourraient apprécier de différentes manières de découvrir sur notre fil Facebook que l’on participe à toutes les journées de grève et applaudit aux actions des syndicats 😉
vos proches : compagnon ou compagne qui pourrait être blessé·e de découvrir que l’on discute encore avec ses « ex ». Ados ne souhaitant pas que leurs parents écoutent leurs conversations avec leurs potes ou connaissent les sites qu’ils consultent (« pourquoi as-tu fait des recherches sur la contraception ??? ») ;
le harcèlement : le phénomène est de plus en plus courant, dans les cours de récréation comme parmi les adultes. Si pour une raison quelconque vous devenez la cible de harcèlement, toutes les informations disponibles en ligne sur vous pourront être utilisées contre vous. Votre adresse, pour vous menacer. Vos proches, pour s’en prendre à elleux… Personne n’est à l’abri, et ça peut être très violent ;
des escrocs : les informations que l’on peut trouver en ligne sur nous peuvent permettre à des escrocs d’usurper notre identité, pour nous faire payer leurs amendes, pour souscrire des services à notre place, pour escroquer nos proches en se faisant passer pour nous, etc ;
du marketing : plus quelqu’un nous connait, plus iel sera en mesure d’influencer nos actes, voire nos opinions, par exemple pour nous pousser à acheter une marchandise dont on n’avait pas forcément besoin, ou à voter pour un·e candidat·e dont on n’avait pas forcément besoin ;
des décisions nous concernant prises en se fondant sur ce que l’on sait ou croit savoir de nous (« gouvernance algorithmique »). Si vous avez été malade et avez évoqué cette maladie sur Internet, une banque pourra des années plus tard vous refuser un prêt, une assurance pourra vous faire payer des primes supérieures… Imaginez qu’un site collecte l’ensemble de nos rendez-vous médicaux, imaginez le nombre de décisions qui pourraient être prises à notre insu à partir de ces informations par un employeur (« elle vient de tomber enceinte, ne lui proposons pas de CDI »), un banquier (« il consulte un psy donc n’est pas stable, refusons-lui ce prêt »)…
de l’état : avoir un aéroport ou une usine chimique qui veut s’installer dans notre jardin, ça peut arriver à tout le monde. Tout le monde peut avoir un jour ou l’autre besoin de devenir ZADiste et de s’organiser contre le pouvoir en place, pas besoin d’habiter en Chine pour cela ;
…
Chacun de ces exemples appelle une réponse particulière et certaines réponses sont parfois contradictoires. Par exemple, GMail offre un bon niveau de protection des correspondances contre les attaques de gens de notre entourage, employeur, conjoint·e, etc. En revanche, il sera obligé de répondre aux demandes de la justice. Héberger ses courriels chez des potes peut-être une bonne idée si on participe à une ZAD. Par contre selon leurs compétences en informatique, la sécurité sera peut-être moindre. Et en cas d’embrouille avec elleux, iels pourraient accéder à nos informations.
Donner de fausses informations en ligne peut relativement nous protéger des tentatives d’influencer nos actes. Mais peut aussi nous nuire le jour où des décisions nous concernant seront prises en se basant sur ces informations.
Et pour protéger son intimité, il faut adopter quelques règles d’hygiène. Mais pour cela il faut d’abord définir son « modèle de menace », c’est à dire ce qui selon vous menace le plus votre intimité, afin de choisir des solutions qui répondent à vos besoins.
Hygiène pour vous… et pour les autres
L’hygiène n’est pas qu’une pratique égoïste. On ne se lave pas les mains juste pour éviter de tomber malade, mais aussi pour éviter de contaminer les autres. Il en va de même pour l’hygiène numérique. Même si vous ne vous sentez pas concerné·e, peut-être aurez-vous envie d’adopter certaines règles d’hygiène par respect ou affection pour vos proches qui se sentent concerné. Par exemple, si vous permettez à une application ou un site Web d’accéder à votre carnet d’adresse, vous divulguez sans leur consentement des données personnelles sur vos proches. Si un·e ami⋅e m’a référencé dans son répertoire téléphonique en tant que Clochix et un·e autre en tant que Papa-de-XXXX, un site accédant à ces deux répertoires pourra faire le lien entre mes différentes identités et anéantir les efforts que je fais pour me protéger.
Si vous mettez en ligne des photos de vos proches, vous perdez le contrôle sur ces photos et ne savez pas quels usages pourront en être faits demain.
Avoir de l’hygiène, c’est donc aussi protéger ses proches, ses collègues…
De l’hygiène individuelle à l’écologisme
Parmi les risques évoqués plus haut, certains nous concernent directement. D’autres affectent plus globalement la société dans son ensemble, par exemple lorsque nos informations sont utilisées à grande échelle pour influencer nos votes. Il est possible que les élections d’Obama et de Trump, entre autres, aient été influencées par des outils se basant sur la masse d’informations que nous laissons en ligne.
La surveillance de masse, qu’elle soit réelle ou supposée, nous pousse à l’auto-censure. Est-ce que si je cherche « Daesh » sur Internet, je ne vais pas devenir suspect ? Est-ce qu’une opinion exprimée aujourd’hui sur Twitter dans un certain contexte ne pourra pas être exhumée demain, dans un autre contexte, et me nuire ? Tout cela pousse à l’auto-censure et sclérose peu à peu le débat démocratique.
Un autre risque est ce que l’on appelle les bulles de filtres, même si leur existence fait débat. Une bulle de filtres, c’est lorsque tous les sites que nous consultons détectent les informations qui nous plaisent et ne nous affichent plus que celles-ci. Cela nous donne du monde une vision biaisée.
Ces enjeux dépassent donc largement nos situations individuelles.
Lorsqu’on parle d’hygiène, on pense d’abord à des mesures de protection individuelles, comme se laver les mains ou bloquer les cookies. Mais il ne faut pas oublier que l’hygiène est aussi un enjeu collectif : « l’hygiène est un enjeu de santé publique, l’accès à un environnement propre et sain étant une condition première du développement durable. » (Wikipédia). L’hygiène numérique ne peut donc se limiter à des actions reposant sur les individus, ça n’est pas seulement de notre responsabilité. Il faut aussi penser ces questions et prendre des mesures au niveau de la collectivité. Et, de manière plus globale, il faudrait réfléchir à la notion d’écologisme numérique. L’espace numérique fait partie intégrante de l’environnement dans lequel évolue l’espèce humaine, et comme tel doit être protégé.
Ok et à présent, qu’est-ce qu’on fait ?
Il n’y a pas d’outils magiques. Utiliser des outils sans avoir un minimum de compréhension du contexte technique, c’est se tirer pratiquement à coup sûr une balle dans le pied. Un faux sentiment de sécurité incite à l’imprudence. C’est comme croire qu’une fois la porte fermée on peut se promener à poil chez soi, parce qu’on ignore l’existence des fenêtres.
La meilleure des protections, c’est l’éducation. C’est acquérir une compréhension du fonctionnement des outils numériques. Connaître les techniques qui permettent de porter atteinte à notre intimité. Les techniques qui, à partir de nos informations intimes, permettent de nous influencer ou de décider de nos vies. Donc : éduquons-nous !
Il ne faut pas se le cacher, se protéger demande une vigilance de tous les instants, souvent épuisante. Il faut donc être convaincu·e de l’importance d’adopter une certaine discipline.
La seule information qui ne pourra pas être utilisée, c’est celle qui n’existe pas (et encore…). Il faut donc selon moi essayer de réduire au maximum son empreinte, les traces que l’on laisse. Le numérique permet de compiler une foule d’informations insignifiantes pour en extraire du sens. Avoir accès à un de vos tickets de caisse ne dit pas forcément grand-chose de vous. Avoir accès à tous vos tickets de caisse permet de connaître votre situation familiale (« tiens, iel achète des gâteaux pour enfants une semaine sur deux ») ou financière, vos convictions (« iel a arrêté d’acheter de la viande de porc et de l’alcool, signe de radicalisation… »). C’est donc une gymnastique quotidienne pour essayer de réduire au maximum ce que l’on dévoile : bloquer systématiquement tous les cookies sauf pour les sites sur lesquels c’est indispensable (et c’est là qu’on en vient à la nécessaire compréhension du fonctionnement), refuser si possible les cartes de fidélité, désactiver le Wifi et le Bluetooth sur son téléphone lorsqu’on ne les utilise pas… C’est une gymnastique contraignante.
Essayez aussi de compartimenter : si vous tenez un carnet Web sur un sujet polémique, essayez d’éviter qu’on puisse faire le lien avec notre état civil (sur le long terme, c’est très très difficile à tenir). A minima, avoir plusieurs profils / plusieurs adresses mail, etc, et ne pas les lier entre elles permet de réduire les risques. Quelqu’un qui vous ciblera pourra faire le lien, mais les programmes de collecte automatique de données ne chercheront pas forcément à recouper.
Compartimentez aussi vos outils : par exemple, utilisez deux navigateurs différents (ou un navigateur avec deux profils) : dans l’un, bloquez tout ce qui permet de vous pister et accédez aux sites qui n’ont pas besoin de savoir qui vous êtes. Utilisez l’autre, moins protégé, uniquement pour les sites nécessitant une connexion (webmail, réseaux sociaux, etc.).
Méfiez-vous comme de la peste des photos et des vidéos. De vous, de vos proches, de quiconque. Demain, en cherchant votre nom, il sera possible de vous identifier sur cette photo prise voilà 20 ans où vous montriez vos fesses. Avez-vous vraiment envie que vos enfants vous voient ainsi ? Demain, en cherchant le nom de votre enfant, ses camarades de classe pourront retrouver une vidéo de ellui à deux ans sur le pot. Hier vous trouviez cette photo adorable, aujourd’hui elle va lui valoir des torrents de moqueries.
Contre la malveillance, il faut naturellement utiliser des pratiques et outils qui relèvent davantage de la sécurité informatique : par exemple des mots de passe complexes, différents pour chaque service.
Pour aller plus loin, je vous encourage à vous renseigner sur le chiffrement : de vos communications, de vos données. Attention, le chiffrement est un sujet relativement complexe, ça n’est à utiliser qu’en ayant une idée précise de ce que vous faites.
Et, naturellement, portez en toutes circonstances un chandail à capuche noir et une cagoule, histoire de rester discret.
Et pour terminer, parce que nous ne sommes que des nains sur l’épaule de géants, une citation que je vous laisse méditer :
« la solution est forcément dans une articulation entre politique (parce que c’est un problème de société) et technique (parce que les outils actuels le permettent). Et il faut bien les deux volets, un seul, ça ne sert à rien. »
(Benjamin Bayart).
Changer le monde, un octet à la fois
Cette année, comme les précédentes, Framasoft fait appel à votre générosité afin de poursuivre ses actions.
Depuis 14 ans : promouvoir le logiciel libre et la culture libre
L’association Framasoft a 14 ans. Durant nos 10 premières années d’existence, nous avons créé l’annuaire francophone de référence des logiciels libres, ouvert une maison d’édition ne publiant que des ouvrages sous licences libres, répondu à d’innombrables questions autour du libre, participé à plusieurs centaines d’événements en France ou à l’étranger, promu le logiciel libre sur DVD puis clé USB, accompagné la compréhension de la culture libre, ou plutôt des cultures libres, au travers de ce blog, traduit plus de 1 000 articles ainsi que plusieurs ouvrages, des conférences, et bien d’autres choses encore !
Depuis 4 ans, décentraliser Internet
En 2014, l’association prenait un virage en tentant de sensibiliser non seulement à la question du libre, mais aussi à celle de la problématique de la centralisation d’Internet. En déconstruisant les types de dominations exercées par les GAFAM (dominations technique, économique, mais aussi politique et culturelle), nous avons pendant plusieurs années donné à voir en quoi l’hyperpuissance de ces acteurs mettait en place une forme de féodalité.
Et comme montrer du doigt n’a jamais mené très loin, il a bien fallu initier un chemin en prouvant que le logiciel libre était une réponse crédible pour s’émanciper des chaînes de Google, Facebook & co. En 3 ans, nous avons donc agencé plus de 30 services alternatifs, libres, éthiques, décentralisables et solidaires. Aujourd’hui, ces services accueillent 400 000 personnes chaque mois. Sans vous espionner. Sans revendre vos données. Sans publicité. Sans business plan de croissance perpétuelle.
Mais Framasoft, c’est une bande de potes, pas la #startupnation. Et nous ne souhaitions pas devenir le « Google du libre ». Nous avons donc en 2016 impulsé le collectif CHATONS, afin d’assurer la résilience de notre démarche, mais aussi afin de « laisser de l’espace » aux expérimentations, aux bricolages, à l’inventivité, à l’enthousiasme, aux avis divergents du nôtre. Aujourd’hui, une soixantaine de chatons vivent leurs vies, à leurs rythmes, en totale indépendance.
Il y a un an : penser au-delà du code libre
Il y a un an, nous poursuivions notre virage en faisant 3 constats :
L’open source se porte fort bien. Mais le logiciel libre (c-à-d. opensource + valeurs éthiques) lui, souffre d’un manque de contributions exogènes.
Dégoogliser ne suffit pas ! Le logiciel libre n’est pas une fin en soi, mais un moyen (nécessaire, mais pas suffisant) de transformation de la société.
Il existe un ensemble de structures et de personnes partageant nos valeurs, susceptibles d’avoir besoin d’outils pour faire advenir le type de monde dont nous rêvons. C’est avec elles qu’il nous faut travailler en priorité.
Face à ces constats, notre feuille de route Contributopia vise à proposer des solutions. Sur 3 ans (on aime bien les plans triennaux), Framasoft porte l’ambition de participer à infléchir la situation.
D’une part en mettant la lumière sur la faiblesse des contributions, et en tentant d’y apporter différentes réponses. Par exemple en abaissant la barrière à la contribution. Ou, autre exemple, en généralisant les pratiques d’ouvertures à des communautés non-dev.
D’autre part, en mettant en place des projets qui ne soient pas uniquement des alternatives à des services de GAFAM (aux moyens disproportionnés), mais bien des projets engagés, militants, qui seront des outils au service de celles et ceux qui veulent changer le monde. Nous sommes en effet convaincu·es qu’un monde où le logiciel libre serait omniprésent, mais où le réchauffement climatique, la casse sociale, l’effondrement, la précarité continueraient à nous entraîner dans leur spirale mortifère n’aurait aucun sens pour nous. Nous aimons le logiciel libre, mais nous aimons encore plus les êtres humains. Et nous voulons agir dans un monde où notre lutte pour le libre et les communs est en cohérence avec nos aspirations pour un monde plus juste et durable.
Aujourd’hui : publier Peertube et nouer des alliances
Aujourd’hui, l’association Framasoft n’est pas peu fière d’annoncer la publication de la version 1.0 de PeerTube, notre alternative libre et fédérée à YouTube. Si vous souhaitez en savoir plus sur PeerTube, ça tombe bien : nous venons de publier un article complet à ce sujet !
Ce n’est pas la première fois que Framasoft se retrouve en position d’éditeur de logiciel libre, mais c’est la première fois que nous publions un logiciel d’une telle ambition (et d’une telle complexité). Pour cela, nous avons fait le pari l’an passé d’embaucher à temps plein son développeur, afin d’accompagner PeerTube de sa version alpha (octobre 2017) à sa version bêta (mars 2018), puis à sa version 1.0 (octobre 2018).
Le crowdfunding effectué cet été comportait un palier qui nous engageait à poursuivre le contrat de Chocobozzz, le développeur de PeerTube, afin de vous assurer que le développement ne s’arrêterait pas à une version 1.0 forcément perfectible. Ce palier n’a malheureusement pas été atteint, ce qui projetait un flou sur l’avenir de PeerTube à la fin du contrat de Chocobozzz.
Nous avons cependant une excellente nouvelle à vous annoncer ! Bien que le palier du crowdfunding n’ait pas été atteint, l’association Framasoft a fait le choix d’embaucher définitivement Chocobozzz (en CDI) afin de pérenniser PeerTube et de lui donner le temps et les moyens de construire une communauté solide et autonome. Cela représente un investissement non négligeable pour notre association, mais nous croyons fermement non seulement dans le logiciel PeerTube, mais aussi et surtout dans les valeurs qu’il porte (liberté, décentralisation, fédération, émancipation, indépendance). Sans parler des compétences de Chocobozzz lui-même qui apporte son savoir-faire à l’équipe technique dans d’autres domaines.
Nous espérons que vos dons viendront confirmer que vous approuvez notre choix.
D’ici la fin de l’année, annoncer de nouveaux projets… et une campagne de don
Comme vous l’aurez noté (ou pas encore !), nous avons complètement modifié notre page d’accueil « framasoft.org ». D’une page portail plutôt institutionnelle, décrivant assez exhaustivement « Qu’est-ce que Framasoft ? », nous l’avons recentrée sur « Que fait Framasoft ? » mettant en lumière quelques éléments clefs. En effet, l’association porte plus d’une cinquantaine de projets en parallèle et présenter d’emblée la Framagalaxie nous semblait moins pertinent que de « donner à voir » des actions choisies, tout en laissant la possibilité de tirer le fil pour découvrir l’intégralité de nos actions.
Nous y rappelons brièvement que Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association de 35 membres et 8 salarié⋅es (bientôt 9 : il reste quelques jours pour candidater !). Que nous sommes à l’origine de la campagne « Dégooglisons Internet » (plus de 30 services en ligne)… Mais pas seulement ! Certain⋅es découvriront peut-être l’existence de notre maison d’édition Framabook, ou de notre projet historique Framalibre. Nous y mettons en avant LE projet phare de cette année 2018 : PeerTube. D’autres projets à court terme sont annoncés sur cette page (en mode teasing), s’intégrant dans notre feuille de route Contributopia.
Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association
Enfin, nous vous invitons à faire un don pour soutenir ces actions. Car c’est aussi l’occasion de rappeler que l’association ne vit quasiment que de vos dons ! Ce choix fort, volontaire et assumé, nous insuffle notre plus grande force : notre indépendance. Que cela soit dans le choix des projets, dans le calendrier de nos actions, dans la sélection de nos partenaires, dans nos prises de paroles et avis publics, nous sommes indépendant⋅es, libres, et non-soumis⋅es à certaines conventions que nous imposerait le système de subventions ou de copinage avec les ministères ou toute autre institution.
Ce sont des milliers de donatrices et donateurs qui valident nos actions par leur soutien financier. Ce qu’on a fait vous a plu ? Vous pensez que nous allons dans le bon sens ? Alors, si vous en avez l’envie et les moyens, nous vous invitons à faire un don. C’est par ce geste que nous serons en mesure de verser les salaires des salarié⋅es de l’association, de payer les serveurs qui hébergent vos services préférés ou de continuer à intervenir dans des lieux ou devant des publics qui ont peu de moyens financiers (nous intervenons plus volontiers en MJC que devant l’Assemblée Nationale, et c’est un choix assumé). Rappelons que nos comptes sont publics et validés par un commissaire aux comptes indépendant.
En 2019, proposer des outils pour la société de contribution
Fin 2018, nous vous parlerons du projet phare que nous souhaitons développer pendant l’année 2019, dont le nom de code est Mobilizon. Au départ pensé comme une simple alternative à Meetup.com (ou aux événements Facebook, si vous préférez), nous avons aujourd’hui la volonté d’emmener ce logiciel bien plus loin afin d’en faire un véritable outil de mobilisation destiné à celles et ceux qui voudraient se bouger pour changer le monde, et s’organiser à 2 ou à 100 000, sans passer par des systèmes certes efficaces, mais aussi lourds, centralisés, et peu respectueux de la vie privée (oui, on parle de Facebook, là).
Évidemment, ce logiciel sera libre, mais aussi fédéré (comme Mastodon ou PeerTube), afin d’éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central, et donc de faiblesse potentielle du système. Nous vous donnerons plus de nouvelles dans quelques semaines, restez à l’écoute !
Éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central
D’autres projets sont prévus pour 2019 :
la sortie du (apparemment très attendu) Framapétitions ;
la publication progressive du MOOC CHATONS (cours en ligne gratuit et ouvert à toutes et tous), en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement et bien d’autres. Ce MOOC, nous l’espérons, permettra à celles et ceux qui le souhaitent, de comprendre les problématiques de la concentration des acteurs sur Internet, et donc les enjeux de la décentralisation. Mais il donnera aussi de précieuses informations en termes d’organisation (création d’une association, modèle économique, gestion des usager⋅es, gestion communautaire, …) ainsi qu’en termes techniques (quelle infrastructure technique ? Comment la sécuriser ? Comment gérer les sauvegardes, etc.) ;
évidemment, bien d’autres projets en ligne (on ne va pas tout vous révéler maintenant, mais notre feuille de route donne déjà de bons indices)
Bref, on ne va pas chômer !
Dans les années à venir : se dédier à toujours plus d’éducation populaire, et des alliances
Nous avions coutume de présenter Framasoft comme « un réseau à géométrie variable ». Il est certain en tout cas que l’association est en perpétuelle mutation. Nous aimons le statut associatif (la loi de 1901 nous paraît l’une des plus belles au monde, rien que ça !), et nous avons fait le choix de rester en mode « association de potes » et de refuser — en tout cas jusqu’à nouvel ordre — une transformation en entreprise/SCOP/SCIC ou autre. Mais même si nous avons choisi de ne pas être des super-héro⋅ïnes et de garder l’association à une taille raisonnable (moins de 10 salarié⋅es), cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons pas faire plus !
Pour cela, de la même façon que nous proposons de mettre nos outils « au service de celles et ceux qui veulent changer le monde », nous sommes en train de créer des ponts avec de nombreuses structures qui n’ont pas de rapport direct avec le libre, mais avec lesquelles nous partageons un certain nombre de valeurs et d’objectifs.
Ainsi, même si leurs objets de militantisme ou leurs moyens d’actions ne sont pas les mêmes, nous aspirons à mettre les projets, ressources et compétences de Framasoft au service d’associations œuvrant dans des milieux aussi divers que ceux de : l’éducation à l’environnement, l’économie sociale et solidaire et écologique, la transition citoyenne, les discriminations et oppressions, la précarité, le journalisme citoyen, la défense des libertés fondamentales, etc. Bref, mettre nos compétences au service de celles et ceux qui luttent pour un monde plus juste et plus durable, afin qu’ils et elles puissent le faire avec des outils cohérents avec leurs valeurs et modulables selon leurs besoins.
Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.
Framasoft est une association d’éducation populaire (qui a soufflé « d’éducation politique » ?), et nous n’envisageons plus de promouvoir ou de faire du libre « dans le vide ». Il y a quelques années, nous évoquions l’impossibilité chronique et structurelle d’échanger de façon équilibrée avec les institutions publiques nationales. Cependant, en nous rapprochant de réseaux d’éducation populaire existants (certains ont plus de cent ans), nos positions libristes et commonistes ont été fort bien accueillies. À tel point qu’aujourd’hui nous avons de nombreux projets en cours avec ces réseaux, qui démultiplieront l’impact de nos actions, et qui permettront — nous l’espérons — que le milieu du logiciel libre ne reste pas réservé à une élite de personnes maîtrisant le code et sachant s’y retrouver dans la jungle des licences.
Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.
Nous avons besoin de vous !
Un des paris que nous faisons pour cette campagne est « d’informer sans sur-solliciter ». Et l’équilibre n’est pas forcément simple à trouver. Nous sommes en effet bien conscient⋅es qu’en ce moment, toutes les associations tendent la main et sollicitent votre générosité.
Nous ne souhaitons pas mettre en place de « dark patterns » que nous dénonçons par ailleurs. Nous pouvions jouer la carte de l’humour (si vous êtes détendu⋅es, vous êtes plus en capacité de faire des dons), celle de la gamification (si on met une jauge avec un objectif de dons, vous êtes plus enclin⋅es à participer), celle du chantage affectif (« Donnez, sinon… »), etc.
Le pari que nous prenons, que vous connaissiez Framasoft ou non, c’est qu’en prenant le temps de vous expliquer qui nous sommes, ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire, et là où nous voulons vous emmener, nous parlerons à votre entendement et non à vos pulsions. Vous pourrez ainsi choisir de façon éclairée si nos actions méritent d’être soutenues.
« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » — Antoine de Saint-Exupéry
Nous espérons, à la lecture de cet article, vous avoir donné le désir de co-construire avec nous le Framasoft de demain, et que vous embarquerez avec nous.
Three years later, more than thirty alternative services to Google, Facebook, and others were available and released to the public. Based on free/libre software only, without advertising, respectful of privacy, maintained by a non-profit association and totally independent.
However, in the « missing » services, one important actor remained: YouTube. Because how one can produce or make available a YouTube alternative without, tomorrow, collapsing in the face of problems? Explosion of online storage space (which costs a fortune), explosion of bandwidth costs (which costs two fortunes!), moderation problems, etc.
A solution had to be found.
The origins of PeerTube
In October 2017, Framasoft has hired the PeerTube developer for a few months on a full-time basis. PeerTube was then only a personal project of a free/libre and federated video distribution platform, in alpha version. The promise was a beta version, usable by the most courageous, for March 2018. The particularity of PeerTube is that the software allows to connect several « instances » of PeerTube between them (thus forming a « federation »), allowing them to exchange information without the user having to change between websites.
By March 2018, the beta version was ready. The association (which lives only on donations) then took the financial risk of extending the developer’s contract, in order to be able to launch a version 1.0 in October 2018. Since Framasoft could not finance this development on its own, a crowdfunding was launched in May 2018 with different levels. 45 days later, the association had collected 53 100€ through 1 381 donations.
In October 2018, the Framasoft non-profit is proud to announce the release of version 1.0 of PeerTube!
Video introducing to PeerTube. For a video with English subtitles, click here.
Realisation : Association LILA (CC by-sa)
But then, what does this 1.0 version offer?
First of all, and to avoid misunderstandings, let us remind you that PeerTube is not a single centralized platform (as YouTube, Dailymotion or Vimeo can be), but a software that brings together many PeerTube instances (i.e. different installations of the PeerTube software, thematic or community based) within what is called a federation. You must therefore look for the PeerTube instance that suits you best to view or upload your videos or, failing that, set up your own PeerTube instance, on which you will have full rights.
PeerTube is not a single centralized platform, but a software
Basic functionalities
Peertube allows you to watch videos with WebTorrent, to prevent the saturation of the broadcast servers. If several people are watching the same video at the same time, they download small pieces of the video from your server, but also from the devices of other people who are watching the same video in the same time!
Federation between PeerTube instances. If the PeerTube instance A subscribes to the PeerTube instances B and C, from a search on A, you can find and watch videos of B and C, without leaving A.
The software has fairly detailed settings that allow the governance to be adjusted: each instance can be organized as it wishes. Thus, the instance administrator can define:
a disk space quota for each videographer;
the number of accepted accounts;
the role of users (administration, moderation, use, video upload).
PeerTube can run on a small server. For example, you can install it on a VPS-like hardware with two cores and 2GB of RAM. The storage space required obviously depends on the number of videos you want to host personally.
PeerTube has a stable and robust code, tested and proven on many systems, which makes it powerful. For example, a PeerTube page often loads much faster than a YouTube page.
Your videos can be automatically converted into different definitions (e. g. 240p, 720p or 1080p. or even 4K) to suit the speed and equipment of the visitors. This step is called transcoding.
A « Theater » mode as well as a « night » mode are available for better viewing comfort.
PeerTube does not spy on you or lock you up: indeed, the application does not collect personal information for commercial purposes, and above all PeerTube does not lock you in a « filter bubble ». In addition, it does not use a biased recommendation algorithm to keep you online indefinitely. It may be a detail (or a weakness) for you, but for us it is a strength that means a lot!
There isn’t – yet – any dedicated smartphone application. However, the web version of PeerTube works just as fast on smartphones and adapts perfectly to your device.
Visitors can comment on the videos. This feature can be disabled either by the instance administrators on any video or locally by the person who uploads the videos.
Since PeerTube uses the W3C standard ActivityPub exchange protocol, it is possible to interact with other software using the same protocol. For example, the PeerTube video platform can interact with the Mastodon social network, an alternative to Twitter. Thus, it is possible to « track » a PeerTube user from Mastodon, or even comment on a video directly from your Mastodon account.
PeerTube demo with Mastodon
A dedicated button allows you to support the author of a video. In this way, videographers can pick the financing method that suits them.
We may not have insisted on this point, but PeerTube is of course free/libre software🙂 This means that its source code (its recipe) is available and open to everyone. This means you can contribute to the code or, if you think the software is not going in the right direction, copy it and make the changes that suit your needs.
Functionalities financed through crowdfunding
Subtitling: possibility to add multiple language files (in.srt format) to provide subtitles for videos.
Instance redundancy: it is possible to « help » a designated instance by activating the redundancy of all or part of its videos (which will then be duplicated on your instance). Thus, if the linked instance is overloaded because too many people are watching the videos it hosts, your instance can support it by making its bandwidth available.
Import from other video platforms by simply copying and pasting: YouTube, Vimeo, Dailymotion, etc. On some platforms, the retrieval of the title, description or keywords is even automatic. It is of course also possible to import videos by direct link or from another PeerTube instance. Finally, PeerTube also allows import from .torrent files.
Importing a video in PeerTube
Several RSS feeds are available to you according to your needs: one for videos globally, another for those of a channel and one for comments on a video.
Peertube has become international and now speaks 13 languages including Chinese. Translations into other languages are in progress.
The search feature is more relevant. It takes into account certain typographical errors and provides filters.
Upcoming features
We have excellent news: although the third level of our crowdfunding wasn’t reached, Framasoft has decided to hire the PeerTube developer on a permanent contract in order to ensure the sustainability of the software development. Other functionalities are therefore planned for 2019.
A plugin system to customize Peertube. This is an essential development, as it will allow everyone to develop their own plugins to adapt PeerTube to their needs. For example, it will become possible to propose recommendation plugins with specific algorithms or completely different graphic themes.
We will probably develop a mobile application (or some motivated contributors will)
It will quickly be possible to improve the video import tool, so that you can « synchronize » your YouTube channel with your PeerTube channel (PeerTube will be able to check if new videos have been added and will automatically add them to your PeerTube account, including title and descriptions). In fact, this feature is already available for those who host their PeerTube instance and master the command line.
Statistics by instance or by account may be made available.
The improvement of moderation tools for big instances
To go further
It’s up to you! PeerTube belongs to you, take advantage of its possibilities. Submit quality videos (preferably under a free license, or for which you have the broadcasting rights or an explicit agreement) to one of the existing instances. Let your contacts and subscribed YouTubers know about PeerTube. And if you can, install your own instance to further expand the federated network!
PeerTube 1.0 : la plateforme de vidéos libre et fédérée
Ce qui nous fait du bien, chez Framasoft, c’est quand nous arrivons à tenir nos engagements. On a beau faire les marioles, se dire qu’on est dans l’associatif, que la pression n’est pas la même, tu parles !
[Short version of this article in English available here]
Après le financement participatif réussi du mois de juin 2018, nous avions fait la promesse de sortir la version 1 de Peertube en octobre 2018. Et alors, où en sommes-nous ? Le suspense est insoutenable.
Nous étions confiants. Le salaire du développeur principal, Chocobozzz, était assuré jusqu’à la fin de l’année, nous avions déjà recensé des contributions de qualité, nous avions fait un peu de bruit dans la presse… Cependant, nous avions aussi pris un engagement ferme vis-à-vis de nos donateur·ices, ainsi qu’auprès d’un large public international qui ne nous connaissait pas aussi bien que nos soutiens francophones habituels.
Ne vous faisons pas languir plus longtemps, cette version 1.0, elle est là, elle sort à l’heure dite et elle tient ses promesses, elle aussi. C’est l’occasion de dérouler pour vous un récapitulatif des épisodes précédents, ce qui vous évitera de farfouiller dans le blog pour retrouver vos petits. On sait que c’est pénible, on l’a fait. 🙂
C’est quoi, PeerTube ? Une révolte ? Non, Sire, une révolution
[Vidéo de présentation de PeerTube, en anglais, avec les sous-titres français, sur Framatube. Pour la vidéo avec les sous-titres en anglais, cliquez ici. Réalisation : Association LILA (CC by-sa)]
« Dégooglisons Internet ! » avons-nous crié partout pendant trois ans, sur l’air de « Delenda Carthago ! »
Ça, c’était une révolte. Un cri du cœur. Déjà un défi fou : proposer une alternative aux services des géants du web, les GAFAM et leurs petits copains (Twitter, par exemple). Un par un, les services étaient sortis, à un rythme insensé. Ils sont toujours là. Il faut les maintenir. Heureusement, les (désormais 60) CHATONS permettent de répartir un peu la charge. L’offre de mail mise de côté, il restait un gros morceau : proposer une alternative crédible au géant Youtube, rien que ça ! Pas facile de briser l’hégémonie des plateformes de diffusion vidéo !
Les fichiers vidéo sont lourds, c’est le principal inconvénient. Donc il faut de gros serveurs, beaucoup de bande passante, ce qui représente un coût astronomique, sans parler de l’administration technique de tout ça.
Non seulement impensable au regard de nos moyens, mais surtout complètement à l’opposé des principes du Libre : indépendance, décentralisation, partage. Pour répondre au défi financier, Youtube et ses clones utilisent toutes les ressources du capitalisme de surveillance : en captant l’attention des internautes dans des boucles sans fin, en profilant leurs goûts, en les assaillant de publicité, en leur proposant des recommandations parfois toxiques…
C’est là que nous avons pris connaissance du logiciel (libre !) d’un jeune homme sympathique caché derrière le pseudo Chocobozzz, qui travaillait dans son coin à proposer une manière innovante de diffuser et visionner de la vidéo sur Internet.
Quand vous visionnez une vidéo, votre ordinateur participe à sa diffusion
PeerTube utilise les ressources du Web (WebRTC et BitTorrent, des technologies permettant le partage de diffusion, qui est un concept fondamental d’Internet) pour alléger la charge des sites qui hébergent du contenu. Avec un principe on ne peut plus simple : quand vous visionnez une vidéo, votre ordinateur participe à sa diffusion. Si beaucoup de personnes regardent la même vidéo, au lieu de tirer sur les ressources du serveur, on demande un petit effort à chaque machine et à chaque connexion. Les flux se répartissent, le réseau est optimisé. L’Internet comme il doit être. Comme il aurait dû le rester !
Pas besoin d’héberger tous les contenus que vous souhaitez diffuser : il suffit de se fédérer avec des instances amies qui proposent ces contenus pour les référencer sur sa propre instance. Sans dupliquer les fichiers. Et ça marche ! Quand les copains de Datagueule ont mis en ligne leur documentaire Démocratie, le logiciel a encaissé les milliers de visionnages sans broncher. Nous vous avons alors soumis l’idée d’embaucher Chocobozzz pour lui permettre de travailler sereinement à son projet, avec pour objectif de produire une version bêta du logiciel en mars 2018. Grâce à vos dons et à votre confiance, nous avons franchi cette première étape.
Nous avons entre-temps peaufiné notre nouvelle feuille de route Contributopia, dans laquelle PeerTube s’inscrivait parfaitement. Avec la recommandation du protocole ActivityPub par le W3C, qui renforçait le principe de fédération déjà initié par des logiciels sociaux (comme Mastodon), PeerTube est même devenu une brique majeure de Contributopia. Heureusement, la fédération, c’est facile à expliquer, parce que tout le monde l’utilise déjà : on a tou⋅tes des adresses mails, fournies par des tas de serveurs différents, et pourtant on arrive à s’écrire ! Avec PeerTube, lorsque plusieurs instances sont fédérées, il est possible de faire des recherches sur toutes ces instances, sans quitter celle sur laquelle vous êtes, ou de commenter des vidéos d’une instance distante sans avoir besoin de vous créer un compte dessus.
L’étape suivante allait de soi : continuer. La communication autour de PeerTube, via nos réseaux habituels, nous avait déjà permis d’attirer les contributions, des vidéastes avaient manifesté leur intérêt, les forums bruissaient de questions.
C’est pourquoi, rompant avec nos usages habituels, bousculant notre tempo, nous avons décidé de pousser les feux en prenant définitivement le rôle d’éditeur du logiciel de Chocobozzz, avec son accord, évidemment. Et surtout en soumettant une demande de financement participatif à l’international, en anglais, pour pérenniser son embauche, sans forcément vous solliciter à nouveau directement (mais on sait qu’une partie d’entre vous a tenu à participer quand même, et ça fait chaud au cœur, vraiment).
Cette fois encore, ce fut un joli succès, alors que franchement on n’en menait pas large, et voilà ce qui nous amène à cette version 1.0.
Mais alors, elle embarque quoi, cette version 1.0 ?
Avant tout, et pour éviter les mécompréhensions, rappelons que PeerTube n’est pas une seule plateforme centralisée (comme peuvent l’être YouTube, Dailymotion ou Viméo), mais un logiciel permettant de rassembler de nombreuses instances PeerTube (c’est-à-dire différentes installations du logiciel PeerTube, thématiques ou communautaires) au sein de ce que l’on appelle une fédération. Il vous faut donc chercher l’instance PeerTube qui vous convient pour visionner ou mettre en ligne vos vidéos ou, à défaut, mettre en place votre propre instance PeerTube, sur lequel vous aurez tous les droits.
PeerTube n’est pas une seule plateforme centralisée, mais un logiciel
Fonctionnalités de base
Peertube permet de regarder des vidéos avec WebTorrent, pour ne pas saturer les serveurs de diffusion. Si plusieurs personnes regardent la même vidéo, elles téléchargent de petits morceaux de la vidéo depuis votre serveur, mais aussi depuis les machines des autres personnes qui regardent la même vidéo !
Fédération entre instances PeerTube. Si l’instance PeerTube A s’abonne aux instances PeerTube B et C, depuis une recherche sur A, on peut trouver et visionner les vidéos de B et C, sans quitter A.
Le logiciel dispose de réglages assez fins qui permettent d’ajuster la gouvernance : chaque instance s’organise comme elle le souhaite. Ainsi, l’administrateur·ice de l’instance peut définir :
un quota d’espace disque pour chaque vidéaste ;
le nombre de comptes acceptés ;
le rôle des utilisateur·ices (administration, modération, utilisation, upload de vidéos).
PeerTube peut fonctionner sur un petit serveur. Vous pouvez par exemple l’installer sur un matériel type VPS ayant deux cœurs et 2Go de RAM. L’espace de stockage requis dépend évidemment du nombre de vidéos que vous souhaitez héberger personnellement.
PeerTube dispose d’un code stable et robuste, testé et éprouvé sur de nombreux systèmes, ce qui le rend performant. Ainsi, une page PeerTube se charge souvent bien plus vite qu’une page YouTube.
Vos vidéos peuvent être automatiquement converties dans différentes définitions (par exemple 240p, 720p ou 1080p. voire le 4K) pour s’adapter au débit et matériel des visiteur·euses. Cette étape s’appelle le transcodage.
Un mode «Théâtre» ainsi qu’un mode «nuit» sont disponibles pour un meilleur confort de visionnage.
PeerTube ne vous espionne pas et ne vous enferme pas : en effet, l’application ne collecte pas d’informations personnelles à des fins d’exploitation commerciale, et surtout PeerTube ne vous enferme pas dans une « bulle de filtre ». Par ailleurs, il n’utilise pas d’algorithme de recommandation biaisé pour vous faire rester indéfiniment en ligne. C’est peut-être un détail (ou une faiblesse) pour vous, mais pour nous c’est une force qui veut dire beaucoup !
Il n’existe pas – encore – d’application smartphone dédiée. Cependant, la version web de PeerTube fonctionne rapidement sur smartphone et s’adapte parfaitement à votre appareil.
Les visiteur⋅euses peuvent commenter les vidéos. Cette fonctionnalité peut être désactivée soit par l’administrateur·ice de l’instance sur n’importe quelle vidéo, soit localement par la personne qui met en ligne les vidéos.
PeerTube utilisant le protocole d’échanges ActivityPub, il est possible d’interagir avec d’autres logiciels utilisant ce même protocole. Par exemple, la plateforme de vidéo PeerTube peut interagir avec le réseau social Mastodon, alternative à Twitter. Ainsi, il est possible de « suivre » un utilisateur PeerTube depuis Mastodon, ou même de commenter une vidéo directement depuis votre compte Mastodon.
Un bouton permet d’apporter votre soutien à l’auteur d’une vidéo. Ainsi, les vidéastes peuvent mettre en place le mode de financement qui leur convient.
Nous n’avons peut-être pas insisté sur ce point, mais PeerTube est bien évidemment un logiciel libre 🙂 Cela signifie que son code source (sa recette de cuisine) est disponible et ouverte à tou⋅tes. Ainsi, vous pouvez contribuer au code ou, si vous pensez que le logiciel ne va pas dans la bonne direction, le copier et y apporter les modifications qui correspondent à vos besoins.
Fonctionnalités financées par le crowdfunding
Le sous-titrage : possibilité d’ajouter de multiples fichiers de langue (au format .srt) pour proposer les sous-titrages des vidéos.
La redondance d’instance : il est possible « d’aider » une instance désignée en activant la redondance de tout ou partie de ses vidéos (qui seront alors dupliquées sur votre instance). Ainsi, si l’instance liée est surchargée parce que trop de monde regarde les vidéos qu’elle héberge, votre instance pourra la soutenir en mettant sa bande passante à disposition.
L’import depuis d’autres plateformes vidéo par simple copier-coller : YouTube, Viméo, Dailymotion, etc. Depuis certaines plateformes, la récupération du titre, de la description ou des mots clés est même automatique. Il est bien entendu possible d’importer aussi des vidéos par lien direct ou depuis une autre instance PeerTube. Enfin, PeerTube permet aussi l’import depuis les fichiers .torrent.
Plusieurs flux RSS s’offrent à vous selon vos besoins : un pour les vidéos de manière globale, un autre pour celles d’une chaîne et un dernier pour les commentaires d’une vidéo.
Peertube s’est internationalisé et parle maintenant 13 langues dont le chinois. Des traductions vers d’autres langues sont en cours.
La recherche est plus pertinente. Elle prend en compte certaines fautes de frappe et propose l’utilisation de filtres.
Fonctionnalités à venir
Nous avons une excellente nouvelle : bien que le troisième palier du crowdfunding n’ait pas été atteint, Framasoft a décidé d’embaucher Chocobozzz en CDI afin de pérenniser le développement de Peertube. D’autres fonctionnalités sont donc prévues au cours de l’année 2019.
Un système de plugins pour personnaliser Peertube. Il s’agit là d’un développement essentiel, car il permettra à chacun⋅e de développer ses propres plugins pour adapter PeerTube à ses besoins. Par exemple il deviendra possible de proposer des plugins de recommandations avec des algorithmes spécifiques ou des thèmes graphiques complètement différents.
Nous développerons éventuellement une application mobile (ou bien des contributeur⋅ices motivé⋅e⋅s le feront)
Il sera rapidement possible d’améliorerl’outil d’importation de vidéos, de façon à pouvoir «synchroniser» votre chaîne YouTube avec votre chaîne PeerTube (PeerTube sera en capacité de vérifier si de nouvelles vidéos ont été ajoutées et pourra automatiquement les ajouter à votre compte PeerTube, titre et descriptions compris). Dans les faits, cette fonctionnalité fonctionne déjà pour celles et ceux qui hébergent leur instance PeerTube et maîtrisent la ligne de commande.
Des statistiques par instance ou par compte pourront être mises à disposition.
L’amélioration des outils de modération.
[Exemple de la fonction d’import de vidéo]
PeerTube répare Internet
La campagne « Dégooglisons Internet » était un cri, une réaction, un rejet. Rejet des GAFAM et de leur vision centralisatrice, fermée, toute tournée vers le fric et le contrôle. Lutter contre les GAFAM, c’est mener un combat disproportionné. Mais la prise de conscience est faite. Nous n’avons plus besoin de rabâcher notre couplet sur leur façon de nier nos libertés, de s’approprier nos données personnelles, de prendre le pouvoir dans nos vies. Et puis il faut dire qu’à force de scandales, ils nous ont bien aidés à accélérer dans l’opinion publique cette prise de conscience. Nous revendiquons fièrement notre participation à cette évolution des esprits, au milieu d’autres acteurs tout aussi importants (LQDN, la CNIL, l’APRIL, etc.). Il est temps maintenant de passer à autre chose.
Chez Framasoft, incorrigibles bavards que nous sommes, nous avons produit beaucoup d’écrits, et nous avons finalement, proportionnellement, assez peu de contenus vidéos à proposer, alors que c’est un média qui est devenu à la fois plus facile à élaborer et plus demandé par le public. Ce virage vers la vidéo nous a été confisqué par les plateformes centralisatrices, Youtube en tête. Elles ont installé un standard, une norme, avec des pratiques révoltantes comme la censure aveugle et l’appropriation des contenus.
Le principe de fédération impulsé par le protocole ActivityPub et les logiciels qui l’utilisent (Peertube, Mastodon, Funkwhale, PixelFed, Plume… la liste s’allonge chaque mois) est en train, ni plus ni moins, de corriger le tir, de (re)construire le futur d’Internet. Celui que nous appelons de nos vœux.
Oui, cette fois, c’est une révolution. Avec Contributopia, nous annonçons une étape de construction, basée sur le partage, les communs, l’éducation populaire.
Nous avons aussi pris conscience, en avançant, que nous ne pouvions plus nier la dimension politique de cette vision. Alors quand on dit «politique», on convoque l’étymologie du mot, hein. C’est pas demain qu’on verra Pyg, notre délégué général, à l’Assemblée Nationale. Il n’empêche ! La culture du libre, ça va bien au-delà de l’hébergement d’agendas ou de l’ouverture d’un pad pour rédiger le présent article à plusieurs.
Nous travaillons, dans le cadre qui est le nôtre, à fournir des outils numériques aux utopistes qui, comme nous, pensent qu’il y a encore moyen de sauver les meubles. On se disait que ce n’était pas super vendeur, mais nous avons pu voir, lors de nos fréquentes interventions à droite et à gauche, que la démarche rencontrait de l’écho. Nous avons encore quelques jolies cartes à jouer pour la suite (même si pour certaines on ne sait pas encore comment ça se passera ^^), comme toujours dans la bonne humeur et le houblon doré.
Nous espérons que vous nous suivrez, encore, dans cette voie.
Longue vie à PeerTube.
L’équipe de Framasoft.
Pour aller plus loin
À vous de jouer ! PeerTube vous appartient, emparez-vous de ses possibilités. Déposez des vidéos de qualité (de préférence sous licence libre, ou pour laquelle vous avez les droits de diffusion ou un accord explicite) sur l’une des instances déjà existantes. Faites connaître PeerTube à vos contacts et aux YouTubeur⋅euses auxquels vous êtes abonné⋅e. Et si vous le pouvez, installez votre propre instance pour agrandir encore le réseau fédéré !
Et si on tenait compte des utilisateur·ices dans les projets libres ?
Eh oui, chez Framasoft, on n’a pas peur d’utiliser des titres (légèrement) provocateurs — certain·e⋅s diraient même pièges à clic — quand on a envie de vous parler de sujets que l’on juge vraiment importants.
Et aujourd’hui c’est… l’UX Design dans les projets libres !
« UX-kwa ? Un logiciel libre, c’est créer du code qui fonctionne sans bugs, lui mettre une licence libre et c’est bon, non ? »
Alors, oui, mais pas que. Du coup on va faire le point avec vous sur ce qu’est l’UX Design et pourquoi c’est important (surtout pour le libre).
Et pour ça, on va vous raconter une première expérimentation réalisée lors du Framacamp !
Framacamp : la colonie de vacances de Framasoft ?
Il y a deux évènements annuels très très importants pour Framasoft :
l’Assemblée Générale de l’association (AG), où on va faire les bilans moraux et financiers, ainsi que définir les actions et les campagnes à venir,
et le Framacamp !
Le Framacamp, c’est l’occasion pour les salarié·es et les membres de l’asso de se réunir de manière conviviale pour se rencontrer, tisser des liens, boire des coups, délirer et surtout débattre, faire avancer les projets et expérimenter.
Au cours du Framacamp, Maïtané a proposé un atelier « Méthodes UX » pour présenter 4 méthodes utilisées par les UX designers et les faire tester aux développeur·ses sur place.
Alors déjà, c’est quoi l’UX Design ? UX Design, ça veut dire User Experience Design en anglais, ce qui revient à Design de l’Expérience Utilisateur·ice en français. C’est une discipline qui a pour objectif de prendre en compte les besoins, les attentes et les usages des utilisateur·ices visé·es pour proposer un service ou outil qui leur convient le plus possible et leur proposer une expérience positive. C’est donc très loin de « juste » réaliser des maquettes graphiques !
Pourquoi parler d’UX avec des devs ? Parce que tout le monde est convaincu chez Framasoft que le logiciel libre c’est bien, mais s’il est utilisé par un maximum de personnes c’est quand même mieux. Et il n’y a pas moyen de demander aux utilisateur·ices d’utiliser des logiciels qui ne sont pas correctement conçus, ou qui ne prennent pas en compte leurs besoins.
C’est un peu ça. L’UX, c’est créer des logiciels :
utiles (car ils apportent de la valeur aux utilisateur·ices) ;
utilisables (car ils peuvent être utilisés sans provoquer (trop) de frustration) ;
et utilisés (car du coup les utilisateur·ices ont envie de… les utiliser !).
Du coup, pour comprendre ce qui se passe dans la tête des utilisateur·ices, les UX designers ont tout un panel de méthodes et de techniques. Au cours de cet atelier « Méthodes UX », nous en avons testé quatre :
Les méthodes de cet atelier ont notamment été choisies en s’inspirant de l’atelier qu’ils ont donné ensemble à ParisWeb 2015.
Il s’agit de méthodes plutôt simples à comprendre et complémentaires pour prendre le pouls de son projet du point de vue de l’expérience utilisateur.
Note anti-troll : les participant·es étaient quasi exclusivement des membres de Framasoft, donc pas vraiment représentatif·ves du public réel des outils testés, nous en sommes bien conscient·es. En temps normal, on aurait dû composer un panel réaliste de participant·es mais on n’avait pas d’autres cobayes sous la main !
Le test des 5 secondes
Pour tester quoi ?
La première impression qu’ont les utilisateur·ices en voyant une interface.
Comment on fait ?
On montre un écran d’une interface (logiciel, application mobile, site web, …) pendant 5 secondes, puis on pose quatre questions, qui permettent de connaître les a prioris des utilisateur·ices lorsqu’ils découvrent l’interface, et ce qu’ils en retiennent. Pratique si vous voulez savoir si votre interface est compréhensible au premier abord.
Cas pratique
Maïtané nous a fait essayer cette méthode sur une maquette d’interface de création de pads collaboratifs.
Nous avons donc eu 5 secondes de visualisation de la page avant de pouvoir répondre aux questions.
Et là… révélation ! Sur la troisième question (définir les objectifs du système), on s’est aperçu qu’une des fonctionnalités n’était pas claire pour tout le monde.
Et donc, en à peu près 3 minutes de test, sur un groupe d’à peine 10 personnes, nous avions déjà relevé un problème d’ergonomie suscitant de l’incompréhension chez plusieurs d’entre nous, malgré l’interface très simplifiée. Pas mal pour un début !
Et si vous avez plusieurs prototypes, cette méthode peut permettre de soumettre chacun à un groupe différent pour comparer les résultats :
Les trois visuels ont été réalisés par Kristof Dreano, graphiste des Colibris, et sont disponibles sous licence Creative Commons BY SA.
L’AttrakDiff
Pour tester quoi ?
Pour analyser quantitativement l’expérience utilisateur, suivant ses qualités pragmatiques (j’ai l’impression que le produit me permet de réaliser ma tâche facilement) et hédoniques (j’ai envie de l’utiliser, ça me fait plaisir de l’utiliser)
Comment on fait ?
L’AttrakDiff est un questionnaire standardisé, il y a donc « juste » à récupérer la grille de questions, la grille d’analyse et hop ça fait des Chocapics !
Pour l’atelier lors du Framacamp, on a pris le cas de Framadate avec une grille de questions plus réduite que celle normalement utilisée. Après un rapide dépouillement des résultats, on découvre sans trop de surprise que Framadate est un outil très « orienté tâche », c’est à dire fonctionnel et pragmatique mais qu’il lui manque un aspect attractif et procurant une expérience plus positive. Une tendance courante du libre ?
Les courbes d’évaluation de l’expérience utilisateur·ice
Pour tester quoi ?
Les courbes vont représenter, au cours du temps, les ressentis des utilisateur·ices sur différents points (que se soit l’expérience utilisateur·ice générale, son attractivité, sa facilité d’usage, …), ce qui permet d’avoir une vision sur la durée des différentes améliorations et détériorations !
Comment on fait ?
On demande à l’utilisateur·ice de tracer une courbe, en mettant en abscisse sa relation envers le produit (de « très positive » à « très négative ») et en ordonnée le temps. Dans l’idéal, elle place à certains endroits les événements marquants de son expérience, pour que l’on sache à quoi est dû un changement de direction de la courbe.
Cas pratique
Vous pouvez le faire chez vous, là, tout de suite ! Un papier, un crayon, et vous pouvez noter l’évolution dans le temps de votre rapport à Twitter par exemple ! Ce qui est assez marrant à voir, c’est la dégringolade de l’adhésion à Twitter lorsque Mastodon est apparu, mais vu le public testé ce n’était pas très étonnant. 😉
Le meilleur pour la fin : les tests utilisateur·ices !
Pour tester quoi ?
Ben, ce que tu veux, en fait !
Comment on fait ?
On demande à l’utilisateur·ice de réaliser une « mission » qui est cohérente avec sa potentielle utilisation du logiciel. L’idéal c’est de le-la laisser assez libre, pour observer de quelle façon iel va remplir sa mission (on peut être surpris !). Ensuite, on lui demande de bien vocaliser ce qu’iel fait, pour qu’on puisse suivre son schéma de pensée.
Du côté des développeurs·euses, il est très important de ne pas intervenir au cours du test. Même si ça vous démange — « mais le bouton est juste là ! » — et qu’on a très très envie de le montrer à l’utilisateur·ice. Le mieux à faire c’est de prendre des notes sur papier et de débriefer à la fin du test, une fois la mission remplie (ou son échec constaté).
Cas pratique
C’est le moment de laisser les développeurs en parler 😉
Salut à tous ! Pour commencer, vous pourriez vous présenter rapidement ainsi que vos projets ?
Florian : Salut ! Ici Florian aka mrflos, développeur web du mouvement Colibris, une association d’éducation populaire qui inspire, relie et soutient des personnes qui se mobilisent pour la construction d’une société plus écologique et plus humaine. Afin d’outiller nos membres avec des logiciels et services libres en adéquation avec nos valeurs, nous avons rejoint le collectif des CHATONS et nous proposons la plateforme https://colibris-outilslibres.org à toutes et tous.
Je suis par ailleurs co-auteur et principal mainteneur de https://yeswiki.net , un wiki ouvert et simple, avec des possibilités de base de données avec des restitutions variées (trombinoscope, cartes, agenda…)
Thomas : Salut ! Je suis Thomas alias tcit, développeur web au sein de Framasoft, une association promouvant les logiciels libres et plus largement l’univers libre. Nous avons dernièrement lancé une campagne Contributopia qui vise notamment à concevoir autrement des outils numériques. En dehors d’être responsable d’une bonne partie des outils Framasoft, dont certains ont été créés ou largement améliorés, j’ai aussi été mainteneur des logiciels wallabag (un service de lecture différée) et Nextcloud (une alternative à Dropbox et Google Drive).
Benjamin : Hello ! Ici Benjamin (ou encore bnjbvr), ingénieur logiciel chez Mozilla sur la machine virtuelle JavaScript / WebAssembly qui tourne dans le célèbre Firefox. Sur mon temps libre, je suis un peu membre de Framasoft où j’essaie d’organiser des ateliers de contribution au logiciel libre ouverts à tou.te.s, au sens large, en essayant d’attirer des personnes qui n’y connaissent pas grand chose. Je développe également Kresus, une application web de gestion de finances personnelles libre et auto-hébergeable, pour pouvoir comprendre comment notre argent est dépensé, comme une alternative aux apps Bankin ou Linxo.
Marien : Salut, pour ma part je suis Marien (alias, hum… Marien), ingénieur dans une boite qui s’appelle Sogilis et où je fais beaucoup de choses, mais notamment du développement d’applications web sur mesure. Je suis aussi membre de Framasoft : j’y maintiens Framaboard et je passe un peu de temps à consigner tout ce qu’il se passe au sein de l’asso dans notre wiki. Je réfléchis aussi à comment décloisonner les développeurs du Libre des sujets techniques (cet atelier tombait donc à pic !). Enfin, je développe Lessy, un logiciel de gestion de temps et j’ai été le développeur principal de FreshRSS, un agrégateur d’actualités, qui est depuis passé dans les mains d’une communauté active.
Luc : もしもし! (oui, Luc se met au Japonais, il a sûrement écrit un truc très chouette mais on n’a rien pané — NDLR)
Moi c’est Luc, alias (frama)sky, adminSys de Framasoft, et développeur aussi. J’ai notamment écrit Lstu, Lutim, Lufi et Dolomon, qui sont utilisés chez Framasoft sous les noms Framalink, Framapic, Framadrop et Framaclic.
L’UX, ça te parlait avant l’atelier ? C’était quoi pour toi ?
Florian : Comme je ne suis pas un très bon développeur, je compense en essayant de piocher dans les gros sites, des idées d’interfaces efficaces. Je me suis vite rendu compte que cela allait au delà de l’interface, et que c’était la convivialité de l’outil et l’expérience dans sa globalité qui faisait qu’on l’adoptait.
Pour moi, l’expérience utilisateur est primordiale, car si le but est d’amener nos utilisateurs à contribuer, il faut leur faciliter la tâche, et la moindre expérience négative peut facilement démotiver. D’ailleurs assez souvent les utilisateurs ne reprochent pas le manque de fonctionnalités d’un logiciel libre par rapport à son concurrent non libre, mais le fait qu’il soit plus difficile à utiliser (ou moins ergonomique).
Thomas : De même, la prise en compte de l’aspect convivial lors de mes développements se résumait à piocher des bonnes idées ici et là, suivre quelques pistes d’amélioration pour que certains aspects soient plus accessibles et des actions plus faciles à réaliser. J’avais largement conscience des manques que j’avais sur ces points.
Benjamin : J’ai eu l’occasion de discuter avec des designers, notamment parce que l’équipe de Kresus désirait avoir un nouveau logo. Alors que je pensais qu’il allait s’agir simplement de choix esthétiques, nous nous sommes retrouvés à parler d’aspects de bien plus haut niveau, comme les émotions que l’on voulait transmettre, ou les principes que devait respecter l’application. Même si ça relève du design, ces aspects se transposent également très bien à l’UX, et cette discussion a été le point de départ d’une réflexion plus globale pour re-prioriser certaines fonctionnalités et certains manques de Kresus. Par ailleurs, certains retours de personnes expérimentées en UX design nous avaient bien résumés l’intérêt de l’UX : un élément d’interface ou une action peu claire ou compliquée, c’est une incompréhension ; et une incompréhension, c’est une question au mieux (donc du support à effectuer), un blocage au pire (donc un.e utilisateur.ice perdu.e). Ce discours m’a marqué et incité à me plonger encore plus dans le sujet.
Marien : J’ai la chance de travailler dans une boîte qui employait déjà une UX/UI designer lorsque je suis arrivé. Aujourd’hui j’ai deux autres supers collègues ergonomes et/ou UX designers avec qui je peux travailler et échanger (je recommande d’ailleurs leurs « ergogames » lors desquels j’ai appris et pu mettre des mots sur plein de concepts), j’étais donc déjà plutôt bien rodé avant cet atelier et persuadé des bienfaits de l’UX. Pour moi, toute l’importance de cette discipline est de remettre l’utilisateur·ice au centre des préoccupations du logiciel : on cherche avant tout à comprendre ses problèmes et ses besoins. Ça peut paraître idiot dit comme ça, mais bien souvent j’ai affaire à des utilisateurs qui expriment leurs problèmes à travers des solutions qu’ils ont eux-mêmes imaginés. Le problème c’est qu’ils ont toujours une connaissance limitée de ce qui peut se faire (et moi aussi !) La complexité consiste à faire abstraction de ces solutions pour essayer d’en imaginer une qui sera potentiellement mieux adaptée aux besoins exprimés bien souvent indirectement. C’est là tout le talent de l’UX designer. 🙂
Une autre chose que j’apprécie – et c’est assez contradictoire avec mon statut de développeur – c’est que ça nous fait redescendre de notre piédestal. Dans les projets de logiciels libres, le développeur est toujours celui qui imagine, décide et code ; ça ne fait pas de mal de se remettre en question parfois ! Et puis nous avons déjà suffisamment de responsabilités comme ça (« Code is Law » comme dirait l’autre), pas la peine de nous en rajouter.
Luc : Oui… et non. Oui, parce que je savais que ça existe, non parce que je n’avais pas le temps de me pencher dessus.
Est-ce que tu avais déjà appliqué ou envisagé d’appliquer des méthodes UX sur tes projets ? Est-ce que par exemple tu avais déjà fait des tests utilisateur·ices auparavant ?
Florian : Au sein des contributeurs YesWiki, certains avaient déjà fait des tests utilisateurs, mais moi-même, je n’avais pas eu l’occasion de tester. J’avais entendu parler d’une méthode rigolote, qui consiste à tester un site en étant complètement saoul pour voir si la navigation était facile ! Une version plus « sobriété heureuse » consisterait à juste plisser les yeux et voir si vous arrivez à naviguer sur votre site, ou sinon http://www.drunkuserexperience.com/?url=https%3A%2F%2Fframasoft.org .
Thomas : Il y a quelques mois je ne désirais rien de plus que des mockups tout faits que j’aurais juste à intégrer. Aujourd’hui j’ai compris qu’il est préférable d’avoir un processus d’accompagnement, de travail itératif en collaboration et en discutant avec quelqu’un ayant les compétences.
Les seuls tests utilisateurs que j’aie effectués dans le cadre de mon travail se résumaient à envoyer un aperçu quasiment achevé à des membres de l’association n’ayant pas ou peu de compétences techniques, mais je n’étais pas derrière eux pour obtenir d’autres retours que ceux qu’ils peuvent me faire eux-mêmes. En dehors de cela, zéro, nada.
Benjamin : Non, jamais, je partais donc d’une expérience totalement vierge.
Marien : Oui, mais c’est assez récent au final ! J’avais fait appel il y a un an à Marie-Cécile Paccard pour m’aider sur Lessy. L’expérience a été tout aussi déstabilisante qu’enrichissante : alors que je pensais qu’on parlerait de l’UX de l’application, on a parlé de beaucoup de choses en amont, notamment à quels problèmes je cherchais répondre et à qui je m’adressais. Au final, elle a appliqué les méthodes UX à l’idée du projet elle-même ! Pour ce qui est des tests utilisateurs, j’ai participé à une session mais en tant qu’utilisateur, je connaissais donc déjà le format mais pas l’angoisse de se faire « juger » son travail ! J’avais toutefois eu le sentiment que c’était un format lourd à mettre en place et j’ai été agréablement surpris de la manière dont ça s’est passé au Framacamp.
Luc : À chaque phase de tests des nouveaux services Framasoft, on avait des retours de la part des membres de l’asso, mais ça s’arrêtait là.
Qu’est-ce que tu as pensé des méthodes vues ? Une méthode favorite ?
Florian : Le panel des méthodes vues était très large et c’est difficile de donner une favorite, car elles sont complémentaires ! Comme elles sont toutes assez courtes, je recommanderais plutôt de les faire toutes pour avoir une idée globale. S’il fallait choisir, la méthode du test en 5 secondes est vraiment rapide à faire, l’expliquer et la faire ne prend pas plus de 5 minutes, douche comprise ! Après, les tests utilisateurs sont ceux qui amènent sans doute le plus de pistes concrètes d’évolution pour son projet car on voit de façon flagrante là où l’utilisateur a des difficultés.
Benjamin : Si l’on se concentre uniquement sur l’aspect UX, la méthode des 5 secondes me semble plus amusante qu’utile, parce qu’elle ne reflète pas le fait que les gens cherchent toujours un peu avant d’abandonner. Elle permet cependant de dégager un avis esthétique et une émotion de manière très pertinente, ce qui provoquera l’envie d’utiliser par la suite. Clairement, le test d’utilisation, effectué sur Kresus, a été le plus utile et le plus fructueux pour moi : malgré la frustration qui parfois s’installait, puisque j’avais envie de dire « mais non, c’est pas comme ça qu’il faut faire », ou encore de dire « tu as remarqué qu’il manquait telle fonctionnalité, tu es au moins la 100ème personne à me le dire », j’ai trouvé très intéressant le fait de tout garder pour moi, et de juste écouter les utilisateur.ice.s pour comprendre quels étaient leurs points bloquants et leurs interrogations.
Marien : Très clairement j’ai préféré les tests utilisateurs. Je rejoins pas mal Benjamin là-dessus, j’ai le sentiment que c’est ce qui a été le plus utile. Mais c’est aussi l’aspect humain que je trouve intéressant : cette posture tout d’abord d’écoute et d’observation silencieuse (ça empêche de tenter de se justifier !), puis l’échange qui suit après. Ça permet aussi aux différents protagonistes de se rencontrer et de mieux se comprendre. Toutefois, pour un logiciel Libre ça peut être compliqué à mettre en place par sa nature décentralisée. L’AttrakDiff est peut-être alors plus adapté tout en se rapprochant de ce que peut apporter les tests utilisateurs d’un point de vue retours UX. J’imagine assez bien utiliser la méthode des 5 secondes « à l’arrache » lors de différents évènements. Concernant les courbes d’évaluation, je ne connaissais pas du tout et j’ai trouvé le concept super intéressant même si j’imagine un peu moins quoi faire des résultats.
Thomas : Je rejoins les deux commentaires précédents pour dire que j’ai probablement considéré le test utilisateur comme le plus productif du point de vue d’un développeur. Cela permet de découvrir des utilisations complètement à l’opposé de ce que l’on peut imaginer, et ainsi sortir de sa bulle de filtre concernant la vision que l’on a de son projet. J’aime aussi également bien le test des 5 secondes, mais je l’ai trouvé particulièrement efficace surtout lorsqu’on imagine un utilisateur arriver sur un site web sans à priori dessus, pas forcément quelqu’un de très motivé voir obligé d’utiliser une application.
Luc : Tout comme les autres, le test utilisateur est sans doute le plus intéressant pour les développeurs. On a ainsi un retour rapide mais surtout concret sur les points de friction.
C’est quoi le ressenti pendant et après les tests utilisateur·ices, quand on observe un·e utilisateur·ice manipuler et faire des retours sur son projet adoré ?
Florian : Mon cas est particulier, car on testait des visuels fait par Kristof, le graphiste des Colibris, pour le test des 5 secondes, donc j’ai moins pris pour moi les retours. Par contre j’ai été testeur pour Luc et son projet dolomon.org, et c’était bien drôle, je l’ai vu rougir quand je n’ai pas cliqué sur le lien « comment ça marche » et directement m’empêtrer dans les fonctionnalités compliquées, mais je crois que je me suis comporté comme un utilisateur lambda ! 😉
Benjamin (en continu depuis la question précédente) : C’est extrêmement utile comme exercice, parce que chaque élément remarqué devient utilement concret et peut se transformer en un « ticket » ou un élément partiel de ticket, tout du moins. C’était aussi marrant de voir, lors du débriefing, chacun exposer les *problèmes* auxquels iels étaient confrontés, et d’y aller de sa *solution* pour les résoudre, sans connaître l’ensemble des contraintes du projet. 🙂
En tant que mainteneur d’un projet, cela m’a permis de rester humble auprès du travail restant à accomplir, et ne m’a pas atteint émotionnellement ou attristé, parce que je considère que tout est toujours améliorable, et la finalité commune (de cellui qui teste ou cellui qui observe) est d’améliorer le logiciel dans son ensemble, pour le rendre plus utilisable, donc plus utilisé. 🙂
En dehors de la sphère propre au logiciel Kresus, je me sens plus légitime et j’ai aussi beaucoup plus confiance en ma capacité à mener et assister à des tests utilisateurs, ce qui me sera utile lors de nos célèbres Contrib’Ateliers .
Marien : Le plus compliqué était sans doute de rester silencieux ! D’ailleurs j’ai posé une ou deux questions au début pour essayer de comprendre le ressenti de l’utilisatrice (mais j’ai vite arrêté parce que je sentais que ça pouvait influer sur son utilisation). Il y a une forme de frustration qui se développe au fur et à mesure que la personne observée cherche mais ne trouve pas (pour les deux tests effectués j’ai eu envie de dire « Tu n’as pas besoin de rechercher l’icône de flux RSS sur le site, l’outil le détecte pour toi ! ») Une chose amusante en revanche, c’était de se sentir par moment tout aussi perdu que la personne qui testait (« Bah tiens, pourquoi ça réagit comme ça ? », « Oh un bug… ah non c’est vrai, c’est le comportement « attendu » »). Au final on n’est pas seulement observateur de l’utilisateur·ice, mais aussi de sa propre application ! En sortie de cette expérience, j’ai été rassuré sur la facilité de mise en place, ça m’a vraiment réconcilié avec cette méthode UX. Hâte de réitérer l’expérience !
Luc : C’est dur pour moi de me taire… et de voir que les utilisateurs ne prennent pas le temps de lire les explications qu’on s’est fait c… suer à écrire !
Suite à l’atelier, est-ce que tu penses que tu vas essayer de mettre en place de l’UX ? Si on te trouve un·e UX Designer, tu l’accueilles les bras ouverts ?
Florian : Oui, bien sûr, c’est un retour précieux, et une science à part entière ! Vu le peu de moyens humains derrière un projet libre, on se retrouve souvent à être en même temps le graphiste, l’UX designer, le développeur et le chargé de comm. de ce projet libre, et souvent quand on touche à trop de choses simultanément, on ne fait pas tout bien. J’ai très envie d’approfondir le sujet, si possible accompagné, mais j’attends aussi de voir comment en tant que développeur, implémenter les améliorations d’UX, car les choses les plus simples ne sont pas toujours les plus faciles à coder ! Donc vive la complémentarité mais en ayant la curiosité de s’intéresser à ce que l’UX Designer apporte et réciproquement, histoire de s’enrichir entre designer et développeur et d’être réaliste sur ce que l’on peut faire ensemble !
Benjamin : Absolument ! Au titre de mon projet Kresus, je vais sûrement réitérer l’expérience, et nous serions ravis d’accueillir un.e UX designer pour nous aider à assurer un suivi de l’amélioration de l’UX dans le projet. Nous allons d’ailleurs revoir nos méthodes de contribution pour simplifier la découverte et la participation à ce projet. Par ailleurs, je vais très probablement réutiliser les méthodes vues ici lors des Contrib’Ateliers, pour pouvoir tester et faire tester d’autres projets qui ont bien besoin d’aide, en espérant que cela mène à des actions concrètes et un suivi de la part des auteur.ice.s.
Marien : Je ne vois pas trop comment répondre négativement à cette question après les réponses que j’ai données jusqu’ici. ^^
Oui, évidemment que j’en accueillerais un ou une ! Mais j’aimerais aussi réfléchir à comment faciliter une telle collaboration. Aujourd’hui les outils que nous avons à notre disposition ne sont pas adaptés (je ne vise absolument pas GitHub ou plus généralement les forges logicielles, ce serait mal me connaître). Et si, justement, on appliquait les méthodes UX pour réfléchir à un tel outil ? 😀
Thomas : De même, c’est évident qu’il faut que nous impliquions davantage des gens comme des UX designers prêts à participer dans nos projets libres. Et pour accueillir des gens qui ne sont pas développeurs, ce n’est pas uniquement une question de réfléchir à un processus pour l’entrée de nouveaux contributeurs, c’est peut-être penser dès le début à faire en sorte que les décideurs et responsables de projets ne soient pas uniquement des développeurs, que ces derniers ne soient pas toujours au centre du projet. C’est loin d’être facile dans le milieu du logiciel libre, mais je veux y croire. 🙂
Luc : Non, je souhaite continuer à faire des logiciels inaccessibles. Tout le monde sait bien que les logiciels tournent bien mieux sans utilisateurs pour déclencher des bugs ou poser des questions. 😛
Et la tradition Framasoft : un dernier mot pour la fin ?
Florian : Merci Framasoft de décloisonner le libre et d’ouvrir vers de nouveaux horizons avec des outils qui ont du sens et des valeurs et qui pourraient grâce à des apports dans des domaines comme l’UX, de plus en plus répondre aux besoins des usagers ! J’en profite aussi pour inviter des animateurs de réseaux, les techniciens, les citoyens engagés, et toutes les personnes de bonne volonté de venir participer au projet Contributopia, qui pourrait être un beau levier de changement sociétal et de convergence !
Benjamin : Merci Framasoft pour ce Framacamp, et merci beaucoup Maïtané pour nous avoir présenté et ouvert les yeux sur l’UX, dans la joie et la bonne humeur, sans m’avoir fait ressentir ce tristement classique blocage entre les développeur.euse.s et les designers. J’invite tout le monde à s’intéresser également à ces méthodes, ne serait-ce que pour en comprendre les enjeux, qui dépassent largement la simple facilité d’utilisation et l’aspect esthétique des choses. :3
Marien : Au final, comme dans tout projet, l’important c’est de se parler et de s’écouter. Ce Framacamp a été une formidable occasion de faire cela dans une ambiance détendue. Je suis vraiment ravi de pouvoir apporter ma patte au projet Contributopia qui se propose justement d’encourager et défendre tout ça. Je suis persuadé que nous sommes sur la bonne route (mais qu’est-ce qu’elle est longue !). Et merci aussi à Maïtané de nous avoir proposé cet atelier qui m’a permis (enfin) de mettre en pratique des choses qui traînaient dans ma tête depuis des mois.
Thomas : Merci aux membres de Framasoft et à tous les contributeurs pour leur bonne volonté toujours impressionnante. Merci à ceux qui animent des ateliers qui permettent de faire des énormes pas en avant à chaque fois. J’ai hâte de voir ce qu’on va tous faire ensemble !
Luc : Merci à tous ceux qui vont mettre en place des ateliers UX lors des prochains contrib’ateliers. 😁
À leur tour, les auteur·ices de cet article remercient chaleureusement Florian, Thomas, Benjamin, Marien et Luc pour le temps qu’ils ont bien voulu nous accorder pour répondre à nos questions. Merci également à Carine Lallemand pour nous avoir autorisé·es à utiliser les images d’illustration de l’AttrakDiff et des courbes d’évaluation UX.
Que vous soyez UX Designer (professionnel ou amateur) ou simple utilisateur·rice qui veut contribuer au logiciel libre et au libre, n’hésitez pas à venir à notre rencontre, soit sur Framacolibri ou lors d’un des Contrib’ateliers. ;-).
Pour aller plus loin
Lallemand, Carine. Paris Web 2015. Atelier Évaluer l’UX : des méthodes simples mais efficaces !
Lallemand, Carine, Guillaume Gronier, et Alain Robillard-Bastien. Méthodes de design UX: 30 méthodes fondamentales pour concevoir et évaluer les systèmes interactifs. Design Web. Paris: Eyrolles, 2016.
UXmind.eu : Blog francophone sur l’expérience utilisateur·rice rédigé par Carine Lallemand. Transfert des théories et méthodes de design UX de la recherche à la pratique.
Oui, le vote de la directive Copyright est encore un violent coup contre les libertés numériques chères aux libristes. Notre mobilisation a-t-elle manqué de vigueur pour alerter les députés européens et faire pression sur leur vote ?
Ont-ils été plus réceptifs une fois encore au puissant lobbying combiné de l’industrie du divertissement, des médias traditionnels et des ayants droit ? Outre ces hypothèses et sans les exclure, Cory Doctorow, militant de longue date (dont nous traduisons les articles depuis longtemps) pense qu’il existe chez les eurodéputés une sorte d’ignorance doublée d’une confiance naïve dans les technologies numériques.
Dans l’article dont Framalang vous propose la traduction, il expose également les conséquences concrètes de la calamiteuse Directive Copyright12 pour tous les internautes, et particulièrement les créateurs indépendants. Enfin, sans en masquer le niveau de difficulté, il indique les points d’appui d’une lutte qui demeure possible, et qui doit être incessante, au-delà des prétendues « victoires » et « défaites ».
Aujourd’hui, L’Europe a perdu Internet. Maintenant, nous contre-attaquons.
La semaine dernière, lors d’un vote qui a divisé presque tous les grands partis de l’Union européenne, les députés européens ont adopté toutes les terribles propositions de la nouvelle directive sur le droit d’auteur et rejeté toutes les bonnes, ouvrant la voie à la surveillance de masse automatisée et à la censure arbitraire sur Internet : cela concerne aussi bien les messages – comme les tweets et les mises à jour de statut sur Facebook – que les photos, les vidéos, les fichiers audio, le code des logiciels – tous les médias qui peuvent être protégés par le droit d’auteur.
Trois propositions ont été adoptées par le Parlement européen, chacune d’entre elles est catastrophique pour la liberté d’expression, la vie privée et les arts :
1. Article 13 : les filtres de copyright. Toutes les plateformes, sauf les plus petites, devront adopter défensivement des filtres de copyright qui examinent tout ce que vous publiez et censurent tout ce qu’ils jugent être une violation du copyright.
2. Article 11 : il est interdit de créer des liens vers les sites d’information en utilisant plus d’un mot d’un article, à moins d’utiliser un service qui a acheté une licence du site vers lequel vous voulez créer un lien. Les sites d’information peuvent faire payer le droit de les citer ou le refuser, ce qui leur donne effectivement le droit de choisir qui peut les critiquer. Les États membres ont la possibilité, sans obligation, de créer des exceptions et des limitations pour réduire les dommages causés par ce nouveau droit.
3. Article 12a : pas d’affichage en ligne de vos propres photos ou vidéos de matchs sportifs. Seuls les « organisateurs » d’événements sportifs auront le droit d’afficher publiquement tout type d’enregistrement d’un match. Pas d’affichage de vos selfies sur fond de spectacle, ou de courtes vidéos de pièces de théâtre passionnantes. Vous êtes le public, votre travail est de vous asseoir là où on vous le dit, de regarder passivement le match et de rentrer chez vous.
Au même moment, l’UE a rejeté jusqu’à la plus modeste proposition pour adapter le droit d’auteur au vingt-et-unième siècle :
1. Pas de « liberté de panorama ». Quand nous prenons des photos ou des vidéos dans des espaces publics, nous sommes susceptibles de capturer incidemment des œuvres protégées par le droit d’auteur : depuis l’art ordinaire dans les publicités sur les flancs des bus jusqu’aux T-shirts portés par les manifestants, en passant par les façades de bâtiments revendiquées par les architectes comme étant soumises à leur droit d’auteur. L’UE a rejeté une proposition qui rendrait légal, à l’échelle européenne, de photographier des scènes de rue sans craindre de violer le droit d’auteur des objets en arrière-plan ;
2. Pas de dispense pour les « contenus provenant des utilisateurs », ce qui aurait permis aux États membres de l’UE de réserver une exception au droit d’auteur à l’utilisation d’extraits d’œuvres pour « la critique, la revue, l’illustration, la caricature, la parodie ou le pastiche. »
J’ai passé la majeure partie de l’été à discuter avec des gens qui sont très satisfaits de ces négociations, en essayant de comprendre pourquoi ils pensaient que cela pourrait être bon pour eux. Voilà ce que j’ai découvert.
Ces gens ne comprennent rien aux filtres. Vraiment rien.
L’industrie du divertissement a convaincu les créateurs qu’il existe une technologie permettant d’identifier les œuvres protégées par le droit d’auteur et de les empêcher d’être montrées en ligne sans une licence appropriée et que la seule chose qui nous retient est l’entêtement des plateformes.
La réalité, c’est que les filtres empêchent principalement les utilisateurs légitimes (y compris les créateurs) de faire des choses légitimes, alors que les véritables contrefacteurs trouvent ces filtres faciles à contourner.
En d’autres termes : si votre activité à plein temps consiste à comprendre comment fonctionnent les filtres et à bidouiller pour les contourner, vous pouvez devenir facilement expert⋅e dans ce domaine. Les filtres utilisés par le gouvernement chinois pour bloquer les images, par exemple, peuvent être contournés par des mesures simples.
Cependant, ces filtres sont mille fois plus efficaces que des filtres de copyright, parce qu’ils sont très simples à mettre en œuvre, tandis que leurs commanditaires ont d’immenses moyens financiers et techniques à disposition.
Mais si vous êtes un photographe professionnel, ou juste un particulier qui publie son propre travail, vous avez mieux à faire que de devenir un super combattant anti-filtre. Quand un filtre se trompe sur votre travail et le bloque pour violation du copyright, vous ne pouvez pas simplement court-circuiter le filtre avec un truc clandestin : vous devez contacter la plateforme qui vous a bloqué⋅e, vous retrouvant en attente derrière des millions d’autres pauvres gogos dans la même situation que vous.
Croisez les doigts et espérez que la personne surchargée de travail qui prendra votre réclamation en compte décidera que vous êtes dans votre droit.
Bien évidemment, les grosses entreprises du divertissement et de l’information ne sont pas inquiétées par ce résultat : elles ont des points d’entrée directe dans les plateformes de diffusion de contenus, des accès prioritaires aux services d’assistance pour débloquer leurs contenus quand ceux-ci sont bloqués par un filtre. Les créateurs qui se rallieront aux grandes sociétés du divertissement seront ainsi protégés des filtres – tandis que les indépendants (et le public) devront se débrouiller seuls.
Ils sous-estiment lourdement l’importance de la concurrence pour améliorer leur sort.
La réalisation des filtres que l’UE vient d’imposer coûtera des centaines de millions de dollars. Il y a très peu d’entreprises dans le monde qui ont ce genre de capital : les géants de la technologie basés aux États-Unis ou en Chine et quelques autres, comme VK en Russie.
L’obligation de filtrer Internet impose un seuil plancher à l’éventuel fractionnement des grandes plateformes par les régulateurs anti-monopole : puisque seules les plus grandes entreprises peuvent se permettre de contrôler l’ensemble du réseau à la recherche d’infractions, elles ne pourront pas être forcées à se séparer en entités beaucoup plus petites. La dernière version de la directive prévoit des exemptions pour les petites entreprises, mais celles-ci devront rester petites ou anticiper constamment le jour où elles devront elles-mêmes endosser le rôle de police du droit d’auteur. Aujourd’hui, l’UE a voté pour consolider le secteur des technologies, et ainsi pour rendre beaucoup plus difficile le fonctionnement des créateurs indépendants. Nous voyons deux grandes industries, faisant toutes deux face à des problèmes de compétitivité, négocier un accord qui fonctionne pour elles, mais qui diminuera la concurrence pour le créateur indépendant pris entre les deux. Ce qu’il nous fallait, c’était des solutions pour contrer le renforcement des industries de la technologie comme de celles de la création : au lieu de cela, nous avons obtenu un compromis qui fonctionne pour elles, mais qui exclut tout le reste.
Comment a-t-on pu en arriver à une situation si désastreuse ?
Ce n’est pas difficile à comprendre, hélas. Internet fait partie intégrante de tout ce que nous faisons, et par conséquent, chaque problème que nous rencontrons a un lien avec Internet. Pour les gens qui ne comprennent pas bien la technologie, il y a un moyen naturel de résoudre tout problème : « réparer la technologie ».
Dans une maxime devenue célèbre, Arthur C. Clarke affirmait que « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Certaines réalisations technologiques semblent effectivement magiques, il est naturel d’être témoin de ces miracles du quotidien et d’estimer que la technologie peut tout faire.
L’incapacité à comprendre ce que la technologie peut ou ne peut pas faire est la source d’une infinité d’erreurs : depuis ceux qui affirment hâtivement que les machines à voter connectées peuvent être suffisamment sécurisées pour être utilisées lors d’une élection nationale ; aux officiels qui claironnent qu’il est possible de créer un système de chiffrement qui empêche les truands d’accéder à nos données, mais autorise la police à accéder aux données des truands ; en passant par la croyance que le problème de la frontière irlandaise post-Brexit peut être « solutionné » par de vagues mesures techniques.
Dès que quelques puissants décideurs des industries du divertissement ont été persuadés que le filtrage massif était possible et sans conséquence néfaste, cette croyance s’est répandue, et quand les spécialistes (y compris les experts qui font autorité sur le sujet) disent que ce n’est pas possible, ils sont accusés d’être bornés et de manquer de vision, pas d’apporter un regard avisé sur ce qui est possible ou non.
C’est un schéma assez familier, mais dans le cas de la directive européenne sur le copyright, il y a eu des facteurs aggravants. Lier un amendement sur les filtres de copyright à une proposition de transfert de quelques millions d’euros des géants de l’informatique vers les propriétaires de médias a garanti une couverture médiatique favorable de la part de la presse, qui cherche elle-même une solution à ses problèmes.
Enfin, le problème est qu’Internet favorise une sorte de vision étriquée par laquelle nous avons l’illusion que la petite portion du Net que nous utilisons en constitue la totalité. Internet gère des milliards de communications publiques chaque jour : vœux de naissance et messages de condoléances, signalement de fêtes et réunions prochaines, campagnes politiques et lettres d’amour. Un petit bout, moins d’un pour cent, de ces communications constitue le genre de violation du droit d’auteur visé par l’article 13, mais les avocats de cet article insistent pour dire que le « but premier » de ces plateformes est de diffuser des œuvres protégées par le droit d’auteur.
Il ne fait aucun doute que les gens de l’industrie du divertissement interagissent avec beaucoup d’œuvres de divertissement en ligne, de la même façon que la police voit beaucoup de gens qui utilisent Internet pour planifier des crimes, et les fashionistas voient beaucoup de gens qui utilisent Internet pour montrer leurs tenues.
L’Internet est plus vaste qu’aucun⋅e d’entre nous ne peut le concevoir, mais cela ne signifie pas que nous devrions être indifférent⋅e⋅s à tous les autres utilisateurs d’Internet et à ce qu’ils perdent lorsque nous poursuivons nos seuls objectifs, aux dépens du reste du monde numérique.
Le vote récent de la directive sur le copyright ne rend pas seulement la vie plus difficile aux créateurs, en donnant une plus grande part de leurs revenus à Big contenus et Big techno – il rend la vie plus difficile pour nous tous. Hier, un spécialiste d’un syndicat de créateurs dont je suis membre m’a dit que leur travail n’est pas de « protéger les gens qui veulent citer Shakespeare » (qui pourraient être bloqués par l’enregistrement bidon de ses œuvres dans les filtres du droit d’auteur) – mais plutôt de protéger les intérêts des photographes du syndicat dont l’œuvre est « volée ». Non seulement l’appui de mon syndicat à cette proposition catastrophique ne fait aucun bien aux photographes, mais il causera aussi d’énormes dommages à ceux dont les communications seront prises entre deux feux. Même un taux d’erreur de seulement un pour cent signifie encore des dizaines de millions d’actes de censure arbitraire, chaque jour.
Alors, que faut-il faire ?
En pratique, il existe bien d’autres opportunités pour les Européens d’influencer leurs élu⋅es sur cette question.
* Tout de suite : la directive rentre dans une phase de « trilogues » , des réunions secrètes, à huis clos, entre les représentants des gouvernements nationaux et de l’Union européenne ; elles seront difficiles à influencer, mais elles détermineront le discours final présenté au parlement pour le prochain vote (difficulté : 10/10).
* Au printemps prochain, le Parlement européen votera sur le discours qui ressort de ces trilogues. Il est peu probable qu’ils puissent étudier le texte plus en profondeur, on passera donc à un vote sur la directive proprement dite. Il est très difficile de contrecarrer la directive à ce stade (difficulté : 8/10).
* Par la suite les 28 États membres devront débattre et mettre en vigueur leurs propres versions de la législation. Sous bien des aspects, il sera plus difficile d’influencer 28 parlements distincts que de régler le problème au niveau européen, quoique les membres des parlements nationaux seront plus réceptifs aux arguments d’internautes isolés, et les victoires obtenues dans un pays peuvent être mises à profit dans d’autres (« Tu vois, ça a marché au Luxembourg. On n’a qu’à faire la même chose. ») (difficulté : 7/10).
* À un moment ou à un autre : contestations judiciaires. Étant donné l’ampleur de ces propositions, les intérêts en jeu et les questions non résolues sur la manière d’équilibrer tous les droits en jeu, nous pouvons nous attendre à ce que la Cour de justice européenne soit saisie de cette question. Malheureusement, les contestations judiciaires sont lentes et coûteuses (difficulté : 7/10).
En attendant, des élections européennes se profilent, au cours desquelles les politiciens de l’UE devront se battre pour leur emploi. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où un futur membre du Parlement européen peut gagner une élection en se vantant de l’expansion du droit d’auteur, mais il y a beaucoup d’adversaires électoraux potentiels qui seront trop heureux de faire campagne avec le slogan « Votez pour moi, mon adversaire vient de casser Internet » ;
Comme nous l’avons vu dans le combat pour la neutralité du Net aux USA, le mouvement pour protéger l’Internet libre et ouvert bénéficie d’un large soutien populaire et peut se transformer en sujet brûlant pour les politiciens.
Écoutez, on n’a jamais dit que notre combat se terminerait par notre « victoire » définitive – le combat pour garder l’Internet libre, juste et ouvert est toujours en cours.
Tant que les gens auront :
a) des problèmes,
b) liés de près ou de loin à Internet,
il y aura toujours des appels à casser/détruire Internet pour tenter de les résoudre.
Nous venons de subir un cuisant revers, mais cela ne change pas notre mission. Se battre, se battre et se battre encore pour garder Internet ouvert, libre et équitable, pour le préserver comme un lieu où nous pouvons nous organiser pour mener les autres luttes qui comptent, contre les inégalités et les trusts, les discriminations de race et de genre, pour la liberté de la parole et de la légitimité démocratique.
Si ce vote avait abouti au résultat inverse, nous serions toujours en train de nous battre aujourd’hui. Et demain. Et les jours suivants.
La lutte pour préserver et restaurer l’Internet libre, équitable et ouvert est une lutte dans laquelle vous vous engagez, pas un match que vous gagnez. Les enjeux sont trop élevés pour faire autrement.