Microsoft ou les vertus de la monoculture

Zach Klein - CC byPensez-vous par exemple que la pléthore de distributions GNU/Linux soit une qualité de l’OS et le témoignage de la vivacité de sa communauté ou bien au contraire qu’on aboutit à une situation confuse où trop de choix tue le choix ?

Sur cette thématique assez classique de la pertinence de la pluralité du choix, voici la traduction d’un article (un peu technique mais fort intéressant) d’un développeur américain James Turner sur le site d’O’Reilly.

Extrait :

Alors, quels sont les avantages d’une monoculture et pourquoi Microsoft gagne-t-il si souvent quand les gens doivent choisir une plateforme ? C’est en grande partie à cause de ce que la communauté open source voit comme une force mais que ceux qui essaient de faire leur boulot dans le monde réel voient comme une faiblesse. Nous célébrons la diversité de choix disponibles pour résoudre un problème et nous appelons cela la liberté. Les directeurs informatiques et les patrons de la branche informatique (IT managers et CIOs en anglais) y voient du chaos, de la confusion et des doutes.

Pour ceux qui comme nous sont attachés à la liberté, avoir le choix est bien entendu une valeur fondamentale. Mais il peut en aller autrement dans le monde pragmatique de l’informatique professionnelle où c’est souvent l’efficacité qui est privilégié. Et alors dans ce contexte Microsoft conserve de sérieux atouts avec ses offres monoculturelles sécures et rassurantes[1].

Les vertus de la monoculture

The Virtues of Monoculture

James Turner – 24 avril 2007 – Opinion
(Traduction Framalang : Don Rico et Yostral)

Je ne dis certainement rien de nouveau ici, mais j’ai pensé que je pourrai partager quelques réflexions sur les raisons qui poussent les gens à suivre la voie Microsoft. J’ai récemment fait quelque chose dans mon travail de tous les jours auquel je pensais depuis longtemps, mais pour lequel je n’ai jamais vraiment pris la peine d’aller jusqu’au bout, je me suis inscrit pour participer à un projet Microsoft-centrique et pour apprendre le .NET.

J’avais fait des tentatives avortées par le passé pour apprendre à coder dans l’Univers Microsoft. J’avais fait un essai à la sale époque des COM, mais le nombre de numéros qu’on me demandait d’exécuter me demandait trop d’effort par rapport à ce que j’étais alors prêt à consentir. Depuis j’ai gardé ce mauvais goût au fond de la bouche et j’ai refusé d’ajouter une seul compétence Microsoft à mon répertoire, même si cela représentait parfois un vide dans mon curriculum vitæ.

J’ai souvent travaillé dans des environnements où il y avait ce Monsieur Microsoft, l’évangéliste qui vous répète sans cesse à quel point ça aurait été plus facile en .NET. Je les ai classés dans la catégorie adorateurs de Gates buveurs de Tang*. Mais, à la fin de la journée, je me suis dit que si je devais les critiquer je devais vraiment comprendre leur monde. Connais ton ennemi et tout ça.

J’ai passé la semaine dernière à apprendre dans l’ordre C#, .NET et VSTO (c’est Visual Studio Toolkit for Office, si les abréviations de Microsoft ne sont pas votre tasse de thé). J’ai utilisé le livre Learning C# de chez O’Reilly et j’ai fait quelque chose qui m’arrive rarement : je m’y suis mis de manière très méthodique (du moins pour la première moitié).

Et devinez quoi? Microsoft possède dans ses mains une suite de développement plutôt bonne. Pour être honnête, C# est vraiment ce que je ferai si je pouvais complètement ré-écrire Java sans me soucier de la compatibilité descendante. Il y a quelques fonctionnalités vraiment sympas, comme les mots-clés virtual, override, et new qui vous permettent de spécifier ce qu’il se passe lorsque vous transtypez une classe dans sa classe de base et que vous appelez une méthode qui est définie dans les deux.

Visual Studio est un outil habile qui vous permet vraiment de créer des applications (et avec VSTO des ajouts pour Office) en deux temps trois mouvements. ADO.NET n’est pas pire que JDBC et s’intègre de manière transparente dans Visual Studio. J’ai été capable, arrivé à la fin de la semaine, de développer des applications autonomes et des ajouts pour Office qui étaient capable de dialoguer avec les bases de données en n’ayant écrit que peu de code. D’après ce que j’en ai vu, ASP.NET réalise la même chose pour les applications web MVC (NdT : Model View Controller).

Alors, quels sont les avantages d’une monoculture et pourquoi Microsoft gagne-t-il si souvent quand les gens doivent choisir une plateforme ? C’est en grande partie à cause de ce que la communauté open source voit comme une force mais que ceux qui essaient de faire leur boulot dans le monde réel voient comme une faiblesse. Nous célébrons la diversité de choix disponibles pour résoudre un problème et nous appelons cela la liberté. Les directeurs informatiques et les patrons de la branche informatique (IT managers et CIOs en anglais) y voient du chaos, de la confusion et des doutes.

Est-ce que je devrais utiliser iBatis ou Hibernate? XFire ou AXIS? Perl, PHP ou Ruby? Debian, Fedora, Ubuntu ou Suse? Si vous prenez la mauvaise décision vous pouvez perdre énormément de temps, comme nous l’avons découvert sur un projet récent où nous avons gâché une semaine à essayer de faire marcher AXIS2 pour un projet de service web pour finalement nous rendre compte que XFire était ce qu’il nous fallait.

Pour Monsieur Microsoft cette confusion n’existe pas. Vous utilisez ADO.NET, ASP.NET, C# et Windows. Ils fonctionnent tous, ils sont tous bien documentés du point de vue des besoins des développeurs, sans un seul regarde le code source désobligeant. A chaque fois que je pensais que j’allais être bloqué il y avait une douzaine d’articles expliquant comment faire exactement ce que je voulais faire, avec un exemple de code qui était à jour avec les versions du logiciel que j’utilisais et qui répondait vraiment au problème que je cherchais à résoudre.

Microsoft apporte le confort de ne pas avoir à choisir. Avoir le choix n’est pas toujours bon et la communauté open source offre parfois bien trop de manières différentes de plumer un canard, des choix qui sont pris plus par fierté, ego ou entêtement que par une authentique nécessité d’avoir deux alternatives différentes. Je ne montrerai personne du doigt, tout le monde connaît des exemples.

En fait, à moins que vous ne pensiez que je me sois tourné vers le Côté Obscur, le GROS problème avec une monoculture, c’est que vous vendez plus ou moins votre âme pour la stabilité d’un ensemble de choix défriché pour vous. En empruntant le chemin .NET, en gros, vous vous y perdez à tout jamais, et ce malgré Mono. Vous travaillerez toujours sur une plateforme Windows. Vous avez le joli anneau en or, mais Sauron tire les ficelles et vous fait danser. Pour beaucoup d’entreprises, celles qui n’ont pas besoin de se soucier du déploiement dans un environnement hétérogène, c’est un pacte qu’elles sont plus que prêtes à conclure.

Voici ce que je retiens de toute cette réflexion : en quelque sorte, nous devons commencer à faire le tri. La massue de 350kg pour faire entrer certaines idées dans les têtes devrait être mise à disposition pour marteler les têtes de ceux qui fourchent (NdT : qui créent un fork une déviation indépendante d’un projet) pour la seule et unique raison qu’ils ne sont pas en accord avec la licence, ou de ceux qui prennent les décisions. Quand on entend parler de deux (ou plus) projets qui répondent à la même problématique, on devrait se demander « Pourquoi ne mettent-ils pas en commun leurs efforts pour fournir une très bonne solution? » plutôt que de célébrer la diversité uniquement pour l’amour de la diversité.

A-ton vraiment besoin de Ruby on Rails ET de Groovy on Grails? Quand ils ont annoncé le poisson d’avril de Python on Planes j’ai mis quelques secondes pour réaliser que c’était un canular, parce que c’est exactement le genre d’effort faire quelque chose pour l’amour de le faire qui fractionne la communauté des logiciels open source. Il n’y a aucun moyen d’empêcher les gens de commencer des projets en double, et nous ne le voudrions pas, mais bon sang, doit-on l’encourager activement ?

On passe beaucoup de temps à se plaindre des moyens démoniaques qu’emploie Microsoft pour s’imposer partout. En faisant cela, nous nous lavons automatiquement de toute responsabilité que nous pourrions nous-même porter pour leur succès ou nos échecs. Le fait est qu’il existe d’excellentes raisons pratiques qui poussent les gens dans les bras de la boîte à outil de Redmond et nous devons accepter ceci comme un fait et en tirer des leçons plutôt que d’agiter nos poings en blamant l’obscurantisme. Car nous avons trouvé notre ennemi et c’est nous, pas Microsoft, du moins pas tout le temps…

Notes

[1] Crédit photo : Zach Klein (Creative Commons By)




Framasoft doit-il cesser d’être « Sage » pour ne plus être accusé de contrefaçon ?

ThinkDraw - CC byVoici une histoire assez surréaliste mais malheureusement bien révélatrice du climat ambiant.

L’annuaire de logiciels libres Framasoft contient une notice d’une sympathique extension Firefox répondant au doux nom de « Sage » et qui permet de lire facilement les flux RSS depuis le célèbre navigateur.

Or il se trouve que c’est également le nom adopté, que dis-je adopté dé-po-sé, par un éditeur français de solutions logicielles (propriétaires) de gestion d’entreprise[1].

Accusé Framasoft levez-vous !

Du coup en tant que président de l’association qui anime Framasoft, j’ai eu droit à cette lettre recommandée avec accusé de réception que je vous reproduis intégralement ci-dessous en ayant simplement anonymisé son expéditeur.

FRAMASOFT
A l’attention du Président

Paris, le 7 novembre 2006

Envoi par lettre recommandée avec accusé de réception.

OBJET : Interdiction d’utilisation des marques « Sage»

Monsieur,

Nous avons pu constater que votre association utilise la marque Sage pour désigner l’un des logiciels que vous avez développé et décrit sur votre site www.framasoft.net

Or cette marque est une marque déposée par notre société le 14 octobre 1988 sous le numéro 1360796 et concerne notamment la désignation des progiciels dont nous sommes éditeurs. Comme vous ne pouvez l’ignorer, toute utilisation de nos marques pas un tiers non autorisée constitue une contrefaçon entraînant la responsabilité pénale de son auteur, y compris des personnes morales.

Aussi, par la présente, nous vous mettons en demeure de cesser immédiatement toute utilisation de la marque « Sage ».

Nous vous remercions de nous confirmer par retour de courrier que vous cessez l’utilisation illicite de notre marque sans délai.

Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.

C… P…
Juriste

Et voici donc Framasoft accusé carrément de contrefaçon et mis en demeure de cesser immédiatement toute utilisation de la marque « Sage » !

La parole est à la défense…

Heureusement, depuis le temps, on s’est fait quelques amis parmi les juristes 😉
Grand merci donc à leto_2 pour son aide apportée à la réponse ci-dessous envoyée le 18 décembre 2006.

Madame,

Je fais suite à votre lettre en date du 7 novembre 2006 et qui appelle de la part de notre association les réponses/précisions/rectifications suivantes.
Votre demande nous semble irrecevable sur la forme, comme mal dirigée, mais également mal fondée.

1- Mal dirigée

En effet, vous affirmez que nous utilisons la marque Sage pour désigner un logiciel que nous aurions développé.

En réalité, notre association ne développe aucun logiciel répondant à ce nom.
La page à laquelle vous semblez faire allusion (http://www.framasoft.net/article2916.html) n’est qu’une description d’un logiciel développé par un tiers, dont le lien est clairement indiqué ("SITE OFFICIEL").

Par conséquent, votre requête qui nous est adressée en tant qu’éditeur du logiciel litigieux est mal dirigée.

Si la contrefaçon que vous alléguez devait être confirmée par une décision définitive de justice, nous en tirerons toutes les conséquences.

Dans cette attente, notre association ne peut ni se substituer à une autorité judiciaire ni préjuger de sa décision.

2- Mal fondée

Sur le fond, il n’est d’ailleurs pas acquis que cette infraction soit retenue.

En effet, vous faites référence à une marque déposée par votre société le 14 octobre 1988 sous le numéro 1360796.

Ce numéro de dépôt correspond dans le registre de l’Institut National de la Propriété Industrielle à la marque GRANEROS, déposée par la Société anonyme RALSTON PURINA FRANCE, productrice de produits agricoles.

En réalité, le dépôt auquel vous faites référence est celui réalisé auprès du Patent Office du Royaume-Uni par la société The Sage Group plc.

Or comme vous devez le savoir, ce dépôt est inopposable en France, en vertu du principe de territorialité du droit des marques.

Cette société a procédé le 1er avril 1996 à un dépôt en tant que marque communautaire, qui lui est opposable en France, sous le numéro 2387.

Mais le droit des marques est également soumis au principe de spécialité, en vertu des articles L713-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Ainsi l’enregistrement de la marque ne confère à son titulaire un droit de propriété que pour les produits et services qui auront été désignés au dépôt.
Or, le dépôt communautaire désigne en classe 9 les "Logiciels de finance et logiciels de comptabilité. Logiciels pour la gestion de la trésorerie comptable financière. Logiciels d’interface bancaire et logiciels pour la gestion de communications".

En ce qui concerne le logiciel qui motive votre lettre, sa destination est toute autre. Il s’agit d’une extension au navigateur internet Mozilla Firefox qui permet de lire les fils de nouvelle RSS (Really Simple Syndication).
L’usage du mot Sage ne semble donc pas ici employé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. Dès lors, il ne constituerait pas une contrefaçon.

Pour ces motifs, nous ne pouvons donner suite à votre demande.

Nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de notre considération distinguée.

Alexis Kauffmann
Président de l’association Framasoft

La suite au prochain épisode…

Notes

[1] Crédit photo : ThinkDraw (Creative Commons By)




De l’économie du logiciel libre

Dis papa, comment qu’ils font pour vivre les développeurs de logiciels libres ?
Euh… tu m’en poses de ces questions toi, tu ne vois pas que je suis occupé ! Va écouter Frédéric Couchet sur le Framablog et on en reparle d’accord ?!
Pfff… d’accord.

Cette vidéo est un extrait du Temps du Libre n°1 réalisé par Lionel Allorge.
Elle est sous licence Verbatim, elle peut-être reproduite par n’importe quel moyen que ce soit, pourvu qu’aucune modification ne soit effectuée et que cette notice soit préservée.
Frédérice Couchet est Délégué Général de l’APRIL, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre.