Nina chante le blues du ©opyright et choisit la licence CC0
Nina Paley est une artiste étasunienne auteure de bandes dessinées et dessins animés, dont le célèbre Sita Sings The Blues. Elle a pris en grippe, depuis bien longtemps, le système du copyright de son pays. J’ai découvert ses œuvres grâce à @Calimaq dont le blog SILex traite des problématiques du droit d’auteur. Et depuis longtemps le Framablog soutient ses choix militants et fait connaître ses œuvres.
Hier, @Calimaq m’envoie un lien vers l’article qui va suivre. Il sait que cela va me toucher : Nina parle ci-dessous de la licence CC0, annonçant l’élévation volontaire et par anticipation d’une œuvre dans le Domaine Public. J’aime tant la CC0 qu’elle pare chacune de mes œuvres <autopromo>dont mon premier roman #Smartarded, publié chez Framabook</autopromo>. Cette licence me permet de « couper le cordon » avec les histoires que j’écris. Leur enlever et la chaîne et le boulet qu’elles se traînaient pour rendre leur lectorat libre de se les approprier.
On le sait, les licences libres ne sont pas sans restrictions. Les trolls débats sur les entraves aux libertés qu’entraînent les clauses NC (condition de non commercialisation) et ND (condition de non modification) remplissent des forums entiers. Pourtant, peu de gens parlent de la contrainte que peut représenter la clause share alike, le fameux « SA » viral, imposant la licence choisie à toute nouvelle adaptation de l’œuvre.
Nina Paley nous livre ici son vécu, nous explique ce « vœu de non-violence légale » qui motive l’expérience qu’elle mène… et que je lui souhaite aussi heureuse que celle que je vis.
– Pouhiou
Article original sur le blog de Nina Paley
Traduction Framalang :
Ahimsa : Sita Sings the Blues désormais en CC-0 « domaine public »
par Nina Paley
Par la présente, je déclare passer la licence de Sita Sing the Blues de CC-BY-SA (partage à l’identique) à CC-0.
Il y a quelques années j’ai entamé une démarche pour faire vœu de non-violence : un engagement de ne jamais poursuivre en justice qui que ce soit pour du savoir (ou de la culture, des œuvres culturelles, de l’art, de la propriété intellectuelle — ou le nom quelconque que vous préférez). Le copyright est désespérément détraqué ; bien sûr, le droit craque de partout aux USA. Mais pourquoi devrais-je recourir à cette même loi aberrante pour essayer de corriger les abus qu’elle introduit ? Nous vivons dans un univers chaotique. Les choix que j’effectue, bien que fondés sur des principes solides, n’y changeront rien. Les gens continueront à censurer, supprimer et verrouiller le savoir. La licence Share-Alike (partage à l’identique selon les mêmes conditions), nécessaire légalement pour conserver l’aspect libre du savoir, a eu pour conséquence d’en détruire la liberté
« Ne pas utiliser le savoir c’est lui faire injure »
a écrit Jeff Jarvis, dans une réflexion sur la mort d’Aaron Swartz.
J’ai appris la mort d’Aaron dimanche ; le lundi, le National Film Board of Canada (NdT : l’Office national du film du Canada) m’a demandé de remplir des formulaires pour « autoriser » le réalisateur (et ami personnel) Chris Landreth à faire référence à Sita Sings the Blues dans son court-métrage à venir, Subconscious Password, même si le Fair Use libérait le NFB de toute peur légitime des propriétés virales du Share-Alike. Je fais des compromis avec mes principes tous les jours, mais ce lundi-là je ne pouvais absolument pas. La bêtise des avocats du NFB était du même acabit que celle qu’Aaron combattait en libérant les documents du JSTOR. Je ne supportais pas l’idée de permettre d’avoir encore plus de mauvais avocats, de mauvaises décisions, de saloperie de copyright, en remplissant gratuitement des formulaires pour un système stupide et corrompu. Je ne pouvais tout simplement plus le faire.
Donc la NFB a dit à Chris d’enlever toute référence faite à SSTB dans son film.
Se lever pour défendre ses principes a des conséquences. Les gens vous critiquent, vous craignent et ont pitié de vous. Les condamnations publiques pleuvent. Vous perdez de l’argent. Parfois on vous poursuit en justice et, bien que cela ne me soit pas encore arrivé, cela pourrait venir vu ma pratique grandissante de la désobéissance civile.
Ma création artistique est illégale ! — Bouge pas, je vais réformer la loi !
(Commentaire de Nina Paley : Les vrais artistes n’attendent pas que les juges et les lois les autorisent)
Ce n’est pas moi mais bien mon travail, qui est la vraie victime de mes prises de positions. Quand j’ai refusé par principe les DRM (verrous limitant l’utilisation d’œuvres numériques afin de limiter les copies) de Netflix, le résultat fut que moins de gens ont vu SSTB. Quand de nombreuses chaînes de télévision me demandaient les droits de SSTB et que je leur répondais qu’ils les avaient déjà, le résultat fut qu’ils ne le diffusèrent pas. Quand des éditeurs ont voulu adapter SSTB en livre, la licence Share-Alike fut une cause de rupture des négociations, et il n’y eut pas de livre SSTB.
Ne pas utiliser le savoir, c’est lui faire injure.
Donc, chers NFB et Netflix, chers éditeurs et patrons de chaînes, chers vous qui formez cette putain de légion d’avocats : Sita Sings the Blues est désormais dans le Domaine Public. Désormais, vous n’avez plus aucune excuse pour entraver sa diffusion.
Est-ce que je continuerai de me battre ? Oui. MAIS PLUS PAR LA LOI. Je crois toujours aux raisons qui motivent la BY-SA mais la vérité c’est que jamais, au grand jamais, je ne poursuivrai quiconque en justice pour SSTB ou une autre œuvre culturelle. Je continuerai à condamner publiquement des abus tels que le verrouillage et la mauvaise attribution volontaire… Mais quelle utilité de menacer le monde d’une arme chargée si l’on ne s’en sert pas ? La licence CC-0 (NdT : versement volontaire et par anticipation dans le Domaine Public) est l’affirmation que jamais je ne serai procédurière contre qui que ce soit, peu importent les abus et la malfaisance.
Pour moi, la CC-0 est ce qu’il y a de plus proche d’un vœu de non-violence légale. La loi est un âne que je refuse de monter.
Je ne peux pas abolir le mal. La Loi ne peut abolir le mal, au contraire, elle le perpétue et l’amplifie. Les gens continueront à censurer, faire taire, menacer et maltraiter le savoir, et ce désastreux morcellement qu’est la propriété intellectuelle continuera d’encourager de telles choses. Mais je me refuse, pour combattre des monstres, à en devenir un ou à nourrir le monstre que je combats.
Ni la CC-BY-SA ni la CC-0 ne sont la solution à notre monde à la dérive avec son régime de copyright parfaitement détraqué.
Ce que je peux dire c’est que SSTB a été sous licence CC-BY-SA durant les 4 dernières années, donc je connais bien le sujet et je peux partager les résultats de cette expérience. En avançant sous la licence CC-0 j’apprendrai de nouvelles choses et j’aurai de nouveaux résultats à partager. Cela ressemble à une victoire même si de mauvais scénarios peuvent entrer en jeu. Honnêtement je n’ai pas été capable de déterminer quelle licence Libre est la « meilleure », et passer sous licence CC-0 peut contribuer à apporter une réponse.
Crédit photo : ouest-communications (CC BY-NC-ND 2.0)
Goofy et ses complices ont dédié cet article au domaine public en renonçant dans le monde entier à leurs droits selon les lois sur le droit d’auteur, droit voisin et connexes, dans la mesure permise par la loi.
Ugh.