Ce qui nous pousse au Libre

Temps de lecture 11 min

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Si certains logiciels libres sont réputés à la fois pour leur efficacité et leur esthétique fonctionnelle (qu’on nommera design, parce que c’est ainsi), il faut reconnaître qu’ils ne font pas la majorité.

Certains designers aimeraient apporter leur pierre à l’édifice libriste, et rendre plus attractifs et fonctionnels les logiciels libres, mais la route semble encore bien longue comme l’a récemment constaté Maiwann. Le dialogue entre développeurs de logiciels libre et designers semble cependant s’amorcer sous les meilleurs augures, d’abord en identifiant clairement les besoins mais aussi en proposant des solutions d’interactions. Dans ce billet, Marien Fressinaud apporte une réponse de développeur et identifie, à son tour, un espace de convergence. Cet article a été initialement publié sur son blog sous licence « CC BY ».

Marien, développeur et membre de Framasoft.

Il y a quelques jours, Maiwann proposait dans un article de réconcilier designers et logiciels libres. L’article ne manque pas d’intérêt, ne serait-ce que parce qu’il identifie les freins à la collaboration des designers au libre et suggère des actions concrètes pour y remédier.

Bien que je partage bon nombre des constats, je souhaitais le « compléter », cette fois en adoptant le point de vue du développeur que je suis. En effet, il est un sujet que Maiwann n’aborde quasiment pas : pourquoi faire du logiciel libre ? Pour ma part, j’aurais en effet aimé mieux comprendre ce qui motive des designers à vouloir contribuer au Libre. En guise d’effet miroir, j’essaie donc dans cet article d’envisager les raisons qui peuvent inciter un développeur à le faire, sans prétendre être exhaustif. Cette mise en perspective repose sur mes expériences personnelles concernant FreshRSS, Lessy, les actions menées au nom de Framasoft ou encore à travers les écrits que j’ai pu lire à droite à gauche.

Apprentissage

Dans l’article de Maiwann, la seule référence à une potentielle motivation se trouve au détour d’un paragraphe :

Lors de nos études, […] alors que nous cherchons à nous entraîner, sur notre temps libre ou pour des projets de fin d’année, nous nous plaignons de ne connaître aucun développeur avec qui co-créer des sites ou logiciels.

Voilà une raison qui devrait parler à bon nombre d’étudiants et d’étudiantes ! Appliquer ce que l’on a pu apprendre en cours et donc, par extension, apprendre par la pratique est souvent moteur chez les développeurs. J’ai moi-même développé un certain nombre de programmes avec cette simple motivation. Par exemple, Minz fut ma tentative de comprendre le fonctionnement interne des frameworks web. FreshRSS a été l’occasion de travailler véritablement en communauté, et donc en équipe collaborant à distance et de façon asynchrone. Sur Lessy, j’ai pu consolider tout un paquet de connaissances que j’ai ensuite pu proposer et appliquer au boulot. Le logiciel libre est une formidable source d’apprentissage que je recommande fortement à toutes et tous.

Cela étant dit, considérer l’apprentissage comme seul moteur dans le développement d’un logiciel libre est bien entendu extrêmement réducteur et j’aurais tendance à dire que ce n’est pas la raison majeure (bien qu’il s’agisse probablement de la porte d’entrée principale pour bon nombre d’entre nous). Cherchons donc ailleurs d’autres raisons qui nous poussent, nous développeurs et développeuses, à produire du logiciel libre.

Plaisir, apprentissage et logiciel libre : le Serious Gaming (et Framinetest) en sont un bon exemple.

Plaisir

Dans le prologue du bouquin L’Éthique hacker, Linus Torvalds explique les motivations des hackers derrière le système d’exploitation Linux :

La raison pour laquelle les hackers derrière Linux se lancent dans quelque chose, c’est qu’ils trouvent ça très intéressant et qu’ils veulent le partager avec d’autres. Tout d’un coup, vous avez le plaisir parce que vous faites quelque chose d’intéressant et vous avez aussi le pendant social.

Il nous dit plusieurs choses ici. Tout d’abord, le développement d’un tel système relève avant tout du plaisir. Et il est vrai qu’on peut se demander ce qui pousse des milliers de développeurs à partager leurs savoirs et leur temps, généralement de façon gratuite, si ce n’est le plaisir de le faire ? D’ailleurs Pekka Himanen (l’auteur du bouquin) cite un peu plus loin Éric Raymond, à l’origine de la popularisation du terme « open source » (j’aurai l’occasion de revenir sur ce terme plus tard) :

La conception de logiciel et sa mise en œuvre devraient être un art jubilatoire, et une sorte de jeu haut de gamme. Si cette attitude te paraît absurde ou quelque peu embarrassante, arrête et réfléchis un peu. Demande-toi ce que tu as pu oublier. Pourquoi développes-tu un logiciel au lieu de faire autre chose pour gagner de l’argent ou passer le temps ?

On y retrouve la notion de plaisir à travers le « jeu haut de gamme ». Je prends souvent l’exemple du Sudoku ou de la grille de mots-croisés : il n’y a, à priori, aucune raison de remplir ces cases de chiffres ou de lettres, si ce n’est le plaisir de résoudre un problème, parfois complexe. Je trouve personnellement que le développement de logiciel peut amener à un état de satisfaction similaire lorsqu’on se trouve face à un problème et qu’on arrive finalement à le résoudre après plusieurs heures jours semaines de recherche.

D’un point de vue personnel, j’ai toujours été attiré par les domaines de « création ». J’ai immédiatement accroché au développement lorsque j’ai découvert que créer un site web était aussi simple que créer un fichier texte avec quelques mots dedans. Les balises HTML ? – Un simple jeu de Lego®. Les CSS ? – Quelques directives de base à connaître et on arrive rapidement à quelque chose de totalement différent. Un serveur web ? – Un ordinateur avec un logiciel spécifique qui tourne dessus. Un bug ? – Une « chasse » durant laquelle on déroule le programme qui nous semblait si logique au moment de l’écrire (mais qui l’est maintenant beaucoup moins !). Pour moi, la beauté de l’informatique réside dans sa simplicité et sa logique : il y a un véritable plaisir à comprendre comment toutes ces petites boîtes s’agencent entre elles et que tout devient plus clair.

L’espace Logiciels Libres, Hackers, Fablab de la fête de l’Huma 2016.

Partage

Si l’on s’en tient aux notions d’apprentissage et de plaisir, il n’y a rien qui distingue le logiciel libre du logiciel propriétaire. Vous pouvez très bien apprendre et éprouver du plaisir en développant du code fermé. Il nous faut revenir à la citation de Torvalds pour commencer à percevoir ce qui les différencie :

[…] ils veulent le partager avec d’autres.

Le partage : on a là une valeur fondamentale du logiciel libre qui ne trouve pas véritablement son pendant du côté du logiciel propriétaire. Bien que j’aie plus de mal à identifier clairement ce qui peut motiver l’être humain à partager ses savoirs, c’est quelque chose que je ressens effectivement. Cet aspect coopératif — Torvalds parle d’un « pendant social » — peut créer ou renforcer des liens avec d’autres personnes ce qui rend cette activité profondément humaine.

Partager, c’est donc transmettre. Transmettre à une communauté, donner les clés pour que celle-ci soit indépendante. Partager ses savoirs qui permettront peut-être à d’autres de bâtir autre chose par-dessus. Cela permet aussi de créer du lien humain, rencontrer des personnes et ouvrir ses perspectives en créant son propre réseau. C’est aussi s’offrir un coin de canapé quand on voyage. Je me suis rendu compte assez récemment de ce que m’offrait aujourd’hui cette décision en IUT de partager les petits programmes que je pouvais développer sur mon temps libre. La liberté n’est pas que celle du code.

Il y a certainement une forme de fierté à avoir exploré un domaine le premier, ou développé une application que d’autres vont utiliser (« Quoi ? Ce que j’ai fabriqué de mes propres mains t’est aussi utile ? »). Si cette fierté est par essence un peu narcissique (je suis toujours un peu pénible lorsque je suis cité chez NextInpact ou chez Korben 😇), elle est aussi bénéfique car elle encourage à rendre son travail public et donc… partager encore.

Loin du cliché des hackers à capuche, l’édition 2018 du Toulouse HackerSpace Factory utilise Langue des Signes et police Open-Dyslexie dans son imagerie.

Éthique

On retrouve aussi cette notion de partage dans les écrits de Richard Stallman lorsqu’il nous parle des quatre libertés du logiciel :

Elles sont essentielles, pas uniquement pour les enjeux individuels des utilisateurs, mais parce qu’elles favorisent le partage et la coopération qui fondent la solidarité sociale.

Ces mots, pris du point de vue de Stallman, sont bien évidemment à interpréter sous la dimension éthique (et donc politique) du logiciel libre, ce qui n’est pas forcément le cas de Torvalds (je ne saurais néanmoins l’affirmer). Puisque Stallman est à l’origine du mouvement du logiciel libre, on ne peut évidemment pas enlever l’éthique de son équation ou alors vous obtenez de l’open source (comme il l’explique dans l’article cité plus haut). On peut toutefois raisonnablement penser que les partisans du logiciel libre sont moins nombreux que ceux de l’open source, ce que j’explique par une peur ou un désintérêt envers cet objet politisé.

Je trouve toutefois dommage de ne pas plus s’y intéresser. En effet, la dimension éthique aide à répondre à une question que beaucoup de personnes peuvent se poser : « ce que je fais au quotidien a-t-il du sens ? ». Stallman y répond par la défense et le respect des utilisateurs et utilisatrices :

Le mouvement du logiciel libre fait campagne pour la liberté des utilisateurs de l’informatique depuis 1983.

Ou encore :

Pour qu’on puisse dire d’un logiciel qu’il sert ses utilisateurs, il doit respecter leur liberté. Que dire s’il est conçu pour les enchaîner ?

Si je souhaitais conclure par cet argument, c’est parce qu’il aide à boucler la boucle avec l’article de Maiwann. En effet, en tant qu’UX designer, elle va avoir à cœur de répondre aux besoins de ses utilisateurs et donc d’imaginer des mécanismes pour rendre l’outil le plus utilisable et accessible possible. Aujourd’hui il me semble percevoir dans cette communauté un mouvement de prise de conscience que ces mécanismes doivent respecter (on y revient !) les personnes utilisant le logiciel. Cela est superbement bien illustré par la vidéo « Temps de cerveau disponible » (de la série « (Tr)oppressé » que je recommande vivement) dans laquelle un ancien employé de Google, expert en éthique, témoigne :

Le but est de capter et d’exploiter au maximum l’attention.

Il l’illustre ensuite par le lancement automatique de l’épisode suivant sur Netflix et par le défilement infini sur Facebook ou Twitter (incitant de ce fait à parcourir son fil d’actualité dans son ensemble) ; ces petits riens qui font que nous revenons sans cesse à ces applications et que nous en devenons dépendant⋅e⋅s alors qu’elles n’ont d’intérêt que de nous divertir.

L’un des problèmes que j’identifie aujourd’hui est que le logiciel libre copie beaucoup (trop) ce qui se fait dans le propriétaire, et en particulier chez GAFAM et consorts… jusque dans leurs mécanismes nocifs. On peut ici reprendre l’exemple du mécanisme de défilement infini que l’on retrouve chez Mastodon ou Diaspora (et même sur FreshRSS !). Une certaine forme de dépendance peut donc s’installer au sein même de logiciels libres.

Convergence des buts ?

Les designers peuvent aujourd’hui nous aider, développeurs et développeuses, à repenser l’éthique de nos logiciels en replaçant les usages au centre de nos préoccupations et en imaginant et proposant des mécanismes permettant « d’endiguer » ce flux permanent d’informations qu’il nous faut ingurgiter.

Elles et ils peuvent aussi nous aider à atteindre véritablement nos utilisateurs et utilisatrices en rendant nos outils utilisables et… utilisés. Car un logiciel non utilisable peut-il véritablement être considéré comme Libre ? Je ne peux m’empêcher de faire ici le parallèle avec l’association Liberté 0 qui a pour objet de « sensibiliser et de promouvoir le numérique libre et accessible à toutes et tous ». Dans leur charte, il est explicité :

Les membres du groupe « Liberté 0 » considèrent que la liberté d’exécuter un programme n’a de sens que si celui-ci est utilisable effectivement.

L’association est donc dans cette même démarche de promouvoir l’« utilisabilité » des logiciels, au même titre que les UX designers (mais sous le prisme de l’accessibilité).

N’y aurait-il pas ici une convergence des buts ? N’existe-t-il pas un lieu où nous pourrions nous regrouper tous ensemble pour imaginer des outils autres que ceux issus du « capitalisme de surveillance » ?


Merci à Maiwann pour sa relecture attentive !

7 Responses

  1. ritch

    Article très très intéressant! Je suis un fervent admirateur de tous ceux qui participent au développement du libre!! Moi qui aurait tant aimé être développeur, il yu a tant de chose que j’aurai aimé offrir au libre!! Mais j’y travaille!
    Frama je vous aime!! Vive le libre, vive les libriste!

    • unlibriste

      Faut changer de traitement monsieur.

  2. unlibriste

    Cet article beaucoup trop long pour le peu de contenu pertinent qu’il apporte confond deux choses : le design et l’ergonomie.

    Le design sert à rendre un outil/objet désirable, au sens marketing du terme. Le design se base sur des statistiques, des études, des cahiers de tendance et beaucoup d’esbroufe.

    L’ergonomie prend en compte la façon dont les humains fonctionnent, leur esprit et leur corps. C’est une science. Le design, c’est du vent.

    Ainsi, rendre désirable un outil ne le rend pas plus logique à utiliser, et ne rend pas l’expérience utilisateur plus efficace.

    À contrario, travailler l’ergonomie de l’outil ne le rend pas plus désirable mais par contre rend l’expérience utilisateur incomparable.

    L’un des avantages du Libre sur le Privateur est que le Libre est complètement paramétrable en terme d’interface, de raccourcis, de greffons, de scripts, etc… Chacun peut donc, en fonction de ses compétences, qui sont évolutives puisque le Libre permet à tout un chacun de se former, d’adapter le logiciel à ses besoins spécifiques.

    L’informatique est pleine d’outils qui ne sont ni désirables visuellement ni ergonomiques et qui pourtant attirent beaucoup d’utilisateurs. Au hasard, Facebook, Google, Twitter. Dans leur cas, ce n’est pas le design qui attire mais l’effet de masse. Les gens vont là où sont les gens et comme tout le monde y est, ils y restent.

    Que des logiciels libres copient certains des défauts des logiciels proprios les plus emblématiques comme le font Diaspora et Mastodon pour le « scrolling de la mort » est soit le résultat d’une intégration chez les développeurs de ce qui se fait de pire dans l’expérience utilisateur en matière d’interface logicielle, soit une réelle connaissance des usages de tels logiciels.

    Utilisateur exclusif des transports en commun, je vois ce que les gens équipés de smartphones font sur ces sites; il tuent le temps en scrollant comme des fous. Ils ne recherchent pas une information pertinente, non, le scroll sans fin est un détournement de l’outil informationnel, comme mordiller le capuchon d’un stylo par rapport au fait d’écrire. Quand on s’emmerde on tripote, on suce, on mordille, on choppe des tiques, on scrolle, on like, on regarde toutes les deux secondes si on a un message, on clique sur l’icone d’une app parce qu’elle envoie une notification. Cet ensemble de geste occupe l’esprit et met dans un quasi état d’hypnose.

    Facebook, à mon avis le sait. C’est addictif parce que c’est une habitude que tout utilisateur de ce genre de logiciel finit par intégrer, et une habitude, bonne ou mauvaise, une fois prise est difficile à rectifier.

    C’est pourquoi il est si difficile, aujourd’hui, pour de nouveaux logiciels de trouver des utilisateurs face à ceux déjà bien implantés dans l’espace mental de la grande masse des utilisateurs lambda.

    • pyg

      @unlibriste
      Et bien, que d’affirmations :
      * « Le design c’est ça »
      * « L’ergonomie c’est ça »
      * « Le Libre c’est ça »
      etc.

      C’est dommage, car la question « Le libre doit-il copier les mécanisme de l’économie de l’attention mis en place par les outils du capitalisme de surveillance ? » est une question intéressante.

      Mais là, pour moi ton discours perd toute crédibilité en affirmant « le design, c’est du vent », ce qui est réducteur pour toute personne s’interessant un tant soit peu au sujet (et insultant pour tou⋅te⋅s les designers de profession, qui souhaiteraient participer au libre).

      Bref, tu n’aime pas le design et tu penses que cela ne sert à rien. Soit.
      C’est évidemment ton droit.

      Ce que dit l’article, c’est par contre que certaines personnes pensent différemment (que ça soit l’article de Maïwann, ou celui complémentaire de Marien).

      A Framasoft, cela fait quelque temps (mais pas très longtemps) qu’on se pose la question de rapprocher designers et développeurs. Par exemple ici : https://mariejulien.com/post/2017/02/08/Le-design-dans-le-libre-:-pistes-de-r%c3%a9flexion ou lors du FCC : https://framablog.org/2017/12/02/avancer-ensemble-vers-la-contribution/ (co-organisé avec La Quadrature).
      Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet est clivant… De nombreux dev libres pensant tout simplement (comme toi si je comprends bien), qu’on a pas besoin des designers.
      Pas de problème, je le redis, c’est ton avis. Par contre, nous continueront à creuser cette piste, car il est pour nous évident que le libre se meurt (alors que l’opensource ce porte fort bien) pour de multiples raisons, dont l’une que l’on ne souhaite pas évacuer est que les communautés du libre s’adressent bien plus aux devs qu’aux utilisateurs.

    • Marien Fressinaud

      > Cet article […] confond deux choses : le design et l’ergonomie.

      Je n’ai pas pris le temps de redéfinir le terme « design » dans mon article car Maiwann le fait déjà très bien dans son article. Comme mon article est une réponse au sien, je me base bien entendu sur sa définition. Je la cite :

      > Le design n’a pas de définition consensuelle (ça serait trop simple sinon), et chaque designer a sa propre définition de son métier, dépendante de ses compétences, de sa vision, de son éthique… Par exemple pour le design d’interfaces, on peut considérer qu’il est sous-composé par :
      > – la conception
      > – **le graphisme**
      > – la stratégie
      > – **l’ergonomie**
      > – l’UX · Expérience Utilisateur
      > – l’identité graphique
      > – l’illustration…

      Donc non, je ne confonds pas design avec ergonomie. Mais tu as raison de soulever le sujet, la définition est importante dans ce contexte.

  3. unilibriste

    @Marien
    Tu reconnaîtras quand même que l’ergonomie arrive en 4ème position dans ta liste. Derrière la stratégie. D’ailleurs au passage, j’ai un peu de mal à comprendre comment on peut concevoir un outil hors sol, c’est-à-dire sans prendre en compte l’ergonomie et l’expérience utilisateur dés le départ.

    Je vais te dire le fond de ma pensée sur le sujet du design. Aujourd’hui c’est un terme qui n’a qu’une signification, rendre désirable un produit. En dehors de toute considération d’utilité réelle du produit et de son adaptation à l’humain. C’est un des éléments du marketing. C’est pour ça que c’est à la fois nocif et inutile.

    Le design est avant tout un moyen pour le Capitalisme de vendre toujours plus n’importe quoi à n’importe qui.

    Dans un logiciel, l’identité graphique n’a aucune espèce d’importance, ce qui compte c’est si oui ou non il répond à un besoin et si il est efficace pour y répondre. Dans une boîte de chocolat, ce qui importe c’est le chocolat, la boîte ne se mange pas. Un logiciel est donc avant tout conçu pour être utiliser par un corps humain et un esprit à câblage humain. C’est donc essentiellement de l’ergonomie. Donc si on n’est pas une personne handicapée, un logiciel en ligne de commande est ce qui est le plus ergonomique et le plus efficace en terme d’utilisation. C’est un non-geek qui écrit ça. Je ne vois aucune forme d’élitisme qui se la pète à utiliser une console. Ça permet de gagner du temps, des ressources systèmes, de reposer ses yeux, d’avoir une compréhension plus claire de ce que fait le système et de limiter les risques musculo-squelettiques.

    Pour les personnes handicapées le challenge est bien sûr tout autre. L’interface graphique, vocale, auditive est là pour pallier au handicap de chacun. Et là on n’est toujours pas dans le design mais dans l’ergonomie. Et cette ergonomie-là est beaucoup plus rare que le design qui envahit tout et se pare des atours de l’innovation, cet autre mot fake dont l’objet est de vendre et uniquement de vendre.

    Mais bon, ce débat n’en est pas un et d’ailleurs n’en sera jamais un. Le Libre n’est pas une entreprise transnationale monopolistique qui industrialise ses productions et qui a donc besoin d’une image à imposer à des milliard de clients potentiels via la publicité et le marketing.

    Au contraire le Libre, c’est une multitude de petites structures et d’indépendants qui conçoivent d’abord les outils dont ils ont besoin et les mettent ensuite à la disposition de tout un chacun via les réseaux avec les sources pour que tout un chacun s’il en a les compétences puisse adapter ces outils à ses propres besoin, les améliorer, etc, etc. Les designers n’interviennent pas dans un processus aussi éclaté. Ce n’est ni utile, ni rentable.

    Bien sûr l’esthétique existe dans le Libre, l’esthétique est une composante essentielle pour l’être humain. Mais là on ne parle pas d’esthétique on parle de design (relire ma définition plus haut).

    @PYG

    Par contre, nous continueront à creuser cette piste, car il est pour nous évident que le libre se meurt (alors que l’opensource ce porte fort bien) pour de multiples raisons, dont l’une que l’on ne souhaite pas évacuer est que les communautés du libre s’adressent bien plus aux devs qu’aux utilisateurs.

    C’est bien la peine de commencer ton commentaire en m’accusant d’avoir des certitude…

    Déjà, je voudrais bien savoir où le Libre se meurt. Tu as des sources ?
    L’open source se porte bien. Tant mieux pour lui. Enfin si c’est vrai, parce que tu l’affirmes mais moi ce n’est pas ce que j’observe. L’open source a pour concurrent le privateur alors que le Libre non. Et de plus en plus le privateur se sert du jus de méninge de l’open source pour ses propres produits fermés, designés, tout ça.

    Mais de toute façon, je ne vois pas le rapport.

    Tu insinues peut-être qu’il y a des vases communicants entre le Libre et l’open source et que ce qui dessert le premier sert le second ?
    Oui, mais en fait, non.

    Ce qui est sûr par contre, c’est que l’open source a un modèle économique et est donc inscrit sur le marché du logiciel, pas le libre.

    Mais encore une fois, je ne vois pas le rapport. Ni entre le déclin présupposé du Libre et la pleine forme présupposée de l’open source. Ni entre le déclin présupposé du Libre et le design.

    Ou alors tu es finalement d’accord avec moi, le design que tu appelles de tes voeux n’est en fait qu’un moyen de rendre désirable le produit et que c’est pour ça que tu présupposes que le Libre ne s’adresse essentiellement qu’aux devs et pas aux utilisateurs.

    Manque de bol, je ne suis pas dev et pourtant je n’utilise que du Libre. Et l’esthétique du logiciel n’est pas mon critère principal. Bien sûr je ne généralise pas mon cas, je te fais juste part d’une expérience que je connais bien, la mienne.

    Le Libre se fout du nombre de gens qui utilisent un logiciel, puisqu’il n’est pas en compétition avec une industrie, qu’il n’a pas a être rentable, ni a faire des profits pour rémunérer des actionnaires. Donc le Libre n’a pas besoin de designers pour donner une forme désirable à ses logiciels puisqu’il ne les vend pas. Cela n’empêche pas que dans le Libre aussi des devs ont le sens de l’esthétique et donnent une forme à leurs logiciels.
    Mais cette forme n’est pas le fruit d’un processus industrielle à finalité commerciale.
    C’est-à-dire s’adresser au plus grand nombre.

    • pyg

      > Déjà, je voudrais bien savoir où le Libre se meurt. Tu as des sources ?

      Oui.
      « Roads and Bridges » de Nadia Eghbal (traduit sur ce même Framablog par Framalang et publié chez Framabook https://framabook.org/sur-quoi-reposent-nos-infrastructures-numeriques/ )
      > Durant ces cinq dernières années, l’infrastructure open source est devenue une couche essentielle de notre tissu social. Mais tout comme les startups ou la technologie elle-même, ce qui a fonctionné pour les 30 premières années de l’histoire de l’open source n’aidera plus à avancer. Pour maintenir notre rythme de progression, nous devons réinvestir dans les outils qui nous aident à construire des projets plus importants et de meilleure qualité.
      (Je pourrais aussi citer Karl Fogel dans « Produire du logiciel libre » ou mettre en parallèle les travaux de Sébastien Broca dans « Utopie du logiciel libre » http://lepassagerclandestin.fr/fileadmin/assets/catalog/essais/Utopie_logiciel_libre__Broca__Le_passager_clandestin.pdf avec l’axe « mouvement social » constitutif du libre.

      Mais bon, tu va me dire que des rapport de sociologues ou de profs de sciences de la communication ne sont pas des bonnes références, peut être ?

      Alors, quelques chiffres factuels. Ca fait +15 ans que je fais la promotion du libre, et que je « promeut » LibreOffice, Firefox, Gimp, Inkscape, VLC, etc.
      Sur beaucoup de ces logiciels, il n’y a en fait que très, très peu de dev.
      J’ai comptabilisé le nombre de devs ayant fait plus de 50 commits au cours de l’année 2017.

      VLC : 10 dev > 100 commits sur 12 derniers mois
      Inkscape : 8 > 50 commits
      Gimp : 6 > 50 commits
      Thunderbird : 6 > 50 commits
      Diaspora* : 4 > 50 commits
      Etherpad : 0 > 50 commits (2 > 40)
      Framadate, Framacalc, Framaforms, Framaslides, etc :
      0, nada, rien, walou, Que’tchi, peau de balle, que pouic

      Et, à part pour VLC et partiellement pour Tbird, les autres sont bénévoles.

      Donc, quand je dis que le libre se meurt, c’est que les valeurs communautaires, sociales, ethiques, portées par le libre reposent sur de moins en moins de personnes (un développeur Gimp, par exemple, vaut « cher » sur le marché de l’emploi, mais aucun employeur ne veut réellement financer Gimp. Donc les devs Gimp sont – au moins pour l’instant – « condamnés » a bosser bénévolement)

      Je pourrais prendre le cas d’OpenSSL et de la faille HeartBleed, qui a montré l’indigence du libre (un logiciel utilisé par la une immense part des commerçants en ligne, et pas qu’eux, maintenue par un seul type). Je pourrais prendre le cas d’Etherpad, logciel communautaire utilisé par des millions de personnes (dont les utilisateurs des +200 000 Framapad), et qui là encore peine à être développé.
      Je peux aussi prendre le cas de PeerTube qui, s’il n’avait reçu un soutien de la part de Framasoft (puisqu’on salarie son développeur) aurait peut être capoté dans un coin faute d’énergie.
      Bref, je sais qu’il y a des trains libres qui arrivent à l’heure, mais il sont de moins en moins nombreux.

      > Mais encore une fois, je ne vois pas le rapport. Ni entre le déclin présupposé du Libre et la pleine forme présupposée de l’open source. Ni entre le déclin présupposé du Libre et le design.

      Je n’ai jamais parlé de vase communicants, ni de corrélation directe, il me semble.
      J’ai dit « il est pour nous évident que le libre se meurt (alors que l’opensource se porte fort bien) » et non « il est pour nous évident que le libre se meurt (parce que que l’opensource se porte fort bien) ».
      Je suis ravi pour l’opensource. Vraiment. Mais ce n’est pas « ce qui m’a poussé au libre » pour reprendre le titre de Marien.

      > Manque de bol, je ne suis pas dev et pourtant je n’utilise que du Libre.

      Félicitations 🙂

      > Et l’esthétique du logiciel n’est pas mon critère principal.

      Tant mieux pour toi.

      > Bien sûr je ne généralise pas mon cas, je te fais juste part d’une expérience que je connais bien, la mienne.

      On est d’accord 🙂 Et je te confirme que ça n’est pas représentatif de la population (pour répondre à cela, je me base sur le fait que ça fait 10 ans que je suis salarié de Framasoft (+4 ans bénévole), que je lis une bonne partie des ~80 mails qu’on reçoit chaque jour sur le support, sur le fait que je fais ~30 confs, stands ou ateliers face au public par an, et sur les ~6000 réponses de l’enquête que nous avons faites en janvier dernier).

      > Le Libre se fout du nombre de gens qui utilisent un logiciel, puisqu’il n’est pas en compétition avec une industrie, qu’il n’a pas a être rentable, ni a faire des profits pour rémunérer des actionnaires. Donc le Libre n’a pas besoin de designers pour donner une forme désirable à ses logiciels puisqu’il ne les vend pas. Cela n’empêche pas que dans le Libre aussi des devs ont le sens de l’esthétique et donnent une forme à leurs logiciels.
      > Mais cette forme n’est pas le fruit d’un processus industrielle à finalité commerciale.
      > C’est-à-dire s’adresser au plus grand nombre.

      Je trouve cette réponse extraordinaire d’individualisme et d’auto-centrisme, si tu me le permet.
      D’abord, on peut très bien faire du libre et en vivre (pour moi « libre = opensource + valeurs(éthiques, sociales) » et non « libre = opensource – commercial »)
      Ensuite, ta dernière phrase sous entend que le libre n’a pas pour vocation à s’adresser au plus grand nombre. Chose avec laquelle je suis en totale contradiction. Autant on peut discuter des moyens et des modalités, autant pour moi le fait de partir du principe que « le libre, c’est pas pour tout le monde », et de l’accepter comme un fait établi et non mouvant, c’est totalement en contradiction avec ma perception du mouvement du libre.

      (je profite du fait que tu sois anonyme pour te dire que je me permettrais sans doute de reprendre ton dernier paragraphe dans une conf, qui aura justement pour sujet le fait que le logiciel libre meurt (certes à petit feu, mais quand même))

      NB : et ça va mieux en le disant, mais je trouve cet échange enrichissant, hein.