Retour sur le Fédérathon, le hackathon de la fédération
L’objectif de cette rencontre durant ces quelques jours était de réfléchir ensemble à des problématiques propres aux réseaux fédérés : ces alternatives éthiques et distribuées aux médias sociaux centralisés.
Étaient présents des développeurs et des UX designers ainsi que des étudiants, tous intéressés par le principe de fédération :
Séba, développeur Python ;
Moutmout, étudiante en mathématiques (mais qui fait aussi du Python) ;
Agate, principale développeuse de Funkwhale (plateforme de musique fédérée) ;
Maiwann, UX-designeuse ;
tcit, développeur et adminsys chez Framasoft ;
Natouille, UX-designeuse ;
Narf, stagiaire au sein de Framasoft qui réalise un mémoire scientifique sur le principe de la fédération (surtout ActivityPub*) et un mémoire philosophique sur les formes d’organisation non centralisées;
Renon, également contributeur de Funkwhale ;
Bat, développeur de Plume (blogs fédérés) qui contribue aussi un peu sur Funkwhale ;
Nathanaël, hébergeur de ce séjour et aussi membre de Framasoft.
*ActivityPub est un langage utilisé par les services fédérés pour communiquer entre eux.
Petite introduction
Nous avons commencé par un petit tour de présentation, pendant lequel nous en avons profité pour faire part à tout le monde nos souhaits et les activités que l’on proposait pour ce séjour.
Cela a été facilité par le fait qu’un dépôt sur Framagit a été ouvert quelques semaines plus tôt, sur lequel chacun était invité à proposer des activités et repas (le séjour reposant sur le principe d’auto-gestion).
Nous avons ainsi pu mieux les lister et définir (avec une méthode sponsorisée par 3M*).
*3M, c’est la marque des post-its (oui si on ne sait pas, on ne peut pas comprendre la référence).
On a donc rapidement plein de petites fiches d’activités, de quoi bien nous occuper pendant le séjour :
Ensuite, nous nous sommes inscrits dans chaque activité que nous souhaitions afin de les prioriser, avec des petits motifs que chacun s’est attribués.
Petite astuce donnée par les designeuses : pour retirer un post-it, il faut le faire par le coté et pas par en bas. Comme ça il collera plus longtemps, parce que la surface de collage sera moins pliée et donc davantage en contact avec le mur. 😉
Nous avons clos cette première journée par un petit cours d’astronomie à l’œil nu proposé par Moutmout.
Design et Ergonomie
Nous avons fait un fishbowl sur le thème de l’ergonomie des logiciels, notamment comment savoir si son interface est utilisable.
Un fishbowl (ou bocal à poissons) est un processus de communication permettant d’échanger sur un sujet particulier. Au départ, nous plaçons 4 chaises au centre de la pièce et nous invitons 3 personnes maximum à s’asseoir sur celles-ci pour prendre la parole, les autres sont invités à écouter sans intervenir. Lorsqu’une personne qui s’est exprimée se rend compte qu’elle n’a plus rien à ajouter, elle libère une place et une autre personne peut s’asseoir et discuter à son tour. Si une personne en dehors du cercle veut prendre la parole, elle s’assied sur une chaise libre (il y en a toujours une, vu qu’il y a 4 chaises pour 3 orateurs max.), et invite de fait un orateur à libérer sa place. Ce fonctionnement permet d’améliorer la dynamique de la conversation et de faciliter la prise de parole pour tout le monde.
Agate (qui développe Funkwhale) nous a présenté la conférence qu’elle avait faite aux RMLL quelques jours plus tôt. Cela a permis à certains de comprendre ce qu’il se passe sous le capot d’un projet utilisant ActivityPub, et à d’autres, d’avoir des idées pour mieux expliquer.
Après différents échanges, un sketch-note en est ressorti :
Partant de là, nous avons réfléchi brièvement à comment expliquer la fédération à M. ou Mme Tout-le-monde.
Nous avons ensuite fait appel à la communauté, en demandant sur Mastodon comment expliquer le principe de fédération. De nombreuses suggestions ont été proposées :
Note post-fédérathon (Nathanaël) : 2 semaines plus tard, je suis revenu avec mes frères dans la même maison, les post-its étaient encore accrochés. Alors qu’ils ne connaissaient pas le principe de fédération, je leur ai fait deviné la question qu’on avait posé, sans donner plus d’indices. Sans se concerter ils se sont tous deux mis d’accord sur cette question : * »Comment se mettre d’accord quand on est différents ? »*. Je trouve que celle-ci est au final une des meilleure réponse (et ce concept de « brainstorming inversé » est assez amusant). Et c’est vrai, c’est un peu ça la fédération.
Nous avons également noté que le terme instance pouvait faire un peu peur aux néophytes.
Nous avons donc, une fois de plus, fait appel à la communauté Mastodon pour trouver un terme équivalent. Une foule d’idées en est ressortie (certaines nous ont bien fait rire).
N’hésitez pas à piocher dans la liste pour vos prochaines explications. 😉
Les identités nomades
Une des Fiches Activités qui a eu du succès concernait les identités nomades. Nous n’étions en fait pas tout à fait d’accord sur ce que ce terme signifiait et son intérêt principal.
C’est pourquoi nous avons fait un échange en groupe afin d’identifier les problématiques auxquelles peuvent être confronté·e·s les utilisateur·ice·s d’un système fédéré actuellement :
« J’ai un identifiant et mot de passe pour chaque service. »
« Comment interagir avec un contenu qui n’est pas sur mon instance ? »
« Si mon instance est hors-ligne je n’accède pas à mon compte. »
« Quand je déménage je ne veux pas perdre mes données. »
« Je veux qu’on me retrouve sur mes différents services. », également lié à :
« Je ne veux pas qu’on usurpe mon identité. »
Nous avons ensuite listé les différentes solutions possibles à chaque problématique, en nous basant notamment sur celles déjà existantes sur certains projets comme Pleroma, KeyBase ou Diaspora.
Financement des créateurs
Comme proposé sur une autre Fiche Activité, nous avons discuté d’une plateforme pour faciliter le financement des créateurs présents sur le Fediverse. La problématique se rapproche de celle de l’identité évoquée plus haut.
Cette plateforme aurait pour but de trouver le contenu avec lequel l’utilisateur interagit (visualisation, like, écoute, …) afin de comptabiliser la somme à donner à chaque créateur, puis rediriger le donateur vers les plateformes choisies par le créateur (Tipeee, Liberapay, monnaie libre, …).
Il en est ressorti quelques schémas et illustrations représentant l’idée :
Ainsi que quelques sketch-notes…
Gouvernance
Nous avons réalisé un autre fishbowl, cette fois-ci sur le thème de la gouvernance au sein de la fédération : qu’elle se situe au niveau de la gestion des instances et de leur modération, ou bien au niveau du projet et de son développement.
Durant le fishbowl nous avons abordés de nombreux sujets.
Le fait par exemple que la manière de gérer un groupe dépend de sa taille : un état, un logiciel ou une entreprise ne peuvent pas s’organiser de la même manière. Il en serait donc de même pour les instances du Fediverse, où leur gouvernance pourrait être pensée vis à vis de leur taille.
Nous avons également abordé des notions d’inclusivité et d’accessibilité, des différentes façon de gérer cela comme l’élaboration d’un code de conduite où la manière de modérer les instances.
Notre discussion s’est ensuite étendue à la gouvernance au sens large et comment celle-ci est gérée dans les groupes qui sont sensibles aux notions d’égalité (associations, squats, communautés, etc.). On note que même dans une volonté de gouvernance horizontale, une hiérarchie peut se mettre en place naturellement : simplement parce que bien souvent l’investissement des membres n’est pas le même, ce qui peut avoir un impact sur les décisions prises.
Tests utilisateurs
Si un jour vous vous retrouvez entre passionnés du libre, partants pour contribuer sans trop savoir comment et qu’un développeur de projet est avec vous, faites des tests utilisateurs.
Les tests utilisateurs sont à la contribution au libre ce que le houmous est aux repas en auberge espagnole : c’est simple à faire, c’est rapide, accessible à tous et surtout très efficace.
— Un fédérathoniste
Nous les avons expérimentés pendant le séjour sur plusieurs sessions, pour les logiciels Funkwhale et Plume par plusieurs personnes.
Première étape : on met quelqu’un devant un logiciel en lui donnant une mission (la moins guidée possible). En fonction de ce que l’on veut tester, ça peut être un utilisateur connaissant le logiciel ou ne l’ayant jamais vu. L’utilisateur commente tout ce qu’il fait et également ce qu’il ressent, les autres écoutent silencieusement.
Oui, pour une fois les utilisateurs peuvent ouvertement pester contre telle ou telle fonctionnalité qui n’est pas pratique, on peut se lâcher (bon, pas trop quand même hein, les développeurs sont aussi nos amis).
Deuxième étape : pendant ce temps, le ou les développeurs prennent plein de notes :
– les actions qu’ils n’avaient pas prévues dans la manière d’utiliser l’outil ;
– ce qui frustre l’utilisateur, ou au contraire le satisfait ;
– ce que les utilisateurs comprennent et ce qu’ils espéraient ;
– ce qui manque ;
– les bugs éventuels pouvant survenir.
Pour notre part, nous avons abattu environ l’équivalent d’un arbre en papier :
Troisième étape : un échange est fait avec les développeurs et UX-designeuses présentes ici, pour voir comment améliorer certains points. Si vous n’avez pas de star d’UX parmi vous, vous pouvez demander autour de vous (sur Mastodon par exemple).
Dernière étape : transformez ces notes en tickets* sur les dépôts des projets en question !
* Dans le développement logiciel, les tickets sont des propositions de modification du code. Cela peut être par exemple pour améliorer l’interface, signaler un bug ou suggérer des fonctionnalités.
Tous ces tickets sont quelque chose de très concret pour l’amélioration du logiciel, d’autant plus si c’est un des développeurs qui les ouvre : on passe d’une petite gêne remarquée dans l’utilisation en un truc noté sur la TODO-list du projet.
Du côté du futur projet Framameet (nom Framasoft d’un projet de site de partage d’événements fédéré), nous avons pu tester et prendre des notes sur les projets propriétaires concurrents, afin de mieux concevoir l’ergonomie du projet.
Initiations
Certains d’entre nous ont proposé des initiations à des notions qu’ils maîtrisaient : tcit sur le langage Elixir, bat sur le langage Rust.
Plus brièvement, Docker et le déploiement ont aussi été abordés.
Ce n’était pas des cours mais plutôt un moyen de nous faire découvrir et aimer (ou pas) ces technos et se laisser le temps, plus tard, d’étudier plus profondément le sujet.
La suite
Avec le joyeux groupe que nous étions, le séjour était assez riche en blagues en tout genre… Notamment la phrase « C’est un peu ça la fédération », sortait assez régulièrement les derniers jours (en réponse à un phrase adaptée).
En revenant du séjour, Moutmout a donc mis les doigts au clavier pour coder un petit bot Mastodon C’est quoi la fédération, répondant à des pouets aléatoires.
L’élaboration de ce compte-rendu à plusieurs nous a également permis d’en garder une trace et de vous le partager.
Nous avons également ouvert un autre Framapad dédié à l’après-séjour. Sur ce dernier, chacun d’entre nous pouvait partager des remarques et suggestion, ou bien donner son avis sur ce qui était bien, ou ce qu’il faudrait améliorer pour une prochaine fois.
Il en ressort globalement que nous étions très satisfaits du séjour : notamment, les tests utilisateurs et les fishbowls en ont conquis plus d’un (mais pas autant que les burgers végé :P).
Il y a également quelques petites idées pour une prochaine fois, comme le fait d’ouvrir un framapad dédié au compte-rendu en début du séjour et de le compléter ensemble tous les jours.
On note également le fait que les ateliers plus « concrets » niveau contribution étaient moins présents que nous l’envisagions, dû au fait qu’ils se font en petits groupes, alors que nous avions tous envie de faire des choses ensemble et que les ateliers en grands groupes intéressaient tout le monde. Bref, il faut accepter qu’on ne puisse pas tout faire.
Nous essayons petit à petit de voir comment poursuivre nos discussions par des actions plus concrètes : par exemple nous sommes en train de monter un groupe de discussion ouvert concernant les identités nomades et son implémentation, en espérant que cela débouche sur des propositions de modification sur des logiciels fédérés. Les thème de la gouvernance et du financement des créateurs subiront sans doute le même sort. Si par ailleurs vous êtes intéressés par ces sujets, vous pouvez me contacter (sur Mastodon : roipoussiere(@)mastodon·tetaneutral·net ou par mail : nathanael(@)framasoft·org) pour prendre part aux groupes de discussion existants.
Ah, et on raconte que certain·e·s participant·e·s ont toujours la musique de Put a banana in your ear dans la tête. On ne sait pas pourquoi.
Ce séjour était en tout cas une expérience très enrichissante pour nous toutes et tous. Et toutes ces discussions pourraient bien un jour faire germer, dans nos petites têtes de libristes, de nouveaux projets.
Écriture du blog : nous ne transigerons pas sur les libertés.
Attention, cet article va parler d’un sujet qui a été tellement polarisé qu’il transforme de nombreuses personnes en troll·e·s : l’écriture inclusive. Mais en fait on ne va pas du tout parler de ça. On va parler de Liberté et de libertés, tiens !
À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Premièrement : vous avez raison
On va mettre tout le monde d’accord d’un coup (quitte à vous mettre d’accord pour nous taper dessus)… quoi que vous pensiez sur l’écriture inclusive : vous avez raison.
Vous vous en foutez royalement, tyranniquement ou démocratiquement…?
Vous. Avez. Raison.
Vous avez raison parce que vous avez vos raisons (ou même vos absences de raisons, pour les personnes qui s’en cognent). Vos opinions sur l’écriture inclusive peuvent être étayées par des faits, des autorités, des réflexions et de fait vous semblent parfaitement valides, mais elles restent cela : des opinions (ou absences d’opinions, n’oublions pas le droit de s’en foutre).
Car nos manières de pratiquer une langue vivante restent des choix : personnels, collectifs, politiques, poétiques… Mais des choix subjectifs. Ou des absences de choix, parce que saperlipopette, on a aussi le droit de se laisser porter !
Deuxièmement : nous aussi
Chez Framasoft, cela fait plus de trois ans que ce choix est fait.
On le sait, les libristes s’ennuient durant les week-end, tant ils croulent sous le temps libre, tant elles n’ont rien d’autre à faire que jouer à SuperTuxKart.
Quelques jours avant, c’est le mot « les rêveureuses » qui s’y affiche , quand on n’y parle pas carrément des « barbu-e-s » (déc. 2015) afin de désigner les informaticiennes et informaticiens libristes (pour tirer la langue à cette expression communautaire excluant, de fait, les visages glabres).
Quant à notre newsletter, suivie par plus de 95 000 inscrit·e·s, c’est pas mieux : dès 2015 les « ils et elles » y fleurissent, on y évoque « nos salarié-e-s » en 2016, ou on y imagine carrément les « chef-fe-s » du petit village libriste !
En fait, nos usages et manières ont progressé au fil de nos réflexions, et ce n’est que le 22 février 2017 que, suite à de rares commentaires ici ou là, notre comité communication décide d’ajouter cette réponse dans notre foire aux questions, afin de répondre par avance à toute interrogation, et d’expliquer pourquoi nous laissons des graphies novatrices s’exprimer dans nos communications.
Troisièmement : ça pique un peu au début…
Alors oui, on le sait, lire de tels bidouillages de la langue française, ça perturbe. Nous le savons parce que nous aussi nous l’avons vécu. On est là, installé·e·s pépères dans une utilisation d’une langue que l’on s’est fait ch#£§ à apprendre durant de longues années, quand soudain des graphies nous rappellent que mémère existe aussi. Sans compter que, derrière tout cela, y’a une question -presque une accusation- qui vient se chuchoter dans nos pensées…
Aurais-je été sexiste tout ce temps, sans le savoir, juste en faisant des phrases…?
Alors là, c’est non : notre esprit se défend et sort les griffes… C’est normal, hein : il fait son boulot d’esprit. La neuro-biologie nous apprend que, lorsque nous sommes confronté·e·s à quelque chose qui remet en questions nos croyances les plus profondes, notre cerveau réagit comme si nous étions physiquement agressé·e·s.
Chez Framasoft, nombre de nos membres ont vécu ces objections : nous les connaissons intimement. Nous en avons discuté, débattu, argumenté (la question de l’accessibilité, par exemple, mérite que l’on se penche dessus, donc nous l’avons fait). Nous en avons déterminé qu’il ne s’agissait pas de nous, mais de Liberté.
Quatrièmement : …mais après ça passe
Parce qu’en fait, si on parvient à mettre en sourdine le « scrogneugneu, mais c’est pas comme ça que ça s’écrit » qui crie très fort en nous… eh bien on s’habitue ! Ne sous-estimons pas nos cerveaux : ils ont une capacité de résilience qui peut nous surprendre nous-mêmes…
D’expérience (et qui vaut ce qu’elle vaut, hein, z’avez le droit de ne pas être d’accord), on peut très vite s’habituer, ne plus trébucher mentalement sur des nouveautés linguistiques. De nos jours, écrire ou dire que « c’est relou », ne choque plus les esprits (sauf dans un contexte où on doit parler soutenu), mais à une époque pas si lointaine, lorsque l’on craignait les « loubards » en blousons noirs, le verlan était socialement choquant…
Car la seule chose qui nous empêche de nous habituer à des graphies novatrices : c’est nous.
C’est quand on ne veut pas, qu’on en a pas envie. Et pourquoi pas : vous avez le droit de refuser de voir votre langue, un outil profondément lié à nos identités, écrite de manière X ou Y. Vous pouvez ne pas en avoir envie…
Comme nous, dans notre association, nous pouvons avoir envie d’user de points médians (ou de smileys :p… ). Car, dans un cas comme dans l’autre, nous faisons un choix personnel, nous usons de notre Liberté.
Cinquièmement : pourquoi maintenant ?
Au-delà de ce débat qui, pour nous, se résume en une phrase (nous ne transigerons pas sur les libertés), il y a une question à se poser. Depuis plus de trois ans que nous expérimentons avec la langue (tout en faisant des efforts typographiques, orthographiques, et grammaticaux que personne ne vient saluer, snif !), les remarques et commentaires trollesques ne pleuvent que depuis environ neuf mois.
C’est comme s’il y avait une guerre, qu’il fallait choisir son camp, et pis si t’es pas avec nous t’es contre nous… La question s’est polarisée au point de caricaturer les pires personnages de jeux de baston :
HystéroFémiNazie VS FachoMascuMacho,
Round 1,
FIGHT !
Vous trouvez pas qu’on s’est un peu fait embourber nos esprits dans une ambiance de merde…? Combien de personnes, aujourd’hui, revendiquent le droit d’en avoir rien à foutre du point médian, de s’en cogner de la double flexion, et de n’avoir aucun avis sur la règle de proximité ? Qui pense encore, dans ce débat, au fait que dire « chacun et chacune » (la double flexion, donc) est tout autant une marque du langage inclusif que « chacun·e »…?
Mais surtout : où étaient nos critiques littéraires ces trois dernières années ? Que faisaient ces personnes, et pourquoi ne veillaient-elles pas à notre salut linguistique auparavant ? Il peut être bon de se demander, chacun et chacune (tiens !) en son for intérieur, pourquoi est-ce que l’on a commencé à avoir un avis sur la question (en novembre dernier)… plutôt que de bidouiller avec, juste pour voir comment ça fait, pour voir ce que ça change.
Finalement : la liberté n’est pas négociable
Chez Framasoft, nous sommes attentifves : croyez-le ou non, mais nous veillons à rester intelligibles. Si nous publions un texte de telle ou telle manière, c’est que nous avons estimé, collégialement et dans notre entière subjectivité, qu’il est intelligible.
Intelligible ne signifie pas confortable, hein. Utiliser les dissonances cognitives que provoquent les expressions inhabituelles peut être un outil pour communiquer ce que l’on souhaite transmettre. C’est un choix dans la méthode, qui peut sembler approprié à l’auteur·rice d’un texte, et aux personnes qui relisent.
La Liberté, chez Framasoft, c’est pas négociable. Nous en avons parlé lors de notre dernière assemblée générale : nous faire aimer/apprécier/bien voir, vouloir séduire/éduquer/convertir les gens à la cause du libre, cela ne se fera pas à tout prix. Ce serait chercher une universalité quasi-impossible, et qui (à nos yeux) mène sur le chemin du plus petit dénominateur commun, celui des idiocraties googlesques qui nous rebutent. Bref, on va pas se renier, pas au prix de nos libertés ni de nos convictions.
Et les libertés des personnes qui, volontairement, refusent de supporter le langage épicène, les pauvres …?
Nous avons fait en sorte que vous ayez le droit de reprendre nos publications (sous licence CC-By-SA, sauf mention contraire) et les traduire en langage traditionaliste (comme d’autres les traduisent en italien, en anglais, et merci !). Nous avons fait en sorte de n’obliger aucun·e membre, aucune personne qui contribue à nos actions, à utiliser telles ou telles règles (d’ailleurs, nombre de nos textes sont aussi en langage traditionnel, et c’est OK pour nous).
Nous savons les internets assez grands pour que chacun·e (tiens !) puisse y trouver son bonheur… Sans forcément aller faire les gros n’yeux aux autres parce que « ielles ne font pas comme il faut, c’est à dire comme moi je veux ! ». On peut même renvoyer les ronchonchons aux conditions générales d’utilisations de nos services (dont le blog, la newsletter, etc. font partie), clause « si ça vous va pas, vous êtes libres d’aller voir ailleurs » (allez lire, ça prend 3mn et c’est bel et bien écrit dedans).
Offrons-nous la paix
C’est un peu violent, comme conclusion, non…? Il faut dire que le cumul des remarques trollesques et de mauvaise foi que nous essuyons depuis des mois est franchement frustrant, et cette accumulation, nous la vivons comme une violence… Il est temps de briser ce cercle vicieux.
Là où nous sommes d’accord avec nos détracteurices (soyons fous… et folles : hop, un mot-valise !), c’est que les questions de genre et de linguistique ne sont pas le but premier de Framasoft… Alors pourquoi venir les commenter ? Pourquoi détourner l’attention de ce que nous faisons en faisant remarquer quelques pauvres signes de ponctuation…?
Ne pourrait-on pas vivre, et laisser vivre…?
Peut-on passer à autre chose…?
Nous l’espérons, et vous faisons confiance.
Les flux RSS, maintenant !
Il n’y a pas si longtemps, les flux RSS nous étaient familiers et fort utiles. Aral Balkan nous invite à nous en servir partout et explique pourquoi ils sont peut-être l’avenir d’un autre Web en gestation..
Peu compliqués à mettre en place sur une page web, ils permettent un lien sans intermédiaire entre la production de contenu et son audience, court-circuitant ainsi les plateformes centralisatrices que nous avons laissé parasiter nos communications. Tandis que se confirme une tendance forte à la fédération des contenus, la pertinence des flux RSS qui permet de les découvrir pourrait être un allié important pour re-décentraliser le Web.
Pour ceux et celles qui sont né⋅e⋅s dans le monde des silos du Web centralisateur, les RSS sont une antique technologie du Web 1.0 (« le Web ingénu des premiers âges » ?). Comme pour beaucoup de choses de cette époque, le nom dit la chose : ils permettent de syndiquer facilement les contenus de votre site, c’est-à-dire de les partager. Les personnes que cela intéresse de suivre vos publications souscrivent à votre flux et reçoivent ainsi les mises à jour en utilisant leur lecteur de RSS. Pas de Twitter ni de Facebook pour s’interposer avec des algorithmes pour censurer… euh … « modérer » vos billets.
RSS est d’une simplicité enfantine à implémenter (juste un fichier XML). Vous pouvez l’écrire à la main si vous voulez (même si je ne le recommande pas).
Voici un extrait du flux RSS de mon site, qui vous montre quelques-uns des champs de l’entrée courante de ce billet :
<?xml version="1.0" encoding="utf-8" standalone="yes" ?> <rss version="2.0" xmlns:atom="http://www.w3.org/2005/Atom"> <channel> <title>Aral Balkan</title> <link>https://ar.al/</link> <description>Recent content on Aral Balkan</description> <lastBuildDate>Fri, 29 Jun 2018 11:33:13 +0100</lastBuildDate> … <item> <title>Rediscovering RSS</title> <link>https://ar.al/2018/06/29/rediscovering-rss/</link> <pubDate>Fri, 29 Jun 2018 11:33:13 +0100</pubDate> <author>mail@ar.al (Aral Balkan)</author> <description>(The content of this post goes here.)</description> </item> … </channel> </rss>
De plus son implémentation est quasi-universelle.
Où est mon RSS ?
Il y a bien des chances, si vous avez un site web, que vous ayez déjà un flux RSS, que vous le sachiez ou non. Si par exemple vous utilisez comme moi Hugo pour créer votre site, votre flux RSS est là : /index.xml
D’autres générateurs peuvent les insérer ici ou là : at /rss, /feed, /feed.xml, etc.
À une époque, vous ne pouviez pas surfer sur le Web sans voir partout les séduisantes icônes RSS décorer gracieusement les belles vitrines du Web 1.0. Mais ça, c’était avant qu’elles ne soient vampirisées par les traqueurs espions … euh … « les boutons de partage social » des Google et autres Facebook qui pratiquent la traite intensive d’internautes.
Il existait aussi auparavant une saine propension des navigateurs à détecter automatiquement et afficher les flux RSS. Aujourd’hui, il semble qu’aucun navigateur majeur ne le fasse bien nettement.
Il est grand temps de revenir à la charge pour exiger une prise en charge de premier plan des flux RSS, une brique importante pour re-décentraliser le Web.
Mais vous n’avez pas besoin d’attendre que les éditeurs de navigateurs se décident (certains comme Google sont eux-mêmes des agents du capitalisme de surveillance et d’autres, comme Mozilla, doivent leurs ressources financières aux capitalistes de la surveillance). Vous pouvez dès maintenant remettre à l’honneur les flux RSS en retrouvant l’adresse URL de votre propre RSS et en l’affichant fièrement sur votre site.
Rien de bien compliqué : il suffit d’un lien dans la partie <head> de votre page2 et d’un lien dans le <body> avec une icône RSS et hop vous voilà dans la famille du Web décentralisé.
et voilà l’en-tête à mettre dans le <body> qui établit le lien avec le flux RSS avec une icône visuellement repérable.
<a rel='alternate' type='application/rss+xml' href='/index.xml' > <img class='rss' src='/icons/rss.svg' alt='RSS feed icon' title='Subscribe to my RSS feed' > </a>
Jetez un coup d’œil au Noun Project pour choisir votre icône RSS, elles sont toutes sous licence Creative Commons.
RSS lourd ou léger ?
Lorsque vous créez un flux RSS pour votre site, vous avez le choix entre inclure seulement un résumé de votre billet ou bien son contenu intégral. J’ai modifié la configuration de mon Hugo et le modèle de RSS par défaut en suivant les instructions de Brian Wisti pour inclure le contenu intégral dans le flux et je vous recommande d’en faire autant.
Il y a six ans, je préconisais l’inverse ! J’écrivais « le RSS lourd n’est qu’une copie du contenu sous un autre nom ». J’avais tort. J’étais trop obsédé par le maintien d’une mainmise formaliste sur mes conceptions et je n’ai donc pas réussi à faire un choix réfléchi en utilisant des critères de conception éthiques.
Capture d’écran du lecteur de RSS NewsBar RSS sur macOS qui affiche mes souscriptions, la liste des billets de mon blog et un aperçu de mon billet sur Kyarchy, avec l’image et les styles qui ont disparu.
Plus les personnes ont de moyens d’accéder à vos contenus publiés, plus ces contenus ont des chances de rester en ligne et meilleur c’est pour la liberté de tous.
Des contenus dupliqués ? Oui, sans problème ! Plus on en a et mieux ça vaut. Eh eh, avec la version web en pair à pair de mon site, le but est idéalement de dupliquer le contenu autant de fois qu’il y aura de personnes pour le parcourir.
Certes, votre contenu peut être légèrement différent d’un lecteur RSS à l’autre, car certaines applications ne sont pas conformes aux standards, mais c’est leur problème, pas le vôtre. D’après mes tests partiels, le lecteur Leaf pour macOS affiche mon flux RSS lourd parfaitement alors que NewsBar ne le fait pas. Pas grave. (et j’espère que l’équipe de NewsBar en prendra bonne note pour améliorer le rendu dans une prochaine mise à jour. Après tout, aucune application n’arrive parfaite sur le marché).
Maintenant que nous nous éloignons du Web centralisé pour aller vers un Web pair à pair, il est temps de redécouvrir, adopter et exiger les flux RSS.
Tout ce qui est ancien reprend une nouvelle force.
RSS était un élément essentiel du Web 1.0 avant que le capitalisme de surveillance (Web 2.0) ne s’en empare.
Ce sera une composante précieuse du Web+ et au-delà.
Pour aller plus loin sur le sujet des flux RSS, un autre article du même auteur publié plus récemment : Refining the RSS
et ses aventures nocturnes pour tenter de faire apparaître cette maudite icône de RSS.
Pour s’abonner aux flux du Framablog, c’est par ici en bas à droite
Avec Firefox, il n’est pas très compliqué de s’abonner aux flux web, que ce soit RSS ou autres formats
Un jeune libriste part à l’asso des mauvaises habitudes
Neil vient de finir un stage d’étudiant au terme duquel il a réussi à faire adopter des outils libres à une association. Il livre ici le récit de ses tribulations, c’est amusant et édifiant…
On aimerait bien qu’il y en ait beaucoup comme lui pour s’engager de façon aussi déterminée et efficace. Nous espérons entamer une série d’interviews de libristes qui comme lui sont particulièrement impliqué⋅e⋅s dans la diffusion des valeurs et des pratiques libristes.
Bonjour à tous,
N’ayant encore qu’assez peu d’expérience dans le domaine du libre et s’agissant de mon premier article sur Internet, je sollicite votre bienveillance et vous invite à me signaler toute éventuelle erreur ou mauvais usage des termes dans cet article.
Contexte
Les études
Avant de commencer, un peu de background. J’ai 20 ans et je suis en première année de BTS SIO (branche SLAM), formation post-bac orientée sur l’informatique de gestion et le développement d’applications.
Au bout d’un mois dans cette filière, j’ai senti qu’elle n’était pas pour moi en constatant notamment un retard assez grave dans les notions du référentiel. Mais pour des raisons financières (bourses, appartement, etc.) j’ai dû finir mon année, ce qui implique l’obligation de trouver un stage d’un mois en juin.
Le choix de l’association
J’ai donc choisi une association que je vais appeler Ciné-Asso, qui propose des tarifs réduits pour des séances au cinéma pour les établissements scolaires et ses adhérents. Ses responsables disaient avoir besoin de retravailler leur système d’information.
C’était pour moi une chance que de pouvoir mettre mes connaissances à disposition d’une association, ce qui m’attirait bien plus que les stages choisis par mes camarades de classe (stage en banque, en dépannage/réparation informatique, au supermarché, en startup French Tech qui développe sous WinDev3. Choix judicieux que de choisir un stage WinDev en BTS SIO : WinDev fait partie des logiciels étudiés et utilisés tout comme WordPress, Microsoft Visio, Win’Design, PC Wizard 2015 et plein d’autres. (Vous comprenez pourquoi je n’aime pas cette filière ?)
Et je préférais travailler pour une asso en rapport avec l’art et la culture. Le choix était donc déjà fait.
Un peu de technique
En ce qui concerne les outils utilisés, mon ordinateur tourne sous Debian Buster (prerelease) depuis Janvier 2018. Je code exclusivement sous Vim, mon éditeur préféré. Pour le développement web, j’utilise Apache et MariaDB côté serveur (en local, donc sur mon propre poste). J’utilise souvent MySQL Workbench (la version sous licence GPL par Oracle) pour éditer la BDD, sinon en CLI. Je travaille tout le temps avec draw.io (licence Apache), un logiciel vraiment pratique pour réaliser des schémas en tous genres, des cartes mentales aux modèles relationnels. Je m’estime par ailleurs libriste et refuse, lorsque la situation le permet, de travailler avec des logiciels propriétaires. Vous allez voir que défendre ses valeurs n’est pas facile…
Tâches assignées
Principalement deux tâches me seront confiées durant ce stage d’un mois :
Retravailler le site web de Ciné-Asso Leur site web tournait sous une très ancienne version de Joomla ! et franchement, ce n’était pas beau à voir. Bref, un site des années 2006. Ma mission sera de développer un site vitrine pour le remplacer, avec une gestion d’évènements planifiés (de séances de films, en l’occurrence) pour l’association. Cela inclut évidemment la formation des bénévoles à l’outil ;
Retravailler la base de données, reconstruire la base de données utilisée pour enregistrer les adhérents et les donateurs de l’asso. La base de données actuelle a été créée il y a 10 ans sous Access 2003 (si ce n’est 98…) et elle est encore utilisée jusqu’à présent. La base n’est pas relationnelle alors qu’elle devrait l’être. Résultat : 35 champs dans une table avec les adhérents et donateurs mélangés, des doublons, des couples sur un seul enregistrement et de sérieuses limites. Je vais donc devoir créer une nouvelle base, migrer toutes les données et former les bénévoles.
Le tout, donc, en un mois, avec la contrainte personnelle de n’utiliser que des logiciels libres.
Présentation de Ciné-Asso
Je vais donc vous présenter brièvement l’équipe de Ciné-Asso. De faux noms leur seront attribués afin de préserver leur anonymat.
M. Touron est le président de l’association. Un esprit juste et logique.
Mme Nougat est la trésorière et celle que je dois convaincre. Elle est très réticente à l’intégration de mon travail au sein de l’asso. Elle sera aussi l’une des principales utilisatrices du logiciel de gestion de base de données. J’ai donc intérêt à faire du bon travail afin de satisfaire ses attentes.
M. Réglisse s’occupe de la communication auprès des adhérents. Il utilise tout le temps l’outil informatique dans son travail, pas toujours comme il le faudrait.
Mme Caramel est une jeune bénévole qui soutient mes idées. Elle s’occupe principalement du site web.
M. Calisson est un bénévole octogénaire et maintient la base de données Access. C’est un autodidacte de l’informatique. Il racontait fièrement qu’il avait programmé en COBOL pour le gouvernement à une époque désormais révolue.
M. Prunelle est un prestataire de services extérieur à l’association et jouera un rôle crucial.
Une réunion est organisée entre deux ou trois bénévoles et moi deux fois par semaine afin de présenter l’avancée de mon travail et de m’ajuster à la demande. En dehors des réunions, je travaille en autonomie.
Un détail important à relever : aucun membre de Ciné-Asso n’est assez compétent en informatique pour s’occuper du côté technique du site après mon départ.
Le site web
J’ai consacré les 15 premiers jours à la réalisation du site web. Et parmi tous les CMS possibles, j’ai choisi… Allez, devinez… WordPress.
Vous avez le droit de jeter vos tomates pourries ; mais je n’avais aucune expérience, ni avec Drupal, ni avec Joomla! et je n’avais clairement pas le temps de tester les solutions (rappelons que j’ai seulement 15 jours pour finaliser le site, formations incluses). De plus, je connaissais déjà bien WordPress pour l’avoir utilisé par le passé. Et croyez-moi, j’ai regretté de ne pas avoir été assez curieux, car ces 15 jours mêlèrent ennuis et souffrance.
Le décor
On commence par le design. J’ai choisi la version gratuite d’un thème qui leur plaisait bien. Je leur conçois une jolie bannière d’en-tête (avec GIMP, bien évidemment). Au final, j’ai dû la refaire 16 fois dans une réunion de 4 heures pour satisfaire aux demandes de M. Touron, président. Mais passons. J’ai dû bidouiller le CSS afin de convenir à leurs attentes, au risque de tout casser à la prochaine mise à jour. En guise de solution, je leur ai demandé de tout mettre à jour, sauf le thème.
C’est sale, ça contourne le problème, mais je ne vois pas d’autre option dans le temps imparti ; de plus, les thèmes souffrent rarement d’une faille de sécurité. J’ai donc jugé le pari suffisamment sûr.
Travailler sur WordPress n’est pas jouissif. Ça me servira de leçon pour mes stages futurs.
Les plugins
Je choisis le plugin WP Theater pour programmer les séances de cinéma.
Évidemment, les fonctions les plus intéressantes sont payantes. Je me contente des fonctions de base et réussis à convenir à leurs demandes. M. Touron m’a proposé d’acheter la version payante du plugin, mais j’ai insisté en disant que n’était pas nécessaire et que pour le prix de la fonctionnalité, ça relevait plutôt de l’escroquerie.
Les deux semaines s’écoulèrent (trop) paisiblement avec quelques ajustements par-ci par-là. La formation fut terminée en une après-midi. L’intéressée, Mme Caramel, appréciait l’interface conviviale du logiciel.
Choses vues
En un mois, j’ai appris à connaître les membres de l’association : leur personnalité, leur empathie et surtout, leur usage de l’outil informatique. J’ai tout de même quelques anecdotes qui font peur.
M. Réglisse et Micro$oft Office
J’apprends que l’un des membres de l’association, M. Réglisse, utilise MS Office 2003 pour travailler sur les documents de l’asso. Malheureusement, ce logiciel de Micro$oft n’arrive plus à exporter en PDF sur son poste, pour une raison inconnue (tout autant à lui qu’à moi). Sans compter que Office 2003 ne lit pas les nouveaux formats MS Office (depuis 2007 : xlsx, docx, etc.) ni les formats libres (odt…). Et ainsi, à chaque fois que M. Réglisse souhaite lire ou éditer un fichier incompatible, il envoie ce fichier par mail à sa collègue qui le convertit en PDF (à l’aide d’Apache OpenOffice) et qui lui renvoie par mail, et ce depuis longtemps.
Il fallait quand même que je me retienne de sourire en écoutant ça.
On me demande conseil.
En bon libriste, j’explique que le logiciel est trop vieux et qu’il faut passer à LibreOffice gratuitement ou acheter le pack Office tous les 3 ans, en insistant bien sur la première option.
« Oui, mais j’ai déjà essayé, ça marche pas, y’a des bugs et c’est pas toujours compatible… » Finalement, j’ai réussi à le convaincre. Ça a changé un peu la mise en forme de ses fichiers et il ne s’est pas gêné de me faire remarquer qu’un pixel dépassait par-ci par-là, mais il devrait s’en satisfaire pour le moment.
Vive le libre !
M. Réglisse et le mailing
Dans les aventures de M. Réglisse, j’ai aussi celle où il souhaite envoyer une newsletter à tous les adhérents de l’association. Il ouvre sa base Access 2003, et demande au logiciel de lui donner tous les mails des membres de l’asso. Il ouvre Thunderbird en parallèle, crée un nouveau groupe… et ajoute tous les mails en les réécrivant un par un à la main ! On m’explique que c’était parce que certains mails peuvent avoir été entrés dans la base de données avec des erreurs (une virgule au lieu d’un point, par exemple…) et que copier coller pose alors des problèmes… Car la base de données ne détecte pas les erreurs de saisie…
Je promets à M. Réglisse que le mailing sera beaucoup plus facile avec ma solution.
La réunion à mi-chemin
Les réunions furent assez régulières avec moi au sein de l’asso, mais celle-ci fut de très loin la plus importante. Je rencontre M. Prunelle, expert en informatique, retraité. Il s’agit d’un prestataire de services extérieur à l’association, contacté par Mme Nougat dans l’idée de contrôler mon travail et de m’aiguiller. Pour la première fois, M. Calisson, mainteneur de la base de données, est présent. M. Prunelle commence donc par parler de son parcours ; il a fondé une entreprise d’informatique pendant sa jeunesse et a déjà programmé en COBOL et en assembleur, raconte-t-il avec nostalgie.
M. Prunelle joue un rôle crucial : il s’engage à maintenir mon travail à mon départ en tant que bénévole si le projet correspond à ses attentes. Il s’agit donc d’une personne avec laquelle je devrais collaborer.
Les deux premières heures
On parle beaucoup du site web. Je l’ai présenté, il était déjà globalement fini, prêt à être basculé en production. M. Prunelle approuve mon choix du CMS WordPress et raconte qu’il a de l’expérience avec. On discute des quelques bidouillages sur le CSS (peu nombreux mais hélas impératifs conformément aux demandes).
Mon code étant commenté et mes modifications légères et peu nombreuses, il les approuve et se propose même de les maintenir si ça casse après une mise à jour. Super, ça m’arrache une épine du pied !
Les deux dernières heures
J’aborde le sujet de la base de données. Il faut savoir que la trésorière, Mme Nougat, s’oppose assez fortement au fait que je travaille sur la BDD. Elle souhaite que je me consacre pleinement au site et veut plutôt confier la base à un intervenant extérieur aux frais de l’association. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait appel à M. Prunelle…
J’explique mon projet. Un intranet maison, développé from scratch, une BDD relationnelle. Le tout fait à la main. J’avais déjà préparé un schéma relationnel que je lui montre.
« Ta base m’a l’air bien, relationnelle, tout bien comme il faut, c’est du bon travail. Par contre, je ne suis pas trop d’accord avec ta solution pour l’hébergement de la base de données, Maria DB… Je connais de nom mais ce n’est pas très utilisé dans le domaine professionnel… »
Il sort son cahier. Puis son stylo. Je le remarque alors… Un stylo rose fluo, avec le fameux logo de WINDEV dessus. Gulp. Je sais ce qui m’attend.
M. Prunelle me demande alors d’aller voir sur une page cachée d’un site web sur lequel il avait récemment travaillé. Il m’épelle l’adresse, quelque chose du genre « xalex-xpert.com/xalex_expert ».
S’affiche alors une vieille interface de connexion sans TLS, et je reconnais rapidement WEBDEV, de la même boîte. Je fais la moue. J’explique alors que je ne souhaite travailler qu’avec des logiciels libres, par éthique. Un sourire en coin s’affiche sur le visage de M. Prunelle :
« Ha ha ha, moi aussi, quand j’avais ton âge, j’étais un rebelle et je votais à gauche ! Mais aujourd’hui sur le marché du travail, dans un contexte professionnel de l’industrie informatique, jamais je ne me permettrais de présenter une verrue de Linux chez un client ! »
Hein ? L’industrie professionnelle de l’informatique ? Le marché du travail ? Qui a parlé de Linux ? Une verrue ?
La rébellion gauchiste ? Ce n’est pas un #MercrediFiction ni une exagération. C’est mot pour mot ce qu’il m’a dit. Je suis resté bouche bée pendant quelques secondes avant de passer à l’offensive en défendant mes arguments.
Et là, tout de suite, la grosse condescendance. En puissance. Limite, s’il m’avait versé un coulis de caca sur la tête, ça aurait été plus respectueux.
« Non mais de toute façon voilà, c’est comme ça qu’on débute, on fait tous des erreurs, on progresse ensuite, moi j’en ai vu, c’est pas le premier, je sais comment ça se passe »
Et alors évidemment Mme Nougat s’incruste et en rajoute une couche…
« Moi je pense qu’on a la chance d’avoir un professionnel parmi nous, M. Prunelle sait ce qu’il faut faire. Quand on est jeune, on ne connaît pas le marché du travail, on ne sait pas comment bien faire les choses pour répondre aux demandes du client, c’est normal »
(Allez-y, pissez-moi dessus encore, j’aime ça.) Mais avant que je ne me fasse totalement recaler, M. Touron et Mme Caramel interviennent au moment opportun et insistent pour me laisser une chance. Ouf, c’est sauvé. Par contre, du coup, inutile de compter sur lui pour maintenir ma « verrue de Linux ». Plus qu’à me débrouiller tout seul.
Résultat, les deux solutions seront proposées au conseil d’administration et c’est le conseil qui tranchera. J’ai intérêt à bien faire le boulot.
La veille technologique, ou comment j’ai changé d’avis
Ok, j’ai donc 15 jours pour réaliser une solution convaincante à partir de rien, migrer la solution actuelle vers la mienne et enfin former les nouveaux utilisateurs… Bon, j’ai des bouts de code de prêts pour ça, je suis assez expérimenté en PHP pour me débrouiller comme un grand. Mais 15 jours…
État des lieux
Tout d’abord, le lendemain de la réunion, M. Calisson (mainteneur octogénaire de la BDD) s’est présenté à moi. Il a fait l’effort de se déplacer dans les locaux pour me proposer personnellement son aide.
Face à une telle bienveillance, je ne pouvais refuser. Il m’a donné une documentation utilisateur d’une vingtaine de pages (datant de quelques années), très détaillée, qui m’a beaucoup appris. Il a ensuite pris le temps de m’expliquer chaque détail flou de la base actuelle et décrit les attentes particulières de Mme Nougat, qui attend d’être convaincue par ma solution.
Il n’était pas obligé de faire tout ça et je lui en suis grandement reconnaissant. Avant de le rencontrer, je pensais que ça allait être un esprit conservateur qui considère que sa solution (une table, 35 champs, rappelons-le) est la meilleure de toutes… et je me suis bien trompé. Comme quoi, le code ne fait pas le développeur…
À l’aide, Mastodon !
Dans le doute, je fais appel au réseau des réseaux. Et dans la panade, je fais appel au Fediverse.
Amis, camarades, connaissances, merci à vous. Vous avez été d’un précieux soutien dans cette situation difficile, vous m’avez aiguillé quand M. Prunelle m’avait lâché. Je savais que je pouvais compter sur vous ! Et j’ai attentivement écouté vos conseils.
Alors que choisir ?
Je peux dire beaucoup de mal (à tort et à raison) de mes professeurs de BTS SIO, mais c’est l’un d’eux qui m’a conseillé Galette en premier (en l’occurrence, ce professeur revendique des valeurs libristes mais enseigne WinDev et Win’Design aux élèves, ironiquement. Il enseigne Merise aussi, en 2018. Mais passons !)
Galette est un CMS libre de gestion d’adhérents pour les associations, inscrit sur Framalibre, l’annuaire contributif où j’aurais dû chercher en premier. Le logiciel a été créé en 2004 et est toujours maintenu à l’heure actuelle via des mises à jour régulières. Il est utilisé par des dizaines d’associations et reste un choix à considérer pour un déploiement rapide et efficace.
La Fediverse m’ayant conseillé (entre autres) Galette, j’ai décidé de m’y intéresser de plus près. Je connaissais déjà Galette (de nom seulement) avant que mon professeur m’en parle, mais tout écrire de soi-même avait l’air tellement plus amusant…
Et la solution avait l’air vraiment sympa. Il m’a fallu quelques jours pour m’assurer qu’elle collait bien au cahier des charges de Mme Nougat, mais tout avait l’air d’aller comme il faut. Et comme je n’ai plus le temps, il vaut mieux choisir cette option plutôt que de partir de zéro et rendre un travail insatisfaisant ou incomplet.
Partons donc pour Galette !
Galette
Abordons un peu l’aspect technique. La formation WordPress et quelques autres tâches ayant un peu débordé sur le planning, il me reste 10 jours pour déployer la solution et former les utilisateurs.
Le cahier des charges
Je rencontre un problème. Le cahier des charges n’est pas respecté sur un point : les statistiques. L’asso a besoin de stats assez précises pour la comptabilité et Galette ne fournit que deux ou trois pauvres camemberts. Galette tournant sous PHP, je prends la décision d’écrire un plugin.
Le plugin
C’est ce qui va prendre le plus de temps. Je travaille dans un environnement avec lequel je ne suis pas familier du tout, même si c’est du PHP, car je n’ai jamais touché à des frameworks PHP ni utilisé une API conçue pour des plugins. Ma première rencontre avec Zend Framework se passe… mal. Très mal, au point où j’interroge directement la base de données avec des requêtes en dur pour faire le boulot.
J’aurais aimé apprendre comment m’en servir, mais « je n’ai pas le temps ». Bon, j’ai moins d’excuses pour le switch à 90 cases avec des requêtes SQL et les 80 lignes de HTML dans un string… Mais chut…
Blague à part, je commence à être vraiment à la bourre. Plus que quelques jours de stage déjà, et c’est fini. Je me débrouille comme je peux pour coder quelque chose qui fonctionne. Qui a parlé de maintenabilité ?
Le prochain qui passera derrière moi sera probablement un stagiaire de BTS SIO, ça lui fera les pieds 🙂 (Il va me retrouver et me tuer pour avoir écrit ça, et je ferai moins le malin quand je tomberai sur un cas similaire. Bon au moins, j’ai mis plein de commentaires)
La demande de dernière minute
J’ai présenté le plugin de stats à Mme Nougat et il a fallu s’adapter à une demande de dernière minute. Totalement justifiée cela dit, ça faciliterait grandement la comptabilité. Il s’agit encore de stats.
J’applique des quickfixes sur le code dégueulasse que j’ai pondu juste avant. Il me reste trois jours. (Comment ça, ce n’est pas une excuse ? Au moins ça fonctionne !)
Bon allez, on plie ça vite fait et on passe à l’importation, qui n’est même pas commencée !
Préparation pour la migration
Un peu plus de technique.
La base de données est sous forme de fichier. MDB (Access), format propriétaire. Elle pèse 8.5 Mo. J’ai des frissons dans le dos. J’utilise le paquet mdb-tools pour convertir la structure et les données en requêtes SQL et je crée une nouvelle DB en local (MariaDB) et j’importe le tout.
Vive le libre.
Voilà la table à 35 champs… Ma première tâche va être de séparer les entrées des couples (M. et Mme) qui ont été enregistrés en une seule entrée.
Sur le coup, LibreOffice Calc est mon ami. J’importe tous les enregistrements où Sexe=« M. et Mme » et je les sépare à coups de Chercher/Remplacer. Une fois le boulot fini, j’importe tous les autres adhérents enregistrés dans la base jusque là sur le tableur, c’est plus facile que sur Workbench. Et nous y voilà, un total de 1275 lignes.
La grande migration
Allez, c’est parti. Je saisis 1275 adhérents à la main, depuis l’interface de Galette.
Bien sûr que non. Vous croyez vraiment que j’allais faire ça manuellement ?
Je me remémore ce que disait l’un de mes professeurs de BTS SIO :
« Un développeur, c’est un branleur. Une quiche molle. Alors à un m’eng donné, il faut savoir optimiser son traitemeng ou on va se retrouver avec une KYRIELLE de travail à faire. »
Il reste 2 jours. Comptant un jour de formation et d’installation du logiciel, j’ai 24 heures pour réaliser la migration. Admettons que je prenne trois minutes par entrée (adhérent + contribution). (1275 x 3) / 60= 63h45 de travail. C’est hors limites !
La seule solution est donc d’automatiser le tout. Mais il ne s’agit pas d’un simple INSERT INTO dans une table, hélas. Galette utilise un système de champs dynamiques qui permet d’avoir des champs personnalisés par l’association. Il les gère d’ailleurs assez mal : lorsqu’on supprime un adhérent ou une contribution, les champs dynamiques associés ne se suppriment pas avec. Encore un bug à signaler, tiens. Mais passons.
Formatage des données
Je commence par ajouter un adhérent et une cotisation annuelle pour ce dernier et j’identifie dans la BDD les tables mises à jour. Il y en a trois : galette_adherents, galette_cotisations et galette_dynamic_fields.
Ensuite, ça reste quand même assez trivial. J’identifie à quoi correspondent les champs dans les tables et je prépare mes inputs selon mes besoins. Je n’oublie pas de m’adapter au logiciel. Exemple, Galette interdit les adresses mail dupliquées dans la BDD. Je supprime tous les duplicatas depuis LibreOffice avant de commencer quoi que ce soit. Puis vient le plus
pénible. Le formatage des inputs. LibreOffice est pratique pour ça, mais je préfère tellement Vim qui s’avère bien plus efficace quand on a l’habitude du logiciel.
Vérification des données
Je vérifie encore mes inputs. Les erreurs les plus courantes :
– Doubles espaces (un coup de regex et c’est fini)
– Accents dans les adresses mail
– Virgules à la place de points un peu partout
– Formatage pas toujours standardisé du numéro de téléphone… J’étale le champ adresse, unique jusque là, sur deux lignes. C’est long et pénible, un bon travail de stagiaire. Par superstition, j’enlève les guillemets placés inutilement dans les adresses physiques.
– Au passage, je découvre des adresses Yahoo, AOL, Cegetel, Alice, Wanadoo, Neuf et même quelques .gouv.*.
Ça fait un peu peur.
– Le champ galette_adherents.login_adh contient des caractères aléatoires servant d’identifiant pour l’adhérent. L’asso n’utilise pas cette fonctionnalité, mais pour ne pas contrarier Galette, je vais insérer des caractères aléatoires dedans : SUBSTRING(MD5(RAND()) FROM 1 FOR 15)
Ce n’est pas censé être un identifiant hexadécimal, mais ce n’est pas grave.
Enfin, je prends soin de distinguer les champs vides des champs NULL. On peut maudire SQL pour ça, je suppose.
Je termine la migration le 28 juin au soir, soit 24 heures avant la fin du stage. La journée de demain commencera à 09h00.
Déploiement de la solution
Ah oui, à ne pas oublier. Avant de former les utilisateurs, il faut d’abord déployer Galette sur leur réseau (en intranet). Je choisis l’utilisation de XAMPP sur l’un de leurs postes Windows.
Je configure le serveur DHCP de leur box pour que l’IP du poste en question soit fixe. Ma méthode est probablement discutable mais je ne vois pas d’autre option possible, surtout qu’héberger Galette sur le “cloud” ne leur aurait pas servi car ils ne travaillent sur la BDD qu’en local. Enfin, je déploie Galette, j’exporte la BDD depuis mon poste et je l’importe sur le leur. Je transfère aussi les fichiers de mon plugin. Évidemment, l’opération ne s’est pas déroulée sans accroc – surtout sur des postes Windows. J’ai perdu une à deux heures dans la migration.
L’imprévu fatidique
En formant l’une des deux bénévoles, on s’aperçoit ensemble que de nombreuses données de l’ancienne base sont erronées depuis quelques mois (suite à une maintenance de M. Calisson) et que ces erreurs ont été (évidemment) reportées sur la nouvelle base. Nous arrivons à une conclusion terrifiante : il faut repasser manuellement derrière chacune des 1275 adhésions à partir des bordereaux d’adhésion, conservés par précaution. Cette opération nous a coûté 4 à 5 heures. La bénévole a eu la gentillesse de m’apporter une pizza pour que je puisse finir mon travail d’esclave le plus vite possible sans sortir du bureau.
La formation
Vous imaginez qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour former les utilisateurs. La première bénévole était assez familière avec l’informatique, mais la deuxième ne l’était pas du tout – au contraire, elle détestait l’informatique. J’ai dû abréger beaucoup de points que je préciserai dans une documentation utilisateur à rédiger après mon départ. Ce fut très laborieux, mais l’essentiel a été vu. Il est 18h00, mon stage se termine et ma mission avec. Je remercie M. Touron qui m’offre une gratification de stage de 150 euros.
Le suivi
Le libre, c’est bien, mais quand il est encadré et suivi, c’est mieux. Le site web de l’association est hébergé par la Ligue de l’Enseignement, ce qui leur permet de profiter de tarifs très préférentiels. J’ai pu rencontrer l’un de leurs membres avec M. Touron dans le cadre de la migration du site de Joomla ! vers WordPress.
Ce monsieur, aux antipodes de M. Prunelle, était clairement fâché de mon choix de WordPress, en disant que les webmasters oublient souvent de mettre à jour le CMS et qu’il est généralement considéré comme une usine à gaz trouée par des failles de sécurité. Je ne peux qu’être d’accord avec lui sur ces points-là, malheureusement.
M. Touron aborde finalement la question de la gestion de la base de données (Galette, donc) et ce monsieur semble non seulement connaître le CMS, mais exprime sa satisfaction quant au choix d’un logiciel libre. Quand je lui ai dit que ce choix était par éthique, nous sommes rapidement partis dans une discussion libriste mentionnant La Quadrature du Net, l’April, Framasoft, les RMLL 2018 qui approchent à grands pas…
C’était ma première discussion avec un libriste dans la vraie vie et elle ne pouvait pas tomber à un meilleur timing. La personne idéale pour reprendre le projet était déjà trouvée, je peux dormir sur mes deux oreilles !
Ressenti personnel
Cet article est déjà beaucoup trop long, mais je tiens à exprimer mon ressenti sur ce stage. La rencontre avec M. Prunelle fut très parlante pour moi : j’ai réalisé à quel point les esprits peuvent être conservateurs dans le domaine de l’informatique.
Être libriste, c’est avant tout avoir des convictions que l’on défend au quotidien. Je ne m’attendais pas à entrer en conflit d’éthique avec qui que ce soit pendant ce stage, tout comme je ne m’attendais pas à rencontrer des personnes défendant les mêmes valeurs que moi. C’est aussi inciter les utilisateurs moins familiers vis-à-vis de l’outil informatique à découvrir les outils libres, faire face à leurs réticences dues à la peur de l’inconnu, à leur habitude d’utiliser des outils propriétaires et parfois, à leur manque de confiance en votre personne au prétexte de votre jeune âge et de votre supposé manque d’expérience.
Ce stage fut un véritable combat au nom de l’éthique et de mes propres convictions, mais il fut aussi porteur d’espoir : les libristes sont plus nombreux que je ne le pensais, et mon déplacement à mon tout premier meeting (les RMLL 2018) va probablement m’aider à mieux connaître (et sympathiser !) avec les différentes communautés et me permettre de définir plus précisément mon parcours professionnel en vue, dans l’idéal, d’un métier dans ce domaine.
La collection Framabook édite le nouveau livre de Simon Giraudot, notre Gee, dont les dessins sont partout sur les sites du frama-réseau.
Mais là, surprise, il s’agit d’un roman, sans un seul petit miquet, intitulé « Working Class Heroic Fantasy » et sous-titré « Une aventure fantastique de la classe laborieuse ». Il s’agit donc bien d’une aventure épique avec des orques, des gobelins, des elfes et des nains, une arme magique, une noble quête… mais qui parle de révolution prolétarienne et d’exploitation capitaliste ! Nous sommes allés titiller l’auteur.
Allons bon ! Voilà que tu publies un roman ! Tu vas arrêter de dessiner ?
Là, si tu vas voir mon blog, tu peux avoir cette impression parce que je n’ai rien publié depuis la St Glinglin. Mais non, je compte bien continuer à faire les deux (écrire et dessiner). Après, ça m’aiderait que les journées fassent 36 heures, mais bon…
Ça fait quand même pas mal de temps que ça me démange d’écrire des choses plus littéraires. Outre les mini-pamphlets que j’écris parfois sur la section La fourche de mon blog, j’ai aussi déjà autopublié un petit recueil de nouvelles sans prétention.
Dis, c’est pas complètement nouveau, ce bouquin, tu l’as déjà publié en feuilleton sur ton blog. Dans quel but ? Tu voulais relever un défi ?
Le but, on ne va pas se mentir, c’était la visibilité : ma hantise, c’était d’avoir passé des mois à écrire ce bouquin, de balancer un PDF + un e-pub sur le net et de le voir zappé/oublié dans la semaine. Le publier par épisode, ça permet de faire vivre le livre sur la durée. Par exemple, j’ai trouvé ça hyper chouette de lire les réactions des gens en direct quand il y avait un chapitre avec un rebondissement ou avec une grosse révélation qui était publiée. Il y a un effet communautaire, tu sens que les gens vivent la même histoire en même temps. C’est aussi très encourageant de lire des messages de lecteurs ou lectrices qui disent attendre avec impatience l’épisode suivant…
Pourquoi raconter ton histoire dans un monde médiéval-fantastique ? Quel intérêt pour ta narration ?
Alors en fait, la question est bizarre pour moi, parce que la toute première idée que j’ai eu, la déclic de base qui m’a lancé sur cette histoire, c’était de faire de la fantasy dans un monde moderne. Tout le reste (notamment l’aspect social / lutte des classes), c’est venu après.
Le principal intérêt, c’est bien sûr de parler de notre société en la transposant dans un univers où ses travers nous apparaissent bien plus facilement (parce qu’on a un regard extérieur plus facilement critique). Ça n’a rien de révolutionnaire, comme approche, les contes voltairiens faisaient déjà ça il y a trois siècles…
J’aimais bien aussi l’idée de renverser un peu les codes de l’épopée fantastique. Pas mal d’histoires modernes (~99% du cinéma hollywoodien par exemple) tournent autour de la figure du héros qui remporte la victoire à la force de ses petits bras, en se sortant les doigts du cul et en triomphant de l’adversité tout seul comme un grand, juste avec assez de volonté. « Quand on veut, on peut », « chacun est maître de son destin », etc. Le self-made man américain, en gros. Ce qui, en fait, donne des repères culturels et des figures très individualistes (allez, je le dis : très à droite).
Je voulais raconter au contraire une histoire où des personnages doivent s’organiser collectivement pour remporter la victoire, où on se méfie comme de la peste de l’homme providentiel et où on réfléchit plus en terme de déterminismes sociaux qu’en gentils/méchants (même s’il y a des beaux salopards dans mon bouquin, parce qu’il y en a dans notre monde aussi). Et foutre aussi un coup de pied aux culs des prophéties, des « élus » et des messies, des ressorts qui me gonflent et que je considère comme le niveau 0 de l’écriture scénaristique…
Et en plus tu t’es fait suer avec de l’écriture inclusive ? (hop, tu viens de perdre 20% de lecteurices potentiel-le-s ^^)
Mmh, pas vraiment, non ? Il y a juste un personnage agenré et qui est donc appelé avec des pronoms agenrés (« iel », « cellui-ci ») et qualifiée avec des adjectifs alternativement féminins et masculins. Je trouvais l’exercice intéressant, mais à mon sens ça ne rentre pas dans le cadre de l’écriture inclusive.
Avec le recul, un truc que j’aurais aimé faire, c’est utiliser la règle de proximité que je trouve élégante (en plus d’être justifiée pour l’inclusivité et d’être historiquement correcte). Mais j’en ai eu l’idée au moment où le bouquin était déjà passé par plusieurs relectures (et croyez-moi, à la dixième relecture, on trouvait encore des fautes), du coup je me suis dit que j’avais évité de faire péter un câble à mes relecteurs et relectrices en changeant tout à la dernière minute… Pour le prochain livre ?
Perdre 20% de lecteurices potentiel⋅le⋅s… à mon avis, c’est accorder beaucoup de poids aux excités convulsifs du point médian. Ils font beaucoup de bruit mais ils ne sont pas si nombreux… Et puis de toute façon, déjà en écrivant un bouquin clairement revendiqué comme politiquement très à gauche, je me coupe de pas mal de monde, non ?
Justement, professionnellement tu appartiens à une classe pas forcément toujours très politisée, et encore plus rarement à gauche. Comment t’est venue cette culture politique ? Est-ce que tu sens la nécessité d’être passeur, de faire une certaine forme de prosélytisme ?
Cette culture politique, elle est surtout familiale je pense. Mon père a grandi dans une HLM (dans lequel ma grand-mère habite toujours à l’heure actuelle) et ma mère dans un village de campagne avec la jolie partie où habitaient les cadres (près de l’école et de l’église) et, bien séparée par l’usine qui trônait au milieu, la partie beaucoup moins glamour où vivaient les ouvriers (je te laisse deviner de quel côté était ma mère). Alors certes, mes parents s’en sont bien sortis, ils bossent dans l’éduc nat, et moi je suis développeur dans une petite boîte de Sophia Antipolis. Donc j’appartiens clairement à la petite bourgeoisie intellectuelle, mais je n’oublie pas d’où vient ma famille.
Et puis, tu sais, les écoles d’ingé ont beau être remplies de gens biberonnés aux discours macronistes (tendance winneurz persuadés d’être l’élite du pays), ça reste beaucoup moins polarisé politiquement que les écoles de commerce, par exemple. À la base, tu atterris là parce tu es doué en sciences, maths, etc. : alors okay, quand on t’explique qu’en valorisant ça, tu peux te faire un pognon monstre, si t’as pas un minimum de culture politique ou de sens de l’éthique, tu vas foncer pondre de l’algorithme financier pour trader véreux sans te poser de question. Mais tu as aussi pas mal de jeunes ingés – de plus en plus, me dit mon côté optimiste – qui n’adhèrent pas à cela, qui comprennent qu’on leur propose de participer à un système pourri. Dans un Fakir récent, il y avait d’ailleurs un article Appel à l’élite (infiltrée) ! qui causait de polytechniciens qui virent plutôt très à gauche… C’est un mouvement que j’ai connu aussi dans mon école d’ingé (certes moins prestigieuse), mouvement auquel moi et potes nous identifiions d’ailleurs pas mal…
Quant à la question de faire du prosélytisme : non, car je ne pense pas que ce soit très efficace. La politique, c’est un peu comme la religion, si tu as des gens convaincus en face, aucun discours ne pourra les faire changer d’avis (voir, à ce sujet, le très intéressant article de Ploum Le coût de la conviction). Il faut qu’il se passe un truc, qu’ils ou elles vivent l’injustice ou les problèmes de la société dans leur vie, dans leur chair, chez leur proche, pour qu’un déclic puisse se faire. L’important, selon moi, c’est que lorsque ce déclic se fait, il y ait une réponse en face, quelque chose d’autre à proposer, et je me situe plutôt de ce côté-là : quand quelqu’un qui y croyait se retrouve dégoûté du système actuel, il faut être capable de lui présenter quelque chose d’autre qui soit désirable et fédérateur (ce qui rejoint ce que Framasoft essaie de mettre en place avec Contributopia).
Un roman sous licence libre, ça sert à quoi ? Qui pourrait s’en emparer ? Pour en faire quoi ?
Ça peut caler un pied de table aussi bien qu’un livre pas libre (bon, à condition de prendre la version imprimée, les fichiers informatiques étant moins adaptés au calage de meuble).
Par contre, par rapport à un livre pas libre, ça peut se modifier, se partager et même se vendre sans mon autorisation (enfin en fait, mon autorisation est générale et inscrite dans la licence). Imagine que ta table soit tellement bancale que mon petit bouquin de 360 pages ne suffise pas à la caler : eh bien tu aurais le droit d’y ajouter 4 chapitres pour atteindre les 490 pages nécessaires à caler ta table, et même copier cette version et la revendre à tes potes qui ont la même table pourrie que toi (au passage, les gars, changez de fournisseur de meubles). Va donc essayer de faire ça avec le dernier Amélie Nothomb…
Dans le cas de mon livre, il y a Patrice Monvel, un lecteur qui n’a pas de table branlante mais qui a un micro (et une voix), et qui s’est attelé à la lourde tâche de faire une version livre audio de Working Class Heroic Fantasy (je sais de quoi je parle, j’ai essayé d’en faire une, et j’ai abandonné au premier chapitre). Un grand merci à lui, au passage 🙂
Si vous prenez beaucoup les transports en commun mais que lire dans le bus vous donne la nausée, ça peut être une bonne façon de passer le temps ! Vous pouvez retrouver les fichiers (OGG + MP3) sur la page de chaque chapitre sur mon blog ou directement sur son blog à lui. Notez qu’il réalise d’autres livres audios, à partir de certaines nouvelles de Neil Jomunsi par exemple.
De quel personnage te sens-tu le plus proche ?
Sans doute de Zarfolk, l’ogre anarchiste. Bien que je ne sois pas (encore) un ogre… [NdA : je viens de gagner un pari]
C’est un ouvrage optimiste, finalement, ou pas ?
Plutôt, oui. Je pense que c’est un bouquin qui peut faire du bien à pas mal de monde. On est quand même dans une période pas facile : partout, tu vois des gens qui en ont ras-le-bol de subir le fameux « monde qui change » (mondialisation, capitalisme, néolibéralisme, etc., appelle ça comme tu veux), d’être sommés de se manger des beignes en souriant (la précarité heureuse, la flexisécurité et toutes les conneries du genre). Tu vois un monde qui court à sa perte, écologiquement comme socialement. Tu vois un désir d’autre chose, d’un autre idéal… allez, je m’autocite, tiens : d’un autre rêve.
Et en même temps, on n’arrive pas arrêter la machine (ni même à la freiner un peu), on se prend défaite sur défaite, on a des Trudeau, des Macron, des Merkel au pouvoir, on n’a plus gagné la moindre avancée sociale depuis des plombes et on se fait bouffer petit à petit la colonne vertébrale sociale que les types du CNR avaient réussi à mettre debout après la guerre. Le fait est qu’on ne sait plus comment lutter, qu’on n’en a plus la force… et, surtout, qu’on n’a plus la conviction de pouvoir réussir.
Donc oui, c’est un bouquin qui, clairement, a pour but de donner un peu de niaque et de patate, de redonner l’envie d’en découdre avec cette connasse de Tina. En toute humilité : ce n’est pas un bouquin qui changera le monde, mais si ça peut redonner l’espoir de pouvoir le changer à quelques personnes, ce sera déjà génial.
Du coup, l’exercice du roman, tu as trouvé ça comment ?
J’ai adoré. J’ai pris énormément de plaisir à l’écrire (et aussi – je sais que ça ne se dit pas, mais bon – à le relire). J’ai hâte de commencer le deuxième, mais pour l’instant, j’enchaîne l’écriture de petits synopsis et j’ai encore du mal à me décider sur lequel utiliser comme base pour mon prochain roman… comme on parle d’exercice d’écriture qui s’étale sur plusieurs mois, il faut que ce soit un truc qui m’accroche, me motive et ne me lâche pas au bout de deux semaines (j’ai déjà fait cette mauvaise expérience plusieurs fois, alors que pour Working Class Heroic Fantasy, j’ai gardé la flamme de A à Z).
Ce qui est fabuleux, c’est de pouvoir raconter à peu près n’importe quoi sans être bloqué par la forme. D’habitude, je fais des BD. Et comme je ne sais pas dessiner (vous n’aviez même pas fait gaffe ?), je suis énormément bloqué dans la forme : je peux avoir envie de dessiner une scène de combat épique avec un attroupement d’elfes syndicalistes face à des milices orquogobelinesques, mais le fait est que j’en suis incapable. Alors que dans un roman, il suffit de l’écrire… même s’il est toujours possible de l’écrire plus ou moins bien. 😉
Tu es parti d’un plan ou bille en tête sans réfléchir ?
J’avais ma situation initiale, mes personnages principaux et je savais où je voulais arriver à la fin du bouquin, mais c’est tout. J’ai déjà eu plusieurs tentatives infructueuses d’écriture de roman où je m’étais enfermé dans un plan et où, en fait, ça m’avait bloqué. Donc je suis parti dans l’idée que c’était une aventure, et qu’il était aussi bien que je la découvre avec mes personnages.
Bon, en vérité, après quelques chapitres, il y a malgré tout un plan qui s’est dessiné dans ma tête, des idées de scènes que je voulais pouvoir faire, etc. Mais c’est resté assez mouvant. D’ailleurs, petite anecdote : j’ai géré mon dossier de travail avec Git et je peux donc facilement revoir les versions précédentes. Eh bien je viens de regarder, et le synopsis de départ est quand même sensiblement différent de ce que l’histoire raconte dans sa version finale. Comme quoi, rien n’est figé…
On n’a pas vérifié, mais il se pourrait bien que tu sois le plus prolifique des auteurs Framabook. Tu as un message à faire passer ? ^^
Mon plan secret est d’annexer les éditions Framabook et d’en faire des Geebook, mais ne leur dites surtout pas, ils ne s’en sont pas encore rendu compte. Je les attaque par tous les fronts, aventures BD de 44 pages au format A4, recueils de strips au format A5, maintenant roman… j’ai plus qu’à leur faire un manuel, genre « Écrire des scripts Ruby dégueulasses en 10 leçons », et ils seront bien feintés.
À part nous, tu aimerais être interviewé par qui ? Allez, fais un vœu.
Oh, c’est pas courant, comme question, ça.
Mmh, je dirais par les gens de la chaîne Thinkerview. J’aime beaucoup ce qu’ils font : l’interviewer pose des questions pertinentes, sans détour, et les invités ont tout leur temps pour répondre, sans être contraints par un format millimétré comme à la télé ou à la radio en général (même si l’intervieweur a parfois tendance à un peu trop couper la parole). Après, j’aurais du mal à voir pourquoi ils iraient m’interviewer moi. 😀
Comment réparer les médias sociaux (et faire encore mieux)
Le récent scandale Cambridge Analytica semble avoir brièvement remis au goût du jour la question du siphonnage de données par les médias sociaux. Il est bon de se rappeler que la collecte de données n’est pas une simple pratique de Facebook, mais bien leur modèle économique : que cette entreprise – parmi les plus cotées en bourse au monde – n’existe qu’en se nourrissant de nos Likes, photos et autres interactions sociales.
Vol de données privées, manipulation de masse, matraquage publicitaire, exploitation de nos faiblesses psychologiques, … il y a beaucoup à dire sur les pratiques néfastesdes médias sociaux centralisés. Mais aujourd’hui tournons-nous vers une solution et découvrons ensemble un moyen de lutter contre ces derniers avec des alternatives plus éthiques. Non, mieux : une fédération d’alternatives plus éthiques.
Nos ancêtres les Gaulois ?
L’an dernier, nous annoncions vouloir tourner la page de Dégooglisons Internet, avec laquelle se tourne aussi la métaphore des camps gaulois libres qui luttent contre l’invasion romaine propriétaire.
Ce que nous avons omis de préciser, c’est que n’en déplaise à Goscinny, l’histoire ne s’est pas réellement passée comme nous avons l’habitude de la lire dans ses albums. Ce que nous appelons les gaulois est en réalité un terme un peu générique inventé par les romains pour désigner les nombreux petits peuples qui vivaient en Gaule.
Même s’il pouvait y avoir quelques alliances entre plusieurs peuples, en aucun cas tous ces villages gaulois étaient unis pour former un seul grand peuple gaulois. Ces derniers étaient bien indépendants : ils se faisaient beaucoup la guerre entre eux et parlaient leurs propres patois locaux.
Maintenant imaginez que vous êtes un peuple gaulois vivant à cette époque : vous voyez débarquer la grande armée romaine, qui envahit un à un d’autres villages gaulois. Bon, vous n’avez pas spécialement beaucoup d’affinités, mais on peut quand même vous trouver une petite larme à l’œil, ne serait-ce que parce que les Romains ne respectent pas vos principes.
Comment faire, donc, pour que ces braves Gaulois continuent paisiblement leurs bagarres de poissonniers et leurs concours de moustache ? Peut-être essayer d’améliorer l’entente entre ces différents peuples. Hmm, mais ce n’est pas si évident, les peuples gaulois parlent chacun leur propre patois, la barrière de la langue pose rapidement un gros frein à tout arrangement.
Les libristes, ces grands relous
Vous l’aurez compris, les logiciels libres sont comparables à un ensemble de villages gaulois : bien sûr, beaucoup souhaitent lutter contre l’invasion de Google, Apple et autres GAFAM, mais ils veulent toutefois garder une certaine indépendance : il n’y a qu’à regarder le nombre de distributions Linux pour se rendre compte de la diversité qu’apporte la possibilité de modifier à loisir un système.
On pourrait penser que c’est bien dommage, que tous ces libristes feraient mieux d’unir leurs forces pour lutter ensemble contre leurs ennemis communs au lieu de se diviser ainsi. Mais ce serait mettre fin à ce qui motive justement cette soif de créer des projets libres : la possibilité de pouvoir les modifier et les partager librement.
Au contraire, on se contente d’être fiers de voir autant de diversité dans les logiciels libres, comme on peut aujourd’hui être amusé à l’idée de savoir que nous sommes les descendants d’une grande diversité de peuples de la Gaule et non pas d’un seul grand peuple gaulois.
L’effet de réseau
En somme, le meilleur moyen de lutter contre la centralisation d’Internet dans d’immenses silos à données que sont les GAFAM, serait de faire des silos plus petits. On a en tête le projet Chatons : ce collectif d’hébergeurs indépendants, qui proposent des services – les mêmes qu’on trouve chez Framasoft, pour la plupart – alternatifs à ceux fournis gracieusement par Google et consorts (dans ce dernier cas, c’est en échange de quelques informations personnelles et d’un peu de temps de cerveau disponible, hein, rien de méchant).
Pour certains logiciels comme Framadate ou Framapad, qui remplacent rapidement leurs équivalents propriétaires, c’est plutôt facile : on peut même choisir encore d’autresalternatives selon nos préférences. C’est surtout de nouvelles habitudes à prendre, mais rien de vraiment bloquant.
En revanche, pour les logiciels qui permettent aux gens de communiquer ensemble, notamment les médias sociaux (qu’on appelle à tort les réseaux sociaux – parce que oui, le réseau, c’est vos amis 😉 ), c’est plus compliqué.
Par exemple il est bien difficile de remplacer Facebook par son équivalent libre, car la plupart des gens sont sur Facebook : il faudra donc les convaincre de franchir le pas, ce qu’ils hésiteront à faire car… il n’y a pas assez de monde, et qu’il faudrait aussi convaincre les amis de vos amis et ainsi de suite. Ah, et avant que vous ne posiez la question : oui, c’est compliqué de dire à 2 milliards d’utilisateurs : « allez à trois on s’en va tous pour aller sur telle autre plateforme, vous êtes prêts ? ».
Ce problème s’appelle l’effet de réseau. C’est le principal problème des alternatives libres aux sites impliquant des interactions sociales et il n’est pas spécifique aux médias sociaux : par exemple le projet Covoiturage Libre, malgré ses valeurs éthiques, peine à se développer face au monopôle de son équivalent propriétaire.
Dans le monde du libre, l’effet de réseau est empiré par le fait qu’il y a souvent plusieurs alternatives et que, comme nous l’avons vu, les logiciels libres sont des villages gaulois : un peu divisés, ils aiment leur indépendance et leurs spécificités.
Cela ne facilite pas la tâche à un éventuel romain qui voudrait tout plaquer pour élever des chèvres en Gaule : quel village choisir ?
Et si on parlait la même langue, ça n’irait pas mieux ?
La communication est la clé d’une bonne entente entre peuples : une solution pour assurer la pérennité de nos villages gaulois serait de les aider à mieux communiquer entre eux. Autrement dit, de se mettre d’accord sur une langue qui serait comprise par tous les peuples gaulois, une sorte d’Espéranto visant à améliorer la communication. Ce qui bien sur, ne les empêche pas de parler leur patois quand ils sont entre eux.
Le fait de définir un langage commun permet donc aux petits villages d’échanger ensemble tout en gardant leur indépendance. Ils deviennent une sorte de fédération de peuples indépendants : ils ont chacun leurs us et coutumes, mais se comprennent bien, ce qui par exemple peut faire avancer le commerce et créer une sorte de synergie gauloise qui les rend d’une certaine manière plus unis pour repousser l’invasion romaine.
Bon, on ne va pas vous mentir, l’idée d’une langue fédératrice pour les médias sociaux ne date pas d’hier. Il y en avait déjà plusieurs depuis de nombreuses années, on peut donc relativiser sur le fait qu’une nouvelle venue arrive pour tout arranger.
Un langage pour les fédérer tous …
Le nouvel Espéranto des logiciels libres se nomme ActivityPub : c’est une nouvelle langue pour mettre d’accord les médias sociaux alternatifs.
La très bonne nouvelle c’est qu’il y a quelques mois, ActivityPub a été validé par le W3C. Le W3C, c’est l’équivalent de l’Académie Française pour le web : à l’instar de celle-ci, dont le but est d’uniformiser la langue de Molière en établissant certaines normes, le W3C valide quels sont les mots que les langages d’Internet devraient utiliser.
Rien ne nous oblige bien sûr à respecter cette convention si l’on préfère notre patois local, mais le fait de valider un langage permet aux villages – notamment les nouveaux venus – de moins se poser de questions sur le choix de la langue à utiliser pour se comprendre.
Par exemple, le logiciel Mastodon est une alternative à Twitter basée sur ActivityPub. Comme nous aimons décentraliser Internet, il y a plusieurs villages Mastodon un peu partout, qui communiquent entre eux. L’utilisateur du village Framapiaf peut échanger avec son cousin vivant dans le village Mamot, sans que ce dernier ne s’aperçoive qu’il est en train de parler à un lointain voisin.
… et dans les internets les lier.
Là où cela devient intéressant, c’est que Mastodon est un logiciel libre et donc que chaque village Mastodon peut l’adapter à ses besoins :
– chaque village a son propre jeu d’emojis personnalisés ;
– le village Framapiaf a donné un coup de peinture sur l’interface ;
– d’autres villages ont fait leur petite cuisine interne en repoussant par exemple la limite des 500 caractères par message, car ils la trouvaient trop contraignante.
Aucun problème : quelles que soient ces personnalisations, tout le monde continuera de communiquer à travers les villages, car ils parlent toujours la même langue, ActivityPub.
Le fait d’utiliser un média social basé sur le principe de fédération vous rend libre. Si le village Mastodon sur lequel vous vous trouvez change un jour ses conditions d’utilisation, vous être libre de déménager dans un autre village qui vous correspond mieux.
Mieux : si un jour le logiciel Mastodon ne respecte plus du tout les utilisateurs, il y a fort à parier que des défenseurs du libre reprendront le logiciel et en feront une autre version (cela s’appelle un fork) et que petit à petit, les villages migrent vers cette nouvelle version plus respectueuse, sans que les utilisateurs soient fortement impactés. Cela nous permet de revenir aux valeurs essentielles du libre : c’est l’utilisateur qui a contrôle sur le logiciel, et non l’inverse.
D’ailleurs, quelqu’un pourrait se dire un jour que l’interface de Mastodon est trop compliquée et décide d’en faire une totalement différente, plus proche de celle de Twitter. Ce n’est pas grave. Il n’y a pas tout à refaire, toute une base d’utilisateurs à reprendre. C’est juste des villages un peu différents qui apparaissent et avec qui on continuera de communiquer. Cela peut même faciliter l’adoption d’ActivityPub par le grand public : si une personne n’aime pas Mastodon, on peut lui présenter un tout autre logiciel qui lui convient mieux et permettra de communiquer avec les mêmes personnes.
Là où cela devient très, très intéressant, c’est qu’en fait les villages peuvent être complètement différents et avoir leurs propres spécialités. Revenons à nos Gaulois : on peut supposer que les villages proches des côtes vivent de la pêche et fassent du commerce de poisson entre eux, tandis que ceux vivant dans les montagnes soient davantage occupés par l’élevage de chèvres et le commerce de fromages.
Notre Espéranto permet à notre village de pêcheurs de Bordeaux de se fédérer à un village savoyard pour récupérer du Beaufort en échange de poissons, pour le transmettre à d’autres pêcheurs Bretons, tandis qu’ils profitent du vin venant d’un autre village voisin.
De la même manière, Mastodon peut communiquer avec d’autres logiciels fédérés mais complètement différents : par exemple FramaTube, l’alternative à Youtube. Il vous est alors possible d’être notifié des nouvelles vidéos qui sortiront sur cette plateforme et même de répondre aux commentaires d’une vidéo depuis Mastodon et inversement. Idem si vous mettez une vidéo en favori sur Mastodon, cela apparaîtra sur PeerTube (vous pouvez retrouver cet exemple sur cette démonstration).
La genèse d’une diversité numérique
ActivityPub va probablement faire beaucoup de bien à Internet. De nombreuses alternatives fédérées vont sortir prochainement. En tendant un peu l’oreille, on peut déjà entendre parler de blogs fédérés ou d’alternatives à Instagram ou Deezer, basées sur ActivityPub.
Cela va amener un peu de diversité dans notre paysage numérique : diversité qui ne peut pas, par essence, se retrouver dans les services centralisés, car ces derniers parlent leurs propres langues. Vous ne pourrez jamais lire et partager des Tweets depuis Facebook, ou bien répondre à un commentaire Youtube depuis Instagram. Avec la fédération, cela devient possible et cela donne à ActivityPub un avantage compétitif face aux médias sociaux propriétaires.
Ce qui est bien, c’est que cela ne concerne pas seulement les personnes soucieuses de l’usage qui est fait de leurs données personnelles : les moldus du libre pourront trouver en ActivityPub un outil avant tout pratique. Les technophiles apprécieront la possibilité d’interconnecter toutes leurs plateformes numériques entre elles. Ceux qui trouvent que leurs médias sociaux sont monotones aimeront amener un peu de diversité à leurs fils d’actualité. Les blogueurs trouveraient intéressant le fait de permettre à leurs lecteurs de recevoir et commenter un article très facilement via leurs média social favoris.
C’est également le cas du côté des développeurs d’application, qui trouveront en ActivityPub un moyen d’atteindre très rapidement un grand nombre d’utilisateurs. En effet la fédération est un formidable terrain d’expérimentation : si quelqu’un a une bonne idée, il peut la développer en la connectant à la fédération.
Supposons par exemple que vous vous lanciez dans le développement d’un site de partage de recettes de cuisine fédéré. Vous en parlez à vos amis, dont certains sont déjà sur Mastodon. Comme tous aiment bien l’idée, ils s’abonnent à votre site depuis Mastodon pour être notifiés de vos meilleures recettes. Lorsqu’ils recevront votre dernier clafoutis aux fraises, ils pourront le partager directement à tous leurs abonnés, lesquels seront intrigués par ce nouveau village récemment apparu dans la fédération, et pourront s’abonner à leur tour. 😉
En utilisant ActivityPub, nous participons à cette prise de conscience globale dans laquelle nous découvrons tous le point faible de ces silos à données : étant centralisés, ils sont vulnérables face à la fédération. Si nous arrivons à promouvoir suffisamment ces alternatives au grand public, nous pouvons amener ces plateformes centralisées à se confronter à un combat qui leur est perdu d’avance.
En utilisant ActivityPub, vous faites un pied-de-nez à tous ces soi-disant réseaux sociaux proclamant vouloir réunir les gens… mais dans un système cloisonné. Vous les laissez au profit d’alternatives qui ont pu voir le jour parce qu’elles ont réussi, elles, à se réunir, à se fédérer les unes aux autres.
Pour résumer
1. ActivityPub est un Espéranto qui permet aux médias sociaux alternatifs de se comprendre entre eux (se fédérer) ;
2. cela permet à deux utilisateurs de se suivre l’un et l’autre, même s’ils habitent dans des villages différents (qu’on appelle instances) ;
3. ça fonctionne bien même s’ils sont totalement différents : le village de pêcheurs peut échanger avec le village de fromagers (comme si depuis Facebook on pouvait liker un tweet) ;
4. tous ces échanges entre villages s’appellent la fédération et de nouveaux logiciels peuvent la rejoindre n’importe quand (et ça va être très cool).
Envie d’essayer maintenant ?
Vous voulez être les pionniers de cette nouvelle ère numérique qu’est la fédération ? Libre à vous de choisir votre village. Pour commencer, nous vous conseillons ceux sous la bannière Mastodon (qui a fêté son 1er anniversaire il y a quelques mois), car le logiciel est bien abouti.
Vous trouverez sur le site Join Mastodon d’autres explications sur son fonctionnement, ainsi que la liste des villages disponibles (et nous laissons bien sûr la porte de notre propre village ouverte aux nouveaux venus). 😉
How standards proliferate ? : XKCD – Randall Monroe
Vous allez vous fédérer les uns les autres ? : Jesus II Le Retour – Les inconnus
les autres : Wikipédia et sites officiels.
21 degrés de liberté – 18
Nos conversations dans la bulle privée de l’intimité familiale ne semblent plus vraiment à l’abri de l’espionnage par les objets dont nous acceptons de nous entourer.
Voici déjà le 18e article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois aborde ici l’espionnage à domicile auquel nous consentons.
Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.
Avant l’arrivée du numérique, nos parents avaient des conversations privées
Nos parents, au moins dans le monde occidental, avaient le droit d’avoir des conversations privées en personne, que ce soit dans la bulle privée de leur maison ou en public. Cette liberté a disparu pour nos enfants.
Il n’y a pas si longtemps, c’est dans les livres et les films d’horreur que la surveillance généralisée de vos paroles dans votre propre maison apparaissait. Pour nos parents, il s’agissait d’histoires terrifiantes dignes d’Halloween, qui provoquaient des réactions où se mêlaient l’horreur et la plus grande incrédulité.
« Il n’existait bien sûr aucun moyen de savoir si on était surveillé à un moment donné. On pouvait uniquement deviner à quelle fréquence et sur quel système la Police de la pensée espionnait tout individu. Il était même plausible qu’elle écoutait tout le monde, tout le temps. De toutes façons, elle pouvait vous écouter lorsqu’elle le voulait. On devait vivre – on vivait, l’habitude étant devenue un instinct – en partant du principe que chaque son que l’on émettait était entendu. » George Orwell, 1984
Dans le monde occidental, nous nous vantions de ne pas être comme l’Est communiste qui considérait ses propres citoyens comme des suspects, des suspects qui devaient être purifiés des mauvaises pensées et conversations, au point que les conversations banales dans les maisons ordinaires étaient sur écoute.
Des microphones étaient placés sous chaque table de café et dans chaque maison. Et même s’il n’y en avait pas vraiment partout, mais juste quelques-uns par-ci, par-là, ils étaient potentiellement partout et on devait donc vivre avec (on vivait avec, l’habitude étant devenue un instinct) en partant du principe que chaque son que l’on émettait était entendu.
« Veuillez parler fort et clairement face au pot de fleurs. » disait une blague pas drôle courante dans les sociétés communistes pendant le guerre froide.
Tirons un trait sur les appels téléphoniques et les autres moyens de conversation à distance pour le moment, puisque nous savons déjà que la plupart des principales plateformes sont mises sur écoute. Intéressons-nous aux conversations à la maison.
Nous avons maintenant des Google Echo et Alexa d’Amazon. Bien que ces objets aient pu être conçus pour garder nos conversations secrètes et hors de portée des autorités, il s’avère qu’Amazon a déjà livré aux autorités des enregistrements effectués dans des salles à manger. Dans le cas en question, la permission est devenue une question controversée puisque le suspect l’avait déjà donnée. La prochaine fois, peut-être que les choses se feront même si l’intéressé ne donne pas sa permission…
Les téléphones mobiles nous écoutent d’ores et déjà en permanence. Nous le savons car lorsque nous disons « OK Google » à un téléphone Android, il sort de veille et se met à écouter plus attentivement. Cela signifie qu’au minimum, le téléphone reste toujours à l’écoute des mots « OK Google« . Les iPhone ont un mécanisme similaire avec « Hey Siri« . Même s’il est théoriquement possible de désactiver ces options, c’est une de ces choses dont n’est jamais vraiment sûr. Et nous transportons ces appareils de surveillance gouvernementale dans nos poches partout où nous allons.
Si les documents révélés par Snowden nous ont appris quelque chose, c’est que si une forme de surveillance est techniquement possible, elle est déjà mise en application quelque part.
Et même si Google et Apple ne nous mettent pas eux-mêmes sur écoute, c’est la police allemande qui s’autorise à pénétrer dans les téléphones et y installer Bundestrojaner, l’équivalent du pot de fleurs pour cacher un micro. On pourrait penser que l’Allemagne en particulier se souvient de son histoire récente et se rend compte qu’il s’agit là d’une mauvaise idée. Mais elle le fait sans doute, en toute logique, parce que les forces de police d’autres pays utilisent déjà ce type d’outils.
Pour nos parents, le concept de conversation privée était aussi naturel que l’oxygène dans l’air. Nos enfants, à l’ère du numérique, pourraient ne jamais connaître ce sentiment.
Et c’est ainsi que nous vivons aujourd’hui, ce qui était au début une habitude est devenue instinctif au fil du temps, et nous acceptons l’idée que chaque son que nous émettons est entendu par les autorités.
La vie privée demeure de votre responsabilité.
21 degrés de liberté – 17
Journaux intimes et courriers privés ont longtemps été considérés comme littéralement sacrés, inviolables pour tout le monde. Qu’en est-il aujourd’hui quand nos vies intimes s’expriment sur des supports numériques ?
Voici déjà le 17e article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois aborde une fois de plus la restriction de notre bulle privée à l’ère numérique.
Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.
Pour nos parents du monde analogique, un journal intime ou une lettre personnelle pouvait rarement être saisie par les autorités, pas même lors d’une perquisition par les forces de l’ordre à la recherche de preuves d’un délit. Ce genre d’objets bénéficiait d’une protection en sus du droit constitutionnel à la vie privée. Pour nos enfants du monde numérique, en revanche, les équivalents de journaux intimes et lettres ne sont même pas considérés comme dignes d’une protection constitutionnelles fondamentales .
Dans la plupart des juridictions, il existe un droit constitutionnel à la vie privée. Dans ces pays, les forces de l’ordre ne peuvent se permettre de débarquer et de lire les mails d’une personne, mettre ses appels téléphoniques sur écoute, ou pister son adresse IP. Il leur faut d’abord une ordonnance d’un tribunal, basée sur des preuves concrètes d’un crime grave : la règle générale est que vous avez le droit à la vie privée, et les violations de cette règle sont des exceptions, et non la norme.
Et pourtant, il existe généralement un niveau de protection supplémentaire : même lorsque les autorités obtiennent la permission d’un juge de violer l’intimité d’une personne sous la forme d’un mandat de perquisition de son domicile personnel, certains objets ne peuvent être saisis à moins d’obtenir des autorisations spécifiques supplémentaires, accordées par le même type de juge. Cette catégorie d’objets comprend les objets personnels les plus privés : les lettres privées, les journaux intimes, etc.
Bien sûr, cela est vrai uniquement dans le monde analogique de nos parents. Bien que la lettre de la loi soit la même, cette protection ne s’applique pas du tout au monde numérique de nos enfants, à leurs journaux et lettres intimes.
Parce que les journaux intimes modernes sont conservés sur ordinateur. Si ce n’est sur un ordinateur de bureau, alors c’est sur un ordinateur mobile de poche – que nous appelons « téléphone » pour des raisons historiques, mais qui est en réalité un ordinateur de poche.
Et les ordinateurs sont des outils de travail, dans le monde analogique de nos parents. Il y a de nombreux cas de jurisprudence, qui définissent toutes formes de dispositifs électroniques comme des outils de travail, datant de l’époque du monde analogique, et les forces de l’ordre ont allégrement recours à ces derniers, alors même qu’aujourd’hui nos outils numériques contiennent nos journaux intimes, lettres personnelles, et d’autres choses bien plus privées que ce qu’un journal intime analogique a jamais pu contenir.
Oui : alors que les journaux intimes de vos parents étaient sous haute protection de la loi, ceux de vos enfants – pas moins personnels à leurs yeux, que ceux de vos parents étaient aux leurs – sont autant protégés contre les fouilles et les saisies qu’une banale clé à molette dans un quelconque atelier.
Alors la question c’est : comment sommes-nous passés du point A au point B ? Pourquoi la police, qui sait qu’elle n’a pas le droit de toucher à un journal intime classique lors d’une perquisition, se saisit-elle immédiatement des téléphones, qui jouent exactement le même rôle pour nos enfants ?
La réponse courte est « parce qu’ils le peuvent ». Aussi, parce que « personne n’a tapé du poing sur la table », si l’on veut y voir une leçon quant à la nécessaire action citoyenne.
Parce que certaines personnes ont vu un intérêt politique à court terme à « sévir contre la criminalité » et ont, au passage, totalement ignoré des droits durement acquis.