Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire – par Laurent Chemla

Temps de lecture 9 min

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Evil Erin - CC byOn trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé[1].

Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien ;-)

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC vous attend à La Cantine lundi 28 mars prochain (de 19h à 22h) pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel  !

Remarque  : Ce n’est pas le premier article de Chemla que nous reproduisons sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet  : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth.

Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire

Laurent Chemla – juillet 2010 – Licence Creative Commons By-Sa

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes.

Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau.

Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier.

Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de «  régulation  », de «  contrôle  », voire même de «  domestication  ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince  : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable.

La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès  !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni  : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme «  en ligne  ».

J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle  ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures  :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif)[2].

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du «  village global  » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969.

Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique  ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs  : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément «  domestiquable  », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années  ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international.

On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie «  contrôlée  » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde  ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée  ?

Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des «  paradis numériques  » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux  ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée  ?

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien  : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit).

Et même avant d’en arriver là  : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes  ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si.

Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien  :

«  Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit  ».

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour «  recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées  ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires…

Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans  ?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les états peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.

Autant s’y faire.

Notes

[1] Crédit photo  : Evil Erin (Creative Commons By)

[2] J.C.R Licklider et Robert Taylor, The Computer as a Communication Device in Science and Technology, April 1968.

18 Responses

  1. Aleric

    « Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé. »

    Ce n’est pas à nous qu’il faut dire ça…
    Je ne cesse de le répéter, mais ce ne sont pas des pétitions ou même des élections qui arrangeront les choses. Il n’y a plus qu’une seule issue.

  2. pere.despeuples

    Apparemment, si on tape Riguider (la personne citée par gloubi) et « Deep Packet Inspection » dans Google, on trouve des liens entre son prosélytisme centralisateur à base de FUD, les brevets qu’il a déposés au sein des écoles de Télecom sur les DPI, la chaire sponsorisée par Vivendi, et la participation de tous ce beau monde à la réalisation d’Hadopi.

  3. Taneleo

    Il faut arrêter d’entretenir ce fantasme d’un Internet incontrôlable, non censurable, car ce n’est pas vrai du tout. Asseyez-vous ne serait-ce qu’un peu sur la neutralité du net, et vous allez voir la tête que va avoir le réseau !

    Ce n’est compliqué de prendre possession du réseau. La question qu’il faut plutôt se poser est pourquoi cela n’est pas encore fait. Les raisons en sont, notamment, dans le transformation de l’Internet en la télévision du 21ème siècle (une télévision personnalisée, à l’instar de tous ces services personnalisés sur la toile que les internautes aiment tant), et dans les perspectives économiques liées à l’activité numérique (c’est uniquement pour cette raison que la neutralité du net existe toujours, car les décideurs pensent majoritairement qu’elle est source de profits).

    Attention à ne pas transformer l’Internet en un joujou, un doudou, un nain-nain, en en ayant une vision fantasmée et en tapant du pied dès que son fonctionnement est remis en question. Vous savez, il faut être réaliste, l’Internet actuel ne va pas durer encore très longtemps. Il est beaucoup trop à l’opposé du monde tel qu’il est réellement dans évolution pour pouvoir se stabiliser dans sa forme actuelle. Ne nourrissez pas de vains espoirs.

  4. Stéphane Bortzmeyer

    @Taneleo : « nourrir des espoirs », qu’ils soient vains ou pas, est une activité passive. Je suis d’accord pour dire que, si on ne fait rien, on risque de se prendre un futur peu agréable. Mais rien n’est écrit : l’avenir de l’Internet, s’il deviendra un « Internet par Orange », civilisé et LOPPSIsé, ou bien s’il deviendra encore plus libre et permettra l’éclosion de plein de nouvelles idées, dépend de nous, de ce que nous faisons. Des changements comme celui qui se passe en Tunisie montrent clairement que, non seulement les pessimistes ne sont pas drôles mais qu’en plus ils ont tort.

    Au passage, je me demande un peu le but poursuivi par des remarques défaitistes comme « Vous savez, il faut être réaliste, l’Internet actuel ne va pas durer encore très longtemps. » Si vous approuvez cette évolution, il faudrait un peu argumente, expliquer en quoi elle est bonne . Et si vous la désapprouvez, il faudrait agir plutôt que de répéter que tout est fichu (ce qui ne sert pas à grand’chose). Et si vous êtes simple spectateur passif, alors nul besoin d’ajouter des commentaires.

  5. John V. Doe

    A propos des articles cités par 25 mars 20:27, je vous invite à consulter http://www.bortzmeyer.org/riguidel….
    qui dit explicitement que le Riguidel dont il est question est « un imposteur » et donne de nombreux exemples de son « n’importe quoi »-isme.

  6. Enzo 80

    Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
    Internet est difficile à détruire.
    Donc Internet est difficile à contrôler.

    c’est un détail mais …. n’utilisons pas les armes préférées des vils politiques en phase préélectorale; ici nous avons un magnifique paralogisme, qui ne démontre pas qu’internet est difficile à contrôler.
    Internet est difficile à contrôler parce qu’il n’a pas de « centre ». Ca suffit, pas besoin d’une formule « choc »: fausse de tout façon.
    A vouloir trop en faire on peut déservir ce en quoi nous croyons!

    merci pour cet article

  7. Taneleo

    @ Stéphane B.,

    L’Internet actuel est assez utopique finalement quand on se souvient du monde dans lequel nous vivions dans les années 1990. Et je pense que cet écart entre ce monde des années passées et le monde actuel est trop important pour durer. Nous sommes passés d’un extrême à l’autre, et à présent nous allons tout doucement nous diriger vers un équilibre entre ces deux mondes.

    C’est normal que les choses se passent ainsi, il n’est pas question que je trouve ça bien ou pas. Après, oui l’Internet a permis et permet encore de très belles choses. Mais il y a aussi un sacré bordel sur le réseau, et parfois, vous, les faiseurs d’Internet, me faites un peu penser aux capitalistes, ou aux spécialistes nucléaire pour prendre un exemple récent, bref à tous ces (pseudo)-scientifiques ou experts qui nous disent que tout est sous contrôle, que l’activité est auto-régulée, etc… C’est un point sur lequel il y a à mon avis matière à débat.

    Et je le redis encore une fois, c’est tout sauf compliqué de contrôler l’Internet. Si ce n’est pas fait actuellement, c’est parce que les États ont un intérêt à ce que ce soit le cas, que ce soit économiquement ou politiquement. Qui a le plus à craindre de l’Internet entre une démocratie et une dictature ? Qui dit que les démocraties ne préservent pas l’Internet actuel pour faire tomber les dictatures ? Et quand les enjeux financiers seront en défaveur du réseau que nous avons actuellement, il ne fera pas long feu.

    Les arguments «oui mais techniquement ce n’est pas possible», je n’y crois pas. Possible ou pas, quand la loi dira que ça et ça c’est interdit, les ingénieurs devront faire en sorte que la loi puisse être appliquée. Point. Je ne nie pas l’importance, l’influence de ceux qui se battent pour préserver le réseau qu’ils aiment, je doute en revanche de la portée de leurs actions.

    Tu portes atteinte à la neutralité du net, et tu instaures une forme de droit à la publication et à l’édition sur le net, et tu verras que le réseau est très facilement contrôlable, sans en modifier grand chose. Tu n’arrêteras peut-être jamais complètement tous les initiateurs de contenus, mais ils seront devenus si peu nombreux que ce sera devenu gérable par les autorités.

    Et à la vue de l’utilisation du réseau, finalement, et même si ce n’est pas ce que j’avais espéré de l’Internet, peut-être que sa reprise en main ne sera pas complètement néfaste. Entre ce que devaient être la télévision et la radio, puis ce qu’ils sont devenus, il y a un monde.

    Entre l’Internet outil de connaissances, des savoirs, de la culture, et l’Internet dans lequel on s’envoie des pok sur Facebook, dans lequel on se fait plumer sa vie privée et ses données personnelles, et dans lequel aucune sécurité n’est offerte aux plus faibles (jeunes, vieux, déficients), oui entre ces deux mondes là aussi il y a un monde.

    Il est temps de regarder la réalité en face et de voir à quoi sert majoritairement ce réseau. Et si dans tout ça, on arrive à se préserver un petit coin d’Internet pour en avoir une utilisation plus riche intellectuellement, et bien nous aurons malgré tout eu une belle avancée.

  8. Kalenx

    @Taneleo

    J’aimerais pouvoir dire que tout est aussi simple que dans ton point de vue, mais ce n’est malheureusement pas le cas.

    Lorsque l’on étudie les réseaux, le modèle OSI, le fonctionnement de protocoles et normes à la base d’Internet, on s’aperçoit qu’effectivement, beaucoup de choses que nos chers décideurs jugent « indispensables pour un Internet civilisé » sont impossibles à appliquer.

    Présentement, le « contrôle » de l’Internet se résume à tout couper (comme on l’a vu en Égypte). Je te l’accorde, il y a certaines exceptions (entre autres l’épineux problème des DNS), mais en gros, la situation c’est : soit on bloque tout, soit on laisse tout passer.

    Pourquoi est-ce que des ingénieurs ne peuvent pas « faire en sorte que la loi soit appliquée » (on l’a vu avec l’HADOPI, et on va certainement le voir avec la LOPPSI)? Parce que ça revient à demander à un mathématicien de résoudre la trisection de l’angle.

    Je n’ai pas pris cette comparaison au hasard : la trisection de l’angle est un problème tout à fait possible à résoudre (et pour lequel il existe d’ailleurs nombre de solutions depuis l’Antiquité). Mais il n’est pas possible à résoudre lorsque l’on se donne comme règle de ne le faire qu’à la règle (non-graduée) et au compas, comme le voulaient les Grecs.

    C’est la même chose pour Internet : sa conception est telle qu’un problème aussi « trivial » que le filtrage est carrément impossible (du moins de façon fiable). Évidemment, on me rétorquera qu’il serait possible pour un gouvernement de forcer un changement encore plus global d’Internet, pour permettre ce genre de mesures.
    Le problème c’est que si un pays fait cela :
    1) Ce ne sera plus Internet
    2) Tous les équipements réseaux actuels (y compris les ordinateurs, les téléphones intelligents, etc.) devront être remplacés, puisque aucune compatibilité n’est possible.
    3) La communication avec les pays voisins deviendra également impossible (le permettre reviendrait à ouvrir des portes permettant de contourner le système mis en place).

    Oui, le caractère décentralisé d’Internet y est pour quelque chose. Mais cette « décentralisation » est souvent mal comprise : elle s’applique non seulement au fait qu’aucun équipement unique ne contrôle l’Internet, mais aussi (et _surtout_) au fait que l’intelligence d’Internet est placée en périphérie du réseau (dans nos machines) et non dans le réseau lui-même (qui conserve toutefois une certaine adaptativité).

    Lorsque mon navigateur transmet une requête HTTP vers le serveur de framablog, les routeurs et switchs par lesquels le message transite ne savent même pas son contenu : ce n’est tout simplement pas de leur ressort. De la même manière, ce ne sont pas ces routeurs qui contrôle la vitesse à laquelle j’envoie mes paquets TCP, c’est mon OS qui décide du rythme optimal.

    Le filtrage et la régulation tels que voulus par certains imposent :

    1) Une analyse de tous les paquets transitant par un routeur (par exemple du FAI). Déjà, on vient d’ajouter une surcharge de travail extrêmement importante à ces routeurs. Cela dit, ça reste réalisable en théorie (pas dans le cas des routeurs globaux des dorsales par contre).

    2) Un moyen de savoir avec certitude que les données transférées sont bien celles que l’expéditeur dit être. Et ça, c’est impossible. Rien ne m’empêche d’envoyer une requête IMAP qui est en fait une requête HTTP : tant que mon destinataire est au courant, il n’y aura aucun problème, et le routeur n’y verra que du feu.

    3) Un moyen de lire tous les messages : ça aussi c’est impossible. Dans l’actuelle application de la LOPPSI, il me suffit de diriger ma connexion dans un tunnel SSH (très simple avec SOCKS par exemple) vers un serveur situé au-delà de mon FAI (pas trop difficile) pour rendre inopérantes toutes les procédures que pourront mettre en place les fournisseurs d’accès…

    4) Un moyen d’identifier avec certitude le destinataire et l’expéditeur : et ça aussi c’est impossible. Au-delà du piratage du wifi non sécurisé du voisin, des outils utilisables par M. Tout le monde (tels que TOR) empêchent toute identification réaliste, et ça, c’est sans compter les attaques de spoffing possibles (je n’aime pas mon patron? alors je vais faire croire qu’il envoie des requêtes sur un réseau P2P, rien de plus facile, et pratiquement indétectable).

    Bref, je pourrais continuer la liste, mais je crois que l’idée est là. Internet ne peut qu’être incontrôlable, puisque les échanges se font entre les extrémités de la connexion : c’est MOI qui envoie une demande au serveur machintruc.com, et c’est le serveur de machintruc.com qui me répond.
    Si on voulait _vraiment_ réguler, et par exemple, comme tu le suggères « instaurer une forme de droit à la publication et à l’édition sur le net », il faudrait plutôt que les échanges se fassent ainsi (hors considérations cryptographiques) :
    – Le client (moi) se connecte à une machine centrale qui régule tout, et je lui dit ce que je voudrais faire.
    – La machine centrale décide si c’est acceptable ou non, et, si c’est le cas, envoie la dite demande à un serveur correspondant.
    – Le serveur renvoie à la machine centrale la réponse à ma requête.
    – La machine centrale décide si la réponse est acceptable ou non, et, si c’est le cas, me renvoie finalement la réponse. En aucun cas je n’ai été en liaison directe avec « serveur », je ne sais même pas comment le contacter.

    Oui, comme ça les ingénieurs pourraient « appliquer les lois ». Le problème, c’est qu’on se retrouve avec la situation pas du tout idéale décrite plus haut, parce que ce n’est alors tout simplement plus Internet.

    Alors non, contrairement à ce que tu soutiens, le contrôle de l’Internet n’est pas « tout sauf compliqué ». Il est, au contraire, impossible dans la situation présente, et ça ne semble pas près de changer.

  9. Taneleo

    @ Kalenx,

    Comme tu le soulèves, tout dépend du réseau qu’on veut avoir. Si on veut le même réseau qu’aujourd’hui, son contrôle est plus délicat. Si on est prêt à revoir son fonctionnement, les choses deviennent beaucoup plus simples.

    Ce n’est pas pour rien que dans mon exemple j’ai parlé d’amenuiser la neutralité du net. Dans ce cas nous ne sommes plus dans le même réseau. C’est à dire que le caractère peut-être incontrôlable du réseau tient à sa neutralité. Autant dire que c’est une mince protection. Elle est déjà presque du passé dans l’Internet mobile, et si les grands acteurs et décideurs se sont mis d’accord pour ne pas porter pour le moment atteinte à la neutralité du net fixe, ça reste une épée de Damoclès.

    Encore une fois, oui, dans cette conception du réseau, avec sa neutralité, son contrôle est plus difficile, voire peut-être même impossible (tout dépend pour qui…). Mais cette conception même est fragile. Tout comme il existe différents degrés dans cette conception du réseau (la «quasi-neutralité»), et on pourrait très bien descendre d’une cran dans cette échelle. Aujourd’hui, on ne sait pas vraiment changer de cran sans tout casser. Mais là aussi, c’est parce qu’on a une certaine conception du réseau.

    Je peux t’en donner une autre, de conception : par défaut tu ne routes que les blocs IPs alloués à ton pays, et quelques bloc IPs avec qui tu as certains accords commerciaux/politiques/diplomatiques (par exemple les USA, ou Google). Est-ce compliqué à faire ? Non.

    Et dans cette exemple on voit bien que le réseau lui-même est très fragile : il suffit de ne pas router. Sa force ne vient pas de lui, mais des humains qui se donnent un code de conduite. C’est parce que les humains s’empêchent de faire certaines actions que le réseau est fort, ce n’est pas par essence.

    Si on ne veut pas toucher aux interconnexions, il faut toucher à ce qui nourrit le réseau : les contenus. C’est le droit à la publication dont je parlais plus haut, mais il me semble que je ne l’ai pas suffisamment détaillé : il faut en fait interdire, plus ou moins, le web 2.0.

    Par exemple, un site Web peut très bien publier et éditer du contenu, par contre il n’est pas autorisé par défaut à publier le contenu des autres. Pour cela, il lui faudra une autorisation spéciale. Celui qui veut s’exprimer sur le réseau devra le faire via son propre site. Et si on veut aller encore plus loin dans le contrôle, seules les personnes morales pourront ouvrir des sites Web.

    Dans ce cas là, tu ne modifies en rien le réseau, ce n’est même pas à proprement parlé du contrôle du réseau (mais plus un contrôle à l’accès à la diffusion), par contre tu changes complètement le visage de l’Internet, et tu supprimes tout ce qui peut déplaire à ceux qui veulent museler la toile.

    Il s’agit en quelque sorte d’individualiser la liberté d’expression, et ne plus permettre, comme c’est le cas aujourd’hui, d’être le vecteur de la liberté d’expression de tout un chacun (comme c’est le cas aujourd’hui au travers des «commentaires» par exemple).

    Pour éviter tout ça, il faudrait donner des droits à l’Internet, telle une personne morale.

    Avec la mince protection de la neutralité du net, oui, le réseau est pénible à contrôler.
    Avec le web 2.0, oui, la liberté d’expression est pénible à contrôler.

    Mais est-ce que ça va durer ?

  10. Dinosaure

    Euh, personnellement, je ne vois pas l’internet comme neutre, mais plutôt comme anarchique …

  11. Loki

    Très bon article. Par contre certains passages sont présentés comme des citations, ce sont des citations d’où, de quoi ? À part pour la Déclaration, ça ne me paraît pas très clair.

  12. Sultan Rahi

    « Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
    Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit. »
    D’où vient cette citation ?

    Ce constat est faux. Il existe une multitude d’autres moyens ; au hasard, je dirais les livres.

  13. Ginko

    Riguidel… ça c’est de la star…

    On savait que la France avait du potentiel, on sait maintenant qu’elle a du « talent »! Et la scène Hadopi est particulièrement riche! C. Albanel, E. Besson, etc. Et maintenant un pur produit du star system (càd une imposture!), j’ai nommé M. Riguidel!

  14. Libruc

    Concernant Riguidel et l’article du monde cité par gloubi, le conflit d’intérets a été souligné ici aussi :

    http://sebsauvage.net/rhaa/index.ph

    « On trouve ce genre d’annonce apocalyptique pratiquement tous les ans. L’évidence de la motivation financière de ces gugus est tellement flagrande que ça en devient pitoyable.

    C’est lourd. Mais le plus lourd, je crois, c’est que la presse traditionnelle tombe dans le panneau systématiquement et relaie ces messages comme l’Évangile, comme l’a fait Le Monde. Si Le Monde n’est plus foutu d’avoir de l’esprit critique, on est foutus. »

  15. Sweet

    @ Taneleo:

    Quand tu dis que la neutralité du web mobile est du passé qu’est que tu entends par là ? Parce que aujourd’hui si on parle du vrai « internet mobile » et pas du Wap et autre divagation de FAI dans le genre, il n’y a pas vraiment de différence de contenu mais plutôt de forme.