Pas de Web libre et ouvert sans navigateur

Temps de lecture 5 min

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Nous reproduisons aujourd’hui le dernier billet de Tristan Nitot, dont nous avons traduit la version originale. Il attire notre attention sur un problème crucial aujourd’hui et vous propose d’apporter votre contribution au débat. Alors qu’un véritable raz-de-marée d’applications déferle sur les smartphones et que nous en sommes friands (— ah bon, pas vous, vraiment  ?) il est temps de s’interroger sur ce qui fait la force d’un navigateur qui nous permet de tirer le meilleur parti du Web. Car il ne s’agit pas seulement d’y acheter des contenus mais bien d’en faire l’espace de nos libertés, de notre création, de notre vie en ligne.

Et si le navigateur disparaissait  ?

Par Tristan Nitot, Mozilla Principal Evangelist

(Adaptation d’un article en anglais publié sur le blog officiel Mozilla, Beyond the Code, sous le titre What if the browser disappeared ?. Sky, Slystone, goofy pour la traduction).

L’autre jour, je lisais un article provocateur intitulé The end of the browser ? (NDT  : «  La fin du navigateur  ?  »). Cet article soutient fondamentalement que tout le monde utilisant de plus en plus d’appareils nomades, les applications mobiles remplacent les navigateurs Web pour diverses raisons, la principale étant qu’elles sont plus pratiques que les pages Web affichées dans les navigateurs.

Bien qu’en désaccord avec l’auteur, je pense qu’il s’agit d’une question très intéressante qui soulève deux problèmes  :

  1. Et si le Web était remplacé par les applications mobiles  ? En quoi serait-il dommageable de perdre les navigateurs Web en tant que canal principal d’accès à l’information et aux services  ?
  2. Que pouvons-nous faire pour nous assurer que le navigateur Web ne devienne pas une relique du passé pendant que le monde devient mobile  ?

Et si le Web était remplacé par les applications mobiles  ?

— Je pense que le monde y perdrait énormément. Il y perdrait tellement que je ne sais même pas par où commencer…

Liberté d’expression

Le Web n’est pas seulement fait de contenu commercial. Avoir la possibilité de s’exprimer est fondamental. Le Web permet cela, et avoir une structure décentralisée sur laquelle publier des trucs est nécessaire. Les magasins d’applications centralisés, comme les Appstores, ont montré une certaine tendance à censurer agressivement les contenus pour éviter les litiges, qu’il s’agisse d’art, de politique, de liberté de la presse ou simplement de mauvais goût.

Liberté de façonner mon expérience

Les navigateurs Web modernes sont équipés d’un système d’extensions qui permet aux utilisateurs de personnaliser leur expérience. Mais même avant que Firefox ne rende les extensions si populaires, il était possible d’utiliser des feuilles de styles alternatives ou même les feuilles de style de l’utilisateur pour modifier la présentation du contenu d’un site. Il ne s’agit pas seulement des goûts et des couleurs, mais également de l’importance pour le contenu du Web d’être accessible aux personnes handicapées.

N’oublions pas que chaque plateforme majeure propose un navigateur Web, de Windows à MacOS en passant par GNU/Linux et tous les smartphones  : les utilisateurs n’ont pas à acheter un matériel ou un logiciel spécifique pour accéder au Web. Tout ce dont ils ont besoin c’est un ordinateur qui puisse faire tourner un navigateur Web.

Liberté d’apprendre, de bricoler et de créer

Ce qui rend le Web différent des autres médias est la possibilité pour chacun de participer. Contrairement à la télévision, vous n’avez pas besoin de posséder une chaîne de télé pour partager votre point de vue avec un public. Tout le monde peut publier un billet de blog qui renvoie vers d’autres pages, partager des photos ou des vidéos, et c’est un progrès fantastique pour la démocratie, comparé aux temps de la télé, de la radio et des journaux.

Mais l’Internet et le Web ne sont pas seulement des médias. Ce sont des plateformes d’innovation. Comme tout le monde peut apprendre comment le Web fonctionne en regardant le code source, le Web permet à chacun de créer une application Web, ce qui conduit à plus d’innovations, provenant d’encore plus de gens.

Que pouvons-nous faire pour nous assurer que le navigateur Web ne devienne pas une relique du passé pendant que le monde devient mobile  ?

La réponse à cette question est plus courte que la précédente, je vais vous présenter ce que fait Mozilla à ce sujet  :

  1. Continuer de faire un super navigateur pour le bureau  : Firefox  ;
  2. Continuer de faire un super navigateur pour les mobiles  : Firefox pour Android  ;
  3. Travailler sur un système d’exploitation mobile ouvert pour faire du Web la plateforme mobile de choix  : Firefox OS (bientôt sur les téléphones portables près de chez vous  !).

La nature ouverte du Web donne à chacun toutes sortes de libertés, et c’est pourquoi Mozilla s’investit dans Firefox OS  : c’est le meilleur moyen de s’assurer que le Web a un futur dans un monde où la plupart des gens utilisent Internet sur leur téléphone portable.

Que pensez-vous que le monde perdrait si le navigateur Web disparaissait  ? Vous pouvez nous le dire dans les commentaires là-dessous.

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je lis des livres et mange des nouilles.

9 Responses

  1. Goofy

    @Gilles oui nous en sommes d’autant moins surpris que nous y sommes pour quelque chose. L’opération pour le Framablog consiste à apporter son soutien à la diffusion des billets du Standblog lorsque nous estimons que leur portée mérite un retentissement plus large et un retour des lecteurs sous forme de commentaires.

  2. vvillenave

    Partir d’excellentes intentions et d’une bonne volonté, ne suffit pas à être convaincant. Depuis quatre-cinq ans on a annoncé « la mort de l’URL » avec les navigateurs pour demeurés qui cachaient la barre d’adresse, « la fin du Web » avec Facebook, et un bon nombre de fois « la disparition des navigateurs » à cause de la mode des « Apps de merde » (je ne suis pas grossier, je ne fais que citer le Framablog 🙂

    Dire qu’il existe un danger, c’est une chose et c’est bien. Jouer à « demain la fin du monde », c’est autre chose et c’est non seulement s’amuser à se faire peur, mais dans le cas d’un employé de Mozilla ça revient à tomber dans les ficelles publicitaires les plus éculées pour « vendre » « son » « produit ». (Je mets des guillemets partout parce que nous savons bien que ce n’est pas de cela qu’il s’agit.)

    Les dangers sont réels : relire aujourd’hui les écrits du « Web indépendant » d’il y a quinze ans, Uzine, le mini-rézo, Arno* et compagnie, montre que d’aucuns avaient pressenti beaucoup de choses. Mais ce que nous constatons aussi, c’est que les forces vives du Web n’ont jamais disparu : même si elles croissent évidemment moins vite que la colossale multitude d’abrutis incultes qui se ruent sur les gadgets superficiels qu’on leur fourgue, il existera _toujours_ un mouvement pour la liberté, le partage et l’inventivité. Et qui plus est, tout marginal qu’il soit, ce mouvement sera _toujours_ un signe avant-coureur, certes un peu isolé en haut de la vague mais suivi peu à peu par des évolutions sociétales profondes.

    Donc bon. Sonner le tocsin comme ça, ça ne m’emballe pas. On peut se contenter, même si c’est moins glamour ou moins saisissant, de rappeler que les Apps sont merdiques et que rien ne vaut un navigateur. Mais ça, on le savait tous déjà, non ?

    Non ?

  3. libmult

    Le problème est plus au niveau de la baisse de liberté des internautes sur les grandes plate-formes commerciales du Web plutôt qu’à la disparition d’un moyen d’accéder à ces plate-formes. Les applications mobiles permettent d’accéder à une ressource spécifique (Facebook, Google Drive, Wikipedia etc.) sans passer par le site, en une fraction de seconde plus rapidement, et avec un design adapté à l’appareil mobile (rappelons que l’utilisateur lambda est d’abord attiré par une application simplissime avec un beau design et des trucs qui brillent!) Pour quelqu’un qui est pressé et qui souhaite accéder à une ressource rapidement depuis son mobile, comme des horaires de trains, une app peut être bien plus rapide que le site de la compagnie de trains qui n’a peut être même pas de version mobile.

    Mais dans l’immensité du Web, il y aura toujours des ressources n’ayant pas d’app mobile officielle (tout comme il existe des sites n’ayant pas de page Facebook), qui ne pourront être accédées qu’au travers d’un navigateur Web, par HTTP. Le navigateur Web a encore quelques bonnes années de vie devant lui.

    Le problème est plutôt situé autour des restrictions en matière de liberté qu’offrent ces plate-formes, y compris des systèmes d’exploitation comme Chrome OS, où le navigateur Web, Chrome, est l’élément central du système à tel point qu’on en oublie qu’il s’agit d’un « navigateur Web ». Ce type de systèmes optimisés pour le mobile et surtout le cloud montrent le problème aujourd’hui: il ne s’agit que d’interactions via des applications limite « boîtes-noires » entre des plate-formes propriétaires différentes, à 99.9% basées aux Etats-Unis (avec l’accès aux données par le gouvernement et les entreprises cela va de soi).

    Quand je vois du Chrome OS ou même de l’Android, j’ai l’impression que l’informatique mobile en est au même point que l’informatique desktop il y a 15 ans: c’est le grand boom des logiciels et des OS propriétaires (Apple, Google, Amazon, Facebook etc.) qui se sont emparés des smartphones et tablettes et prêchent chacun pour leur paroisse avec des systèmes extrêmement fermés, et il n’y a pas d’autre alternative puisque les développeurs de l’open-source ne sont pas encore là, que les OS mobiles et applications libres n’en sont qu’à leurs balbutiements. Mais avec l’arrivée de Mozilla et de son Firefox OS, que je vois comme une alternative libre très intéressante à Chrome OS, je suis optimiste pour le futur. Pour le moment, c’est encore l’iPhone et la tablette Android, mais pour les prochains, dans 2 ou 3 ans, ça sera du libre sinon rien! Je pense que Mozilla a les moyens de révolutionner l’open source mobile, il faudrait juste que leur système ne soit pas aussi gourmand en RAM que leur navigateur Web, afin qu’il puisse tourner sur des appareils plus anciens et leur donner une 2e vie.

  4. gnuzer

    @vvillenave:

    « On peut se contenter, même si c’est moins glamour ou moins saisissant, de rappeler que les Apps sont merdiques et que rien ne vaut un navigateur. Mais ça, on le savait tous déjà, non ? »

    O.o
    euh…
    Je ne sais pas à quelles apps tu penses, perso je ne connais pas les apps des smartphones, mais la seule app que je connais, c’est en fait une collection d’apps pour bureau et c’est weboob. http://weboob.org/

    Et c’est super bien.

    Ça permet par exemple de récupérer ses relevés bancaires en une ligne de commande pour – par exemple – les envoyer dans un pipe et les parser avec grep. Le tout sans être obligé de se taper l’interface mal fichue ou le digicode javascript à la con d’une saloperie de site web de merde (je ne cite pas le Framablog, je suis vraiment grossier :] ).

    En tout cas il ne manque pas d’air l’ami Nitot. J’ai plutôt l’impression que c’est le navigateur qui est en train de tuer les logiciels dédiés. On me demande d’utiliser un navigateur pour regarder une vidéo, on me demande d’utiliser un navigateur pour lire un document PDF, on me demande d’utiliser un navigateur pour éditer un texte collaboratif, on me demande d’utiliser un navigateur pour afficher une galerie d’images… Le bureau et ses logiciels natifs qui utilisent des protocoles et des formats dédiés aux tâches qu’on veut faire sont peu à peu en train de se délocaliser vers le web à grands coups de Flash, de PHP, de Javascript et de HTML5. Bientôt à chaque fois que je voudrai faire une action il faudra que je me connecte en HTTP sur une grosse plateforme centralisée, que je télécharge « systemedexploitation.js », que je l’exécute dans la machine virtuelle Javascript qui me sert de navigateur et que j’utilise les fonctions qui me seront proposées.
    C’est une caricature, je sais. Mais c’est le rêve de Google : limiter l’OS à un noyau et un navigateur, et mettre tout le reste dans le « claoûde ».

    On n’y est pas encore. Mais on y va doucement. En passant, merci à Tristan Nitot qui poste ses vidéos sur Vimeo® et ses présentations sur Slideshare™, à Mozilla qui marche dans les pas de Google en transformant progressivement Firefox en une machine virtuelle javascript ultra-rapide, pauvre en fonctions et abrutissante (ne pas montrer http:// à l’utilisateur, il pourrait être perturbé…), en abandonnant Thunderbird (le message est clair : on ne fait plus de l’Internet, mais du Web) et en refusant d’intégrer une gestion fine du javascript, des cookies et des balises (et bien sûr le fait que Google les finance à 80% n’a rien à voir avec les directions prises par Mozilla), et enfin merci aussi à Framasoft pour qui l’édition de texte collaborative se fait forcément via un shitload de javascript exécuté dans un navigateur, merci à tout ceux-là d’accélérer la délocalisation progressive du système d’exploitation vers les serveurs des nostalgiques du Minitel.

  5. gasche

    Je vais dans le sens du commentaire de gnuzer : j’apprécie beaucoup le travail de Mozilla et je suis aussi contre les milieux logiciels propriétaires et verrouillés que représentent certains systèmes pour mobiles, mais je vois dans le billet actuel un certain opportunisme d’un groupe qui fait des navigateurs libres et veut nous garder bien convaincu que le navigateur est un outil fondamental.

    Je m’en fous un peu du web, ce qui compte c’est internet, le fait que les gens soient connectés entre eux et puissent échanger, contribuer, créer etc. Si ça se fait par des clients lourds bien synchronizés entre eux, tant mieux si ça marche et ça respecte la liberté des utilisateurs. Le web n’est même pas un lien spécialement propice au libre : quand on voit le temps qu’on a mis à se débarrasser de Flash (et la façon dont c’est venu, par un milieu logiciel fermé), les efforts désespérés pour éviter les brevets sur les formats vidéos, ou simplement le peu d’intérêt chez les développeurs de services webs de distribuer leur code (plein de libristes utilisent Github sans se poser de questions, où est le code de ce service qui devient central à de nombreux projets ?)…

    Quand on utilise le web, on sait quelles sont les notions de liberté importantes sur ce medium technologique, on veut les promouvoir, et Mozilla le fait dans l’ensemble très bien. Mais le web n’a pas toujours existé comme un milieu propre et ne sera pas forcément éternellement présent; nous survivrons (Mozilla peut-être pas, mais et alors ?) et les problématiques du logiciel libre (et des formats libres, de la culture libre, tout ça) resteront présentes dans tous les cas.

  6. vvillenave

    @gnuzer Euh, quand on en est à voir en premier le « boob » dans « Weboob », c’est qu’on a un problème quelque part ? (Non non, je demande juste ça comme ça 🙂

    Je ne suis pas vraiment d’accord, n’ayant jamais utilisé boob (je veux dire Weboob, raaah !) ni éprouvé le besoin de l’utiliser. En fait tout dépend de ce que tu entends par « navigateur » : j’utilise wget+sed tous les jours, w3m trois fois par semaine et lynx de temps en temps. Et je suis *entièrement* d’accord en ce qui concerne cette mode ridicule du « tout faire dans son browser ». Par « rien ne vaut un navigateur », j’entendais : rien ne vaut des données accessibles facilement en http, au moyen d’une URL pas trop tordue et sans je ne sais quelle connerie DRMoïde par-dessus. Maintenant, si Weboob permet tout cela plus simplement, pourquoi pas ; mais je ne suis en général pas fan des APIs exotiques et de tout ce que je ne pas faire tranquillou d’un coup de wget.

    Et un gros, GROS +1 pour ce qui est de la course au nivellement par le bas (pour draguer la sacro-sainte « Mme Michu », commençons par supposer que tous nos utilisateurs sont des débiles profonds), le fait de cavaler piteusement à la remorque de Google, de cacher http:// et autres aberrations mozillesques . Curieusement on entend rarement Nitot sur ces sujets-là…

  7. gnuzer

    @vvillenave: « Euh, quand on en est à voir en premier le « boob » dans « Weboob », c’est qu’on a un problème quelque part ? (Non non, je demande juste ça comme ça 🙂 »

    Weboob, c’est « Web Out Of Browser » pour être précis, mais le nom n’est pas innocent. Je dirais que les développeurs sont très proches de la culture Linuxfr (voir le wiki DLFP ou le site de Sam Hocevar pour se faire une idée), d’ailleurs en regardant la liste des modules et de leurs icônes tu auras un aperçu de leur humour très…particulier : http://weboob.org/modules (et encore, il me semble qu’ils se sont auto-censurés sur certains trucs).

    Le nom de l’application « havesex » avait créé des tensions (si je puis dire) au sein du projet debian, elle a été renommée en « havedate » pour être acceptée.

    « En fait tout dépend de ce que tu entends par « navigateur » : j’utilise wget+sed tous les jours, w3m trois fois par semaine et lynx de temps en temps. »

    …le must reste le démon wget qui récupère la page html et te l’envoie par mail pour que tu puisses la lire dans Emacs. 😛

    « Maintenant, si Weboob permet tout cela plus simplement, pourquoi pas ; mais je ne suis en général pas fan des APIs exotiques et de tout ce que je ne pas faire tranquillou d’un coup de wget. »

    Disons que pour les sites de banques (qui sont bien souvent codés avec les pieds), c’est très pratique. Après pour des sites de vidéo comme Youtube, j’alterne entre weboob et cclive. cclive est très bien pour récupérer des vidéos, mais Weboob permet en plus de faire une recherche sur le site, sans lancer de navigateur, c’est très agréable.

    Maintenant c’est sûr que Weboob est un « dirty hack ». Certes on a une interface unifiée pour tous les sites du même type, mais les développeurs doivent coder et maintenir un module pour chaque site, ça demande d’être vigilant, réactif, de faire du reverse sur du code crade, et c’est beaucoup de travail.

    Après, effectivement, le must serait de pouvoir se passer de tous ces sites web gaspilleurs de temps et d’énergie, mais quand on voit qu’il faut activer javascript pour acheter un billet de train, ou pour récupérer le lien de téléchargement d’un PDF sur le site d’une administration préhistorique…