Écran bleu de la… santé

Si vous pensiez que la crise du COVID était l’occasion d’une pause dans la déferlante des politiques de santé… disons, discutables… vous vous trompiez lourdement (et on vous invite à lire La stratégie du choc de Naomi Klein).

Aujourd’hui, notre gribouilleur Gee nous cause de la « Plateforme » (aussi nommée Health Data Hub), une nouvelle porte ouverte aux GAFAM sur nos données de santé…

Écran bleu de la… santé

Allez, encore une jolie histoire comme on les aime en France, à base de marchés publics douteux, de fichage en proportions délirantes, de financement massif des GAFAM par l’argent public, de mise sous tutelle américaine, enfin la routine quoi…

Le Geek qui masse les épaules de Gee comme un boxeur, en lui disant : « Vas-y vieux, mords ! Kssss ! Kssss ! » Gee, énervé, fait : « Grrrrmpppphhfffff ! »

Tout commence en mars 2018, lorsque le député Cédric Villani rend son rapport sur l’intelligence artificielle en identifiant, entre autres, la santé comme secteur prioritaire pour le développement de l’IA.

Villani, à la télé, dit : « Il faudrait que soient mis en place des bacs à sable d'innovation pour permettre l'allègement temporaire de certaines contraintes réglementaires et des moyens d'expérimentation en situation réelle. » Gee commente : « Déjà, quand on t'annonce d'emblée qu'on va faire péter les digues dans un milieu aussi sensible que la santé, tout ça pour le bien d'un domaine désigné par un terme marketing – IA – suffisamment flou pour englober pas mal de merdes, ça sent bien le sapin… M'enfin comme disait Lordon, “il suffisait d'entendre Cédric Villani parler de politique pour être convaincu d'abandonner l'hypothèse folle d'une sorte de convertibilité automatique des formes d'intelligence entre elles”. »

Passons maintenant à la loi de juillet 2019 « relative à l’organisation et à la transformation du système de santé » :

Extrait de la loi : « Art. L. 1462-1.-Un groupement d'intérêt public, dénommé “ Plateforme des données de santé ”, est constitué entre l'Etat, des organismes assurant une représentation des malades et des usagers du système de santé, des producteurs de données de santé et des utilisateurs publics et privés de données de santé, y compris des organismes de recherche en santé. Il est notamment chargé : 1° De réunir, organiser et mettre à disposition les données du système national des données de santé mentionné à l'article L. 1461-1 et de promouvoir l'innovation dans l'utilisation des données de santé ; » Gee explique : « Traduction : un nouveau fichier géant ! »

Un politicien fait la fête avec champagne et chapeau sur la tête : « Eh oui ! Félicitations à l'État français ! Yoopy ! Et pour l'achat d'un douze-millième fichier disproportionné et dangereux, vous gagnez 20 ans d'abonnement à “Sociétés Orwelliennes pour les Nuls” ! Braavooooooo ! » À côté, Marianne fait mine de faire la fête également, avec un gros air blasé sur le visage.

Oui, car ici, on parle de rien de moins que la fusion des données de l’Assurance Maladie (visites chez le médecin, remboursements, etc.), des bases de données de tous les établissements hospitaliers du pays et du fichier des causes médicales de décès.

En somme, les données de santé détaillées des 67 millions de personnes résidant en France.

Une femme avec un chapeau CNIL dit : « Alors je sais qu'on va dire que je passe mon temps à casser l'ambiance, m'enfin là, quand même, ça pue. » Un homme avec un chapeau ANSSI ajoute : « Je suis d'accord, et on va suivre de près le volet technique, parce qu'il s'agirait pas de faire n'importe quoi avec des données aussi sensibles… »

Avril 2020, en pleine crise du Covid, ce qui devait arriver arrive… le gouvernement en profite pour ordonner la mise en fonction anticipée de la Plateforme contre toutes les recommandations.

Édouard Philippe et Macron sont représentés en train de pisser sur les têtes des deux personnages CNIL et ANSSI. Philippe dit : « C'est curieux, chez les experts en sécurité informatique, ce besoin de faire des phrases… »

Et devinez qui-qui est choisi pour héberger ce fichier massif de nos données de santé ?

Qui-qui ?

Hein, qui-qui ?

La Geekette demande : « Une entreprise française pour garantir la localisation des données sur le territoire, et donc leur sécurité et notre contrôle dessus ? Tout en évitant de balancer de l'argent public pour financer une boîte étrangère ? Ou d'élargir encore plus l'hégémonie hallucinante des mastodontes type GAFAM ? » Gee répond en souriant : « Exactement ! »

La Geekette, surprise : « Sérieux ?! » Gee explose de rire et dit : « Haha ! Mais bien sûr que non !  C'est MICROSOFT qui a été choisi ! »

Microsoft.

Oui.

À ce niveau-là, c’est plus du foutage de gueule, c’est une performance artistique.

On rappellera au passage que Microsoft fournit déjà des solutions logicielles à nos Ministères de la Défense et de l’Éducation Nationale, rien que ça.

Gee, allongé sur une chaise longue, lit un livre et commente : « C'est pas grave ! La défense, la santé, l'éducation, tout ça, c'est pas du tout crucial pour notre indépendance ! Nan nan nan, ça va, c'est relax !  J'ai lu ça dans “La Géopolitique à l'usage des connards et des gouvernements-traitres à leur pays”. »

Du coup, je propose qu’en 2022, on vote plutôt pour choisir directement le PDG de Microsoft, on gagnera du temps.

La Geekette remarque : « Déconne pas, ce serait un coup à rendre les élections utiles… On serait à deux doigts de socialiser une multinationale. » Gee, un drapeau anarchiste à la main, dit : « Ah mince. Mon plan secret a été éventé. »

Bien sûr, puisque les données transiteront nécessairement par les serveurs de Microsoft aux États-Unis, elles seront exposées au Cloud ACT, loi américaine qui permet aux autorités judiciaires des États-Unis d’aller fourrer leur nez dedans quand ça leur chante.

Un agent des services secrets des États-Unis chante : « We fuck the world. We fuck the children. We fuck the world, the forest and the sea. » L'oncle Sam dit : « Je traduis pour les non-anglophones : “nous sommes la nation de la liberté, nous respectons la vie privée de 67 millions de pécores d'étrangers, faites-nous confiance.” »

Alors je sais, vous allez me dire : mais on peut chiffrer les données avant de les envoyer sur les serveurs de Microsoft, et ainsi profiter du service fourni tout en assurant l’illisibilité des données de l’autre côté de l’Atlantique…

Marianne dit à l'oncle Sam : « Bon, je veux bien mettre mes données dans votre super coffre-fort, mais je garde la clef. Vous comprenez, c'est plus sûr pour moi. » L'oncle Sam répond : « Évidemment. »

… sauf que la Plateforme sera aussi utilisée pour l’analyse et l’exploitation des données qui seront effectuées par… des logiciels Microsoft.

L'oncle sam précise en souriant : « Bon en fait, vous comprenez bien que pour pouvoir traiter vos données, va bien falloir que j'y accède, du coup vous seriez bien urbaine de me laisser la clef. » Marianne, gênée, lui tend en souriant aussi : « Haha ! Suis-je bête ! La voici ! »

Après, soyons indulgents avec nos dirigeants : cela ne fait que 7 ans qu’Edward Snowden a révélé que les agences américaines se torchaient le derche avec la vie privée du monde entier et exploitaient absolument toutes les données qui passaient à leur portée.

Laissons leur un peu le temps d’assimiler.

Rappelons-nous que la plupart d’entre eux n’ont quand même pas inventé l’eau chaude, hein.

Une femme avec une casquette « Club de Rome » remarque : « Nous, ça fait jamais que 50 ans qu'on essaie de leur expliquer que la croissance est incompatible avec la survie de l'espèce humaine à long terme, hein… » Gee, blasé : « J'sais bien. J'me demande régulièrement s'ils sont corrompus, incompétents ou juste complètement abrutis…  Et j'me demande aussi quelle est l'hypothèse la moins inquiétante… »

Comme d’habitude, on aurait bien aimé a minima voir une entreprise française ou au moins européenne hériter de l’affaire (le RGPD, c’est pas la panacée mais c’est mieux que rien)…

Ou même, rêvons un peu, un système public décentralisé avec de l’investissement dans des compétences techniques locales au niveau de chaque établissement hospitalier…

Un irresponsable politique dit en rigolant : « Mais ça, ce serait de l'interventionnisme, voyons. C'est dépassé !  L'État est un consommateur comme les autres ! » Le smiley, pas content : « Visiblement, les appels d'offres transparents pour les marchés publics aussi, c'est dépassé, vu qu'on a refilé le bébé à Microsoft sans… »

Et, enfin, on se désole de constater une fois de plus que l’investissement dans la santé est fait avant tout pour permettre de créer de nouveaux marchés privés solvabilisés par l’argent public, et de monétiser les dernières parcelles de vie privée qu’il nous reste…

La Geekette fait mine d'être agacée : « Tu vois encore le mal partout. » Gee, montre un schéma en disant : « Le mal, je sais pas, mais les conflits d'intérêts, oui. » Le schéma montre les relations entre les différentes protagonistes et les différentes entités concernées. Gilles Wainrib co-dirige Owkin (startup dans le domaine de l'usage de l'IA en santé), financé par Google Ventures (fonds de placement de Google), et est membre de la mission de préfiguration de la Plateforme. Jean-Marc Aubert dirigeait la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques), anciennement en charge de la Platforme.

Car comme le dit l’adage, « un conflit d’intérêt, c’est une coïncidence, dix conflits d’intérêts, c’est la République Française ».

Et en même temps, on savait à quoi s’attendre.

Non ?

Emmanuel Macron est représenté à son bureau, et alterne des vraies citations et des parodies : « “Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner – notre cadre de vie au fond – à d'autres est une folie.” Et moi je dis : soyons fous ! “Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.” Bon, là, on n'a pas fait d'appel d'offres, du coup c'est raccord. “Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal.” Je parle bien sûr des actionnaires de Microsoft, pas du personnel hospitalier, hein. » Le smiley, énervé : « C'est effectivement plus clair comme ça. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 28 août 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




CoopCycle, le projet coopératif qui roule social

Depuis un an, l’actualité a régulièrement mis en lumière les premiers effets déstructurants pour le travail salarié de l’ubérisation de la société : hier les taxis, aujourd’hui les livreurs à vélo…

Et demain sans doute d’autres pans de l’économie réelle vont être confrontés au tech-libéralisme, nouvel avatar du capitalisme prédateur (pardon du pléonasme).
Confrontés de plein fouet à cette problématique, les membres de l’association CoopCycle ont élaboré une réponse originale et peut-être prometteuse : une structure coopérative et un outil crucial en cours de développement, une plateforme numérique.
Les militants de cette opération sont engagés dans une lutte pour un autre rapport à leur propre travail : il s’agit de « rééquilibrer les forces » dans un contexte où jusqu’alors, une poignée d’entreprises imposaient leurs conditions léonines.
Ils inscrivent également leur combat dans une continuité entre les coopératives éthiques-équitables et les biens communs où ils veulent verser leur code.
Bien sûr les libristes seront surpris et probablement critiques sur la licence particulière choisie pour des raisons qui laissent perplexe. Mais c’est l’occasion aussi pour nos lecteurs de suggérer avec bienveillance et bien sûr de contribuer au code, pour qu’aboutisse et se développe cette courageuse et fort intéressante démarche.
Aider cette association à affiner les outils numériques qui rendent plus libres et modifient les rapports sociaux, c’est tout à fait dans la logique de Contributopia.
Comme l’écrivait récemment un certain Bram dans une suite de messages rageurs sur son compte Mastodon :
La techno ça sert à rien si ça change pas la vie des gens.

Voici les prénoms des CoopCycle qui nous ont répondu : Alexandre, Aurélien, Aloïs, Antoine, Basile, Jérôme, Kevin, Laury-Anne, Liova, Lison, Paul, Pauline, Vincent.

Logo de CoopCycle

D’habitude on demande à nos interviewés de se présenter mais je vois bien que vous avez depuis quelques mois une sacrée visibilité médiatique et c’est tant mieux…

Coopcycle – L’explosion médiatique est détaillée sur notre blog Médiapart en toute transparence. Effectivement, ça a explosé au mois d’août en parallèle des rassemblements de livreurs suite au changement de tarification de Deliveroo. Non seulement les journaux ont beaucoup parlé de ces « cyber-grèves » (des travailleurs numériques qui appellent à la déconnexion, ou qui vont empêcher l’utilisation d’un iPad dans un restaurant, c’est original), mais en plus tous étaient unanimes pour condamner le modèle des plateformes.

Tout le monde a entendu parler de votre initiative et s’y intéresse, pourquoi à votre avis ? 

Photo par Shopblocks (CC-BY 2.0)

– L’intérêt pour notre initiative vient à notre avis de l’attente qui existait face à un manque d’alternatives permettant de lutter contre une ubérisation de la société parfois perçue comme une fatalité. Le modèle qui se généralise, c’est l’individu auto-entrepreneur dans la « gig economy », l’économie des petits boulots. Face à des plateformes dotées de très gros moyens, tout le monde est un peu les bras ballants, les pouvoirs publics en tête, qui ont même tendance à encourager, « sécuriser » le modèle des plateformes : en penchant pour une jurisprudence qui empêche la requalification des contrats précaires en contrats salariés, en encourageant la délégation de service public, ou en réduisant les normes sur les activités classiques pour leur permettre de faire face à la concurrence à moindre coût des plateformes…

Photo par Môsieur J. (CC BY-SA 2.0)

En somme, les pouvoirs publics semblent accompagner l’ubérisation (comme le développe le Conseil d’État au sein de ce document), et accepter le dumping et la casse sociale que ces modèles impliquent, tandis que les livreurs, les restaurateurs et les clients se débrouillent avec une évolution qui semble être un fait accompli.
De plus en plus de monde prend conscience que c’est l’ensemble des régimes de protection sociale qui sont menacés, et personne ne savait comment faire pour répondre à ces problématiques.
Notre initiative cristallise donc beaucoup d’espoirs car c’est une proposition positive, mais qui soulève des problématiques structurelles et interroge la possibilité d’une économie des Communs. En tout cas, ce n’est pas une énième réaction de critique passive à une logique que l’on ne serait pas en position de ralentir ou contrecarrer aujourd’hui. Nous pensons qu’une alternative est possible, et nous allons plus loin en concrétisant nos idées. Dans le débat tel qu’il existe aujourd’hui, c’est déjà une perspective séduisante.

À cause de Nuit Debout ? C’est là que tout a commencé ? À cause des conflits sociaux autour de Deliveroo et autres starteupes qui font tourner les jambes des livreurs pour des rémunérations de misère ?

– Ce n’est pas « à cause de Nuit Debout », c’est plutôt « grâce à Nuit Debout » !
Selon nous, c’est plus la possibilité d’une alternative qui intéresse les gens. Le fait que le projet « vienne de » Nuit Debout, la plupart des gens ne le savent pas.
Mais effectivement ce projet n’existerait pas sans Nuit Debout. C’est un des rares événements politiques qui a eu lieu ces dernières années en France, et même si tout ça paraît déjà lointain, il a suscité une vague d’espoir.

Photo issue du site Alternative Libertaire

Ce qui nous a réunis sur la place de la République, c’est la lutte contre la loi El Khomri et la précarisation de nos conditions de travail. À partir de là, on se retrouve à participer aux manifestations, on rencontre le Collectif des Livreurs Autonomes de Paris alors que l’idée n’était encore qu’une idée… C’est ce qui a permis l’émergence de groupes de personnes engagées, militantes ou non, qui cherchent des solutions, mènent des campagnes, montent des projets ensemble. Et un de ces projets, c’est CoopCycle.

 

 

Elle est destinée à qui cette plateforme en cours de réalisation ? Aux livreurs à vélo, aux restaurateurs, aux consommateurs qui se font livrer ?

– La plateforme est destinée avant tout aux livreurs et aux commerçants, c’est un outil d’émancipation. Les collectivités territoriales ont également une place dans ce genre dispositif car cela leur permet de reprendre le contrôle sur l’espace public ainsi que sur les modes de vivre ensemble.

Mais au final, la plateforme en version « communs » est là pour servir à tout le monde, et pour outiller tout le monde. Quant aux clients finaux, nous sommes persuadés que beaucoup de consommateurs seraient prêts à payer un peu plus cher pour que les livreurs aient de bonnes conditions de travail.

Regardez l’engouement pour les Biocoop, regardez aussi la réussite d’Enercoop, qui fournit de l’énergie durable. À leurs débuts, ces derniers étaient 50 % plus chers que l’opérateur historique et pourtant, ils ont réussi à séduire des clients conscients, qui veulent consommer autrement.

Pour la livraison de repas à domicile, qu’on soit client ou restaurateur, on peut très bien vouloir consommer et commercer de façon éthique et équitable, mais si les seuls outils disponibles sont ceux des capitalistes, on se retrouve à consommer et travailler au profit du capitalisme, qu’on le veuille ou non.
CoopCycle est donc une initiative de reprise en main de la logique des plateformes afin de permettre un rééquilibrage du rapport de force en faveur des livreurs et des restaurateurs dans le secteur de la livraison.

C’est quoi cette licence bizarre que vous avez exhumée des tréfonds du web ? pourquoi celle-là plutôt que d’autres parmi les nombreuses licences libres ?
— La licence qui encadre l’application que nous développons restreint l’utilisation à des groupes de livreurs qui se lancent en coopérative ou respectent des critères de réciprocité. Le fait que dans ce cadre son utilisation serait gratuite fait que la marge qu’ils peuvent proposer aux restaurateurs peut être largement moindre que celle des plateformes capitalistes. Si les livreurs ne veulent pas adhérer à la SCIC nationale sur laquelle nous travaillons ils pourront également y avoir accès.

Néanmoins, cette licence n’est pas parfaite ! Premièrement car nous ne savons pas concrètement comment elle est reconnue et s’inscrit à l’échelle de la France ou plus largement à l’échelle européenne. Plus largement, le respect et la défense des licences est difficile à réellement mettre en œuvre dans le cadre de l’économie numérique. Comment pourrions-nous réellement prouver qu’une entité lucrative privée, fermée par nature, utilise des bouts d’un code développé par le travail Commun ? La problématique est la même dans le cadre d’une utilisation propriétaire du code source. Car une fois la captation identifiée, comment pourrions-nous financer les frais judiciaires qu’un procès impliquerait et qui resteraient à notre charge ?

Enfin ce type de licence ne permet pas l’élaboration d’une cotisation qui permettrait de rémunérer le travail à l’origine de ce Commun. Dès lors, aucun retour de la valeur économique produite ne pourrait être assuré aux contributeurs d’un commun dans la mesure ou ce dernier n’a ni périmètre juridique clairement établi, ni force d’opposition face à un grand groupe. Le cadre légal doit être repensé et c’est toutes ces questions que nous souhaitons traiter au cours des conférences suivantes du cycle que nous avons lancé le 20 septembre.

Et au fait pourquoi open source et pas « libre » ?

Le code n’est pas libre car s’il l’était, n’importe qui pourrait se le réapproprier et l’utiliser pour faire du profit. Aujourd’hui dans le libre, c’est souvent la loi du plus fort qui l’emporte, avec toutes les conséquences que l’on connaît. Il faut donc une licence qui permet de protéger l’utilisation de ce code pour la réserver aux coopératives qui ne veulent pas exploiter les gens. Nous savons qu’il faut travailler sur cette histoire de licence et nous sommes en contact avec des avocats spécialisés sur le sujet. D’ailleurs, si vous en connaissez, on les accueille avec plaisir !

Dans ce monde, on est malheureusement toujours ramené au célèbre « there is no alternative » prononcé par Margaret Thatcher. Il faut être « pragmatique», à savoir accepter les règles du jeu capitaliste, pour que rien ne change.

Aujourd’hui, on voit des gens qui «travaillent » sur des alternatives à Uber, par exemple. Pour certains, le premier réflexe, c’est de vérifier que leur modèle peut avoir des retombées commerciales, qu’ils peuvent financer leur développement avant même d’avoir produit une seule ligne de code…
Ça n’est certainement pas notre approche. You don’t need to know how to do it, you just need to start comme dirait l’autre sur un article Medium.
À l’heure où les plateformes représentent une source non négligeable d’emplois (précaires), l’open source offre une vraie possibilité d’implémenter enfin la copropriété d’usage de l’outil de travail.
Mais il faut des règles pour garantir que l’essentiel de la valeur créée aille aux travailleurs, afin de poursuivre sur le chemin de l’émancipation. Sinon, ce seront forcément ceux qui auront les capitaux qui pourront enclencher les effets de réseau, tout ça en utilisant du « travail gratuit ».
Il est temps d’en finir avec le solutionnisme technologique, il faut ajouter une dimension sociale, sans quoi on retombe dans l’aliénation.

Votre projet n’est donc pas simplement de développer une plateforme informatique, aussi open source soit-elle, c’est aussi un tout autre modèle social, celui de la coopérative. C’est possible de nous expliquer ça simplement ?

Nous n’avons pas envie de créer une startup de l’économie sociale et solidaire. Ce qui nous intéresse, c’est justement le projet politique. Il existe aujourd’hui tout un archipel de sites et d’initiatives qui espèrent « changer le monde » et pourtant, rien de bouge vraiment au niveau macro-économique. Les structures qui permettent l’exploitation des travailleurs sont toujours bien en place. Nous aimerions « secouer le cocotier », et faire du lobbying citoyen pour essayer de modifier ces structures. Certes, nous n’avons pas encore une loi anti-ubérisation dans nos cartons, mais réunir des gens de différents milieux permet de faire réfléchir, de rassembler et à terme d’influencer le jeu politique.

Sur le choix de la coopérative, il s’est assez simplement imposé à nous. Nous sommes en passe d’avoir ce bel outil numérique mais sommes conscients que face aux géants de la foodtech et malgré la surmédiatisation ponctuelle, il ne suffira pas de dire « voici le moyen de vous réapproprier votre outil de travail, à vous de jouer ».

La question qui se pose à nous est celle de l’articulation entre une ressource que l’on gère comme un commun et un circuit économique composé de coopératives qui permettent une rémunération et des conditions de travail correctes pour ceux qui y travaillent. La forme coopérative nous semble la plus adaptée puisqu’elle permet des règles économiques et démocratiques plus équitables (statut salarié, intégration de l’ensemble des acquis sociaux y afférant, mutualisation des moyens comme des risques, une personne une voix, etc.).

Mais nous ne sommes pas dupes évidemment, le développement de ces modèles « sociaux et solidaires » est un mouvement positif, témoignant d’une certaine prise de conscience nécessaire mais non suffisante. La création de structures privées socialisées dans un marché libéral combat le capitalisme sur ses terres mais n’emporte pas de sortie réelle de ce système. Pire encore, on peut également considérer que ce développement parallèle organise le désengagement de l’état in fine, puisque la mutualisation se réorganise à plus petite échelle.

C’est pour cela que nous tenons à agir sur les 3 plans :

  • développer un outil open source et libre d’accès sous condition, pour créer l’outil de travail ;
  • construire une structure coopérative nationale et des structures locales pour organiser les moyens du travail ;
  • questionner les problématiques macro-économiques et structurelles qui se posent aux différentes étapes de notre construction à travers des cycles de conférences thématiques.

Si l’initiative de Coopcycle faisait tache d’huile ? Ici, solidarité avec les livreurs espagnols.

Bon alors où en est-il ce code open source de plateforme ?  Vous êtes combien là-derrière ? Vous auriez peut-être besoin d’un coup de main, de patches, de bêta-testeurs, de pintes de bières, enfin tous les trucs qu’on s’échange dans le petit monde du logiciel libre. C’est le moment de lancer un appel à contributions hein…

Notre code est sur GitHub : https://github.com/coopcycle

Pour l’instant il y a 3 personnes qui ont contribué. Notre but est de construire une communauté autour du code, pour assurer la pérennité du projet notamment. On a posé les premiers jalons avec des règles de contribution et une installation en local facile (crash testée !). Nous avons reçu plusieurs propositions spontanées d’aide, mais cherchons encore à voir comment intégrer chacun suivant son temps disponible et ses langages de prédilection. De même nous devons établir une roadmap claire pour le projet. Tout cela explique que nous n’ayons pas encore fait d’appel à contribution.
En tout cas tous les repos ont des issues ouvertes, et n’attendent que vous !
Le feedback sur la démo (UI/UX ou bugs) est plus que bienvenu. Vous pouvez contacter l’équipe dev à dev@coopcycle.org.

Toutefois il ne faut pas résumer notre approche au groupe de développeurs, nous sommes une bonne quinzaine à travailler sur ce projet ; journalisme, portage politique, propagande, représentation, construction du modèle économique, lien avec les livreurs et les restaurateurs. Tous ces travaux sont complémentaires et nous essayons justement de ne pas tomber dans le solutionnisme de l’outil en assumant toutes ces tâches collectivement.

On vous laisse le mot de la fin, comme de coutume sur le Framablog !

Merci pour tous vos outils, c’est un plaisir de pouvoir bâtir son projet avec des logiciels libres ! En attente de Framameet pour nos apéros devs 🙂