Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)




De l’efficacité des agités du bocal Internet

Grégoire Lannoy - CC byNumerama et le Framablog ont une intersection de lecteurs non vide mais une réunion non confondue. Lorsque l’excellent Guillaume Champeau a mis en ligne l’article que je vous propose reproduit ci-dessous, je lui ai de suite envoyé un mail pour le féliciter et lui dire qu’il me dispensait alors d’écrire un billet similaire qui me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps (oui, je sais, ça mange pas de pain, et ça fonctionne avec tout le monde : bonjour Mr Kant, merci pour votre Critique de la raison pure, que j’avais justement pour projet de rédiger…).

Comment se fait-il qu’on se retrouve avec un projet de loi Hadopi qui fait quasiment l’unanimité contre lui sur le Net mais qui se heurte à l’indifférence de Mme Michu ? La faute aux grands médias ? Non, la faute aux internautes qui se complaisent à penser qu’en restant assis le cul derrière leur chaise à parer leur site de noir, il vont faire pencher la balance du bon côté. Telle serait, en (très) gros, la problématique posée par l’article.

Bon, il faut dire aussi que l’on n’est pas forcément aidé par nos représentants publiques, à commencer par certains partis politiques[1] traditionnels qui se distinguent par leur… atonie ! Le parti Chasse, pêche, nature et traditions défend des intérêts bien identifiés, faudra-t-il en venir à la création d’un équivalent du Parti pirate suédois ?

En apparté : Même si de gros progrès ont eu lieu ces derniers temps sous l’impulsion de nombreux acteurs de terrain, on est assez proche de la même situation pour ce qui concerne Mme Michu et les logiciels libres : il y a bien un moment où il faut descendre dans l’arène si on veut réellement être efficace et rassembleur (on en parlait hier justement).

Riposte graduée : pourquoi la contestation s’arrête aux frontières du net ?

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Guillaume Champeau – 5 mars 2009 – Numerama.com
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A moins d’une semaine de l’examen du projet de loi Création et Internet, le débat sur la riposte graduée et ses implications sur la société tout entière n’a pas émergé. Pas en dehors du net, où les voix, pourtant extrêmement nombreuses et majoritaires, ne se font pas entendre. Pourquoi ?

Le débat sur la loi Création et Internet et la riposte graduée doit débuter mardi à l’Assemblée Nationale. Et Madame Michu l’ignore.

Elle ignore que le texte présenté par le gouvernement prévoit de l’obliger à sécuriser sa connexion à Internet, et qu’elle n’aura ni les moyens juridiques ni les moyens matériels de se défendre si, par malheur, elle était accusée par l’Hadopi d’avoir téléchargé le dernier single de P. Diddy. Laurence Ferrari ne l’a pas prévenue.

Elle ignore, aussi, que le texte pose la première pierre d’une obligation générale de filtrage qui, sans qu’un juge n’ait son mot à dire, aboutira à limiter la liberté d’expression de ses concitoyens, au bon vouloir du gouvernement. David Pujadas n’en a rien dit.

Elle ignore enfin, que le paysage dévasté par le piratage que décrit Nicolas Sarkozy a été dessiné par les lobbys qui ont intérêt à voir la loi s’appliquer, alors qu’il est en fait riche de mille fleurs et n’a jamais été aussi prolifique. Le Président l’a dit dans sa dernière interview : « on m’a fait beaucoup de reproches dans ma vie politique, pas de mentir ». Comment Madame Michu pourrait-elle en douter ?

Comment Madame Michu pourrait-elle savoir que le projet de loi anti-piratage qu’on lui présente comme un texte de pédagogie et de méthode douce favorable aux artistes vise en réalité à contourner la justice au bénéfice de quelques intérêts privés et à imposer à tous les internautes des outils de filtrage qui pourront être employés, à des fins politiques, pour censurer tel ou tel site Internet gênant. Ou, de manière plus subtile et en apparence plus démocratique, pour favoriser les sites d’information sponsorisés par l’Etat qui recevront un label de qualité pris en compte par les filtres imposés par l’Hadopi ?

La loi Création et Internet n’est pas une loi sur le piratage, c’est une loi sur la liberté d’expression, qui concerne tout le monde.

L’opposition, sur Internet, existe. Elle est même très vive. Il est difficile, voire impossible, de trouver des communautés favorables à la loi, y compris dans les rangs de l’UMP. Mais comme au moment de la loi DADVSI, le débat reste figé dans les frontières d’Internet. Les actions, qu’elles soient symboliques ou plus musclées, restent cloîtrées dans les mailles de fibres optiques, sans jamais atteindre le tube cathodique (ou la dalle LCD) de Madame Michu. Même François Bayrou, qui a fait de la défense des valeurs républicaines et d’Internet son cheval de bataille lors la dernière élection présidentielle, se désintéresse totalement de la loi Création et Internet alors qu’elle pourrait apporter au MoDem une vitrine précieuse à quelques mois des élections européennes. Les quelques députés du Parti Socialiste qui s’apprêtent à défendre avec force les internautes à l’hémicycle, le feront sans le soutien public de leur première secrétaire Martine Aubry, qui se garde bien de se mettre les artistes les plus populaires à dos, et surtout sans la force médiatique que peut offrir l’appareil lorsqu’il se met en marche pour attaquer le fichier Edvige ou le CPE.

Comme il y a trois ans avec la loi DADVSI, le débat sur la loi Création et Internet restera un débat de spécialistes, concentré sur les questions techniques et sur les dommages causés par le piratage, sans que les questions sociétales ne soient soulevées.

La faute aux médias ? Non, la faute aux internautes, incapables de porter leur opposition au delà des frontières du numérique.

Nicolas Vanbremeersch, plus connu sous le pseudonyme de Versac, tente une explication intéressante sur le site Slate.fr : « Les internautes sont incapables de s’organiser pour faire pression avec efficacité (…) Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie (…) Le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif. »

« Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte. »

« A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue », estime Nicolas Vanbremeersch.

Le net, qui réinvente des modèles économiques parfois proches d’une forme de néo-communisme, porte peut-être en lui le germe d’une nouvelle démocratie qui ne voit pas l’utilité d’aller se faire entendre dans le champ traditionnel de la démocratie déclinante. On commence à voir apparaître, en Suède, toute une nouvelle génération d’électeurs prête à porter aux urnes une nouvelle forme de démocratie. Si les lois ne s’adaptent pas à Internet, les internautes les ignoreront, comme ils l’ont fait depuis 10 ans des lois anti-piratage. Chaque nouvelle législation qui tente de ramener Internet vers les lois historiques de la démocratie traditionnelle en ignorant les spécificités et la culture sociétales portées par Internet accentuent une tension entre deux mondes qui, un jour, explosera, sous une forme ou sous une autre.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pourquoi sommes nous incapables de lancer des chaussures contre le ministère de la culture, d’entourer le cercueil de la justice dans une longue procession funèbre de la place Vendôme jusqu’à la Bastille, ou de bloquer les trains gare du Nord ?

Notes

[1] Crédit photo : Grégoire Lannoy (Creative Commons)




Hadopi : le scénario catastrophe mais plausible de l’Isoc France

Karynsig - CC byIl n’y a pas que les « anarchistes du Net » et les « hacktivistes libristes » qui sont contre le projet de loi Internet et Création. Il y a aussi des « gens très sérieux » qui réfléchissent depuis longtemps à toutes ces questions.

Fondée en mars 1996 par une poignée de pionniers, l’Isoc France est le Chapitre Français de l’Isoc. Association internationale. Sa mission prioritaire est d’être l’un des « interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics et des entreprises sur l’ensemble des questions de gouvernance d’Internet, tant sur le plan technique que sociétal ».

Or l’Isoc France vient de nous pondre, sous la plume de Paul Guermonprez, un « article de prospective » de poids à verser au dossier : Loi Création et Internet « Le boomerang législatif » Janvier 2009 – Avril 2010, article qui tente d’anticiper les conséquences du projet de loi.

De la pure science-fiction ? Rien n’est moins sûr malheureusement !

Je vous invite vivement à le lire (13 pages). D’abord parce que, nonobstant le sentiment d’épouvante[1] qui nous étreint parfois, c’est fort instructif. Mais également parce qu’il s’agit en quelque sorte, et selon moi, du coup de grâce porté à la loi.

Ce document est résumé dans le communiqué de l’Isoc France que je me suis permis de reproduire ci-dessous.

Création & Internet : le boomerang législatif

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Isoc France – 24 février 2009 – Communiqué de Presse

Loin de provoquer un changement des mentalités sur le respect des droits des auteurs et de la distribution la loi Création et Internet, peu adaptée à la complexité du terrain numérique, va générer des tensions fortes et de nombreux problèmes d’application.

Le Chapitre Français de l’Internet Society remonte en ligne, à quelques jours de la soumission de la Loi devant l’Assemblée Nationale. Le débat est loin d’être clos.

Évolution des mentalités : Le conflit direct entre détenteurs de droits et le public sans intervention des forces de l’ordre et de la justice va créer une tension improductive et n’aura pas de portée éducative. De même que l’interdit bancaire n’a jamais appris à lutter contre l’endettement, le bannissement d’Internet ne sera pas utile pour éduquer sur le respect du droit d’auteur.

Pratique : Les internautes pirates vont continuer à télécharger par des méthodes techniquement différentes à l’abri des poursuites (P2P sans tracker, site d’archives, serveurs payants). L’échange de main à main se développera, provoquant un coming-out de leurs auteurs et une plus grande acceptation sociale.

Marché : Le monopole d’iTunes se renforcera et les inconvénients pour les producteurs d’un monopole apparaîtront plus clairement. La monétisation des œuvres prendra des formes plus variées (publicité/streaming, P2P légal). Les producteurs indépendants continueront leur évolution vers des offres directes fortement rémunératrices.

Effets collatéraux : Premièrement le réseau ne sera plus neutre – avec de nombreuses répercutions : déséquilibre entre compagnies productrices et entre opérateurs, frein au développement d’offres et services innovants. Les points d’accès non personnels (HotSpots publics, cafés internet…) seront fermés ou restreints à une liste blanche, notamment les réseaux WiMax dans les zones rurales, excluant d’Internet une partie des Français !

Politique : De neutre et universel, le réseau évoluera vers un intranet proposant l’offre d’un opérateur-producteur. De plus cette rupture provoquera une politisation involontaire du réseau, certains extrémistes allant jusqu’à saboter les infrastructures. D’un acte illégal et peu réfléchi, le piratage deviendra un acte politique de rébellion anti-majors et anti-Sarkozy.

Pour toutes ces raisons, l’Isoc France considère que cette loi « Création et Internet » est une bombe à retardement !

Une version de prospective 2009-2010 (13 pages) est disponible.

Notes

[1] Crédit photo : Karynsig (Creative Commons By)




Musique, industrie et industrie musicale

Notsogoodphotography - CC byNous le savions déjà : « musique » et « industrie musicale » sont deux entités distinctes. La révolution numérique n’a fait que nous le rappeler mais en apportant un petit quelque chose en plus : la possibilité pour le premier de ne pas être obligé d’en passer forcément par le second pour exister. Surtout si cette industrie musicale renonce à s’adapter et préfère mettre son énergie à chercher des mesures coercitives pour ramener ses clients dans le droit chemin de la rassurante situation d’avant (qui n’est déjà plus).

Et si nous commencions par prendre conscience des évolutions avant que d’envisager une éventuellement réconciliation ?

La traduction de ce court extrait du blog de Seth Godin y participe modestement.[1].

Musique vs L’Industrie Musicale

Music vs. the music industry

Seth Godin – 13 février 2009 – Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

Quelques extraits d’une interview sur le futur de l’industrie musicale. J’abordais une industrie spécifique, mais je pense que cela peut être généralisé.

L’industrie musicale privilégie surtout l’aspect « industrie » et moins l’aspect « musique ». C’est le meilleur moment de l’histoire de la musique si votre rêve est de distribuer autant de musique que possible à un maximum de personnes, ou si votre objectif en tant que musicien est d’être écouté par une large audience. Il n’y a jamais eu une telle époque auparavant. Donc si votre intérêt est la musique, c’est génial.
Mais si votre intérêt penche vers le côté industriel et ses limousines, ses acomptes, ses juristes, son polycarbonate et ses vynils, c’est tout simplement horrible. Le changement actuel étant que les personnes persistant à vouloir garder le monde tel qu’il était avant, seront de plus en plus contrariées par la nouvelle donne, ce qui peut aller jusqu’à la perte de leur emploi. Ceux qui veulent inventer un nouveau cadre, de nouvelles de règles du jeu, un nouveau paradigme, n’en reviennent pas de leur bonne fortune et réalisent combien ils sont chanceux que le monde de l’industrie ne remarque pas une telle opportunité…

Je définis une tribu comme un groupe de personnes partageant une culture, un but, une mission commune, et aussi souvent un leader commun. Il y a des tribus de gens, sortant parfois des sentiers battus, qui se sentent en phase parce qu’ils veulent repenser l’industrie musicale. Il y a ainsi la tribu de ceux qui suivent Bruce Springsteen et paient des sommes déraisonnables pour l’écouter en concert et comparer les titres.
Cela n’a plus rien à voir avec les anciennes habitudes des labels musicaux occupés à conquérir de l’espace commercial à la radio et dans les magasins de disques. L’industrie musicale a désormais besoin de se redéfinir et d’œuvrer à la recherche, l’interconnexion et la direction de tribus d’individus désirant suivre un musicien et se connecter avec ceux qui souhaitent en faire de même…

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, vous écoutiez une chanson car « tous les autres » l’écoutaient aussi. C’est la définition de la pop music. À cette époque, nous définissions « les autres » comme des personnes de notre université ou des gens écoutant la radio WPLJ[2].
Aujourd’hui, « les autres » ne sont pas définis par le lieu de résidence ou la radio écoutée. Ils sont définis par le segment vertical ou horizontal du monde auquel vous vous connectez. Je peux écouter Keller Williams[3] parce que ma tribu connaît des Deadheads désenchantés[4]. N’ayant plus de nouveau Grateful Dead à écouter, nous écoutons Keller Williams : c’est de la pop music pour nous. Il n’est pas populaire chez les jeunes du collège qui n’ont jamais entendu parler de lui, n’est-ce pas ? Ainsi vous vous retrouvez avec une multitude de niches qui sont autant de manières différentes de regarder le monde…

Le tout numérique est en train de surpasser le CD, et une fois le mouvement amorcé cela va de plus en plus vite. Le plus intéressant pour moi est de connaître celui qui contrôlera la programmation musicale (NdT : la playlist). S’il y a une quantité infinie de musique offerte (et dès que la quantité de musique excède le temps disponible d’une vie, elle est infinie !), quelqu’un sera-t-il assez influent pour me suggérer quoi écouter ? Ce quelqu’un sera-t-il payé pour me le dire ou bien paiera-t-il pour me le dire ? La question reste pour le moment ouverte mais les réponses sont dans toutes ces niches. Qui sont les personnes influentes et comment se diffusent cette influence ?
L’analogie que j’aime donner est que si vous êtes un écrivain et qu’Oprah Winfrey[5] vous appelle, vous ne dites pas : « combien allez vous me payer pour participer à votre show et présenter mon livre ? » En fait, si vous le pouviez, vous paieriez pour collaborer avec Oprah.
Pendant très longtemps, l’industrie musicale a eu deux grandes idées : d’un côté, payer pour passer sur Clear Channel[6] ou MTV, de l’autre, faire payer pour écouter sa musique en concert ou sur votre chaîne Hi-Fi. Ces temps sont tous en train de se diluer actuellement. « Si je suis le directeur des programmes de ma propre radio, que devient mon bakchich ? »[7].

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography (Creative Commons)

[2] Radio populaire aux USA

[3] Keller Williams est un chanteur américain un peu « décalé »

[4] Les Deadheads sont des fans du groupe Grateful Dead

[5] Oprah Winfrey est l’animatrice du célèbre talk-show qui porte son nom

[6] Clear Channel est un groupe de médias américains possédant de nombreuses radios et télévisions

[7] Bakchich ou payola dans le texte




Projet de loi Création et Internet : l’April s’insurge et appelle à la mobilisation

Qualifié, malheureusement à juste titre, de DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » (ou Hadopi) vient de chauffer aux oreilles de l’April. Il faut dire qu’il y a de quoi et le rapporteur (et benjamin) de l’UMP Franck Riester d’en prendre pour son grade.

Je vous laisse, je dois contacter mon député…

Riposte graduée : le rapporteur s’oppose à l’interopérabilité, l’April appelle à la mobilisation

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APRIL – 23 février 2009 – Communiqué de presse

Trois ans après DADVSI, le gouvernement et la majorité semblent n’avoir rien retenu des débats sur l’interopérabilité[1] et le logiciel libre. Lors de l’examen du texte « Création et Internet » en commission des lois de l’Assemblée nationale, le rapporteur UMP Franck Riester s’est opposé à l’interopérabilité des moyens de sécurisation imposés par le projet de loi, au motif que l’interopérabilité empêcherait le libre choix de l’utilisateur ! L’April s’insurge et appelle chacun à contacter son député pour l’alerter.

Véritable DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » déjà validé par le Sénat est actuellement programmé à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Après un examen en commissions, le texte sera examiné en séance à partir du 10 mars 2009.

L’essentiel du projet de loi est bien d’échafauder une nouvelle autorité administrative – l’Hadopi[2] – qui aura pour but de faire une répression de masse sur la base de relevés informatiques. Mais il prévoit également d’imposer aux titulaires d’un accès à Internet des « moyens de sécurisation » visant à empêcher que leur connexion soit utilisée pour commettre des infractions.

« On ignore tout de la nature de ces moyens de sécurisation : on ne sait pas ce qu’ils font, ni où ils s’installent, et quelle est la maîtrise que l’utilisateur pourra en avoir, » déplore Alix Cazenave, responsable des affaires publiques de l’April. « Qu’ils ne fassent pas le jeu d’éditeurs pratiquant la vente liée serait un minimum ! » L’April a d’ailleurs été reçue par des députés de tous les groupes pour leur faire part de ses questions et de ses inquiétudes[3].

Pourtant sur la question précise de l’interopérabilité, les députés Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) et Patrick Bloche (Socialiste, Radical et Citoyen) se sont heurtés à un refus catégorique du rapporteur, motivé par un argument que nul n’aurait imaginé : il est simplement défavorable à l’interopérabilité[4] ! Il s’est de même opposé à ce que l’abonné soit exonéré de sa responsabilité lorsqu’il n’existe pas de moyens de sécurisation adaptés à sa configuration. L’April avait pourtant, dès le 6 mars 2008[5], alerté le conseiller juridique de la ministre de la culture sur le risque que comporte ce genre de mesures pour l’interopérabilité et le logiciel libre. À l’époque déjà, aucune réponse n’avait été apportée quant à la nature de ces moyens de sécurisation, le conseiller Henrard se contentant d’affirmer que la loi créerait le marché (sic).

« Ce que Franck Riester ne comprend pas, c’est que l’interopérabilité est le libre choix des consommateurs. On se croirait de retour en 2006 avec le benjamin de l’époque, Laurent Wauquiez, qui avait au moins eu l’honnêteté de reconnaître son incompétence[6]. En 2005, la SACEM voulait nous faire changer nos licences[7] ; Franck Riester voudrait-il nous obliger à changer de système d’exploitation ?», s’interroge Frédéric Couchet, délégué général de l’April.

« Monsieur Riester est la preuve qu’il reste encore à l’Assemblée nationale des députés opposés à l’interopérabilité et au logiciel libre[8]. Il soutient un dispositif qui va, une fois de plus, pénaliser sans aucune justification les auteurs et utilisateurs de logiciels libres, les mettant dans une situation d’insécurité juridique absolument inacceptable. Le groupe UMP a décidément bien choisi son rapporteur : tout comme cette loi, il nie la réalité technique, protège des intérêts particuliers et souffre d’un archaïsme affligeant » s’insurge Benoît Sibaud, président de l’April.

Comme pour DADVSI, l’urgence est déclarée. Comme pour DADVSI, ce texte est annoncé comme le remède miracle contre le téléchargement non autorisé d’œuvres en peer-to-peer. Comme pour DADVSI, des mesures « techniques » de contrôle d’usage sont imposées. Comme pour DADVSI, l’interopérabilité est méprisée. Comme pour DADVSI, le logiciel libre est ignoré, et ses utilisateurs menacés.

C’est pourquoi, comme pour la loi DADVSI, l’April appelle tous les citoyens attachés au logiciel libre à contacter leurs députés[9] et à les alerter afin qu’ils s’opposent à cette nouvelle menace. Elle les invite également à écrire au rapporteur Riester pour lui demander de revenir sur ses positions inacceptables.

Notes

[1] rappelons au passage l’article 7, adopté le 16 mars en seconde délibération à l’unanimité, faisant de la France le premier pays d’Europe à véritablement défendre activement l’interopérabilité, première mondiale saluée Outre-Atlantique. Communiqué du 18 avril 2006 « Projet de loi "DADVSI" : à contre-courant, le Sénat rejette l’interopérabilité et prône la brevetabilité du logiciel ».

[2] Haute Autorité pour la diffusion et la protection des œuvres sur Internet, créée à partir de l’Autorité de régulation des mesures techniques de la loi DADVSI.

[3] Notamment les porte-paroles des groupes Nouveau Centre (NC), Socialiste, Radical et Citoyen (SRC), Gauche Démocratique et Républicaine (GDR), ainsi que par la rapporteure pour avis (UMP) de la commission des affaires culturelles. Elle doit également être auditionnée par le rapporteur pour avis (UMP) de la commission des affaires économiques.

[4] Extrait du compte-rendu n°28 de la réunion de la commission des lois, mercredi 18 février 2009, séance de 9h30 : — Art. L. 331-30 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle : Liste des moyens de sécurisation efficaces : La Commission adopte un amendement du rapporteur précisant les consultations auxquelles la HADOPI devra procéder avant de rendre officielles les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation et supprimant l’établissement d’une liste officielle de ces spécifications. Elle est ensuite saisie d’un amendement de M. Jean Dionis du Séjour précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement. – M. le rapporteur : Les moyens de sécurisation mis en place ne sauraient être gratuits, à l’image des logiciels de contrôle parental, mis à la disposition des consommateurs à titre payant, même si leur prix est modique. – M. Jean Dionis du Séjour : J’accepte de supprimer de mon amendement la condition de gratuité. – M. le rapporteur : J’en viens au second objet de l’amendement : l’interopérabilité. Je n’y suis pas favorable. Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation. L’interopérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels. La Commission rejette l’amendement, puis adopte deux amendements du rapporteur, le premier visant à préciser que la HADOPI établit une liste labellisant les moyens de sécurisation, le second de nature rédactionnelle. Elle rejette ensuite, par cohérence, un amendement de M. Patrick Bloche précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement.

[5] Voir le compte rendu de la réunion avec Laurent Ladouari et Olivier Henrard.

[6] « Nous devons reconnaître honnêtement les limites de nos compétences techniques – certains d’entre nous en ont apporté la preuve, moi le premier hier soir – sur des sujets extrêmement techniques comme le MP4 ou les fichiers MP3. » – Laurent Wauquiez, député UMP benjamin de l’AN sous la XIIème législature, porteur de la partie civile de l’amendement Vivendi, lors de l’examen du DADVSI. Franck Riester est « benjamin du groupe UMP et troisième plus jeune député de l’hémicycle » selon ce portrait.

[7] « Vendredi 18 novembre 2005, au ministère de la Culture, le SNEP et la SCPP déclarent aux auteurs de Logiciel Libre : « Vous allez changer vos licences. » La SACEM ajoute : « Vous allez arrêter de publier vos logiciels. » Et se déclare prête à « poursuivre les auteurs de logiciels libres continuant de divulguer leur code source » – Extrait du communiqué de presse de la FSF France du 25 novembre 2005.

[8] Contrairement au prédécesseur de Franck Riester sur la 5ème circonscription de Seine-et-Marne, Guy Drut, UMP lui aussi, qui a été un des questeurs à l’origine de la migration vers le logiciel libre du poste de travail des députés français.

[9] Pour une liste des députés, leurs fiches individuelles et leurs coordonnées, voir également le Mémoire Politique disponible sur le wiki de la Quadrature du Net.




Les droits d’auteur pour les nuls (dont certains nous gouvernent)

Marfis75 - CC by-saMaître Eolas vient de nous pondre un excellent billet intitulé Les droits d’auteurs pour les nuls.

Les nuls en question, ce sont d’abord vous et moi, qui trouveront là l’occasion de découvrir, parfaire ou mettre à jour leurs connaissances sur le sujet. Mais ce sont aussi et surtout ceux qui nous gouvernent et qui s’apprêtent à faire voter une loi scélérate (n’ayons pas peur des mots), à savoir la loi Création et Internet (ou Hadopi)[1].

Arguant de mon « droit de courte citation sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source » (ce qui est déjà fait ci-dessus), je n’ai pu résister à vous en recopier les derniers paragraphes.

Deux mots pour conclure, comme disent les avocats qui en ont encore deux cent à dire : d’une part, la protection des œuvres de l’esprit, et le droit de leurs auteurs de les exploiter commercialement est pour moi tout à fait légitime. Permettre à un artiste de vivre de son art est normal et sain pour la vie artistique. Je ne suis pas en guerre contre les droits d’auteur. J’émets simplement des doutes sur la réalité de l’étendue du préjudice que les ayants-droits prétendent subir à cause du téléchargement par des particuliers (télécharger une œuvre ne fait pas obstacle à l’acheter par la suite pour l’avoir en meilleure qualité ou bénéficier des bonus, et rien ne permet d’affirmer que ceux qui ont téléchargé une œuvre l’aurait acheté s’ils avaient été mis dans l’impossibilité de se la procurer de cette façon), et constate que le conservatisme de cette industrie qui espère arrêter le court du temps et de la technologie plutôt que faire face aux défis que représentent l’évolution de la technique est proprement suicidaire. Nous sommes en 2009, et l’industrie musicale commence tout juste à proposer légalement des titres au format largement compatible, ayant semble-t-il compris la bêtise que constituaient les mesures techniques de protection qui protégeaient surtout contre l’écoute du morceau.

Car, et c’est là ma deuxième observation, rappelez vous ce que je vous ai dit. Le droit d’auteur est apparu pour protéger les auteurs contre les éditeurs qui s’enrichissaient sur leur dos, puis contre les producteurs de spectacle et les interprètes qui faisaient de même. Le combat des ayant-droits aujourd’hui présente une grande nouveauté : il oppose les ayant-droits à leur public, qui ne s’enrichit pas sur leur dos. Les musiciens insultent ceux qui apprécient leur musique en les traitant de voleurs, les réalisateurs font de même avec ceux qui apprécient leur film en les traitant de dealers.

Je ne suis pas expert en marketing, mais qu’il me soit permis d’émettre des doutes sur la viabilité de cette attitude, et même de sa simple rationalité.

Quelle est la différence entre la loi DADVSI et cette loi Hadopi qui s’invite trois ans plus tard à l’Assemblée ? Aucune, ou presque, du côté du législateur, qui n’a semble-t-il pas retenu la leçon. Par contre on sent bien que la « société civile » est plus impliquée, comme l’illustre justement cette intervention qui sort du champ des défenseurs du logiciel libre et sa culture.

Quitte à faire momentanément le dos rond, il y a de quoi être optimisme pour l’avenir…

Notes

[1] Crédit photo : Marfis75 (Creative Commons (By-Sa)




La loi Création et Internet, le chant du cygne et le maquis

Tempo no tempo - CC byCette loi « Création et Internet » s’apparente de plus en plus au chant du cygne d’une industrie culturelle totalement dépassée par les événements et qui s’arc-boute sur ce qu’il lui reste encore de privilèges hérités du siècle dernier. Associée avec la politique web 1.0 d’un Sarkozy, tout est réuni pour casser la société numérique en deux et voir les éléments les plus progressistes du pays prendre le maquis virtuel pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être tant que la neutralité du Net sera garantie.

Un peu emphatique ce premier paragraphe non ? Allez, tant, pis, je le garde quand même 😉

En fait il s’agissait juste d’introduire cet article du collectif Libre Accès, qui fait justement partie de ceux qui sont bien décidés à ne pas s’en laisser compter[1].

Edit : Dans un autre registre, on pourra également lire cette gore mais assez désopilante BD de Flock.

La libre circulation de l’Art est la garantie de notre liberté

Libre Accès – Lettre d’information – février 2009
Article sous Licence Art Libre

La préface de La crise de la culture d’Hannah Arendt commence par cette citation d’un poème de René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », faisant référence à son choix d’entrer en résistance, à la prise de conscience que lutter contre la tyrannie restitue à chacun, au sein de l’espace public, sa liberté.

La circulation des œuvres de l’esprit a toujours été un enjeu majeur ; les amateurs du totalitarisme ont une forte passion morbide pour brûler des livres et imposer leur pensée unique aux masses. Le hacker Soljenitsyne en a su quelque chose : la parution de L’Archipel du Goulag, qui arriva en Europe de l’Ouest sous la forme d’un microfilm, est un des premiers exemples de l’enjeu que représente la numérisation des livres pour notre civilisation.

Il reste encore des hommes et des femmes dans le monde pour qui les actes de création constituent autant d’actes de résistances à la tyrannie. Actes de dignité où écrire, filmer, peindre, peut constituer un véritable crime passible de la peine de mort. Il est important de garder cette idée présente à l’esprit et de ne pas oublier qu’Internet représente rien de moins que de notre liberté de créer, d’échanger et de partager.

L’essence et l’avantage d’Internet est sa décentralisation. C’est l’outil rêvé de tous les amoureux de la liberté, encyclopédistes des Lumières, amis de l’éducation populaire et de l’art, leur permettant de diffuser leurs idées et les conserver. Bibliothèque-monde de toutes les cultures, lieu de production et de circulation de la pensée, l’art pour tous accessible, outil de pair à pair par excellence, Internet est un idéal des Lumières. C’est un espace d’expression, de réciprocité, de critique et donc de création.

En termes économiques, il serait temps de prendre conscience de faits essentiels qui se dessinent depuis son apparition :

  • l’ancien modèle des médias était basé sur la diffusion et la consommation, tandis que le nouveau modèle s’est développé sur la participation et l’expression;
  • l’élément critique de l’ancienne chaîne de valeur reposait sur la distribution, tandis que la nouvelle chaîne de valeur est centrée sur la découverte et la propagation;
  • il faut porter son attention là où l’argent s’est déplacé, là où les gens dépensent leur argent, sans occulter dans le même temps que les circuits financiers et produits dérivés se sont globalisés, hors de tout contrôle des Etats-nations et des territoires.

Ce sont là des données de base, familières à tout acteur informé de l’économie numérique. Il est donc particulièrement inquiétant pour nos démocraties de constater que ces mêmes lobbies financiers n’ont de cesse de vouloir contrôler Internet par des méthodes non seulement arbitraires et irrationnelles mais également tout à fait dépassées.

Les arguments justifiant la mise sous contrôle du réseau se réclament paradoxalement de la défense de la culture, alors que c’est justement elle qui est attaquée ; au même titre qu’ils invoquent des raisons pseudo-économiques, alors que par essence l’économie numérique refuse radicalement un contrôle central. Ce paradoxe a d’ailleurs été brillamment dénoncé par les situationnistes qui écrivaient dès 1967 : « la fin de l’histoire de la culture se manifeste par deux côtés opposés : le projet de son dépassement dans l’histoire totale, et l’organisation de son maintien en tant qu’objet mort, dans la contemplation spectaculaire »

Ces objets morts, stars télévisuelles qui ont l’odeur des icônes des églises mais sans leur efficacité, sont mis en avant pour justifier tous les abus du contrôle d’Internet. La mort de notre liberté est préparée dans une tentative vaine et pitoyable de conjurer la mort de l’artiste télévisé.

La loi « Création et Internet » souhaiterait que l’on installât un logiciel sur chacun de nos ordinateurs pour prouver que nous ne sommes pas des copieurs d’œuvres numériques interdites. Absurdité fondamentale : l’informatique, Internet, sont intrinsèquement copie, comme le rappelait Intel Corporation dans son Amicus brief lors du procès MGM vs Grokster.

L’argument de la culture en danger, servi à satiété, est un mensonge. La culture foisonne, les créateurs, de plus en plus nombreux, ne cessent de créer. Le public a soif d’œuvres auxquelles il accède de plus en plus en amateur, participant, co-créateur, et non plus en consommateur. La dissémination et l’accès de tous et par tous à la culture, voilà ce qui est en danger.
Et il est déconcertant de voir que c’est au nom du droit d’auteur, pour défendre la création, que l’on s’apprête à faire voter le projet de loi « Création et Internet », loi liberticide par excellence. Les comités de censure sont-il en train d’être remplacés par les Majors à qui le gouvernement français veut déléguer des pouvoirs arbitraires de police de l’Internet ?
Le pouvoir oligopolistique des Majors renforcé par la puissance publique pourrait contrôler l’ensemble des diffusions culturelles par une intégration verticale anti-économique et anti-concurrentielle : des tuyaux Internet, des radios, des télévisions, des journaux, des salles de concert…

C’est donc bien la liberté de l’auteur et son indépendance qui sont attaquées. Il n’est guère étonnant que de plus en plus d’auteurs et d’interprètes, voulant expérimenter d’autres dispositifs de création, quittent la SACEM (dans la musique) et les circuits classiques de distribution, pour mieux maîtriser leurs créations. Tout le monde n’est pas un adepte de la chanson à 2 minutes 30. La SACEM, influencée par les Majors ne sait pas rémunérer équitablement les auteurs occasionnellement diffusés sur les radios, par exemple. Ses modèles de répartitions sont basés sur des données partielles, accordant une prime aux plus gros diffusés. La production de la création doit correspondre au moule marketing de l’industrie culturelle ou ne pas exister.

De fait, il y a de plus en plus d’artistes qui, pour être en accord avec leur processus créatif, s’auto-produisent et s’auto-diffusent via Internet. Pour protéger leurs œuvres et garantir le partage de celles-ci, ils utilisent différentes licences telles la Licence Art Libre ou les Creative Commons.
Ils retrouvent ainsi leurs libertés premières d’auteurs : choisir les possibilités de modification de leurs œuvres, d’utilisation, de collaboration, de rémunération. Certains auteurs souhaitent privilégier la diffusion et la pérennisation de leurs œuvres, plutôt que leur rétribution financière.

Antoine Moreau, fondateur de la Licence Art Libre écrit : « Je crois pouvoir dire alors que le copyleft participe bien de ce récit des rêves ou des visions qui va à contre-temps de tout ce qui prétend dominer le cours de la création. C’est une liberté intempestive qui ne se soumet pas à l’injonction de l’actualité mais envisage un temps élargi, qui va très loin dans le passé, très loin dans l’avenir et très profondément dans le présent ».

Un musicien qui vient de terminer la création d’une œuvre musicale peut en un clic être écouté d’Afrique en Asie. Internet offre aux artistes un moyen de propagation inédit auquel les Majors ne s’étaient pas préparés. La plupart des plateformes de téléchargement d’œuvres sont multilingues. Il n’est plus rare qu’un artiste qui ne trouve pas son public localement le trouve à l’autre bout du monde.

C’est une vraie chance pour les auteurs, et pour l’humanité. Des groupes de musique comme Nine Inch Nails sont en passe de démontrer que la libre diffusion des œuvres n’empêche pas les artistes de trouver des modes de rémunérations concrets via la vente de places de concert ou de disques, avec toute une gamme possible de services et de produits dérivés.

Il y a bien un imaginaire défaillant dans les débats actuels sur la rémunération des auteurs et artistes-interprètes. Les moines copistes de l’industrie du DVD tentent d’imposer le même rapport de force que lors de la naissance de l’imprimerie, voulant casser une technologie brisant leur monopole. Frédéric Bastiat, économiste libéral français, les décrivit fort bien dans sa Pétition des Fabricants de Chandelles geignant contre la concurrence indue du soleil.

C’est l’auteur/artiste interprète à qui nous devons garantir une rémunération et non pas à l’industrie culturelle. La démocratisation des outils d’autoproduction et d’autodiffusion dans tous les Arts (cinématographique, musical, graphique, etc.) doit être prise en considération. Il appartient aux pouvoirs publics de savoir s’ils veulent soutenir les Majors ou les auteurs. N’en déplaise aux moines copistes de l’industrie du DVD et à leurs icônes télévisées, la création est foisonnante sur Internet et il est temps qu’elle soit reconnue.

S’il est fondamental de garantir cette liberté de choix de diffusion des œuvres et de leur circulation, nous devons être capables d’adapter le financement de l’art à l’heure d’Internet, sachant que sa défense ne peut être, ni en contradiction avec les valeurs démocratiques, ni avec les technologies actuelles. Comme le disait Michel Vivant en 2003 au Colloque de l’UNESCO ”Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information” : « Il ne s’agit pas de s’incliner devant le fait. Il s’agit de ne pas nier la réalité. ».

La libre circulation de l’Art garantit notre humanité, le pouvoir de se penser homme, voire humanité. On a besoin de se connaître à travers les grottes de Lascaux, dans les ruines de Babel. Antoine Moreau rappelle : « Il n’y a pas d’ouvrages de Platon et il n’y en aura pas. Ce qu’à présent l’on désigne sous ce nom est de Socrate au temps de sa belle jeunesse. Adieu et obéis-moi. Aussitôt que tu auras lu et relu cette lettre, brûle-la. La notion d’auteur, qui n’existe pas dans la Grèce Antique ni au Moyen-Âge où l’autorité émanait des dieux ou de Dieu, apparut. ». Garantir la libre circulation des œuvres d’Art, avec comme seul propriétaire, en dernier ressort, l’humanité, est donc essentiel. Pas de Copyright sur les œuvres de Lascaux, mais des amateurs d’Art archéologues entretenant notre patrimoine.

Le devoir de garantir la circulation de l’Art comme patrimoine de l’humanité oblige à penser sa préservation. Pas les salaires mirobolant des icônes télévisés mais de ceux qui, en premiers garantissent une pratique artistique : professeurs d’Art (plastique, musique, cinéma…), Maisons de la Culture, bibliothèques, espaces de pratique artistique, cinémas indépendants, universités… Il s’agit de multiplier les lieux ou les Artistes et les amateurs d’Art peuvent créer, échanger, écouter, pour maintenir à chaque Art les amateurs éclairés qui soutiendront toujours les Artistes/Auteurs.

Le financement de l’Art (pour les artistes souhaitant en bénéficier), doit être repensé par les puissances publiques. Préserver le seul intérêt des Majors, quand le statut des intermittents est menacé et le statut des artistes peintres est presque inexistant, démontre l’abandon de toute politique culturelle ambitieuse.
Si l’on songe que nous, citoyens, par les impôts, taxes et redevances que nous payons, sommes certainement le plus grand producteur culturel français, comment expliquer que l’on nous dénie toute participation aux débats en cours, et que l’on prétende privatiser et nous faire payer des œuvres que nous avons déjà financées? Est-il par exemple normal que l’Éducation Nationale, selon les accords sectoriels post-DADVSI, paye 4 millions d’euro par an pour n’avoir le droit, en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles, que d’utiliser les chaînes hertziennes classiques ? Cela doit changer.
C’est en tant qu’amateurs d’Art et citoyens exigeants que nous devons être comptables des politiques culturelles et de leur diffusion. Il en va de nos identités et cultures plurielles, dont il faut empêcher l’uniformisation par une industrie culturelle qui, de TF1, à France 2 ou M6, montre les mêmes séries télévisées et les mêmes discours autistes du Président du tout nouveau Conseil de la création artistique.

Il incombe de défendre nos libertés concomitantes d’un accès à l’art pour tous. De ce point de vue, il est intéressant de noter que les Majors essaient d’imposer, comme les semenciers de Monsanto, un catalogue des œuvres dites protégées, au mépris du droit d’auteur censé protéger tout auteur d’une oeuvre de l’esprit. Il y a donc bien des logiques de domination économique qui sont à l’œuvre pour la privatisation des biens communs, contre lesquelles nous devons résister.

L’aboutissement des projets de Monsanto, comme le fameux « catalogue des semences » interdisant aux agriculteurs et jardiniers le droit de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences ou du matériel de multiplication reproduits à la ferme, doit nous rendre vigilants sur les tentatives des Majors d’imposer le leur, fait du même petit nombre d’œuvres et rééditions formatées et sans risque.

Il y a un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux qui autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons, plus de 30 000 œuvres musicales sur la plateforme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, et dans le monde, d’après des estimations minimales, 130 millions d’œuvres et documents sous Creative Commons en juin 2008. Il est de notre devoir de les soutenir, car ils sont à l’avant-garde d’un mouvement de résistance, se livrant à la lutte pour la libre circulation de l’Art et donc notre liberté.

Pour Libre Accès, Jérémie Nestel (MACAQ, Radio du Ministère de la Crise du Logement), Bituur Esztreym (co-fondateur de Musique Libre ! et de dogmazic.net), Eric Aouanès (président de l’association Musique Libre ! et co-fondateur de la plateforme Dogmazic), Didier Guillon-Cottard (Festival Art is chaud) Mathieu Pasquini (gérant et fondateur de la maison d’édition InLibroVeritas).

Notes

[1] Crédit photo : Tempo no tempo (Creative Commons By)




L’ex-chanteur des Tears for Fears explique son choix des Creative Commons

Curt Smith Official - CC byIl y a ceux qui se morfondent à constater la crise actuelle de l’industrie musicale et qui croient naïvement que la loi Hadopi[1] va résoudre leurs problèmes. Et puis il y a les autres, comme le chanteur Curt Smith, qui nous explique calmement et sereinement en quoi les licences Creative Commons sont un choix contemporain simple et pertinent, pour ne pas dire « naturel », quand on souhaite autoriser la diffusion de sa musique sous certaines condition (ici la non exploitation commerciale).

Curt Smith (à ne pas confondre avec Robert Smith) ne vous dira peut-être rien, mais certains vieux (comme moi) se souviennent de son groupe Tears for Fears dont les quelques chansons suivantes bercèrent la jeunesse new wave des années quatre-vingts : Mad Word, Change, Shout ou encore Sowing the seeds of love.

Depuis Curt Smith[2] poursuit une carrière solo et a donc placé son dernier album Halfway, pleased sous licence Creative Commons By-Nc-Sa. Il s’en explique dans cette interview vidéo donnée le mois de novembre dernier sur le site de Dave Harris RetroRewind. La clarté de ses propos associée au climat tendu que fait régner la « menace Hadopi » nous ont donné envie de faire acte de résistance et de subversion en traduisant et sous-titrant[3] ci-dessous le début de l’entretien.

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] La loi Hadopi, rebaptisée « Création et Internet », devrait arriver à l’Assemblée nationale fin février. Nous vous suggérons deux sites pour suivre son hacktualité et mieux en décrypter ses tenants et aboutissants : La Quadrature du Net et Numerama.

[2] Crédit Photo : Curt Smith Official (Creative Commons By)

[3] Remerciements Framalang : Olivier pour la transcription, Don Rico pour la traduction, Xavier pour le sous-titrage et Yostral pour le montage final (sacré travail d’équipe !)