Le Libre (et Framasoft) à la Fête de l’Huma, entretien avec Yann Le Pollotec

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Fête de l'Humanité 2014

Le Libre revient explicitement et concrètement à la Fête de l’Humanité, grâce à l’initiative de Yann Le Pollotec et toute son équipe.

En effet, cette année, un espace sera consacré «  aux logiciels libres, aux hackers et aux fablabs  », au sein du Village de l’économie sociale et solidaire, avec notamment la présence de l’April, FDN, La Quadrature ou encore Ubuntu. Des débats seront également proposés avec Richard Stallman le vendredi 12 septembre, Bernard Stiegler le samedi 13 et une table ronde animée par Sebastien Broca le dimanche 14. Les temps étant difficiles une campagne de financement a été lancée pour couvrir les frais occasionnés.

Framasoft en sera, en tenant un stand pendant les 3 jours et en participant à la table-ronde du dimanche avec son président Christophe Masutti.

En attendant, nous sommes allés à la rencontre de Yann Le Pollotec (informaticien, membre du conseil national et animateur de la réflexion sur la révolution numérique.au PCF), afin d’avoir de plus amples informations sur l’événement, afin aussi de savoir ce que le logiciel libre avait à dire à la gauche et réciproquement.

Yann Le Pollotec

Entretien avec Yann Le Pollotec

Entrons tout de suite dans le vif du sujet  : le logiciel libre est-il de gauche  ?

Les quatre libertés du logiciel libre, de par les valeurs de partage et la notion de biens communs qu’elles portent, ne peuvent que rejoindre ce pourquoi les hommes et les femmes sincèrement de gauche se battent. Je pense en particulier à la notion de «  Commun  » qui me semble être la seule voie d’avenir pour que la gauche sorte du mortifère dilemme entre le marché et l’État.

Certes certains libéraux et libertariens s’en réclament également, car contradictoirement, malgré sa tendance à tout vouloir privatiser, le capitalisme pour se développer a toujours eu besoin de biens communs à exploiter.

Tu fais partie de ceux qui réfléchissent à la «  révolution numérique  » au sein du PCF. Est-il possible de résumer les positions du parti sur le sujet et plus particulièrement sur le logiciel libre  ?

Le PCF s’est battu pour le logiciel libre depuis 1994, ainsi que contre toutes les tentatives de brevets logiciels au Parlement européen.

Le texte suivant adopté lors du dernier Congrès du PCF résume notre position  : «  Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec les logiciels libres, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les Fab Lab, qui sont les moteurs de ce mouvement. Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédites.  »

Lorsque tu communiques avec tes camarades du parti, vois-tu souvent passer des adresses en gmail et de pièces jointes en .doc  ?

Oui malheureusement en cela les militants communistes ne sont pas différents de la majorité de la population.

Mais les choses progressent, ainsi au siège national du Parti, et dans la plupart des fédérations départementales, nous sommes équipés de LibreOffice, de Thunderbird, et Firefox, et nous avons notre propre nom de domaine  : pcf.fr. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure ainsi que la peur de perdre ses sacro-saintes «  macro excel  ». C’est pourquoi l’espace à la Fête de l’Huma est aussi une occasion de les faire régresser par l’exemple et la pédagogie.

Nous sommes nombreux à vouloir re-décentraliser le Web plutôt que céder nos données à «  GAFA  » (Google, Apple, Facebook, Amazon). Le mouvement des fablabs et du DIY va-t-il re-décentraliser le capital  ?

Oui parce que s’ils socialisent la conception via les échanges sur le Net et les bases de données disponibles, et ils décentralisent dans le même temps la production. Les petites unités de production que sont les fablabs, les hackerspaces et les makerspaces, impliquent une dispersion du capital qui va à l’encontre de la tendance atavique du capitalisme à le concentrer. La démocratisation et le partages des connaissances techniques et des moyens de créer et de produire dans le cadre de ces tiers lieux démentent les prédictions de Jacques Ellul sur l’équivalence entre développement des technologies et concentration du pouvoir, des ressources et du capital.

Favorable au revenu de base universel  ? Et comme le souhaite Bernard Stiegler  : demain, tous intermittents du spectacle  ?

La révolution numérique dans le cadre économique actuel est une machine à détruire l’emploi salarié et à faire baisser les salaires. Par contre cette même révolution numérique, dans le cadre d’un autre partage des richesses et là c’est un combat politique, peut permettre, comme Marx l’appelait de ses vœux dans les Grundrissel émergence d’une humanité libérée du salariat et où «  la distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume de richesses socialement produites et non au volume du travail fourni.  ».

C’est pourquoi je suis persuadé à l’instar de Bernard Stiegler que les batailles politiques pour instaurer un revenu universel et une baisse drastique du temps de travail, en lien avec la question de la propriété, seront fondamentales. Après on peut bien sûr débattre pour savoir si on résout le problème avec un «  salaire socialisé  » comme le propose Bernard Friot, un système de «  sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie » comme y invite Paul Boccara, ou sous la forme de revenu universel de base conditionnel ou non.

Alors cette année, le Libre est à l’honneur et à l’affiche à la Fête de l’Huma. QQOQCCP  ? (Qui  ? Quoi  ? Où  ? Quand  ? Comment  ? Combien  ? Et pourquoi  ?)

La Fête de l’humanité des 12, 13 et 14 septembre 2014 à la Courneuve, consacrera donc un espace aux cultures et aux valeurs du logiciel libre, des hackers et du mouvement émergent des Fablab. Cet espace sera un lieu d’éducation populaire par la démonstration et la pratique (Imprimante 3d, atelier soudure, installation de distributions GNU/Linux, fabrication de Jerry..). Mais il sera aussi un endroit où on mènera le débat politique au sens noble du terme sur tous les enjeux de la révolution numérique  : le big-data, la neutralité du net, la propriété intellectuelle, les tiers-lieux, l’économie du partage et de la coopération,…

April, Ars Industrialis, Creative Commons France, Emmabuntüs, Fab-Lab Cité des sciences  : Carrefour numérique, Fabrique du Ponan, Fac-Lab, FDN, Open Edge, Jerry Do It Together, La Quadrature du Net, Les petits débrouillards d’IDF, Mageia, Parinux, Ubuntu et Framasoft ont accepté d’être partie prenante en tant qu’exposants et acteurs de cet espace.

Il y aura également des débats avec des personnalités comme Bernard Stiegler ou Sebastien Broca, des structures comme l’April, la Quadrature du Net ou Framasoft et… Richard Stallman himself  !

Oui trois grands moments de débats structureront la vie de cet espace  :

  • «  le Logiciel libre : les Droits de l’Homme dans votre ordinateur  » avec Richard Stallman
  • «  l’économie de la contribution et la révolution numérique  » avec Bernard Stiegler, Laurent Ricard et Emmanuelle Roux.
  • «  Le combat pour les libertés numériques  : neutralité du Net, protection des données personnelles, licences libres, droits d’auteur…  » avec Sébastien Broca, l’April, la Quadrature du Net, Framasoft et Creative Commons France.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013

Il existait par le passé un «  Village du Logiciel Libre  » sous la houlette de Jérôme Relinger. Ainsi donc le logiciel libre revient à la Fête de l’Humanité. Mais peut-être est-il plus juste de dire qu’il ne l’a jamais quitté  ?

À vrai dire, c’est toujours une affaire d’hommes et de femmes, le «  village du logiciel libre  » avait été créé par Jérôme Relinger et Jacques Coubard. Les aléas de la vie ont fait que Jérôme a vogué vers d’autres horizons et que Jacques est malheureusement décédé.

Mais les braises couvaient sous les cendres. À la fête de l’Humanité 2013, le stand du PC -Blanc-Mesnil, sous le thème de «  Hackons le capitalisme  » avait accueilli en démonstration un mini fablab avec entre autres une imprimante 3D et organisé un débat sur ce thème. Par le bouche à oreille, divers acteurs du monde du logiciel libre, des fablabs et des hackerspace ont spontanément participé à l’animation de ce mini-espace drainant ainsi sur les 3 jours de la Fête plusieurs centaines de curieux comme de passionnés. Le débat a lui aussi été un succès, tant en termes de participation que de qualité des échanges

Spontanément les acteurs comme les visiteurs de ce mini-espace en sont venus à souhaiter ardemment un véritable espace lors de la Fête de l’Humanité 2014 dédié aux mouvements des logiciels libres, aux hackers et aux fablabs, et sous la responsabilité officielle de la Fête de l’Humanité. Un collectif s’est donc constitué, de manière bénévole et militante, à partir des animateurs et des visiteurs du mini fablab de 2013, pour réaliser un espace du libre, des hackers et des Fab-Lab à la Fête de l’Humanité 2014.

Nouvelle dénomination  : «  Espace du libre, des hackers et des fablabs  ». Pourquoi un tel choix  ? Y a-t-il une forte différence entre les 3 dénominations  ? Illustre-t-il une évolution et la situation actuelle  ?

Oui car il s’agissait à la fois de se placer dans la filiation du village précédant, de casser les lieux communs que les médias dominants donnent des hackers en les assimilant aux crackers et d’attirer l’attention sur le mouvement émergent des fablabs avec le mariage des bits et des atomes. Bien sûr aux cœurs de ces trois mots, on retrouve un socle de valeurs communes et déjà une Histoire qui elle aussi est commune.

Fête de l'Humanité 2014 - Ulule

Une campagne de financement participatif a été lancée sur Ulule pour couvrir les frais de cet espace. Pourquoi  ? Que peut-on faire pour aider, participer  ?

La direction de la Fête de l’Huma a donné son accord pour la création de l’Espace mais à condition qu’hormis le terrain et l’électricité cela soit à coût zéro pour elle, en raison des graves difficultés financières du journal l’Humanité. D’où la nécessité de trouver un financement participatif pour les frais de transports, de location de mobiliers et de matériels, de réalisation d’une exposition pédagogique de présentation des enjeux de la révolution numérique,…

Vous pouvez participer personnellement à ce financement sur  : http://fr.ulule.com/hackers-fablab/.

Par exemple  : pour 60 euros, vous avez la vignette d’entrée pour les 3 jours (et tous les spectacles), le tee-shirt officiel, votre nom sur le panneau et une initiation à l’impression 3d. Et nous vous invitions également à populariser cette campagne autour de vous, dans vos réseaux et vos cercles de connaissances. Merci.

Le crowdfunding (financement participatif) est-il soluble dans les valeurs du communisme  ?

Le crowdfunding est une réponse «  bottom-up  » aux dysfonctionnements majeurs des banques traditionnelles et du système financier dans son ensemble. L’existence et le développement du Crowdfunding n’empêche le combat politique pour mettre les banques et la monnaie au service du financement de l’intérêt général et du bien commun.

Où en est le projet de créer un fablab original et ambitieux au Blanc-Mesnil  ?

Ce projet était porté par la municipalité communiste sortante. Malheureusement en mars, elle a été battue par une liste de l’UMP. Les priorités du nouveau maire sont de mettre en place une police municipale armée et des caméras de vidéo surveillance et non de favoriser l’installation d’un fablab. Aujourd’hui avec l’association «  Fablab au Blanc-Mesnil  » nous sommes en train de travailler à poursuivre notre projet dans le cadre de ces nouvelles conditions y compris en l’élargissant aux communes voisines.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013

13 Responses

  1. DR

    Je suis un peu déçu que Framasoft et les associations du libre aient accepté de participer à ce genre d’événement. En vous assumant ouvertement anticapitalistes, vous décrédibilisez le mouvement et vous vous aliénez tous ceux qui ne sont pas de gauche. Et en plus vous donnez raison à vos détracteurs.
    On pourrait rétorquer que la participation à cet événement communiste n’implique pas une approbation de l’idéologie marxiste. Mais imaginons que le FN (ou même l’UMP) vous aient invité à un événement, auriez-vous accepté ? En outre les gauchistes sont majoritaires au sein du mouvement et on lit souvent que les logiciels libres sont des « biens communs » (si c’est pas communiste, ça ?)
    Et après vous vous plaignez que les entreprises emploient majoritairement le terme « open source », même en français. Mais vous ne leur laissez guère le choix. Comment voulez-vous qu’elles soient crédibles si elles emploient un terme associé à l’idéologie d’extrème gauche ?
    Je trouve par ailleurs que c’est aveuglement de croire que le logiciel libre est de gauche ou constitue une alternative au capitalisme. Souvenez-vous que quand l’Assemblée Nationale française est passé à Ubuntu, c’était la droite qui était au pouvoir. Et quand la gauche est arrivée, elle est repassée sous Windows. C’est aussi un maire socialiste (SPD) qui envisage d’abandonner les logiciels libres à Munich. Par ailleurs, le libre est très bien intégré à l’économie capitaliste et Linux est essentiellement financé par des multinationales.

  2. tala

    Les « gauchistes » seraient majoritaires dans le mouvement et les associations devraient s’interdire de se rendre à la fête de l’huma pour ne pas heurter les entreprises ?

    A mon humble avis, ceux qui parmi nous insistent sur l’emploi du terme logiciel « libre » et non « open-source » sont ceux qui sont sensibles à la quatrième « liberté » de la GPL, selon wikipedia : « L’obligation de faire bénéficier à la communauté des versions modifiées ».

    Cette disposition ressemble bien à la protection d’un commun contre l’accaparement. Si cela n’oblige évidemment pas d’adhérer aux thèses du PCF, cela doit sans doute impliquer une certaine distance critique vis-à-vis du capitalisme actuel … qui peut expliquer l’envie de venir discuter, exposer, rencontrer à la fête de l’huma.

  3. framatophe

    @DR : il ne faut pas chercher plus loin qu’une simple représentation à titre informatif (voire éducatif) lors de la fête de l’Huma. Le groupe Scorpions ou IAM qui y feront une représentation eux aussi n’ont pas forcément leur carte au PCF. Ne faisons pas d’amalgame.
    Il est important pour nous d’oeuvrer sur tous les fronts (sans jeu de mot), et lorsqu’on nous invite pour un événement où nous sommes à peu près sûrs que nous aurons une oreille attentive de la part du public, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait.

  4. Anonyme

    Une petite retransmission en direct de tout ca pour les gens qui peuvent pas viendre?

    Ca serait top.

  5. storemach

    @Framatophe : Je suis d’accord avec DR. Votre réponse serait juste si le contenu de l’entretien n’avait pas une connotation aussi militante et je trouve que cela décrédibilise un peu framablog. D’ailleurs, vous ne répondez pas à la question de DR : « imaginons que le FN (ou même l’UMP) vous aient invité à un événement, auriez-vous accepté ? ».

  6. piyou

    Le but est de sortir du milieu des informaticiens ou des gens déjà convaincus. La fête de l’Huma est l’occasion de toucher un public populaire, qui n’a souvent jamais entendu parler de logiciels libres, et qui pourtant est très concerné par cette problématique.
    Si ne venaient à la Fête que les gens d’accord avec le PCF, ça fait longtemps qu’elle n’existerait plus.

  7. framatophe

    @storemach

    Il y a tellement d’approximations et d’amalgames dans le commentaires de DR que je me demande comment on peut simplement être « d’accord » ou « pas d’accord ». Cela va de la non distinction entre marxisme et communisme à la sempiternelle pseudo-opposition libre / open source. Moi je laisse tomber dans ces cas là.
    Par conséquent, on ne peut pas faire grand chose de ce commentaire.
    Pour répondre précisément à la question « si des fachos vous invitaient, est-ce que vous viendriez » ? Je pense que la réponse va de soi, non?
    L’entretien proposé ci-dessus est peut-être militant, mais c’est un entretien avec un militant, qu’attendre de moins?
    Quand on publie les écrits du libertarien Richard Falkvinge, à plusieurs reprises, d’ailleurs, je n’entends pas grand monde s’insurger devant l’idéologie qu’il transporte lui-même, celle du « toujours moins d’Etat » et du néo-libéralisme caché derrière le mot « liberté ». Quoi que certains l’ont fait dans les commentaires du dernier article publié ici: http://www.framablog.org/index.php/

    Bref, on ne peut pas accuser Framasoft d’avoir un parti pris pour l’une ou l’autre idéologie ou préférence politique, sauf quand celle-ci promeut des idées allant à l’encontre des principes du Libre, bien entendu. Par ailleurs, comme il a été rappelé dans les commentaires, il faut quand même distinguer la Fête de l’Huma, le journal l’Humanité, le parti communiste, les invités et le public qui s’y rend. Cela fait beaucoup de distinctions, en tout cas il est impossible de mettre tout le monde dans un même panier…

  8. yelin

    Allez-vous enregistrer les conférences pour que les personnes qui ne pourront pas venir puissent les voir ?

  9. Brag

    J’aurais aussi plusieurs réserves à faire sur l’association libre/gauche allant dans le sens de DR, mais c’est un sujet à troll, donc je ne dirais rien de plus.

  10. tizef

    Extrait : « La passerelle domestique ****box se base notamment sur des logiciels publiés sous une licence dite libre ou open source, comme par exemple le noyau Linux, Busybox ou Iptables, tous les trois publiés selon les termes de la licence GNU General Public License (GNU GPL). »

    Outre que le « dite » est ici particulièrement savoureux, curieusement personne ne s’est jamais demandé si la ****box est communiste — ceci dit, la « possibilité de partage de l’accès Internet » me semble tout de même bien sulfureuse. Cet exemple certes un peu facile illustre bien ce propos de Yann Le Pollotec : « le capitalisme pour se développer a toujours eu besoin de biens communs à exploiter. »

    La question pertinente n’est peut-être pas tant « le logiciel libre est-il de gauche ? » que « le logiciel libre est-il un outil comme les autres ? »

  11. Anonyme

    Pas de stream, aucune infos, que dalle, heureusement que c’est sur le numérique, on aurait pu croire que c’etait sur l’imprimerie, et encore, même ca c’etait visible dans les internet en directe…