Beginning with Code_Aster, un nouveau Framabook
Sortie de Beginning with Code_Aster, un livre de Jean-Pierre Aubry
Framabook a le plaisir de vous faire part de la parution d’un nouvel ouvrage qui vous initiera à la méthode des éléments finis.
Vous trouverez des détails sur l’ouvrage sur sa page Framabook. Son auteur, Jean-Pierre Aubry, est ingénieur à La Machine, célèbre compagnie de théâtre de rue dont la particularité est entre autres de présenter de gigantesques structures artistiques.
À l’occasion de la sortie de son livre, Jean-Pierre Aubry a bien voulu répondre à quelques questions à propos de ses activités et de ce manuel paru dans la collection Framabook. Framabook : Bonjour Jean-Pierre. Tu publies un ouvrage plutôt complexe sur la méthode des éléments finis dans la collection Framabook. Ce manuel a ceci de particulier qu’il introduit à l’utilisation de Code_Aster. Comment as-tu découvert ce logiciel libre ?
Jean-Pierre Aubry : J’ai commencé ma carrière il y a bien longtemps déjà en concevant des voiliers avec Philippe Harle. Et dès le début des années 1970 nous utilisions un calculateur électronique (Hewlett Packard 9810, si je me souviens bien) pour automatiser certaines tâches de conception répétitives impliquant du calcul numérique. À cette époque, le terme ordinateur n’était pas encore omniprésent, les machines n’avaient pas d’écrans, et les résultats étaient des chiffres imprimés sur une bande de papier.
En 1986 j’ai participé à la conception d’un voilier pour lequel le CEA (Cadarache) avait offert des moyens, matériels et humains, en matière de calcul par éléments finis, pour valider un module de calcul adapté aux matériaux composites, cette collaboration m’avait ouvert les yeux sur les possibilités de cette méthode… qui est devenue, par la suite, un fil conducteur dans ma vie professionnelle, hormis peut être le passage par la conception des appareils à pression de gaz, ou des citernes de transport de matières dangereuses, de l’essence aux composés les plus dangereux en passant par les acides chlorhydrique ou fluorhydrique par exemple. En effet ces objets sont conçus selon des règles empiriques (au vrai sens de ce terme, souvent galvaudé) datant de la fin du XIXe siècle, soigneusement améliorées depuis et considérées, par toutes les autorités du monde, comme suffisantes.
Précédemment j’avais été responsable du département simulation numérique d’un bureau de recherche et développement où nous utilisons le logiciel SAMCEF®, un poids lourd de la catégorie.
Le passage sous licence GPL de Code_Aster en 2001 est un événement qui n’était passé inaperçu aux yeux de personne dans la communauté des utilisateurs de logiciels de modélisation numérique, mais la réputation d’être rébarbatif était telle que je ne m’y étais pas intéressé. C’est presque tout naturellement qu’en 2005, pour les travaux de La Machine, nous avons fait l’acquisition d’une licence de SAMCEF® qui, pour quelques dizaines de milliers d’euros, était encore bien loin d’être complète. Parallèlement je menais une veille technologique et j’avais déjà regardé plusieurs logiciels open source de calcul par éléments finis. Il y en a des dizaines mais aucun d’eux ne couvrait vraiment nos besoins.
En 2007 j’ai sauté le pas, téléchargé le live CD de CAELinux contenant Salome-Meca et Code_Aster (j’utilisais déjà plus ou moins régulièrement Gmsh) et je m’y suis mis. Les débuts ont été laborieux et après deux ans de travail en parallèle avec le logiciel précédent, j’ai considéré que je savais utiliser Code_Aster et qu’il donnait les résultats attendus. Et voilà « by appointement to La Machine » pour Code_Aster !
FB : Depuis la libération de ce logiciel par EDF, une communauté Code_Aster a vu le jour, et dont tu es l’un des membres. Peux-tu nous présenter cette communauté et ses activités ?
JPA : En fait il y a deux entités quelque peu distinctes.
D’une part il y a une communauté informelle autour de Code_Aster, ce sont des utilisateurs qui s’entraident par l’intermédiaire de plusieurs forums hébergés sur le site de Code_Aster. On y trouve principalement des questions concernant l’installation, l’usage voire le développement et cela s’apparente à une auberge espagnole. C’est d’ailleurs après avoir participé à quelques centaines d’interventions sur ces forums que m’est venue l’idée d’écrire ce livre. Au moment où sa rédaction s’achève, je constate d’ailleurs que les quelques centaines de participations sont en passe de devenir deux milliers.
D’autre part, il existe une communauté formelle plus restreinte, le réseau ProNet, regroupant les entreprises qui utilisent Code_Aster à titre professionnel soit pour la réalisation de calculs pour leur propre usage, soit en tant que sociétés de services. Et là hormis la promotion de Code_Aster, voire son enseignement, les questions évoquées sont plus spécialisées.
FB : Dès le premier chapitre, tu signales que le livre n’est ni un livre d’ingénierie mécanique ni un livre dédié au design structurel. Pourquoi ce choix d’en rester à la méthode des éléments finis ?
JPA : En fait c’est assez simple : en plus de 300 pages je n’ai couvert que quelques centièmes des capacités de Code_Aster, dont je ne connais probablement pas beaucoup plus d’une grosse dizaine, et j’ai dû faire des choix pour avoir un fil directeur et ne pas trop m’évader. Ajouté à cela, un précis de conception de structure aurait produit un livre bien plus volumineux et m’aurait amené sur des terrains où mes connaissances sont encore bien trouées(1) !
Quoi qu’il en soit, les deux sujets sont fondamentalement différents. Le calcul de structure dans sa déclinaison éléments finis n’est qu’une AIDE à la conception. De nombreuses structures remplissant correctement leur rôle ont été construites sans aucune simulation numérique. Caravelle et Concorde ont été conçus à l’époque où l’outil de conception des bureaux d’étude le plus avancé était une règle à calcul (c’est sur un objet de ce type que s’appuie le personnage représenté sur la couverture). A contrario il est tout à fait possible de faire la justification par la méthode des éléments finis d’une structure médiocre voire dangereuse !
FB : La Machine… c’est quoi ? tu y fais quoi avec Code Aster ? Tu utilises d’autres logiciels libres ?
JPA : La Machine est à l’origine une troupe de théâtre de rue produisant ses propres spectacles et construisant les « marionnettes » qui sont les vraies actrices du spectacles. Le mot « marionnettes » se réfère plus à leur mode de fonctionnement qu’à leur taille car celles-ci mesurent entre 10 et 20 m, longueur et hauteur, pour un poids de plusieurs dizaines de tonnes. Elles évoluent au milieu du public, dans des spectacles gratuits. Le risque qu’elles représentent est important et impose un dimensionnement rigoureux, sans parler de l’environnement réglementaire de plus en plus contraignant. Prévenir ce risque en matière de structure est ma responsabilité ici.
Ceci nous a amenés à une chaîne de conception qui n’a rien à envier aux industries les plus avancées avec les mêmes outils de conception assistée par ordinateur. La petite poignée de dizaines de milliers d’euros investie dans un logiciel de calcul par éléments finis (et encore pour une version basique) me laissait assez insatisfait alors que tout le reste de mon travail était déjà réalisé avec des logiciels libres, sous Linux, avec Gnumeric pour tous les calculs, LaTeX pour la rédaction des documents, etc.
FB : Ce livre est en anglais (et en couleur). Pourquoi ce choix ?
JPA : En anglais parce que ce langage est dominant sur le forum utilisateur de Code_Aster et dans la communauté scientifique en général. Si je peux me permettre une petite digression ici : c’est en s’exprimant en anglais que la communauté scientifique francophone se fait connaître du reste du monde et en sort renforcée.
En couleur ? Ouvrez les pages consacrées à la visualisation des résultats et essayez de les imaginer en nuances de gris. On passe du rouge au noir pour la zone des valeurs maximum qui posent problème, et du bleu au noir pour les zones des valeurs minimum qui peuvent en poser aussi, alors que les valeurs intermédiaires au demeurant moins critiques sont représentées en nuances de gris !
FB : Le fait que Code Aster soit libre, est-ce que cela est un avantage pour les métiers qui l’utilisent ?
JPA : Code_Aster permet de réaliser tous les calculs, des plus simples aux plus sophistiqués, pour un coût d’acquisition nul. L’investissement intellectuel nécessaire à sa prise en main dépend essentiellement des antécédents de l’utilisateur, et à mon sens, il n’est que marginalement supérieur à celui des logiciels commerciaux. En fait, une utilisation avancée d’un code commercial va finir par se faire en passant par dessus la fameuse interface graphique utilisateur et là on revient à égalité avec Code_Aster. À ce stade, la différence n’existe plus : l’utilisateur de Code_Aster a appris depuis longtemps à poser le problème hors de cette interface.
Pour les utilisateurs avancés, la possibilité d’intégrer facilement ses propres développements au sein même du code est un avantage déterminant. Et, last but not least, la communauté des utilisateurs offre, via son forum, une réponse plus rapide que la plupart des hot lines commerciales.
Note
(1) Ceci étant, l’idée de faire un livre « Le calcul de structure, c’est quoi ? pour les nuls » est une idée qui me trotte dans la tête depuis des dizaines d’années. Le modèle du genre étant à mon sens ceci : http://en.wikipedia.org/wiki/J.E._Gordon