Critique de la biographie de Richard Stallman par Sébastien Broca

Classé dans : Framasoft | 22

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Richard Stallman - Bastien WirtzSébastien Broca a été parmi les rares privilégiés à acquérir le livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre avant les autres, au cours de la rencontre organisée par les éditions Eyrolles à Paris le 12 janvier dernier (dédidace «  Happy Hacking  » de Richard incluse[1]).

Le lendemain, il m’envoyait spontanément un courriel enthousiaste en me faisant part de ses premières impressions sur un livre qu’il avait parcouru dans sa totalité en moins de 24h  !

Et moi, ni une ni deux, de lui demander gentiment de pousser la chansonnette jusqu’à en faire un billet pour le Framablog ;-)

Difficile de vous cacher que cela nous a fait à tous très plaisir à lire…

Le livre lu par Sébastien Broca

Compte-rendu  : Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, «  Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée  », Eyrolles, Paris, 2010.

La biographie de Richard Stallman publiée aux Éditions Eyrolles constitue un ouvrage inhabituel à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord du premier ouvrage en français à se pencher en détail sur la vie du fondateur du mouvement du logiciel libre, dont la notoriété dans le monde informatique ne s’est pas encore vraiment étendue au grand public. C’est également un ouvrage présentant la particularité d’être publié sous une licence dite «  libre  » (la GNU Free Documentation License), c’est-à-dire donnant droit à chacun de le copier, de le distribuer et de le modifier. Il s’agit enfin d’une biographie singulière, dans la mesure où Richard Stallman a lui-même relu l’ensemble du manuscrit, y apportant des remarques personnelles et des corrections, lorsque certains faits lui paraissaient rapportés de manière erronée ou incohérente. L’ouvrage se présente ainsi comme une œuvre à trois voix. Le texte original publié aux Etats-Unis en 2002 par Sam Williams a été largement retravaillé par Richard Stallman, avant d’être traduit par la communauté en ligne Framasoft, à la source du projet français.


Ce processus d’écriture original confère à l’ouvrage toute sa dynamique. Si Sam Williams fait preuve d’une certaine admiration pour le père du logiciel libre, et plus encore pour son œuvre, il insiste également sur les tensions que son intransigeance morale, couplée à son souci quasi obsessionnel de l’exactitude verbale et conceptuelle, n’ont pas manqué de susciter à travers les ans, et ce jusque dans son propre «  camp  ». L’inflexibilité de Richard Stallman a ainsi scindé la communauté du libre entre partisans du free software et adeptes de l’open source  ; ces derniers axant leur discours sur les qualités techniques et les opportunités économiques propres aux «  logiciels à source ouverte  », et non sur les raisons éthiques de préférer le logiciel libre. Les différents volets de ce débat, symbolisé par les personnalités largement antithétiques de Richard Stallman et Linus Torvalds (créateur du noyau Linux), sont bien rapportés. Le lecteur en retire une compréhension fine des ressorts de l’engagement de Richard Stallman, et des différentes controverses idéologiques qui traversent la communauté du logiciel libre.


D’autres épisodes narrés par Sam Williams peuvent paraître plus anecdotiques, mais ils donnent à l’ouvrage toute son épaisseur historique et humaine. Des passages relativement longs sont ainsi consacrés à la description du milieu de la recherche informatique aux Etats-Unis dans les années 1970, avant l’apparition de l’ordinateur personnel. Le lecteur se trouve ainsi plongé dans l’ambiance particulière, qui régnait au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, dont Richard Stallman fut membre jusqu’en 1984. Il y découvre les spécificités de l’ethos professionnel des hackers, caractérisé par un rapport passionnel à la programmation et une valorisation sans limites du partage et de la collaboration entre pairs. Il comprend de la sorte les raisons de l’indignation ressentie par Richard Stallman, face au mouvement de privatisation connu par l’industrie informatique au début des années 1980. Ces passages figurent ainsi parmi les plus intéressants du livre, en ce qu’ils éclairent à merveille le contexte sociologique et historique ayant présidé à la naissance du mouvement du logiciel libre.


Les interventions de Richard Stallman dans le texte, à travers de petits encarts dans lesquels il réagit aux événements racontés ou aux idées qui lui sont prêtées, donnent à l’ouvrage une saveur supplémentaire. On y retrouve ainsi par petites touches l’expression de son intelligence hors du commun et de son horreur de l’imprécision, le tout asséné sur un ton parfois assez sec et pince-sans-rire. Ces intrusions intempestives offrent presque toujours un contrepoint intéressant, et achèvent de faire de cette biographie une nouvelle référence, pour quiconque souhaite comprendre un personnage hors norme, et un mouvement, dont la portée sociale excède désormais de loin le seul domaine informatique.

Notes

[1] Crédit photo  : Bastien Wirtz (OpenCoding)

22 Responses

  1. Valentin Villenave

    Prochaine étape : traduire en américain le livre traduit et revu en Français ! 🙂

    (Bon, je sors, je ne l’ai même pas encore lu et c’est maaaal…)

  2. totophe

    @valentin : le livre en anglais va sortir d’ici peu à la Free Software Foundation. Richard a apporté ses modifs en anglais, donc il a le livre intégral version anglaise… qu’il va publier de son côté avec l’aide John Sullivan, de la FSF. Sortie mondiale, donc 🙂

  3. antistress

    ce que j’ai trouvé un peu moins bien sur la forme, c’est l’intégration des remarques de RMS : parfois en note de bas de page "Stallman considère que…" parfois en encart sans qu’il soit clairement indiqué qu’il s’agit d’une remarque de RMS. C’est ce que j’ai ressenti.
    J’aurais préféré qu’il soit clairement indiqué la page juste avant le titre : "nota : les annotations de RMS figurent en encarts" et que ces encarts mentionnent : "Stallman : bla bla"
    juste mon avis.

  4. totophe

    @antistress : dans la mesure ou nous touchons les francophones et que l’anglais est tout de même un peu connu, on peut dire qu’on peut lire cet ouvrage sur les 5 continents. La question de mon point de vue n’est pas de savoir combien de personnes parlent l’anglais mais dans combien de pays le livre est accessible à la lecture.
    Sinon, nous aurions du le traduire en mandarin et il manque une version en espagnol. Il est cependant possible, avec la version anglaise, que ces traductions puissent voir le jour plus facilement.
    Quoiqu’il en soit, ce livre est surtout un produit émanant de nos réflexions très occidentales. La liberté n’ayant pas le même sens suivant la culture et le régime politique, et même si Richard fait le tour du monde, j’ai des doutes quant à la réception de ces idées dans certains pays. Quant aux pays en voie de développement, les préoccupations peuvent tout de même concerner le libre dans la mesure ou les services mis en place par certaines multinationales (et pas seulement Microsoft) sont discutables.
    Par ailleurs, la guerre, la faim, le pétrole… Il y a sans doute d’autres sujets bien plus importants.

  5. didli

    Attention : HS
    Je rebondis sur une remarque de totophe ci-dessus ("Il y a sans doute d’autres sujets bien plus importants").
    Les 3 dernières news dans les colonnes du framablog concernent plus ou moins M. Stallman. Loin de moi l’idée de vouloir orienter les sujets ici, mais bien que le bonhomme soit éminemment interessant, lui consacrer entièrement les dernières nouvelles est incroyablement lassant.
    Allons il ne se passe rien d’autres en ce moment dans le monde du libre ?
    De quand date le dernier post de la rubrique "Largage de liens en vrac" par exemple … sniff ?

  6. aKa

    @didli : On a conscience qu’on risque un peu "l’overdose RMS" en ce moment sur le Framablog 😉

    Après faut voir que ce projet c’est tout de même l’aboutissement de pas mal d’efforts et d’énergies et qu’au moment de sa conclusion, il soit naturel qu’on ait envie d’en parler, ne serait-ce que pour expliquer que ça n’est pas qu’une simple traduction (quand Stallman est venu à Paris il y a une semaine, la presse en a parlé mais a totalement occulté le fait que ce bouquin avait une histoire particulière, et c’est dommage et frustrant pour nous).

    J’ajoute que quand bien même il y ait plein de billets sur RMS, on cherche à chaque fois à apporter un éclairage ou une news différente (une vidéo, l’histoire des coulisses, une critique, l’annonce des sources, etc.).

    Et sinon pour les "liens en vrac", absolument plus possible de les suivre pour moi malheureusement. J’avais lancé un appel à un moment donné pour constituer un semblant de petite équipe mais "peu" avaient répondu.

  7. Cantor

    @didli:
    Quelle honte ! Framablog ose parler de ce à quoi il contribue…
    Ce projet est _extrêmement_ intéressant pour 3 raisons:
    – Frama(blog|soft|lang) y a participé et s’y est vraiment investi;
    – RMS est un peu celui qui a lancé le mouvement du libre soutenu par framasoft et cette biographie est il me semble un des ouvrages les plus important pour comprendre pourquoi et comment ce mouvement est né;
    – l’expérience montre concrètement les avantages d’avoir choisit une licence libre pour la première édition;
    – et surtout l’expérience était une première du genre !

    Donc j’avoue ne pas être gêné par cette "profusion" (trois franchement cela reste correct) d’articles qui est à la hauteur de l’évènement.

    Merci Framablog !

  8. David

    @didli
    Tout à fait d’accord avec Cantor et j’ai aussi ma liste :
    – C’est RMS (vas-y, cite-moi des personnalités vivantes de son calibre, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’informatique)
    – C’est une traduction collaborative bénévole de type wiki qui est arrivée au bout
    – C’est devenu bien plus qu’une traduction avec les modifs de Stallman
    – C’est la première fois qu’un "grand" éditeur ose la licence libre
    Et il faudrait qu’ils soient discrets en plus ?!
    Y’a trop de ci ou de ça ? Désabonne-toi, c’est tout aussi libre et gratuit que l’inscription ! Ou, moins violent, ne lis pas les articles dont le titre est clairement explicite lorsqu’il s’agit du livre.

  9. Cantor

    Dans mon message précédant, remplacer "3 raisons" par "4 raisons"…

  10. Bluetak

    "Il s’agit tout d’abord du premier ouvrage en français à se pencher en détail sur la vie du fondateur du mouvement du logiciel libre, dont la notoriété dans le monde informatique ne s’est pas encore vraiment étendue au grand public"
    A signaler : une pleine page de Télérama intitulée : Hacker Vaillant. On peut donc dire que sa notoriété s’étend maintenant à un large public sinon au grand public….

  11. plf

    @antistress : Et une version en "langue auxiliaire internationale" genre espéranto ?

  12. nananov

    Je me posais une question suite aux précédents posts sur les langues.
    On peut dire qu’avec l’anglais et le français on touche potentiellement une bonne partie de la population.
    Mais est-ce qu’un Framabook a déjà été mis à disposition pour les aveugles (en braille ou plutôt en version audio) ?
    Autant la mise à disposition pour les aveugles, sous leur forme actuelle, des ouvrages sur Ubuntu ne serait pas forcément pertinente (encore que je manque de connaissance sur ce qui se fait sur le sujet), autant un ouvrage "théorique" sur la pensée de Stallman qui dépasse le cadre de l’informatique me semble pertinent.
    Après je ne connais pas du tout les difficultés inhérentes à ce genre de passage.
    Je me dit que ça pourrait être une première (?), que ça pourrait être intéressant et que s’il y a besoin, je me joindrais volontier à vous 😉

  13. aKa

    @nananov : Deux très bonnes idées, et bien dans la dynamique du remix permise par les licences libres. Pour le braille, il faudrait avoir un spécialiste parmi nous (j’en serais ravi) et pour l’audio, ça serait vraiment intéressant parce qu’il y aurait la voix de Sam Williams et la voix de Stallman, à la limite du dialogue parfois.

  14. plf

    > (quand Stallman est venu à Paris il y a une semaine, la presse en a parlé mais a totalement occulté le fait que ce bouquin avait une histoire particulière, et c’est dommage et frustrant pour nous)

    Toutes les oeuvres (libres ou non) n’ont-elles pas une "histoire particulière" ? Je me risque volontiers à répondre par l’affirmative. Pour les pékins de base (dont je suis) l’oeuvre prime, le "making of" vient ensuite… même si pour les auteurs, c’est l’inverse.

    @didli : Ce sont en fait pas moins de 6 billets (sur les 10 derniers) qui traitent du sujet, mais de quoi une parturiente pourrait-elle avoir de parler, sinon de son bébé ?
    [déjà que aKa n’a pas été invité pour l’émission "Science publique" du 29 janvier…]

  15. plf

    Oups, je viens de m’apercevoir que Télérama (au moins dans la version web citée par samder101) lave en partie l’affront du crime de lèse-majesté.

  16. aKa

    @plf : Oui toutes les œuvres sont particulières, bien entendu. Mais quand on lit le témoignage de Christophe, on est quand même assez loin de la situation classique qui voit l’écrivain inlassablement à son même bureau, le cendrier plein et le café fumant (et le chat sur les genoux). Il y a plus de mouvement ici, ce qui ne signifie pas que nous aurions l’apanage de l’originalité.

    Pour le fait d’être ou non cité, c’est bien moins de l’ego que le souci de la reconnaissance du travail collectif. Il y a officiellement trois noms d’auteur sur le bouquin, mais il y en a en réalité bien plus que ça à cause du travail initial sur plusieurs wikis et sur notre liste de discussion. Cela me semble juste et utile de ne pas les oublier.

    Il me semble aussi qu’il y a une dimension pédagogique sur ce que permettent les licences libres. Quand un tiers fait une biographie sur une personnalité vivante, cette dernière peut être contente ou mécontente du résultat (jusqu’à coller des procès parfois). Ici Stallman n’était pas satisfait, qu’à cela ne tienne, modifions l’ouvrage (tout en gardant "l’éthique hacker").

  17. nananov

    Oui alors pour le braille je n’y connais rien par contre 🙂
    Pour l’audio, je pensais à une version en français déjà.
    Est-ce que quelqu’un peut me dire si c’est plus complexe que "prendre un micro, lire le texte et le diffuser en ogg" ? J’imagine qu’il y a aussi une partie de description des images. Je pense aussi que le fait que ce soit libre permet de simplifier pas mal de choses niveau autorisations etc. (c’est l’intérêt me direz-vous!).

    Je crois savoir que dans des bouquins en version audio pour malvoyants ils font appel à des acteurs. Allez, qui a une jolie voix ici ?! 😉

    Morgan