Miroir de Valem : un projet artistique, libre et solidaire
Valem est sculpteur et aime capter les portraits dans leurs scènes de vie. Durant ses voyages au Sénégal, elle a été touchée par La Teranga, terme wolof qui conjugue les valeurs d’hospitalité, de partage et de solidarité des Sénégalais. Elle a donc réalisé de nombreux dessins inspirés de ces voyages et a créé un dispositif solidaire pour venir en aide aux familles en situations précaires. Framasoft communique cet article, car ce projet regroupe les valeurs libristes, artistiques et solidaires que nous tenons à partager.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Le Miroir de Valem est un dispositif physique d’art numérique libre, solidaire, open-source, low-tech, interactif, contributif et évolutif.
Le concept est que ce miroir puisse renvoyer au spectateur son propre reflet composé, en une « mosaïque d’images », de portraits dessinés en noir et blanc d’après des souvenirs de voyages (environ une centaine réalisés à ce jour et d’autres encore à venir). L’enjeu de l’œuvre est avant tout d’aider les populations qui ont inspiré les dessins constituant les reflets en leur reversant les potentielles recettes générées (également grâce à la cagnotte en ligne).
« Votre reflet n’est pas un simple « selfie », mais plutôt un « altrie ». En reconstituant votre image à partir de portraits de personnes vivant dans une autre partie du monde, le Miroir tisse des liens entre les cultures et les individus pour dessiner une humanité à la fois plurielle et unie. »
Un groupe de 5 étudiants de l’UTC (Université de Technologie de Compiègne) a aidé l’artiste Valem sur le plan technique pour réaliser ce projet, notamment 2 étudiants en Génie Informatique, 1 en Mécanique et Design Produit et 2 en Design d’interface.
Ce dispositif a été mis au point de la manière suivante :
- le châssis en bois a été fabriqué par un ébéniste (de l’Atelier des Bois Pérennes) sur la base des plans réalisés par les étudiants ;
- ils ont créé l’application mobile et amélioré le logiciel libre Pixelize afin de pouvoir restituer une photo en mosaïque ;
- ils ont également placé un écran d’ordinateur derrière un miroir sans tain ;
- puis une tablette et un Raspberry Pi pour l’interface UX d’interaction.
Un autre groupe de 4 étudiants en gestion de projets a pu aider dans l’élaboration du projet. Ils se sont notamment occupés de la création de l’association Miroir de Valem, des statuts et donc des aspects juridiques, de la communication, de l’organisation économique et des voyages au Sénégal. L’association Miroir de Valem a pour mission de :
- promouvoir cette forme de création artistique et les valeurs associées ;
- apporter une aide financière aux familles sénégalaises qui l’ont inspirée.
De plus, en janvier 2020, 2 étudiants en Génie Informatique les ont rejoints à plein temps pour terminer les logiciels embarqués dans le miroir, sur une tablette Android et un Raspberry Pi. La tablette héberge une application qui permet à l’utilisateur·ice de communiquer avec le miroir. Elle communique elle-même avec le Raspberry qui est en charge de transformer la photo originale en reflet et de l’afficher sur le miroir.
Pour Valem, le but du projet est d’avoir une double transmission des connaissances : elle dispose de compétences artistiques et de l’ouverture à la culture sénégalaise ; les étudiants ont les savoir-faire techniques qui lui manquaient pour la réalisation du dispositif et la communication. Le projet a été riche d’échanges et de partages de notions pour tous ces acteurs. Certains d’entre eux ont eu le privilège d’être accueillis dans une famille (d’environ 30 personnes) pendant une ou plusieurs semaines. Le but du projet est donc de partir de ce point d’ancrage, donc de cette famille, pour ensuite aider d’autres familles et le quartier entier. En effet, suite à la pandémie du Covid-19, le Sénégal a été très impacté économiquement car deux de ses principales sources de revenus sont le tourisme et la pêche. Afin de mieux répondre aux besoins de cette population qui a une façon de vivre et des besoins différents des nôtres, l’association bénéficie d’un contact de confiance sur place, afin de définir au mieux quelles solutions leur proposer.
Quelle est la dimension libriste de ce projet ?
Vous pouvez copier, utiliser, partager et diffuser les dessins, le dispositif physique, les logiciels et les contenus du site web selon les droits qui vous sont accordés par leurs licences libres (voir page Crédits du site web du Miroir de Valem). Le but est que chacun·e se serve du dispositif, partage les images comme il ou elle le souhaite. Les plans du châssis en bois, le code source de l’application, les réglages du Raspberry Pi ainsi que l’application à installer sur celui-ci sont disponibles sur Framagit. Le but est de pouvoir proposer des améliorations ou même, si l’on est artiste soi-même, de pouvoir réaliser un projet comparable avec ses propres œuvres, toujours dans un but de solidarité envers les plus démunis.
Où les rencontrer ?
À l’exposition Art Up programmée (et reportée) en février 2021 à Lille (salon d’art international) afin de confronter le Miroir à un public qui vient à la rencontre/découverte des artistes, mais qui est possiblement peu sensibilisé à la culture libre.
Aux Journées Des Logiciels Libres de Lyon reportées également en avril 2021. Cette fois, c’est pour toucher un public libriste averti (ou cherchant à se sensibiliser), mais qui ne s’attend pas forcément à ce que les valeurs du libre animent un projet artistique.
Ensuite, de belles rencontres sont envisagées : comme celle de travailler avec l’ambassade du Sénégal et des villes jumelées avec des villes sénégalaises afin d’organiser des événements plus généraux ou ouverts à tous types de public, comme une fête locale.
Enfin, le projet sera présenté à la Fête de la Science de l’UTC en octobre, à un public jeune qui n’est pas forcément sensible a priori à l’art ni au libre au départ.
Ce projet permet d’aborder plusieurs concepts pouvant être mobilisés pour la construction de sociétés soutenables : la solidarité, la création collective, l’approche low-tech, la culture libre, l’économie du don, les équilibres Nord/Sud, etc. Pour transformer la société au regard des enjeux environnementaux auxquels on fait déjà face, soutenez le Miroir de Valem.
Our plans for PeerTube v3 : progressive fundraising, live streaming coming next fall
Today, we are publishing the roadmap for the next six months of PeerTube’s development. With your help, we want to continue improving on this software that allows individuals, structures and collectives to emancipate from YouTube’s chokehold and regain power over how their videos are hosted.
Creating the world after with PeerTube
From YouTube channels to Facebook lives, as well as Amazon-Twitch, Instagram, Snapchat and Tiktok videos, the web giants’ tools are made with the same political ideology in mind : surveillance capitalism. Their goal is simple : get your attention in to study your behaviors, file them and improve their targeted advertising. Their method is effective : offering as much software comfort and immediate gratification as possible, in order to make you abandon your control over your tool, so that they can invade and fill your available human brain time.
As such, these tools are perfectly adapted for people who have no issue with a society based on over-consumption, and who trust multi-billionaire companies (and therefore the « market ») to decide what will or will not be shown on our screens (like with Tiktok, which moderates the videos and accounts of users they deem too ugly, fat or poor).
At Framasoft, we’re on the other side, the one that wants to see a contribution-based society arise.
The pandemic we are currently going through has been a good opportunity for us to question what we are doing and what we want to do : we thought about our role in this vaunted « world after ». More than ever, we believe that our place is close to those people who make efforts and contribute to a more human, more resilient and more respectful society. And we believe that PeerTube is a tool that can be of use to the people who defend this vision of society.
Because it is free and federated, and as such efforts have to be made to share power and responsibilities, because it democratizes online video hosting, because it empowers academies and allows previously marginalized communities to show themselves and exist… We are convinced that PeerTube is a tool that we must strengthen so that it can even better serve those who participate in this contribution society.
The « Roadmap » shows up on JoinPeertube.org
We just released a roadmap describing our intentions for the next six months of PeerTube’s development, which will lead to its third version, a « v3 ». These six months will be split between 4 steps, and each step will focus on a specific part of PeerTube. The idea behind this v3 really is to strengthen what’s already there, based on the feedback we got from instance hosters, video creators and viewers.
We are aware that searching for videos on a PeerTube instance can be frustrating for viewers who just want to get access to content without having to wonder who’s federated with who. For the first step of this roadmap, we will create a globalized video index to make it easier to search for content throughout the whole federation. This index will be made so that it can be easily reproduced and configured so that anyone can offer their own index, with its own eligibility rules. We hope to see indexes with no adult content, others with only content from instances dedicated to videogames, and so on.
If each version of PeerTube has brought its share of moderation tools, we are aware that those features are essential for the teams that administer instances, manage their federation bubble and moderate the content hosted there. For the 2nd step of development, we will dedicate a month to developing and improving moderation tools. From reports monitoring to fighting spam, without forgetting moderation history : our list is already quite full and we will prioritize it depending on the feedback we got.
During the third step of the roadmap, we want to improve on the ergonomy and display of Peertube’s video playlists. The goal is to allow video creators to more easily embed playlists into their websites as well as their social media threads.
In addition, we want to make it easier to contribute to PeerTube’s code. To this end, we will improve the plugins system that allows for the addition of new features to PeerTube without having to access the code itself. We want to create a video annotation tool by ourselves. This will allow us to better understand how to facilitate and highlight the work made by those who contribute to PeerTube by creating plugins.
PeerTube v3 : going live !
The 4th and final step of this roadmap will be dedicated to the development of a new, highly anticipated feature : live peer-to-peer video streaming. We ran some tests, we know that this is a big undertaking, but we are confident that we can do it.
But be careful, with a single full-time developer on this project, we will not program the « twitch-killer » that’s as fun as « insta lives » in just two months. If you were expecting live chat modules, funny animated gifs when Karen42 makes a donation or hearts and thumbs ups popping up all over your screen, you’re going to be very disappointed!
It is now a matter of laying the foundations for live peer-to-peer streaming. By using the « HLS » video player implemented in PeerTube version 1.3, we believe we can have live streaming with one minute of difference (or 30 seconds in optimal cases) between the video creator and the viewers. In return for this slight delay, the stream load will be able to be shared between all the devices that will be displaying the stream.
As such, this first implementation of PeerTube live streaming will be minimalist, and will probably require some effort (such as using the free software OBS to capture your audio and video streams). Nevertheless, this would be the beginning of a revolutionary tool : no need for Amazon-Twitch’s huge datacenters to stream live videos to a large amount of people, peer-to-peer will let us democratize live stream hosting!
On top of those 4 steps of development, all throughout those six months, we intend to do in-depth work regarding PeerTube’s user experience. We have chosen not to announce anything specific on this subject, to let those who will work on these matters all the freedom they need to improve PeerTube in the way they deem the most relevant.
Progressive fundraising for no-condition development
Before the pandemic, we considered starting a crowdfunding to get the € 60,000 we need for those 6 months of work dedicated to PeerTube v3. Today, as France is getting out of quarantine and as we can barely fathom the awful human and material consequences this crisis will have for many people, this does not seem appropriate to us.
However, PeerTube v3 seems even more important to us when we imagine a world where we might need to stay at home, broadcast live classes and conferences remotely, or stream an event live. We feel like we need to develop it, that we have to. Imposing a condition stating « if we do not get our 60,000€, then there will not be a v3 » here, would be a lie, marketing manipulation : this is not the kind of relation we want to maintain with you.
Nevertheless, we will still need to find those 60,000€. Here at Framasoft, we commit to developping PeerTube v3, even if we need to take money from the donations made to the association to support all the projects we undertake, and therefore from our 2020 budget.
At the same time, we have placed a donation button dedicated to the PeerTube project on the roadmap’s page, as well as a bar indicating where we are regarding the funds for this project. This is far less exciting than the stretch goals and the countdown of traditional crowdfundings, where people are incited to donate before a deadline, so that they do not forget and move on to something else…
Yet this is also much closer to our reality : we will make improvements, because we believe that this tool is a necessary one. This is why we are willing to take the risk to put a bad strain on our 2020 budget. We know that we can trust you to contribute to funding PeerTube if you share our enthusiasm and if you have the means for it.
Get further away from marketing, get closer to you
Off we go towards six months of development. On the Framablog, we will share our progress on the various steps of development as well as the finances when we will publish PeerTube’s v3, planned for November 2020. Until then, if you want to follow each step of the development, you can subscribe to the PeerTube newsletter (sent in French and in English), whose information is archived on the news page on JoinPeertube.org, and relayed by JoinPeertube’s Mastodon and Twitter accounts.
« Another » world cannot be built using surveillance capitalism’s tools.
Making it easier to access content, sharing power and responsibilities, opening up to contributions, generalizing live broadcasting thanks to peer-to-peer… PeerTube’s v3 aims to consolidate it as an alternative to Google-Youtube and Facebook-Live that is more and more convivial.
A case of force majeure has encouraged us to go even further away from traditional marketing ploys regarding fundraising : in concrete terms, our 2020 budget is in your hands. More than ever, we will need your help to actively follow and share this roadmap, make it known around you and outside of the French-speaking world.
In the end, we have decided to believe in PeerTube and to believe in you.
To go further
- Discover PeerTube’s v3 roadmap
- Support PeerTube’s development
- Follow PeerTube’s news:
- The Newsletter
- On Mastodon
- On Twitter
- Talk about PeerTube on our forum
- Share this post in French
Nos plans pour PeerTube v3 : collecte perlée, du live pour cet automne
Nous dévoilons aujourd’hui la feuille de route des six prochains mois de développement de PeerTube. Avec votre soutien, nous voulons poursuivre les améliorations sur ce logiciel qui permet aux particuliers, structures et collectifs de s’émanciper de YouTube et de reprendre le pouvoir sur l’hébergement de leurs vidéos.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Faire le monde d’après avec PeerTube
Des chaînes YouTube aux live Facebook en passant par Amazon-Twitch, les vidéos Insta, Snap ou Tiktok, les outils des géants du Web sont conçus dans la même idéologie politique : le capitalisme de surveillance. L’objectif est simple : capter votre attention pour étudier vos comportements, les ficher et mieux cibler la pub. Leur méthode est efficace : offrir un maximum de confort logiciel et de gratification immédiate pour que vous abandonniez votre contrôle sur l’outil afin de mieux envahir et meubler votre temps de cerveau disponible.
Ces outils sont donc tout à fait adaptés aux personnes qui n’ont aucun problème avec la société d’hyper consommation, et qui font confiance à des entreprises multi-milliardaires (donc au « marché ») pour décider de ce qui se verra ou pas sur nos écrans (comme TikTok, qui modère les vidéos et les comptes des membres jugés trop moches, gros ou pauvres).
Chez Framasoft, nous faisons partie des autres personnes, celles qui veulent voir exister une société de contribution.
La pandémie que nous vivons actuellement a été l’occasion d’une grande remise en question de ce que nous faisons et voulons faire : nous avons réfléchi à notre rôle dans ce fameux « monde d’après ». Plus que jamais, nous croyons que notre place est auprès de ces personnes qui font l’effort de contribuer à une société plus humaine, plus résiliente, plus respectueuse. Et nous pensons que PeerTube est un outil qui peut servir les personnes qui défendent cette vision de la société.
Parce qu’il est libre et fédéré et donc qu’il demande l’effort de se partager le pouvoir et les responsabilités, parce qu’il démocratise l’hébergement de vidéos en ligne, parce qu’il autonomise des académies et permet à des communautés invisibilisées de s’afficher et d’exister… nous avons la conviction que PeerTube est un outil que nous devons renforcer, pour qu’il serve encore mieux celles et ceux qui font la société de contribution.
La « Roadmap » s’affiche sur JoinPeertube.org
Nous venons de publier une feuille de route décrivant nos intentions pour les six prochains mois du développement de PeerTube, menant à une troisième version du logiciel, ou une « v3 ». Ces six mois seront découpés en 4 étapes, et chaque étape se concentrera sur un domaine spécifique de PeerTube. L’idée de cette v3, c’est vraiment de renforcer l’existant, en se basant sur les retours que nous avons reçus des hébergeuses d’instance, vidéastes et spectateurs.
Nous savons que la recherche de vidéos sur une instance PeerTube peut être frustrante pour les spectateurs qui veulent juste accéder simplement à un contenu sans devoir se demander qui est fédéré avec qui. Pour la première étape de cette feuille de route, nous allons créer un index globalisé des vidéos, pour faciliter la recherche de contenus au travers de toute la fédération. Cet index sera conçu de façon à être facilement reproductible et paramétrable pour que quiconque puisse proposer son propre index, avec ses propres règles d’admissibilité. Nous espérons voir fleurir par exemple des index sans contenu pour adultes, d’autres avec uniquement les contenus d’instances dédiées aux jeux vidéo, etc.
Si chaque version de PeerTube a apporté son lot d’outils de modération, nous savons que ces fonctionnalités sont essentielles pour les équipes qui administrent des instances, gèrent leur bulle de fédération et modèrent les contenus qui y sont hébergés. Durant la 2e étape de développement, nous allons donc consacrer un mois à développer et améliorer les outils de modération. Du suivi des signalements à la lutte contre les spams en passant par les historiques de modération : notre liste est déjà bien remplie et nous la prioriserons en fonction des retours que nous avons reçus.
Au cours de la troisième étape de la roadmap, nous voulons améliorer l’ergonomie et l’affichage des listes de lecture de vidéos dans PeerTube. L’objectif est de permettre aux vidéastes d’intégrer des playlists directement dans leurs sites web ainsi que dans leurs fils de médias sociaux.
Par ailleurs, nous souhaitons faciliter les contributions au code de PeerTube. Pour cela, nous allons améliorer le système de plugins qui permet d’ajouter une nouvelle fonctionnalité à PeerTube sans toucher au cœur du code. Nous souhaitons réaliser nous-même un outil d’annotation de vidéos, ce qui nous permettra de mieux comprendre comment faciliter et mettre en valeur le travail des personnes qui contribuent à PeerTube en créant des plugins.
PeerTube v3 : ça part en live !
La 4e et dernière étape de cette feuille de route sera consacrée au développement d’une nouvelle fonctionnalité très attendue : la diffusion de vidéos en direct et en pair-à-pair. Nous avons fait des tests, nous savons qu’il s’agit là d’un gros morceau, comme on dit, mais nous sommes confiant·es sur le fait d’y arriver.
Alors attention, avec un seul développeur à plein temps sur le projet, nous n’allons pas coder en deux mois le twitch-killer avec tout le fun des insta lives. Si vous vous attendez à des modules de tchat en direct, à des gifs rigolos qui s’animent lorsque Karen42 fait un don ou encore à des cœurs et des pouces qui poppent autour de l’écran, vous allez être très déçu·es !
Il s’agit là de poser les fondations techniques de la diffusion en live et en pair-à-pair. En utilisant le lecteur vidéo « HLS » mis en place depuis la version 1.3 de PeerTube, nous pensons pouvoir réaliser un direct avec un décalage d’une minute (voire 30 secondes dans les situations optimales) entre les vidéastes et les spectatrices. En contrepartie de ce léger délai, la charge du flux pourra être partagée entre tous les appareils qui afficheront le direct.
Cette première implémentation du live dans PeerTube sera donc minimaliste, et demandera probablement certains efforts (comme celui de passer par le logiciel libre OBS pour capter vos flux audios et vidéos). Néanmoins, ce serait le début d’un outil révolutionnaire : plus besoin d’avoir la grosse ferme de serveurs d’Amazon-Twitch pour diffuser des vidéos en direct à un grand nombre de personnes, le pair-à-pair permettra de démocratiser l’hébergement des lives !
En plus des 4 étapes de développement, tout au long de ces six mois, nous comptons entreprendre un travail de fond sur l’expérience d’utilisation de PeerTube. Nous choisissons de ne rien annoncer de spécifique à ce sujet, pour laisser aux personnes qui vont travailler sur ces points toute la liberté d’améliorer PeerTube de la manière qui leur semblera la plus pertinente.
Une collecte perlée pour un développement sans condition
Avant la pandémie, nous envisagions d’animer un crowdfunding pour récolter les 60 000 € que vont coûter ces 6 mois de travail consacrés à la v3 de PeerTube. Aujourd’hui, alors que la France sort d’une période de confinement et que l’on peine à cerner les conséquences humaines et matérielles terribles que cette crise aura pour de nombreuses personnes, cela ne nous semble pas décent.
Néanmoins, cette v3 de PeerTube nous semble d’autant plus importante lorsque nous imaginons un monde où l’on doit parfois rester chez soi, diffuser des cours et conférences en live et à distance, ou filmer en direct une manifestation. Nous avons la conviction que nous devons la développer. Imposer la condition « si nous ne récoltons pas 60 000 €, alors il n’y aura pas de v3 » serait -dans ce cas précis- un mensonge, une manipulation marketing : ce n’est pas la relation que nous voulons avoir avec vous.
Pour autant, ces 60 000 €, il va bien falloir les trouver. À Framasoft, nous nous engageons à développer cette v3 de PeerTube, quitte à devoir puiser dans les dons qui sont faits à notre association pour soutenir l’ensemble des projets que nous menons de front, donc dans notre budget 2020.
Dans le même temps, nous avons placé un bouton de don dédié au projet PeerTube sur la page de la roadmap, ainsi qu’une barre indiquant où nous en sommes de la récolte de financements fléchés pour ce projet. C’est beaucoup moins palpitant que les paliers et le compte à rebours d’un crowdfunding traditionnel, où l’on est incité à donner avant une date limite, pour ne pas oublier et passer à autre chose…
Mais c’est aussi beaucoup plus proche de notre réalité : nous allons faire ces améliorations, car nous croyons en la nécessité de cet outil. Nous prenons donc le risque de sérieusement grever notre budget 2020. Nous savons que nous pouvons vous faire confiance pour contribuer au financement de PeerTube si vous partagez notre enthousiasme et en avez les moyens.
S’éloigner du marketing, se rapprocher de vous
Nous voilà parti·e⋅s pour six mois de développement. Nous ferons, sur le Framablog, le bilan sur la réalisation des étapes de développement ainsi que sur les finances lorsque nous publierons la v3 de PeerTube, prévue pour novembre 2020.
D’ici là, si vous désirez en suivre chaque étape, vous pouvez vous inscrire à la newsletter de PeerTube (envoyée en français et en anglais), dont les informations sont archivées sur la page actus de JoinPeertube.org et relayées par les comptes Mastodon et Twitter de PeerTube.
Un « autre » monde ne pourra pas se construire avec les outils du capitalisme de surveillance.
Faciliter l’accès aux contenus, partager les pouvoirs et responsabilités, s’ouvrir aux contributions, démocratiser le direct grâce au pair-à-pair… La v3 de PeerTube vise à consolider cet outil comme une alternative de plus en plus conviviale aux Google-YouTube et autres Facebook-Lives.
Un cas de force majeure nous a incités à nous éloigner encore plus des techniques de marketing traditionnelles pour la récolte de fonds : concrètement, nous mettons notre budget 2020 entre vos mains. Plus que jamais, nous allons avoir besoin de votre aide pour suivre et partager activement cette feuille de route, la faire connaître autour de vous et hors de la francophonie.
Nous avons, en fait, décidé de croire en PeerTube et de croire en vous.
Pour aller plus loin
- Découvrir la Roadmap pour la v3 de PeerTube
- Soutenir le développement de Peertube
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- Discuter de Peertube sur notre forum
- Partager cet article en Anglais
Framaconfinement semaine 8 – Voilà, c’est fini…
Eh oui, c’est la dernière semaine de confinement et ce sera donc le dernier article de ce journal de bord. Mes acolytes Pouhiou et Pyg ayant des tas d’autres choses à faire, c’est à nouveau moi, Angie, qui m’attelle à la rédaction de nos aventures framasoftiennes pour la semaine du 4 au 10 mai. Bon, ne croyez pas non plus que c’est ma seule activité au sein de l’association ! D’ailleurs, vu la date à laquelle est publié cet article, c’est que j’ai bien dû faire autre chose entre-temps !
L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/
Une dernière semaine de confinement bien remplie
Au sein de l’équipe salariée, lors de notre réunion hebdomadaire du lundi, j’ai pu ressentir un réel soulagement chez mes collègues à voir l’échéance de cette période de confinement approcher. Même si l’on craint un peu qu’il y ait du changement d’ici la fin de la semaine. Ce serait ballot qu’on nous annonce qu’on reste finalement confiné le 11 mai. On s’est d’ailleurs demandé si les salarié⋅e⋅s qui ne télétravaillent pas habituellement vont retourner au bureau dès lundi prochain. À vrai dire, à part AnMarie qui en a vraiment besoin car tous les dossiers qu’elle utilise au quotidien y sont, ça ne semble pas nécessaire. Pyg, Lise, Théo et moi-même allons donc continuer à télétravailler comme nos autres collègues. On a aussi décidé de revenir à nos horaires de travail habituels dès cette semaine (du moins pour celles et ceux qui les avaient adaptés). L’idée d’un retour à la normale commence à se faire sentir.
Cette semaine, Luc a préparé la migration de plusieurs de nos serveurs. En effet, le crash d’un de nos serveurs historiques le lundi 6 avril lui a donné l’envie d’encore mieux anticiper les crashes à venir ! Le service Framadrive a été migré le 6 mai vers un nouveau serveur, l’actuel commençant à montrer des signes de faiblesse. Le service Framaforms a été migré le 11 mai vers un nouveau serveur. L’utilisation de ce service va croissant et les performances s’en ressentent. La migration vers un serveur dédié doté de disques SSD devrait grandement améliorer cela. Luc prépare aussi l’installation d’une instance du logiciel Big Blue Button qui nous servira pour le Framacamp en ligne.
Lundi, JosephK s’est occupé de la mise à jour de Loomio, le logiciel derrière notre service Framavox. C’est une grosse mise à jour car on vient de passer de la version 1.8 à la version 2.1.9. Cette dernière version corrige un certain nombre de bugs et refonde plusieurs fonctionnalités.
JosephK travaille toujours sur une nouvelle mise en forme de notre page de contact afin de limiter les tickets de support dont les réponses peuvent se passer d’une intervention manuelle. Nous recevons en effet de nombreuses questions via ce formulaire alors qu’elles ont leur réponse dans la FAQ , la documentation ou sur https://status.framasoft.org/.
Tcit et Chocobozzz continuent à travailler sur le développement de leurs logiciels respectifs. Mais je n’en sais pas beaucoup plus… A priori, ça avance plutôt bien !
Cette semaine, Pouhiou n’a pas trop le moral, mais il a terminé la rédaction de la lettre d’informations et a préparé son envoi. En parallèle, il a terminé la rédaction de l’article Ce que Framasoft va faire en 2020, post confinement où il vous explique comment nous envisageons notre activité pour les mois à venir. Et il se lance dans la foulée dans la préparation des contenus pour la nouvelle page web de la collecte Peertube V3. C’est un long travail que de penser à tout ce qui doit y apparaître et surtout de comment articuler tout cela. Et surtout ça demande un certain nombre d’échanges avec Chocobozzz pour s’assurer qu’il a bien compris les différentes pistes de développement envisagées. C’est aussi beaucoup d’échanges avec JosephK qui va s’occuper de créer la nouvelle page web sur https://www.joinpeertube.org/.
La petite anecdote du service support vous est présentée cette semaine par spf qui a reçu un message d’une personne nous indiquant qu’elle avait été hackée et doxxée et que son harceleur avait utilisé notre service Framabin pour cela. Un individu mal-intentionné a divulgué des informations sur l’identité et la vie privée de cette personne dans le dessein de lui nuire en utilisant l’un de nos services. La victime nous demandait de retirer le contenu, ce que nous avons immédiatement fait, et de lui fournir l’identité de l’utilisateur⋅ice du service afin qu’elle puisse porter plainte. Nous ne lui avons pas transmis d’informations sur l’identité de la personne ayant utilisé notre service car, comme indiqué dans notre FAQ, nous ne communiquons pas des informations de ce type sur simple demande, mais uniquement dans le cadre d’une requête judiciaire par les autorités compétentes. En revanche, il est tout à fait possible que cette personne porte plainte contre X.
Pyg a eu une semaine remplie de réunions, d’échanges téléphoniques et de mails. Il a fait un point avec le tuteur universitaire de Théo sur son stage et a répondu à plusieurs de nos partenaires sur des projets en cours. Et puis il a aussi terminé la rédaction de l’article Framaconfinement semaine 6 – Faire un pas de côté qu’il a publié sur le blog le samedi 9 mai.
#TypoMadness
Mercredi, la #TeamMemes se lance dans la création de mèmes en pagaille suite à la publication par l’AFP d’une photo du Président Macron avec un masque lors d’une visite d’école. Les aficionados de Twitter n’auront pas pu louper cet appel d’Alexis Poulain à la légender. Mais la #TeamMèmes va plus loin et réalise plusieurs mèmes à partir de cette photo. Et bien sûr Luc ne boude pas son plaisir d’en diffuser sur son compte Mastodon.
Allez savoir comment, sur notre canal Mattermost dédié aux gifs et mèmes, on est passé de cette petite récréation à une discussion sur comment réaliser différents caractères spéciaux en fonction de son clavier. Vous connaissez la différence entre les guillemets français et les guillemets anglais ? Et dans quel cas d’usage on doit utiliser les uns plutôt que les autres ? Moi, je n’en savais rien du tout !
La discussion a ensuite dérivé sur les raccourcis claviers pour faire plein de caractères spéciaux… des points médians aux accentuations des lettres nordiques… Est-ce parce que la libération est dans moins d’une semaine que mes acolytes sont tous devenus fous ???
Une semaine bien intense pour bibi
Pour ma part, ça a été une semaine bien remplie. Ça a commencé par la lecture du dossier Transition éthique et TIC : essaimer des pratiques numériques coopératives, solidaires et émancipatrices. Ce projet porté par Colibris-Outils libres auquel nous nous sommes associés avec Ritimo et Outils-réseaux se propose de produire, animer et commercialiser des formations hybrides à destination des citoyen·n⋅es et des professionnel·les sur des sujets liés à la transition écologique et sociale. Nous venons de répondre à l’appel à projet de l’AFNIC AAP1 « Un projet numérique au service d’une société plus équitable » afin d’obtenir des financements.
Ce projet répond à l’enjeu de diffuser la culture « outils libres » dans une démarche éthique et citoyenne à travers deux axes principaux. Le premier est la mise en place d’une bibliothèque de ressources sur un nano-serveur web permettant la co-conception d’une « salle de formation itinérante ». Cela part du constat que de nombreu.ses formateur⋅ices et médiateur⋅ices numériques rencontrent parfois des difficultés de connexion lors de leurs interventions (wifi inopérant ou droits d’accès trop stricts). Pour résoudre ce problème, disposer d’un mini-serveur web faisant office de portail captif et de ses outils pour la formation installés sur cette machine, permettra aux apprenant·es de se connecter directement à la machine locale. C’est aussi l’occasion d’expliquer comment fonctionne internet à petite échelle et d’avoir une sélection de documents à partager avec les apprenant·es. Ce nano-serveur web s’inspirera fortement de projets tels que Yunohost, La Brique Internet, les PirateBox ou les BiblioBox.
Le second axe relève de la production de formations hybrides tutorées et de la diffusion des contenus pédagogiques en marque blanche. Nous envisageons donc la réalisation d’une formation hybride qui permettra aux apprenant⋅e⋅s de découvrir l’usage des principaux outils inclus sur ce nano-serveur. L’objectif de cette formation est de contribuer à l’essor des usages des outils libres en proposant un parcours de formation accessible à tou·tes et sécurisant pour les collectifs ou organisations souhaitant s’engager dans une telle transition. Parallèlement à cela, les supports de cours seront mis à disposition en marque blanche sous licence CC-BY-SA 4.0, via des plateformes telles que Contributopia.
Un axe complémentaire du projet vise à contribuer à un essaimage de la démarche. Un module de la formation sera dédié au fait d’accompagner l’essaimage du projet en donnant les ressources et outils aux personnes le souhaitant pour former à leur tour d’autres personnes. Nous espérons ainsi contribuer à la dynamique des usages du libre en francophonie. S’appuyant sur les méthodes issues de l’éducation populaire pour encourager une réappropriation collective et solidaire des outils numériques, ce projet permettra à chacun·e d’être en capacité d’envisager ces technologies comme un enjeu de société et de contribuer au débat.
Ayant moi-même été formatrice plusieurs années et ayant rencontré à de multiples reprises des difficultés à pouvoir transmettre dans de bonnes conditions mes contenus pédagogiques, je me félicite que Framasoft soit partenaire de ce projet. Et il m’apparaît primordial que nous puissions y faire notre part.
J’ai par la suite enchaîné sur le traitement des sélections de contenus sur PeerTube réalisées lors du Confin’atelier du 25 avril. Ces sélections alimentent la partie « Découvrez notre sélection de contenus » de la page d’accueil de https://joinpeertube.org/ (en français et en anglais). L’objectif de ce bloc est de montrer des contenus (vidéos, chaînes et instances) diversifiés et de qualité aux internautes découvrant PeerTube. Car les différentes instances PeerTube hébergent de nombreux contenus qui méritent d’être découverts. Et plutôt que d’utiliser un algorithme de recommandation comme le font les autres plateformes de diffusion vidéo, nos recommandations sont réalisées par de vrais humains ! D’ailleurs si vous êtes vidéaste et que vous diffusez des vidéos que vous souhaitez voir mises en valeur, n’hésitez pas à nous le faire savoir sur notre forum.
Cette semaine, c’était aussi pour moi l’occasion d’une grande victoire car j’ai (enfin) réussi à réaliser ma première Merge Request. Bon, pour celleux qui ne s’intéressent pas forcément au code, ça ne va pas leur parler. Mais je vous assure, que pour moi, c’est une sacrée victoire car toutes mes tentatives précédentes n’avaient jamais abouti (mes collègues avaient toujours dû repasser derrière moi pour corriger mes erreurs). Quand je pense qu’il y a un an, je ne savais même pas de quoi il s’agissait ! En l’occurrence, ce n’était pas un truc très compliqué à réaliser : vous vous doutez bien que moi qui baragouine à peine en markdown, j’allais pas me mettre à écrire des lignes de code !
D’ailleurs tout cela n’aurait pas été possible si, en amont, les textes de cette nouvelle actualité Du retard pour Mobilizon n’avaient été rédigés par Pouhiou et traduit en anglais par Arthur. J’ai donc juste eu à réaliser une merge request pour mettre en ligne une nouvelle actu (en français et en anglais) sur https://joinmobilizon.org.
Contrairement à ce dont j’ai l’habitude, ce site étant un site statique, on n’utilise pas un CMS pour y ajouter des contenus. Voici quelques explications pour les moldus. Sans CMS, il faut aller directement modifier les fichiers du site. Pour cela, je me suis rendue sur la forge logicielle où sont déposés les fichiers du site en question. J’ai créé une divergence de ce projet (celleux qui savent disent une branche) : pour le dire simplement, j’ai fait une copie de tout le dépôt sur mon propre compte afin de ne pas toucher aux fichiers originaux. Et c’est sur cette branche du projet que j’ai travaillé. Ce que j’avais à y faire n’était pas hyper compliqué : j’ai ajouté un fichier image dans un dossier afin d’illustrer mon article et ajouté le texte dans les deux fichiers .yml correspondant aux pages web que je voulais modifier.
Bon, pas très compliqué, mais quand même ! Je ne maîtrise absolument pas le code et j’ai donc dû m’inspirer que ce qui avait été fait par d’autres pour que mon texte se présente exactement pareil, jouer avec les balises html et heureusement que Pouhiou n’était (virtuellement) pas loin car sur le fichier .yml des actus en anglais, et bien j’ai rencontré un souci. J’avais pourtant l’impression d’avoir fait exactement la même chose que pour l’ajout des contenus en français, mais une petite espace s’était glissée sur une ligne et avait tout bloqué. J’aurais pu chercher longtemps ! C’est que c’est capricieux le code, à une espace près, rien ne fonctionne ! Au final, j’ai enfin atteint le résultat que je souhaitais et j’ai donc pu réaliser cette fameuse merge request (ou en français, demande de fusion de branche).
Enfin, en tant que référente « entretien » pour le Tiers-Lieux où nous avons nos bureaux, je me suis aussi occupée cette semaine de contacter notre prestataire de nettoyage pour faire le point sur les interventions de cette entreprise à la réouverture du lieu la semaine prochaine. Je me suis fadée la lecture des documents officiels pour m’assurer que toutes les précautions sanitaires seront prises.
C’était donc une semaine bien intense, où j’ai réalisé plein d’activités différentes. Des semaines comme je les aime, où je ne vois pas le temps passer, où je ne bloque pas sur un dossier, et qui me donne le sentiment du travail bien fait.
Penser progressivement la reprise
Je ne sais pas pour vous, mais moi, il m’angoisse un peu ce déconfinement. Je crains de reprendre les transports en commun, et même de reprendre mon vélo, de faire face aux automobilistes angoissés, voire agressifs, au brouhaha de la circulation. Car, mine de rien, j’ai pris l’habitude de rester tranquille chez moi, au calme. Je crains aussi un peu de ne pas réussir à me re-sociabiliser. Vais-je supporter, au plan émotionnel, de revoir plein de gens (enfin, dans la limite de 10 personnes) d’un coup ? Comment faire pour ménager nos émotions, pour être moins inquiet, angoissé et stressé en reprenant le cours de notre vie ? Comment faire pour limiter le risque que nos inquiétudes et que nos peurs ne deviennent pathologiques ? Comment limiter ce contre-coup émotionnel ? Comment se projeter de manière efficace et sereine dans un avenir incertain et pour lequel on n’est pas véritablement prêt ?
Je n’ai pas de réponses à ces questions. Mais je pense qu’il va être nécessaire d’y aller progressivement, de ne pas tout reprendre d’un coup, comme s’il ne s’était rien passé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai souhaité continuer à télétravailler plutôt que de retourner au bureau. Même si la situation de confinement m’a amenée à mieux réguler mes émotions, elle aura profondément modifié mon organisation personnelle et professionnelle. Et je ne crois pas souhaitable de tout remettre en route immédiatement.
D’ailleurs, à l’heure où je termine la rédaction de cet article, j’ai pu constater que ma première semaine de déconfinement était assez similaire aux précédentes. Je me suis juste accordé une petite randonnée à la campagne avec un ami, histoire de pouvoir sentir à nouveau les odeurs des fleurs et des arbres, redécouvrir les collines du Beaujolais et cueillir quelques plantes pour renouveler mon stock de tisanes. Cette reconnexion à la nature m’a été très bénéfique. En entrant en résonance avec les champs, la forêt, les arbres, les ruisseaux et la rocaille, je me suis aussi reconnectée à une partie de moi que j’avais totalement occultée pendant cette période de confinement. Cela me fait dire que je suis entrée dans une phase de reviviscence : comme certaines formes vivantes (rotifères, tardigrades, anguillules, ciliés, amibes, mousses, graines, spores) qui étaient entrées en anhydrobiose (vie latente) sous l’effet de la dessiccation, je reviens progressivement à la vie.
Je vous souhaite donc à toutes et tous de pouvoir vous aussi entrer progressivement en reviviscence dans les jours, semaines et mois à venir. Nous savons toutes et tous que nos vies seront encore perturbées pour quelques temps : nos libertés d’actions vont rester limitées et l’impact de la pandémie se fera sentir sur de nombreux plans. Nous ne reviendrons sûrement pas exactement à notre vie d’avant. Ce qui est, selon moi, plutôt souhaitable. Inventons nous une nouvelle vie, car, comme le dit Pyg depuis le début du confinement « le monde a changé »©. Et essayons de ne pas revenir à l’immonde d’avant…
Le roman historique est un sport de combat
Les éditions Framabook proposent quatre nouveaux livres d’un coup, quatre recueils d’histoires courtes qui se déroulent, comme les enquêtes d’Ernaut, au temps des Croisades. Et si le récit en paraît fort éloigné de nous, son auteur, Yann Kervran, nous explique en quoi cela peut nous aider à mieux cheminer au présent.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Quatre livres d’un coup, c’est parce que tu t’ennuyais pendant le confinement ?
Loin de là. Ça fait un moment que le projet de publication de ces recueils est envisagé, mais il a fallu du temps pour le concrétiser. Avant cela, la rédaction a duré pratiquement huit ans. C’est une compilation de textes écrits mensuellement depuis 2011 jusqu’à fin 2018, que j’appelle Qit’a, textes courts dans l’univers Hexagora.
Des quoi ? Ça veut dire quoi, ce mot « Qit’a » (quitte à découvrir un nouveau mot, je tente ma chance) ? Et l’univers « Hexagora », c’est où ? Un peu à gauche au fond de la galaxie, ou bien dans le très lointain siècle des aventures d’Ernaut ? Chuis perdu dans l’espace-temps là…
Le terme en lui-même vient d’une technique de calligraphie persane qui procède par découpe, pour découvrir le décor caché. Ce sont des textes courts (entre 12 000 et 30 000 caractères) qui donnent à voir le monde au XIIe siècle tel que je me le représente à partir de la documentation scientifique disponible, que j’appelle l’univers Hexagora. Chacun d’eux offre l’occasion de découvrir la vie de personnages de second plan des romans d’Ernaut, de son enfance à lui, ou de tout autre individu de cette période que je peux relier plus ou moins directement à ce lieu et cette époque.
Cela fait plus de quatre-vingt récits dans ces quatre volumes et j’ai dépassé la centaine publiée sur mon site Hexagora.
Un tel volume m’est nécessaire pour embrasser le projet de brosser de façon romanesque un monde, celui des Croisades dans la seconde moitié du XIIe siècle, dans sa complexité et pouvoir montrer des phénomènes au long cours tels que la diffusion de motifs culturels ou les métamorphoses d’une société mosaïque. Je me rends d’ailleurs compte que j’ai à peine commencé à aborder le premier point, malgré le volume déjà écrit. Avec les enquêtes d’Ernaut, qui sont un point d’entrée plus traditionnel, de roman d’enquête, cela fait désormais 8 tomes, qui me permettent en quelque sorte de poser les bases.
Attends… en huit tomes, tu as juste « posé les bases » ? Tu veux réécrire la Comédie Humaine ?
Au moins, oui. Et si je n’y arrive pas, j’invite quiconque en a l’envie de se joindre à moi (l’avantage du libre, CC BY SA en l’occurrence, il n’y aura pas à attendre 70 ans après ma mort pour ça). Très sérieusement, mon ambition en terme de fresque humaine est similaire à celle de Balzac, sauf que je ne cherche pas à dépeindre une partie de la société qui m’est contemporaine, pour la rendre intelligible. J’espère plutôt faire résonner une altérité qui nous a précédé pour inciter à raisonner sur le présent. Tout en fournissant des arguments pour réfléchir à nos constructions mémorielles et nos représentations culturelles, essentiellement historiques.
Quand j’ai commencé à lire des Qit’a, je m’attendais à des nouvelles. Et en fait non. Finalement, c’est quoi, un Qit’a ?
Mon envie était d’ouvrir des fenêtres et de donner à voir le paysage depuis un autre point de vue, avec un autre rythme de parcours. Il n’y a donc pas de schéma rédactionnel traditionnel, certains Qit’a peuvent avoir une exposition, des péripéties, un climax puis une résolution, mais je ne me suis jamais senti lié par cette promesse. Chaque texte a suivi sa propre logique et ne répondait qu’à l’envie que j’avais de traiter de la vie d’une personne, d’un lieu, d’un objet ou d’une anecdote, voire de me lancer un défi du type de ceux proposés par l’Oulipo (comme par exemple m’interdire un son ou une conjonction) histoire de m’aguerrir en tant qu’écrivain.
J’avais le souhait de proposer de rentrer dans un univers fictionnel par un autre biais que les récits habituels, avec une structure générale plus organique. Chaque partie a une cohérence interne propre, mais peut se joindre à une autre, voire plusieurs, et engendrer ainsi un ensemble qui vaut plus que la simple addition, par la richesse des interactions. Procéder ainsi par touches, fractions, destins évoqués, me semble plus riche d’un point de vue humain. Plus évocateur aussi, car il laisse suffisamment de part d’ombre pour laisser à chacun et chacune la possibilité de construire. En soi-même et au-delà, en devenant créateur ou créatrice.
Donc, ma mère qui a lu les trois premiers tomes d’Ernaut, mais qui n’aime pas les nouvelles pourrait lire les Qi’ta ? (je ne sais pas dire ce qu’elle n’aime pas dans les nouvelles hein :))
La possibilité lui en est offerte, du moins, éventuellement sans devoir payer pour voir. Mais si elle a apprécié la plongée dans un monde reconstitué, elle devrait apprécier d’en parcourir certains chemins de traverse. Il y a une cohérence globale qui offre une expérience d’immersion très vaste, qu’apprécient souvent les lecteurs et lectrices de romans historiques. Par exemple, chaque section est datée et placée géographiquement précisément, de façon à permettre une reconstruction différente de ma proposition littéraire.
L’idée n’est pas de développer des spin-offs ou de faire des produits dérivés, qui peuvent parfois apparaître comme une façon de rallonger la sauce voire d’exploiter un filon, mais bien de nourrir une vision la plus large possible, en s’attachant à des éléments singuliers et subjectifs qui ont une validité et une importance égale vis-à-vis du tout.
Ces recueils inaugurent une nouveauté : tu proposes une nouvelle façon de considérer l’écrivain, qui ne passe pas par le droit d’auteur. Mais pourquoi est-tu si fâché avec le droit d’auteur ?
J’ai en effet demandé à être publié sans contrat, et à ne pas toucher de rémunération liée aux ventes, ce qui est possible vu que tout est sous licence libre (j’ai suivi en cela le chemin de David Revoy avec Glénat). Parce que le terme même de « droit d’auteur » est une imposture. Le « droit d’auteur » et son corollaire, le contrat d’édition, ne font que perpétuer un modèle économique qui ne fait pas vivre les créateurs et créatrices. En vingt ans, le revenu moyen des écrivains a été, en moyenne (et donc en tenant compte de la starification de certains auteurs désormais multimillionnaires), divisé par cinq (voir la présentation d’Olivia Guillon aux États Généraux du Livre en 2019 ou le rapport Racine).
En outre, ce terme essentialise la notion de propriété intellectuelle, qui constitue une autre supercherie et fait envisager son existence comme seul horizon pour ceux-là même qui devraient être les plus critiques sur ces notions : les artistes.
Alors, certes, je n’ai pas de modèle économique à opposer (en dehors du don qui ne fonctionne pas en littérature, du moins pas à ma connaissance), mais je suis certain que celui que l’on me propose est frelaté.
J’ai bien plus confiance dans les travaux de Bernard Friot et du Réseau salariat pour me tirer de la situation d’indigence dans laquelle je suis désormais que d’un éventuel succès de librairie qui n’adviendrait que si je passais sous les fourches caudines d’une industrie qui n’a su jusqu’à présent que m’exploiter, à défaut d’arriver à me prolétariser (dans le sens que lui donne Bernard Stiegler, à savoir me déposséder de mes savoir-faire).
Au delà du droit d’auteur, tu expliques souvent dans tes interventions qu’Hexagora est un contre-pied à une certaine narration de l’Histoire, comme on peut la trouver dans le roman national. Est-ce que tu peux définir ce terme pour notre lectorat et expliquer en quoi ton travail est différent ?
L’histoire et la mémoire sont deux outils politiques au service des vainqueurs. La recherche historique est scientifique, mais on crée à partir de ce matériau une narration qui donne à voir ce qui sert le pouvoir en place, ce qui est pertinent pour les catégories sociales les plus riches et influentes. Bourdieu dirait que les possesseurs du capital symbolique le plus conséquent cherchent à le perpétuer. Le roman national répond à ce besoin, à la fois de normalisation, en imaginant un récit fondateur unificateur, mais aussi en insistant sur les valeurs que l’on souhaite renforcer et vanter chez ses concitoyens. C’est un moyen de contrôle par le bornage et la définition des horizons culturels.
J’ai dédié ces recueils à « la mémoire des exclus de la Mémoire », tous ces sans-grades, ceux « qui ne sont rien », ceux qui ne font pas l’Histoire, mais dont l’histoire a tant à nous apprendre. Je raconte leurs vies parce qu’ils nous ont précédés sur cette planète, ont vécu, ont fait des choix, des erreurs, des enfants, des rêves… Je m’efforce de les évoquer, dans leur plénitude, subjectivement, sans juger par avance leurs actes, et de voir en quoi ils peuvent m’apprendre à devenir un meilleur être humain. Par ce lien, qui me fait, en tant qu’animal social, et que je cherche à distinguer par-delà les siècles.
Alors, bien sûr, je ne prétends certes pas dépolitiser le sujet, bien au contraire, mais j’apporte une vision différente, je fais entendre une mélodie chorale distincte des trompettes de la renommée. Je parle des 99% qui ont été systématiquement mis de côté dans les grandes narrations et la mise en avant des « grands hommes » et de leurs « extraordinaires destins ». Je fais de façon romancée un travail analogue à celui qu’a fait Howard Zinn, dans « Une histoire populaire des États-Unis » ou plus récemment Michelle Zancarini-Fournel dans « Les luttes et les rêves ». C’est à relier avec ce que les chercheurs étudient désormais, depuis très peu de temps, sous le concept d’histoire par le bas.
Bourdieu, Zinn, tout ça est très contemporain. Justement, qu’est-ce qui dans ces Qit’a ou plus largement dans la période que tu explores pourrait selon toi faire écho à notre époque actuelle ?
Il me semble que tout période historique ou préhistorique possède quelque chose à nous apprendre, que ce n’est qu’une question de regard. Nous pouvons en extraire directement des concepts pour repenser le politique contemporain. Très rapidement, dans mon cas, je pense par exemple à la notion de communs, dont Pierre Dardot et Christian Laval montrent la vigueur dans les périodes qui m’occupent, ou de la démocratie, dont Francis Dupuis-Déri démontre l’existence dans l’organisation paysanne médiévale, bien différente de celle qu’on évoque habituellement, de la Grèce archaïque. On peut aussi évoquer la notion de libre arbitre, qui n’aurait pu nous paraître aussi naturelle en Occident sans les penseurs du catholicisme médiéval. Nous sommes littéralement pétris de notions dont les aléas historiques permettent d’en comprendre les ressorts, les enjeux, les impasses.
Dans un second temps, il existe aussi une leçon à tirer du rapport à ces sujets, et de la façon dont la mémoire que nous construisons de ces événements (ou que l’on nous propose par les institutions telles que l’école), de ces moments qui nous ont construit en tant que citoyen et personne. Comment nous avons été nourris, comment nous nous appareillons intellectuellement en nous basant sur des récits qui rendent compte de ces périodes.
Très prosaïquement, l’idée de bâtir Hexagora est née suite aux déclarations du pouvoir présidentiel américain, lorsqu’il parlait de « croisade contre le terrorisme ». Au-delà de l’apparente incongruité des mots ainsi accolés (faire une guerre religieuse à un concept), j’ai eu envie de déconstruire les termes qui étaient ainsi employés, et de proposer aux lecteurs de retourner aux origines, vu que c’était la période que j’étudiais depuis l’université. Ceci m’est apparu avec d’autant plus d’évidence que la pratique d’opposition armée désignée sous l’appellation terrorisme y était née, avec une secte ismaélienne alors désignée sous le terme de Nizarites, qu’on appelle communément assassins.
Chez Framasoft, il y a la Team Meme, il y a aussi la Team Chauve, connue pour faire plusieurs pages pleines de mots compliqués, à propos des trucs plus compliqués encore. On sait que tu en fais partie, et ça se voit dans tes textes… Est-ce que cela ne rend pas ton œuvre inaccessible aux gens du commun ?
Je ne le crois pas. Oui je ne renâcle pas à l’usage d’un subjonctif imparfait ou d’un mot peu usité tel que principicule, (qui me semblerait d’ailleurs tout à fait adapté à une large diffusion ces jours-ci). Pour autant, cela demeure accessible aux curieux, je crois, et je ne m’aventure pas trop dans un style alambiqué ou expérimental. Je cherche à faire du roman populaire. Mais par ce terme, je fais référence à des gens comme Hugo, Dumas, Balzac ou Dickens. Gabriel Chevallier est lui aussi considéré, avec « Clochemerle », comme un grand écrivain populaire, et on ne peut pas dire que son style soit pauvre et son récit simpliste.
Je suis toujours attristé de voir que pour beaucoup de promoteurs de la culture, vouloir faire populaire, cela signifie bêtifier (il y a une vision descendante, très hiérarchique de la culture, je renvoie là-dessus aux travaux de Franck Lepage). Pour ma part, je pense que, bien au contraire, cela veut dire faire la passerelle, avec une pratique exigeante qui ne soit pas dédaigneuse dans sa forme, vers des savoirs très pointus auxquels les gens n’ont souvent pas accès physiquement. Ou pour lesquels ils n’ont pas le temps ou la formation nécessaire pour en exprimer la quintessence. On agit là un peu en tiers de confiance.
Je suis un adepte de la reconstitution historique, qui me semble être une excellente illustration de ce que peut être de l’éducation populaire dans sa pratique la plus noble. J’ai vu des gens de milieu très modeste, n’ayant aucune formation universitaire, s’enthousiasmer à la lecture d’ouvrages de métallurgie médiévale plutôt spécialisés et en parler ensuite avec passion, de façon simple, transmettant ce goût pour un sujet qui pourrait paraître rébarbatif à des enfants, des curieux, des badauds, lors d’événements ou de rencontres. D’un savoir froid, ils ont fait un objet culturel vivant, qui a su animer l’intérêt pour l’histoire dans le cœur du public. Du savoir qui s’anime devient lien, symbole.
Neuf questions, c’est peut-être déjà assez pour exploser le maximum de mots possibles dans une interview… Un mot de la fin ?
Edwy Plenel, dans un article récent citait beaucoup Marc Bloch, historien et résistant, à propos de sa critique des élites conçue après la défaite de la seconde guerre mondiale, pendant l’Occupation. Ce remarquable scientifique qui a été à l’origine d’un changement de paradigme dans les pratiques de recherche en histoire, a résumé en une phrase ce qui m’a motivé toutes ces années à continuer à rendre perceptible ce que pouvait être le monde des Croisades, dans le 3e quart du XIIe siècle. Ces quelques mots accueillent les visiteurs sur mon site depuis bien longtemps :
Le passé lointain inspire le sens et le respect des différences entre les hommes, en même temps qu’il affine la sensibilité à la poésie des destinées humaines.
– Marc Bloch, « Sur la réforme de l’enseignement », note rédigée pour les Cahiers Politiques, 1944.
Voir sur Framabook les Qit’a, histoires courtes dans l’univers Hexagora : volume 1, volume 2, volume 3 et volume 4.
Précédemment publié : les enquêtes d’Ernaut de Jérusalem
Framaconfinement semaine 7 – Framapathique, Framaradeau et Framacamp
C’est à nouveau moi Angie qui reprends le clavier pour vous raconter notre septième semaine de confinement. J’ai de la chance, c’est encore une semaine de 4 jours. Bon, passer après pyg, c’est toujours un peu challengeant (oh le gros mot) parce que c’est sûr que je prends moins de hauteur que lui… encore plus quand il fait un pas de côté ! C’est à se prendre les pieds dans le tapis et moi je tiens à mes deux jambes car bientôt je vais pouvoir renfourcher mon fidèle destrier pour aller respirer le bon air de la campagne ! Mais je vais quand même tenter de vous raconter nos aventures framasoftiennes pour la semaine du 27 avril au 3 mai.
L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/
Une pensée en berne
La tentation est grande de mettre sa propre pensée en berne en se disant qu’elle ne vaut plus rien par rapport à ce qui se passe dans le monde. Et une telle attitude est plus que dangereuse.
C’est Jean Morisset, un poète géographe québécois octogénaire qui a écrit cela il y a quelques semaines à l’écrivaine Nancy Huston. C’est à la lecture de cet article de Nancy Huston dans Le Devoir, que je me suis rendu compte en cette septième semaine de confinement que mes réflexions sur ce qui était en train de nous arriver avaient cessé. Que je n’avais plus envie de me questionner, que je n’en pouvais plus de lire et d’entendre les avis des uns et des autres sur comment la situation allait évoluer ou de comment le monde allait changer…
Évidemment que, comme Nancy Huston, je ressens un malaise face à l’écart violent entre l’état du monde et mon quotidien plutôt agréable de confinée. Mais contrairement à certains de mes collègues (coucou la #TeamChauve), après six semaines, je n’arrive plus à penser. Je suis passée en mode « apathique », cet état d’indifférence généralisée qui se manifeste par l’absence d’émotions, de sensations et de désirs, un manque de motivation et d’initiative ainsi que par la perte d’intérêt vis-à-vis d’autrui. Je suis consciente d’avoir mis en place un mécanisme de défense pour me détacher de la situation exceptionnelle que nous vivons toutes et tous. Après avoir été en colère, avoir dû soutenir moralement plusieurs personnes en détresse autour de moi, je ne suis plus en mesure d’éprouver quoi que ce soit. Je me mets en pause. Et donc, ma pensée est en berne…
Ce qui a eu pour incidence que j’ai bien galéré sur l’écriture de l’article Framaconfinement S5… J’ai reporté autant que j’ai pu sa rédaction, trouvant des tas d’autres activités plus nécessaires à faire. Alors que clairement, la rédaction de cet article était bien plus prioritaire que toutes ces petites tâches. Bref, j’ai pas mal procrastiné ! Pour rappel, la procrastination se définit comme la tendance à remettre systématiquement au lendemain. Plusieurs études ont mis en évidence que la procrastination était liée au manque de confiance en soi. Rien d’étonnant : les personnes ayant le moins confiance en elles auraient tendance à se montrer défaitistes, et donc à remettre leurs tâches à plus tard par peur de les rater.
Et en ce qui me concerne, c’est bien de cela qu’il s’agit ! Quand je me lance dans la rédaction d’un article, j’ai toujours des tas de questions : comment avoir l’air de dire des choses pas trop stupides ? Comment ne pas dénaturer ce qu’on fait les collègues ? Comment rendre ce compte-rendu agréable à la lecture ? Et puis, même si on s’est toujours dit qu’on ne se mettait pas la pression 🍺, eh bien c’est plus facile à dire qu’à faire !
Alors, j’ai essayé différents moyens pour me concentrer : faire une petite séance de méditation avant de me relancer dans la rédaction pour ne pas penser à autre chose, me fixer des créneaux dédiés en coupant tous nos outils de communication afin de ne pas me faire polluer par les différentes notifications et même m’autoriser une petite sieste pour décompresser avant de me lancer. Au final, ce qui a le mieux marché, c’est de me fixer une deadline de rendu et de la faire connaître à mes collègues. Je me suis ainsi retrouvée dans la situation de ne plus avoir le choix de reporter cette activité et j’ai donc été obligée de travailler vite et bien pour respecter ce délai. Le stress que génère chez moi cet ultimatum est très positif et me pousse à avoir une meilleure concentration. Enfin, cette méthode a un autre avantage : cela me force à ne plus être aussi perfectionniste, exigeante envers moi-même. Car dans l’urgence (relative, hein !), je suis alors capable de faire la part des choses et de faire du mieux que je peux, même si je ne trouve pas le résultat parfait.
Au final, j’ai donc fini par y arriver, mais ça n’a pas été une partie de plaisir. Et en même temps, j’ai accepté cette même semaine de prendre en charge la rédaction de notre journal de confinement pour les semaines 7 et 8. Ça peut paraître bizarre de s’imposer une tâche qu’il nous est difficile de réaliser, mais j’aime bien les challenges. Et d’ailleurs, la rédaction de l’article que vous lisez actuellement a été beaucoup plus aisée. Peut-être parce que j’ai eu énormément de retours positifs sur l’article Framaconfinement S5 et que ça m’a permis d’avoir davantage confiance en moi, en ma capacité à dire des choses pas trop débiles. Et c’est aussi sûrement parce que je me suis immédiatement fixé une deadline pour sa rédaction.
Et pourtant, tout continue !
Ce n’est pas parce que moi je suis en mode apathique qui galère sur la rédaction d’un article que mes collègues s’arrêtent pour autant. Bien au contraire…
La semaine a commencé en beauté puisqu’au sein d’un de nos canaux de discussion, est apparue l’idée de développer une contre application StopCovid qu’on appellerait FramaRadeau (©️ Lise) et dont le pitch serait : « cette appli ne fait absolument rien, mais si ça vous fait aller mieux quelques secondes, voici un bouton pour aller mieux » (©️ Tcit). Il vaut mieux en rire qu’en pleurer ! Et de toute façon, comme l’a indiqué pyg dans son compte-rendu de notre sixième semaine de confinement, on a fait notre part sur cette question et on n’ira pas plus loin !
Luc râle au sein de notre Framateam car certain⋅es d’entre nous postent des images en direct au lieu d’utiliser le service Framapic ou que nous n’utilisons pas la fonctionnalité des fils de discussion. Et quand c’est le brol, Luc, il n’aime pas ça ! Et puis toutes ces images, c’est que ça prend de la place sur le serveur ! Alors, on essaie de systématiquement utiliser Framapic et de bien répondre aux publications pour maintenir de jolis fils de discussion. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! Ce qui est certain, c’est que rappeler ces bonnes pratiques est essentiel pour que l’outil soit efficace, car quand au sein d’un même canal, plus de 5 discussions ont lieu en parallèle, il est impossible de tout suivre si cette rigueur n’est pas respectée.
Nos stagiaires sont toujours à fond eux aussi ! Arthur continue à produire les sous-titres de la vidéo The Age of Surveillance Capitalism, une interview de Shoshana Zuboff, et a découvert cette semaine que le logiciel Omega T qu’il utilise pour ses traductions est bien plus simple à utiliser qu’il ne le pensait ! Il s’est senti un peu bête sur le moment. Mais comme il apprécie l’autodérision, il en a fait un joli article de journal !
Lise a préparé le texte d’un communiqué de presse présentant l’initiative entraide.chatons.org avant de l’envoyer à différents médias. Elle a aussi créé une nouvelle fiche sur le wiki pour présenter le logiciel Shaarli, que nous utilisons pour vous fournir le service MyFrama. Cet outil de conservation et de partage de liens est vraiment hyper pratique quand on veut se créer des dossiers documentaires ou bien tout simplement conserver un contenu pour y revenir plus tard.
Théo a travaillé cette semaine à la mise en place d’un système permettant aux internautes de contacter directement l’administrateur⋅ice d’un formulaire Framaforms. C’est une fonctionnalité qui va nous être très utile car nous recevons via notre formulaire de contact de plus en plus de messages de personnes qui souhaitent contacter le créateur⋅ice d’un formulaire. N’étant pas nous même créateur⋅ice de ces formulaires, nous sommes dans l’incapacité de pouvoir donner cette information aux personnes qui nous sollicitent. Cependant, mettre en place cette nouvelle fonctionnalité nous a demandé de bien y réfléchir en amont. En effet, nous n’avons pas souhaité que ce mail de contact soit visible directement sur le formulaire car les robots spammeurs s’en seraient donnés à cœur joie ! Il nous fallait donc mettre en place un formulaire de contact directement dans Framaforms. Et puis, nous ne voulions pas non plus obliger les créateur⋅ices à être contacté⋅es. Théo est donc parti sur plusieurs pistes avant de trouver celle qui permettait de prendre en compte tous ces aspects. Cette fonctionnalité n’est pas encore implémentée dans Framaforms, mais Théo m’indique que c’est imminent !
Pouhiou, en plus d’animer nos comptes sur les médias sociaux au quotidien, a passé une partie de la semaine à préparer la lettre d’informations Framasoft dans laquelle il récapitule tout ce que nous avons fait ces derniers mois. Je l’admire car regarder dans le rétroviseur pour identifier tout ce que nous avons fait depuis janvier, c’est un boulot de dingue !
Tcit continue à travailler au développement de Mobilizon. J’ai pas tout bien suivi mais il continue à développer les fonctionnalités pour les groupes et fait des tests. J’imagine que ça veut dire qu’il voit si les fonctionnalités qu’il a développées fonctionnent correctement. Notre designeuse associée au projet Mobilizon, Marie-Cécile Godwin Paccard a lancé sur les médias sociaux un formulaire permettant de demander des précisions aux futur⋅es utilisateur⋅ices de Mobilizon sur le vocabulaire utilisé sur les pages événements.
Chocobozzz est lui aussi le nez dans le développement de nouvelles fonctionnalités pour PeerTube. Apparemment, il s’agirait de pouvoir ajouter des plugins d’authentification. Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris de quoi il s’agissait, et puis comme ce n’est pas fini, mieux vaut que vous patientiez avant d’en savoir plus.
Du côté du support, spf ne chôme pas car les sollicitations sont toujours aussi nombreuses. D’ailleurs parfois, il s’énerve un peu de recevoir des messages de certain⋅es de nos utilisateur⋅ices qui ne prennent même pas la peine d’appliquer les règles de base de la politesse. On a beau être conscient que très souvent lorsque vous nous contactez, c’est que vous rencontrez un problème, mais commencer un mail par un « bonjour », c’est tout de même pas la mer à boire ! Heureusement qu’on reçoit des tickets qui nous donnent l’opportunité de nous marrer un peu ! Par exemple, on s’est amusé de recevoir une demande d’aide comprenant un fichier .odt dans lequel étaient copiées des captures d’écran… Je vous le dis, on s’amuse comme on peut du côté du support !
Pyg continue à jongler entre les interviews, les réunions avec certains partenaires et les interventions à distance, tout en rédigeant l’article Framaconfinement de la semaine 6. Et comme il a toujours des tas de choses à nous dire, eh bien ça prend du temps (mais pour vous ça ne vous prendra que 30 minutes à lire !). Il a aussi trouvé le temps de publier le Memorandum Covid-19 pour du libre et de l’open en conscience : enseignements et impulsions futures le mercredi 29 avril.
On se réadapte pour les mois à venir
Pyg a annoncé cette semaine à l’association l’annulation de notre Framacamp annuel, du moins sous sa forme habituelle. Le Framacamp, c’est le second rendez-vous annuel des membres de l’association (l’autre étant notre AG). Pendant une dizaine de jours, les membres qui le peuvent se retrouvent physiquement dans un lieu agréable pour faire le point sur les projets en cours, discuter des grandes orientations de l’association et avancer sur certains projets.
Étant arrivée chez Framasoft en février 2019, je n’ai vécu qu’un seul Framacamp, celui de juin 2019, mais ça a été pour moi une expérience incroyable. Déjà, parce que c’est un boulot de fou de tout organiser. Et ça on le doit à AnMarie qui gère avec brio tous les aspects logistiques (réservation d’un gîte, déplacements, alimentation). Et comme nos membres ne sont pas tous hyper-organisé⋅es, entre celleux qui veulent changer de jour d’arrivée ou de départ, celleux qui ne peuvent finalement pas venir et celleux qui ont des régimes alimentaires spéciaux, c’est un sacré exercice d’agilité (en mode à l’arrache donc !). Ensuite, parce que se revoir, discuter, échanger, réflexionner, boire des coups pendant plusieurs jours d’affilée, c’est un super moyen de consolider le groupe. Je n’avais jamais vécu ce type d’expérience (je n’arrive déjà pas à partir en vacances avec plus de 2 personnes sans que ça soit angoissant pour moi !) et même si j’ai trouvé que c’était sacrément épuisant, j’étais hyper enthousiaste à l’idée de recommencer ! Parce que ce Framacamp a complètement du sens pour moi et que finalement, être entourée de personnes bienveillantes et brillantes, qui savent exposer leurs pensées et les confronter à celles des autres sans animosité, m’a permis de revoir mon point de vue sur le collectif et de croire encore plus à la nécessité de faire ensemble.
Pour revenir au sujet, pyg a donc proposé à l’association une nouvelle forme pour le Framacamp prévu en juin prochain. Les raisons :
- cet événement réunit des personnes de toute la France et nous ne savons pas si nous pourrons nous déplacer aisément ;
- les membres représentent une mixité d’âge forte (vingtaine d’années à soixantaine d’années) et certains sont identifiés comme ayant des facteurs de risque ;
- les mesures de distanciation physique ne paraissent pas applicables dans un tel événement (dortoir, douches partagées, salon commun, besoin de proximité pour échanger, nourriture préparée en commun) ;
- il est probable qu’une partie des membres sera dans des situations difficilement prévisibles (ceux qui auront perdu des congés, celles qui n’auront pas d’autre choix que de bosser, celles qui veulent limiter leurs déplacements, ceux qui veulent rester auprès de leur famille, etc.).
Il est donc proposé que ce Framacamp prenne une nouvelle forme : 3 journées de temps cadrés et non-cadrés en ligne. L’événement serait évidemment sur la base du volontariat (participe qui veut et qui peut, quand iel peut). Pour cela, nous utiliserons le logiciel Big Blue Button, un outil de visioconférence adapté à la formation en ligne. Testé lors du Confin’atelier du 25 avril dernier (compte-rendu), Big Blue Button semble être l’outil le plus approprié pour ce temps de travail collectif puisqu’on pourra y créer plusieurs salons de discussion. Au sein de ces salons, il est possible de partager des présentations (avec ou sans tableau blanc), de discuter via un tchat, et même de créer des documents en mode collaboratif puisqu’y est disponible l’outil Etherpad.
Le détail des différentes sessions est encore en cours de préparation au sein de l’association, mais on sait déjà qu’une de ces sessions sera dédiée à la restitution des travaux menés par l’équipe du laboratoire CEPN UMR de l’Université Paris XIII dans le cadre du projet TAPAS (There Are Platforms as AlternativeS). Ce projet de recherche vise à approfondir et affiner la distinction entre « plateformes collaboratives » et « entreprises plateformes » et apprécier sa portée sur le plan des évolutions du travail, de l’emploi et in fine de la protection sociale dans le champ du numérique. Dans ce cadre, Framasoft a été sujet d’étude en 2019 et une partie des enseignants-chercheurs associés sont même venus assister au Framacamp de l’année dernière afin de comprendre nos modes de gouvernance en interne et en lien avec nos communautés. L’association est donc très enthousiaste à l’idée de découvrir ce qu’iels auront compris de nous !
Toujours dans l’idée de s’adapter, Pouhiou a passé une grande partie de la semaine à travailler à la rédaction d’un article dont l’objectif est de vous expliquer que nous revoyons notre feuille de route 2020. Car comme pyg vous l’a déjà expliqué dans Framaconfinement S6, il ne nous semble pas décent de nous lancer dans un crowdfunding selon les mêmes modalités que nos précédentes campagnes pour financer la V3 de PeerTube. Et nous allons avoir du retard pour la sortie de la V1 de Mobilizon. Mais je ne doute pas de ses capacités de nous expliquer tout cela de la manière la plus claire possible.
EDIT : l’article a été publié le 6 mai : https://framablog.org/2020/05/06/ce-que-framasoft-va-faire-en-2020-post-confinement/.
Nos membres bénévoles sont formidables
Une très bonne interview de Framatophe a été publiée dans Politis cette semaine. Il y revient sur le concept de capitalisme de surveillance qui prend encore plus de sens en cette période.
Enfin, Fred et Numahell ont passé une bonne partie de leur week-end à réaliser une vidéo de présentation de l’association pour la Fête des Possibles qui aura lieu du 12 au 27 septembre prochain. Portée par Le Collectif pour une Transition Citoyenne, la Fête des Possibles recense de nombreux évènements (plus de 1100 en 2019) qui souhaitent rendre visibles toutes les initiatives citoyennes qui construisent une société plus juste, plus écolo et plus humaine et qui permettent à chacun⋅e d’agir immédiatement. Toutes les formes sont plébiscitées : des ateliers d’expérimentation, des circuits de découverte, des portes ouvertes, des rassemblements publics, etc. au-delà de temps d’échanges ou de transmissions de savoirs. Cette Fête des Possibles sera celle des interdépendances, des interconnexions, des coopérations, des solidarités et bien plus encore !
Toutes les associations partenaires de cet évènement ont été sollicitées pour produire et partager une courte vidéo dans le cadre du lancement de la première campagne de communication et de mobilisation des réseaux des possibles sortie le 4 mai ! Cette vidéo d’environ 1min30 doit raconter comment elles agissent déjà pour le monde de demain, afin d’inciter leur public à témoigner ou s’engager lui aussi. Fred et Numahell se sont emparé⋅es de cette mission et se sont lancé⋅e⋅s dans le grand bain de la réalisation vidéo. Armé⋅e⋅s d’un pad, iels ont rédigé les éléments de langage nécessaire et une trame pour le contenu. Pas simple de résumer l’action de Framasoft en quelques minutes ! C’est Fred qui s’est essayé au jeu d’acteur seul face à sa caméra et là aussi chapeau car c’est un exercice pas du tout évident ! Numahell en a profité pour découvrir 2 logiciels libres de montage vidéo : Openshot et pitivi. Et selon Fred, c’était rigolo de faire une framaconférence en 4 minutes.
Et comme toujours la #TeamMèmes est au taquet : cet article ne serait rien sans leurs chouettes contributions ! Merci !
Framaconfinement semaine 6 – Faire un pas de côté
L’association Framasoft tient à partager, même de manière irrégulière et foutraque, le résumé de ce qu’il se passe lorsqu’on héberge des outils d’échange et de collaboration en ligne en pleine période de confinement.
Ce journal, nous l’écrivons pour lever un coin de voile sur Framasoft, mais aussi pour nous, parce que ça nous fait du bien. Ne vous attendez donc pas à ce que tous les éléments de contextes vous soient systématiquement donnés, on livrera les choses comme elles viennent, plus cathartiquement que pédagogiquement.
L’accès à l’ensemble des articles : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
La semaine des réunions
Cette semaine du 20 au 24 avril aura été celle de la reprise des réunions, des rendez-vous, des interviews. Il faut dire que pendant un mois, j’avais quasiment tout refusé par défaut et par principe, pour me concentrer exclusivement sur notre fonctionnement interne et nos missions « vitales ».
Mais cette semaine, tout s’est enchaîné. Vite. Très vite.
Préparer mon intervention aux Ludoviales (compte rendu), décliner celles des Colères du Présent (c’est Framatophe qui répondra présent), préparer une audition avec une députée France Insoumise, répondre à des interviews pour la radio des CEMEA, Le Monde, Politis, AEFE, etc. et partager mes retours sur un mémorandum (publié le 29 avril).
A cela s’ajoute les réunions « internes » : notre réunion d’équipe hebdomadaire, une réunion Mobilizon, une réunion PeerTube. Sans compter les membres de l’asso qui ont organisé une « framapapote » (une espèce d’apéro-Framasoft), et celles et ceux qui auront participé activement au premier « confin’atelier » (le compte rendu vient de paraître !).
J’aurais aussi eu plusieurs échanges avec l’équipe « Services Numériques Partagés » qui produit l’offre https://apps.education.fr, une suite de services pour l’Éducation Nationale basée exclusivement sur du logiciel libre.
Nous avons d’ailleurs été beaucoup sollicité⋅es pour donner notre avis sur cette initiative. Pour le redire encore une fois ici : nous accueillons la publication de ces services avec un très grand plaisir. Nous pensons que des services libres et décentralisés sont la meilleure solution pour la résilience de l’infrastructure numérique de l’Éducation Nationale. Nous suivions le projet depuis plusieurs mois, les services devaient être annoncés plutôt fin 2020, d’où le fait qu’ils soient aujourd’hui annoncés comme « temporaires » car non encore dans leur forme définitive. Sachant que leur planning a été bousculé, et les équipes mises sous pression, nous ne pouvons que féliciter chaleureusement toutes les personnes qui ont rendu l’émergence de ces services possible. Cependant, nous ne crions pas victoire pour autant. Le Covid aura fait tomber des murs, à la fois en faveur du logiciel libre, mais aussi en faveur des Google Classrooms, Zoom, et autres Discord. C’est certes un pas en avant très positif, mais après 15 ans de « 2 pas en avant, 3 pas en arrière » du MEN concernant le logiciel libre, il ne faudra pas nous en vouloir d’attendre encore 2 ou 3 ans avant de modifier notre position officielle.
Il y aura donc eu beaucoup de demandes à gérer. Et chaque rendez-vous exigeant en amont jusqu’à une dizaine d’échanges (mails, téléphone, etc.), j’ai eu le sentiment frustrant de passer ma semaine à « répondre » plutôt qu’à « faire ».
J’aurais malgré tout trouvé le temps d’enrichir notre dossier StopCovid avec les reprises des articles de Stéphane Bortzmeyer et de Loïc Gervais. Gee, lui, publiera sa BD « StopConneries» et l’infatigable Goofy reprendra les principaux scénarios du collectif de 14 spécialistes en cryptographie « Le traçage anonyme, dangereux oxymore, Analyse de risques à destination des non-spécialistes ».
Le Framablog verra aussi publié cette semaine là un article touchant et emprunt de retenue de Cyrille Largillier, membre de Framasoft et directeur d’école, sur son vécu des premières semaines de pandémie.
Comme chaque semaine, notre équipe technique aura multiplié les serrages de boulons sur nos serveurs et les changements de disques en urgence. Elle a notamment réparé la machine MyPads2 et mis à jour MyPads dans sa dernière version, ou mis en place une page permettant d’éviter la saturation du disque du service Framadrop (qui permet le partage de fichiers volumineux) en nous appuyant sur les CHATONS volontaires.
Chocobozzz a repris le développement de PeerTube, et tcit celui de Mobilizon.
Mais une des plus belles actions (selon moi !) de la semaine est le passage en production des nombreuses corrections que Théo a apporté à Framaforms. En plus, je lui ai « un peu » mis la pression en lui demandant de mettre en ligne de façon anticipée des corrections qui devaient servir en urgence pour la tribune publiée sur Le Monde par (notamment) Antonio Casilli. Finalement, Antonio n’aura pas eu besoin de ce formulaire, mais je suis fier que Théo (qui est en stage, rappelons-le) se soit senti légitime et capable de valider des modifications qui pouvaient impacter plusieurs centaines de milliers de personnes. Car Framaforms c’est notre service le plus visité (100 000 visites rien que la journée du 4 mai), après Framadate, et devant Framapad. Plus de 170 000 formulaires et 4 millions de réponses ont été hébergés depuis la mise en place du service. Autant vous dire qu’on n’a pas envie d’oublier un point virgule quelque part qui rendrait le service indisponible.
StopCovid
Dans mon précédent billet, j’annonçais (sans me faire prophète, c’était juste une probabilité statistique de 100%) que le gouvernement allait vouloir s’adosser à la technologie pour à la fois regagner des points de confiance, mais surtout mettre en place des dispositifs de contrôle du peuple.
Les semaines passées, sur cette thématique, c’est donc l’application StopCovid qui aura donné le tempo médiatique côté numérique.
Des centaines d’articles auront été écrits en quelques jours sur cette application. Et Framasoft a aussi apporté sa pierre :
- « Une appli de traçage du COVID 19 qui échappe à Big Brother ? », une BD décrivant la solution technique proposée (pour mieux comprendre « Comment ça marche ? ») ;
- « Technologies de crise, mais avec la démocratie » , traduction de l’argumentaire de l’association AlgorithmWatch (pour mieux comprendre les risques sur les libertés fondamentales et les garde-fous nécessaires) ;
- « StopCovid : le double risque de la “signose” et du “glissement” », accessible et très bien sourcé, l’article d’Hubert Guillaud (pour mieux comprendre les risques techno-sociaux) ;
- « Prophètes et technologistes à l’ère de la suspicion généralisée », l’article plutôt dense de Christophe Masutti (pour mieux comprendre la logique technosolutionniste derrière le bazar) ;
- « Deux ou trois choses sur les applications de suivi de contacts pendant l’épidémie », une reprise de l’article de Stéphane Bortzmeyer (pour mieux comprendre les aspects informatiques d’une telle application) ;
- « StopCovid une application qui vous veut du bien ? », de Loïc Gervais, qui nous partage son point de vue de médiateur numérique ;
- « StopConneries », bande dessinée humoristique et caustique de Gee ;
- « Applis de traçage : scénarios pour les non-spécialistes », synthétisant les scénarios de contournement d’une telle application, publiée par une quinzaine de spécialistes de la cryptographie.
Le positionnement de Framasoft est assez clair : ce type d’application est un leurre. Un mirage. Comme en magie, c’est une illusion. Et cette illusion permet de glisser dans la tête de #lesgens quatre idées très dangereuses :
1. Elle nous prépare à accepter une application de surveillance de nos comportements, qui nous suivrait partout « pour notre bien et celui des autres », sans que cela n’impacte nos libertés fondamentales. C’est faux. Grâce au (fabuleux) travail de Khrys, nous présentons chaque semaine une « revue hebdomadaire » listant des articles, vidéos, etc. traitant notamment de ce sujet. Nous en sommes au n°103 de cette revue, je pense donc qu’il n’est pas nécessaire de revenir là-dessus ;
« Nan, mais à Singapour, ils ont une app, et ça va hein. » Non, cette vidéo n’est pas un fake. (Source)
2. Elle persiste à laisser croire que la technologie est neutre, et qu’elle peut être invoquée, telle une divinité, pour résoudre nos problèmes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que parmi les plus ardents défenseurs de StopCovid (et ses successeurs), on retrouve pas mal d’ingénieur⋅e⋅s et d’informaticien⋅ne⋅s, convaincu⋅e⋅s qu’avec le bon design et le bon protocole, les avantages surpasseront les risques.
Rien de nouveau à ce que l’Homme cherche à se prendre pour Dieu, puisque Dieu est mort (© Nietzsche). Mais cette quête du pouvoir divin semble surtout nous avoir rendu complètement cons. En effet, je n’ai pas trouvé un seul article vraiment sérieux indiquant que cette technologie pourrait, à coup sûr, sauver des vies (sauf si elle était imposée à toute la population, et encore, cela reste sans preuve). Même l’auteur de « TraceTogether » (l’application singapourienne, qui inspire « StopCovid ») le reconnait lui-même : ce n’est clairement pas la panacée, et cela génèrera de toutes façons de nombreux faux-positifs et au moins autant de faux-négatifs. D’ailleurs, Singapour vient de rendre obligatoire une application similaire, qui au départ ne l’était pas. On dit ça, on ne dit rien, mais enfourcher un tigre, c’est quand même vachement dangereux, hein.
https://aperi.tube/videos/watch/cb467481-5254-4d02-b53e-05099d1f1808
Nous avons un président (sous) stupéfiant.
3. Elle dédouane les agents de l’État de leur responsabilité, en faisant reporter sur des comportements individuels ce qui doit relever d’une action collective, et notamment celle des pouvoirs publics. « Si ça sauve 100 vies, ou même 1 seule, ça sera déjà ça et donc il faut donner toutes les chances à cette appli. », nous explique en substance Cédric O. sur… Medium (Oui, une plateforme cofinancée par Google. Ne cherchez pas à comprendre, c’est pas comme si cette personne n’était pas secrétaire d’État au numérique. Il n’avait sans doute pas de site web à sa disposition… #OhWait). Ha ben oui mais non, si votre but c’est de sauver 100 vies, ou même une seule, alors ce n’est pas le moment de déshabiller Paul (les brigades sanitaires, dont des décennies d’études ont prouvées l’efficacité, et pour lesquelles le Conseil Scientifique recommande 30 000 personnes, mais qui seront sous-payées) pour habiller Jacques (j’attends impatiemment l’annonce du coût total de développement d’un StopCovid, dont l’efficacité, elle, n’est pas prouvée). En attendant, ni vu ni connu, l’État vous aura embrouillé, et quand viendra le temps de juger les responsables, ils pourront se cacher derrière l’argument « Mais on a fait StopCovid, c’est pas de notre faute si #lesgens ne l’ont pas tous installé ! ». Ha ben si, si vous êtes élus et que de très nombreux experts et la société civile vous préviennent que votre mesure n’aura pas d’impact mais que vous choisissez d’investir du pognon pour la mettre malgré tout en place, alors c’est vous qui êtes responsable, pas #lesgens.
4. Un autre souci à faire peser cette injonction à installer une application est plus insidieux. Il pousse l’idée d’une « désunion nationale », avec d’un côté les « bons citoyens » qui auront installé l’application, et de l’autre côté les « mauvais citoyens » qui mettraient en jeu la vie de leurs proches comme d’inconnus, en refusant à participer au fameux « effort de guerre ». On en revient donc à l’argument pourtant mille fois entendu (et mille fois prouvé faux) du « Si vous voulez plus de sécurité, il faut accepter des pertes de libertés ».
Comme le dit fort bien Antonio Casilli dans le journal du CNRS (journal qu’on ne peut pas soupçonner de manque de sérieux scientifique), « Il n’existe pas d’application capable de remplacer une politique de santé publique ». Les prochains mois seront donc très rock’n roll avec des intiatives très agressives (du type caméras thermiques, dont l’aspect bordeline et même reconnu par… Muriel Pénicaud).
Bref, déployer ce type de technologie, c’est une triple défaite :
- défaite des libertés fondamentales (aucune appli n’est infaillible, et celle-ci préparera le terrain cognitif pour celles à venir) ;
- défaite de la science, qui placerait ses espoirs dans une technologie non-testée, développée dans l’urgence, plutôt que dans des protocoles humains dont on sait qu’ils fonctionnent, car testés et évalués depuis des dizaines (centaines presque !) d’années ! (ils sont juste beaucoup plus chers, oui, et alors ?! ) ;
- défaite de la démocratie, qui en acceptant cette appli, accepte de minimiser les fautes avérées de l’État en lui reconnaissant un pouvoir de contrôle et de coordination sur la pandémie, masquant de fait l’incurie de l’État à prioriser l’intérêt général dans la gestion de cette épidémie.
Quelque part, et de manière anecdotique (ou pas), c’est aussi une défaite sémantique et linguistique : nous pouvons aussi nous interroger sur les signifiants et les signifiés des divergences entre « StopCovid » (France), « Immuni » (Italie) ou « TraceTogether » (Singapour) et ce que ces termes « vendent » aux utilisateur⋅ices.
EDIT : le temps que je rédige cet article, de nouveaux faits semblent aller dans mon sens : le développement de StopCovid, initié au départ par des équipes de la DINUM *et* des membres de la société civile est finalement confié à un consortium de grosses boîtes privées (CapGemini, Orange, Dassault Systèmes, etc), ce qui a créé pas mal de tensions. Sachant qu’on a découvert « par hasard » qu’Orange travaillait déjà sur une telle application *avant* l’annonce officielle du gouvernement ou que la startup Withings planche officiellement sur des bracelets connectés StopCovid (mais c’est une boîte française, hein, alors ça va), ça va évidemment exciter toutes celleux et ceux qui penseraient que cette histoire se confirme comme étant bien plus une histoire de gros sous politique qu’une histoire de solution d’intérêt général.
En parallèle, on apprenait que deux nouveaux fichiers seraient créés (SIDEP et Contact Covid), et que ça allait être un beau merdier. Lire l’article de NextINpact à ce sujet (abonnez-vous si vous le pouvez). Bref, les scénarios évoqués dans le documentaire de Sylvain Louvet « Tous surveillés : 7 milliards de suspects » semblent se confirmer (profitez-en pour le voir, ArteTV le propose gracieusement jusqu’au 19/06, et c’est aussi flippant que passionnant).
Au final, que StopCovid voie le jour ou pas, le gouvernement aura de toutes façons gagné : si l’application est finalisée, ça sera le jackpot et la voie ouverte à de futures applications StopZad, StopGiletJaunes, StopDélinquance, etc. ; si le projet d’application n’est pas finalisé (à quel coût ? Car aux dernières nouvelles, Dassault Systèmes ou CapGemini ne sont pas des philanthropes) ou abandonné politiquement, le débat médiatique sur StopCovid aura ouvert la fenêtre d’Overton sur l’acceptabilité d’une telle solution (« Bon, pour StopCovid, on était pas prêts, mais pour StopTerrorisme, là, promis, avec les premiers de cordée de la StartupNation on est au taquet »). Alors évidemment, une défaite aura plus d’impacts (immédiats) que l’autre (qui reste potentielle), mais du coup, nous, Framasoft, on va s’arrêter là. On a fait le job : en dehors de la face visible que sont la publication des articles, on a relayé, conseillé, produit des argumentaires, fournit des outils aux militant⋅e⋅s, relu et amendé des tribunes, etc. Il est donc temps pour Framasoft de passer à autre chose car nous ne sommes pas une association de plaidoyer. Nous avons (très) modestement contribué à éclairer ce débat, à chacun et chacune, individuellement et collectivement de s’informer et de prendre non seulement position, mais aussi une responsabilité dans les actions possibles à venir.
Voilà, je n’ai plus qu’à attendre en commentaire les rageux qui vont me dire que puisque je suis par principe opposé à ce type d’application, je suis donc un dangereux arriéré criminel qui va causer la mort d’innocents, en plus de celle de l’économie. Qu’ils viennent me chercher.
Faire un pas de côté
Un des articles qui m’aura le plus marqué ces dernières semaines, peut-être parce qu’il ne s’agit ni d’une analyse froide, ni d’une réaction à chaud nous servant la soupe d’un « monde d’après », est sans doute l’interview de l’éco-socialiste Corinne Morel-Darleux dans Bastamag (j’invite celles et ceux qui le peuvent à faire un don à ce média. Ce que j’ai fais, d’ailleurs). Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir quelques éléments de pensée de Corinne Morel-Darleux, je vous propose de lire en préambule cette longue mais passionnante interview du média d’opinion indépendant « Le Vent Se Lève ». Vraiment, prenez le temps de lire ces deux articles afin d’éclairer les concepts que je vais aborder par la suite.
Je ne vais pas reprendre ici ce qu’elle dit : d’une part l’article est public (et c’est une raison de plus, et pas une raison de moins, pour leur faire un don), d’autre part j’avais déjà « invoqué » Corinne Morel-Darleux dans un précédent article sur l’archipélisation de Framasoft. Elle y reprend des idées et concepts qui lui sont chers comme l’archipélisation ou la dignité du présent.
Ce qui me semble ici intéressant, c’est que ces idées prennent une dimension particulière quand on les met en perspective de la situation pandémique actuelle. Ils permettent, en quelque sorte de faire un « pas de côté ».
Après avoir « pris la mesure », et « pris de la hauteur », c’est donc à cet exercice du « pas de côté » que je voudrais essayer de me prêter ici, concernant Framasoft.
Je suis payé (entre autres par vos dons, merci !) pour prendre des décisions pour Framasoft. Le plus collectivement possible, et parfois seul et dans l’urgence afin d’éviter tel ou tel écueil. Ces dernières semaines, nous avions « le nez dans le guidon », et Framasoft a donc pris un paquet de décisions, et engagé pas mal d’actions (cf. nos articles Framaconfinement). En gros, comme tout le monde, nous nous sommes pris la tempête, et on a essayé de réagir au mieux. En nous protégeant nous-mêmes d’abord, parce qu’il n’est pas possible de prendre soin des autres dans la durée sans prendre soin de soi.
Ensuite en faisant ce que l’on fait de mieux : « faire ». Sans se poser des milliards de questions, on a agi là où on le pouvait. « Agir là où on se sent fort » est une façon de reprendre le contrôle quand on se sent perdu. Une façon de reprendre courage. De se sentir utile.
Enfin, on a essayé de réfléchir, individuellement et ensemble. Afin que notre « Faire » ne soit pas déconnecté des changements individuels et sociétaux en cours. Chacun⋅e a pu évoquer, en interne ou publiquement, ses analyses, ses ressentis, ses colères. J’ai évoqué les éléments d’un « plan », Pouhiou sa volonté de ne pas suivre de prophète, Christophe a fait des liens entre pistage et capitalisme de surveillance, Angie a exprimé sa colère, et la team mèmes a allégé nos cœurs dans un article « poisson d’avril » en retard, etc.
Mais faire un pas de côté, c’est quoi ?
C’est essayer de nouvelles choses, casser des préjugés internes, essayer d’avoir un regard extérieur, sortir de sa zone de confort en quelque sorte.
Me concernant, cela m’a poussé à accélérer une décision prise il y a longtemps : passer à une co-direction à trois têtes. J’avais annoncé cette volonté, qui me trottait dans la tête depuis deux ans, lors de notre assemblée générale de février. Mes collègues Angie et Pouhiou étaient d’accord pour une phase d’expérimentation en tant que co-directeur⋅ices. Mais la pandémie m’ayant pas mal occupé, j’avais dû laisser la mise en pratique de côté. Nous allons pouvoir en rediscuter, et cela promet d’être passionnant à mettre en œuvre.
Plus proche de vous, concernant Framasoft, faire ce « pas de côté » a consisté à réinterroger notre agenda de campagne. Framasoft ne vivant que des dons, sans campagne de dons, nous n’aurons à terme plus de moyens.
Enfin, ça, c’est la théorie. Construite sur l’expérience de ces dernières années. Mais n’est-ce pas un cliché ? Ne nous sommes-nous pas enfermé⋅es dans cette espèce d’injonction à « réussir » nos campagnes ? Si on pousse encore plus loin, « A quoi nous sert cet argent ? » (certes, à payer mon loyer, ainsi que les salaires de mes 8 autres collègues, mais est-ce le seul, ou le meilleur moyen de l’utiliser ?). Et, pour aller plus loin que plus loin « A quoi sert réellement Framasoft ? ». Ce n’est pas ici notre utilité que je questionne avec légèreté, je constate que nous sommes utiles (vos messages, vos dons, et les ~700 000 utilisateur⋅ices mensuels le prouvent), mais bien le sens de cette utilité : est-ce que l’on renforce des pratiques délétères ? Ne participe-t-on pas à enfermer nos utilisateur⋅ices dans des pratiques finalement peu émancipatrices (visioconférences, travail collaboratif, etc.) ?
Que resterait-il de Framasoft si nous venions à disparaître demain ? Quels héritages aurons-nous laissé de plus de 15 ans de militantisme ?
Pour répondre à ces questions, voilà maintenant deux ans que nous nous questionnons régulièrement en interne sur notre propre « compostabilité » : que resterait-il de Framasoft si nous venions à disparaître demain ? Quels héritages aurons-nous laissé de plus de 15 ans de militantisme ?
Je trouve la question intéressante, car elle nous force à regarder derrière nous, et non à chercher à voir ce qui se dessine devant. Car ce qui est devant nous est aujourd’hui dans le brouillard, rempli d’incertitudes sur les impacts économiques, sociaux, politiques qui vont découler des suites de cette pandémie.
Elle nous oblige aussi à penser notre présent, et nos actions, en fonction de cette notion d’héritage, de trace, de « don fait à l’avenir ».
Les éléments de réponses à cette question de la compostabilité de Framasoft me semblent plutôt encourageants : nous avons produit des milliers de ressources (fiches logicielles, documentations, articles, livres, vidéos, interviews, conférences, Mooc, etc.), nous avons développé des solutions logicielles, nous avons affirmé des points de vue et généré du débat et de l’intelligence collective. Nous avons démontré qu’il était possible, pour une association comptant moins de membres qu’un club de pétanque local, et pour un coût inférieur au coût moyen de 80 mètres d’autoroute, de produire, mettre à disposition, maintenir, améliorer des dizaines de services alternatifs à ceux des plus grosses capitalisations mondiales. Ce qui a, je pense, inspiré et donné confiance aux structures du collectif que nous avons impulsé et structuré et qui nous survivra probablement. Tout cela de façon libre, réutilisable, copiable, documentée. Mais aussi en essayant, autant que possible, de rester dignes (« principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée comme un objet ou comme un moyen, mais comme une entité intrinsèque »).
L’avenir jugera. Mais pour l’instant, nous sommes dans une situation plutôt privilégiée : grâce à vos dons, et grâce à notre volonté de ne pas « croître pour croître » et de limiter notre croissance, même en situation de succès – qui n’est pas sans rappeler le « refus de parvenir » qu’évoque Corinne Morel-Darleux en citant le navigateur Bernard Moitessier – Framasoft se porte bien. En tout cas, nous sommes dans une situation bien moins inquiétante, et surtout moins anxiogène, que des milliers d’associations survivant grâce aux subventions publiques ou à quelques financements privés. Les associations culturelles, de solidarités, d’urgence sociale sont touchées de plein fouet. Pourtant, si l’on regarde les choses froidement, ces associations sont par bien des aspects plus utiles que Framasoft.
Puisque nous ressentons ce sentiment d’accomplissement vis-à-vis du travail déjà effectué, et puisque nous avons les moyens de ne pas nous inquiéter du futur immédiat, se pose alors la question de ce que nous pouvons faire aujourd’hui. C’est ici que je fais le lien avec la notion de « dignité du présent » évoquée par Corinne Morel-Darleux. Quels gestes pourrions nous avoir qui seraient réellement en accord avec ce que nous sommes ?
Nous lancer dans la campagne de crowdfunding PeerTube v3, comme cela était prévu pour mai/juin 2020, ne me parait pas un acte décent en ce moment. Organiser une communication médiatique subordonnant la réalisation de développements logiciels à l’obtention de paliers de dons, à l’heure où l’hôpital public est en souffrance, où les français⋅es reçoivent l’injonction contradictoire de retourner travailler individuellement mais de collectivement rester chez eux, à l’heure où personne (y compris les gouvernements) ne sait de quoi l’avenir sera fait, m’apparaît clairement comme impudique et inconvenant.
Pourtant, je pense – cette fois très immodestement – que le monde à besoin d’un PeerTube v3. Cette nouvelle version, comme annoncé précédemment, intègrerait les premières briques permettant une diffusion vidéo en direct à des centaines ou milliers de personnes. Le tout de façon libre, décentralisée, et fédérée. Comme beaucoup, je pense qu’il n’est pas possible de se passer d’un système tant qu’on utilise les outils de ce système. Il me parait ainsi impossible de tourner la page du capitalisme tant qu’on utilisera massivement YouTube ou Twitch, par exemple. Cela ne se fera pas en un jour, ou même en un an. Mais même si cette bataille paraît perdue d’avance, elle vaut à mon sens la peine d’être menée.
Il en va de même pour Mobilizon (notre alternative aux événements, pages et groupes Facebook) : il me paraît impossible de construire des mobilisations contre le réchauffement climatique en utilisant Facebook. Oh, Facebook peut être *utile*, oui, notamment en offrant une audience captive potentielle de plus de deux milliards de personnes. Mais le modèle économique de Facebook étant basé sur la publicité et donc la consommation, la plateforme de Mark Zuckerberg ne permettra jamais que l’on s’attaque aux fondements du système qui le fait vivre et lui permet de croître encore et encore.
Développer et faire advenir PeerTube v3 et Mobilizon v1 me paraît donc essentiel. Non pas parce que ce serait fun, ou pour rajouter une alternative de plus au foisonnement d’outils existants. Et surtout pas pour « renverser » YouTube ou Facebook. Nous ne voulons pas que nos outils prennent la place de ceux préexistants : nous souhaitons décoloniser l’imaginaire d’une impossibilité de faire face à des entreprises un million de fois plus puissantes que nous. Car il est possible de faire face. Et si nous échouons, il vaudra alors sans doute mieux « couler en beauté que flotter sans grâce ».
Comment assurer le développement de Mobilizon, qui a des chances de devenir un outil stratégique de mobilisation citoyenne, sans s’assurer d’un modèle économique pérenne ?
Cela m’a beaucoup travaillé ces dernières semaines : comment réussir à proposer un PeerTube v3, dont je pense sincèrement qu’il serait utile pour permettre une libre transmission des savoirs sans pour autant conditionner son développement à un processus de crowdfunding inconvenant dans la situation actuelle ? Comment réussir à assurer dans les années à venir le développement de Mobilizon, qui a de fortes chances de devenir un outil stratégique de mobilisation hors des plateformes régulées par les géants du numérique, sans s’assurer d’un modèle économique pérenne ?
La réponse nous est venue assez naturellement : faisons-le, et on verra bien. Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux.
Pour la réhabilitation de l’action directe
Premier exemple : faire PeerTube v3
À l’heure où vous lirez ces lignes, nous venons de publier un article et notre newsletter précisant que nous allons donc faire ce PeerTube v3 et ce Mobilizon v1. Les dates ont un peu bougé, parce qu’on a été pas mal occupés ces dernières semaines et qu’on refuse de se cramer pour respecter des calendriers ou des injonctions de consommateurs. Par contre, côté modèle économique, ça va être YOLO-style ! On va bien avoir une page de soutien à PeerTube v3, mais on fera les choses, qu’on ait l’argent ou pas. Idem pour Mobilizon.
C’est assez contre-intuitif, en tout cas pour moi qui ai quand même une responsabilité vis-à-vis de l’emploi de mes collègues, ainsi que plus globalement vis-à-vis du bon fonctionnement de l’association. Mais assurer le bon fonctionnement de l’association, ce n’est pas forcément assurer sa pérennité. C’est s’assurer que nous faisons au mieux. Que nous plaçons nos valeurs et notre engagement au-dessus de contraintes, qu’elles soient financières ou sanitaires.
Deuxième exemple : se soutenir les un⋅es les autres
Cette forme d’action directe, on la retrouve aussi dans le fonctionnement interne de l’asso. Comme affiché sur notre page d’accueil, Framasoft est avant tout une bande d’ami⋅es. Or les situations financières de cette bande d’ami⋅es sont très variables. Cela va, pour la faire courte, du RSA au rentier. Et nous sommes parfaitement conscient⋅es qu’une partie de ces ami⋅es pourrait souffrir de la situation économique des mois à venir. Cela ne nous paraît pas acceptable. Et l’indignation nous paraît certes importante, mais insuffisante.
Comme Angie l’a évoqué dans un précédent billet, nous mettons actuellement en place notre propre « filet de sécurité/solidarité » entre membres, et donc ami⋅es, où les plus à l’aise financièrement pourront soutenir celles et ceux qui rencontrent des difficultés. Les détails importent ici assez peu, car ils ne concernent pas les lecteur⋅ices de ce blog, et même pas Framasoft en tant qu’organisation (il s’agit d’une solidarité directement entre personnes). Le principe est cependant loin d’être nouveau : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». cet exemple d’auto-organisation privée, directe, communautaire, solidaire, s’est multiplié à l’infini ou presque non seulement en France, mais sur les territoires confinés, au niveau mondial.
Troisième exemple : s’auto-organiser
Ainsi, sur ma commune (rurale) de confinement, le premier hypermarché est à 35mn de voiture (et le premier « drive » encore plus loin). Certains habitants de la commune n’ayant ni la possibilité, ni les moyens de faire ce trajet, un petit marché de producteurs locaux s’est mis en place dès la seconde semaine de confinement (avec l’accord de la mairie et des règles sanitaires strictes et contrôlées). Rien d’extraordinaire à cela, car ce type d’initiative utile si ce n’est indispensable s’est multiplié sur l’ensemble du territoire.
J’ai cependant été plus marqué par le fait que le producteur de fromages, habitant lui aussi la commune, ait utilisé Framaforms pour ses commandes (sans me connaître ni connaître Framasoft auparavant). Ma fierté était cependant un peu gênée par le fait qu’en tant qu’auteur du logiciel, je sais qu’il n’est pas vraiment adapté à ce type d’usage. Mais bon, ça l’a dépanné un temps, alors tant mieux. Puis, les 4 ou 5 producteurs de ce marché on ne peut plus local ont basculé vers un autre logiciel, libre lui aussi ! https://www.cagette.net/ est en effet une solution parfaitement adaptée à ce genre de problématique. Les producteurs saisissent leurs produits, les clients passent commande (soit en ligne, sans commission, mais avec frais bancaires ; soit en réglant directement en liquide lorsque vous venez retirer votre commande).
Ici, pas de startup, pas d’État, pas de banque, pas intermédiaire si ce n’est un logiciel libre développé avec passion par les salarié⋅es d’une SCOP bordelaise qui n’ont aucunement besoin d’exploiter vos données personnelles ou de vous imposer un quelconque modèle.
L’à venir
Ce type de fonctionnement autonome, autogéré, auto-organisé, résilient – un mot que je ne souhaite pas voir être approprié par la Startup Nation – préexistait avant le confinement. Mais la défaillance voire l’absence d’État en a rendu l’expérience concrète nécessaire.
Il doit selon moi nous donner confiance en nous, nous apporter l’assurance que nous devons agir avec dignité, fierté, et ne pas attendre pour passer à l’action. Nous sommes capables et légitimes. Ici et maintenant. Que ce soit pour organiser un marché local, pour mettre en place des solidarités communautaires, ou pour développer des logiciels que nous pensons essentiels.
Comme le disait le philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. »
Mémorandum Covid-19 pour du libre et de l’open en conscience : enseignements et impulsions futures
Nous publions ci-dessous un texte collectif, inititié par différents acteurs du libre et de l’Open(Source|Science|Hardware|Data), suivi des impulsions envisagées.
À Framasoft, nous signons rarement des tribunes en tant qu’organisation. Essentiellement pour trois raisons : 1) elles nous placent dans une situation d’autorité, que nous rejetons, 2) lorsqu’il s’agit d’un appel ou même d’une alerte aux pouvoirs publics, elles nous placent dans une position de soumission aux dits pouvoirs, 3) globalement, cela fait bien quelques décennies qu’aucune tribune n’a eu de réelle influence, en dehors d’un pouvoir d’informer (à relativiser avec l’accroissement important du nombre de tribunes publiées).
Pourtant, bien que n’ayant que peu d’espoir qu’il apporte un réel changement (« Qui vit en espérant meurt désespéré » dit le proverbe), nous avons co-signé le texte ci-dessous, publié ici sous la forme d’un mémorandum (« document ou autre communication qui aide la mémoire par enregistrement d’événements ou d’observations sur un sujet dans une organisation »).
La raison principale en est que ce mémo fait une bonne synthèse de la situation actuelle, et surtout qu’il pose des mesures concrètes que les signataires souhaitent voir mis en place rapidement. Cela à un double effet positif. D’abord, cela permet de garder trace de la situation du libre et de l’OpenSSHD (oui, je crois que je vais revendiquer cet acronyme pourri à base de private joke) en période de pandémie. Ensuite, au travers des objectifs fixés dans les mesures actionnables, cela permettra de constater si, oui ou non, les institutions et la société civile ont embrayé, ou si on en reste – comme souvent – à une liste d’injonctions ou de demandes au Père Noël.
Apporter notre signature à ce texte, c’est lui reconnaître la valeur intrinsèque de poser les choses.
Mémorandum Covid-19 pour du libre et de l’open en conscience : enseignements et impulsions futures
Le texte est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
Le texte qui suit a été nourri de la contribution d’une trentaine de personnes œuvrant aujourd’hui en se fondant sur les principes communs de la libre circulation de l’information, de gouvernance ouverte et de modèles sociaux durables. Il est accompagné d’une série d’« impulsions » ayant germé de ces échanges, faisant apparaître 6 principaux enseignements et proposant 7 mesures politiques immédiatement planifiables.
La situation exceptionnelle provoquée par la pandémie de COVID-19 et le confinement consécutif ont redonné toute son importance au numérique en tant que technologie de communication, mais aussi d’empowerment (c’est-à-dire, permettant de redonner du pouvoir d’agir et du contrôle à tout un chacun), de création collective et de développement de solutions répondant aussi bien à des enjeux globaux que locaux. Renouant ainsi avec les origines d’Internet et du web, des courants communautaires de solidarité, complémentaires ou alternatifs aux dispositifs publics, illustrent une nette tendance en faveur de l’ouverture dans ses différentes formes : l’open science (partage des données et articles de la recherche) devient le principe, la démocratie participative une volonté collective, les logiciels libres, l’open source et l’open hardware les fondements, et le libre partage de la culture, enfin, une conséquence inéluctable.
Deux raisons peuvent certainement être avancées à cette résurgence dans la sphère politique et sociale.
D’une part, ces initiatives communautaires ont fait preuve d’une capacité à répondre concrètement, rapidement et efficacement à des enjeux sociaux inédits grâce à des pratiques expérimentées dans des réseaux d’acteurs et de tiers-lieux déjà existants, soutenues par des réflexions théoriques, des outils juridiques et des modèles économiques éprouvés. Elles conjuguent la volonté de « Penser global, et d’agir local ».
D’autre part, l’insuffisance des réponses issues de l’intervention des États ou du jeu des marchés est apparue au grand jour, compte tenu de l’ampleur des événements. D’autres types d’actions réalisées sous la forme de « communs numériques » ont aussi été rendus possibles dans de nombreux domaines. Les communs numériques sont des ressources ouvertes coproduites et maintenues par une communauté qui définit elle-même ses règles de gouvernance et considère ces ressources comme génératrices de liens sociaux plutôt que comme des marchandises soumises aux lois du marché.
Penser l’« après » appelle à se placer au-delà des visions dichotomiques et d’un solutionnisme social et technique.
Les vies de ces projets et expérimentations, réussites ou échecs, invitent ainsi à en tirer quelques premiers enseignements pour laisser la fenêtre ouverte à des futurs possibles désirables, renforcer les prises de conscience actuelles d’une large population ayant expérimenté plus ou moins facilement le « numérique » pour les ancrer par la suite dans des usages numériques respectueux des individus et des milieux où ils cohabitent.
Ce document soutient la place de ces manifestations et réfléchit à leur pérennité pour une modification organisationnelle et sociale plus large. En plus d’exemples concrets pour illustrer les dynamiques en marche, et une mise en lumière des points les plus urgents à la coordination des actions, l’enjeu ici est aussi de donner un cap à suivre pour mener à moyen ou long terme des actions collectives.
Libre, ouvert et co-opératif, un modèle qui coule de source
Au cœur de la situation actuelle, un des rôles majeurs joués par la participation collective de la société civile a été d’apporter une information fiable et de qualité sur l’évolution de la pandémie et de répondre aux besoins locaux (cartographie d’entraide dans des villes, détail du suivi de la maladie par région, etc.) et globaux.
L’open data y joue un rôle prépondérant. Cette démarche est tout d’abord une nécessité politique dans un souci de « transparence » et de redevabilité sur les choix actuels (voir notamment « Le COVID19 et les données ». Ces actions le sont aussi en termes d’innovation grâce aux infrastructures et communautés existantes (voir notamment « Ça reste ouvert »). Depuis le début de la crise, de multiples projets open data ont vu le jour sur le sujet, hébergés sur data.gouv.fr ou d’autres plateformes.
Ensuite, cette démarche ne peut être possible qu’en s’appuyant sur des pratiques de science ouverte (open science) regroupant à la fois des chercheurs d’organisations internationales, des instituts de recherche publics et des data scientists de différents domaines. Le partage des données, articles scientifiques et discussions associées dans cette situation de crise s’est révélé un fonctionnement nécessaire pour comprendre et interpréter avec rapidité et souplesse la situation, et proposer des modèles de simulations et des visualisations rendant ces données intelligibles (voir notamment COMOKIT, veille-coronavirus.fr, covid19-dash, Coronavirus Country Comparator,).
La visée de ces projets est double. D’une part, il s’agit d’informer, d’aider à trouver les meilleures solutions médicamenteuses et les formes d’organisations sociales à visée sanitaire, politique, ou économique les mieux adaptées, et ce de manière ouverte et transparente. D’autre part, faciliter la participation aux débats concernant les prises de décisions actuelles et à venir (telles les initiatives Écrivons Angers et la consultation du collectif #LeJourdAprès), dans le monde entier.
Répondant aux besoins du moment avec leurs savoir-faire et compétences, les communautés des makers et de l’open hardware se sont rapidement mobilisées (voir notamment les projets listés sur covid-inititatives). Elles ont ainsi prototypé des matériels médicaux à faible coût et facilement réalisables dans des tissus locaux (via des tiers-lieux et fablabs) en France et dans le monde entier. Tout cela s’est mis en place particulièrement rapidement en collaboration avec les milieux professionnels concernés et dans le respect des règles s’imposant en matière de santé (les visières, les respirateurs MUR ou encore MakAir).
L’aspect solidaire sous-tendant ces communautés est aussi majeur pour assurer des services quotidiens, trouver des solutions afin de continuer les activités quotidiennes dans les milieux professionnels et éducatifs, mais aussi de retisser du lien. Il s’agit en effet d’éviter une amplification des inégalités par le numérique grâce à des initiatives de médiation numérique et de continuité (Continuité Pédagogique, Solidarité Numérique ou Droit-Covid19). À ce titre, les entités permanentes (sur le modèle des Fabriques ou d’autres) ont prouvé leur capacité à fédérer pour initier, financer, faire grandir des communs dans les domaines clefs en s’appuyant sur les réseaux de tiers-lieux et Fablabs. Individus, sociétés, administrations et collectivités, tous sont solidaires devant la crise sanitaire, économique et démocratique.
Côté grand public, beaucoup ont franchi le pas de l’utilisation d’outils de visioconférence et d’autres applications en ligne pour échanger ou dialoguer avec leurs proches (lien social et familial), et soutenir leurs activités quotidiennes les plus diverses (travail, loisirs, logistique, etc.). Une fois passée la découverte des solutions anciennes comme nouvelles, les personnes utilisant ces services subissent souvent de plein fouet le modèle traditionnel qui transforme les usagers en client : un propriétaire de la technologie qui reste le seul décisionnaire des conditions d’accès (très souvent onéreuses) et qui a tout intérêt à limiter la compatibilité avec d’autres solutions. L’expérience même des difficultés propres au « numérique » n’a jamais été autant partagée et rendue palpable par des personnes d’habitude peu sensibilisées à ces enjeux (sécurité, vie privée, économie de plateforme). La plateforme Zoom découverte par beaucoup à cette occasion est une illustration actuelle de cette problématique de par la révélation de ses failles de sécurité ou de sa politique d’utilisation contestée des données personnelles des utilisateurs.
De tous les services offerts, les plus éthiques, solidaires et équitables sont ceux qui ont implémenté des logiciels libres (qui font de la liberté de leurs utilisateurs et utilisatrices un principe clef). L’orientation éthique y est intégrée by design, car ils sont conçus et pensés pour et par leurs utilisateurs et utilisatrices, et s’adaptent en continu grâce aux remontées de quiconque y contribuant. Ainsi, devant l’urgence de se tourner vers des outils de communication et d’organisation, les logiciels libres et open source développés par une communauté (pour une communauté encore plus grande) sont en capacité de répondre à plusieurs enjeux. Il s’agit en premier lieu d’enjeux de confiance (nul espionnage ou monétisation peu éthiques), mais aussi de décentralisation (les canaux traditionnels étant bien insuffisants au regard des demandes massives et simultanées), ainsi que de gratuité avec un modèle économique de base fondé sur l’ouverture des ressources.
Autre point, la fermeture de l’accès aux lieux d’exercice habituels des activités professionnelles, scolaires et culturelles a rappelé la nécessité de savoirs ouverts, amenant à un large mouvement de mise à disposition de ressources culturelles et de connaissances (livres, articles, expositions, contenus multimédias, journaux scientifiques, spectacles, etc.). Cela nous rappelle que la valeur de la culture et de la connaissance pour la société repose sur son accès partagé.
Open sans pérennité (& fondement juridique) n’est que ruine de l’âme
La situation actuelle rappelle en effet que les principes du libre et de la collaboration ouverte ne sont souvent pas assez compris en dehors des cercles d’initié.e.s.
En premier lieu, la différence entre libre et gratuit n’est pas forcément claire, et il en va de même pour les modèles économiques sous-jacents (« si c’est gratuit, vous êtes le produit »). Pour beaucoup, la mise à disposition gratuite de ressources est considérée comme suffisante, sans forcément saisir les bases juridiques et économiques alternatives proposées par les ressources libres.
Les choix juridiques ont pour intérêt de prévenir un affaiblissement des projets, ainsi qu’une augmentation des risques d’enclosure (c’est-à-dire de réappropriation et d’accaparement de la valeur par un seul). Ainsi, les éléments de gouvernance sont déterminants dans la construction de communs et la pérennité des projets. Ces règles de gouvernance et de rétribution juste permettent en effet d’éviter un affaiblissement des projets et leur essoufflement. En la matière, la longue et complexe histoire de l’économie sociale et solidaire (ESS) peut servir de repères pour (re)construire des modèles de développement a-capitalistes. Les ressources organisationnelles qui font son originalité (coopératives, mutuelles, associations essentiellement) ont été récemment renforcées par les coopératives d’activité et d’emploi et les SCIC qui s’attachent à promouvoir des nouvelles gouvernances et dynamiques de partage des richesses et, dans le cas des SCIC, de productions de biens et de services d’utilité sociale.
L’urgence est ainsi d’assurer l’ouverture des ressources, y compris leur gouvernance, tout en veillant à ce que les projets financés par de l’argent public dans le cadre de cette crise soient ouverts par défaut. Dans cet esprit, le Directeur Général de l’OMS appelle tous les pays à soutenir les démarches d’open science, d’open data et d’open collaboration. De la même manière, aujourd’hui face à la situation d’urgence, plusieurs acteurs (éditeurs, industriels, etc.) mettent gratuitement à disposition leurs ressources et biens immatériels. En ce sens, l’initiative Open Covid Pledge regroupe un ensemble d’initiatives privées et publiques s’engageant à garder leurs contenus et connaissances ouverts pour mettre un terme à la pandémie COVID-19 et minimiser ses effets. Néanmoins, au-delà des annonces ou des ouvertures temporaires en temps de crise, l’enjeu est plus vaste et implique un changement de modèle.
Partout où est le numérique, cela induit que l’ouverture devient la base de modèles économiques et sociaux respectueux des acteurs et utilisateurs y participant, pour assurer une vision à long terme inclusive et ouverte. Un appel fait par exemple par la tribune « crise ou pas crise, nous avons besoin tout le temps d’un savoir ouvert » invite au développement d’un plan national pour la culture et l’éducation ouverte par les ministères à l’image du Plan national pour la science ouverte. À ce titre, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a, sous l’impulsion du Comité pour la science ouverte, ainsi demandé l’ouverture complète et immédiate des résultats de recherche, toutes disciplines confondues, liés à l’épidémie de Covid-19.
Ce positionnement soulève l’enjeu même des cadres d’interaction entre puissances publiques et initiatives communautaires. La question de l’accompagnement et de la protection de ces initiatives par le gouvernement et les instituts publics est majeure. Elle se doit d’être renforcée par un ensemble de jalons juridiques et structurels pour protéger de telles initiatives aux formes peu communes, qui ne doivent pas rester éphémères. Pour reprendre une citation tirée du documentaire « Nom de code : Linux » : « Ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code ». Ainsi, il s’agit de continuer à œuvrer à une transformation du rôle des membres du secteur public pour les faire sortir de leur dépendance vis-à-vis d’un secteur privé organisé selon des priorités de rentabilité, pour soutenir et s’appuyer sur un tissu d’initiatives proposant des modalités de développement pérennes.
Dans l’esprit des partenariats public-privé (PPP) pensés comme partenariats publics-communs, donner corps à ces projets implique d’associer des infrastructures à la fois techniques, juridiques et sociales et de faciliter un changement de culture pour préparer un numérique s’intégrant dans des projets de société durables (tendances qui existent déjà, comme l’initiative Numérique en Commun[s], Science avec et pour la Société).
Qui veut aller loin ménage ses infrastructures
Les solutions proposées aujourd’hui par les communautés du logiciel libre et de l’open source répondent à de nombreux besoins numériques, comme en témoigne le « succès » des solutions proposées par l’association d’éducation populaire Framasoft (visioconférence, documents partagés : pads) ou les acteurs du Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires (CHATONS). Toutefois, les infrastructures – techniques et humaines – sur lesquelles reposent ces services ne sont pas pensées et dimensionnées pour supporter la charge nécessaire au plus grand nombre. Au premier abord, l’on pourrait être tenté de penser que l’on touche du doigt les limites de ces modèles. Or, ce qui pourrait être perçu comme un « bug » ou une preuve d’inefficacité dans le système hyperproductif dans lequel nous vivons est plutôt la preuve que les modèles ouverts réfléchissent au temps long et aux implications sociales, politiques et environnementales qu’ils entraînent.
En effet, la logique de décentralisation sous-tendant les démarches ouvertes implique que ce ne soit pas à un seul responsable de résoudre le problème de toutes les personnes, mais plutôt que se mettent en place des mécanismes d’accompagnement et d’entraide mutuels permettant à chacun de disposer des solutions utiles et nécessaires : collectivement et globalement, plutôt qu’individuellement et de manière centralisée. Pour cela, à l’image du tissu de solidarité que ces initiatives créent sur l’ensemble du territoire en ce moment, il s’agit de consolider des projets impliquant de multiples acteurs qui déploient localement des solutions libres et ouvertes. C’est l’idée même des CHATONS de fournir des instances au niveau local pour héberger des solutions libres et open source. Le maillage du territoire par un ensemble de tiers-lieux et de Fablabs vient aussi répondre à une diversité de besoins et permet de mutualiser des ressources et outils tout autant que de partager des bonnes pratiques et savoirs communs créés.
C’est dans ce même esprit que le logiciel open source Jitsi sert de brique technique commune aux services opérés par de multiples acteurs, par exemple la fondation Jitsi, le GIP renater ou Framasoft avec framatalk et l’initiative « Ensemble contre le Covid-19 » lancée par Scaleway. Plus encore, les logiciels open source peuvent aussi être interconnectés par le biais de systèmes fédérés et décentralisés(permettant aux utilisateurs et utilisatrices d’une instance du logiciel d’être connectés à ceux d’une instance du même logiciel) : tels Diaspora, PeerTube, GNU Jami.
Or ce modèle de codéveloppement de solutions libres et open source, pour « une mise à l’échelle », implique un déploiement raisonné par rapport aux systèmes assurés par les solutions clefs en main offertes aujourd’hui (des solutions de communication à distance, au stockage de dossiers, etc.). La concurrence est particulièrement inégale puisqu’il s’agit de comparer un modèle pérenne, et donc à équilibre, avec un modèle productiviste n’intégrant pas dans son équation des critères de soutenabilité forte – déjà citées, les solutions de visioconférence particulièrement rapides, fiables et performantes qui continuent à investir à perte pour s’assurer la captation de la plus grande part de marché, dans une logique du “winner takes all” classique dans le monde du numérique. Les priorités de ces systèmes se fondent sur la quête toujours plus grande d’efficacité pour répondre aux besoins des utilisateurs et utilisatrices s’adaptant aisément à des innovations technologiques toujours plus rapides et performantes. Les considérations éthiques et de vie privée, même si celles-ci sont abordées (souvent par leur manquement), ne sont pas constitutives des principes fondateurs de ces modèles. Pire encore, la gratuité qu’ils peuvent offrir est parfois seulement temporaire (Trello), conditionnée (Google Maps, Google Mail, etc.) ou encore sujette à d’autres contreparties non nécessairement éthiques (tel l’antivirus Avast qui commercialisait les données personnelles de ses utilisateurs et utilisatrices ou le réseau Facebook qui, lors du scandale Cambridge Analytica, a révélé l’usage de son pouvoir d’influence sur ses utilisateurs et utilisatrices.
Aujourd’hui, plus encore, les initiatives des communs – offrant notamment une perspective écologique sur l’impact de l’utilisation des technologies numériques sur nos sociétés – résonnent tout particulièrement pour développer des milieux numériques durables,tout autant que pour penser la gestion des déchets numériques déjà produits (notion de communs négatifs). Ce qui se dessine ainsi, à l’inverse de solutions proposées pour une « sortie de crise », c’est l’importance d’accompagner le plus grand nombre vers une appropriation de cultures numériques pérennes plus solidaires et d’accepter aussi un ralentissement ou tout au moins une prise de recul critique sur ce que nous construisons.
Ne te limite pas à m’apporter des solutions, apprends-moi à les construire
L’expérience commune à l’échelle mondiale que nous traversons est aussi une opportunité unique pour faire comprendre largement, par des illustrations concrètes, les enjeux de société numérique et plus encore à rendre les citoyen.ne.s acteurs des décisions à prendre. C’est souvent par l’expérience que les apprentissages, les prises de conscience s’opèrent. Le moment que nous vivons est un point d’inflexion possible qu’il s’agit de saisir pour que les usages numériques se fassent avec les valeurs et principes du libre et des savoirs communs et ouverts.
Pour cela, il ne suffit pas d’apporter des solutions clefs en main, quand bien même elles seraient libres et ouvertes. Il s’agit aussi d’accompagner les usages et une évolution des cultures numériques pour permettre une citoyenneté plus éclairée, plus économe et plus souveraine vis-à-vis des risques de sécurité, sociaux, environnementaux et éthiques associés à ces technologies. Le « Cloud » par exemple n’est qu’un terme cachant des réalités techniques et juridiques bien concrètes. Aujourd’hui, rendre visibles les composantes sous-jacentes à ces mondes de l’immatériel est nécessaire, tout autant que de sensibiliser aux méthodologies garantissant la soutenabilité de tels projets. L’administration centrale, qui a intégré cette logique pour ses propres besoins internes en créant par exemple l’application libre de messagerie instantanée et sécurisée de l’État Tchap, rendue disponible récemment aux pompiers, donne un exemple encourageant aujourd’hui pour faire rayonner cette infrastructure plus largement. La puissance publique conserve un rôle déterminant pour opérer de tels changements, à la fois en tant qu’actrice et qu’orchestratrice de cette dynamique.
Par nature, un contenu ou un service gratuit fourni par une plateforme propriétaire a une trajectoire bien distincte d’une ressource construite et maintenue collectivement par une communauté. Plus encore, cela induit de considérer autrement la licence qui définit les termes d’usages d’une ressource conçue collaborativement par une communauté sous forme de contrat social et économique, et les outils juridiques traditionnellement utilisés. Organisée, la communauté d’une plateforme a plus de valeur que la plateforme elle-même. Cela rappelle aussi que les ressources numériques et immatérielles que nous utilisons sont aujourd’hui conditionnées par leur financement, encore plus peut-être lorsqu’elles sont proposées gratuitement aux personnes les employant. Il en va de même pour les ressources ouvertes, qu’elles soient hébergées et maintenues par les utilisateurs et utilisatrices ou encore par celles et ceux qui y ont un intérêt (acteurs publics, constructeurs de matériels, etc.). Ces idées de bon sens, pour être mises en œuvre, reposent sur un changement collectif en articulant l’échelle globale et locale. Ainsi, c’est un moyen de permettre une « souveraineté » locale (accès aux biens immatériels) tout en développant des collaborations internationales évitant le repli nationaliste.
Cette expérience a aussi aidé à la compréhension des processus mêmes de construction des savoirs. Les dernières semaines ont montré au plus grand nombre les coulisses de la recherche scientifique et de son modèle socio-économique. La crise actuelle, loin de n’être que sanitaire, montre également un enchevêtrement de décisions sociales et politiques s’appuyant sur des faits scientifiques – ces derniers, ainsi même que la méthode qui les fait émerger, faisant l’objet de nombreux débats. Les controverses portant sur les essais thérapeutiques de la chloroquine ou les revirements de situation des mesures de confinement selon les pays en fonction des modélisations qui soutenaient les décisions, soulignent comment les sciences s’articulent avec des enjeux sociaux, éthiques, économiques politiques (voir notamment le positionnement du Comité d’éthique du CNRS). Dans ce contexte, l’open science devient le fondement essentiel pour assurer un suivi des processus de décision. Elle ne doit cependant pas être réservée aux seuls chercheur.e.s mais doit permettre d’instaurer ses principes en société.
Cela demande, à l’image des valeurs de Wikipédia, d’œuvrer encore plus à une mutualisation de ressources en tant que communs numériques, avec un nécessaire travail de revues par les pairs qui n’impliquent pas seulement les professions de la recherche et de la santé, mais également la société civile (voir notamment le (réseau ALISS)) pour vérifier chaque information, l’enrichir afin qu’elle soit la plus fiable, éthique et la plus qualitative possible. Il y a donc là un défi de traduction et de médiation pour des individus et collectifs ayant chacun souvent leurs propres pratiques, et un bagage culturel et conceptuel qui peut s’avérer difficile à comprendre pour des sphères extérieures. Le moment que nous traversons vient remettre à plat les éléments fondamentaux qu’il s’agit de mettre en place dès maintenant pour protéger les dynamiques des communautés à l’œuvre tout en construisant des suites qui s’appuient sur un travail de fond commun pour maintenir et consolider les coalitions que ce moment aura vues émerger.
Découvrez les impulsions (enseignements et mesures) découlant de ce mémorandum.
Concrètement : pourquoi et comment ?
La crise actuelle démontre la fragilité du système économique et organisationnel sur lequel reposent nos sociétés.
Si elle en démontre la nécessité, il ne faut pas penser qu’une telle crise suffira à opérer un basculement. Penser un « après » nécessite donc un long travail de déconstruction opéré d’ores et déjà par les communautés constituées autour du libre, de l’open et des communs numériques, qui démontrent par leur existence même et leurs actions concrètes la possibilité de construire des projets d’intérêt général autrement.
Écrit durant la crise, le mémorandum rappelle l’importance et la place des initiatives ouvertes, participatives et collaboratives pour notre société. Il permettra de se souvenir, mais aussi d’inspirer nos politiques publiques à venir. Devant l’urgence, il se double d’un certain nombre de mesures immédiatement envisageables et parfois déjà initiées.
L’on tire de cette situation les enseignements suivants :
- Les mouvements « libres et ouverts », et ceux ancrés dans une dynamique de « communs numériques » participent aujourd’hui rapidement et justement à répondre aux besoins révélés quotidiennement par la crise sanitaire et sociale.
- La croissance du nombre de « communs numériques » permet d’imaginer une société structurée non pas autour de la détention d’une technologie, mais au contraire autour de la capacité des acteurs à travailler ensemble et à créer de la valeur en commun.
- L’attrait fort des modèles collaboratifs ouverts se retrouve confronté à une acculturation et une éducation encore insuffisante des acteurs souhaitant collaborer.
- Le développement d’une économie pérenne repose sur une sensibilisation aux enjeux juridiques et socio-économiques sous-jacents, afin d’assurer que ces nouveaux équilibres s’appuient sur des règles suffisamment consensuelles, claires et comprises.
- Les technologies numériques essentielles doivent être des « communs numériques » bâtis par des communautés respectueuses de la liberté et de leurs droits fondamentaux. Cette solution est plus longue, mais atteignable par nos sociétés si elles en prennent la mesure.
- Plus l’environnement, le contexte, les sujets montent en complexité, plus il devient essentiel de donner de nouvelles capacités d’actions et des moyens aux communautés distribuées, de se doter ainsi de nouveaux processus collectifs pour débattre, choisir et agir.
Compte tenu de la situation de crise, il est urgent et nécessaire dès maintenant que, par principe, des financements publics soient intégrés aux appels à projets ou appels à manifestation d’intérêt (AMI) de toutes les agences publiques et convergent pour alimenter un fonds de communs ouverts et pérennes.
Mesures actionnables
Plus encore, à l’aune de la crise que nous vivons toutes et tous et pour ne pas subir des mesures biaisées par une récupération politique ou économique des événements, nous souhaitons être assuré.e.s que d’ici 2021 :
- L’intérêt des dynamiques libres, ouvertes et collaboratives soit officiellement reconnu et soutenu dans leurs formes technologiques (logiciels, bases de données, documentations et spécifications, etc.) et systémiques (recherche ouverte, gouvernance ouverte, culture ouverte, etc.), en pensant la création et l’entretien d’infrastructures numériques essentielles à ces projets d’intérêt général.
- Des partenariats publics-communs soient réellement ouverts, dans chaque région, accompagnés de dispositifs nationaux, favorisant l’émergence de communs dans les champs numériques de notre société, dans des dynamiques d’ouverture, de collaboration et de frugalité numérique.
- Les modalités économiques et fiscales à destination des acteurs du numérique soient repensées pour éviter à tout prix les enclosures numériques et encourager la valorisation publique au travers de la diffusion ouverte des ressources financées par de l’argent public.
- Les modèles de propriété – et encore plus de « propriété intellectuelle » – soient interrogés véritablement à l’aune d’une société soutenable qui soit durable et prospère. Cela au moins dans leurs usages et capacités à répondre aux préoccupations sociétales majeures, en temps de crise et en temps normal.
- Un accompagnement soit mis en place vers l’ouverture des contenus et infrastructures des organisations publiques ayant pour mission l’accès ou la diffusion de la culture et des connaissances.
- Les synergies entre l’ESS et les communs soient renforcées dans le monde du numérique et des communs de la connaissance, en construisant des modèles d’économie sociale dans le numérique et en s’appuyant sur l’approche par les communs pour défendre les principes d’intérêt général et d’utilité sociale.
- Le statut des personnes contributrices aux communs soit reconnu en terme social et sociétal en leur consacrant des droits effectifs et opposables.
NB : le texte publié ci-dessus correspond au texte de mémorandum publié le 29/04/2020 et est soumis à de potentiels changements. Nous vous conseillons donc sa lecture sur le site officiel.