Le Petit Prince canadien est sorti de prison avant le Petit Prince français

Drizinha - CC by-saDans mon podium littéraire francophone à moi, il y a Cyrano de Bergerac, Voyage au bout de la nuit et Le Petit Prince.

Le premier est depuis longtemps tombé dans le do… tout comme Wikipédia, je n’aime l’expression « tomber dans le domaine public ». Nous ne marchons pas sur une peau de banane lorsqu’arrive ce qui serait plutôt une bonne nouvelle, à savoir ajouter une unité à la tour de Babel des biens communs. Je lui préfère donc de loin « entrer dans le domaine public », voire même, comme certains le préconisent religieusement, « s’élever dans le domaine public ».

Je reprends donc. Cyrano est depuis longtemps entré dans le domaine public. Pour les deux autres, il va encore falloir patienter un peu, pour ne pas dire beaucoup : 2031 pour Le Voyage et 2014 pour Le Petit Prince. Vous me direz que c’est étrange puisque Le Voyage (1932) a été publié bien avant Le Petit Prince (1943). L’explication vient de la législation : les œuvres entrent dans le domaine public 70 ans après la mort des auteurs. Céline étant mort en 1961 tandis que Saint-Exupéry est venu tragiquement s’écraser en mer en 1944.

70 ans c’est long et arbitraire soit dit en passant. Certains ont bien raison de vouloir réduire la période, alors même que d’autres tentent de l’allonger plus encore ! (cf cette percutante vidéo sous-titrée par nos soins).

Mais 70 ans c’est surtout une mesure nationale. Ce n’est ni européen, ni mondial. La durée minimale de protection imposée par les conventions internationales est de 50 ans après la mort de l’auteur. Mais ça n’est qu’une durée minimale. Et chaque pays est libre, comme ici la France, d’y ajouter quelques années supplémentaires, au grand dam du public. Le problème c’est qu’à l’ère du numérique et d’Internet ces différences de régime peuvent potentiellement aboutir à de beaux casse-têtes juridiques. Et justement j’en ai a priori un à vous proposer.

Il faut savoir en effet que le Canada a lui la bonne idée de s’arrêter à la limite inférieure des conventions internationales, à savoir donc 50 ans après la mort des auteurs. Autrement dit Le Petit Prince est déjà entré dans le domaine public de l’autre côté de l’Atlantique !

À partir de là on se retrouve avec un site, Wikilivres, qui le propose sur une seule et unique page dans son intégralité, magnifiques dessins inclus ! Le site ne s’arrête d’ailleurs pas là puisqu’il offre également des traductions en plusieurs langues dont l’anglais, l’espagnol et l’allemand.

Wikilivres prend soin, la belle affaire, de nous préciser ceci : « Cette œuvre est dans le domaine public au Canada, mais encore soumis aux droits d’auteur dans certains pays, notamment en Europe et/ou aux États-Unis. Les téléchargements sont faits sous votre responsabilité ».

Il n’empêche que nous sommes sur le Grand Internet, qui n’a assurément pas les mêmes frontières que le monde physique, et que cela m’interpelle.

Du coup j’ai imaginé quelques questions (dont j’assume la naïveté) que je soumets à votre sagacité :

  • Tout d’abord, Wikilivres a-t-il le droit de mettre en ligne ainsi l’intégralité du livre ? Est-ce que l’emplacement géographique du serveur du site (au Canada ou non) a une quelconque importance ?
  • Ai-je moi le droit de consulter l’intégralité du Petit Prince sur Wikilivres en me connectant hors du Canada ? Cela semble idiot, j’en conviens, et pourtant même là j’ai un doute. Parce qu’avec le développement de la téléphonie mobile, cela signifie que tout le monde sur la planète peut potentiellement lire le livre (modulo le fait que découvrir Le Petit Prince à travers l’écran de son smartphone, c’est pas forcément le top).
  • En tant que non canadien puis-je tranquillement imprimer à des fins personnelles l’intégralité du Petit Prince de Wikilivres ? Puis-je l’inclure dans ma liseuse numérique (Kindle, etc.) ?
  • Les conventions internationales énoncent que la durée de protection d’une œuvre ne peut excéder celle de son pays d’origine. Mais ici on est dans la situation inverse. Celle où elle est plus longue dans le pays d’origine. Va-t-on se retrouver dans une situation où pendant 20 ans le Canada offrira toute la culture française en avant-première dans le domaine public ?
  • Je ne peux clairement pas récupérer le fichier sur Wikilivres et m’en aller tranquillement sur InLibroVeritas créer mon livre Petit Prince à moi. Mais puis-je le faire si je trouve un équivalent canadien qui me fabrique donc le livre pour ensuite me l’envoyer en France ?
  • Un enseignant français, qui veut étudier l’œuvre, peut-il aller en salle informatique et demander à ses élèves de se connecter sur Wikilivres pour travailler dessus ?
  • Dans les pays où s’appliquent le droit d’auteur (comme en France) et non le copyright (comme aux USA), les auteurs et leurs héritiers conservent indéfiniment leur droit moral. Wikipédia nous dit : « Pour respecter le droit moral de l’auteur d’une œuvre entrée dans le domaine public, il suffit de citer le nom de l’auteur et le titre de l’œuvre utilisée ». Est-ce vraiment l’unique condition ? (interrogation non liée à la situation mais qui me turlupine également)
  • L’auteur doit-il avoir été publié dans un pays donné pour avoir le droit d’entrer dans le domaine public de ce pays ? Que l’auteur n’ait pas la nationalité du pays change-t-il quelque chose ? Comment cela se passe-t-il dans des pays comme la Chine ou Cuba ?
  • Saint-Exupéry est « Mort pour la France ». Doit-on alors rallonger de 30 ans l’entrée dans le domaine public du Petit Prince ? Ce qui nous ferait donc aller jusqu’en 2044, c’est-à-dire 100 ans après la mort de l’auteur ! Ce qui est sûr c’est que Saint-Exupéry n’est pas « Mort pour la Canada » !
  • Question subsidiaire : L’illustration[1] de mon billet est plus que sujette à caution. Je pourrais dire que cela n’est pas ma faute puisque j’ai récupéré cette photo sur Flickr et qu’elle a été placée par son auteur (en l’occurrence une dénommée Drizinha) sous licence Creative Commons By-Sa. Qui est responsable de quoi dans ces cas là ?
  • Le titre de mon billet est-il mal choisi ? (là, j’ai déjà la réponse)

N’hésitez pas à réagir, (tenter de) répondre aux question et/ou en suggérer d’autres dans les commentaires (que je me ferai un plaisir pour les plus pertinentes d’ajouter a posteriori à la liste ci-dessus).

Et pour conclure, j’use de mon droit de courte citation pour extraire ci-dessous un passage du Petit Prince, que je dédicace à tous les petits-enfants qui vivent aujourd’hui gracieusement des droits d’auteur de leurs grands-parents.

Le Petit Prince : Et que fais-tu de ces étoiles ?
Le businessman : Ce que j’en fais ?
— Oui.
— Rien. Je les possède.
— Tu possèdes les étoiles ?
— Oui.
— Mais j’ai déjà vu un roi qui…
— Les rois ne possèdent pas. Ils règnent sur. C’est très différent.
— Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ?
— Ça me sert à être riche.
— Et à quoi cela te sert-il d’être riche ?
— À acheter d’autres étoiles, si quelqu’un en trouve.
Celui-là, se dit en lui-même le petit prince, il raisonne un peu comme mon ivrogne. Cependant il posa encore des questions :
— Comment peut-on posséder les étoiles ?
— À qui sont-elles ? riposta, grincheux, le businessman.
— Je ne sais pas. À personne.
— Alors elles sont à moi, car j’y ai pensé le premier.
— Ça suffit ?
— Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n’est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n’est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n’a songé à les posséder.
— Ça c’est vrai, dit le petit prince. Et qu’en fais-tu ?
— Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. C’est difficile. Mais je suis un homme sérieux !
Le petit prince n’était pas satisfait encore.
— Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l’emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l’emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles !
— Non, mais je puis les placer en banque.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire que j’écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j’enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.
— Et c’est tout ?
— Ça suffit !
C’est amusant, pensa le petit prince. C’est assez poétique. Mais ce n’est pas très sérieux.

Notes

[1] Crédit photo : Drizinha (Creative Commons By-Sa)




Hadopi à l’école : transformons la propagande en opportunité

Pink Sherbet Photography - CC byVous ne le savez peut-être pas, mais nous, professeurs, sommes désormais dans l’obligation légale « d’enseigner l’Hadopi » à vos enfants.

C’est évidemment un peu caricatural de présenter la chose ainsi. Sauf que voici ce qu’on peut lire actuellement en accueil et en pleine page de la rubrique Legamédia du très officiel site Educnet : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet (et) demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés ».

Le message est on ne peut plus clair, d’autant que Legamédia[1] se définit comme « l’espace d’information et de sensibilisation juridique pour la communauté éducative ».

Dura lex sed lex

Ceci place alors les nombreux collègues, qui n’étaient pas favorables à cette loi liberticide, dans une position difficile. Nous sommes de bons petits soldats de la République mais la tentation est alors réelle d’adopter une attitude larvée de résistance passive. Cependant, à y regarder de plus près, rien ne nous oblige à entrer dans la classe en déclamant aux élèves : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet, voici pourquoi… »[2].

Que dit en effet précisément la loi, pour les passages qui nous concernent ici ?

Elle dit ceci (article L312-6) :

Dans le cadre de ces enseignements (artistiques), les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique.

Elle dit cela (article L312-9) :

Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique.

Dans ce cadre, notamment à l’occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009) de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne.

Et puis c’est tout.

Sous les pavés du copyright, la plage du copyleft

Pourquoi alors évoquer dans mon titre aussi bien une propagande qu’une opportunité ?

La réponse est toute entière contenue dans les deux sous-amendements déposés par M. Brard et Mme Billard en avril 2009 (n° 527 et n° 528).

Ils visaient à ajouter la mention suivante au texte de loi ci-dessus : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. »

Et les justifications données valent la peine d’être rappelées.

Pour le sous-amendement n° 527 :

L’article L312-9 du Code de l’éducation dispose que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique ». Il serait fort regrettable que sous couvert de prévention et de pédagogie autour des risques liés aux usages des services de communication au public en ligne sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, soit présentée comme seule alternative une « offre légale » qui occulterait la mise en valeur et la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. On violerait là, dans la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, les principes de la neutralité scolaire sous l’égide même du ministère de l’Éducation nationale.

Pour le sous-amendement n° 528 :

Ce sous-amendement permet de préciser le lien entre « téléchargement » et « création artistique », dans le respect de la neutralité de scolaire.

Il ne s’agit pas de condamner une technologie par définition neutre, mais les usages illicites qui en sont faits, en mettant en avant les usages licites de partage des œuvres culturelles.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers, qui enrichissent la création artistique.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adaptée à l’éducation.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture, et de partage culturel entre particuliers. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et souvent la transformation des œuvres, encourageant de nouvelles pratiques de création culturelle.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres ne sont pas des oeuvres libres de droits : si leur usage peut être ouvertement partagé, c’est selon des modalités dont chaque ayant droit détermine les contours. Les licences ouvertes sont parfaitement compatibles avec le droit d’auteur dont les règles, qui reposent sur le choix de l’auteur, permettent que soient accordées des libertés d’usage.

Elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, le dernier album du groupe Nine Inch Nails, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plateforme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

Ces amendements ont été malheureusement rejetés, sous le prétexte fumeux que ça n’était « pas vraiment pas du ressort de la loi mais plutôt de la circulaire » (cf article de l’April). On pourra toujours attendre la circulaire, elle ne viendra pas. Car c’est bien ici que se cache la propagande.

De la même manière que le logiciel propriétaire a tout fait pendant des années pour taire et nier l’existence du logiciel libre en ne parlant que de logiciel propriétaire dûment acheté vs logiciel propriétaire « piraté », les industries culturelles (avec l’aide complice du gouvernement) ne présentent les choses que sous l’angle dichotomique de l’offre légale vs le téléchargement illégal en occultant totalement l’alternative des ressources sous licence libre. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour comprendre pourquoi !

Nous pouvons cependant retourner la chose à notre avantage, tout en respectant évidemment la loi. Il suffit de présenter la problématique aux élèves sous un jour nouveau. Non plus la dichotomie précédente mais celle qui fait bien la distinction entre ressources sous licence fermée et ressources sous licence ouverte ou libre.

Exemple de plan. Dans une première partie, on évoquera bien entendu l’Hadopi, le téléchargement illégal (les amendes, la prison), l’offre légale, les droits d’auteur classiques de type « tous droits réservés », etc. Mais dans une seconde partie, plus riche, féconde et enthousiaste, on mettra l’accent sur cette « culture libre » en pleine expansion qui s’accorde si bien avec l’éducation.

C’est bien plus qu’une façon plus ou moins habile de « lutter contre l’Hadopi ». C’est une question de responsabilité d’éducateur souhaitant donner les maximum de clés à la génération d’aujourd’hui pour préparer au mieux le monde demain.

Préalablement sensibilisés

Encore faudrait-il, et désolé pour la condescendance, que les enseignants comprennent de quoi il s’agit et adhèrent à cette manière de voir les choses. Ce qui n’est pas gagné, quand on regarde et constate la situation actuelle du logiciel libre dans l’éducation.

La loi stipule que « les élèves reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur… ». Peut-on aujourd’hui compter sur le ministère pour que cette sensibilisation ne se fasse pas à sens unique (et inique) ? Une fois de plus, je crains fort que non.

Peut-être alors serait-il intéressant de proposer aux collègues une sorte de « kit pédagogique dédié », élaboré conjointement par toutes les forces vives du libre éducatif et associatif ?

L’appel est lancé. Et en attendant voici en vrac quelques ressources internes et non exhaustives du Framablog susceptibles de participer à ce projet.

J’arrête là. N’ayant ni la volonté de vous assommer, ni le courage d’éplucher les quelques six cents articles des archives du blog. Sacrée somme en tout cas, qui me donne pour tout vous dire un léger coup de vieux !

Certains disent que la bataille Hadopi a été perdue dans les faits (la loi est passée) mais pas au niveau des idées et de la prise de conscience de l’opinion publique. Montrons ensemble qu’il en va de même à l’Éducation nationale en profitant de la paradoxale occasion qui nous est donnée.

Notes

[1] Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Framablog évoque Legamédia.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Un Centre de Formation Logiciels Libres pour les Universités d’Île-de-France !

CF2L - La salle de formation - Jean-Baptiste YunesIl reste beaucoup à faire pour améliorer la situation du logiciel libre dans l’éducation en général et dans l’enseignement supérieur en particulier.

C’est pourquoi nous sommes fiers et heureux de pouvoir annoncer une grande première dans le monde universitaire : l’ouverture prochaine du CF2L-UNPIdF, c’est-à-dire Centre de Formation Logiciels Libres – Université numérique Paris Île-de-France en direction de tous les personnels des universités de la région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…).

D’autant plus fiers que Framasoft est directement impliqué en participant de près à la logistique.

Le programme, planning et site officiel seront disponibles prochainement, mais en attendant nous vous proposons un entretien avec le principal artisan de ce projet, Thierry Stœhr (que beaucoup ici connaissent déjà sous d’autres casquettes).

Vous pouvez relayer dès maintenant l’information, maximisant ainsi les chances de toucher le public concerné (contact : cf2l AT unpidf.fr).

Faire en effet salle comble dès la première session (et aux suivantes aussi !) témoignerait du besoin et de l’intérêt du personnel universitaire pour les logiciels libres et nous permettrait de poursuivre et d’étendre les formations au cours des prochaines années. Et au libre de trouver une place logique et méritée[1].

CF2L : Entretien avec Thierry Stœhr

Bonjour Thierry, vous n’êtes pas inconnu en ces lieux mais pouvez-vous néanmoins vous présenter ?

Styeb - CC by-saBonjour Alexis et bonjour aux nombreux lecteurs de Framablog ! Je m’appelle Thierry Stœhr, en effet déjà cité en ces lieux 🙂 Je suis enseignant de formation et je suis dans le monde du logiciel libre depuis 1998. J’ai commencé à m’impliquer dans le libre au travers de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL) en étant au Bureau de son Conseil d’Administration depuis sa création. J’en suis l’actuel président.

J’ai participé à de nombreuses manifestations et actions (comme les RMLL, le groupe éducation de l’AFUL, des conférences,…). Je traitais notamment du sujet des formats et j’ai ouvert en juillet 2004 avec Sylvain Lhullier un site Web sur le sujet, Formats-Ouverts.org (FOo pour faire court). Les formats y sont envisagés et expliqués au sens large (le cas des fichiers, mais aussi avec les capsules de café ou les déménagements). Et donc 5 ans d’âge en juillet dernier pour FOo.

Mais cela fait ne fait pas vivre son homme ! Et dans votre vie professionnelle, il y a aussi du logiciel libre ?

Tout cela était bénévole et hors de mon temps de travail, c’est exact. Mais le logiciel libre est présent professionnellement depuis la rentrée 2009.

En effet j’ai été recruté par l’université Paris Diderot Paris 7 (dont le campus principal est dans le 13e arrondissement, quartier Paris Rive Gauche). Je travaille au SCRIPT (oui, le nom est un clin d’œil et signifie quelque chose de réel : Service Commun de Ressources Informatiques Pédagogiques et Technologiques !). Au sein du SCRIPT j’ai 2 missions. D’une part je suis chargé de coordonner le C2i (Certificat informatique et Internet) que tous les étudiants doivent pouvoir passer au cours de leur licence. Ils ont tous à Paris Diderot un enseignement en informatique général au cours duquel ils travaillent la bureautique et à propos d’Internet. Et le libre est très présent (mais c’est un autre sujet !). D’autre part les logiciels libres occupent la seconde moitié de mes activités au sein du SCRIPT : diffusion interne et externe, veille, information et surtout en ce moment le CF2L.

Le CF2L ?

C’est le Centre de Formation Logiciels Libres, qui pourrait s’écrire CFLL mais CF2L a été retenu. Il s’agit d’une structure mise en place par l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF) qui regroupe les 17 universités… d’Île-de-France ! L’UNPIdF a décidé d’ouvrir début 2010 un centre destiné à la formation aux logiciels libres de tous les personnels des universités de la Région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…). Dans le cadre de sa stratégie de formation aux usages du numérique à destination des personnels universitaires, un premier centre de formation, le RTC Apple, a été ouvert début 2009. Il est implanté à l’université Paris Descartes. La volonté de l’UNPIdF est d’avoir aussi des centres à propos des autres plate-formes. D’où l’appel à candidature qui a été lancé pour un centre à propos des logiciels libres. Suite aux réponses obtenues, deux implantations ont été retenues : l’université Paris Descartes et l’université Paris Diderot.

Et quel est votre rôle dans ce CF2L ?

D’une manière générale, il s’agit de le faire vivre, en employant mes compétences et connaissances à propos du libre. Plus concrètement, je suis chargé du volet pédagogique du centre (contenu, programme, calendrier, intervenants,…) avec aussi un volet technique pour s’assurer que tout fonctionne. Mais ce dernier point repose sur les compétences internes en libre, qui sont très importantes. L’université Paris Diderot s’appuie beaucoup sur le libre (mais c’est encore un autre sujet !). Le projet du CF2L est fortement soutenu en interne, notamment par la Mission TICE.

D’ailleurs la mission TICE de l’Université Paris Diderot avait annoncé cette excellente nouvelle, mais les 140 caractères limitaient la description du projet. Nous en savons un peu plus, mais quelques détails supplémentaires à nous donner ?

Le Centre de Formation Logiciels Libres doit ouvrir le 5 février 2010, un vendredi. Ce sera la première journée de formation. Elle devrait porter sur la découverte des systèmes d’exploitation libres, les principes et les concepts généraux, le fonctionnement, l’installation. Bref, les premiers pas, la prise en main et les premières utilisations. Enfin il faut annoncer une autre caractéristique importante à propos du CF2L : Framasoft est partenaire de l’opération auprès de l’UNPIdF. Je suis très content de ce montage qui devrait permettre de belles réalisations.

Un mot de fin ?

Oui, et même quatre : diffuser, montrer, copier, adapter !

Il ne faut pas hésiter à diffuser l’information. Les personnels des universités d’Ile de France seront bien sûr informés officiellement, mais voilà un premier canal, qui va même vers le monde 😉

Montrer au grand jour des logiciels libres développés par des personnels de l’université et pour l’université (et plus largement encore) est possible via le CF2L. Cela peut compléter ce que font déjà PLUME ou Framasoft (je pense par exemple à 2 logiciels libres de 2 universitaires qui se reconnaitront… ; encore un autre sujet !).

Enfin copier et adapter : les logiciels libres sont très présents dans l’enseignement supérieur. Qu’ils se montrent donc encore plus au grand jour… et que ce qui a été mis en place (mon recrutement, le CF2L) soit copié dans d’autres universités et d’autres universités numériques en région, en adaptant (et en améliorant) le dispositif.

Merci pour toutes ces précisions. Et sinon continuez-vous à murmurer ouverts à l’oreille des formats ?

Il faut sans cesse le murmurer et aussi l’affirmer fortement, notamment aux oreilles de tous les enseignants (et des étudiants). Rendez-vous pour la suite (avec le programme, des détails techniques,…) car il y a encore du travail avant l’ouverture du CF2L : La route est longue mais la voie est libre !

Pour de plus amples informations : thierry.stoehr AT script.univ-paris-diderot.fr

Notes

[1] Crédit photos : Jean-Baptiste Yunes et Styeb (Creative Commons By-Sa)




Montre-moi tes commentaires et je te dirai si tu es un bon développeur

Fraserspeirs - CC byEn programmation, les commentaires sont des portions du code source ignorées par le compilateur ou l’interpréteur, car ils ne sont pas nécessaires à l’exécution du programme, nous dit Wikipédia.

De fait ils sont le plus souvent utilisés pour expliquer le code, et contrairement à ce dernier qui nécessite un langage de programmation, les commentaires se font dans une langue humaine, généralement en anglais.

C’est une opération indispensable et une partie intégrante du travail du développeur, afin qu’un autre puisse comprendre et éventuellement modifier le code initial (quitte à ce que cet autre soit l’auteur même des commentaires, reprenant son code quelques temps plus tard).

De par le fait que sa nature en autorise l’accès et le ré-appropriation, on comprendra que ces commentaires soient encore plus importants dans le cas d’un logiciel libre.

Il se trouve cependant que, par paresse, manque de temps ou mépris pour ce qui ne serait pas de la programmation stricto sensu, ils sont parfois quelque peu négligés par les développeurs.

Or l’hypothèse défendue ici est qu’il y aurait une corrélation directe en la qualité des commentaires et la qualité du code.

Affirmer ainsi péremptoirement que l’un n’irait pas sans l’autre est somme toute assez osé. Mais cela a le mérite d’évoquer cette « face cachée » de la programmation qui fait aussi partie des compétences attendues d’un bon développeur[1].

Si les commentaires sont moches, le code est moche

If the comments are ugly, the code is ugly

Esther Schindler – 15 novembre 2009 – IT World
(Traduction Framalang : Goofy)

C’est un peu dur, je sais, mais finalement je crois que c’est vrai.

Le développeur de Plone Martin Aspeli m’a signalé un billet assez judicieux dans lequel un programmeur en C faisait part de trois règles apprises à ses dépens. Celle qui a particulièrement attiré l’attention de Martin (et la mienne) est la suivante :

Les bons programmes ne comportent aucune faute d’orthographe ni de faute de grammaire. Je pense que cela vient probablement d’une attention soutenue aux moindres détails ; dans les programmes excellents tout est correct à tous les niveaux, jusqu’aux points qui terminent les phrases de commentaires.

« Allez, tu charries ou quoi ? ». Vous pourriez croire que pinailler à ce point est indigne de vous, « Et bien je m’en vais commencer à vous signaler les erreurs dans votre code lui-même ». J’ai été bien embarrassé les deux ou trois fois où ça m’est arrivé.

La programmation, que vous la pratiquiez en enthousiaste de l’open source ou parce que vous êtes au service du patron, est un exercice qui exige de l’attention aux détails. Quiconque écrit un logiciel doit être pointilleux, sinon le code ne fonctionnera pas. Je suis sûre que je n’ai pas besoin de vous citer la série des célèbres bogues de programmation dont s’est rendu coupable un programmeur qui a utilisé une virgule et non un point, ou des plantages aléatoires provoqués par deux lignes de code placées au mauvais endroit ?

Il est possible que mon jugement soit faussé par mes fonctions d’écrivain et d’éditrice, mais je crois fermement que si vous ne pouvez pas trouver le temps d’apprendre les règles de syntaxe de la langue (y compris la différence entre « c’est » et « ces », ou encore « m’a » et « ma »), je ne crois pas que vous puissiez être beaucoup plus consciencieux pour écrire du code en respectant les bonnes pratiques. Si vos commentaires sont négligés, je m’attends à trouver du code négligé.

Mon postulat vient de ce que m’a enseigné un éditeur très brillant, il y a dix ans (Laton McCartney, si tu lis ça : merci !). Si tu peux écrire le chapeau, disait-il, tu peux écrire l’article très facilement. Si tu ne peux pas écrire le chapeau, c’est que tu ne comprends pas encore ce que tu veux dire, et tu ne devrais pas commencer à écrire (le « chapeau » est le petit paragraphe d’accroche qui suit le grand titre, qui dit en un mot de quoi il est question et invite gentiment le lecteur à en savoir plus). De filandreuses « explications » du code dans les commentaires de l’application (c’est-à dire, ceux qui se lisent comme de bonnes excuses) indiquent que le développeur ne savait probablement pas ce qu’il faisait au juste. Ce qui signifie que son code est éligible au titre de nid à bugs.

Se plaindre de la mauvaise documentation interne est un vieux refrain, mais il existe une raison pour laquelle il est important de la faire bien. Vos commentaires sont la seule façon dont vous disposez pour communiquer avec la prochaine personne qui regardera votre logiciel (il se peut même que ce soit vous) en profondeur, et pas juste une ligne ou deux. À quoi pensiez-vous en écrivant ce code ? D’accord, du code « auto-documenté » c’est l’idéal, mais c’est un peu arrogant de prétendre que vous l’avez atteint, et ça l’est tout autant de ma part si je prétends que mes phrases n’ont pas besoin d’être révisées (elles en ont besoin, je suis bien contente d’avoir un correcteur).

Un autre problème habituel dans la médiocrité des commentaires apparaît lorsque les développeurs mettent à jour le code sans mettre à jour les commentaires ; comme l’a expliqué un consultant, les commentaires ne sont pas testés. Mais est-ce qu’il ne s’agit pas là encore d’un manque d’attention aux détails ? À chaque fois que vous n’êtes pas totalement attentif, vous êtes prédisposé à laisser tomber un petit bout de logique.

Vous voulez quelques exemples ?

En voici un tiré d’une explication à propos d’un choix de conception. (« oui, je devine que c’était probablement intentionnel », a écrit le programmeur qui m’a montré cet exemple. « mais c’est bien là le problème : il faut que je devine ».)

 «... des questions prévues pour injustifier un débat...» 

Voici maintenant une authentique ligne de code avec un commentaire. Notez que le commentaire met l’accent sur la faute d’orthographe. Sans compter que le commentaire vous indique que le programmeur n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait au départ. Particulièrement parce qu’il n’aurait pas dû écrire « finished » (NdT : fini) dans ce bout de code, mais qu’il aurait dû essayer « complete » (NdT : terminé).

 if item.getState() == 'finsihed': #est-ce correct? 

Bon, je vous accorde quelques exceptions. Si l’anglais n’est pas votre langue maternelle, il est possible que les commentaires que vous laissez dans votre code montrent que vous n’êtes pas à l’aise pour écrire en anglais. Cependant, en ce qui me concerne je n’ai pas trouvé que c’était le cas. Comme beaucoup d’Américains s’en sont rendu compte, les capacités en anglais des « étrangers » sont généralement bien meilleures que les nôtres. Parmi les développeurs que je connais, ceux qui ont des lacunes dans leur maîtrise de la langue anglaise en sont conscients et font tout leur possible pour qu’un anglophone passe en revue leur documentation.

Je ne me lancerai pas dans des considérations sur l’indentation du code et des commentaires, c’est une guerre de religions. Mais j’ai rencontré des développeurs qui réagissaient aussi violemment devant un formatage de code « moche » que moi devant une grammaire moche.

Les environnements de développement modernes procurent la discutable possibilité aux développeurs d’être négligents sans effets pervers ; une interface glisser-déposer vous permet de créer une application vite fait bien fait (ou plutôt mal fait, j’en ai peur) avec bien moins d’horribles dommages collatéraux qu’à l’époque où les logiciels étaient généralement écrits en assembleur. Pourtant, d’une certaine façon, j’ai du mal à considérer le « je peux être négligent » comme un avantage réel.

La règle du commentaire « moche » vaut autant pour les applications propriétaires que pour les logiciels open source. Mais les développeurs de FOSS (NdT : Free and Open Source Software, les logiciels libres et open source) doivent faire beaucoup plus attention encore pour deux raisons. La première, c’est qu’au bureau, vous avez de grandes chances de croiser le développeur du code mal fichu et de pouvoir lui poser des questions (ou de lui en coller une, si c’était vraiment horrible). De plus, dans la communauté open source, davantage de gens regardent dans le code et ont besoin de le comprendre.

Toutefois, lorsque j’ai suggéré à des développeurs que « si les commentaires sont moches, le code est moche », beaucoup n’étaient pas d’accord. Et vous non plus peut-être. J’aimerais savoir pourquoi, et je vous invite donc à laisser un… commentaire.

Notes

[1] Crédit photo : Fraserspeirs (Creative Commons By)




Pourquoi j’utilise la licence GPL ou les états d’âme d’un développeur

Phillie Casablanca - CC byVoici une traduction intéressante à plus d’un titre.

D’abord parce qu’elle donne la parole à un développeur de logiciel libre (dont nous n’oublions pas ce que nous leur devons, c’est-à-dire tout). En l’occurrence il s’agit de Zed Shaw, bien connu dans la communauté Python et RoR (Ruby on Rails).

Ensuite parce qu’elle évoque la classique opposition à l’intérieur même des licences libres entre celles de type GPL et celle de type BSD. C’est toute la question du copyleft et de la viralité de la licence. Le copyleft est une apparente restriction, puisqu’il impose de diffuser le code modifié sous la même licence. Mais peut-être que cette contrainte est paradoxalement une garantie supplémentaire de liberté pour l’utilisateur ?

Enfin parce qu’elle aborde de nombreuses problématiques liées à l’open source et au monde de l’entreprise. Le fait de cacher à ses clients que l’on a utilisé du logiciel libre dans les solutions que l’on propose est une attitude malheureusement très fréquente (permettant de faire croire à moindre frais que l’on est hyper-compétent et que l’on a travaillé dur sur le projet). Il y a aussi toute la logique des startups, dont on attend un retour sur investissement presque immédiat, et qui du coup font de la rétention de code pourtant libre au départ.

Et puis il y a la question morale de la reconnaissance et celle très concrète du gagne-pain du développeur, frustré d’être ainsi ignoré et constatant non sans une certaine irritation que d’autres en profitent à sa place.

Voilà donc, entres autres arguments, pourquoi l’article ci-dessous mérite attention. Fatigué qu’une énième personne vienne lui demander pourquoi son code n’est pas sous licence BSD, Zed Shaw a décidé de réagir avec ce plaidoyer pugnace pour la licence GPL.

« Je veux que les gens apprécient le travail que j’ai fait et la valeur de ce que j’ai réalisé. Pas qu’ils passent en criant « pigeon » au volant de leurs voitures de luxe. »

Remarque : L’auteur concentre dans son titre les trois licences de la famille : la GNU/GPL, la LGPL et l’AGPL[1].

Pourquoi je (A/L)GPLise

Why I (A/L)GPL

Copyright Zed A. Shaw – 13 juillet 2009 – Blog personnel
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Cheval boiteux – Remerciements à Léviathan)

Dans le monde de Python, la GPL est fréquemment critiquée, la plupart préférant utiliser une licence plus permissive telle que BSD, MIT ou Python. Il est donc compréhensible que des gens soient en colère parce que j’ai placé Lamson (NdT : Serveur SMTP développé en Python) sous licence GPL. Nombreux sont ceux qui détestent cette licence, pensant qu’elle contrevient à l’esprit de Python.

J’aimerais cependant expliquer pourquoi moi j’utilise la GPL, après des décennies d’écriture de logiciels open source et quelques projets reconnus. Ce sont mes raisons de l’utiliser, elles ne s’appliquent qu’à moi et à ce que je souhaite faire de mon logiciel dorénavant. Vous êtes libres de vos opinions et choix, et j’espère que vous respecterez les miens.

C’est le droit de l’auteur

Je crois que ce qu’un auteur souhaite faire avec son travail est son droit le plus strict. Il l’a écrit, alors que tout le monde lui expliquait que ça ne fonctionnerait pas. Il s’est enchaîné à ce travail plutôt que de sortir avec des amis. Il en a corrigé les bogues, écrit sa documentation de façon à ce que tout le monde puisse l’utiliser. Il a peut-être même passé du temps à en assurer la promotion et à aider les gens. Tout cela gratuitement, et pour des raisons qui lui appartiennent.

Lorsque vous dénigrez un projet ou une personne pour son choix de licence, vous êtes un gigantesque abruti. L’auteur a travaillé sur ce projet, pas vous. Au minimum, vous insultez les croyances de cette personne dans le logiciel libre et open source, mais aussi son sentiment que le logiciel libre et open source fait progresser notre culture.

Au pire, vous êtes un gros et ingrat malotru, parce que quelqu’un vous donne un logiciel, alors que vous insultez son travail non pas sur des critères techniques, mais sur une licence que vous désapprouvez.

Je me fiche totalement de la licence que les autres utilisent pour leurs logiciels, c’est leur logiciel et râler à cause de la licence qu’ils ont choisi est injurieux. Ils l’ont écrit, y ont sué sang et eau, et vous devriez être reconnaissant d’avoir le privilège de simplement y avoir accès.

Voici la première raison pour laquelle j’utilise la GPL :

Parce que c’est mon choix, et si vous n’êtes pas d’accord avec ça, n’utilisez pas mon logiciel. C’est aussi simple que ça.

Je ne veux plus être ignoré

J’ai écrit Mongrel (NdT : Serveur et librairie HTTP pour Ruby on Rails) et puis je l’ai donné, avec l’espoir que ça en aiderait d’autres et que le donner me rapporterait d’une manière ou d’une autre. Peut-être un boulot, ou un peu de respect, ou encore ma propre entreprise créant d’autres logiciels tels que celui-ci.

Mongrel a eu un grand succès, et de très nombreuses entreprises gagnent beaucoup d’argent avec. Non seulement permet-il à Rails de fonctionner, mais également à quasiment tous les frameworks Web Ruby, tel que les serveurs web Ruby, et a même été porté dans d’autres langages. Mongrel est et a été un super projet et j’en suis réellement fier.

Laissez moi vous expliquer à quel point Mongrel est avancé. Vous rappelez vous de la nouvelle attaque récemment publiée sur Apache appelée Slowloris (NdT : attaques par Déni de Service via des requêtes HTTP partielles) ? J’avais en fait prévu cette attaque, et écrit Mongrel de manière à ce qu’il y soit résistant (autant que Ruby me l’ait permis). Je l’avais appelé la « trickle attack » (NdT : attaque par écoulement), et j’en avais même fait la démonstration. C’était en 2004. Il y a cinq ans. Je l’avais même ajouté comme attaque à RFuzz en 2005.

Malheureusement, le succès de Mongrel ne m’est pas revenu. Bien que tout le monde utilise mon logiciel, la grande majorité des entreprises utilisatrices étaient des startups, et la dernière chose que les startups admettent c’est qu’elles ne possèdent pas leur propriété intellectuelle. Elles souhaitent que tout le monde, et particulièrement les sociétés de capital risque et les investisseurs, croit qu’elles sont des génies qui ont « innové » dans tout ce qu’elles font fonctionner.

Lorsque je regardais autour de moi, les entreprises n’avaient aucun problème à admettre qu’elles utilisaient Ruby on Rails, mais elles n’en disaient pas plus, ce qui signifiait que lorsque j’essayais de trouver du travail, il m’était impossible d’expliquer l’ampleur de l’impact de Mongrel. Pour elles, il ne s’agissait que d’un simple serveur Web que leur administrateur système devait utiliser, Ruby on Rails était le véritable pourvoyeur d’argent.

Voici la seconde raison pour laquelle j’utilise la GPL :

À cause de l’expérience Mongrel, j’ai presque besoin que les entreprises soient obligées d’admettre qu’elles utilisent mon logiciel. Je préfèrerais à la limite que personne n’utilise mon logiciel, plutôt que de me trouver dans une situation où tout le monde l’utilise et personne ne l’admet.

Pire, tout le monde l’utilise, et en même temps me dit que je ne sais pas développer.

Le capital risque a changé l’industrie

L’industrie du logiciel a changé depuis l’an 2000. Je mettrais en fait le curseur à l’entrée en bourse de Google, mais je ne peux pas dire exactement à quel moment. Ce que je peux dire, c’est que les méthodes actuelles de progression des entreprises technologiques induisent l’exploitation du code source plutôt que la contribution.

Je ne peux pas réellement en vouloir à ces startups, elles sont conçues ainsi. Une entreprise adossée à un capital-risqueur aura presque toujours un objectif de gain à court terme, dans l’espoir d’apporter plus tard un joli retour sur investissement. Pour un capital-risqueur, un retour sur 20 ans n’est pas acceptable, particulièrement si vous prévoyez de faire cela sans offre et des stocks options disponibles pour tout le monde.

Pour une entreprise financée par un capital-risqueur, il ne s’agit toujours que d’augmenter des revenus pour donner l’illusion de la croissance, afin que les actionnaires investissent et mènent le prix de l’action aussi haut que possible. Il n’est pas dans leur intérêt de ne pas faire d’offre. Ils veulent de l’argent maintenant, autant que possible, et ne sont pas intéressés par l’investissement technologique ou humain.

Ce qu’elles veulent, ce sont des tonnes de technologie gratuite qu’elles peuvent cacher aux investisseurs. Elles sont ravis que cette technologie soit maintenue par des gens qui ne l’ont pas écrite, pour que les employés ne puissent pas réclamer leur dû plus tard.

Cette gestion à courte vue, combinée au financement limité de départ, signifie que ces entreprises exploitent l’open source. Elles l’utiliseront, gagneront leur argent, et partiront lorsque ceci sera fait. Ce qui, en fait, est parfaitement logique, parce que ainsi vont les choses, et honnêtement, si vous êtes une entreprise qui cherche à gagner de l’argent de cette manière, c’est ce que je vous suggèrerais de faire.

Pourtant, le contrat tacite entre les entreprises et les développeurs open source est désormais révolu. Je n’ai aucune raison de leur offrir un usage sans restriction de mon logiciel, puisqu’ils ne sont intéressés que par la transformation de mon logiciel en offre alléchante de mise sur le marché à court terme, à deux ou cinq ans.

Voici la troisième raison pour laquelle j’utilise la GPL :

Les entreprises du secteur technologique sont désormais conçues pour être créées et détruites rapidement au bénéfice de gros capital-risqueur, tout en maintenant des coûts très bas. Cela signifie qu’elles n’ont aucune prime économique à donner, aussi n’ai-je aucune prime sociale à leur « donner » mon logiciel.

Les développeurs sont des plagiaires

Ne nous voilons pas la face, tout le monde a besoin de manger et de payer son loyer. Pour beaucoup de gens, leurs besoins en argent sont modestes, et si vous travaillez sur quelque chose, vous espérez en retirer quelque chose qui vous aidera à satisfaire ces besoins. Il se peut que ce ne soit pas de l’argent. Peut-être est ce que ce sera du respect, ou des honneurs, mais vous espérez réellement quelque chose de votre travail.

Nous sommes d’accord. Aussi je trouve étrange un message twitter tel que celui-ci :

ericholscher @zedshaw Ce serait chouette si l’interface/code était sous licence BSD. Très utile au travail. L’interface REST marche aussi très bien.

Éric est un garçon très sympathique, aussi je ne vais pas m’acharner sur lui, mais si je traduis le message, ça pourrait donner ça : « Hey ! Ton logiciel est fantastique ! Je peux l’avoir gratuitement, pour pouvoir l’utiliser au boulot, plaire à mon patron et me faire de l’argent ? »

Honnêtement, combien d’administrateurs disent à leur patron que ce qu’ils utilisent provient du logiciel libre ? Combien d’entre vous disent aux investisseurs que toute votre infrastructure logicielle est basée sur un truc qu’un autre gars a écrit en plusieurs mois ? Combien d’entre vous vont voir leur dirigeants en disant : « Vous savez, il y a ce gars, Zed, qui a écrit le logiciel que nous utilisons, pourquoi ne pas l’embaucher comme consultant ? »

Vous ne le faites pas. Aucun d’entre vous. Vous prenez le logiciel, et vous l’utilisez tel Excalibur terrassant le dragon, et vous en ramassez ensuite tous les lauriers. Vous ne rendez rien, et en fait, j’ai croisé une grande majorité d’entre vous qui assènent constamment que je ne sais pas développer, histoire de plus encore protéger son cul.

Il n’est désormais plus pardonnable et acceptable que vous tous plagiez le travail que vous utilisez. Comme vos employeurs ont besoin de l’illusion de « l’innovation », vous avez besoin de l’illusion d’être intelligent. Ce qui vous amène à mentir, et à voler tout ce qui vous tombe sous la main, comme si cela vous appartenait.

Ok, mais cela signifie que vous avez cassé le contrat tacite avec les développeurs et défenseurs de logiciels libres et open source. Aussi longtemps que vous me rendez ma paternité et que vous assurez la promotion de mon travail, je vous donnerai mon logiciel. Puisqu’aucun d’entre vous ne le fait, je n’ai aucune motivation à vous donner mon logiciel, de la même manière que je n’ai pas besoin de me conformer au contrat passé avec l’entreprise nourrie au capital-risque.

Voici la quatrième raison pour laquelle j’utilise la GPL :

J’utilise la GPL pour que vous restiez honnête. Vous devez désormais dire à vos patrons que vous utilisez mon boulot. Et ils s’en pisseront dessus de trouille. Parfait. Parce que j’ai aussi une solution pour ça.

Si c’est bien, payez pour l’avoir

J’aime travailler sur Lamson, parce que faire des application de messagerie est tellement plus drôle que des applications Web. Lorsque je m’assois pour construire une application de courriel, ça ne nécessite qu’un ensemble de technologies et c’est terminé. Si j’ai besoin de faire une application Web, cela implique du design, des templates, du javascript, des bases de données, et plein d’autres machins.

L’autre raison pour laquelle j’aime écrire des logiciels de courriels est que personne d’autre ne le fait. Vous tous êtes de grosses buses, parce que même avec un projet tel que Lamson, vous êtes encore tous effrayés par le gros monstre SMTP. Le jour où j’ai dit que je pourrais faire du Mail over REST, vous avez presque fait dans votre slip. Oui, parce que ça aurait été tellement plus simple.

Et j’aime donner Lamson, parce que c’est une partie de moi-même. C’est ce parfait mélange de camelote, bidouillages techniques, marketing et écriture que j’aime, et dans lequel j’excelle. Même si j’en arrive à faire des montagnes d’argent en construisant des choses avec Lamson, Lamson restera libre pour que je puisse rester honnête.

Mais j’écris aussi mes propres logiciels et projets avec Lamson. Je l’utiliserai pour créer autant d’incroyables services de courriel que je pourrais. Certains gratuits, certains payés par la pub, certains payants, mais tous utiliseront Lamson pour botter des culs avec du courriel.

Maintenant, compte tenu du fait qu’il n’y a aucune motivation pour une entreprise à admettre qu’elle utilise mon travail, et qu’il n’y a aucune motivation pour un développeur à me rendre mon travail, posez vous cette simple question :

Pourquoi diable est ce que je ne facturerais pas des gens qui ne sont pas capables d’utiliser correctement la GPL ?

Je sais, je sais, les conservateurs du logiciel libre pensent que cela fait de moi un traître, mais réfléchissez-y. Vous avez le logiciel, sous licence GPL, et aussi longtemps que vous êtes un projet open source taillé dans la pierre qui publie son code, vous êtes libre de l’utiliser et d’en faire ce que vous voulez.

J’aime l’open source, mais qu’en est-il des entreprises qui l’utilisent ? Les entreprises vont devoir payer à présent. C’est ainsi que fonctionne l’économie. Si c’est assez bon pour que vous l’utilisiez, alors c’est assez bon pour que vous le payiez.

Voici la cinquième raison pour laquelle j’utilise la GPL :

Je serai toujours un développeur open source, mais très franchement, nous crevons parce que des entreprises qui utilisent nos logiciels ne rendent rien. L’ironie de la situation est que pour pouvoir accroître ma motivation à faire de l’open source, j’ai besoin de me faire payer.

Je ne demanderai évidemment jamais rien à un projet open source puisqu’ils honorent le contrat tacite : si je donne, vous donnez.

Mais les jours des entreprises-minutes et des développeurs ingrats qui gagnent de l’argent sur mon dos avec mon logiciel sont terminés. Ma nouvelle devise est :

L’open source à l’open source, le business au business.

Si vous faites de l’open source, vous êtes mon héros et je vous soutiens. Mais si vous êtes une entreprise, alors parlons affaires.

Finalement, la valeur

Au final, je voudrais également donner une petite raison pour laquelle j’utilise la GPL : La valeur perçue. Lorsque les gens peuvent obtenir quelque chose gratuitement sans même avoir besoin d’y penser, ils lui donnent même moins de valeur que quelque chose pour lequel ils paient même pour une somme dérisoire. C’est juste la manière d’être des gens, et il n’y a pas grand chose à faire contre ça.

Ma dernière raison d’utiliser la GPL est que je crois que mes projets ont de la valeur, et je veux que les gens qui les utilisent perçoivent cette valeur. Ils ont même tellement de valeur que je veux les associer à un document légal complexe et totalement non testé comme preuve de leur utilité. Si je voulais faire simple, je les placerais simplement sous licence BSD et tout le monde les utiliseraient.

Je veux que les gens apprécient le travail que j’ai fait et la valeur de ce que j’ai réalisé.

Pas qu’ils passent en criant « pigeon » au volant de leurs voitures de luxe.

Notes

[1] Crédit photo : Phillie Casablanca (Creative Commons By)




Google se conjugue au futur et Microsoft au passé ?

Google sfida Microsoft con Chrome - Copyright Federico FieniOn le sait, Microsoft n’a pas vu venir le Web et ne porte pas le logiciel libre dans sa culture (c’est le moins que l’on puisse dire).

À partir de là comment s’étonner qu’un Google lui fasse aujourd’hui concurrence et menace demain d’attaquer frontalement ses deux plus beaux fleurons (et source colossale de revenus) que sont le système d’exploitation Windows et la suite bureautique MS Office.

Un Google qui a massivement investi dans le cloud computing, l’informatique dans les nuages, Un Google qui non seulement ne méprise pas le logiciel libre mais sait très bien l’utiliser quand ça l’arrange, par exemple pour faire s’y reposer son navigateur Chrome ou son prochain et très attendu Google OS (histore de boucler la boucle)[1].

À propos de Google OS, un petit coup de Wikipédia : « Google Chrome OS est un projet de système d’exploitation qui sera fondé sur son navigateur Web Chrome et un noyau Linux. À destination des netbooks dans un premier temps, il serait capable, à terme, de faire tourner des ordinateurs de bureau traditionnels. Google laisse à penser que son OS fonctionnerait en ligne sur tout ou partie, comme ses applications (Google Documents, Gmail, etc.). Après sa suite gratuite Google Documents concurrent de la suite payante Microsoft Office, puis Android face à Windows Mobile, ce nouveau système d’exploitation gratuit attaque le cœur du business Microsoft. »

La fin d’un cycle, si ce n’est d’une époque ?

Google est en compétition pour le futur; Microsoft, pour le passé

Google competes for the future; Microsoft, the past

Matt Asay – 23 octobre 2009 – CNET News
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Goofy)

Google est né sur le Web, et provoque de plus en plus de quintes de toux chez Microsoft en contraignant le géant séculaire du logiciel à se battre en utilisant les règles de Google. Comme avec l’open source. Comme avec l’informatique dans les nuages.

Microsoft pourrait se reposer sur ses lauriers dans l’immédiat grâce au lancement réussi de Windows 7. Mais à long terme son plus grand succès que représentent ses vieux logiciels de bureautique menace de céder le marché à Google.

Ce n’est pas très équitable pour Microsoft. Microsoft est victime de son propre succès, en ayant besoin de s’adresser à sa clientèle existante à chaque nouvelle version, coincé qu’il est par le « dilemme de l’innovateur ». Microsoft continue de remplir ses caisses, mais ses deux derniers trimestres ont vu ses forces traditionnelles telles que le système d’exploitation Windows devenir un frein pour ses revenus, tandis que les entreprises dépensent toujours plus d’argent auprès de Google, Red Hat et quelques autres.

L’absence d’héritage de Google lui permet d’innover rapidement à large échelle, comme le suggère Todd Pierce, directeur technique de Genentech et client de Google :

Le rythme d’innovation de Google…, enfin bon, le cycle de production d’Oracle, SAP et Microsoft est de cinq ans, celui de Google est de cinq jours. C’est incrémental. En cinq jours, vous ne pouvez pas supprimer toutes vos licences de Microsoft Office, mais d’ici cinq ans, vous n’aurez plus de Microsoft Office.

Microsoft, de son côté, est tellement préoccupé par la compatibilité ascendante, « Ce produit ou cette fonctionnalité sont-ils compatibles avec notre capacité à monétiser notre monopole sur la bureautique des années 80 ? », qu’ils continuent à se battre pour comprendre le Web. Dave Rosenberg, blogueur sur CNET, note que Windows 7 aurait dû être la tête de pont de Microsoft sur l’informatique dans les nuages, mais qu’il n’en a rien été.

Il y a beaucoup de « aurait dû être » chez Microsoft, lorsqu’on parle du Web.

Dans l’intervalle, personne ne ralentit pour attendre Microsoft. Arrêtons-nous un instant sur l’informatique dans les nuages. VMware domine la virtualisation, et a de grandes ambitions dans l’informatique dans les nuages, alors que les rivaux open source Eucalyptus et VMops menacent de contester la suprématie de VMware et Microsoft, en cherchant à dominer l’informatique dans les nuages.

Et arrive alors Google, qui fournit une gamme de services d’informatique dans les nuages toujours plus large aux entreprises qui cherchent à se détacher de l’ordinateur de bureau. Dans une interview donnée à CNET News, Eric Schmidt, PDG de Google, soutient que le navigateur peut être à la fois orienté entreprise et consommateur. L’architecture est dirigée par le navigateur. C’est toute l’histoire de l’informatique d’entreprise actuelle.

En d’autres termes, le bureau est simplement un moyen pour l’utilisateur de lancer son navigateur. C’est une passerelle. Il n’y a plus de valeur dans le bureau. Elle se trouve dans le navigateur, qui devient le nouveau bureau, en termes de fonctionnalités réelles disponibles

La meilleure opportunité pour Microsoft de contrecarrer la menace de Google et des autres s’appelle SharePoint. Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, l’a décrit comme le nouveau système d’exploitation de Microsoft, mais ce n’est que dans un entretien récent avec Forrester qu’il lui a donné tout son sens :

Dans mon esprit, je compare SharePoint au PC, le PC est venu à la vie comme machine à tableau, puis est devenu une machine à développer, une machine à traiter du texte, SharePoint est une infrastructure à objectif global qui connectera les gens aux gens, et les gens à l’information…

Je crois que SharePoint est considéré par les administrateurs informatiques et les développeurs comme une plateforme de développement très sérieuse pour les développement rapide d’application (NdT : RAD, Rapid Application Development).

SharePoint est la meilleure tentative de Microsoft pour connecter les applications de bureau telles qu’Office, avec des outils collaboratifs et de stockage centralisé ou dans les nuages. Bien sûr, Microsoft a d’autres initiatives telles qu’Office en ligne, mais aucune ne marie aussi bien ses centres de profits historiques et l’innovation future.

SharePoint pourrait alors être le meilleur espoir de Microsoft pour marier son héritage à la future informatique en ligne.

Microsoft a besoin de cela. Ils perdent dans le marché des mobiles, et pas uniquement face à Apple. Android, le système dédié de Google, est déjà efficient et opérationnel, avec par exemple ses données AdMob qui situent aujourd’hui la pénétration des smartphones Android à 10 % au Royaume Uni.

Si nous prenons l’hypothèse que le mobile sera de plus en plus une plateforme de choix pour le client, alors nous voyons Google harceler Microsoft par le haut (les nuages de services) et par le bas (le client).

Dans les deux cas, l’open source est une arme de choix pour Google, et c’en est une que Microsoft va devoir comprendre rapidement s’ils veulent devenir un acteur de poids sur le Web. Le Web est trop grand pour que Microsoft le contrôle, et le Web est incroyablement open source, tel que le remarque Mitch Kapor, fondateur de Lotus :

La victoire de l’open source est qu’il constitue le fondement du Web, la partie invisible, celle que vous ne voyez pas en tant qu’utilisateur.

Les majorité des serveurs utilisent Linux comme système d’exploitation avec Apache comme serveur Web sur lequel tout le reste est construit. Les principaux langages sur lesquels les applications Web sont construites, qu’il s’agisse de Perl, de Python, de PHP ou de n’importe quel autre langage, sont tous open source. Donc l’infrastructure du Web est open source. Le Web tel que nous le connaissons est totalement dépendant de l’open source.

Kapor suggère que la guerre que Microsoft livre à l’open source est terminée, ou devrait l’être : l’open source a gagné. Il s’agit désormais d’une infrastructure essentielle, et quelque chose que Microsoft doit arriver à comprendre, plutôt que de le combattre. Il ne s’agit pas de « religion open source », il ne s’agit que de pragmatisme. Un pragmatisme que Microsoft peut s’approprier aussi bien que n’importe qui d’autre.

Google utilise le futur (l’open source, les nuages) pour se battre pour l’avenir, et ses tactiques menacent de frapper Microsoft au cœur de ses vaches à lait tels que Windows.

Microsoft, cependant, semble être embourbé dans son passé. Windows 7 a l’air d’une mise à jour sérieuse de son prédécesseur Vista, mais dans dix ans, cela aura-t-il une importance pour nous ? Peut-être aurons-nous changé, oubliant ces jours pittoresques où nous nous soucions du système d’exploitation et des applications telles qu’Office ?

Notes

[1] Crédit illustration : Copyright Federico Fieni




Nous y sommes, par Fred Vargas

Joiseyshowaa - CC by-saJe suis un heureux lecteur de Fred Vargas (m’est avis d’ailleurs qu’il doit se cacher quelques Jean-Baptiste Adamsberg dans la communauté du logiciel libre).

Elle a soutenu la liste Europe Écologie aux élections européennes de juin dernier, en signant sur le site de campagne un article que vous n’avez peut-être pas lu et que je souhaitais vous faire partager (à la manière de ces autres publications « hors sujet » du Framablog).

Origine de l’auteur oblige, on est plus ici dans la littérature que dans le politique. Mais sentez-vous vous aussi l’imminence et la nécessité de cette « Troisième Révolution » ? Et si oui, le mouvement du logiciel libre a-t-il quelque chose à y apporter ?

Dans la mesure où le site de campagne tout entier est placé sous licence Creative Commons By-Sa, on peut en déduire que l’article l’est également[1].

Nous y sommes

URL d’origine du document

Fred Vargas – 7 novembre 2008 – EuropeEcologie.fr

Nous y voilà, nous y sommes.

Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes. Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s’est marrés. Franchement on a bien profité. Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre. Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui. On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.

Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).

Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Evidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux. D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.

Peine perdue. Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est –attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille- récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).

S’efforcer. Réfléchir, même. Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution. Pas d’échappatoire, allons-y. Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible. A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut-être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution. A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

Notes

[1] Crédit photo : Joiseyshowaa (Creative Commons By-Sa)




Unix a 40 ans : passé, présent et futur d’un OS révolutionnaire

Rudolf Schuba - CC bySéquence Histoire, à l’occasion du quarantième anniversaire de la naissance d’Unix, le mythique système d’exploitation multitâche et multi-utilisateur, créé en août 1969, dont l’héritage est impressionnant.

Quarante ans, dans la jeune histoire de l’informatique, c’est une véritable épopée. Et le fait qu’il soit toujours évoqué aujourd’hui en dit long sur ses qualités d’origine. On en parle parce que, bien qu’en bout de course, on continue à l’utiliser, mais aussi parce qu’il a engendré et inspiré à sa suite toute une famille de systèmes d’exploitation dont rien moins que BSD, Mac OS X et enfin, évidemment, GNU/Linux.

Dans quelles conditions et contexte Unix est-il né ? Pourquoi un tel succès, une telle longévité et une telle parenté ? Et qu’en est-il de sa situation aujourd’hui ? Autant de questions qui trouveront réponses dans l’article ci-dessous traduit par nos soins[1].

Unix a 40 ans : Le passé, présent et futur d’un OS révolutionnaire

Unix turns 40: The past, present and future of a revolutionary OS

Gary Anthes – 4 juin – ComputerWorld.com
(Traduction Framalang : Vincent, Daria et Tyah)

Après quatre décades, le futur du système d’exploitation s’assombrit, mais son héritage va perdurer.

Cela fera quarante ans cet été, un programmeur s’asseyait et jetait les bases en un mois ce qui allait devenir l’un des plus importants morceaux de logiciel jamais créé.

En août 1969, Ken Thompson, un programmeur des Laboratoires Bell (NdT : Bell Labs), une filiale d’AT&T, considérait le voyage d’un mois de sa femme et de son fils comme une opportunité pour mettre en pratique ses idées pour un nouveau système d’exploitation. Il écrivait la première version de Unix dans un langage assembleur pour un mini-ordinateur un peu mollasson, un Digital Equipment Copr. (DEC) PDP-7, en passant une semaine sur chaque partie : un système d’exploitation, un shell, un éditeur et un assembleur.

Ken Thompson et Dennis Ritchie - Hoshie - Domaine PublicThompson et un collègue, Dennis Ritchie (cf photo ci-contre), se trouvaient démotivés depuis que les Bell Labs s’étaient retirés un peu plus tôt dans l’année d’un projet trouble de développement d’un système temps partagé appelé Multics (Multiplexed Information and Computing Service). Ils n’avaient aucune envie de rester sur des systèmes d’exploitation de type batch qui prédominaient à cette époque, et ne voulaient pas non plus réinventer Multics, qu’ils considéraient comme grotesque et peu maniable.

Après avoir débattu autour de plusieurs idées pour un nouveau système, Thompson a écrit la première version de Unix, que le binôme a continué de développer durant les années suivantes avec l’aide de leurs collègues Doug McIlroy, Joe Ossanna et Rudd Canaday. Quelques-uns des principes de Multics ont été réutilisés dans leur nouveau système d’exploitation, mais la beauté d’Unix alors (et encore maintenant) reposait sur sa philosophie « moins-c’est-plus » (NdT : less-is-more philosophy).

« Un OS puissant pour un usage interactif n’a pas besoin d’être coûteux, que ce soit en matériel ou en efforts humains », devaient écrire Ritchie et Thompson cinq ans plus tard dans les communications de l’ACM (CACM), le journal de l’Association for Computer Machinery. « Nous espérons que les utilisateurs de Unix trouveront que les plus importantes caractéristiques de ce système sont sa simplicité, son élégance et sa facilité d’utilisation ».

Apparemment ils y sont arrivés. Unix va évoluer pour devenir une pierre angulaire de l’informatique, largement installé sur les serveurs et les postes de travail dans les universités, les gouvernements et les entreprises. Et son influence s’est étendue bien au-delà de ses déploiements, comme l’a noté l’ACM en 1983, lorsqu’ils ont attribué leur prix le plus élevé à Thompson et Ritchie, le A.M. Turing Award pour leur contribution à l’informatique : « Le modèle du système Unix a conduit une génération de concepteurs logiciels à repenser leur manière de programmer ».

Les premiers pas

Bien sûr, le succès d’Unix n’est pas arrivé d’un coup. En 1971, il a été porté sur le mini-ordinateur PDP-11, une plateforme plus puissante que le PDP-7 pour laquelle il avait été écrit à l’origine. Des programmes d’édition et de formatage de texte ont été ajoutés, et il a été déployé pour quelques dactylos du département des Brevets des Bell Labs, ses premiers utilisateurs en dehors de l’équipe de développement.

En 1972, Ritchie écrivait le langage de programmation de haut-niveau C (basé sur un langage précédent de Thompson, le B) ; suite à cela, Thompson réécrivit Unix en C, ce qui permit d’améliorer la portabilité de l’OS sur différents environnements. En cours de chemin, il acquit le nom de Unics (Uniplexed Information and Computing Services), un jeu de mots sur Multics ; l’orthographe se transforma rapidement en Unix.

Il était temps d’envahir le monde. L’article de Ritchie et Thompson de Juillet 1974 dans le CACM, « Le système temps-partagé UNIX », prit le monde de l’informatique dans un ouragan. Jusqu’alors, Unix avait été confiné à une poignée d’utilisateurs dans les Laboratoires Bell. Mais maintenant, avec l’Association for Computing Machinery derrière lui, un éditeur l’ayant qualifié comme étant élégant, Unix était à un moment crucial.

« L’article du CACM avait eu un impact très fort », raconte l’historien de l’informatique Peter Salus dans son livre The Daemon, the Gnu and the Penguin (NdT : Le démon, le Gnou et le manchot). « Peu de temps après, Ken était assailli de demandes concernant Unix ».

Un paradis pour les hackers

Thompson et Ritchie étaient des hackers accomplis, quand ce terme désignait quelqu’un qui combinait une créativité hors pair, une intelligence à toute épreuve et de l’huile de coude pour résoudre des problèmes logiciels que l’on a peine à imaginer.

Leur approche, et le code qu’ils avaient écrit, étaient attractifs pour les programmeurs des universités, et plus tard pour des entreprises qui démarraient sans les méga budgets de IBM, Hewlett-Packard ou Microsoft. Unix était tout ce dont les autres hackers, comme Bill Joy à l’Université de Californie, Rick Rashid à l’Université Carnegie Mellon et David Korn plus tard aux Laboratoires Bell avaient rêvé.

« Presque depuis le début, le système était capable de se maintenir seul, et il l’avait prouvé », écrivaient Thompson et Ritchie dans l’article du CACM. « Comme tous les programmes sources étaient toujours disponibles et facilement modifiables en ligne, nous étions volontaires pour réviser et modifier le système et ses logiciels lorsque de nouvelles idées étaient inventées, découvertes ou suggérées par d’autres ».

Korn, maintenant membre d’AT&T, travaillait comme programmeur aux Bell Labs dans les années 1970. « L’une des caractéristiques de Unix était que des outils pouvaient être écrits, et de meilleurs outils pouvaient les remplacer », se souvient-il. « Ce n’était pas un monolithe dans lequel il fallait tout approuver ; vous pouviez en fait développer de meilleures versions ». Il a développé l’influent Korn shell, un langage de programmation permettant d’interagir directement avec Unix, maintenant disponible en open source.

Salus, auteur et historien des technologies, se souvient de son travail avec le langage de programmation APL sur un mainframe IBM tournant sous System/360, en tant que professeur à l’Université de Toronto dans les années 1970. Mais le lendemain de Noël 1978, un ami à l’Université de Colombia lui fit une démonstration de Unix, tournant sur un mini-ordinateur. « Je me suis exclamé : Oh mon Dieu !, et j’étais totalement converti », raconte Salus.

Il dit que pour lui, l’un des avantages clés de Unix était la fonctionnalité pipe, introduite en 1973, qui rendait facile le passage de données d’un programme à l’autre. Le concept de pipeline, inventé par McIlroy des Bell Labs, fut par la suite copié dans de nombreux OS, parmi lesquels les variantes d’Unix, Linux, DOS et Windows.

Un autre avantage de Unix, le deuxième effet Wooow, comme le dit Salus, était qu’il n’avait pas besoin d’un mainframe d’un demi-million de dollars pour tourner. Il avait été écrit sur le petit mini-ordinateur DEC PDP-7, assez primitif, car c’était tout ce que Thompson et Ritchie avaient sous la main en 1969. « Le PDP-7 était presque incapable de quoi que ce soit », se souvient Salus. « J’étais scotché ».

Pas mal de monde a également été rendu accro. Les chercheurs des universités ont adopté Unix car il était assez simple et facilement modifiable, ne demandait pas beaucoup de ressources, et le code source était libre pour une bonne partie. Des startups comme Sun Microsystems et un ensemble d’entreprises maintenant défuntes qui se spécialisaient dans l’informatique scientifique, comme Multiflow Computer, en ont fait leur système d’exploitation de choix pour les mêmes raisons.

La progéniture d’Unix

Unix a grandi comme un système non-propriétaire car en 1956 AT&T avait été enjoint par une décret fédéral à ne pas s’écarter de sa mission de production de service téléphonique. Il pouvait développer du logiciel, et même le licencier pour un tarif raisonnable, mais l’entreprise ne pouvait pas entrer sur le marché de l’informatique.

Unix, qui avait été développé sans encouragement du management, avait d’abord été vu par AT&T comme quelque chose entre une curiosité et un casse-tête légal.

C’est à ce moment là, à la fin des années 1970, AT&t a réalisé qu’ils avaient quelque chose de commercialement intéressant en main. Ses avocats ont commencé à adopter une interprétation plus favorable de l’ordonnance de 1956, comme ils cherchaient des manières de protéger Unix comme un secret de fabrication. A partir de 1979, avec la sortie de la Version 7, les licences Unix interdisaient aux universités d’utiliser le code source Unix pour l’étudier pendant leurs cours.

Pas de problème, se dit alors le professeur d’informatique Andrew Tanenbaum, qui avait utilisé Unix V6 à l’Université Vrije à Amsterdam. En 1987, il écrivit un clone de Unix pour utiliser lors de ses cours, en créant le système d’exploitation open source Minix, qui tournait sur un microprocesseur Intel 80286.

« Minix comprenait toutes les idées d’Unix, et c’était un travail brillant », raconte Salus. « Seul un programmeur majeur, quelqu’un qui comprenait en profondeur les mécanismes internes d’un système d’exploitation, pouvait faire cela ». Minix allait devenir le point de départ pour la création de Linux par Linus Torvalds en 1991. Si ce n’était pas exactement un clone d’Unix, il s’agissait à n’en pas douter d’un Unix-like.

En reculant d’une décade ou à peu près, Bill Joy, qui était un étudiant diplômé et programmeur à l’Université de Californie de Berkeley dans les années 1970, mit la main sur une copie de l’Unix des Laboratoires Bell, et il pensa que c’était une bonne plateforme pour son propre travail sur un compilateur Pascal et un éditeur de texte.

Les modifications et extensions que lui et d’autres firent à Berkeley ont résulté dans la seconde branche majeure de Unix, appelée Berkeley Software Distribution (BSD) Unix. En mars 1978, Joy envoyait des copies de 1BSD, vendues 50$.

Ainsi en 1980 il y avait deux lignes majeures de Unix, l’une de Berkeley et l’autre de AT&T, et la scène était montée pour ce qui allait devenir la Guerre des Unix. La bonne nouvelle était que les développeurs de logiciels pouvaient avoir accès de partout au code source Unix, et l’adapter à leurs besoins et caprices. La mauvaise nouvelle c’est qu’ils firent exactement cela. Unix a proliféré, et les variantes ont divergé.

En 1982, Joy a contribué à fonder Sun Microsystems et offrait une station de travail, la Sun-1, qui utilisait une version de BSD appelée SunOS. (Solaris allait apparaitre environ 10 ans plus tard). L’année suivante, AT&T a sorti la première version de Unix System V, un système d’exploitation qui a eu une influence énorme et qui fut la base de IBM AIX et Hewlett-Packard HP-UX.

Les Guerres Unix

Unix History - Eraserhead1 et Infinity0 - CC by-saAu milieu des années 80, les utilisateurs, y compris le gouvernement fédéral, se sont plaints que si en théorie Unix était un système d’exploitation unique et portable, en fait on en était loin. Les éditeurs faisaient semblant d’adhérer à cette réclamation, mais travaillaient jour et nuit pour enfermer les clients avec des fonctionnalités et API uniques à leur Unix.

En 1987, Unix System Laboratories, qui faisait partie des Laboratoires Bell à cette époque, commença à travailler avec Sun sur un système qui pourrait unifier les deux branches majeures de Unix. Le produit de leur collaboration, appelé Unix System V Release 4.0, fut sorti deux ans plus tard, et combinait des fonctionnalités de System V Release 3, BSD, SunOS et du Xenix de Microsoft.

Les autres éditeurs Unix craignaient l’alliance AT&T/Sun. Les diverses parties ont formé des organismes standards concurrents, qui portaient des noms tels que X/Open, Open Software Foundation (ou OSF), Unix International et Corporation for Open Systems. Les arguments, contre-arguments et réussites de ces groupes pourraient remplir un livre, mais ils clamaient tous leur désir d’un Unix unifié, tout en se tirant dessus les uns les autres.

Dans un article écrit en 1988, mais non publié, pour la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) (NdT : Agence pour les Projets de Recherche Avancée de la Défense), le pionnier des mini-ordinateurs Gordon Bell disait ceci de la toute nouvelle Open Software Foundation, qui incluait IBM, HP, DEC et d’autres, alliés contre le partenariat AT&T/Sun : « OSF est une manière pour ceux qui n’ont pas d’Unix d’entrer sur ce marché en devenir, tout en maintenant leur musées de code à hautes marges ».

Les Guerres Unix n’ont pas réussi à calmer les différences ou à créer un réel standard pour le système d’exploitation. Mais en 1993, la communauté Unix était réveillée par Microsoft, sous la forme de Windows NT, un système d’exploitation 32 bits utilisable en entreprise. Ce NT propriétaire visait directement Unix, et devait étendre l’hégémonie de Microsoft sur l’ordinateur de bureau aux centres serveurs et endroits similaires, tenus principalement par les serveurs Sun et autres.

Les utilisateurs Microsoft ont applaudi. Les fournisseurs Unix ont paniqué. Tous les principaux rivaux des Unix majeurs se sont réunis dans une initiative appelé Common Open Software Environnement (NdT : Environnement Logiciel Ouvert Commun), et l’année suivante ont plus ou moins déposé les armes en mixant le groupe Unix International, appuyé par AT&T/Sun avec l’Open Software Foundation. Cette coalition a évolué dans l’actuel The Open Group, organisme certificateur des systèmes Unix, et propriétaire de Single Unix Specification (SUS), maintenant la définition officielle de « Unix ».

D’un point de vue pratique, ces développements ont pu standardiser Unix au maximum possible, en fonction de la concurrence des éditeurs. Mais ils sont sans doute arrivés trop tard pour enrayer la montée d’une marée appelée Linux, le système d’exploitation open source dérivé de Minix du professeur Tanenbaum.

Mais qu’est ce que « Unix », finalement ?

Unix, vous diront la plupart des gens, est un système d’exploitation écrit il y a plusieurs dizaines d’années aux Laboratoires Bell de AT&T, et ses descendants. Les versions majeures d’Unix aujourd’hui proviennent de deux branches d’un même tronc : l’une émane directement de AT&T et l’autre vient de AT&T via l’Université de Californie de Berkeley. Les branches les plus robustes actuellement sont AIX d’IBM, HP-UX de HP et Solaris de Sun.

Toutefois, The Open Group, qui détient la marque déposée Unix, définit Unix comme n’importe quel système d’exploitation qui a été certifié par ses services pour se conformer à la Single Unix Specification (SUS) (NdT : Spécification Unix Unique). Ceci inclut des OS que l’on ne considère pas généralement comme étant des Unix, tel que Mac OS X Leopard (qui dérive d’un BSD Unix) et IBM z/OS (qui vient du système d’exploitation mainframe MVS), car ils se conforment au SUS et supportent les APIs SUS. L’idée basique est que c’est un Unix si cela agit comme Unix, quel que soit le code sous-jacent.

Une définition encore plus large d’Unix pourrait inclure les OS Unix Like (qui ressemblent à Unix), parfois appelé des clones d’Unix ou des sosies, qui ont copié une bonne partie des idées de Unix mais n’incorporent pas directement du code Unix. Le plus connu d’entre tous étant certainement Linux.

Finalement, même s’il est raisonnable d’appeler Unix un système d’exploitation, c’est finalement plus que cela. En plus du noyau de l’OS, les implémentations Unix embarquent typiquement des utilitaires tels que des éditeurs en ligne de commande, des interfaces de programmation applicatives (API), des environnements de développement, des librairies et de la documentation.

Le futur d’Unix

Le manque continuel de portabilité complète entre les différentes versions concurrentes d’Unix, de même que l’avantage financier de Linux et Windows sur les processeurs standards x86, vont inciter les organisations informatiques de quitter Unix, suggère un récent sondage du Gartner Group.

« Les résultats réaffirment l’enthousiasme continu pour Linux comme plate-forme serveur, avec Windows qui croît de la même manière, et Unix qui prend la route d’un long, mais graduel, déclin », décrit le sondage, publié en février 2009.

« Unix a eu un passé long et vivant, et même s’il n’est pas encore parti, il sera de plus en plus sous pression », dit l’analyste du Gartner George Weiss. « Linux est l’Unix de choix stratégique. Même si Linux n’a pas le long héritage de développement, de tuning et de tests de stress que Unix a pu avoir, il s’en approche et va bientôt égaler Unix en performance, stabilité et montée en charge », dit-il.

Mais un récent sondage de ComputerWorld suggère que le retrait d’Unix ne va pas arriver aussi rapidement. Dans cette enquête concernant 130 utilisateurs Unix sur 211 responsables informatiques, 90% ont déclaré que leur entreprise était « très ou extrêmement dépendante » de Unix. Un peu plus de la moitié a dit : « Unix est une plateforme essentielle pour nous et le restera indéfiniment », et seulement 12% ont dit « Nous pensons sortir de Unix dans le futur ». Les économies de coût, essentiellement au travers d’une consolidation de serveurs, étaient citées comme la raison n°1 pour migrer vers autre chose.

Weiss pense que la migration vers des processeurs x86 va s’accélérer à cause de l’avantage du coût du matériel. « Des architectures extensibles horizontalement ; le clustering ; le cloud computing ; la virtualisation sur x86, quand vous combinez toutes ces tendances, le système d’exploitation de choix tourne autour de Linux ou Windows », dit-il.

« Par exemple », déclare Weill, « dans l’annonce récente de Cisco de son architecture Unified Computing, vous avez dans un même équipement le réseau, le stockage, le calcul et la mémoire, et vous n’avez pas besoin d’Unix. Vous pouvez utiliser Linux ou Windows sur x86. Ainsi, Intel est en train de gagner la guerre pour le compte de Linux contre Unix ».

The Open Group, propriétaire des Single Unix Specification et organisme certificateur des systèmes Unix, concède peu à Linux, et déclare que Unix est le système de choix pour « le haut du panier en termes de fonctionnalités, montée en charge et performance pour des applications critiques ». Linux, dit-il, tend à être le standard pour les applications plus simples, moins critiques.

Korn, de AT&T, est parmi ceux qui pensent que Unix a encore un bel avenir. Korn dit que la force d’Unix pendant toutes ces années, depuis l’ajout des pipes en 1973, est qu’il peut facilement être éclaté en petits bouts et distribué. Ceci va pousser Unix en avant, dit-il. « La philosophie (du pipeline) fonctionne bien avec le cloud computing, dans lequel vous construisez des petits morceaux réutilisables plutôt qu’une grosse application monolithique ».

L’héritage d’Unix

Quel que soit le sort final d’Unix, le système d’exploitation né dans les Laboratoires Bell il y a 40 ans a établi un héritage qui risque de durer encore quelques dizaines d’années. Il peut revendiquer la paternité d’une longue liste de logiciels populaires, incluant l’offre Unix de IBM, HP, Sun, Apple Mac OS X et Linux. Il a également influencé des systèmes qui ont leurs racines dans Unix, comme Microsoft Windows NT et les versions IBM et Microsoft de DOS.

Unix a permis à de nombreuses entreprises qui démarraient de réussir, en leur offrant une plateforme peu onéreuse sur laquelle construire. C’était une des briques de base pour la construction d’Internet, et il fait partie du cœur des systèmes de télécommunications aujourd’hui. Il a engendré de nombreux concepts d’architecture, comme l’utilisation du pipeline, et le dérivé de Unix, Mach, a contribué énormément à l’informatique scientifique, distribuée et multiprocesseurs.

C’est peut-être l’ACM qui l’a mieux énoncé en 1983 dans sa citation du prix Turing en l’honneur de Thompson et Ritchie sur leur travail sur Unix : « Le génie du système Unix est dans sa structure, qui permet aux programmeurs de bâtir sur le travail des autres ».

Notes

[1] Crédit photos : 1. Rudolf Schuba (Creative Commons By) / 2. Hoshie (Domaine Public) / 3. Eraserhead1 et Infinity0 (Creative Commons By-Sa)