Évaluer l’impact de la médiation numérique

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Cette semaine, dans le cadre de la série Lost in médiation, nous republions un article de Loïc Gervais qu’il a publié le 14 mars 2023 sur son blog personnel car nous trouvons que son contenu fait écho aux réflexions menées ces dernières semaines sur la médiation numérique. Bonne lecture !

Musicien, improvisateur, papa et médiateur numérique, Loïc Gervais est par ailleurs chargé de projet inclusion numérique pour le Département de la Haute Savoie.

 

Quand on aborde la question de la médiation numérique, la notion d’impact est très rapidement associée. Les différentes politiques publiques d’inclusion numérique partent du principe que le développement des compétences numériques va augmenter le pouvoir d’agir de l’usager. Ces politiques ont conduit à des logiques d’équipement de masse des différents publics. De nombreuses collectivités ont ainsi équipé les écoliers, collégiens ou lycéens d’ordinateurs ou de tablettes afin de contribuer à la réussite éducative de ces derniers. Pour autant chacun peut s’accorder à dire que l’équipement ne fait pas le bachelier. La réussite éducative d’un enfant ne se limite pas au fait de posséder un appareil connecté à internet fut-il la tablette dernier cri. L’accompagnement des publics s’est imposé par la force des choses. Bien souvent cet accompagnement n’a été pensé que sur la montée en compétence numérique de l’usager sans prendre en compte sa situation dans son ensemble. Aussi, si nous voulons mesurer l’impact de la médiation numérique il nous faut peut être le faire à l’aune d’autres critères.

Évaluation numérique

Nous n’avons guère le choix. Notre action s’inscrit dans une logique de montée en compétences numériques des publics. La stratégie nationale d’inclusion numérique est bâtie sur cette idée d’accompagner les publics éloignés du numérique en les faisant monter en compétence afin d’être autonome d’un point de vue numérique. Personne ne prétend que cela va améliorer leur situation. Tout au plus on explique qu’ainsi ils pourraient recourir à leurs droits sans appui d’un travailleur social. Or si l’objectif de l’autonomie numérique est de pouvoir s’affranchir de l’appui d’un travailleur social pour réclamer son droit, l’une des solutions possible est de rendre ses droits effectifs en les attribuant directement sans démarche proactive de la part de l’usager. Sauf que la logique qui prévaut c’est de demander à l’usager de se mettre au niveau de l’administration, et non l’inverse.

Aussi dans nos actions de médiation numérique, il nous faut jouer le jeu de cette montée en compétences techniques. Cela nécessite un travail d’ingénierie pédagogique pour définir d’une part des compétences pédagogiques à atteindre. D’autre part, il faut également associer une évaluation de la formation. La mise en place d’un référentiel pédagogique partagé est un préalable indispensable pour évaluer une action d’inclusion numérique. Si mon objectif est d’accompagner un usager jusqu’à l’autonomie (au minimum), il me faut savoir si cela signifie qu’il doit connaître la différence entre le clic droit et le clic gauche de la souris ou si cela implique de rédiger un prompt sur ChatGPT. J’ai ainsi proposé dans le cadre du Conseil National de la Refondation dédié à l’inclusion numérique de définir un référentiel de compétences socles à acquérir pour pouvoir être déclaré « autonome d’un point de vue numérique ». Cette évaluation apparaît incontournable. Elle répond à une commande institutionnelle (qui demande à être précisée) de l’État. Elle n’en demeure pas moins incomplète pour mesurer l’impact d’une action de médiation numérique.

Évaluation sociale

Les « éloignés du numérique » (pour reprendre l’expression du gouvernement) sont pour la plus grande partie des personnes en difficulté sociale. Leur motivation première est donc de trouver une réponse à cette problématique sociale dont le traitement ne peut se faire que par voie numérique. En fonction du dispositif dans lequel s’inscrit l’accompagné, nous disposons d’ores et déjà d’indicateurs à renseigner. Pour un demandeur d’emploi, nous aurons pour objectif de l’accompagner vers le retour à l’emploi. Évidemment, il faut adapter ces objectifs à la situation personnalisée de la personne accompagnée. Il est plus difficile de retrouver un emploi à 60 ans qu’à 28 ans. Dans tous les cas nous pourrons nous interroger sur la manière dont le numérique aura été mobilisé tout au long du parcours de l’usager et comment il aura contribué à répondre à la problématique. Cette prise en compte globale de la situation de la personne demande un travail en équipe transversale. Dans bien des cas, ce travail en équipe dépassera les murs de la structure en propre pour impliquer d’autres acteurs.

En intégrant la dimension sociale de l’usager à l’évaluation nous nous offrons une marge de priorisation. Une personne isolée qui a suivi dix ateliers en groupe sur le mail aura rompu son isolement sans nécessairement réussir à envoyer un mail. Nous devrons nous interroger sur ce qui nous importe et pour cette question nous devrons associer l’usager à la construction de ses propres objectifs. En ce sens, l’utilisation de la toile des capabilités pourrait s’avérer un atout précieux. Malheureusement cet outil a été abandonné avant même d’avoir eu l’opportunité d’être déployé.

Évaluation systémique

Ce qui est fascinant dans les démarches d’évaluation menées c’est qu’elles sont toutes centrées sur l’usager. Or si nous voulons répondre aux problématiques sociales des éloignés du numériques, nous devons remettre en cause notre façon d’aborder les problématiques. Nous déployons des dispositifs qui obéissent à une logique de silos, là où la prise en charge doit être transversale. Si la médiation numérique doit avoir un premier impact c’est dans notre manière de considérer la problématique de chaque individu en premier lieu. Un médiateur numérique endosse tour à tour les casquettes de travailleur social, conseiller en insertion, tiers de confiance et tant d’autres. Pour répondre à ces défis, il nous faut mobiliser des équipes pluridisciplinaires du social, de l’éducation, de l’enfance, des bâtiments, de l’informatique, des ressources humaines, des finances, de la culture, du développement durable et d’autres encore.

Si nous voulons réellement évaluer l’impact de ce que nous faisons, le premier défi auquel on doit s’attaquer c’est de réinterroger les manières de faire de l’institution à la lumière de l’impact du numérique dans la transformation de nos actions.

Un grand merci à Loïc Gervais d’avoir accepté qu’on publie ici ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires.

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