Sortie du manuel Introduction à la science informatique

Introduction à la Science Informatique - CouvertureEn visite en Angleterre, voici ce que disait le patron de Google dans une récente traduction du Framablog : « Je suis sidéré d’apprendre qu’il n’existe même pas d’enseignement de base de l’informatique dans les écoles britanniques aujourd’hui. Votre programme de technologie se concentre sur la manière d’utiliser un logiciel, mais n’explique pas comment il a été conçu. »

Et Slate.fr d’en remettre une couche le 4 septembre dernier dans son pertinent article La programmation pour les enfants: et pourquoi pas le code en LV3 ? : « Lassés d’avoir bouffé des slides de PowerPoint et des tableurs Excel dans leurs jeunes années, les étudiants se sont détournés peu à peu de l’étude de l’informatique confondant, bien malgré eux, l’apprentissage d’applications qu’ils trouvent généralement inintéressantes et celui des sciences computationnelles dont ils ne comprennent même pas l’intitulé. »

Toujours dans le même article : « On fait beaucoup d’esbroufe sur la délocalisation d’activités telles que la création de logiciel, mais ce qui n’est pas clair dans cette histoire c’est où est la charrue et où sont les bœufs. Est-ce que les entreprises délocalisent par ce que cela leur coûte moins cher et dans ce cas nous perdons des emplois sur le territoire, ou bien le font-elles parce qu’elle ne peuvent tout simplement pas recruter ici si bien qu’elles à se mettent rechercher des gens compétents ailleurs ? ».

Owni, quant à lui, va encore plus loin, avec son appel à hacker l’école accompagné du témoignage d’un père qui souhaite que sa fille en soit.

Lentement mais sûrement on prend enfin conscience que l’enseignement de l’informatique est un enjeu fondamental du monde d’aujourd’hui. Il y a ceux qui maîtriseront, ou tout du moins comprendront, le code et il y a ceux qui utiliseront le code créé par d’autres.

C’est pourquoi l’arrivée en France pour la rentrée 2012 en Terminale S de l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique » est une avancée importante que l’on doit saluer comme il se doit.

Tout comme nous saluons ci-dessous la sortie d’un manuel support de cette nouvelle discipline (mais qui pourra également être utile et précieux à tout public intéressé par le sujet). Sous licence Creative Commons il a été rédigé collectivement par certains de ceux qui se sont battus avec force, courage et diplomatie pour que cet enseignement voit le jour (à commencer par Jean-Pierre Archambault que les lecteurs de ce blog connaissent bien).

Peut-être penserez-vous que c’est dommage et pas assez ambitieux de se contenter d’une spécialité pour la seule classe tardive de Terminale S ? (Peut-être jugerez-vous également que la licence Creative Commons choisie par le manuel n’est pas « assez ouverte » ?) Certes oui, mais en l’occurrence nous partons de si loin que l’on ne peut que se réjouir de ce petit pas qui met le pied dans la porte.

Et le Libre dans tout ça ?

Point n’est besoin de consulter les communiqués dédiés de l’April et de l’Aful, mentionnés ci-dessous, pour comprendre qu’il devrait largement bénéficier lui aussi de l’apparition de ce nouvel enseignement, synonyme de progrès et d’évolution des mentalités à l’Education nationale.

Edit du 18 septembre : Il y a une suite à cet article puisque les auteurs, Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault, ont choisi de commenter les nombreux et intéressants commentaires dans un nouveau billet.

Un manuel Introduction à la science informatique

Un manuel Introduction à la science informatique est paru en juillet 2011, destiné aux professeurs qui souhaitent se former avant de dispenser l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique », créé en Terminale S à la rentrée 2012[1]. Il s’adresse aussi potentiellement à d’autres publics souhaitant s’approprier les bases de la science informatique[2].

Edité par le CRDP de Paris[3], ce manuel a été écrit par 17 auteurs[4] et coordonné par Gilles Dowek, directeur de recherche à l’INRIA. La préface est de Gérard Berry, professeur au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences. Ce livre est sous licence Creative Commons : paternité, pas d’utilisation commerciale, pas de modification.

Il est composé de 7 chapitres : Représentation numérique de l’information ; Langages et programmation ; Algorithmique ; Architecture ; Réseaux ; Structuration et contrôle de l’information ; Bases de données relationnelles et Web. Les chapitres comportent une partie de cours présentant les concepts, d’exercices corrigés et non corrigés, d’une rubrique consacrée aux questions d’enseignement, et de compléments permettant d’aller plus loin, en particulier d’aborder quelques questions de société en liens avec la révolution informatique.

Le programme des élèves de Terminale S

Ce contenu reprend, sous une forme plus approfondie, les éléments du programme de la spécialité « Informatique et Sciences du numérique » proposée à la rentrée 2012 aux élèves de Terminale S et qui est construit autour des quatre notions fondamentales d’information, d’algorithme, de langage et de machine), notionss qui structurent les grands domaines de la science informatique.

  • Représentation de l’information
    • Représentation binaire, opérations booléennes, numérisation, compression, structuration et organisation de l’information.
    • Ancrées dans les notions étudiées, des questions sociétales seront abordées : persistance de l’information, non-rivalité de l’information, introduction aux notions de propriété intellectuelle, licences logicielles.
  • Algorithmique
    • Des algorithmes simples (rechercher un élément dans un tableau trié par une méthode dichotomique) et plus avancés (recherche d’un chemin dans un graphe par un parcours en profondeur) seront présentés.
  • Langages de programmation
    • Types de données, fonctions, correction d’un programme, langages de description (présentation du langage HTML).
  • Architectures matérielles
    • Architectures des ordinateurs : éléments d’architectures, présentation des composants de base (unité centrale, mémoires, périphériques.), jeu d’instructions.
    • Réseaux : transmission série – point à point – (présentation des principes, introduction de la notion de protocole), adressage sur un réseau, routage.
    • La question de la supranationalité des réseaux sera abordée.
    • Initiation à la robotique

Quid du libre ?

La liberté des usagers de l’informatique, le contrôle des outils qu’ils utilisent supposent qu’ils comprennent et maîtrisent les concepts qui les sous-tendent. Un système d’exploitation, un traitement de texte ou un tableur sont des outils conceptuels compliqués et complexes de par les objets qu’ils traitent et la multitude de leurs fonctionnalités. Le libre, c’est-à-dire le code source que l’on connaît et non pas une approche en termes de « boîte noire » miraculeuse qui fait tout pour vous (curieuse d’ailleurs cette représentation mentale qu’ont certains de la prothèse du cerveau qu’est l’ordinateur, que l’on pourrait utiliser sans la connaître ni la comprendre), s’inscrit pleinement dans la vision qui considère que l’homme, le travailleur et le citoyen doivent avoir une culture générale informatique scientifique et technique.

C’est donc très naturellement que l’APRIL s’est félicité de la création de l’enseignement « Informatique et Sciences du numérique ». Le 5 janvier 2010, dans un communiqué de presse, rappelant qu‘« elle a toujours été favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique », elle soulignait « cette première et importante avancée signe d’une certaine rupture ». Elle mentionnait que « l’expérience de ces dernières années a clairement montré que le B2i ne fonctionnait pas. Son échec prévisible tient notamment à des problèmes insolubles d’organisation, de coordination et de cohérence des contributions supposées et spontanées des disciplines enseignées. De plus ne sont pas explicitées les connaissances scientifiques et techniques correspondant aux compétences visées ».

D’une manière analogue, dans un communiqué le 23 mars 2010, l’AFUL faisait des propositions pour l’Ecole à l’ère numérique parmi lesquelles : « L’informatique devient une discipline à part entière, dont l’enseignement obligatoire dès le primaire est réalisé par des professeurs ayant le diplôme requis dans cette spécialité ou ayant bénéficié d’une formation qualifiante. La gestion des compétences, l’accompagnement des enseignants et la formation initiale et continue font l’objet du plus grand soin. ».

Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault

Remarque : En réponse aux commentaires ci-dessous, les auteurs ont choisi publié un nouvel article qui précise et complète un certains nombres de points évoqués ici.

Notes

[1] On peut le commander en suivant ce lien. On le trouvera également dans les librairies du CNDP, des CRDP et des CDDP.

[2] Parmi ces publics, il y a les étudiants ainsi que les professeurs de la spécialité SIN « Système d’Information et Numérique » du Bac STI2D qui se met en place en classe de Première à la rentrée 2011, les professeurs de technologie au collège, ceux qui expérimentent des enseignements d’informatique dans certains lycées en seconde et/ou en première, ou qui gèrent les parcs informatiques des établissements scolaires.

[3] Avec le soutien de l’EPI et de l’ASTI.

[4] Jean-Pierre Archambault (Chargé de mission au CNDP-CRDP Paris), Emmanuel Baccelli (Chargé de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Sylvie Boldo (Chargée de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Denis Bouhineau (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Patrick Cégielski (Professeur à l’Université Paris-Est Créteil), Thomas Clausen (Maître de Conférences à l’École polytechnique), Gilles Dowek (Directeur de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Irène Guessarian (Professeur émérite à l’Université Pierre et Marie Curie, chercheur au Laboratoire d’Informatique Algorithmique : Fondements et Applications), Stéphane Lopès (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Laurent Mounier (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Benjamin Nguyen (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Franck Quessette (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Anne Rasse (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Brigitte Rozoy (Professeur à l’Université de Paris-Sud), Claude Timsit (Professeur à l’Université de Versailles St-Quentin), Thierry Viéville (Directeur de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique),




Les enfants Montessori et le logiciel libre partagent de nombreux points commmuns

Brian Glanz - CC by-saNée dans un quartier pauvre de Rome il y a plus d’un siècle, l’originale pédagogie Montessori n’a jamais cessé d’essaimer et connaît même un fort regain d’intérêt à l’aube de ce nouveau millénaire qui nous demande une solide capacité d’adaptation aux changements.

Les fondateurs de Google ont été dans une école Montessori. Et le créateur du cèlèbre jeu SimCity en parle en ces termes : « Montessori m’a enseigné la joie de la découverte. Cela m’a montré que l’on pouvait s’intéresser à des théories complexes, comme celles de Pythagore par exemple, en jouant avec des cubes. Il s’agit d’apprendre pour soi-même plutôt que de recevoir l’enseignement du professeur. SimCity est directement issu de Montessori – si vous donnez aux gens ce modèle de construction des villes ils en tireront les principes de l’urbanisme ».

Michael Tiemann, figure du logiciel libre travaillant chez Red Hat mais aussi jeune papa, tente ici de rapprocher les deux domaines parce qu’il y voit de nombreux points communs. L’une de ses hypothèses est qu’un enfant qui aura suivi une méthode Montessori sera plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le logiciel libre[1].

Par extension et extrapolation, sera-t-il plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le monde d’aujourd’hui mais surtout de demain ?

Remarque personnelle : Je constate que de plus en plus de parents « bobos de gauche urbains » placent leurs enfants dans des écoles privées Montessori, pour l’épanouissement général de l’enfant mais aussi pour échapper à la carte scolaire et l’école publique du quartier.

Montessori et la voie de l’Open Source

Michael Tiemann – 12 août 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : ZeHiro et Mammig2)

Montessori and the open source way

J’ai lu avec grand plaisir l’article de Steve Denning « Montessori est-il à l’origine de Google et Amazon ? ». Son argumentaire est solide, il s’appuie sur de nombreux faits scientifiques, et il expose les résultats remarquables que l’on peut obtenir quand nous pouvons Faire confiance à l’enfant. Il écrit si bien et de façon si claire qu’il est inutile que je répète ses propos, vous pouvez (et devriez !) lire directement son article. Mais nous pouvons le compléter, en particulier en comprenant comment les principes et la philosophie de l’open source sont si proches de la méthode éducative de Montessori.

C’est en tant que parent, et assez tardivement, que j’ai découvert l’éducation Montessori. Au début, je ne connaissais strictement rien aux travaux de Montessori, mais l’école de ma fille prenait très au sérieux ses écrits et j’ai ainsi commencé à voir les liens profonds et étroits entre des activités scolaires en apparence simples. Après avoir lu La science derrière le génie, le schéma complet m’est apparu plus clairement, et depuis je suis devenu un fervent partisan de la méthode Montessori.

La thèse Faire confiance à l’enfant, développée par Montessori, repose sur l’idée d’accompagner le développement de l’individu. Montessori a montré que lorsque des enfants sont privés de la possibilité de faire leurs propres choix, alors leur personnalité ne se développe pas complètement, et ils peuvent dépendre beaucoup trop des autres pour prendre des décisions les concernant. Par analogie, l’open source permet à tous les participants, qu’ils soient utilisateurs, développeurs, distributeurs ou mainteneurs de devenir de vrais contributeurs. Cette opportunité encourage non seulement à améliorer le logiciel (dont la qualité peut être perçue comme 100 fois supérieure à celle des logiciels propriétaires), et le plus important est qu’il encourage également les individus à s’améliorer. C’est ce que j’ai pu constater en étant dans l’open source depuis plus de vingt ans et en tant que parent Montessori depuis dix ans.

“Faire confiance à l’enfant” ne se limite pas à observer ce que fera un enfant dans le cadre d’un programme éducatif imposé. Dans l’éducation Montessori, tout l’environnement est disponible pour étudier, et les enfants sont encouragés à passer du temps à l’extérieur, pour observer, inventorier, s’interroger, et chercher les connaissances nécessaires pour répondre à leurs questions. La démarche scientifique est modulaire et évolutive, c’est à dire que des résultats sont obtenus à partir de résultats qui proviennent eux-mêmes d’autres résultats.

Ces résutats scientifiques doivent être reproductibles ou bien ils ne sont pas scientifiquement acceptables. De façon similaire, la modularité naturelle des logiciels open source fait qu’ils deviennent eux-même une forme de science de la programmation. Les modules peuvent être aussi librement utilisés que les résultats scientifiques peuvent être librement reproduits. Et tout comme un grand scientifique essayera de rendre ses résultats aussi simples et accessibles que possible, il existe une forme de reconnaissance similaire pour ceux qui écrivent des logiciels qui sont le plus possible généralistes, portables, et techniquement transparents.

Une valeur primodiale de la méthode Montessori est que l’apprentissage devrait être l’affaire de toute une vie. Denning paraphrase ceci en disant que l’éducation n’est pas une destination mais un voyage. Denning observe également que ceux qui voient dans l’obtention de leurs diplômes universitaires le boût du chemin, se retrouvent dans une impasse en cas de changement. Pour ceux qui envisagent l’apprentissage comme un exercice de longue haleine, alors le changement est simplement une nouvelle opportunité d’apprendre. De la même façon, les logiciels open source ont tendance à avoir un avenir ouvert et en perpétuel développement. De nombreux logiciels et frameworks propriétaires s’élèvent puis chutent car ils sont conçus avec une idée d’achèvement. Au contraire, les logiciels open source sont constament re-écrits, re-inventés et leurs objectifs modifiés. En regardant l’évolution de Linux au court des vingt dernières années je me suis dit : a-t-il déjà existé un système d’exploitation qui ait autant évolué, aussi rapidement et soit allé aussi loin ? Voilà tout le génie d’une vision de l’apprentissage à long terme.

Un dernier point : Les enfants Montessori sont-ils enthousiastes à l’idée de mettre les mains dans le code source ? La réponse evidente vous fournira, s’il en était besoin, une ultime preuve des atomes crochus entre Montessori et l’open source.

Notes

[1] Crédit photo : Brian Glanz (Creative Commons By-Sa)




La vidéo francisée des 20 ans du noyau Linux

Le noyau Linux a 20 ans. C’était en effet le 25 août 1991 que Linus Torvalds (qui fait justement l’objet de la librologie de la semaine) a en effet posté son célèbre message.

Pour l’occasion la Linux Foundation nous a proposé un petit clip anniversaire que nous avons non seulement sous-titré (merci Framalang) mais également doublé en français (merci Padoup-Padoup).

La vidéo en VO STFR

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

La vidéo en VF

—> La vidéo au format webm

Sur le même sujet, on pourra également lire la très intéressante interview donnée par Torvalds à LinuxFr.

Transcript

URL d’origine du document

L’histoire de Linux (à l’occasion de son 20e anniversaire)

Notre histoire commence il y a vingt ans. Boris Elstine prenait ses fonctions, Jay Leno remplaçait Johny Carson au Tonight Show et les téléphones portables étaient très très gros.

C’est en août 1991 qu’un étudiant en informatique de 20 ans nommé Linus Torvalds s’est assis devant son écran à Helsinki pour envoyer un des plus célèbres messages de l’histoire de l’informatique

« Salut tout le monde… Je suis en train de faire un système d’exploitation libre (c’est juste un passe-temps, rien d’aussi professionnel ni énorme que GNU) il ne prendra sûrement jamais rien d’autre en charge que des disques durs AT puisque c’est tout ce que j’ai »

Et bien, son annonce de projet open source a vite fait le tour du monde et des développeurs de tous les coins ont contribué au code.

Linus a baptisé le noyau de son système d’exploitation Linux en choisissant un manchot comme mascotte après un petit incident au zoo.

Il a pris assez vite une décision qui allait être déterminante pour l’avenir de Linux autant que sa technologie. Il a choisi la licence GPL, créée par un visionnaire nommé Richard Stallman.

Le noyau Linux, accompagné de la licence GPL et d’autres composants GNU, ont révolutionné l’industrie informatique avec une liste de libertés très simples mais très importantes : La liberté d’utiliser le logiciel à son gré. La liberté de modifier le logiciel pour l’adapter à ses besoins. La liberté de partager le logiciel avec ses amis et ses voisins. Et la liberté de distribuer les modifications qu’on a faites

Ces principes radicaux ont propulsé la diffusion de Linux partout dans le monde et de façon un peu paradoxale Linux qui était une expérience d’amateur est devenu la base d’un vaste écosystème commercial qui se développe.

Des entreprises ont basé leur activité sur Linux. En 1999 le cours de l’action de Red Hat a triplé en devenant la première entreprise à utiliser Linux sur le marché. Cette même année IBM a dépensé un milliard de dollars pour améliorer et promouvoir Linux

(Et comment il s’appelle ? — son nom est Linux)

Rapidement, Linux a bousculé les poids lourds de l’industrie et a permis le développement accéléré d’Internet avec ses logiciels libres.

Bref : Linux a révolutionné le monde de l’informatique.

Bien sûr, dès qu’un phénomène aussi novateur s’impose, il essuie un feu croisé de critiques mais Linux ne s’est pas contenté de survivre, il a pris de l’ampleur. Aujourd’hui la communauté de développement du noyau compte des milliers de membres, et des centaines d’entreprises qui collaborent ensemble au développement de Linux. Tous les trois mois une nouvelle version de Linux voit le jour.

Donc où en est Linux aujourd’hui ? Il permet 75% des transactions boursières dans le monde, Il fait tourner les serveurs d’Amazon, de Facebook, de Twitter, d’eBay, et de Google. Vous vous servez de Linux littéralement à chaque fois que vous allez sur internet. C’est dans votre téléphone, votre télé, sur 95% des superodinateurs, et dans beaucoup d’autres appareils que vous utilisez tous les jours. Linux est partout.

Et qu’est devenu le programmeur d’Helsinki qui a tout commencé ? Il orchestre le travail de cette armée mondiale de développeurs depuis le bureau de sa maison à Portland en Oregon, en tant que membre de la Fondation Linux.

Alors que nous célébrons les 20 ans de Linux, nous pouvons nous retrouver dans cette histoire.

Merci d’avoir contribué à cette saga tout au long de ces 20 ans.




Librologie 2 : Linus a gagné

Bonjour à tous et à toutes, ami(e)s du Framablog !

Par un heureux hasard du calendrier, la publication de cette nouvelle chronique Librologique coïncide avec le vingtième anniversaire du noyau Linux. Après nous être intéressés à Richard Stallman, c’est donc le moment idéal pour nous pencher sur une autre personnalité marquante du logiciel Libre… Quant à moi, je vous retrouve la semaine prochaine… et d’ici là, dans les commentaires !

V. Villenave.

Librologie 2 : Linus a gagné

Martin Streicher_- CC by-sa - Wikimedia CommonsIl y a tout juste vingt ans, un jeune étudiant en informatique finlandais, Linus Torvalds[1], publie un bout de programme qui deviendra plus tard le noyau du système d’exploitation le plus répandu au monde.

Plus ou moins fortuite, cette édification se fera par tâtonnements mais Linus sait ce qu’il veut et ne se prive pas de le faire savoir : au fil des ans, il se fera remarquer par un nombre impressionnant de citations toujours abruptes, souvent désopilantes, qui en sont venues à constituer sa marque de fabrique, voire sa persona : lire un message de Linus sans pique ni acidité, est toujours décevant.

Parmi ses souffre-douleurs de prédilection, on trouve des programmes (Emacs, GNOME), des techniques de programmation (le langage C++, les micronoyaux, le système de fichiers HFS+), et des entreprises (SCO, Oracle, Microsoft). Il est particulièrement réjouissant pour tout Libriste de voir Torvalds s’en prendre à l’empire de Microsoft, dont la domination hégémonique sur les systèmes d’exploitation remonte aux origines de l’informatique personnelle (et dont la haine des principes Libres n’est plus à démontrer) :

Je vous assure que mon but n’est pas de détruire Microsoft. Ce sera un effet collatéral tout à fait involontaire.

Ou, dans un même ordre d’idées :

Le jour où Microsoft développera des applications pour Linux, cela voudra dire que j’aurai gagné.

Le noyau Linux a donc été fondé il y a plus de vingt ans, et vient d’atteindre sa troisième version majeure. Se combinant avec d’autres programmes du projet GNU, il forme le système d’exploitation GNU/Linux qui s’est répandu dans le monde, particulièrement dans les domaines des serveurs et des supercalculateurs, qu’il domine très largement. Sous une forme plus réduite, le noyau Linux est également embarqué dans la grande majorité des équipements informatiques domestiques et professionnels : télévisions, box Internet, ordinateurs de bord… Enfin il s’est aussi emparé des téléphones mobiles, en particulier avec le système Android développé par l’entreprise Google.

Ce dernier point est d’une actualité brûlante, puisqu’Android est en pleine ascension et dépasse à la fois les mobiles proposés par Microsoft et les iPhone® d’Apple. Les applications Android se multiplient et sont devenues un format de distribution incontournable… y compris pour les concurrents de Google… ce qui inclut Microsoft.

Ce qui nous renvoie, comme l’ont remarqué de nombreux commentateurs ces derniers jours, à la citation que nous évoquions à l’instant :

Android Market - Microsoft

Le paysage a changé. Les marchés à conquérir ne se situent plus sur le bureau des utilisateurs, mais dans les téléphones portables et le « nuage » des services Internet. Microsoft n’a plus, aujourd’hui, d’autre choix que de présenter des applications pour Android, et même de contribuer au code de Linux. Il tire davantage de profit des ventes d’Android que de son propre système d’exploitation mobile.

En d’autres termes, nous y sommes : Linus a gagné.

Ce qui explique l’enthousiasme des Libristes et inconditionnels de l’open source. Le projet Linux, rappelons-le, est développé par une communauté d’informaticiens du monde entier, dont beaucoup sont financés par de grandes entreprises (voir plus bas), mais dont une proportion conséquente est faite de bénévoles qui gagnent leur vie dans des domaines parfois étrangers à l’informatique. De là à voir en la personne de Linus Torvalds un hérault du pro-am il n’y a qu’un pas : la victoire de Linus sur Microsoft serait ainsi une revanche de l’illégitimité.

Joie et liesse : Linus a gagné.

Certes, mais à quel prix ?

D’un point de vue technique, le système Android est certes construit sur le noyau Linux, mais il y apporte une surcouche sous une licence différente, qui ne garantit pas la réciprocité du logiciel Libre digne de ce nom. Des commentateurs ont d’ailleurs fait remarquer combien le développement d’Android diffère de celui de Linux en particulier, et des logiciels Libres en général.

D’un point de vue éthique, le noyau Linux est resté sous la version 2 de la licence GPL, ce qui autorise bien des abus d’un point de vue Libriste : des versions modifiées peuvent en être distribuées sans nécessairement rendre publiques lesdites modifications, les serveurs sous GNU/Linux servent à des sites qui privatisent les données, et assujettissent leurs utilisateurs. Linux a sans doute « gagné », mais certainement pas les libertés civiques — même si le PDG de la Linux Foundation s’en défend.

Linux Mask - Linus TorvaldsCe qui nous invite à nous interroger sur les modalités d’expression de la persona publique de Linus Torvalds. D’une génération (et d’une culture politique) différente de celle de Richard Stallman, il s’oppose volontiers à ce dernier, notamment sur le plan terminologique (dont nous avons vu combien il importe à rms). Parangon du mouvement open source, il se construit une persona inversée (et donc symétrique) de celle de Stallman, et se décrit complaisamment comme non-idéologue et « pragmatiste » — qualificatif que Stallman lui-même, paradoxalement, revendique également — nous y reviendrons.

Attardons-nous un instant sur cette posture à travers trois fragments relativement longs du discours de Torvalds, dont nous allons voir qu’il va bien au-delà des citations-choc.

Je ne crois pas qu’il y ait d’idéologie (dans le projet Linux), et je ne crois pas qu’il *devrait* y avoir d’idéologie. Et ce qui compte ici, c’est le singulier — je pense qu’il peut exister *beaucoup* d’idéologies. Je le fais pour mes propres raisons, d’autres gens le font pour les leurs. Je pense que le monde est un endroit compliqué, et que les gens sont des animaux intéressants et compliqués qui entreprennent des choses pour des raisons complexes. Et c’est pour cela que je ne crois pas qu’il devrait y avoir *une* idéologie. Je pense qu’il est très rafraîchissant de voir des gens travailler sur Linux parce qu’ils peuvent rendre le monde meilleur en propageant la technologie et en la rendant accessible à plus de monde — et ils pensent que l’open source est un bon moyen d’accomplir cela. C’est _une_ idéologie. Et une excellente, pour moi. Ce n’est pas vraiment pour cette raison que j’ai entrepris Linux moi-même, mais cela me réchauffe le cœur de le voir utilisé en ce sens. Mais je pense _aussi_ qu’il est génial de voir toutes ces entreprises commerciales utiliser de l’open source tout simplement parce que c’est bon pour les affaires. C’est une idéologie entièrement différente, et je pense qu’elle est, elle aussi, parfaitement acceptable. Le monde serait _nettement_ pire si l’on n’avait pas d’entreprises réalisant des choses pour de l’argent. Aussi, la seule idéologie qui m’inspire vraiment du mépris et de l’aversion est celle qui consiste à exclure toutes les autres. Je méprise les gens dont l’idéologie est « la seule véritable », et pour qui s’éloigner de ces règles morales en particulier est « mal » ou « malfaisant ». Pour moi, c’est juste mesquin et stupide. Donc, le plus important dans l’open source, n’est pas l’idéologie — il s’agit simplement que tout le monde puisse l’utiliser pour ses propres besoins et ses propres raisons. La licence de copyright sert à maintenir en vie cette notion d’ouverture, et à s’assurer que le projet ne se fragmente pas au fil des gens qui garderaient cachées leur améliorations, et donc doivent ré-inventer ce qu’ont fait les autres. Mais la licence n’est pas là pour imposer telle ou telle idéologie.

Ces propos de Torvalds méritent d’être ici reproduits in extenso. Tout d’abord parce qu’ils suffisent à mettre en mouvement notre détecteur de mythes : on y retrouve une vision prétendument « naturelle » des choses, ainsi qu’une propension à s’abstraire de toute implication ou responsabilité éthique : « le mythe, écrit Roland Barthes, est une parole dépolitisée ». Et de fait, il n’est pas rare qu’un discours qui rejette toute idéologie ait pour fonction de masquer une idéologie sous-jacente, le plus souvent contre-révolutionnaire : nous y reviendrons prochainement.

Est-ce le cas ici ? Linus Torvalds prête certainement le flanc à de telles accusations, en particulier dans ses rapports vis-à-vis des grandes entreprises (le développement de Linux, et le salaire de Linus lui-même, a fait l’objet de nombreux financements d’entreprises, en particulier IBM).

Cependant son point de vue ne me semble pas dépourvu d’ambiguïtés : ainsi, loin de les rejeter, il prend acte des motivations « idéologiques » de certains contributeurs et utilisateurs, et s’en déclare même proche.

Autre ambiguïté primordiale : Torvalds est, et demeure, cet informaticien brillant qui prit un jour la décision, là où rien ne l’y obligeait, de publier son travail sous une licence Libre (la GPL), dans le but explicite d’ouvrir au monde entier, sans distinction de provenance ni de capital, des outils techniques (et par extension, une forme de connaissance, comme nous allons également le voir) :

À l’origine, explique-t-il en 1997, j’avais publié Linux et son code source complet sous un copyright qui était en fait bien plus contraignant que la GPL : il n’autorisait aucun échange d’argent quel qu’il soit (c’est-à-dire que non seulement je ne voulais pas essayer d’en tirer profit moi-même, mais j’interdisais à quiconque de le faire).

(…)

Je voulais que Linux soit aisément disponible sur ftp, et je voulais qu’il ne soit onéreux pour _personne_. (…) Je ne me sentais pas rassuré vis-à-vis de la GPL au début, mais je voulais témoigner ma reconnaissance pour le compilateur GCC (du projet GNU) dont Linux dépendait, et qui était bien sûr GPL.

Rendre Linux GPL est sans aucun doute la meilleure chose que j’aie jamais faite.

Les paradoxes ne manquent pas ici, à commencer par cette reconnaissance qu’exprime spontanément Linux Torvalds envers le projet GNU, lui qui se refusera pourtant toujours à dire « GNU/Linux » plutôt que seulement « Linux » pour désigner le système d’exploitation Libre… Autre paradoxe intéressant au plus haut point : nous voyons ici que c’est la licence GNU GPL qui est venue libérer Linus lui-même de ses craintes, en particulier vis-à-vis de l’exploitation commerciale de son travail.

Le dernier fragment sur lequel je voudrais m’arrêter ici est une interview recueillie dix ans plus tard, sur laquelle Torvalds revient sur sa (non-) « idéologie » personnelle :

Je pense que l’open source est la bonne voie à suivre, de la même façon que je préfère la science à l’alchimie : tout comme la science, l’open source permet aux gens d’ajouter leur pierre à l’édifice solide de la connaissance pré-existante, plutôt que de se cacher de manière ridicule.

Cependant je ne crois pas qu’il faille considérer l’alchimie comme « malfaisante ». Elle est juste hors de propos : on ne pourra évidemment jamais réussir aussi bien barricadé chez soi qu’au grand jour avec des méthodes scientifiques.

C’est pourquoi la FSF (de Richard Stallman) et moi divergeons sur des notions fondamentales. J’adore absolument la GPL version 2 — qui incarne ce modèle de « développer au grand jour ». Avec la GPL v.2, nous tenions quelque chose où tout le monde pouvait se retrouver et partager selon ce modèle.

Mais la FSF semble vouloir changer ce modèle, et les ébauches de la GPL version 3 ne servent plus à développer du code au grand jour mais à déterminer ce que l’on peut faire de ce code. Pour reprendre l’exemple de la science, cela reviendrait à dire que non seulement la science doit être ouverte et validée par des pairs, mais qu’en plus on vous interdit de vous en servir pour fabriquer une bombe.

Et ce dernier exemple de « fabriquer des bombes » donne lieu, à son tour, à un nouveau paradoxe : les arguments soulevés ici par le créateur du noyau Linux trouvent un écho frappant dans certaines prises de position de… Richard Stallman. J’en veux pour illustration la critique toute pragmatique que fait la FSF d’une licence « Hacktiviste », la HESSLA, dont le propos est précisément d’interdire tout usage des logiciels qui ne serait pas conforme aux droits de l’Homme (dans un même ordre d’idées, on lira avec intérêt la licence CrimethInc. N© !, que je découvre à l’instant et qui vaut également son pesant de cacahuètes). Un autre exemple du pragmatisme de Stallman est à trouver dans la migration de Wikipédia vers les licences Creative Commons en 2008.

Le pragmatisme n’est donc pas nécessairement une posture de mercenaire, et le discours de Linus Torvalds (particulièrement si on le considère sur les deux décennies écoulées) me semble plus ambigu que celui d’un programmeur sans éthique ou d’un entrepreneur sans foi ni loi. Certes, Torvalds n’est ni un intellectuel ni un philosophe, et sa culture politique semble celle d’un simple spectateur. Cependant son propos apparaît comme pleinement politique, même lorsqu’il s’agit d’affirmer la neutralité idéologique du code qu’il écrit :

Je n’aime pas les DRM moi-même, mais en fin de compte je me vois comme un « Oppenheimer ». Je refuse que Linux soit un enjeu politique, et je pense que les gens peuvent utiliser Linux pour tout ce qu’ils veulent — ce qui inclut certainement des choses que je n’approuve pas personnellement.

La GPL exige qu’on publie les sources du noyau, mais ne limite pas ce qu’on peut faire avec le noyau. Dans l’ensemble, ceci est un exemple de plus de ce pourquoi rms me traite de « seulement un ingénieur », et pense que je n’ai pas d’idéaux.

(En ce qui me concerne, ce serait plutôt une vertu : essayer d’améliorer le monde un tant soit peu sans essayer d’imposer ses propres valeurs morales aux autres. Vous pouvez faire ce qui vous chante, je m’en fous, je suis seulement un ingénieur qui veut faire le meilleur système d’exploitation possible.)

Cette position me renvoie à la phrase faussement attribuée à Voltaire sur la liberté d’expression (« je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »), et qui est en fait d’origine anglo-saxonne. L’on sait combien cet esprit post-Lumières (d’ailleurs plus ou moins bien compris), qui défend la liberté comme un absolu, est important aux États-Unis : peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est dans ce pays qu’est né le mouvement Libre… Et si c’est de ce même pays que Torvalds a récemment acquis la nationalité.

Alors, Linus a-t-il gagné ? Pour un personnage aussi marquant et aussi vocal, il est étrange qu’on ne l’ait que très peu entendu s’exprimer sur l’avènement d’Android. La sortie du noyau Linux version 3, coincidant avec le 20e anniversaire du projet, s’est faite dans le calme et avec une humilité remarquable, et j’avoue n’avoir vu passer aucun message de Linus Torvalds revendiquant sa « victoire » — laquelle est pourtant acquise et incontestable, pour douce-amère qu’elle puisse être par ailleurs.

Linux a gagné, mais seulement en se rendant acceptable par les entreprises : c’est-à-dire sous une forme dégradée, aseptisée, dépolitisée dirait Barthes, débarrassée du « bazar » idéologique que représente le mouvement Libre, et que d’aucuns (à commencer par Richard Stallman) voient comme essentiel. Essentiel d’un point de vue intellectuel, puisque le mouvement Libre se pense originellement comme un mouvement social ; primordial également d’un point de vue affectif, le logiciel et la culture Libre reposant souvent sur des communautés de bénévoles dont la motivation n’est jamais tout à fait exempte de composantes idéalistes ou romantiques — et auxquelles Linus lui-même, nous l’avons vu, n’a pas toujours été étranger.

Ce sont ces valeurs et cet esprit que voile, sous l’aspect d’une victoire technique, l’avènement du noyau Linux sous ses avatars et déclinaisons plus ou moins lointaines. Et la victoire que promettait le jeune Linus d’il y a vingt ans, semble aujourd’hui faire tristement défaut au triomphe d’un Torvalds quadragénaire.

Notes

[1] Crédit photo : Martin Streicher (Creative Commons By-Sa)




L’Open Data au service de l’humanitaire grâce à OpenStreetMap

HOT Logo - OpenStreetMapC’est un billet très HOT que nous vous proposons aujourd’hui. Mais HOT pour Humanitarian OpenStreetMap Team.

Le projet de cartographie libre OpenStreetMap vous connaissez déjà je suppose ? (sinon vous pouvez parcourir ce billet ou notre tag du même nom). Mais peut-être ignoriez-vous son projet spécifique dédié à l’humanitaire en cas d’urgence ?

C’est l’objet de cette interview traduction.

C’est pas pour dire, mais, un jour, tous ces projets positifs (et souvent d’inspiration libriste) vont finir par faire sens et nous sortir du marasme actuel…

Remarque : En fin d’article nous vous proposons de revoir un passage télé évoquant le projet et l’utilité d’OpenStreetMap en pleine crise d’Haïti.

L’Open Data au service du secours humanitaire grâce à l’équipe dédiée d’OpenStreetMap

Open data for humanitarian relief with the Humanitarian OpenStreetMap Team

Jason Hibbets – 18 juillet 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Slystone, ZeHiro, Goofy, Padoup-padoup)


Il fait chaud (hot) en Haïti, en Indonésie, en Côte d’Ivoire, et dans d’autres pays autour du monde. Pourquoi ? Parce que Kate Chapman, l’équipe humanitaire OpenstreetMap (NdT : HOT pour Humanitarian OpenStreetMap Team), ainsi que beaucoup de bénévoles contribuent à améliorer les économies locales et à créer une carte libre et gratuite du monde.

À la rencontre SouthEast LinuxFest qui s’est tenue au début de l’année, j’ai appris l’existence du projet humanitaire OpenStreetMap à l’occasion d’une conférence donnée par Leslie Hawthorn sur les outils gratuits et libres destinés à l’action humanitaire.

HOT reprend les principes de l’open source et du partage libre de données pour l’aide humanitaire et le développement économique, en tirant parti des efforts de OpenstreetMap. Kate Chapman est directrice du projet. Son rôle est de mettre en place l’organisation mais aussi la contribution aux projets. Elle travaille pour lever des fonds, exécuter les tâches administratives, gérer le budget, et enfin aller sur le terrain pour y tenir des ateliers. Kate nous en a dit plus sur le projet HOT dans l’interview ci-dessous.

Quelle est la mission de l’équipe humanitaire OpenstreetMap ?

HOT croit que des données géographiques libres et à jour peuvent être indispensables pour réagir face à un désastre. Donc nous aidons des communautés et des intervenants d’urgence qui d’une part utilisent les données d’OpenStreetMap et d’autre part contribuent en même temps au projet.

Quel a été l’impact du projet humanitaire OpenStreetMap sur des régions atteintes par un désastre (par exemple en Haïti ou en Côte d’Ivoire) ?

HOT a joué un rôle actif en Haïti, que ce soit à distance ou sur place par l’intermédiaire de missions. La communauté du projet OpenStreetMap a commencé par rechercher des images satellite et collecter des données issues de vieilles cartes pour mettre à jour la carte d’Haïti après le tremblement de terre. Puis à partir de mars 2010, nos équipes ont commencé à se rendre en Haïti pour former directement les gens à la mise à jour d’OpenStreetMap et à son utilisation. Ainsi, la communauté OpenStreet Map d’Haïti (COSMHA) s’est développée et poursuit le travail de cartographie de la région avec le soutien de HOT quand cela est nécessaire.

En Côte d’Ivoire, notre travail s’est fait entièrement à distance. Un de nos membres, Frederic Bonifas, a fourni la plus grosse contribution à l’effort de coordination pour ce projet. SPOT (une entreprise française de satellites) a joué un rôle vital en mettant à disposition sous licence libre des images que des personnes ont pu utiliser pour compléter les données d’OpenStreetMap.

Cependant, HOT n’existe pas que pour les cas d’urgence. On a commencé des travaux d’anticipation en Indonésie cette année. Jeff Hack et moi-même passons en ce moment deux mois en Indonésie pour tenir des ateliers dans des communautés et des universités. Nous espèrons ainsi recueillir des informations détaillées sur les bâtiments et les utiliser pour mieux anticiper les scénarios catastrophes.

Quelles sont les technologies ou les autres défis qui se présentent à vous ?

Le problème des licences a été le plus gros défi pour HOT. Après un afflux d’images en provenance d’Haïti, les cartes d’OpenStreetMap ont pu être misees à jour sans problème. En cas de catastrophes, il est parfois difficile de réagir rapidement lorsqu’il n’y a pas d’images satellite ou d’autres types de de données disponibles qui peuvent être utilisées avec OpenStreetMap.

Est-ce que vous avez la possibilité de faire équipe pour travailler en collaboration avec les gouvernements des zones concernées ?

La réponse à cette question est : quelques fois. Que ce soit en Haïti ou en Indonésie, nous avons formé des personnes travaillant pour le gouvernement. Nous allons également bientôt commencer un programme au Togo pour anticiper les catastrophes, celui-ci impliquera directement le gouvernement togolais.

Détaillez-nous les étapes de l’assistance fournie par votre organisation en cas de désastre. Par exemple, si un ouragan devait arriver sur la côte, comment est-ce que vous aideriez ?

Chaque catastrophe est unique. Typiquement après une catastrophe on commence en premier à faire l’état des données disponibles. Cela veut dire se mettre en contact avec les fournisseurs d’images satellite, répondre aux agences, et faire des recherches sur internet en général. Puis d’habitude on essaye de trouver quelqu’un qui est capable de coordonner les efforts humanitaires. Après nombre de cataclysmes on a de nouveaux bénévoles, des individus variés qui sont intéressés par l’utilisation des données, d’autres qui ont besoin d’aide, ce qui importe c’est de s’assurer qu’ils obtiennent ce dont ils ont besoin.

OpenStreetMap en général est une organisation avec une communauté très impliquée, et son développement HOT conserve ce même caractère. Mais ici nous réagissons à des urgences, c’est pourquoi nous nous coordonnons pour être sûr qu’une personne à la tête peut diriger les efforts.

Rejoignez-nous

La manière la plus simple de participer à HOT c’est d’abord d’apprendre à éditer les données dans OpenStreetMap. Souvent, le meilleur moyen de le faire est de commencer à cartographier votre propre quartier. Ce n’est pas difficile de se familiariser avec les outils de base. Pour avoir une participation plus active à HOT, le mieux est de s’abonner aux listes de diffusion. C’est là que se passent les discussions entre les personnes qui font quelque chose pour aider sur tel ou tel événement ainsi que les annonces générales.

Bonus Track

Chronique d’Emmanuelle Talon (La Matinale de Canal+ – 18 janvier 2010) évoquant OpenStreetMap au moment du tremblement de terre d’Haïti de 2010.

—> La vidéo au format webm




Librologie 1 : Les mots interdits de Richard Stallman

Je vous ai présenté il y a peu ces Librologies, la nouvelle chronique que aKa m’a invité à tenir ici-même. Dans ce premier épisode je vous propose de nous intéresser au premier des Libristes : l’informaticien américain Richard Stallman, fondateur du mouvement Libre. Valentin Villenave[1].

Librologie 1 : Les mots interdits de rms

Qui de plus approprié pour cette première chronique Librologique, que Richard Stallman ? Né en 1953 — l’année même où paraissaient les premières Mythologies de Roland Barthes, auxquelles nous rendons ici hommage —, il est tout à la fois le premier auteur de logiciels tels qu’Emacs ou GCC, le fondateur du projet GNU, le co-auteur de la licence GPL et FDL, et par là l’instigateur du mouvement du logiciel Libre. Cependant, son apport a très tôt dépassé les frontières de l’informatique : on lui doit notamment la première ébauche de l’encyclopédie Libre Wikipédia, et sa page personnelle témoigne de la diversité de ses préoccupations : droits de l’Homme, libertés civiques, nouveautés scientifiques et patrimoine culturel…

Conférence Stallman - Affiche Utopia (Toulibre)Au confluent de nombreux phénomènes communautaires (qu’il a d’ailleurs lui-même suscités), la personne de Richard Matthew Stallman, communément désigné par ses initiales rms (en minuscules, ainsi qu’il sied aux informaticiens des années 1970 pour qui l’avènement du bas de casse sur les écrans informatiques représenta une vraie conquête), fait l’objet de ce que nous pourrions appeler un culte — terme sur lequel il convient de s’arrêter un instant.

Le culte est une expression-clé d’un certain parler-jeune, dans lequel le terme s’emploie indifféremment sous forme substantive ou adjectivale : ainsi, l’on parlera d’un « film culte » pour souligner à la fois le nombre et l’enthousiasme des fans, ainsi que pour conjurer un aspect historique ou anecdotique. Le culte est ainsi devenu un argument publicitaire usé jusqu’à la corde, et qui relève de l’auto-suggestion : l’engouement pour ce produit n’est pas un effet de mode : c’est un culte (qui se voit donc conférer une légitimité immémorielle, comparable aux millénaires qui ont façonné les grandes religions). On voit ici à l’œuvre le mécanisme exact de la « privation d’Histoire » que Roland Barthes observait dans ses Mythologies il y a plus d’un demi-siècle : le « culte » est un mythe.

Ce terme me semble directement emprunté à l’anglais, où il se confond avec l’idée de secte : particulièrement aux États-Unis, où n’importe quelle association cultuelle peut bâtir « sa » religion. Cette liberté religieuse (qui peut parfois prêter à confusion) a notamment été mise à profit dans la seconde moitié du XXe siècle par une certaine jeunesse contestataire ou iconoclaste : dès les années 1960 l’on comptera ainsi, entre autres, l’Église du SubGénie, le Discordianisme, ou le Pastafarianisme, l’église athée de la Licorne Rose Invisible (à laquelle votre serviteur se flatte d’appartenir)… ou plus récemment des cults directement inspirés par des films, tels que le Jediisme ou le Matrixisme — pour ne rien dire du Dudeisme !

Martin Bekkelund - CC by-saCertainement influencé par ces courants en son temps, et lui-même athée revendiqué, Richard Stallman s’est employé à subvertir à sa façon les codes des rituels religieux : ainsi de sa brillante idée de célèbrer, tous les 25 décembre,… l’anniversaire d’Isaac Newton. Il ne dédaigne pas non plus, à l’occasion, créer sa propre église autour de l’éditeur Emacs et de Saint-iGNUcius.

Subvertir une codification revient à la perpétuer : à ce titre, le culte de rms donne lieu à sa propre iconographie — laquelle n’a rien à envier à celle que Barthes observait autour de l’Abbé Pierre en 1953 (il y aurait beaucoup à dire, par exemple, sur la coiffure et la barbe de Stallman, mi-négligées mi-visionnaires). Cependant dans ce cas précis, le culte cède le pas au folklore : si de nombreux Libristes témoignent encore un grand respect à Richard Stallman, pour la plupart (et en particulier les générations ultérieures, celles de Linus Torvalds et de l’open-source sur lesquelles nous reviendrons prochainement) il n’est guère plus qu’un personnage haut-en-couleurs, une sorte de vieil oncle bougon et un peu radoteur que l’on tolère au repas de famille sans vraiment lui prêter attention.

Le site gnu.org est à ce titre riche d’enseignements. Longtemps maintenu dans un style extrêmement dépouillé (tout comme la page personnelle de Stallman que je mentionnais plus haut), il persiste à mettre l’accent sur le contenu plus que sur la forme, et contient notamment un grand nombre d’articles parfois arides, souvent rédigés par rms lui-même, dans une rubrique intitulée « philosophie ».

D'Arcy Norman - CC byUne des constantes du folklore stallmanien, qui marque (et amuse) toujours quiconque assiste à une des nombreuses conférences que rms donne chaque année, et ce quelle que soit la langue dans laquelle il s’exprime (anglais, français ou espagnol), est son souci maniaque de la terminologie employée. Non content de veiller à ne jamais utiliser certaines expressions (« open source », « propriété intellectuelle »), il en déconseille également l’usage à tout interlocuteur, spectateur lui adressant une question. Cette opposition se manifeste parfois avec véhémence, et dans une mise en scène largement ritualisée, à tel point qu’il n’est pas exclu que d’aucuns se fassent un malin plaisir de lui faire entonner sa routine : « non, n’employez pas ce mot, il ne faut pas, c’est incorrect ! » et ainsi de suite : le « culte » se fait alors apophatique.

En programmeur de talent, rms a donc pris soin de documenter ses propres choix terminologiques sur le site du projet GNU, dans un article intitulé Words To Avoid, traduit en français non par « mots à éviter » mais de façon plus adoucie (et verbeuse), par Mots et phrases prêtant à confusion, que vous devriez éviter (ou utiliser avec précaution).

  • On y trouve, bien évidemment, ses chevaux de bataille les plus courants (« open source », « propriété intellectuelle »), ainsi que d’autres termes assez évidents : l’emploi prédicatif du terme Photoshop®, le MP3.
  • D’autres termes sont liés à la définition de ce qu’est et n’est pas un logiciel Libre : gratuité, commercial, marché
  • Certains termes de propagande sont également démontés, qu’il s’agisse de slogans positifs (DRM, Trusted Computing, Cloud Computing) ou négatifs (vol, piratage).

Enfin, une certaine catégorie de termes me semble tout à fait remarquable : il s’agit de mots d’apparence inoffensive, naturelle pourrait-on dire, et couramment employés par les Libristes eux-même, mais derrière lesquels Richard Stallman débusque un empilement de présupposés qui, de fait, les orientent et en font des termes de propagande.

Ainsi, parler d’écosystème des logiciels Libres (ou de toute communauté humaine) révèle une attitude tout à fait comparable à la Norme bourgeoise que critiquait Barthes en son temps : c’est s’abstraire, sous l’apparence d’un regard scientifique extérieur porté sur un phénomène naturel, de toute responsabilité et de tout aspect éthique. C’est se mettre en retrait de la communauté humaine, et rester impassible alors que des prédateurs exterminent leurs congénères, que disparaissent « les droits de l’Homme, la démocratie, la paix, la santé publique, l’air et l’eau purs, les espèces en danger, les patrimoines traditionnels »… on le voit, le propos va ici bien au-delà de l’informatique.

Dans un autre ordre d’idées, parler de n’importe quel auteur comme d’un créateur n’est pas un choix anodin (particulièrement dans l’éthos anglo-saxon protestant) : c’est assimiler les auteurs ou artistes à des divinités — non pas pour leur attribuer une toute-puissance, mais pour les brandir comme prétexte afin d’exiger la soumission des citoyens (nous aurons l’occasion de revenir sur ce statut des auteurs dans la société bourgeoise, que Roland Barthes démonte savoureusement dans son texte L’Écrivain en vacances). rms recommande aussi, depuis peu, de ne pas parler de rémunération des artistes : ce serait sous-entendre, selon lui, que de l’argent leur est systématiquement et moralement dû, de même que la divinité appelle l’offrande.

Avec cette même optique, Stallman critique enfin (comme d’autres après lui) un autre travers contemporain qui consiste à désigner les œuvres de l’esprit sous le terme de contenu. Ce terme peut s’employer, semble-t-il, indifféremment au singulier ou au pluriel — un peu comme, dans les entreprises, le terme « personnel », autre parangon méprisant du parler moche. Ce qui m’intéresse ici est bien sûr l’idéologème qu’il recouvre, et qui constituera l’une des thématiques récurrentes de ces Librologies ; avec le « contenu », l’essence des objets disparaît au profit de leur quantité. « Téléchargez des contenus », vous dira-t-on — sont-ce des morceaux de musique ? des films ? des essais ? des fictions ? Peu importe. Sont-ils originaux ? expressifs ? troublants ? Nous n’en saurons rien. C’est que nous ne sommes plus dans un ethos civique ou artistique, mais marchand : dans ce milieu où l’on ne parlera plus Libre, mais libre de droits — je n’en donnerai qu’un exemple, mais il est parlant.

Nous avons vu combien Roland Barthes brocarde à l’envi ce désir « d’immanence » de la bourgeoisie de son temps : « tout phénomène », écrit-il dans un de ses textes sur Poujade, « qui a son propre terme en lui-même par un simple mécanisme de retour, c’est-à-dire, à la lettre, tout phénomène payé, lui est agréable » — la « rémunération » des artistes, que nous évoquions à l’instant, n’est pas autre chose. Le « contenu », par définition, est quelque chose d’indéterminé mais qui se définit par sa seule quantifiabilité, équationnelle et rassurante pour le « bon sens » de nos bourgeois d’aujourd’hui. Appliqué à l’art, le terme est, littéralement, lourd de sens.

Comment, dès lors, réfléchir et argumenter sainement lorsque l’on raisonne avec des termes aussi peu précis ou orientés ? Nul doute que nombre de Libristes veuillent, de tout cœur et en toute sincérité, défendre par exemple « l’écosystème des créateurs de contenu »… et pourtant, le simple fait de poser le problème en ces termes oriente déjà le discours et biaise la réflexion.

Ce questionnement se situe d’ailleurs sur toutes sortes de terrains : juridique, médiatique, technique, ontologique ; il est exprimé, à l’occasion, de façon assez rugueuse : il est à ce titre intéressant de voir combien les versions successives de la page Words To Avoid (et plus encore, ses traductions) tentent d’adoucir son propos, d’en lisser les formulations.

Comme l’avaient remarqué Barthes, mais également Bourdieu ou Orwell en leur temps, contrôler le langage revient à contrôler la pensée : imposer sa propre terminologie, c’est façonner le raisonnement du public et couper court à toute opposition argumentée. En cela, Richard M. Stallman est probablement l’un des penseurs les plus fins du mouvement Libre, ayant très tôt perçu qu’avant même de commencer à raisonner il est indispensable de questionner le langage même que l’on utilise.

Devons-nous pour autant nommer rms un philosophe ? D’aucuns ont franchi le pas, et l’on lira à ce titre avec intérêt la préface rédigée par Lawrence Lessig, fondateur des licences Creative Commons :

Chaque génération a son philosophe, un écrivain ou un artiste qui capte l’air du temps. Quelquefois, ces philosophes sont reconnus comme tels ; souvent cela prend des générations avant qu’ils soient reconnus. Mais reconnus ou pas, un temps reste marqué par les gens qui parlent de leurs idéaux, dans le murmure d’un poème, ou l’explosion d’un mouvement politique.

Notre génération a un philosophe. Il n’est ni artiste, ni écrivain professionnel. Il est programmeur.

Me trouvant en contact régulier avec l’intéressé, j’ai récemment eu l’occasion de lui demander son point de vue sur la question : « Je suis content, m’a-t-il répondu, que les gens me considèrent comme un philosophe, car cela montre qu’ils ont compris que le mouvement des logiciels Libres n’est pas un mouvement purement informatique, mais un mouvement culturel, social et philosophique ». Réponse pragmatique : le « positionnement » de Richard Stallman ne peut s’analyser autrement que par le public auquel il s’adresse.

Jared and Corin - CC by-saC’est en ce sens que doivent être lues, je pense, les pages « philosophie » du projet GNU : il ne s’agit bien évidemment pas d’ouvrages philosophiques au sens où l’entendent, par exemple, les universitaires et chercheurs en philosophie. Richard Stallman ne propose pas de redéfinir notre vision du monde, et son « apport » à la philosophie, si tant est même qu’il existe, se limite à rappeler des notions simples de droits de l’Homme, de partage et d’entraide, sur lesquelles se fondent le mouvement Libre. Et pourtant, il ouvre ainsi l’accès à une réflexion d’une finesse et d’une exigence nettement différente des préoccupations ordinaires des informaticiens et autres geeks.

Pour amener un tel public à un véritable questionnement éthique qui ne se contente point des évidences d’un discours médiatique prémâché, rms a manifestement choisi de se présenter comme philosophe, et de tirer ainsi partie de l’iconographie et du culte qui l’entoure : plus qu’un philosophe, il est un personnage de philosophe.

Notes

[1] Crédits photos : Affiche Utopia Toulouse, Martin Bekkelund, D’Arcy Norman et Jared and Corin (Creative Commons By et By-Sa)




Les brevets logiciels : une histoire de fous !

Kalidoskopika - CC by-sa« Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits. » Tel est le cinglant résumé de ce récent éditorial du Guardian qui prend appui sur l’actualité, dont le fameux rachat de Motorola par Google, pour nous livrer un constat aussi amer qu’objectif[1].

« Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. » Voilà où nous en sommes clairement maintenant.

Un nouvel exemple d’un monde qui ne tourne pas rond. Un nouvel exemple où le logiciel libre pourrait aider à améliorer grandement la situation si le paradigme et les mentalités voulaient bien évoluer.

Brevets logiciels : une histoire de fous

Software patents: foolish business

Éditorial du Guardian – 21 aout 2011 (Traduction Framalang : Goofy et Pandark)

Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.

La plupart des gens comprennent les raisons et les arguments en faveur des brevets industriels. Ces derniers fournissent à un laboratoire pharmaceutique — qui a investi une fortune dans le développement d’un nouveau médicament — une sorte d’opportunité pour, pendant une période limitée, rentabiliser sa mise initiale avant que le reste du monde ne puisse en faire des versions moins chères. Mais les brevets logiciels, bien que semblables au plan juridique, sont très différents sur le plan pratique. Quand Google a racheté la division téléphone mobile de Motorola pour 12, 5 milliards de dollars la semaine dernière, l’événement a fait des vagues dans le commerce comme dans l’industrie, parce qu’il ne s’agissait pas d’acheter les mobiles de Motorola mais son portefeuille de plus de 17000 brevets logiciels, denrée devenue la poudre d’or de l’âge numérique.

Les brevets constituent une industrie qui brasse plusieurs milliards, et les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant des procès qu’en créant un produit. Jusqu’au milieu des années 90 l’industrie informatique — Microsoft compris — étaient opposée à cet abus de licences. essentiellement parce que l’industrie était suffisamment innovatrice pour pouvoir se passer de la protection des brevets, qui de toutes façons incluaient des avancées technologiques relativement ordinaires, considérées comme la routine du travail d’ingénieur.

Puis, la tentation entra en scène. Les juristes des entreprises prirent conscience qu’ils pouvaient poursuivre les autres pour infraction aux brevets souvent achetés par lots. Ils furent rejoints par des entreprises « troll », constituées dans l’unique but d’acheter des brevets et de faire des procès aux autres entreprises et aux développeurs, sachant pertinemment que la plupart accepteraient une transaction à l’amiable plutôt que d’affronter les coûts prohibitifs de leur défense juridique. Les entreprise qui étaient précédemment opposées aux brevets logiciels se sont aujourd’hui lancées dans la course à l’armement. Microsoft a accumulé un gigantesque arsenal de brevets et peut taxer un fabricant comme HTC à raison de 5 dollars par téléphone portable vendu — même si le système d’exploitation Android (développé par Google) utilisé sur les téléphones HTC est « open source » et supposé disponible pour tous. Avec des centaines, si ce n’est des milliers de brevets maintenant en jeu dans un téléphone mobile, il est pratiquement impossible de ne pas enfreindre un brevet d’une manière ou d’une autre. Dans le même temps Google, confronté au puissant aspirateur à brevet de ses rivaux, a été contraint de s’acheter son propre portefeuille en réaction d’auto-défense.

Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. De telles acquisitions peuvent entraîner les entreprises de technologies de l’information bien loin de leur cœur de métier. Une recherche universitaire menée par le Berkman Center for Internet and Society a montré que les brevets logiciels n’ont procuré aucun bénéfice à l’industrie du logiciel, et encore moins à la société dans son ensemble. C’est dramatique, car un grand nombre d’entreprises qui étaient auparavant opposées aux brevets logiciels se sont ralliées à ce système, rendant plus difficile de trouver une solution efficace. Une fois de plus les consommateurs sont vent debout contre les entreprises. Où sont les forces régulatrices quand on en a besoin ?

Notes

[1] Crédit photo : Kalidoskopika (Creative Commons By-Sa)




Le logiciel libre pourrait-il exister sans le copyright ? La réponse de Stallman

Sebastian Oliva - CC by-saDans l’un de nos récents framabooks, le professeur néerlandais Joost Smiers se pose la question suivante : Et si nous supprimions carrément le copyright ?

Pour en conclure que les cartes seraient évidemment redistribuées mais que le monde ne s’arrêterait pas de tourner. Et force est de reconnaître qu’il n’est pas le seul à envisager cette radicale solution.

Or, apparent paradoxe, il se trouve que, juridiquement parlant, les licences des logiciels libres sont adossées au copyright. Elles le respectent pour mieux, en quelque sorte, le retourner en leur faveur, à fortiori lorsque ces licences sont également copyleft, comme la plus célèbre d’entre elles, la licence GNU GPL.

C’est au père de cette dernière, Richard M. Stallman[1], que Glyn Moody s’est adressé pour lui demander ce qu’il pense du copyright et de l’avenir du logiciel libre si le copyright n’existait plus.

Le logiciel libre pourrait-il exister sans le copyright ?

Could Free Software Exist Without Copyright?

Glyn Moody – 9 juillet 2010 – ComputerWorldUK
(Traduction Framalang : Vincent, Barbidule, Toufalk, Pablo, Goofy, et Petrus6)

Il y a quelques jours, j’écrivais sur la manière dont la licence GNU GPL de Richard Stallman utilise le copyright afin de garantir que les utilisateurs de la licence partagent le code qu’ils distribuent. S’ils ne le font pas, ils sont en violation de la GPL, et perdent donc leur protection contre les actions en violation de copyright.

Cela est bel et bon, mais comme beaucoup l’ont fait remarquer, cela a pour conséquence paradoxale que la licence GNU GPL dépend du copyright, un monopole intellectuel, pour promouvoir la liberté intellectuelle. De plus, cela semble condamner le logiciel libre à un sorte de symbiose avec le copyright, en le contraignant à défendre ce monopole sans lequel la GPL ne serait pas aussi puissante.

Voilà une perspective bien sûr légèrement dérangeante, et je m’étais donc dit il y a peu que je soulèverais la question avec RMS lui-même, puisqu’il avait forcément conscience du problème et qu’il avait peut-être une solution (ce que j’espérais). Ces derniers mois la question s’est posée à plusieurs reprises, j’ai donc pensé que ça valait le coup de publier ses réponses à mes interrogations, pour donner un éclairage sur ce débat crucial.

D’abord, je lui ai demandé comment nous devrions réformer le copyright, puisque c’est un monopole intellectuel dont abusent les éditeurs, mais que la GNU GPL en dépend.

Voici la réponse de Stallman :

« Pour la plupart des œuvres, je pense que le copyright pourrait être acceptable s’il était plus court (je propose 10 ans), s’il permettait une redistribution de copies verbatim non commerciale, et si les « remix » modifiant l’œuvre étaient clairement considérés comme un usage légitime (« fair use »).

Cependant, je pense que les logiciels et toutes les œuvres ayant une utilité concrète doivent être libres. »

Il a poursuivi :

« Je serais heureux que le copyright sur les logiciels soit aboli si c’était fait d’une manière telle que la liberté des logiciels soit garantie. Après tout, le but du copyleft est justement d’atteindre cet objectif pour les dérivés de certains programmes. Si tous les logiciels étaient libres, nous n’aurions pas besoin du copyleft.

Cependant, menée de la mauvaise manière, l’abolition du copyright pourrait n’avoir aucun effet sur les logiciels privateurs (car plus que le copyright, c’est le CLUF, Contrat de licence utilisateur final, et le caractère secret du code qui créent des restrictions), elle viendrait simplement remettre en cause la pratique du copyleft. Naturellement, dans ce cas je m’y opposerais.

En d’autre termes, je me sens plus concerné par l’effet de la loi sur les libertés des utilisateurs que par ce qui pourrait arriver au copyright en tant que tel. »

Je lui ai alors demandé comment l’abolition du copyright pourrait être menée pour que le logiciel libre soit encore possible.

« Il faudrait éliminer le copyright sur les logiciels, déclarer les CLUF juridiquement nuls et adopter des mesures de protection du consommateur qui imposent la distribution du code source aux utilisateurs et l’interdiction de la tivoisation. »

Stallman a expliqué ce qu’il entendait par « tivoisation » il y a quelques années, quand la GNU GPL v3 était en cours d’élaboration. C’est le fait d’élaborer une machine telle que, si l’utilisateur installe une version modifiée d’un programme, la machine refuse de l’exécuter.

Ce nom vient de Tivo, le premier produit dont j’ai su qu’il faisait ça. Le Tivo contient des logiciels libres sous GPL v2, dont le code source est fourni. L’utilisateur du Tivo peut donc modifier le programme, le compiler et installer la version modifiée sur sa machine. Celle-ci refusera cependant de fonctionner car elle aura décelé qu’il s’agit d’une version modifiée. Cela signifie qu’en théorie, l’utilisateur a la liberté numéro 1 (NdT : la liberté d’étudier le fonctionnement du programme), mais en réalité, il ne l’a plus, ce n’est qu’un leurre. Cette pratique est systématique, et elle constitue une menace générale pour la liberté de l’utilisateur.

Nous avons donc décidé d’empêcher cela, en modifiant les conditions de distribution des binaires. Nous avons précisé que si vous distribuez les binaires dans un produit, ou pour être utilisés dans un produit, alors vous devez fournir tout ce dont l’utilisateur a besoin pour installer sa propre version modifiée et faire que le produit fonctionne de la même façon, sous réserve que les changements effectués dans le code ne modifient pas la fonction. L’important est que non seulement l’utilisateur puisse être capable d’installer et faire fonctionner une version modifiée, mais encore que celle-ci doit être capable de faire la même chose que l’original.

Il faut noter que Stallman ne croit pas nécessaire d’abolir complètement le copyright, il propose juste de le restreindre un peu ; la durée exacte pouvant faire l’objet de débat :

« Ma proposition de faire durer le copyright 10 ans à partir de la date de publication se veut conservatrice. Je pense que 5 ans suffisent et je n’ai rien contre une période plus courte encore mais je ne me battrai pas pour ça. »

D’après Stallman, l’avantage de cette « modeste proposition » est qu’elle ne requiert pas de grandes modifications législatives. Alors que ce serait bien le cas pour les mesures de protection de l’utilisateur qui seraient nécessaires afin de préserver la liberté du logiciel si le copyright venait à disparaître.

Il est plus facile de faire pression pour ramener le copyright à ses conditions d’origine (14 ans pour les nouvelles oeuvres avec, en option, 14 années supplémentaires) plutôt que pour l’abolir complètement. C’est ironiquement une approche très pragmatique, alors même que Stallman est souvent accusé du contraire.

Notes

[1] Crédit photo : Sebastian Oliva (Creative Commons By-Sa)