CHATONS, le collectif anti-GAFAM ?
Suite à la mise en place de la campagne Dégooglisons Internet, Framasoft souhaite impulser la création d’un Collectif d’Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires (C.H.A.T.O.N.S. ! 😛 ).
Ce collectif rassemblerait les organisations souhaitant proposer des services alternatifs à ceux de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), respectueux de la vie privée des utilisateurs.
Le projet n’en est qu’à ses débuts et ne sera pas ouvert au public avant plusieurs mois, mais ce billet permet d’informer les actuels hébergeurs de services libres de l’initiative.
Rappel des épisodes précédents
Depuis son lancement en octobre 2014, notre campagne « Dégooglisons Internet » a rencontré d’excellents échos. Que cela soit dans la presse, ou bien entendu, auprès du public.
Rappelons que ce projet, qui s’étale sur plusieurs années, vise à résister à la colonisation du web par Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft (GAFAM pour les intimes, et la totalité des internautes sont, justement, très intimes avec eux).
Pour cela, nous nous étions fixés trois objectifs :
1 – Sensibiliser le grand public aux dangers (avérés, mais surtout à venir) d’une trop grande centralisation des services web :
- dépendance à des outils contrôlés à distance par d’autres ;
- marchandisation de nos données personnelles ;
- surveillance généralisée facilitée pour les états (telle que révélée entre autre par Edward Snowden) ;
- frein à l’innovation du fait de la puissance financière de ces sociétés. Pour information, Alphabet, la maison mère de Google, est la première capitalisation boursière mondiale (la seconde étant… Apple). Jamais notre monde n’a connu d’entreprises aussi riches ;
- un « débordement » du cadre web qui devrait nous interroger (voiture sans chauffeur, investissement dans les biotechnologies, la robotique, des projets pas du tout farfelus pour connecter toute la planète, des objets connectés surveillant nos faits et gestes, des incursions dans le domaine politique, etc.).
2 – Démontrer que le logiciel libre était une alternative (probablement la seule, d’ailleurs) aux services de GAFAM.
Pour cela, nous avons mis en place plus d’une quinzaine de services en ligne respectueux de vos données. Et une quinzaine d’autres devraient suivre dans les 18 prochains mois.
3 – Essaimer notre démarche, afin de ne pas nous-mêmes devenir un « espace centralisé »
Un bilan positif
Sur le premier point (sensibilisation), nous sommes satisfaits du résultat :
- de très nombreux articles de presse ont fait connaître notre démarche ;
- nous avons tenus des stands aux quatre coins de la France, donné plusieurs dizaines de conférences, presque autant d’ateliers ;
- nous soutenons la diffusion du documentaire « Les Nouveaux Loups du Web » qui soulève une partie des problèmes cités plus haut.
Sur le second point (démonstration), il semblerait que ça soit plutôt vous, le public, qui êtes satisfaits 🙂 :
- les services web Framasoft sont massivement et de plus en plus utilisés ;
- les donateurs ont répondu présents (merci !) ;
- le nombre de tickets sur notre support (241 en janvier) est aussi un bon indicateur 😛
Sur le troisième point (essaimage), il semblerait que la rencontre ait eu lieu : nous avons appris (parfois par hasard !) que de nombreux « clones » de nos services avaient été mis en place (Diaspora Nouvelle Donne, Framadate ici ou là, MyPads, etc.)
Mais aussi des faiblesses
Pourtant, nous savons que nous allons dans le mur !
Pour l’instant, nous n’avons pas de problème pour fournir le service. Grâce à vos dons, nous avons pu embaucher un administrateur système à temps plein, ce qui va nous permettre de stabiliser l’infrastructure technique (une quarantaine de machines virtuelles, tout de même).
Cependant, cette croissance permanente n’est pas tenable à long terme.
Certes, nous pourrions demander plus de dons, pour embaucher plus, maintenir plus de machines. Mais cela ne nous parait pas être une bonne solution : nous n’avons pas envie de courir derrière l’argent, et surtout cela ferait de Framasoft, à terme, un service centralisateur du même type que celui contre lequel nous essayons de résister !
Et, non, pour répondre à une demande récurrente, il n’est pas question pour nous de proposer des services payants, car nous n’avons pas envie de gérer des clients. Ça, c’est le travail d’entreprises du libre (et elles ne manquent pourtant pas). Framasoft est une petite association et ce statut nous convient tout à fait.
Framasoft : une AMAP du libre ?
Vous pouvez voir Framasoft comme une AMAP du logiciel libre, en quelque sorte. Ce type d’organisation ne fait sens que si la taille en reste raisonnable, que s’il y a proximité entre le producteur (Framasoft) et les utilisateurs (vous !).
Dit plus clairement : nous ne cherchons pas de solution technique ou financière à une crise de croissance. Même si cela peut paraître paradoxal, nous souhaitons d’ores et déjà anticiper le ralentissement de cette croissance ! 🙂
Une forme de sobriété volontaire qui pourra sans doute en étonner certains, mais qui parait relativement logique si on ne souhaite pas « industrialiser » les processus car cette industrialisation, justement, génère des effets de bords négatifs pour la vie privée de nos utilisateurs. Nous sommes fiers de notre indépendance (grâce à vos dons), et de notre côté « artisan du web » qui peut encore prendre le temps de discuter/débattre avec ses utilisateurs.
Des chatons (et de la bière ?) pour libérer le monde !
Pour les raisons évoquées ci-dessus, Framasoft souhaite aujourd’hui renforcer son objectif d’essaimage.
Nous nous proposons aujourd’hui d’impulser la création d’un collectif nommé C.H.A.T.O.N.S. pour : Collectif d’Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires.
Pour faire court, CHATONS serait un peu aux services libres ce que la Fédération FDN est aux fournisseurs d’accès internet libres : un moyen de rassembler, de mutualiser, de décentraliser, de donner de la visibilité, de fédérer autour de valeurs communes, de faciliter l’essaimage, mais sans pour autant centraliser, rigidifier, contrôler ces structures.
Pour faire plus long, reprenons les objectifs possibles d’un tel collectif,
:1 – Rassembler
Il existe en fait déjà de nombreux hébergeurs de services en ligne libres et alternatifs, dont certains existent depuis bien, bien plus longtemps que Framasoft.
Citons, par exemple (et par ordre alphabétique) :
- https://indiehosters.net
- http://infini.fr
- https://lautre.net
- https://ouvaton.coop
- http://rhien.org
- https://tuxfamily.org
- https://zaclys.com
- Etc. (cette liste est très loin d’être exhaustive)
L’un des objectifs serait de proposer à ces différentes structures, si elles le souhaitent, de rejoindre le collectif.
2 – Mutualiser
Les libristes aiment leur indépendance, elle est parfois une force qui nous permet de faire preuve d’innovation, de résilience, de créativité, de réactivité. Et elle est parfois un faiblesse, qui nous fait réinventer la roue, non pas par plaisir, mais juste par ignorance que d’autres ont déjà trouvé une solution à notre problème.
L’un des objectifs serait de partager l’information et les bonnes pratiques, sans pour autant imposer ces dernières.
3 – Décentraliser
Framapad est en rade ? Vous cherchez un service de sondages plus poussé que Framadate ? Vous voulez quitter Gmail, sans savoir chez quel fournisseur prendre votre email ?
Framasoft ne couvre pas l’ensemble des besoins, et ne propose aucune garantie de disponibilités dans ses Conditions Générales d’Utilisation. Il serait donc utile de répartir la charge et les services sur différentes organisations, non seulement pour éviter les silos de données, mais aussi pour s’assurer de ne laisser aucun utilisateur dans l’impasse.
L’un des objectifs serait de mettre en réseau les différentes organisations volontaires, afin qu’elles puissent proposer des services complémentaires (voir redondants) aux utilisateurs.
4 – Donner de la visibilité
Parmi les soucis que Framasoft rencontre, il y a le fait que nous sommes loin de connaître toutes les hébergeurs libres et alternatifs en France ou à l’étranger.
Pour prendre un exemple parmi beaucoup d’autres, nous avons découvert presque par hasard l’association Nanterasso (qui dépend du GUL Nanterrux). Il y a sans doute de nombreuses autres associations de ce type en France.
D’autres structures existantes, comme ouvaton.coop, mériteraient sans doute un coup de projecteur.
L’un des objectifs serait de rendre visible, sur un site web, les différentes structures membres du collectif, ainsi que leurs offres.
5 – Fédérer
Évidemment pour qu’un collectif fonctionne, il faut que ses membres se retrouvent autour de valeurs communes. Sans elles, on finit par ne plus savoir ce qu’on fait là, ce qu’on partage avec l’autre, ni ce qui nous rassemble.
Nous proposons que le collectif rédige :
- un manifeste, pour poser noir sur blanc les valeurs défendues ;
- une charte, permettant à chacun de connaître les règles de gestion du collectif.
L’un des objectifs serait donc de fixer ensemble les règles communes permettant aux membres du collectif de pouvoir promouvoir et défendre efficacement les valeurs qui les rassemble.
6 – Essaimer
Le collectif CHATONS est un collectif « sans compétition » : le but ne doit pas être d’avoir le plus grand nombre d’utilisateurs, puisque les membres souhaitent décentraliser les services. Par conséquent, le collectif veillera à faciliter la création et l’accueil de nouveaux membres.
L’un des objectifs serait d’abaisser « la barrière à l’entrée » pour les nouveaux entrants. Plus il y aura de chatons actifs respectant la charte et le manifeste, mieux cela vaudra pour le collectif.
7 – Partager
Trouver des tutoriels expliquant comment mettre en place tel ou tel service, c’est bien. Mais cela ne permet de réduire efficacement l’écart entre « ceux qui utilisent » et « ceux qui savent comment ça marche ». Nous devons faire de l’éducation populaire, en partageant avec les utilisateurs de nos services. Nous devons être à leur écoute, y compris devant des questions qui nous paraissent parfois naïves : « Au fait, par où passe mon email quand je clique sur « Envoyer », et que l’ordinateur de mon destinataire est éteint ? », « Mais un logiciel propriétaire, ça ne veut pas dire que je suis propriétaire de mes données, justement ? », « Quel problème y a-t-il à utiliser GMail ? C’est gratuit et ça marche bien, non ? »
Ces questions, on nous les pose souvent, mais notre expérience a montré que nous y répondions moins bien par email que quand nous étions face aux personnes, une bière (ou autre breuvage) à la main. L’explication passe mieux, non pas parce que nous serions plus clairs après avoir bu une pinte, mais parce que nous échangeons sur un pied d’égalité avec nos interlocuteurs, qui nous apprennent aussi de leurs usages, de leurs pratiques. Si nous voulons informer objectivement le public pour qu’il puisse faire des choix éclairés, il nous faut le rencontrer, lui parler, échanger, partager. Et sortir de notre tour d’ivoire.
L’un des objectifs serait donc de consacrer du temps à des temps de partages (et non comme souvent des temps d’informations distanciés, parfois professoraux ou dogmatiques), cela n’étant possible que si le collectif dispose d’un réseau suffisamment étendu géographiquement.
Et maintenant ?
Voilà pour l’idée dans les grandes lignes.
Mais, même si nous savons que le diable se cache dans les détails, nous ne souhaitons – volontairement – pas aller beaucoup plus loin pour le moment, afin de faciliter la participation et le débat.
Ce qui a été fait :
- Nous avons déjà contacté en amont quelques structures (notamment celles citées plus haut), ce qui ne veut évidemment pas dire que la participation est close ! (cf « Vous souhaitez devenir un chaton ? » ci-dessous)
- Nous avons déjà commencé la rédaction d’un Manifeste et d’une Charte (en version 0.1, il ne s’agit que d’un brouillon de proposition, les versions finales n’auront probablement rien à voir)
- Nous avons réservé le nom de domaine http://chatons.org, mais le site ne sera pas rendu public avant l’été.
- Nous avons proposé un planning :
- Janvier à juin 2016 – discussions sur la Charte et le Manifeste
- 26/01 – annonce “officielle” du projet CHATONS à Brest
- 9/02 – annonce sur le framablog
- Avril à juin 2016 – mise en place du site web
- Juillet – Annonce aux RMLL (si elles ont lieu !)
- Juillet à Septembre – dernières retouches
- Octobre – ouverture officielle au public
Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un projet interne à Framasoft, même si c’est Framasoft qui l’impulse. Nous serons à terme un chaton parmi les autres. Cependant, pour pouvoir avancer relativement efficacement, nous avons préféré proposer une base de travail (Charte et Manifeste), ainsi qu’un planning indicatif, afin de ne pas nous perdre dans les discussions trollesques que nous, libristes, apprécions tant 😉
Vous souhaitez devenir un chaton ?
Pour l’instant, nous allons débuter la phase de discussion, donc il est encore un peu tôt pour “postuler”, car nous ne saurions vous accueillir, puisque le collectif n’existe pas 🙂
Cependant, si vous pensez pouvoir apporter quelque chose de concret et tangible aux discussions (et non du “yakafokon”), vous pouvez laisser un message en commentaire du billet (en laissant bien votre adresse courriel dans le champ approprié, qui ne sera pas diffusée, au cas où nous souhaiterions vous recontacter).
Bref, pour l’instant, il ne s’agit que d’une idée, donc il va nous falloir un peu de temps pour la structurer avant de la présenter au public. Mais nous souhaitions la présenter ici, car il ne fait aucun doute que Framasoft consacrera une partie de son énergie à ce projet.
Internet est-il cassé ?
Pas encore, mais il est certain qu’Internet, tel que nous le connaissons, est en train de changer. Et pas forcément dans le bon sens.
- Les attaques contre la neutralité du net se multiplient (malgré quelques victoires).
- Google et Apple sont aujourd’hui les deux plus grosses capitalisation boursières mondiales, tous secteurs confondus.
- La valeur de leurs actions équivaut aux PIB d’États « riches » comme l’Argentine, la Belgique ou la Suède.
- La trésorerie des GAFAM leur permettent de faire un lobbying à une échelle jamais connue auparavant, leur assurant à terme d’avoir des lois, des réglementations, qui joueront en leur faveur.
- Cette puissance financière leur permet de racheter n’importe quelle start-up de la planète, leur confiant la maîtrise des innovations.
- La loi de Moore permet d’envisager des collectes, agrégation et analyse de données toujours plus importantes.
- L’internet des objets va accélérer ce mouvement et lui donner une ampleur nouvelle en « sortant » les pratiques de surveillance des périphériques habituels.
- Ces pratiques de surveillance sont adossées à des lois publiées en procédure accélérée, sans recul sur leur efficacité.
Face à ce mouvement de concentration, qui pourrait bien transformer Internet en Googleternet ou Facebookternet, nous ne voyons qu’une seule voie (si vous en avez d’autres à proposer, on prend !) : décentraliser internet en faisant en sorte qu’il demeure tel qu’il a été conçu. Neutre. Ouvert. Interopérable. Libre.
Si nous voulons une économie qui soit aussi sociale et solidaire, il va nous falloir un internet qui soit aussi social et solidaire. Et cela passera entre autre par une diversité d’acteurs indépendants proposant des services web libres, éthiques et respectueux de vos données, décentralisés et solidaires.