« Le logiciel libre peut redonner sens à nos vies » Bernard Stiegler

Le philosophe Bernard Stiegler fait l’objet d’un tag dédié sur le Framablog.

En découvrant le titre de l’article qui lui était consacré dans le journal belge Le Soir du 30 novembre dernier, on comprend bien pourquoi 🙂

Remarque : Demain 3 mars à 14h au Théâtre de La Colline aura lieu une rencontre Ars Industrialis autour du récent ouvrage L’école, le numérique et la société qui vient co-signé entre autres par Bernard Stiegler.

Bernard Stiegler - Le Soir

« Le logiciel libre peut redonner sens à nos vies »

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Quentin Noirfalisse – 30 novembre 2011 – Le Soir

Bernard Stiegler, un philosophe en lutte. Dans sa ligne de mire : un capitalisme addictif qui aspire le sens de nos existences. Son remède : une économie de la contribution.

Ce n’est plus un secret pour personne : le capitalisme est en train d’être dévoré par ses propres effets toxiques. En 2005, parmi d’autres voix peu écoutées alors, une association française, Ars Industrialis, lancée par quatre philosophes et une juriste, avait sonné le tocsin. A l’époque, leur manifeste décrivait les dangers d’un capitalisme « autodestructeur » et la soumission totale aux « impératifs de l’économie de marché et des retours sur investissements les plus rapides possibles des entreprises » et notamment celles actives dans les médias, la culture ou les télécommunications.

Aujourd’hui, l’association comporte plus de 500 membres, économistes, philosophes, informaticiens et toxicologues (car le capitalisme est devenu « addictif » et « pulsionnel ») confondus et ne semble pas s’être trompée de sonnette d’alarme. « Nous faisons partie des gens qui ont soulevé, dès 2006, l’insolvabilité chronique du système financier américain. On nous riait au nez, à l’époque », explique le philosophe Bernard Stiegler, fondateur d’Ars Industrialis et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou.

L’homme habite un petit moulin industriel reconverti en maison à Epineuil-le-Fleuriel, au beau milieu de la France paysanne. Entre quelques cris de paons, il vient de nous détailler le malaise qui s’empare de tous les échelons de la société.

Le règne de l’incurie

« Au 20e siècle, un nouveau modèle s’est substitué au capitalisme industriel et productiviste du 19e : le consumérisme, qu’on assimile au fordisme et qui a cimenté l’opposition entre producteur et consommateur. Le capitalisme productiviste supposait la prolétarisation des ouvriers. Ceux-ci perdaient tout leur savoir-faire qui était transféré aux machines. Avec le consumérisme, ce sont les consommateurs qui perdent leur savoir-vivre, ce qui constitue la deuxième phase de la prolétarisation. »

Chez Stiegler, le savoir-vivre, c’est ce qui permet à un homme de pouvoir développer ses propres pratiques sociales, d’avoir un style de vie particulier, une existence qui n’est pas identique à celle de son voisin. « Le problème du capitalisme, c’est qu’il détruit nos existences. Le marketing nous impose nos modes de vie et de pensée. Et cette perte de savoir-faire et de savoir-vivre devient généralisée. Beaucoup d’ingénieurs n’ont plus que des compétences et de moins en moins de connaissances. On peut donc leur faire faire n’importe quoi, c’est très pratique, mais ça peut aussi produire Fukushima. L’exemple ultime de cette prolétarisation totale, c’est Alan Greenspan, l’ancien patron de la Banque fédérale américaine, qui a dit, devant le Congrès américain qu’il ne pouvait pas anticiper la crise financière parce que le système lui avait totalement échappé. »

Que la justification de Greenspan soit sincère ou non, il n’en ressort pas moins que le système ultralibéral qu’il a sans cesse promu a engendré la domination de la spéculation à rendement immédiat sur l’investissement à long terme. Nous assistons, déplore Stiegler, au règne d’une « économie de l’incurie » dont les acteurs sont frappés d’un syndrome de « déresponsabilisation » couplé à une démotivation rampante.

Où se situe la solution ? Pour Stiegler, l’heure est venue de passer du capitalisme consumériste à un nouveau modèle industriel : l’économie de la contribution. En 1987, le philosophe organisait une exposition au Centre Pompidou, « Les mémoires du futur », où il montra que « le 21e siècle serait une bibliothèque où les individus seraient mis en réseaux, avec de nouvelles compétences données par des appareils alors inaccessibles. »

Depuis, Stiegler a chapeauté la réalisation de logiciels et réfléchit le numérique, convaincu qu’il est, en tant que nouvelle forme d’écriture, un vecteur essentiel de la pensée et de la connaissance. Il a observé de près le mouvement du logiciel libre[1]. C’est de là qu’aurait en partie germé l’idée d’une économie de la contribution. Car dans le « libre », l’argent n’est plus le moteur principal. Il cède la place à la motivation et à la passion, deux valeurs en chute libre dans le modèle consumériste. La question du sens donné aux projets par leurs participants y occupe une place centrale.

« Le logiciel libre est en train de gagner la guerre du logiciel, affirme la Commission européenne. Mais pourquoi ça marche ? Parce que c’est un modèle industriel – écrire du code, c’est éminemment industriel – déprolétarisant. Les processus de travail à l’intérieur du libre permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à échanger avec les autres. Cela fait longtemps, par exemple, que les hackers[2] s’approprient les objets techniques selon des normes qui ne sont pas celles prescrites par le marketing. »

De la même manière, une « infrastructure contributive » se développe, depuis deux décennies, sur un internet qui « repose entièrement sur la participation de ses utilisateurs ». Elle a permis, entre autres, d’accoucher de Wikipédia et de substituer à la dualité consommateur-producteur un ensemble de contributeurs actifs. Ceux-ci créent et échangent leurs savoirs sur le réseau, développant ainsi des « milieux associés » où ils peuvent façonner leurs propres jugements. Pour Stiegler, cette capacité à penser par soi-même propre au modèle contributif, est constitutive d’un meilleur fonctionnement démocratique.

Poison et remède

Pas question, toutefois, de tomber dans un angélisme pontifiant. Dans ses textes, il décrit le numérique comme un « pharmakon », terme grec qui désigne à la fois un poison et un remède, « dont il faut prendre soin ». Objectif : « lutter contre un usage de ces réseaux au service d’un hyperconsumérisme plus toxique que jamais », peut-on lire dans le Manifeste d’Ars Industrialis. Stiegler complète, en face-à-face : « Le numérique peut également aboutir à une société policière. Soit on va vers un développement pareil, soit vers l’économie de la contribution. »

D’ores et déjà, des embryons de ce modèle naissent dans d’autres domaines. « Une agriculture contributive existe déjà. L’agriculteur et ses consommateurs deviennent des partenaires, en s’appuyant notamment sur le web. » En France, cela se fait au travers des AMAP, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, où les différents acteurs se mettent d’accord sur la quantité et la diversité des denrées à produire. « Dans l’univers médical, poursuit Stiegler, les patients sont parfois intégrés à la recherche, comme ce qu’a fait le professeur Montagnier avec les malades du sida. Nous pensons également qu’il y a des domaines contributifs en énergie, où l’idée serait de produire autant que l’on reçoit, grâce aux réseaux de distribution intelligents, les smart grids. C’est bien sûr totalement contraire aux intérêts des grands groupes. »

Ainsi, l’idée d’une économie de la contribution implique que des pans entiers de nos sociétés sont à réinventer. Stiegler énumère certains besoins : « une politique éducative en relation avec le numérique, un nouveau droit du travail, un système politique déprofessionnalisé, un monde de la recherche où professionnels et amateurs sont associés. Nous plaidons beaucoup pour cette figure de l’amateur, qui aime ce qu’il fait et s’y investit complètement. » Reste, finalement, la question de l’argent. La valeur produite par les contributeurs n’est pas toujours monétisable, mais peut avoir un impact sur l’activité économique. Ainsi, les articles de Wikipédia permettent à Bernard Stiegler d’écrire beaucoup plus vite qu’avant. « La puissance publique doit être en charge d’assurer la solvabilité des contributeurs. Quelqu’un qui a un projet intéressant doit pouvoir recevoir de l’argent. Cela s’inscrit dans le sillage de thèses classiques comme le revenu minimum d’existence, à ceci près que nous pensons que ces budgets doivent être pensés comme des investissements. »

Reproduire de l’investissement, non seulement financier, mais surtout humain. Aux yeux de Stiegler, voilà l’enjeu d’une sortie de crise. Et voilà, aussi, pourquoi il appelle à la réunion des hackers, des universités, des chercheurs, des amateurs et des gens de bonne volonté (« il y en a partout ») face à un « néolibéralisme devenu l’organisation généralisée du désinvestissement ».

www.arsindustrialis.org

Interview de Bernard Stiegler

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Entretien : Quentin Noirfalisse – Vidéo: Adrien Kaempf et Maximilien Charlier
Geek PoliticsDancing Dog Productions

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Selon la définition consacrée, un logiciel est libre lorsque les utilisateurs ont le droit « d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». Quelques exemples, parmi les plus connus : Firefox, OpenOffice ou le système d’exploitation Ubuntu.

[2] Le hacker, grand artisan de l’internet tel qu’on le connaît, n’est pas un pirate informatique, mais plutôt un « détourneur », qui va utiliser des systèmes ou des objets (technologiques ou non) dans un but que leurs créateurs n’imaginaient pas.




Regarde le capitalisme tomber à l’ère de la production Open Source

« Le logiciel libre, l’innovation partagée et la production collaborative menacent le capitalisme tel que nous le connaissons. » C’est ainsi que Michel Bauwens résume son propos dans les colonnes du site d’Aljazeera.

Le menace vient du fait qu’à l’aide d’Internet nous créons beaucoup plus de valeur d’usage (qui répond à nos besoins) que de valeur d’échange (qui se monétise facilement[1]).

Menace pour les uns, opportunité et espoir pour les autres…

Nick Ares - CC by-sa

La question à 100 milliards de dollars de Facebook : Le capitalisme survivra-t-il à « l’abondance de valeur » ?

The $100bn Facebook question: Will capitalism survive ‘value abundance’?

Michel Bauwens – 29 février 2012 – Aljazeera

(Traduction Framalang/Twitter/Fhimt.com : Lambda, vg, goofy, fcharton, btreguier, HgO, Martin, bu, pvincent, bousty, pvincent, deor, cdddm, C4lin, Lamessen et 2 anonymous)

Le logiciel libre, l’innovation partagée et la production collaborative menacent le capitalisme tel que nous le connaissons.

Facebook exploite-t-il ses utilisateurs ? Et d’où vient la valeur estimée à 100 milliards de dollars de la société ?

Ce débat n’est pas nouveau. Il ressurgit régulièrement dans la blogosphère et dans les cercles universitaires, depuis que Tiziana Terranova a inventé le terme de « travail libre/gratuit » (NdT : Free Labour) pour qualifier une nouvelle forme d’exploitation capitaliste du travail non rémunéré – faisant d’abord référence aux téléspectateurs de médias audiovisuels traditionnels et maintenant à une nouvelle génération d’utilisateurs de médias sur des sites comme Facebook. Cet avis peut se résumer très succinctement par le slogan : « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».

Ce terme a été récemment relancé dans un article de Christopher Land et Steffen Böhm, de l’Université de l’Essex, intitulé « Ils nous exploitent ! Pourquoi nous travaillons tous pour Facebook gratuitement ». Dans ce court essai, ils affirment haut et fort que « nous pouvons placer les utilisateurs de Facebook dans la catégorie des travailleurs. Si le travail est considéré comme une activité productive, alors mettre à jour son statut, cliquer sur j’aime en faveur d’un site internet, ou devenir ami avec quelqu’un crée la marchandise de base de Facebook. »

Cette argumentation est toutefois trompeuse, car elle mélange deux types de créations de valeurs qui ont déjà été reconnues différentes par les économistes politiques au XVIIIe siècle. La différence se trouve entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Pendant des milliers d’années, dans le cadre de production non capitalistes, la majorité des travailleurs produisait directement de la « valeur d’usage » – soit pour subvenir à leurs propres besoins, soit sous forme de contributions pour la classe dirigeante du moment. C’est seulement avec l’arrivée du capitalisme que la majorité de la population active a commencé à produire de la « valeur d’échange » en vendant son travail aux entreprises. La différence entre ce que nous sommes payés et ce que les gens payent pour le produit que nous faisons est la « plus-value ».

Mais les utilisateurs de Facebook ne sont pas des travailleurs produisant des marchandises pour un salaire, et Facebook ne revend pas ces marchandises sur le marché pour créer de la plus-value.

Bien sûr, les utilisateurs de Facebook ne créent pas directement une valeur d’échange, mais plutôt une valeur de communication. Ce que fait Facebook, c’est permettre le partage et la collaboration autour de sa plateforme. En autorisant, encadrant et « contrôlant » cette activité, on crée des profils et des centres d’intérêt. Et ce sont ces profils et ces centres d’intérêt qui sont par la suite vendus aux publicitaires, pour un montant estimé de 3,2 milliards de dollars par an (NdT : environ 2,4 milliards d’euros), soit une recette publicitaire par utilisateur d’à peine 3,79 dollars (NdT : 2,85 euros).

En fait Facebook fait beaucoup plus que vendre de votre attention et disponibilité (NdT : temps de cerveau disponible ?). Leur connaissance de notre comportement social, individuel et collectif, a une importance stratégique indiscutable aussi bien pour les politiques que pour les sociétés commerciales. Mais cette plus-value vaut-elle réellement 100 milliards de dollars ? Cela reste un pari spéculatif. Pour le moment, il est probable que le quasi milliard d’utilisateurs de Facebook ne trouve pas les 3,79 dollars de recettes publicitaires très exploitables, d’autant plus qu’ils ne payent pas pour utiliser Facebook, et qu’ils utilisent le site volontairement. Ceci étant dit, il y a un prix à payer à ne pas utiliser Facebook : un certain isolement social par rapport à ceux qui l’utilisent.

Créer de la rareté

Il est néanmoins important de noter que Facebook n’est pas un phénomène isolé, mais fait partie d’une tendance bien plus large et lourde de nos sociétés connectées : l’augmentation exponentielle de la création de valeur utile par des publics productifs, ou « productilisateurs » (NdT « produsers »), comme Axel Bruns aime à les appeler. Il faut en effet bien comprendre que cela crée un problème de taille pour le système capitaliste, mais aussi pour les travailleurs tels qu’on les conçoit traditionnellement. Les marchés sont définis comme des moyens d’attribution de ressources rares, et le capitalisme n’est en fait pas simplement un système « d’attribution » de la rareté mais aussi un système de création de la rareté, qui ne peut accumuler du capital qu’en reproduisant et développant les conditions de cette rareté.

Sans tension entre l’offre et la demande, il ne peut y avoir de marché ni d’accumulation de capital. Or ce que font actuellement ces « productilisateurs », c’est créer des choses, avant tout immatérielles comme de la connaissance, des logiciels ou du design, aboutissant à une abondance d’information facile à reproduire et à exploiter

Cela ne peut se traduire directement en valeur marchande, car ce n’est pas du tout rare ; c’est au contraire surabondant. De plus, cette activité est exercée par des travailleurs du savoir (NdT knowledge workers) dont le nombre augmente régulièrement. Cette offre surabondante risque de précariser l’emploi des travailleurs du savoir. Il en découle un exode accru des capacités de production en dehors du système monétaire. Par le passé, à chaque fois qu’un tel exode s’est produit, les esclaves dans l’Empire Romain en déclin, ou les serfs à la fin du Moyen Age, cela a coïncidé avec l’avènement de conditions pour des changements économiques et sociétaux majeurs.

En effet, sans le support essentiel du capital, des biens et du travail, il est difficile d’imaginer la perpétuation du système capitaliste sous sa forme actuelle.

Le problème est là : la collaboration via Internet permet une création massive de la valeur d’usage qui contourne radicalement le fonctionnement normal de notre système économique. D’habitude, les gains de productivité sont en quelque sorte récompensés et permettent aux consommateurs d’en tirer un revenu et d’acheter d’autres produits.

Mais ce n’est plus le cas désormais. Les utilisateurs de Facebook et Google créent de la valeur commerciale pour ces plateformes, mais de façon très indirecte, et surtout ils ne sont pas du tout récompensés pour leur propre création de valeur. Leur création n’étant pas rémunérée sur le marché, ces créateurs de valeur n’en tirent aucun revenu. Les médias sociaux sont en train de révéler un important défaut dans notre système économique.

Nous devons relier cette économie sociale émergente, basée sur le partage de la création, avec les plus authentiques expressions de la production collaborative orientée vers le bien commun, comme en témoignent déjà l’économie de l’Open Source et de l’usage équitable des contenus libres (dont la contribution est estimée à un sixième du PIB américain). Il ne fait pas de doute sur le fait qu’un des facteurs clés du succès actuel de la Chine réside en une savante combinaison de l’Open Source, tel que l’exemple de l’économie locale à Shanzaï, avec une politique d’exclusion des brevets imposée aux investisseurs étrangers. Cela a offert à l’industrie chinoise une innovation ouverte et partagée en boostant son économie.

Même si l’économie de l’Open Source devient le mode privilégié de création des logiciels, et même si elle permet de créer des entreprises qui génèrent des chiffres d’affaires de plus d’un milliard d’euros, comme Red Hat, la conséquence globale est plutôt la déflation. Il a en effet été estimé que l’économie du libre réduisait annuellement de quelque 60 milliards de dollars le volume d’affaires dans le secteur des logiciels propriétaires.

Ainsi, l’économie de l’Open Source détruit plus de valeur dans le secteur propriétaire qu’elle n’en crée. Même si elle engendre une explosion de la valeur d’usage, sa valeur d’échange, monétaire et financière décroît.

La fabrication Open Source

Les mêmes effets surviennent quand le partage de l’innovation est utilisé dans la production physique, où il combine à la fois l’approche Open Source des moyens de distribution et l’affectation de capitaux (en utilisant des techniques comme la production communautaire, ou crowdfunding, et des plateformes dédiées comme Kickstarter).

Par exemple, la Wikispeed SGT01, une voiture qui a reçu cinq étoiles en matière de sécurité et peut atteindre 42,5 km/litre (ou 100 miles par gallon), a été developpée par une équipe de bénévoles en seulement trois mois. La voiture se vend au prix de 29.000 dollars, environ un quart du prix que pratiquerait l’indutrie automobile traditionnelle, et pour laquelle il aurait fallu cinq années de R&D ainsi que des millards de dollars.

Local Motors, une entreprise automobile ayant fait le choix du crowdsourcing et connaissant une croissance rapide, annonce qu’elle produit des automobiles 5 fois plus rapidement que Detroit, avec 100 fois moins de capitaux, et Wikispeed a réussi à mettre en place des temps de design et de production encore plus rapides. En ayant fait le pari de l’intelligence distribuée, la voiture Wikispeed a été pensée pour être modulaire, en utilisant des techniques de programmation logicielle efficaces et sophistiquées (telles que la méthode agile, Scrum et Extreme Programming), un design ouvert ainsi qu’une production effectuée par des PME locales.

Et Arduino, un simple petit circuit imprimé de prototypage electronique Open Source, fonctionnant sur le même principe que Wikispeed, provoque une baisse des prix dans son secteur et une extraordinaire effervescence dans les toujours plus nombreux fab labs (NdT : cf l’histoire d’Arduino). Si le projet de Marcin Jakubowsky Open Source Ecology rencontre le succès alors nous aurons à disposition de tous 40 différents types de machines agricoles bon marché rendant un village auto-suffisant. Dans tous les domaines où l’alternative de la production Open Source se developpe – et je prédis que cela affectera tous les domaines – il y aura un effet similaire sur les prix et les bénéfices des modèles économiques traditionnels.

« Consommation collaborative »

Une autre expression de l’économie du partage est la consommation collaborative, ce que Rachel Botsman et Lisa Gansky ont démontré dans leurs récents livres respectifs What’s Mine Is Yours: The Rise of Collaborative Consumption et The Mesh: Why The Future of Business is Sharing. Il se développe rapidement une économie du partage autour du secteur des services affectant même les places de marché et les modes de vie des gens.

Par exemple, il a été estimé qu’il y a environ 460 millions d’appartements dans le monde développé, et que chaque foyer possédait, en moyenne, une valeur de 3000 dollars disponibles en biens inutilisés. Il y aurait un intérêt économique manifeste à utiliser ces ressources qui dorment. Pour la plus grande part d’ailleurs, elles ne seront pas rentabilisées, mais échangées ou troquées gratuitement. Le modèle même du partage payant aura un effet de dépression sur la consommation de produits neufs.

De tels développements sont bénéfiques pour la planète et bons pour l’humanité, mais globalement sont-ils bons pour le capitalisme ?

Qu’arrivera-t-il à ce dernier à l’heure du développement croissant des échanges via les médias sociaux, de la production et de la consommation collaborative des logiciels et des biens ?

Qu’arrivera-t-il si notre temps est de plus en plus dédié à la production de valeur d’usage (une fraction de ce qui crée la valeur monétaire) sans bénéfices substantiels pour les producteurs de valeur d’usage ?

La crise financière commencée en 2008, loin de diminuer l’enthousiasme pour le partage et la production par les pairs, est en fait un facteur d’accélération de ces pratiques. Ce n’est plus seulement un problème pour des masses laborieuses de plus en plus précarisées, mais également pour le capitalisme lui-même, qui voit ainsi s’évaporer des opportunités d’accumulation et d’expansion.

Non seulement le monde doit faire face à une crise globale des ressources, mais il fait également face à une crise de croissance, car les créateurs de valeur ont de moins en moins de pouvoir d’achat. L’économie de la connaissance se révèle être un miroir aux alouettes, car ce qui n’est pas rare mais abondant ne peut pas soutenir la dynamique des marchés. Nous nous retrouvons donc face à un développement exponentiel de la création de valeur qui ne s’accompagne que d’un développement linéaire de la création monétaire. Si les travailleurs ont de moins en moins de revenus, qui pourra acheter les biens qui sont vendus par les sociétés ? C’est, pour simplifier, la crise de la valeur à laquelle l’Humanité doit faire face. C’est un challenge aussi important que le changement climatique ou l’accroissement des inégalités sociales.

La débâcle de 2008 était un avant-goût de cette crise. Depuis l’avènement du néolibéralisme, les salaires ont stagné, le pouvoir d’achat a été maintenu artificiellement par une diffusion irraisonnée du crédit dans la société. C’était la première phase de l’économie du savoir, au cours de laquelle seul le capital avait accès aux réseaux qu’il utilisait pour créer de gigantesques multinationales.

Avec la croissance continue de cette économie du savoir, une masse de plus en plus importante des valeurs échangées est constituée de biens intangibles et non plus physiques (NdT : cf capital immatériel). Le marché des changes néolibéral et ses excès spéculatifs peut être vu comme un moyen de tenter d’évaluer la part de valeur intangible, virtuelle, qui est ajoutée à la valeur réelle par la coopération. Il fallait que cette bulle explose.

Nous nous trouvons dans la seconde phase de l’économie du savoir, au cours de laquelle les réseaux sont en train d’être étendus à toute la société, et qui permet à tout un chacun de s’engager dans une production collaborative. Ce qui crée de nouveaux problèmes et engendre de nouveaux défis. Ajoutons à cela la stagnation des revenus, la diminution de la masse du travail salarié que cette production collaborative de valeur entraîne, et il évident que tout ceci ne peut être résolu dans le paradigme actuel. Y a-t-il dès lors une solution ?

Il y en a une mais elle sera pour le prochain cycle : elle implique, en effet, une adaptation de l’économie à la production collaborative, ouvrant par là-même les portes à un dépassement du capitalisme.

Michel Bauwens est théoricien, écrivain ainsi qu’un des fondateurs de la P2P (Peer-to-Peer) Foundation.

Notes

[1] Crédit photo : Nick Ares (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Le bug Microsoft du 29 février

C’était trop tentant : Windows Azure en panne à cause de l’année bissextile 🙂

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Raspberry Pi : Bien plus qu’un petit ordinateur pas cher sous GNU/Linux

Après des mois d’attente insoutenable, le petit ordinateur Raspberry Pi est enfin disponible à la vente !

Petit par la taille (et le prix autour d’une trentaine d’euros) mais grand par le talent et toutes les potentialités éducatives !

Je vous laisse parcourir l’article Wikipédia pour les caractéristiques techniques (tourne sous Debian mais d’autres distributions suivront). Ce qui est aussi voire surtout intéressant ici c’est la possibilité de mettre entre les mains de tous les bidouilleurs de 7 à 77 ans un objet qui leur permettra de soulever facilement le capot de la technologie pour mieux comprendre, apprendre, créer, partager.

Ce n’est pas autrement que nous reprendrons petit à petit possession du monde…

Raspberry Pi

Raspberry Pi : Sous le capot de l’informatique

Raspberry Pi: computing under the bonnet

Éditorial du Guardian – 1 mars 2012
(Traduction Framalang : Poupoul2, Lamessen, Goofy)

La prochaine génération doit avoir pour objectif d’apprendre à contrôler les ordinateurs, plutôt que d’être contrôlés par eux.

C’est un paradoxe de la technologie ; plus elle investit tous les domaines de notre vie quotidienne, plus elle en apparaît éloignée. Lorsque les voitures à moteur étaient rares, les premiers conducteurs devaient les démarrrer à la manivelle, mais aujourd’hui nous pouvons rouler sans la moindre inquiétude à propos de ce qui se passe sous le capot, jusqu’à ce que quelque chose ne fonctionne plus. Il y a une génération de cela, les utilisateurs d’ordinateurs devaient entrer au clavier des commandes dans une syntaxe technique pour réaliser les choses les plus simples ; aujourd’hui il suffit de toucher un écran du doigt et de lancer une application pour faire à peu près n’importe quoi.

Une informatique plus simple rend la vie plus facile, mais il se pourrait qu’elle rende la prochaine génération plus dépendante et plus ignorante de ce qu’est un microprocesseur. Le Raspberry Pi, cet ordinateur à petit prix dont la vente a démarré hier et qui pourrait bientôt faire son apparition dans les écoles, répond à cette préoccupation. Il est vendu sous la forme d’une carte de la taille d’une carte de crédit sur laquelle on trouve quelques composants à l’air libre, nous ramenant ainsi réellement aux origines, bien que pas totalement : sa vitesse d’horloge ferait honte à n’importe quelle machine des années 80. Mais les plus grands supporters du projet font partie de cette génération qui a appris l’art de la programmation à cette époque. Ce ne sont que des être humains, il s’agit donc un peu de nostalgie. Après avoir copié du code dans des pages de magazines et branché des moteurs de Lego Technic sur leurs Spectrums, ils sont tout attendris à l’idée que leurs enfants puissent revivre cette expérience concrète. Mais il existe également deux objectifs réellement sérieux.

Le premier point (et le plus évident) est – pour reprendre l’analogie avec la voiture – que la prochaine génération de mécanos du code devra venir de quelque part, et aura besoin de la connaissances des écrous et boulons de l’informatique. La difficulté de fabrication est déjà tellement importante que, malgré l’envie d’en faire un produit local, le PI est estampillé « Made in China ». En ce qui concerne les logiciels, personne, même le plus brillant, ne peut arriver comme une fleur sans avoir eu l’occasion de bricoler du code. Les plateformes propriétaires comme Windows rendent cela difficile – le capot est verrouillé – donc le Pi fonctionnera sous Linux, en open source.

Si quelques personnes qui iront concevoir des méta-langages et des jeux extraordinaires pourront plonger au cœur des systèmes d’exploitation, il faut admettre que cela restera une activité minoritaire. Mais le second avantage de mettre les mains dans l’informatique a une portée plus vaste. Lorsque de nouvelles pièces de moteurs débarquent dans des systèmes fermés, tous les langages informatiques doivent – comme Turing l’a prouvé – se conformer. Or ici, avec quelques connaissances sur la la procédure à suivre, un cerveau tout à fait ordinaire pourrait améliorer des tâches quotidiennes, comme par exemple synchroniser des agendas, réorganiser des informations ou faire passer des relevés bancaires d’un format pratique pour les banques vers un format qui soit plus facile à lire. En somme l’objectif devrait être pour la prochaine génération d’apprendre à contrôler les ordinateurs, plutôt que d’être contrôlée par eux.




Censure du Net et DRM ne seront jamais la solution répond ESR à Hollywood

Bas les pattes !

Ancien homme politique démocrate, Chris Dodd est aujourd’hui le chef de la très puissante et influente Motion Picture Association of America, association qui défend les intérêts des grands studios américains (Paramount, Fox, Universal, Warner, Walt Disney…).

Il a récemment déclaré qu’Hollywood était en faveur des technologies et de l’Internet (Hollywood is pro-technology and pro-Internet), ce qui ne va pas de soi quand on a soutenu dur comme fer SOPA/PIPA et qu’on milite pour toujours plus de DRM.

C’est ce qui lui rappelle ici le technologue et pionnier du logiciel libre Eric S. Raymond[1] (ou ESR pour les intimes) dans cette lettre ouverte qui lui est directement adressée.

Opter pour la censure d’Internet et l’introduction massive de DRM pour résoudre un problème, quel qu’il soit, sont des solutions inacceptables et perdues d’avance.

Des solutions perdues d’avance qui, à choisir, nous feront toujours pencher du côté des pirates, parce que eux au moins ne mettent pas en péril cet extraordinaire mais fragile édifice que nous avons construit pour le bénéfice de tous.

Doc Searls - CC by

Lettre ouverte à Chris Dodd

An Open Letter to Chris Dodd

Eric S. Raymond – 23 février 2012 – Armed and Dangerous (blog personnel)
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, Lamessen, Wan, toufalk, FredB, Garburst, TFRaipont)

M. Dodd, je viens d’apprendre que vous avez tenu un discours dans lequel vous affirmez que « Hollywood est en faveur des technologies et de l’Internet » Il semblerait que vous soyez à la recherche d’interlocuteurs au sein de la coalition qui a récemment fait tomber SOPA et PIPA, afin d’aboutir à un compromis politique contre le problème du piratage tel que vous pensez le comprendre.

L’interlocuteur unique n’existe pas. Mais je peux parler en tant que membre d’un groupe de la coalition qui a bloqué ces deux projets de lois : les technologues. Désolé, je ne pensais pas ici à Google et aux entreprises technologiques, mais aux ingénieurs qui ont conçu Internet et le maintiennent en marche, ceux qui écrivent ces logiciels que vous utilisez tous les jours dans votre vie du XXIe siècle.

Je suis l’un de ces ingénieurs. Vous dépendez ainsi de mon code à chaque fois que vous utilisez un navigateur, un smartphone ou une console de jeu. Ils ne me considèrent pas comme une leader, au sens où vous l’entendez, car nous n’en avons pas et nous n’en voulons pas. Mais j’en suis, je crois, un pionnier et penseur reconnu (j’en nommerai deux autres plus tard dans cette lettre), souvent invité à s’exprimer en public. À la fin des années 90 j’ai aidé à fonder le mouvement Open Source.

Je vous écris pour vous faire part de nos inquiétudes, qui ne sont pas exactement les mêmes que celles des entreprises que vous considérez être celles de la « Silicon Valley ». Nous avons notre propre culture et notre propre agenda, qui ne convergent pas toujours avec ceux des hommes d’affaires de l’industrie des technologies.

La différence a son importance puisque les gestionnaires ont besoin de nous pour la partie technique. Et depuis l’origine d’Internet, si nous n’aimons pas la direction stratégique qu’une entreprise prend, elle a tendance à ne pas y aller. Les patrons, prudents, ont appris à composer avec nous autant que possible et à ne pas entrer en conflit avec leurs ingénieurs. Google, en particulier, a créé son immense capitalisation boursière en gérant cette symbiose mieux que personne.

Je ne peux pas mieux expliquer nos inquiétudes qu’en citant un autre de nos penseurs, John Gilmore. Il a déclaré : « Internet interprète la censure comme une menace et fait tout pour la contourner. »

Pour comprendre cela, vous devez intégrer le fait que « Internet » n’est pas seulement un réseau de câbles et de commutateurs, c’est aussi une sorte de corps social réactif composé de personnes qui font bourdonner ces câbles et basculer ces commutateurs. John Gilmore est l’un d’eux. J’en suis un autre. Et il y a certaines choses que nous n’accepterons pas sur notre réseau.

Nous n’accepterons pas la censure. Nous avons construit Internet comme un outil pour donner plus de liberté et de pouvoir à chaque individu sur Terre. Ce que les utilisateurs font d’Internet les regarde, mais pas Hollywood, pas les politiciens et même pas nous qui avons construit ce réseau. Quels que soient nos désaccords, nous, les geeks d’Internet, n’accepterons jamais que ce don du feu soit éteint par des dieux jaloux.

De la même façon que nous n’acceptons pas de censure d’Internet, nous sommes également fortement hostiles à toute tentative visant à imposer des contrôles qui pourraient aboutir au même résultat, que ce soit ou non l’objectif de ce contrôle. C’est pour cela que nous sommes absolument et unanimement opposés à SOPA et PIPA, et c’est l’une des principales raisons pour laquelle vous avez perdu ce combat.

Vous parlez comme si vous pensiez que l’industrie de la technologie avait stoppé SOPA/PIPA, et qu’en négociant avec eux vous pourriez réunir des éléments pour une seconde manche plus favorable. Cela ne fonctionne pas ainsi : le mouvement qui a stoppé SOPA/PIPA (et qui saborde maintenant l’ACTA) est beaucoup plus organique et issu de la base que cela. La Silicon Valley ne peut pas vous donner le feu vert politique et la couverture médiatique dont vous auriez besoin. Tout ce que vous obtiendrez, ce sont des tas de conférences de presse vides de sens, avec des chefs d’entreprises qui n’ont actuellement rien à gagner en vous aidant et qui aimeraient que vous alliez voir ailleurs pour qu’ils puissent reprendre leur travail.

Pendant ce temps, les ingénieurs de ces sociétés se feront un devoir de veiller avec d’autres à ce que vous perdiez à nouveau cette bataille. Parce que, quand bien même nous ne serions pas forcément si nombreux, la grande majorité des utilisateurs d’internet, qui votent en nombre suffisant pour influencer les élections, ont compris que nous sommes de leur côté et jouant le rôle d’une sorte de système de pré-alerte. Quand nous sonnons le tocsin, comme nous l’avons fait par exemple avec le blackout de Wikipédia, ils se mobilisent avec nous et vous perdez inexorablement.

En conséquence, l’une des règles essentielle pour n’importe quel politicien qui veut avoir une longue carrière dans la démocratie du XXIe siècle doit être de « ne pas brider internet ». Parce qu’alors vous pouvez être certain qu’il vous bridera en retour. Au moins deux des principaux soutiens à SOPA/PIPA sont revenus dans le droit chemin, ce qui ne serait pas arrivé sans l’indignation massive des internautes.

Hollywood veut que vous bridiez Internet, parce que Hollywood pense qu’il a des problèmes qu’il peut résoudre de cette façon. Hollywood veut aussi que vous pensiez que nous (les ingénieurs) sommes les ennemis de la « propriété intellectuelle » et de mèche avec les criminels, les pirates et les voleurs. Aucune de ces allégations n’est vraie, et il est important que vous comprenniez exactement à quel point c’est faux.

Nous sommes nombreux à gagner notre vie grâce à cette « propriété intellectuelle ». Il est vrai que certains d’entre nous (je n’en fais pas partie) y sont quasiment opposés par principe. Mais la plupart d’entre nous (moi inclus) sommes prêts à respecter les droits de la propriété intellectuelle. Il y a cependant un point où ce respect s’arrête brutalement. Il s’arrête exactement à l’endroit où les DRM menacent de paralyser nos ordinateurs et nos logiciels.

Richard Stallman, un de nos penseurs les plus radicaux, utilise l’expression « informatique déloyale » pour décrire ce qui se passe quand un PC, un smartphone, ou n’importe quel système électronique, n’est pas sous le contrôle absolu de son utilisateur. Les ordinateurs déloyaux bloquent à votre insu ce que vous pouvez voir ou entendre. Les ordinateurs déloyaux vous espionnent. Les ordinateurs déloyaux vous privent de leur plein potentiel de création, de communication, d’échange et de partage.

Après la censure, l’informatique déloyale est donc notre deuxième ligne jaune à ne pas dépasser. La plupart d’entre nous n’ont rien contre les DRM en soi ; c’est parce que les DRM sont devenus un véhicule pour la déloyauté que nous les haïssons. Ne pas être autorisé à passer outre la publicité introductive d’un DVD n’est qu’un petit exemple, ne pas avoir le droit de sauvegarder nos livres et notre musique en est un bien plus important. Et puis souvenons-nous de la symbolique et ironique histoire du livre 1984 ayant silencieusement disparu des liseuses électroniques des consommateurs d’Amazon qui l’avaient acheté…

Certaines entreprises vont même jusqu’à proposer, pour soutenir les DRM, de bloquer les ordinateurs afin qu’ils ne puissent exécuter que les systèmes d’exploitation approuvés. Les utilisateurs ordinaires peuvent ne pas s’en trouver gênés et passer à côté de l’enjeu, mais pour nous c’est une trahison absolument intolérable. Imaginez un sculpteur à qui l’on dit que son burin ne peut couper que des matières pré-approuvées par un comité de vendeurs de burins, et vous pourrez alors commencer à percevoir les profondeurs de notre colère.

Nous les ingénieurs avons en fait un problème avec Hollywood et l’industrie musicale, mais ce n’est probablement pas celui auquel vous pensez. Pour parler crûment (car il n’y a pas de méthode douce pour dire cela) nous pensons que « Big Entertainment » (NdT : surnom parfois donné à Hollywood) est largement dirigé par des menteurs et des voleurs qui pillent systématiquement les artistes qu’ils prétendent protéger avec leurs DRM, puis intentent des procès à leurs propres clients parce qu’ils sont trop stupides pour concevoir un moyen honnête et innovant pour gagner de l’argent.

Vous ne serez évidemment pas d’accord avec cette manière de voir les choses mais vous devez comprendre à quel point elle est répandue parmi les technologues comme moi, ce qui vous fera alors mieux prendre conscience du fait que vos revendications constantes à propos du « piratage » et du manque à gagner font face à une hostilité croissante de notre part. Défendre Internet et l’intégrité de nos machines était déjà compliqué avant mais voir des lois comme SOPA/PIPA/ACTA imposées au nom de groupes d’intérêt que nous considérons ne pas valoir plus que des gangsters ou des crétins ne fait qu’empirer les choses.

Certains d’entre nous pensent que votre comportement de gangsters justifie le piratage. La plupart d’entre nous ne partage pas le fait qu’une faute en excuse une autre, mais je peux vous dire ceci : si nous technologues avions à choisir entre les gangsters des grands médias et les pirates de contenu, nous irions tous actuellement nous ranger du côté des pirates de contenu car c’est le moindre des maux. Peut-être trouve-t-on des voleurs dans les deux camps, mais il n’y en a qu’un qui ne veut pas brider notre Internet ou handicaper nos ordinateurs. Ceci étant dit, nous préférerions vraiment ne pas avoir à choisir, notre sympathie dans ce désordre est acquise aux artistes se faisant escroquer par les deux camps.

Bas les pattes ! Ainsi pourrait se résumer cette lettre. Notre ordre du jour est de protéger notre liberté personnelle de création ainsi que celle de nos utilisateurs pour qu’ils jouissent de ces créations comme ils l’entendent. Nous ne ferons aucune concession ni aucun compromis sur ces deux points. Aussi longtemps qu’Hollywood restera en dehors de notre territoire (en s’interdisant définitivement tout tentative de verrouiller notre Internet ou nos ordinateurs) nous resterons en dehors de celui d’Hollywood.

Et si vous désirez discuter sérieusement de solutions pour lutter contre le piratage n’impliquant pas de nous écraser, nous et nos utilisateurs, nous avons quelques idées.

Notes

[1] Crédit photo : Doc Searls (Creative Commons By)




Nous les enfants du Web

Né en 1981 Piotr Czerski est un poète, auteur, musicien, informaticien et blogueur polonais.

Il a publié il y a deux semaines, dans le journal local de Poméranie Dziennik Baltycki (cf image ci-dessous), un article qui a des allures de manifeste pour la nouvelle génération.

Un article déjà traduit en anglais, en allemand et donc désormais aussi en français (nous avions commencé la traduction de notre côté quand nous sommes tombés sur celle de Paul Neitse dont nous nous sommes permis de reprendre de larges extraits).

Entre modèles économiques obsolètes et gouvernements menacés d’archaïsme, le plus important demeure comme souvent la liberté…

Il y a fort à parier que nombreux seront les manifestants actuels contre ACTA à se reconnaître dans ces quelques lignes.

My, dzieci sieci - Piotr Czerski

Nous sommes les enfants du Web

We, the Web Kids.

Piotr Czerski (translated by Marta Szreder) – 11 février 2012 – CC by-sa
(Traduction Framalang : Clochix, Goofy et Lamessen)

Il n’existe probablement pas de mot dont on a davantage usé et abusé dans le cirque médiatique que celui de « génération ». J’ai essayé un jour de compter le nombre de « générations » qui ont été claironnées au cours des dix dernières années, à commencer par la fameuse « génération perdue» ; je pense en avoir dénombré une bonne douzaine. Elles avaient toutes un point commun : elles n’existaient que sur le papier. La réalité ne nous a jamais fourni le moindre signe tangible, symbolique et inoubliable d’une expérience commune qui nous permettrait de nous distinguer des générations précédentes. Nous l’avons attendu, mais en fait le véritable séisme est passé inaperçu, venant avec la télé par câble, les téléphones mobiles et surtout, l’accès à Internet. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons appréhender pleinement à quel point les choses ont radicalement changé depuis les quinze dernières années.

Nous, les enfants du Web; nous qui avons grandi avec Internet et sur Internet, nous sommes une génération qui correspond aux critères de ce qu’est une génération subversive. Nous n’avons pas vécu une nouvelle mode venue de la réalité, mais plutôt une métamorphose de cette réalité. Ce qui nous unit n’est pas un contexte culturel commun et limité, mais la conviction que le contexte est défini par ce que nous en faisons et qu’il dépend de notre libre choix.


En écrivant cela, je suis conscient que j’abuse du pronom « nous », dans la mesure ou ce « nous » est variable, discontinu, nébuleux. Il signifie alors « beaucoup d’entre nous » ou « la plupart d’entre nous ». Quand j’écris « nous sommes » c’est pour dire que nous le sommes souvent. Je n’emploie « nous » que pour être en mesure de parler de la majorité d’entre nous.

Premièrement

Nous avons grandi avec Internet et sur Internet. Voilà ce qui nous rend différents.

Voilà ce qui rend la différence décisive, bien qu’étonnante selon notre point de vue : nous ne « surfons » pas et Internet n’est pas un « espace » ni un « espace virtuel ». Internet n’est pas pour nous une chose extérieure à la réalité mais en fait partie intégrante : une couche invisible mais toujours présente qui s’entrelace à notre environnement physique, une sorte de seconde peau

Nous n’utilisons pas Internet, nous vivons sur Internet et à ses côtés. Nous nous sommes fait des amis et des ennemis en ligne, nous avons préparé des antisèches en ligne pour passer des examens. nous avons prévu des soirées et des sessions de travail en ligne, nous sommes tombés amoureux et avons rompu en ligne. Le Web n’est pas pour nous une technologie que nous avons dû apprendre et sur laquelle nous aurions mis la main. Le Web est un processus en constante évolution sous nos yeux ; avec nous et grâce à nous. Les technologies voient le jour puis deviennent obsolètes, des sites web sont élaborés, ils émergent, s’épanouissent puis meurent, mais le Web continue, parce que nous sommes le Web ; c’est nous, en communiquant ensemble d’une façon qui nous est devenue naturelle, plus intense et efficace que jamais auparavant dans l’histoire de l’espèce humaine.


Nous avons grandi avec le Web et nous pensons de façon différente. La faculté de trouver les informations est pour nous aussi évidente que peut l’être pour vous la faculté de trouver une gare ou un bureau de poste dans une ville inconnue. Lorsque nous voulons savoir quelque chose — depuis les premiers symptômes de la varicelle jusqu’aux raisons de la hausse de notre facture d’eau, en passant par les causes du naufrage de « l’Estonia » — nous prenons nos marques avec la confiance du conducteur d’une voiture équipée d’un système de navigation par satellite. Nous savons que nous allons trouver l’information dont nous avons besoin sur de nombreux sites, nous savons comment nous y rendre, nous savons comment évaluer leur crédibilité. Nous avons appris à accepter qu’au lieu d’une réponse unique nous en trouvions beaucoup d’autres, et dégager de celles-ci la plus réponse la plus probable, en laissant de côté celles qui ne semblent pas crédibles. Nous choisissons, nous filtrons, nous nous rappelons, et nous sommes prêts à échanger les informations apprises contre une autre, meilleure, quand elle se présente.

Pour nous, le Web est une sorte de disque dur externe. Nous n’avons pas besoin de nous souvenir des détails qui ne sont pas indispensables : dates, sommes, formules, clauses, noms de rues, définitions détaillées. Il nous suffit d’avoir un résumé, le nécessaire pour traiter l’information et la transmettre aux autres. Si nous avons besoin de détails, nous pouvons les consulter en quelques secondes. De la même façon, nous n’avons pas besoin d’être expert dans tous les domaines, car nous savons où trouver les spécialistes de ce que nous ne connaissons pas et en qui nous pouvons avoir confiance. Des gens qui vont partager leur savoir avec nous non pas pour l’argent, mais en raison de cette conviction partagée que l’information existe en mouvement, qu’elle doit être libre, que nous bénéficions tous de l’échange d’informations.

Et ce tous les jours : pendant nos études, au travail, lors de la résolution de problèmes quotidiens ou lorsque ça nous intéresse. Nous connaissons la compétition et nous aimons nous y lancer, mais notre compétition, notre désir d’être différents, sont construits sur le savoir, dans la capacité à interpréter et à traiter l’information, et non dans sa monopolisation.


Deuxièmement

Participer à la vie culturelle n’est pas quelque chose d’extraordinaire pour nous : la culture globale est le socle de notre identité, plus important pour nous définir que les traditions, les récits historiques, le statut social, les ancêtres ou même la langue que nous utilisons.

Dans l’océan d’évènements culturels que nous propose Internet, nous choisissons ceux qui nous conviennent le mieux. Nous interagissons avec eux, nous en faisons des critiques, publions ces critiques sur des sites dédiés, qui à leur tour nous suggèrent d’autres albums, films ou jeux que nous pourrions aimer. Nous regardons des films, séries ou vidéos, que nous partageons avec nos proches ou des amis du monde entier (que parfois nous ne verrons peut-être jamais dans la vie réelle). C’est pourquoi nous avons le sentiment que notre culture devient à la fois individuelle et globale. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’y accéder librement (NdT : le mot polonais original, swobodnego, semble bien faire référence à la liberté et non la gratuité).


Cela ne signifie pas que nous exigions que tous les produits culturels nous soient accessibles sans frais, même si quand nous créons quelque chose, nous avons pris l’habitude de simplement et naturellement le diffuser. Nous comprenons que la créativité demande toujours des efforts et de l’investissement, et ce malgré la démocratisation des techniques de montage audio ou vidéo. Nous sommes prêts à payer, mais les énormes commissions que les distributeurs et intermédiaires demandent nous semblent de toute évidence exagérées. Pourquoi devrions-nous payer pour la distribution d’une information qui peut facilement et parfaitement être copiée sans aucune perte de qualité par rapport à l’original qui n’est en rien altéré par l’opération ? Si nous ne faisons que transmettre l’information, nous voulons que le prix en soit adapté. Nous sommes prêts à payer plus, mais nous attendons en échange une valeur ajoutée : un emballage intéressant, un gadget, une meilleure qualité, la possibilité de regarder ici et maintenant, sans devoir attendre que le fichier soit téléchargé. Nous pouvons faire preuve de reconnaissance et nous voulons récompenser le créateur (depuis que l’argent a arrêté d’être sur papier pour devenir une suite de chiffres sur un écran, le paiement est devenu un acte d’échange symbolique qui suppose un bénéfice des deux cotés), mais les objectifs de vente des grandes sociétés ne nous intéressent pas pour autant. Ce n’est pas notre faute si leur activité n’a plus de sens sous sa forme traditionnelle, et qu’au lieu d’accepter le défi en essayant de proposer quelque chose de plus que nous ne pouvons pas obtenir gratuitement, ils ont décidé de défendre un modèle obsolète.

Encore une chose. Nous ne voulons pas payer pour nos souvenirs. Les films qui nous rappellent notre enfance, la musique qui nous a accompagnés dix ans plus tôt. Dans une mémoire mise en réseau, ce ne sont plus que des souvenirs. Les rappeler, les échanger, les remixer, c’est pour nous aussi naturel que pour vous les souvenirs du film Casablanca. Nous trouvons en ligne les films que nous regardions enfants et nous les montrons à nos propres enfants, tout comme vous nous racontiez les histoires du Petit chaperon rouge ou de Boucle d’Or. Pouvez-vous vous imaginer que quelqu’un vous poursuive pour cela en justice ? Nous non plus.

Troisièmement

Nous avons l’habitude de payer automatiquement nos factures du moment que le solde de notre compte le permet. Nous savons que pour ouvrir un compte en banque ou changer d’opérateur téléphonique il suffit de remplir un formulaire en ligne et signer une autorisation livrée par la poste. Nous sommes capables d’organiser de longs voyages en Europe en à peine 2 heures. En tant qu’administrés nous sommes de plus en plus dérangés par les interfaces archaïques. Nous ne comprenons pas pourquoi, pour nos impôts par exemple, nous devrions remplir plusieurs formulaires papiers où le plus gros peut comporter plus de cent questions. Nous ne comprenons pas pourquoi nous devons justifier d’un domicile fixe (il est absurde de devoir en avoir un) avant de pouvoir entreprendre d’autres démarches, comme si les administrations ne pouvaient pas régler ces choses sans que nous devions intervenir.

Il n’y a pas trace en nous de cet humble consentement dont faisaient preuve nos parents, convaincus que les questions administratives étaient de la plus haute importance et qui considéraient les interactions avec l’État comme quelque chose à respecter obséquieusement. Ce respect ancré dans la distance entre le citoyen solitaire et la hauteur majestueuse dans laquelle réside la classe dominante, à peine visible là-haut dans les nuages, nous ne l’avons plus. Nous avons l’habitude d’entamer des discussions avec n’importe qui, qu’il s’agisse d’un journaliste, maire, professeur ou une pop star, et nous n’avons besoin d’aucun diplôme lié à notre statut social pour cela. Le succès des interactions dépend uniquement de savoir si le contenu de notre message sera considéré comme important et digne d’une réponse. Et si, par la coopération, l’esprit critique, la controverse, la défense de nos arguments, etc. nous avons l’impression que nos opinions sur de nombreux sujets sont bonnes voire meilleures, pourquoi ne pourrions-nous pas envisager de dialoguer sérieusement avec nos gouvernements ?


Nous ne ressentons pas un respect religieux pour les « institutions démocratiques » dans leur forme actuelle, nous ne croyons pas à l’irrévocabilité de leurs rôles comme tous ceux qui considèrent que les institutions démocratiques comme des objets de vénération qui se construisent d’elles-mêmes et à leur propre fin. Nous n’avons pas besoin de ces monuments. Nous avons besoin d’un système qui soit à la hauteur de nos attentes, un système qui soit transparent, flexible et en état de marche. Et nous avons appris que le changement est possible, que tout système difficile à manier peut être remplacé par un plus efficace, qui soit mieux adapté à nos besoins en offrant plus d’opportunités.

Ce qui nous importe le plus, c’est la liberté. La liberté de s’exprimer, d’accéder à l’information et à la culture. Nous croyons qu’Internet est devenu ce qu’il est grâce à cette liberté et nous pensons que c’est notre devoir de défendre cette liberté. Nous devons cela aux générations futures comme nous leur devons de protéger l’environnement.


Peut-être que nous ne lui avons pas encore donné de nom, peut-être que nous n’en sommes pas encore complètement conscient, mais ce que nous voulons est une vraie et réelle démocratie. Une démocratie qui n’a peut-être jamais été rêvée par vos journalistes.


My, dzieci sieci
Piotr Czerski (piotrATczerski.art.pl)




Stop ACTA : C’est l’Europe de l’Est qui ouvre la voie

Pologne, République Tchèque, Slovénie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie… c’est clairement à l’Est de l’Europe que la contestation contre ACTA est la plus forte[1].

Ils descendent massivement dans la rue, sont actifs sur Internet et finissent par semer le doute parmi leurs gouvernements (cf cette carte limpide de la situation actuelle en Europe). Même l’Allemagne commence à s’interroger.

Pourquoi une telle mobilisation dans cette partie du monde et pourquoi cette mollesse en France et plus généralement en Europe occidentale où nous sommes encore loin de perturber ceux de chez nous qui ont signé le traité ?

Espérons que nous rattraperons le retard lors de la prochaine manifestation prévue le samedi 25 février prochain.

Nina Jean - CC by-nd

Les Européens de l’est à la pointe du combat pour les libertés sur Internet

Eastern Europeans fuel fight for Internet freedoms

Vanessa Gera – 18 février 2012 – Associated Press
(Traduction Framalang : Lamessen, OranginaRouge, Goofy, Lolo le 13)

La tradition de révolution politique de l’Europe de l’Est s’est mise à l’ère numérique. Cette fois, ce ne sont pas les communistes ou les pénuries alimentaires qui alimentent la colère, mais un traité international sur le droit d’auteur que ses opposants dénoncent comme menaçant la liberté sur Internet.

Un mouvement de contestation populaire a vu le jour le mois dernier en Pologne et s’est rapidement étendu à travers l’ancien bloc de l’Est et au-delà. L’opposition grandissante à l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon, ou ACTA, a soulevé des doutes sur l’avenir du traité, qui est crucial pour le gouvernement des États-Unis et les économies des autres pays industrialisés.

Il y a eu des manifestations en Europe de l’Est, des attaques contre les sites gouvernementaux en République Tchèque et en Pologne, même des excuses sincères de l’ambassadeur slovaque qui l’a signé et s’est reproché d’avoir commis une « négligence citoyenne ».

Dans une région du monde où les gens se rappellent avoir été espionnés et contrôlés par des régimes communistes répressifs, le traité a provoqué la peur d’un nouveau régime de surveillance.

Le pacte doit permettre de lutter contre le vol de la propriété intellectuelle — comme les contrefaçons de sacs Gucci ou la violation des brevets pharmaceutiques. Mais il cible aussi le piratage en ligne, le téléchargement illégal de musiques, films et logiciels, et préconise des mesures que les opposants dénoncent comme amenant à la surveillance des internautes.

« La majorité des gens qui sont descendus dans la rue sont jeunes et ne se rappellent pas personnellement le communisme, mais la société polonaise tout entière s’en souvient », dit Jaroslaw Lipszyc, le président de la Modern Poland Foundation, une organisation consacrée à l’éducation et au développement d’une société d’informations.

« En Pologne, la liberté d’expression est une valeur importante, et il existe toute une histoire de la lutte pour celle-ci » explique Lipszyc. Ce fervent opposant à l’ACTA voit son action actuelle comme la suite logique du combat pour la liberté d’expression qui poussait sa famille à publier illégalement des essais anti-communistes dans son sous-sol dans les années 1980.

Les pays d’Europe de l’Est, y compris ceux qui sont maintenant dans l’Union Européenne, sont toujours beaucoup plus pauvres que ceux de l’Ouest, et parmi les opposants, certains craignent de perdre l’accès gratuit — parfois illégal — au divertissement. Avec un taux de chômage de 12.5% et un salaire minimum mensuel de seulement 1500 zlotys (NdT : environ 350€) avant impôt, et un salaire moyen de 3605 zlotys (NdT : environ 850€), beaucoup disent qu’ils ne peuvent pas se permettre de payer 20 zlotys (NdT : 4.75€) ou plus pour un billet de cinéma.

« Les gens sont furieux » dit Katarzyna Szymielewicz, directrice de la Panoptykon Foundation polonaise, qui milite pour le droit à la vie privée dans un contexte de surveillance moderne, et s’oppose à l’ACTA. « Nous avons des antécédents de soulèvement contre l’injustice ».

ACTA est passé d’un obscur traité international à un sujet de débat en Pologne depuis la mi-janvier quand le gouvernement a dit qu’il le ratifierait dans les prochains jours. Les organisations des droits civiques comme Panoptykon ont été scandalisées car le gouvernement ne les a pas consultées. K. Szymielewicz a expliqué qu’ils avaient alerté sur Twitter et d’autres réseaux sociaux, faisant ainsi réagir les activistes d’Internet en Pologne et à l’étranger — dont certains faisant partie du groupe « Anonymous » — par des attaques sur les sites gouvernementaux dont ceux du premier ministre et du parlement, les rendant injoignables pendant plusieurs jours.

La colère est née d’une forte frustration de la société, en particulier chez les jeunes, fondée sur une pénurie d’emplois et un sentiment d’éloignement du processus politique.

« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », dit Szymielewicz. « Internet est un espace de liberté — les gens estiment que ça leur appartient vraiment — et subitement le gouvernement interfère avec cet espace ».

Les Polonais et d’autres ont aussi été préparés à agir car beaucoup ont suivi l’opposition aux États-unis contre deux projets similaires, le Stop Online Piracy Act et le Protect Intellectual Property Act — connus du grand public comme SOPA et PIPA. Les législateurs américains ont reporté ces projets de lois après une pression massive incluant un blackout d’une journée de Wikipédia et d’autres géants du Web.

Quelques jours plus tard, les Polonais descendaient dans la rue à travers tout le pays contre l’ACTA — activisme qui se propagea à Berlin, Sofia, Budapest et de nombreuses autres villes où les gens se sont rassemblés par milliers samedi dernier (NdT : le 11 février). D’autres rassemblements sont prévus pour le 25 février.

Les opposants sont aussi en colère parce que le traité a été négocié pendant plus de 4 ans en secret sans la moindre présence d’organisations de défense des droits civiques, leur donnant ainsi l’impression d’un accord secret au bénéfice exclusif des toutes-puissantes industries.

Les États-Unis et d’autres partisans de l’ACTA affirment que ce ne sera pas intrusif. Ils soutiennent que la protection des droits de la propriété intellectuelle est nécessaire pour préserver l’emploi dans les industries innovantes. Le piratage en ligne de films et musiques coûte des milliards de dollars aux compagnies américaines chaque année.

Washington assure également que les individus ne seront pas surveillés en ligne et que ACTA ciblera plutôt les entreprises qui tirent des profits de l’utilisation de produits piratés comme les logiciels. « Les libertés civiles ne seront pas réduites », déclare le bureau du Représentant américain au commerce, qui a signé l’ACTA en octobre.

Mais les opposants disent que l’accord est rédigé de façon tellement flou qu’il est difficile de savoir ce qui serait légal et ce qui ne le serait pas. Certains craignent d’être poursuivis par exemple pour mixer des vidéos personnelles avec une chanson de Lady Gaga et les mettre sur YouTube pour les partager avec leurs amis.

« Comme ce qui est permis n’est pas clair, les gens vont limiter leur créativité », explique Anna Mazgal, une activiste des droits civils polonaise de 32 ans. « Les gens pourraient se censurer eux-même par peur, parce que c’est trop vague ».

De nombreux opposants accusent également l’ACTA de placer les intérêts commerciaux au-dessus de droits comme la liberté d’expression.

« Il n’est pas surprenant que les citoyens européens soient descendus dans les rues par milliers pour protester contre un accord qui place les intérêts économiques privés au-dessus de leurs libertés fondamentales », dit Gwen Hinze, la directrice internationale de la propriété intellectuelle de l’Electronic Frontier Foundation, une fondation basée à San Francisco qui défend les libertés civiles sur Internet.

Tout ce tapage a mis les partisans de l’ACTA sur la défensive, pour le moment. L’accord a déjà été signé par les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et 20 autres pays.

Mais quelques gouvernements dont la Pologne, la Slovénie et la Bulgarie commencent à dire qu’ils ne le ratifieront pas. La République Tchèque a dit qu’il faudrait étudier attentivement la question avant de se prononcer. Un test décisif aura lieu cet été quand le Parlement Européen le soumettra au vote.

L’Allemagne annonce qu’elle soutient l’ACTA pour la défense de la propriété intellectuelle, mais a promis de dissiper les doutes à son propos avant de le signer. Des milliers de personnes ont manifesté samedi dernier contre ACTA à travers l’Allemagne où la protection des données a été longtemps un sujet sensible et où les administrations sont montées au créneau face à des géants d’Internet comme Google ou Facebook à propos des questions de vie privée.

L’ambassadrice slovène au Japon qui a signé le traité à Tokyo le mois dernier au nom de son pays s’est excusée depuis, expliquant qu’elle n’avait pas compris à ce moment à quel point cela pourrait restreindre la Liberté « sur le plus important réseau de l’histoire de l’Humanité ».

« J’ai signé l’ACTA par négligence civique » a écrit Helena Drnovšek Zorko sur son blog.

Notes

[1] Crédit photo : Nina Jean (Creative Commons By-Nd)




MITx ou les premiers pas de la vraie révolution éducative en ligne ?

Attention, petite révolution éducative potentielle en orbite !

Quoi ? Tout ça pour de simples « cours en ligne » alors que ça fait dix ans qu’on en parle et qu’on en fait !

Oui, mais d’abord il s’agit du prestigieux MIT de Boston[1]. Ensuite ils semblent avoir été conçus pour être capable d’être suivis et administrés totalement en ligne grâce à une efficiente plateforme. Et enfin ils s’inscrivent d’ores et déjà dans le Libre Accès (en prévoyant de rendre au plus vite les ressources libres]).

Je vous laisse imaginer les futurs impacts possibles à l’échelle mondial…

David Wiley - CC by

Le MIT lance ses premier cours gratuits en ligne « totalement automatisés »

MIT launches free online ‘fully automated’ course

Sean Coughlan – 13 février 2012 – BBC
(Traduction Framalang : Lamessen, OranginaRouge)

L’institut de Technologie du Massachussetts (MIT), l’une des universités parmi les mieux classées au monde, a annoncé ses premiers cours gratuits qui peuvent êtres suivis et évalués entièrement en ligne.

Un cours d’électronique, qui commencera en mars, sera le premier test de ce projet en ligne, connu sous le nom de MITx.

Ce cours interactif est conçu pour être totalement automatisé, et les étudiants qui réussissent recevront un diplôme.

L’université américaine dit qu’elle veut que MITx « brise les barrières de l’éducation ».

Ce schéma novateur représente une avancée significative dans l’utilisation des technologies pour permettre l’accès à l’enseignement supérieur.

Université automatisée

Il y a déjà des formations en ligne, mais la proposition du MIT est originale car elle invite les étudiants du monde entier, sans conditions d’admission ni frais, à étudier pour obtenir un des diplômes du MIT.

Le MIT, comme de nombreuses autres grandes universités, rend ses supports de cours disponibles en ligne, mais le modèle MITx va encore plus loin en créant un cours agréé spécifiquement pour les étudiants en ligne.

Les supports de cours et les diplômes sont disponibles en ligne.

Avant Noël, l’université basée à Boston a annoncé son intention de créer MITx. Lundi, elle a exposé la façon dont cela serait mis en place, avec la création du cours 6.001x : Circuits et Electronique, basé sur le cours existant de l’université du même nom. Ce n’est pas une « version édulcorée » ou « allégée » du cours de l’université, explique le porte-parole de l’université.

La principale différence est que la version MITx a été conçue pour les étudiants en ligne, avec un laboratoire virtuel, des manuels numériques, des discussions en ligne et des vidéos qui sont l’équivalent de cours. Il est prévu de prendre 10 heures par semaines, et ce jusqu’en juin.

Anant Agarwal, le directeur du laboratoire informatique et intelligence artificielle du MIT, qui sera l’un des enseignants de ce cours, explique qu’il a été « conçu pour tenter de le maintenir l’engagement et la motivation ».

« Il y a des exercices interactifs pour voir si on a compris » dit le professeur Agarwal. Bien qu’il n’y ait pas formellement de conditions d’entrée, il précise que les étudiants devront avoir des bases en mathématiques et en sciences.

« Code d’honneur »

Dans ce stage expérimental, l’évaluation en ligne dépendra d’un « code d’honneur », dans lequel les étudiants s’engagent à suivre honnêtement le cours. Mais dans le futur, l’université explique qu’il y aura un mécanisme pour contrôler l’identité et vérifier le travail.

Après le premier cours d’électronique, l’université a prévu de proposer des cours dans des domaines comme la biologie, les maths et la physique.

Le doyen du MIT, Rafael Reif, dit que l’université veut profiter de cette expérience pour déterminer ce qui peut être effectivement diffusé par des cours en ligne et ce qui nécessite une indispensable interaction en face-à-face avec l’équipe pédagogique.

Le professeur Reif, parlant depuis Boston, dit que ce type de formation pourrait aussi être extrêment intéressant pour la formation continue et tout au long de la vie de la population adulte active.

« Il est tout à fait possible que les employeurs souhaitent en savoir plus sur cette offre de cours », dit-il. Mais le projet d’accès libre devra aussi répondre aux questions tournant autour de la relation entre les universités traditionnelles et les cours en ligne – particulièrement quand les étudiants dans les meilleures universités américaines payent plus de $50,000 par an (NdT: environ 37 500€). Le MIT fait évidemment une distinction entre le diplôme obtenu par les étudiants en ligne et ceux ayant suivi l’intégralité du diplôme à l’université. Il va également rendre le support MITx accessible à ses propres étudiants.

L’université explique qu’elle a « alloué plusieurs millions de dollars » pour ce projet et se tournera vers le mécénat pour un éventuel financement futur. Mais l’université, célèbre pour ses sciences et sa recherche en haute technologie, a son propre fonds de dotation qui pèse actuellement environ 8.5 milliars de dollars (NdT: environ 6.4 milliards d’euro).

Le MIT, qui se trouve dans le peloton de tête des classements internationaux, explique qu’il ne peut enseigner qu’à une infime partie des élèves qui souhaitent étudier dans cette université. Le développement en parallèle d’un service de cours en ligne est une façon d’élargir le groupe d’étudiants internationaux.

Un nombre croissant d’universités proposent des cours et ressources en ligne. Le service iTunes U, qui est la version académique de iTunes, propose plus de 500 000 cours disponibles en libre téléchargement. L’Open University et Stanford ont eu plus de 40 millions de téléchargements.

Notes

[1] Crédit photo : David Wiley (Creative Commons By)