Cinq millions d’euros qu’on eût pu dépenser autrement

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Une billet quelque part révélateur de la «  mentalité propriétaire  » qui règne en haut lieu au sein de l’Éducation nationale…

Le 31 mar dernier, Xavier Darcos lançait officiellement le plan de développement du numérique dans les écoles rurales (c’est moi qui souligne)  :

Ce programme, doté d’un budget de 50 millions d’euros, prévoit l’équipement de 5 000 écoles situées dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants dans le cadre du Plan de relance.

(…) Une école numérique interactive comprendra nécessairement des ordinateurs en nombre suffisant (classe mobile de plusieurs ordinateurs), un tableau blanc interactif, un accès internet de haut débit, une mise en réseau des équipements, une sécurisation des accès internet, des ressources numériques reconnues de qualité pédagogique.

(…) Chaque école bénéficiera également d’un droit de tirage de 1 000 euros pour l’acquisition de ressources numériques éducatives, mises à disposition par le ministère.

Avec ce plan de relance en faveur de l’équipement numérique des écoles rurales, Xavier Darcos veut donner à chaque élève, partout sur le territoire, les mêmes chances de maîtriser les techniques d’information et de communication et développer des outils nouveaux au service de l’enseignement.

Difficile de ne pas acquiescer à ce dernier paragraphe, et j’espère vivement que ces écoles profiteront pleinement de ce plan[1].

Mais, le diable se cachant dans les détails, j’ai été étonné par cette histoire «  d’acquisition de ressources numériques éducatives  ». Faisons en effet le calcul… 5 000 écoles qui vont dépenser chacune 1 000 euros… cela fait une certaine somme, pour ne pas dire une somme certaine  !

J’ai eu envie d’en savoir plus.

Dans le cahier des charges de l’opération[2], que l’on trouve sur le site Educnet, il y a un paragraphe dédié à ces ressources numériques  :


Les ressources numériques seront adaptées aux besoins des cycles de l’école primaire. Elles pourront faire l’objet d’une utilisation en classe entière, en petits groupes ou individuelle. Une sélection de ressources numériques payantes sera proposée et fournie par le ministère.

Les ressources numériques seront présentées et diffusées à partir d’une plate-forme nationale. La contribution destinée à l’acquisition de ressources numériques par chaque école (1000 euros par école) sera prise en charge directement par le ministère de l’Éducation nationale. Les ressources numériques diffusées par abonnement seront disponibles durant trois années.

J’ai hâte de voir cette «  plate-forme nationale  » dont on nous dit qu’elle sera «  disponible en ligne courant mai  ». Mais quel que soit ce site accessible par abonnement, il semblerait donc qu’on ait à faire avec des ressources payantes disponibles pendant trois ans.

Ressources dont on peut affirmer sans risque qu’elles seront placées sous licence propriétaire, et qui devraient ressembler peu ou prou à l’opération Une clé pour les nouveaux enseignants, avec sa «  liste des ressources habituellement payantes auxquelles la clé donne un accès exceptionnellement gratuit pendant deux ans  » et son interdiction de la partager avec des collègues qui ne soient pas nouveaux  !

Changeons de paradigme l’espace d’un instant, et rêvons haut en couleur en nous imaginant carrément chef de projet de cette «  opération ressources numériques  ».

Avec uniquement un seul petit million, on peut sur un an prendre par exemple quinze profs du primaire à temps-plein (ou trente à mi-temps) plus cinq informaticiens (ou profs qui ont des compétences informatiques), pour développer une structure qui ressemblerait un peu à ce que fait Sésamath  : des ressources pédagogiques libres et collaboratives disponibles sous formats ouverts sur des sites propulsés par des logiciels libres.

Une fois la structure mise en place, il n’y aurait plus besoin de dépenser autant d’argent l’année suivante, puisque la dynamique aura été lancée et que les autres collègues participeront d’autant plus facilement que le projets aura été initié par leur pairs et que les ressources ainsi créées auront été placées sous licence libre, c’est-à-dire mises une fois et à jamais dans le pot commun des ressources pédagogiques librement disponibles, utilisables et adaptables par tous.

Cela vaut le coup d’être tenté non  ? D’autant, rappelons-nous, que le communiqué annonçait sa volonté de «  développer des outils nouveaux au service de l’enseignement  ».

Il ne s’agit plus ici de dépenser cinq mille fois et pour seulement trois ans un accès aux mêmes ressources disponibles en «  lecture seule  ». Il s’agit d’impulser la mise en place et les premières créations d’une sorte de forge mutualisée de ressources éducatives libres, disponibles bien entendu pour tous en «  lecture / écriture  ». Ce n’est pas tout à fait la même chose, surtout pour des deniers publics  !

Tout ceci ne niant pas la réalité de l’utilité des partenariats commerciaux de l’Éducation nationale, dont il resterait tout de même quatre beaux millions d’euros.

Mais réveillons-nous. La réalité est autre. Par exemple sur le même site Educnet où l’on a choisi sciemment de ne pas modifier les drôles de conseils donnés aux visiteurs à propos justement des contenus éducatifs libres (c’est eux qui soulignent)  :

Conseil  : Il est par contre déconseillé au milieu scolaire d’utiliser ce type de contenus si on envisage de valoriser ses travaux en s’associant avec un partenaire privé pour une exploitation commerciale.

C’est triste à lire mais c’est en cohérence avec le plan.

N’oublions pas du reste que ce plan ne concerne qu’un dixième de toutes les écoles  : les rurales dans les communes de moins de deux milles habitants. Les autres ont-elle aussi accès à ces «  services  »  ? Doivent-elles s’acquitter des mêmes sommes  ? (ce qui nous ferait alors non pas cinq mais cinquante millions d’euros pour trois ans d’usage  !).

La route est décidément bien longue. Ce n’est pourtant pas être devin que d’annoncer que ces ressources éducatives libres vont exploser dans les prochaines années et qu’il serait peut-être responsable opportun de prendre d’ores et déjà le train en marche en accompagnant le mouvement.

Notes

[1] En passant, je ne saurais trop conseiller à ces écoles d’adopter, dans le cadre du plan, une solution de type RyXéo et son offre basée sur AbulÉdu.

[2] J’ai également été étonné, à la lecture du cahier des charges, de voir mention d’une simple «  suite bureautique installée  » dans les ordinateurs, sans préciser si elle était libre ou non. Cela va à l’encontre des préconisations du Becta et c’est faire preuve d’une grande «  timidité  », pour ne pas dire plus  ! Plus le temps passe, et plus la «  neutralité  » de traitement entre solutions libres et propriétaires à l’école devient un choix déguisé et non assumé.

14 Responses

  1. Le vengeur masqué

    Tu as oublié de préciser que ces ressources payantes ne fonctionnent que sur Windows… Très mignon ton article, vu d’ici (ici Paris…). C’est tellement décalé… J’avais oublié qu’on pouvait penser ça et le dire. On en est tellement loin quand on est près des discours du ministère que ça remet les pendules à l’heure. Le discours que j’entends tous les jours, c’est celui des éditeurs qui pleurent de voir disparaître leur gâteau : 3 millions d’euros, c’est ce qu’ils reçoivent de subventions cachées (c’est-à-dire déguisées en achats : 50 millions du ministère et 250 des collectivités) pour les manuels scolaires, chaque année. Mais si le ministère dépensait un dixième d’euro pour aider les enseignants à fabriquer des ressources gratuites, ce serait la révolution chez les éditeurs ! Leur lobbying auprès du ministère est constant et il a la force du désespoir. Voilà pourquoi tu peux toujours rêver 🙂

  2. Julien

    Non non, ça fonctionne sur PC… Ah, c’est la même chose chez eux…?

  3. AurelienB

    Et si une école ne veut pas utiliser ces "ressources éducatives payantes louées pour trois ans" que se passe-t-il ? Vont-ils inventer un "Hadopi scolaire" pour nous obliger à le faire ?

    C’est un vrai scandale en fait. C’est un cadeau fait aux bénéficiaires privés de ces accords. On leur a dit : "Oui le numérique est là et permet de changer radicalement de modèle (en permettant aux enseignants d’être prescripteurs de leurs propres services et besoins), mais nous vous inquiétez pas, on va vous donner x millions, en faisant en plus semblant de faire une fleur aux écoles".

    Gagnant-gagnant pour le Ministère et ses partenaires. Perdant-perdant pour les profs, les élèves et les contribuables.

  4. natchack

    Bonjour a tous,

    Pas d’inquiétude ! Je fais le pari que le ministère ne va pas avoir beaucoup de sous a dépenser sur ce coup là. Pourquoi ? Parce que les écoles concernées par ce plan sont des écoles ou la plupart des postes sont occupés par des "anciens" de l’éducation nationale (Hé oui, ce type de poste étant généralement très demandés ne sont donc accessible que par des instits ayant de la bouteille…) Et comment dire, ces instituteurs sont généralement peut portés vers ce genre d’outils. (Expérience vécue par ma femme, instit de 27 ans dans une équipe "plus ancienne" qui n’a pas voulu s’investir dans ce genre de projet alors que la mairie (qui doit financer 20% du projet) était partante…)

    Je ne sais pas pourquoi mais je pense que cette situation va se reproduire dans d’autres EPLE

  5. Olivier

    La clé pour les nouveaux enseignants est passée (à quel prix d’ailleurs ?), ces ressources éducatives passeront également comme une lettre à la poste. Les profs ne sont pas prêts à lire et comprendre cet article malheureusement.

    La faute à une certaine inertie mais également aux lobbies industriels qui gravitent autour de l’EN. Merci aussi au Café pédagogique de ne pas se mouiller, ça nous aura fait perdre pas mal d’années.

  6. Erwann L.

    @AurelienB : C’est tout à fait ça, c’est de l’Hadopi scolaire ! Sauf qu’il n’y a aucune loi spectaculaire qui permet à ces agissements d’être discutés et médiatisés.

  7. Claude

    Un réseau privateur entre dans la classe des enfants du village…
    j’avoue une profonde inquiétude sur les conséquences possibles.

  8. JosephK

    Dans l’école de ma femme, on a droit à cette subvension.
    Il y a 3 vieux ordis et une imprimante en réseau. Les pc sont sous Xubuntu.
    http://forum.framasoft.org/viewtopi

    Apparemment il faut quand même justifier d’un projet pédagogique (en plus d’un projet d’équipement) et que ça réponde au "cahier des charges" :
    – avoir l’ADSL
    – assurer la sécurité (logicielle et matérielle)
    – pouvoir se passer d’un raccordement filaire (WIFI imposé, avec les problèmes de santé publique qui pourrait y avoir…)
    – "suite bureautique déjà installé", logiciel de supervision pédagogique des postes
    – solution de TBI avec ses ressources pédagogiques
    http://pedagogie.ac-toulouse.fr/ari
    Ensuite, rendre compte des usages qu’on en fait à l’inspection académique de l’Eure.

    Sinon, le site "éducation" de Framasoft quand est-ce qu’il sort ? 😉

  9. aKa

    @ JosephK, qui m’interpelle gentiment sur notre projet de site éducation, dont on aurait bien besoin oui.

    Le projet est bien avancé "sur le papier". Il ressemblerait un peu à ce que propose le Becta :
    http://www.framablog.org/index.php/

    Mais le manque de temps actuel de Framasoft, rend impossible sa réalisation à l"heure qu’il est, et c’est très frustrant. Ce n’est pas pour rien qu’on souhaite salarier un ou deux membres et qu’on a lancé un site de soutien pour cela.
    http://soutenir.framasoft.org/

    (j’en profite pour remercier une nouvelle fois les 283 premiers donateurs)

  10. PillOow

    Salut, il y a une petite erreur dans l’article:

    "Cinq millions d’euros qu’on eût pu dépenser autrement ……. 5 000 écoles qui vont dépenser chacune 1 000"

    Et sur http://www.education.gouv.fr/cid242… :

    "Ce programme, doté d’un budget de 50 millions d’euros, prévoit l’équipement de 5 000 écoles situées dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants dans le cadre du Plan de relance."

    C’est donc non pas 1000 euros dépensé par un école mais bien 10 000 euros !!

  11. Enzo

    @ PhillOow : c’est bien 1000 euros par école, mais uniquement pour la bouse de plateforme de ressources numériques.
    On peut penser qu’une partie du reste sera alloué directement à microsoft pour payer les licences Windows Vista (il faut bien en vendre à quelqu’un… alors ce sera l’EN) et MS Office. Enfin pour le hardware, le ministère recommandera certainement du matériel sur lequel l’installation de linux sera non trivial… ça évitera à aux enseignants qui le souhaiteraient, de l’utiliser en classe… Et la boucle sera bouclée. La prochaine fois, on demandera à l’assemblée de voter directement des subventions en faveur du logiciel propriétaire, charge à Hadopi d’en redistribuer 90% à microsoft, Hachette et cie, ce sera plus clair, non ?

  12. BenJi79

    C’est pas joli joli de lire ça. Attendons quand même de voir le site dont il est question. Si ça se trouve il sera bourré à craquer de ressource sous Creative Commons 🙂

    Ce blog devrait être lu par le cabinet TICE du Ministre.

  13. Help Frama

    Quand on pense que "par exemple" Framasoft demande juste à trouver 30 000 euros pour survivre, cela laisse songeur…

  14. dathanor

    @ Enzo : En fait, chaque école/mairie reçoit 10 000 € (maxi) de l’Education nationale. 1000 € en ressources éducatives, dont l’offre n’est pas connue pour l’instant. et 9000 € sous forme de subvention de 80 % pour l’achat de l’équipement (portables, tbi, video-projecteurs, imprimante,…)
    Sue la partie matérielle, même si rien n’a été fait pour le libre, il est intéressant que des département ont fait le choix de recommander des solutions libre (par exemple AbulEdu). Dans d’autres, où la neutralité (!) est de mise, les écoles et les mairies, dans une part non négligeable, se tournent vers cette solution.
    Pourquoi ? Parce qu’elle répond mieux au cahier des charges que les autres, et parce qu’elle s’intégre à merveille aux équipements existants, et à venir.
    Reste que même les écoles qui vont choisir des portables sous Linux vont payer des licences Windows. Tout simplement parce que les constructeurs refusent de proposer des prix sans OS. C’est le plus scandaleux dans cette histoire.