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Au cours des deux derniers chapitres (si vous avez manqué des chapitres, c’est par ici) Nadia Eghbal nous a décrit les solutions existantes pour financer les projets open source et leurs contributeurs : mécénat, crowdfunding, utilisation payante d’un logiciel ou d’un service ; elle a également montré les difficultés et les limites de chaque mode de financement.
Dans ce bref chapitre, l’autrice poursuit sa recherche sur les financements en faisant un point synthétique sur les causes systémiques des difficultés de financement des projets open source.
Traduction Framalang : Sphinx, Penguin, Opsylac, Luc, dominix, lyn., goofy
Pourquoi ces projets sont-ils si difficiles à financer ?
Aujourd’hui, le travail sur les infrastructures numériques est effectué par des développeurs freelance ou ayant un « job alimentaire », leur temps libre est consacré aux projets open source mais le reste du temps ils font un travail rémunéré sans rapport avec ces projets. Même si c’est un moyen réaliste pour financer son quotidien, cela ne permet pas d’apprécier à sa juste valeur l’apport social de ces projets.
Étonnamment, bien que tout le monde soit d’accord pour reconnaître qu’il y a un problème (qu’on le qualifie de « burnout du bénévole », de mauvaise gestion de la communauté ou de manque de financement suffisant), la discussion ne dépasse pas le stade de maigres solutions à court-terme comme les « pourboires » ou le crowdfunding.
Discutez avec des développeurs qui ont trouvé un moyen de gagner leur vie, et vous entendrez le mot « chanceux » à tout bout de champ : chanceux d’avoir été embauché par une entreprise, chanceux d’avoir eu de la notoriété et des dons, chanceux d’être tombé sur un modèle économique viable, chanceux de ne pas avoir une famille ou un prêt dont s’inquiéter. Tout le monde peut être chanceux. Mais la chance dure quelques mois, peut-être un an ou deux, et puis elle s’épuise.
Pourquoi est-il si difficile de financer les infrastructures numériques ?
Fondamentalement, l’infrastructure numérique a un problème de passagers clandestins. Les ressources sont disponibles gratuitement, et tout le monde les utilise (qu’il s’agisse de développeurs individuels ou de grandes entreprises de logiciels), mais personne n’est encouragé à contribuer en retour, chacun s’imaginant qu’un autre finira par le faire. S’il est laissé à l’abandon, ce problème mènera à une tragédie des communs.
En plus de l’enjeu macroéconomique des communs, il y a plusieurs raisons pour lesquelles le financement des infrastructures numériques est particulièrement compliqué. Ces raisons ont déjà été abordées au cours de cette étude, mais sont toutes résumées ici.
On croit à tort qu’il s’agit d’un « problème résolu ».
Même parmi les acteurs du secteur comme les entreprises de logiciels, la croyance est très répandue que l’open source est déjà correctement financée, ce qui rend d’autant plus difficile la levée de fonds. Certains projets d’infrastructure fonctionnent durablement, soit parce qu’ils disposent d’un modèle économique viable ou de mécènes, soit parce que les coûts de maintenance sont limités. Un public novice pourra également faire le lien entre l’open source et des entreprises telles que Red Hat ou Docker et penser que le problème a été résolu. Mais il faut garder à l’esprit que ces cas sont l’exception et non la règle.
Il manque une prise de conscience et une compréhension culturelle de ce problème.
En dehors de la communauté open source, tout le monde, ou presque, ignore les problèmes de financement de ces projets d’infrastructure, et le sujet est perçu comme plutôt aride et technique. Les développeurs qui ont besoin de soutien ont tendance à se concentrer principalement sur la technique et sont mal à l’aise lorsqu’il s’agit de défendre l’aspect financier de leur travail. Au bout du compte, on ne parvient pas à trouver l’élan qui pourrait modifier cette situation en panne.
Les infrastructures numériques sont enracinées dans l’open source, dont la culture du bénévolat n’encourage pas à parler d’argent.
Même si cette attitude a fait de l’open source ce qu’elle est aujourd’hui, elle crée également un tabou qui rend difficile pour les développeurs l’évocation de leurs besoins, car ils se sentent coupables ou ont peur de passer pour des personnes qui n’auraient pas l’esprit d’équipe. La nature hautement décentralisée et démocratique de l’Open source rend également difficile la coordination et le financement d’acteurs institutionnels qui pourraient défendre leurs intérêts.
Les infrastructures numériques sont hautement décentralisées, contrairement aux infrastructures physiques.
Contrairement à un projet de construction de pont, il n’est pas toujours évident de savoir quels projets seront utiles avant qu’ils n’aient déjà décollé. Ils ne peuvent pas être planifiés à l’avance par un organisme centralisé. Et à l’autre bout du cycle de vie, certains projets sont destinés à tomber en désuétude à mesure que d’autres solutions, meilleures, prendront leur place. L’infrastructure numérique est constituée de centaines de projets, grands ou petits, réalisés par des individus, des groupes ou des entreprises ; en faire l’inventaire serait un travail de titan.
« Il est difficile de trouver des financements… pour le développeur moyen (comme moi), certains sont totalement hors de portée. [Kickstarter] ne marche que si tu deviens viral, ou si tu embauches quelqu’un pour faire tout ce qui est marketing/design/promotion… Transformer un projet en entreprise c’est génial aussi mais… ce sont des choses qui t’éloignent du développement (qui est la partie qui m’intéresse). Si je voulais obtenir une subvention, je ne saurais même pas par où commencer. »
– Kyle Kemp, développeur freelance et contributeur open source.
Thatoo
« Les infrastructures numériques sont hautement décentralisées, contrairement aux infrastructures physiques. »
Je l’aurais formulé ainsi : Les infrastructures numériques sont hautement décentralisées, contrairement aux infrastructures monétaires.
Pourquoi dès lors, les développeurs de logiciels libres ne rejoignent pas logiquement le seul fonctionnement monétaire qui correspond à leur besoin à savoir les monnaies libres? Pourquoi Duniter, le seul protocole qui permette aujourd’hui l’instauration de tel monnaie n’est pas plus plébiscité?