L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)




Ne pas entrer à reculons dans la société et l’économie numériques

Tibchris - CC by« Il est possible de rémunérer les auteurs, de payer le juste prix et de ne pas payer ce qui est devenu gratuit. Et il est important de cesser d’entrer à reculons dans la société et l’économie numériques. »

Telle est la conclusion de Gratuité et prix de l’immatériel, le nouvel article de Jean-Pierre Archambault que nous vous proposons aujourd’hui. Il n’apporte fondamentalement rien de plus que ce que tout lecteur du Framablog connaissait déjà. Mais l’agencement des faits, la pertinence des exemples et l’enchaînement des arguments en font une excellente synthèse en direction du grand public. Á lire et à faire lire donc[1].

Je ne résiste d’ailleurs pas à vous recopier d’emblée cette petite fiction que l’on trouvera dans le paragraphe en faveur de la licence globale, histoire de vous mettre l’eau à la bouche : « Supposons que, dans le monde physique, ait été inventée une technologie miracle qui permette de remplacer immédiatement, à l’identique et sans aucun coût, tout CD retiré des bacs d’une surface de distribution. Dans un tel monde, il apparaîtrait impensable que des caisses soient disposées en sortie de magasin afin de faire payer les CD emportés par les clients : celui qui part avec 100 CD cause en effet exactement le même coût que celui qui part avec 10 CD ou encore que celui qui part avec 1 000 CD, c’est à dire zéro ! En revanche, personne ne comprendrait que des caisses ne soient pas installées à l’entrée, afin de facturer l’accès à une telle caverne d’Ali Baba. »

Gratuité et prix de l’immatériel

URL d’origine du document

Jean-Pierre Archambault – CNDP et CRDP de Paris – Chargé de mission Veille technologique et coordonnateur du Pôle de compétences logiciels libres du SCÉREN – Médialog n°72 – Décembre 2009

Internet bouleverse les modalités de mise à disposition des biens culturels et de connaissance. Dans l’économie numérique, le coût de production d’une unité supplémentaire d’un bien (musique, film, logiciel…) étant, pour ainsi dire, nul, que doit-on payer ?
La réflexion sur les logiciels libres, biens communs mis à la disposition de tous, peut contribuer à éclairer la question des relations complexes entre gratuité, juste prix et légitime rémunération des auteurs.

Le thème de la gratuité est omniprésent dans nombre de débats de l’économie et de la société numériques, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de films téléchargés, ou de logiciels qui, on le sait, se rangent en deux grandes catégories : libres et propriétaires. Les débats s’éclairent les uns les autres, car ils portent sur des produits immatériels dont les logiques de mise à disposition ont beaucoup de points communs.

Concernant les logiciels, « libre » ne signifie pas gratuit. La méprise peut venir de la double signification de free en anglais : libre, gratuit. À moins que son origine ne réside dans le fait qu’en pratique il y a toujours la possibilité de se procurer un logiciel libre sans bourse délier. Il peut s’agir également d’une forme d’hommage à la « vertu » des logiciels libres, et des standards ouverts. En effet, à l’inverse des standards propriétaires qui permettent de verrouiller un marché, ceux-ci jouent un rôle de premier plan dans la régulation de l’industrie informatique. Ils facilitent l’entrée de nouveaux arrivants, favorisent la diversité, le pluralisme et la concurrence. Ils s’opposent aux situations de rentes et de quasi monopole. De diverses façons, les logiciels libres contribuent à la baisse des coûts pour les utilisateurs. Par exemple, l’offre gratuite, faite en 2008 par Microsoft, sur sa suite bureautique en direction des enseignants, mais pas de leurs élèves, est une conséquence directe de la place du libre en général, d’OpenOffice.org en particulier, dans le paysage informatique. Et, c’est bien connu, les logiciels libres sont significativement moins chers que leurs homologues propriétaires.

Gratuit car payé

Il peut arriver que la gratuité brouille le débat. Elle n’est pas le problème. Les produits du travail humain ont un coût, le problème étant de savoir qui paye, quoi et comment. La production d’un logiciel, qu’il soit propriétaire ou libre, nécessite une activité humaine. Elle peut s’inscrire dans un cadre de loisir personnel ou associatif, écrire un programme étant un hobby comme il en existe tant. Elle n’appelle alors pas une rémunération, la motivation des hackers (développeurs de logiciels dans des communautés) pouvant résider dans la quête d’une reconnaissance par les pairs. En revanche, si la réalisation se place dans un contexte professionnel, elle est un travail qui, toute peine méritant salaire, signifie nécessairement rémunération. Le logiciel ainsi produit ne saurait être gratuit, car il lui correspond des coûts. Et l’on sait que dans l’économie des biens immatériels, contrairement à l’économie des biens matériels, les coûts fixes sont importants tandis que les coûts marginaux (coûts de production et diffusion d’un exemplaire supplémentaire) sont peu élevés. Dupliquer un cédérom de plus ou fabriquer un deuxième avion, ce n’est pas la même chose. Télécharger un fichier ne coûte rien (sauf l’accès au réseau).

Mais, même quand un logiciel n’est pas gratuit, il le devient lorsqu’il a été payé ! Enfin, quand il est sous licence libre. Qu’est-ce à dire ? Prenons le cas d’un client qui commande la réalisation d’un logiciel à une société et la lui paye intégralement, dans une relation de sous-traitance. Un travail a été fait et il est rémunéré. Si, en plus, le client a conservé ses droits de propriété sur le logiciel et décide de le mettre à disposition des autres sous une licence libre, le dit logiciel est alors librement et gratuitement accessible pour tout un chacun. Exit les licences par poste de travail. Bien commun, un logiciel libre est à la disposition de tous. À charge de revanche, mais c’est l’intérêt bien compris des uns et des autres de procéder ainsi, même s’il est vrai qu’il n’est pas toujours évident d’enclencher pareil cycle vertueux… Autre chose est de rémunérer des activités de service sur un logiciel devenu gratuit (installation, adaptation, évolution, maintenance…). Même si, ne versons pas dans l’angélisme, la tentation existe de ne pas développer telle ou telle fonctionnalité pour se ménager des activités de service ultérieures.

Il en va pour l’informatique comme pour les autres sciences. Les mathématiques sont libres depuis vingt-cinq siècles. Le temps où Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer théorèmes et démonstrations est bien lointain ! Les mathématiques sont donc libres, ce qui n’empêche pas enseignants, chercheurs et ingénieurs d’en vivre.

Argent public et mutualisation

Le libre a commencé ses déploiements dans les logiciels d’infrastructure (réseaux, systèmes d’exploitation). Dans l’Éducation nationale, la quasi totalité des logiciels d’infrastructure des systèmes d’information de l’administration centrale et des rectorats sont libres. Il n’en va pas (encore…) de même pour les logiciels métiers (notamment les logiciels pédagogiques), mais cette situation prévaut en général, que ce soit dans les entreprises, les administrations, les collectivités locales ou dans des filières d’activité économique donnée.

Dans L’économie du logiciel libre[2], François Elie, président de l’Adullact (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales), nous dit que l’argent public ne doit servir à payer qu’une fois ! Comment ne pas être d’accord avec pareille assertion ? En effet, si des collectivités territoriales ont un besoin commun, il n’y a aucune raison pour qu’elles fassent la même commande au même éditeur, chacune de son côté dans une démarche solitaire, et payent ce qui a déjà été payé par les autres. François Elie propose la mutualisation par la demande.

L’Éducation nationale est certes une « grande maison » riche de sa diversité, il n’empêche qu’il existe des besoins fondamentalement communs d’un établissement scolaire à l’autre, par exemple en matière d’ENT (espaces numériques de travail). Pourquoi des collectivités territoriales partiraient-elles en ordre (inutilement trop) dispersé ? Alors, qu’ensemble, elles peuvent acheter du développement partagé ou produire elles-mêmes. Et, dans tous les cas, piloter et maîtriser les évolutions. Ce qui suppose d’avoir en interne la compétence pour faire, ou pour comprendre et « surveiller » ce que l’on fait faire, aux plans technique et juridique. Dans le système éducatif, les enseignants ont la compétence métier, en la circonstance la compétence pédagogique, sur laquelle fonder une mutualisation de la demande, la production par les intéressés eux-mêmes se faisant dans des partenariats avec des éditeurs publics (le réseau SCÉREN) et privés. L’association Sésamath en est l’illustration majeure mais elle n’est pas seule : il y a aussi AbulEdu, Ofset, les CRDP…[3].

L’argent public ne doit servir qu’une fois, ce qui signifie une forme de gratuité selon des modalités diverses. C’est possible notamment dans l’équation « argent public + mutualisation = logiciels libres ». Le libre a fait la preuve de son efficacité et de ses qualités comme réponse à la question de la production de ce bien immatériel particulier qu’est le logiciel. Rien d’étonnant à cela. La production des logiciels restant une production de connaissances, contrairement à d’autres domaines industriels, elle relève du paradigme de la recherche scientifique. L’approche du logiciel libre, à la fois mode de réalisation et modalité de propriété intellectuelle, est transférable pour une part à d’autres biens, comme les ressources pédagogiques. Le logiciel libre est également « outil conceptuel » pour entrer dans les problématiques de l’économie de l’immatériel et de la connaissance.

Gratuité et rémunération

Revenons sur les coûts fixes et marginaux dans l’économie à l’ère du numérique. L’économie de l’information s’est longtemps limitée à une économie de ses moyens de diffusion, c’est-à-dire à une économie des médias. Elle ne peut désormais plus se confondre avec l’économie du support puisque les biens informationnels ne sont plus liés rigidement à un support donné. L’essentiel des dépenses était constitué par les coûts de production, de reproduction matérielle et de distribution dans les divers circuits de vente. Aujourd’hui, les techniques de traitement de l’information, la numérisation et la mise en réseau des ordinateurs permettent de réduire les coûts de duplication et de diffusion jusqu’à les rendre à peu près nuls. Dans ces conditions, la valeur économique de l’information ne peut plus se construire à partir de l’économie des vecteurs physiques servant à sa distribution. De nouvelles sources de valeur sont en train d’apparaître. Le modèle économique de mise en valeur de l’information déplace son centre de gravité des vecteurs physiques vers des services annexes ou joints dont elle induit la consommation ou qui permettent sa consommation dans de bonnes conditions (services d’adaptation d’un logiciel au contexte d’une entreprise, de facilitation de l’accès à des ressources numérisées, commerce induit sur des produits dérivés, etc.).

Le copyright, qui défend principalement l’éditeur contre des confrères indélicats, aussi bien que le droit d’auteur, qui défend principalement l’auteur contre son éditeur, ont ceci en commun qu’ils créent des droits de propriété sur un bien abstrait, l’information[4]. Tant que cette information est rigidement liée à un vecteur physique, c’est-à-dire tant que les coûts de reproduction sont suffisamment élevés pour ne pas être accessibles aux particuliers, ces droits de propriété peuvent être imposés aisément. Mais le monde bouge…

Les débats sur la loi Création et Internet dite « loi Hadopi » ont tourné autour de la gratuité et de la rémunération des auteurs (et des éditeurs !). Face aux difficultés de recouvrement du droit d’auteur dans l’économie numérique, certains pensent manifestement que la solution réside dans le retour au modèle classique de l’information rigidement liée à son support physique, ce que certaines techniques de marquage pourraient permettre, annulant ainsi les bienfaits économiques de la numérisation et de la mise en réseau. Mais le rapide abandon des DRM (Digital Rights Management ou Gestion des Droits Numériques en français) qui se sont révélés inapplicables (après le vote en 2006 de la transposition en France de la directive européenne DADVSI[5] ) aurait tendance à démontrer le caractère illusoire de ce genre d’approche. Beaucoup pensent qu’un sort identique arrivera aux dispositions contenues dans la « loi Hadopi », que ces façons (anciennes) de poser les problèmes (nouveaux) mènent à une impasse. Pour, entre autres, les mêmes raisons de non faisabilité : le droit se doit d’être applicable. On sait, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel a, dans un premier temps censuré le volet sanction de la « loi Hadopi », considérant que le droit de se connecter à Internet relève de la liberté de communication et d’expression et que ce droit implique la liberté d’accès à Internet (seule une juridiction peut être habilitée à le suspendre). Il a estimé que le texte conduisait à instituer une présomption de culpabilité.

Dans le cas d’un transfert de fichier, nous avons déjà signalé que le coût marginal est nul. Que paye-t-on ? Une part des coûts fixes. Mais il arrive un moment où la réalisation du premier exemplaire est (bien) amortie. D’où ces situations de rentes dans lesquelles on paye un fichier téléchargé comme s’il était gravé sur un support physique qu’il aurait fallu fabriquer et acheminer. De plus, l’économie générale des productions (les best sellers et les autres titres) d’un éditeur évolue avec Internet. Dans son ouvrage La longue traîne, Chris Anderson[6] théorise le principe de la longue traîne dans lequel la loi des 20/80 (20% des produits font 80% du chiffre d’affaires) disparaît avec Internet qui, en réduisant les coûts de fabrication et de distribution, permet à tous les produits qui ne sont pas des best-sellers (qui constituent des longues traînes) de rapporter parfois jusqu’à 98% du chiffre d’affaires.

Une licence globale

Il y a donc des questions de fond. Quel est le prix des biens culturels dématérialisés ? Quels doivent être leurs modes de commercialisation ? Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir, les pose[7]. Rappelant qu’un support physique a un coût et qu’il est « rival »[8], que l’on peut multiplier les fichiers numériques d’une oeuvre pour un coût égal à zéro, il en tire la conclusion que « la dématérialisation, parce qu’elle permet un partage sans coût de la culture, parce qu’elle constitue un accès à l’information et à l’art pour tous, remet fondamentalement en cause les modèles économiques existants. Dès lors, il apparaît essentiel de proposer de nouvelles formes de rémunération pour allier les avantages d’Internet à une juste rétribution des artistes/créateurs ». Et comme « dans une économie de coûts fixes, distribuer un ou 10 000 MP3 ne fait pas varier le coût de production », il est plus pertinent « de faire payer l’accès et non pas la quantité. Ce mode de commercialisation, apparu avec la commercialisation de l’accès à internet (le forfait illimité), est le modèle consacré par l’économie numérique ».

Et, pour illustrer le propos, Alain Bazot s’appuie sur une fiction fort pertinente de Nicolas Curien : « Supposons que, dans le monde physique, ait été inventée une technologie miracle qui permette de remplacer immédiatement, à l’identique et sans aucun coût, tout CD retiré des bacs d’une surface de distribution. Dans un tel monde, il apparaîtrait impensable que des caisses soient disposées en sortie de magasin afin de faire payer les CD emportés par les clients : celui qui part avec 100 CD cause en effet exactement le même coût que celui qui part avec 10 CD ou encore que celui qui part avec 1 000 CD, c’est à dire zéro ! En revanche, personne ne comprendrait que des caisses ne soient pas installées à l’entrée, afin de facturer l’accès à une telle caverne d’Ali Baba. »[9]

On retrouve donc la « licence globale », financée par tous les internautes ou sur la base du volontariat, mais également financée par les fournisseurs d’accès qui ont intérêt à avoir des contenus gratuits pour le développement de leurs services. En effet, comme le dit Olivier Bomsel[10], la gratuité est aussi un outil au service des entreprises, pour conquérir le plus rapidement possible une masse critique d’utilisateurs, les innovations numériques voyant leur utilité croître avec le nombre d’usagers, de par les effets de réseau.

Des créateurs ont déjà fait le choix du partage volontaire de leurs oeuvres numériques hors marché. Philippe Aigrain envisage une approche partielle (expérimentale dans un premier temps ?) dans laquelle les ayants droit qui « refuseraient l’inclusion de leurs oeuvres dans un dispositif de partage hors marché garderaient le droit d’en effectuer une gestion exclusive, y compris par des mesures techniques de protection ou par des dispositifs de marquage des oeuvres protégés contre le contournement ». Mais, « ils devraient cependant renoncer à imposer des dispositifs destinés à leurs modèles commerciaux dans l’ensemble de l’infrastructure des réseaux, appareils ou procédures et sanctions. »[11]

Enfin, s’il existe des modèles économiques diversifiés de l’immatériel, il ne faut pas oublier certains fondamentaux. C’est le reproche que Florent Latrive fait à Chris Anderson, « archétype du Californien hype », en référence à son livre paru récemment Free : « Dans son monde, les modèles économiques ne sont l’affaire que des seules entreprises. C’est un monde qui n’existe pas. Chris Anderson zappe largement le rôle de l’État et de la mutualisation fiscale dans sa démonstration. C’est pourtant fondamental : cela fait bien longtemps que l’importance sociale de certains biens, matériels ou immatériels, justifie l’impôt ou la redevance comme source de financement principale ou partielle. La santé gratuite en France n’implique pas le bénévolat des infirmières et des médecins. La gratuité de Radio France ne fait pas de ses journalistes des crève-la-faim »[12]. Effectivement, la santé et l’éducation représentent des coûts importants (des investissements en fait). La question posée n’est donc pas celle de leur gratuité mais celle de l’organisation de l’accès gratuit pour tous aux soins et à l’éducation. La réponse s’appelle sécurité sociale et école gratuite de la République financée par l’impôt.

Il est possible de rémunérer les auteurs, de payer le juste prix et de ne pas payer ce qui est devenu gratuit. Et il est important de cesser d’entrer à reculons dans la société et l’économie numériques.

Notes

[1] Crédit photo : Tibchris (Creative Commons By-Sa)

[2] François Elie, L’économie du logiciel libre, Eyrolles 2009.

[3] Voir J-P. Archambault, « Favoriser l’essor du libre à l’École » , Médialog n°66 et J-P Archambault, « Un spectre hante le monde de l’édition », Médialog n°63.

[4] Concernant la rémunération des auteurs, rappelons qu’elle ne représente en moyenne que 10% du prix d’un produit.

[5] Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information

[6] Chris Anderson, La longue traîne, 2ème édition, Pearson 2009.

[7] Alain Bazot, « La licence globale : il est temps d’entrer dans l’ère numérique ! », billet posté sur le blog Pour le cinéma – La plateforme des artistes en lutte contre la loi Hadopi

[8] Un bien rival (ou bien privé pur) est un bien pour lequel une unité consommée par un agent réduit d’autant la quantité disponible pour les autres agents.

[9] Nicolas Curien, « Droits d’auteur et Internet : Pourquoi la licence globale n’est pas le diable ? », Janvier 2006.

[10] Olivier Bomsel, Gratuit ! Du développement de l’économie numérique, Folio actuel, 2007.

[11] Philippe Aigrain Internet & création, InLibroVeritas, 2008.

[12] Le modèle économique est un choix éditorial




Hadopi à l’école : transformons la propagande en opportunité

Pink Sherbet Photography - CC byVous ne le savez peut-être pas, mais nous, professeurs, sommes désormais dans l’obligation légale « d’enseigner l’Hadopi » à vos enfants.

C’est évidemment un peu caricatural de présenter la chose ainsi. Sauf que voici ce qu’on peut lire actuellement en accueil et en pleine page de la rubrique Legamédia du très officiel site Educnet : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet (et) demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés ».

Le message est on ne peut plus clair, d’autant que Legamédia[1] se définit comme « l’espace d’information et de sensibilisation juridique pour la communauté éducative ».

Dura lex sed lex

Ceci place alors les nombreux collègues, qui n’étaient pas favorables à cette loi liberticide, dans une position difficile. Nous sommes de bons petits soldats de la République mais la tentation est alors réelle d’adopter une attitude larvée de résistance passive. Cependant, à y regarder de plus près, rien ne nous oblige à entrer dans la classe en déclamant aux élèves : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet, voici pourquoi… »[2].

Que dit en effet précisément la loi, pour les passages qui nous concernent ici ?

Elle dit ceci (article L312-6) :

Dans le cadre de ces enseignements (artistiques), les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique.

Elle dit cela (article L312-9) :

Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique.

Dans ce cadre, notamment à l’occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009) de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne.

Et puis c’est tout.

Sous les pavés du copyright, la plage du copyleft

Pourquoi alors évoquer dans mon titre aussi bien une propagande qu’une opportunité ?

La réponse est toute entière contenue dans les deux sous-amendements déposés par M. Brard et Mme Billard en avril 2009 (n° 527 et n° 528).

Ils visaient à ajouter la mention suivante au texte de loi ci-dessus : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. »

Et les justifications données valent la peine d’être rappelées.

Pour le sous-amendement n° 527 :

L’article L312-9 du Code de l’éducation dispose que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique ». Il serait fort regrettable que sous couvert de prévention et de pédagogie autour des risques liés aux usages des services de communication au public en ligne sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, soit présentée comme seule alternative une « offre légale » qui occulterait la mise en valeur et la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. On violerait là, dans la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, les principes de la neutralité scolaire sous l’égide même du ministère de l’Éducation nationale.

Pour le sous-amendement n° 528 :

Ce sous-amendement permet de préciser le lien entre « téléchargement » et « création artistique », dans le respect de la neutralité de scolaire.

Il ne s’agit pas de condamner une technologie par définition neutre, mais les usages illicites qui en sont faits, en mettant en avant les usages licites de partage des œuvres culturelles.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers, qui enrichissent la création artistique.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adaptée à l’éducation.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture, et de partage culturel entre particuliers. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et souvent la transformation des œuvres, encourageant de nouvelles pratiques de création culturelle.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres ne sont pas des oeuvres libres de droits : si leur usage peut être ouvertement partagé, c’est selon des modalités dont chaque ayant droit détermine les contours. Les licences ouvertes sont parfaitement compatibles avec le droit d’auteur dont les règles, qui reposent sur le choix de l’auteur, permettent que soient accordées des libertés d’usage.

Elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, le dernier album du groupe Nine Inch Nails, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plateforme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

Ces amendements ont été malheureusement rejetés, sous le prétexte fumeux que ça n’était « pas vraiment pas du ressort de la loi mais plutôt de la circulaire » (cf article de l’April). On pourra toujours attendre la circulaire, elle ne viendra pas. Car c’est bien ici que se cache la propagande.

De la même manière que le logiciel propriétaire a tout fait pendant des années pour taire et nier l’existence du logiciel libre en ne parlant que de logiciel propriétaire dûment acheté vs logiciel propriétaire « piraté », les industries culturelles (avec l’aide complice du gouvernement) ne présentent les choses que sous l’angle dichotomique de l’offre légale vs le téléchargement illégal en occultant totalement l’alternative des ressources sous licence libre. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour comprendre pourquoi !

Nous pouvons cependant retourner la chose à notre avantage, tout en respectant évidemment la loi. Il suffit de présenter la problématique aux élèves sous un jour nouveau. Non plus la dichotomie précédente mais celle qui fait bien la distinction entre ressources sous licence fermée et ressources sous licence ouverte ou libre.

Exemple de plan. Dans une première partie, on évoquera bien entendu l’Hadopi, le téléchargement illégal (les amendes, la prison), l’offre légale, les droits d’auteur classiques de type « tous droits réservés », etc. Mais dans une seconde partie, plus riche, féconde et enthousiaste, on mettra l’accent sur cette « culture libre » en pleine expansion qui s’accorde si bien avec l’éducation.

C’est bien plus qu’une façon plus ou moins habile de « lutter contre l’Hadopi ». C’est une question de responsabilité d’éducateur souhaitant donner les maximum de clés à la génération d’aujourd’hui pour préparer au mieux le monde demain.

Préalablement sensibilisés

Encore faudrait-il, et désolé pour la condescendance, que les enseignants comprennent de quoi il s’agit et adhèrent à cette manière de voir les choses. Ce qui n’est pas gagné, quand on regarde et constate la situation actuelle du logiciel libre dans l’éducation.

La loi stipule que « les élèves reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur… ». Peut-on aujourd’hui compter sur le ministère pour que cette sensibilisation ne se fasse pas à sens unique (et inique) ? Une fois de plus, je crains fort que non.

Peut-être alors serait-il intéressant de proposer aux collègues une sorte de « kit pédagogique dédié », élaboré conjointement par toutes les forces vives du libre éducatif et associatif ?

L’appel est lancé. Et en attendant voici en vrac quelques ressources internes et non exhaustives du Framablog susceptibles de participer à ce projet.

J’arrête là. N’ayant ni la volonté de vous assommer, ni le courage d’éplucher les quelques six cents articles des archives du blog. Sacrée somme en tout cas, qui me donne pour tout vous dire un léger coup de vieux !

Certains disent que la bataille Hadopi a été perdue dans les faits (la loi est passée) mais pas au niveau des idées et de la prise de conscience de l’opinion publique. Montrons ensemble qu’il en va de même à l’Éducation nationale en profitant de la paradoxale occasion qui nous est donnée.

Notes

[1] Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Framablog évoque Legamédia.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Un Centre de Formation Logiciels Libres pour les Universités d’Île-de-France !

CF2L - La salle de formation - Jean-Baptiste YunesIl reste beaucoup à faire pour améliorer la situation du logiciel libre dans l’éducation en général et dans l’enseignement supérieur en particulier.

C’est pourquoi nous sommes fiers et heureux de pouvoir annoncer une grande première dans le monde universitaire : l’ouverture prochaine du CF2L-UNPIdF, c’est-à-dire Centre de Formation Logiciels Libres – Université numérique Paris Île-de-France en direction de tous les personnels des universités de la région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…).

D’autant plus fiers que Framasoft est directement impliqué en participant de près à la logistique.

Le programme, planning et site officiel seront disponibles prochainement, mais en attendant nous vous proposons un entretien avec le principal artisan de ce projet, Thierry Stœhr (que beaucoup ici connaissent déjà sous d’autres casquettes).

Vous pouvez relayer dès maintenant l’information, maximisant ainsi les chances de toucher le public concerné (contact : cf2l AT unpidf.fr).

Faire en effet salle comble dès la première session (et aux suivantes aussi !) témoignerait du besoin et de l’intérêt du personnel universitaire pour les logiciels libres et nous permettrait de poursuivre et d’étendre les formations au cours des prochaines années. Et au libre de trouver une place logique et méritée[1].

CF2L : Entretien avec Thierry Stœhr

Bonjour Thierry, vous n’êtes pas inconnu en ces lieux mais pouvez-vous néanmoins vous présenter ?

Styeb - CC by-saBonjour Alexis et bonjour aux nombreux lecteurs de Framablog ! Je m’appelle Thierry Stœhr, en effet déjà cité en ces lieux 🙂 Je suis enseignant de formation et je suis dans le monde du logiciel libre depuis 1998. J’ai commencé à m’impliquer dans le libre au travers de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL) en étant au Bureau de son Conseil d’Administration depuis sa création. J’en suis l’actuel président.

J’ai participé à de nombreuses manifestations et actions (comme les RMLL, le groupe éducation de l’AFUL, des conférences,…). Je traitais notamment du sujet des formats et j’ai ouvert en juillet 2004 avec Sylvain Lhullier un site Web sur le sujet, Formats-Ouverts.org (FOo pour faire court). Les formats y sont envisagés et expliqués au sens large (le cas des fichiers, mais aussi avec les capsules de café ou les déménagements). Et donc 5 ans d’âge en juillet dernier pour FOo.

Mais cela fait ne fait pas vivre son homme ! Et dans votre vie professionnelle, il y a aussi du logiciel libre ?

Tout cela était bénévole et hors de mon temps de travail, c’est exact. Mais le logiciel libre est présent professionnellement depuis la rentrée 2009.

En effet j’ai été recruté par l’université Paris Diderot Paris 7 (dont le campus principal est dans le 13e arrondissement, quartier Paris Rive Gauche). Je travaille au SCRIPT (oui, le nom est un clin d’œil et signifie quelque chose de réel : Service Commun de Ressources Informatiques Pédagogiques et Technologiques !). Au sein du SCRIPT j’ai 2 missions. D’une part je suis chargé de coordonner le C2i (Certificat informatique et Internet) que tous les étudiants doivent pouvoir passer au cours de leur licence. Ils ont tous à Paris Diderot un enseignement en informatique général au cours duquel ils travaillent la bureautique et à propos d’Internet. Et le libre est très présent (mais c’est un autre sujet !). D’autre part les logiciels libres occupent la seconde moitié de mes activités au sein du SCRIPT : diffusion interne et externe, veille, information et surtout en ce moment le CF2L.

Le CF2L ?

C’est le Centre de Formation Logiciels Libres, qui pourrait s’écrire CFLL mais CF2L a été retenu. Il s’agit d’une structure mise en place par l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF) qui regroupe les 17 universités… d’Île-de-France ! L’UNPIdF a décidé d’ouvrir début 2010 un centre destiné à la formation aux logiciels libres de tous les personnels des universités de la Région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…). Dans le cadre de sa stratégie de formation aux usages du numérique à destination des personnels universitaires, un premier centre de formation, le RTC Apple, a été ouvert début 2009. Il est implanté à l’université Paris Descartes. La volonté de l’UNPIdF est d’avoir aussi des centres à propos des autres plate-formes. D’où l’appel à candidature qui a été lancé pour un centre à propos des logiciels libres. Suite aux réponses obtenues, deux implantations ont été retenues : l’université Paris Descartes et l’université Paris Diderot.

Et quel est votre rôle dans ce CF2L ?

D’une manière générale, il s’agit de le faire vivre, en employant mes compétences et connaissances à propos du libre. Plus concrètement, je suis chargé du volet pédagogique du centre (contenu, programme, calendrier, intervenants,…) avec aussi un volet technique pour s’assurer que tout fonctionne. Mais ce dernier point repose sur les compétences internes en libre, qui sont très importantes. L’université Paris Diderot s’appuie beaucoup sur le libre (mais c’est encore un autre sujet !). Le projet du CF2L est fortement soutenu en interne, notamment par la Mission TICE.

D’ailleurs la mission TICE de l’Université Paris Diderot avait annoncé cette excellente nouvelle, mais les 140 caractères limitaient la description du projet. Nous en savons un peu plus, mais quelques détails supplémentaires à nous donner ?

Le Centre de Formation Logiciels Libres doit ouvrir le 5 février 2010, un vendredi. Ce sera la première journée de formation. Elle devrait porter sur la découverte des systèmes d’exploitation libres, les principes et les concepts généraux, le fonctionnement, l’installation. Bref, les premiers pas, la prise en main et les premières utilisations. Enfin il faut annoncer une autre caractéristique importante à propos du CF2L : Framasoft est partenaire de l’opération auprès de l’UNPIdF. Je suis très content de ce montage qui devrait permettre de belles réalisations.

Un mot de fin ?

Oui, et même quatre : diffuser, montrer, copier, adapter !

Il ne faut pas hésiter à diffuser l’information. Les personnels des universités d’Ile de France seront bien sûr informés officiellement, mais voilà un premier canal, qui va même vers le monde 😉

Montrer au grand jour des logiciels libres développés par des personnels de l’université et pour l’université (et plus largement encore) est possible via le CF2L. Cela peut compléter ce que font déjà PLUME ou Framasoft (je pense par exemple à 2 logiciels libres de 2 universitaires qui se reconnaitront… ; encore un autre sujet !).

Enfin copier et adapter : les logiciels libres sont très présents dans l’enseignement supérieur. Qu’ils se montrent donc encore plus au grand jour… et que ce qui a été mis en place (mon recrutement, le CF2L) soit copié dans d’autres universités et d’autres universités numériques en région, en adaptant (et en améliorant) le dispositif.

Merci pour toutes ces précisions. Et sinon continuez-vous à murmurer ouverts à l’oreille des formats ?

Il faut sans cesse le murmurer et aussi l’affirmer fortement, notamment aux oreilles de tous les enseignants (et des étudiants). Rendez-vous pour la suite (avec le programme, des détails techniques,…) car il y a encore du travail avant l’ouverture du CF2L : La route est longue mais la voie est libre !

Pour de plus amples informations : thierry.stoehr AT script.univ-paris-diderot.fr

Notes

[1] Crédit photos : Jean-Baptiste Yunes et Styeb (Creative Commons By-Sa)




Privilégier la licence Creative Commons Paternité (CC BY) dans l’éducation

Logo - Creative Commons AttributionQuelle est la licence la plus indiquée pour ce qui concerne les ressources produites dans un contexte éducatif ?

Assurément les licences Creative Commons. Or ce pluriel témoigne du fait qu’il existe justement plusieurs licences Creative Commons.

C’est la plus simple et peut-être aussi la plus « libre » d’entre toutes, la Creative Commons Paternité (ou CC BY), que est ici clairement, voire chaudement, recommandée, par les créateurs mêmes de ces licences, lorsqu’il est question de ces ressources en plein essor que constituent les « Ressources Éducatives Libres ».

Et c’est une prise de position d’autant plus remarquable que c’est une licence encore aujourd’hui très minoritaire dans la grande famille des Creative Commons.

Pourquoi licencier sous CC BY ?

Why CC BY?

CC Learn Productions – Juillet 2009 – Licence Creative Commons By (Traduction Framalang : Olivier Rosseler, Poupoul2 et Goofy)

Quelques règles d’utilisation des licences Creative Commons (CC), et plus particulièrement de la licence Creative Commons Paternité (CC BY), comme choix privilégié pour vos Ressources Éducatives Libres (NdT : OER pour Open Educational Resources en anglais).

1. Utilisez les licences Creative Commons

La famille de licences Creative Commons est un standard reconnu pour les contenus ouverts. Nous vous recommandons de consulter la FAQ ccLearn pour en apprendre davantage sur ces choix essentiels de licences dans l’éducation. Pour résumé, Creative Commons propose des licences publiques et gratuites, composées de combinaisons des conditions suivantes :

Logo CC BYPaternité : Vous offrez aux autres la possibilité de reproduire, distribuer et communiquer votre création, et les œuvres dérivées, mais uniquement s’ils vous en attribuent expressément la paternité. Cette condition est commune à toutes les licences Creative Commons.

Logo CC NCPas d’utilisation commerciale : Vous offrez aux autres la possibilité de reproduire, distribuer et communiquer votre création et les œuvres dérivées, mais uniquement dans un but non commercial. S’ils souhaitent utiliser votre travail à des fins commerciales, ils doivent prendre contact avec vous afin d’obtenir votre autorisation.

Logo CC SAPartage des conditions initiales à l’identique : Vous permettez aux autres de distribuer des œuvres dérivées, mais uniquement sous une licence identique à celle que vous avez initialement choisie.

Logo CC NDPas de modification : Vous offrez aux autres la possibilité de reproduire, distribuer et communiquer votre création sous sa forme initiale, sans modification. Votre accord est nécessaire à toute traduction, altération, transformation ou ré-utilisation dans une autre œuvre.

Selon la combinaison de conditions choisies, Creative Commons fournit une licence indiquant clairement les conditions de réutilisation de votre travail. Qui plus est, les licences Creative Commons sont tout particulièrement conçues pour en faciliter l’utilisation, ainsi que la compréhension par les auteurs et les utilisateurs. Leur terminologie standardisée et leur implantation technique les rendent universelles. Les Ressources Éducatives Libres publiées sous licences Creative Commons sont déjà nombreuses et s’inscrivent dans une dynamique collective qu’il aurait été impossible d’atteindre si des licences spécifiques et différentes avaient été appliquées à chaque œuvre.

Cette standardisation permet aux gens de se familiariser avec les différentes options de nos licences. Ces permissions ont été concentrées utilement dans des contrats simplifiés et accessibles, utilisant des icônes universellement identifiables, qui fournissent une référence rapide aux droits et conditions associées à chaque ressource. En complément, les licences Creative Commons sont lisibles par des machines, permettant ainsi de rechercher des ressources sous licence Creative Commons grâce à des outils de recherche Web (tels que Google, Yahoo!, ou les propres outils de recherche de Creative Commons), favorisant ainsi avec simplicité et efficacité la découverte et la diffusion de Ressources Éducatives Libres.

2. Utilisez la licence Creative Commons Paternité (CC BY) chaque fois que c’est possible.

Parmi l’ensemble des licences Creative Commons, la licence CC BY est le moyen le plus simple de garantir que vos Ressources Éducatives Libres auront un impact maximum, en termes de diffusion et de réutilisation. Les travaux sous licence CC BY peuvent en effet être redistribués et adaptés sans autre restriction que d’en respecter la paternité. Ces travaux peuvent être traduits, localisés, intégrés dans des produits commerciaux et combinés à d’autres ressources éducatives. La licence CC BY permet ces réutilisations par n’importe qui, pour n’importe quel objectif, toutes vous présentant explicitement comme l’auteur initial. Dans certaines situations, il peut vous paraître important de restreindre les possibilités de réutilisation de vos Ressources Éducatives Libres. Dans de tels cas, vous devriez porter une attention particulière aux conséquences de ces restrictions. Prenons par exemple une ressource dont la licence interdit la création de travaux dérivés, telles que les licences Creative Commons avec clause ND (pas de modification). Alors l’intégrité de vos travaux est protégée par une licence ND, mais dans le monde des Ressources Éducatives Libres cette restriction empêche toute traduction, adaptation ou localisation, alors que ces possibilités sont d’une importance critique dans le domaine éducatif.

La clause NC, qui interdit toute utilisation commerciale, en est un autre exemple. Votre organisation pourrait ne pas souhaiter que des concurrents commerciaux intègrent gratuitement vos créations dans leurs propres travaux et puissent ainsi en tirer un bénéfice financier. Cependant, il peut être parfois difficile de déterminer si une activité est ou n’est pas commerciale, ce qui pourrait pousser certains à éviter des ressources intégrant une clause NC, même s’ils envisageaient de s’engager dans des activités légitimes et séduisantes utilisant vos travaux. En fait, il existe de nombreux cas pour lesquels les efforts commerciaux élargiront l’accès et l’impact des Ressources Éducatives Libres. Par exemple des éditeurs commerciaux pourraient diffuser ces Ressources Éducatives Libres dans des régions où la connectivité au réseau est défaillante, des opérateurs de téléphonie mobile pourraient intégrer ces Ressources Éducatives Libres dans des offres de communication qui les aideraient à vendre des téléphones, tout en élargissant le nombre de bénéficiaires de ces ressources. Lorsque se pose la question de l’utilisation de la clause NC, Creative Commons pense qu’il est primordial que vous déterminiez si vous prévoyez de tirer un profit direct de votre travail (en clair, de le vendre). Si ce n’est pas le cas, essayez d’éviter d’utiliser la clause NC.

Un troisième exemple est la clause SA (Partage des conditions initiales à l’identique), qui contraint tous les travaux dérivés à être distribués dans les mêmes conditions que l’œuvre initiale. Cette clause est séduisante pour les organisations qui souhaitent utiliser leurs travaux afin d’étendre le corpus des ressources libres et ouvertes, en assurant que toute œuvre basée sur ces ressources conserve les mêmes libertés, même au prix de l’exclusion de réutilisations potentielles. Cependant, les œuvres porteuses d’une clause SA sont difficiles, voire impossibles, à combiner avec des ressources éducatives publiées sous une autre licence, ce qui dans de nombreux cas peut représenter un obstacle pour les étudiants et leurs professeurs.

Bien que certains attendent avec impatience l’avènement d’un jour où toutes les Ressources Éducatives Libres seront versées au domaine public, ouvertment accessibles et réutilisables sans conditions, Creative Commons comprend le besoin ressenti par les auteurs de fournir à leurs œuvres éducatives ouvertes une protection légale. Nous recommandons cependant d’imposer d’autres restrictions que la simple paternité uniquement lorsque c’est nécessaire et lorsque le choix de ces restrictions peut être clairement explicité.

3. Assurez-vous que vous utilisez correctement les licences Creative Commons

Convenablement appliquées aux ressources numériques, les licences Creative Commons peuvent être lues par les machines, en facilitant ainsi leur découverte et leur diffusion. Improprement appliquées, la visibilité et l’impact de vos ressources seront très certainement diminués.

4. Vérifiez que vous diffusez vos produits dans des formats qui permettent effectivement de jouir des droits (par exemple l’accès, la traduction, la re-composition) que vous avez légalement permis.

Si vous octroyez aux utilisateurs la permission de traduire vos Ressources Éducatives Libres, vous devriez alors garantir l’accès de ces ressources dans un format qui leur permettra de le faire facilement. Si vous êtes inquiet de l’avenir et de la qualité d’un format donné, vous pouvez envisager de publier la même ressource dans de multiples formats, afin que chaque destinataire soit capable d’en trouver une version qui lui convienne.

Des questions ?

Ce document est hautement abrégé. Pour plus d’informations à propos de ces sujets, ou d’autres sujets liés, rendez vous sur le site de Creative Commons (NdT : ou sur le site de Creative Commons France).




Educatice 2009 : Demandez le programme libre, avec Jean-Pierre Archambault

Styeb - CC by-saJean-Pierre Archambault œuvre depuis des années pour le logiciel libre à l’école, contribution au pluralisme technologique..

Il ne le fait pas « de l’extérieur », en se contenant de chausser ses gros sabots pour crier haro sur le baudet dans un blog (suivez mon regard !).

Il le fait « de l’intérieur » et par petites touches, au sein même des arcanes de l’Éducation nationale, dans le cadre de l’accord signé en octobre 1998 par le Ministère de l’Education nationale et l’AFUL, ce qui suppose patience, tactique et diplomatie.

Avec le temps c’est toute une petite équipe qui s’est agrégée autour de lui : le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN, qui a pris la bonne habitude de venir chaque année nombreux représenter dignement le logiciel libre au Salon Educatec-Educatice (manifestation parallèle au Salon de l’Education mais réservée aux professionnels de l’éducation).

L’occasion était belle pour rencontrer Jean-Pierre Archambault[1], lui demander le programme 2009 de cette manifestation (du 18 au 20 novembre à Paris) et en profiter au passage pour évoquer le situation actuelle du libre dans l’éducation.

Rencontre avec Jean-Pierre Archambault

CNDP-CRDP de Paris, coordonnateur du pôle de compétences logiciels libres du SCEREN


Comme chaque année depuis 2004, le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN sera présent au salon Educatec-Educatice.

Oui. Les organisateurs de ce salon ont toujours considéré comme allant de soi, dans leur vision marquée du sceau du pluralisme, qu’il devait y avoir une composante libre dans leur manifestation consacrée à l’informatique pédagogique dans toute sa diversité. Je tiens à les en remercier à nouveau.

Cette année, nous organisons une table ronde – conférence « Logiciels et ressources libres pour l’éducation ». Elle se déroulera le jeudi 19 novembre, de 15h45 à 17h15 en salle 1. Nous ferons un état des lieux en termes de solutions et ressources utilisées. Nous verrons les coopérations de l’institution éducative avec les associations, les collectivités locales et les entreprises. Nous verrons également en quoi le libre est la réponse appropriée à la question de « l’exception pédagogique ».

Nous participerons à deux autres tables rondes : « L’Ecole numérique, de la théorie à la pratique », le mercredi 18 novembre, de 14h à 17h15, en salle 3 ; et « CRDP : valoriser la diffusion multi-support des documents éditoriaux », le jeudi 19 novembre, de 9h30 à 11h, en salle 3[2].


Et il y a bien sûr le village du pôle dont j’ai le souvenir, les années où je suis venu à Educatice, qu’il était une véritable « ruche ».

Ce village s’inscrit dans la mise en oeuvre de l’une des missions du pôle, à savoir fédèrer les initiatives, les compétences et les énergies, ce qui l’amène à coopérer avec de nombreux acteurs, institutionnels ou partenaires de l’Education nationale, ainsi les collectivités locales, les entreprises, les associations.

Le village accueillera différents exposants, institutionnels et associatifs. Le CRDP de Lyon présentera OSCAR, lauréat aux Trophées du libre 2009, un ensemble d’outils qui permet aux administrateurs réseaux d’installer et de gérer facilement une salle informatique. Le CRDP de Paris présentera lui ses différentes activités en matière de logiciels et de ressources libres : partenariats éditoriaux avec Sésamath, réalisation de clés USB, démonstration de Freemind… La présence du CDDP de Seine-Maritime sera centrée sur l’opération du Conseil général qui a consisté à doter tous les collégiens du département d’un bureau virtuel.

Le Réseau Ecole et Nature, dont le but est de développer l’éducation à l’environnement, fera visiter son site réalisé à partir de logiciels libres, et qui vient de faire peau neuve. On connaît bien Sugar, plate-forme pédagogique libre, née du projet One Laptop Per Child (OLPC). Aujourd’hui utilisée sur le XO par plus d’un million d’enfants dans le monde entier, elle sera sur le village.

Les visiteurs pourront faire connaissance avec la toute jeune association EducOoo (un an juste), liée au projet OpenOffice.org Éducation. Elle sert de ressource et vise à faciliter la mise en place et l’accompagnement de projets entre OpenOffice.org et le monde de l’enseignement.

Les visiteurs pourront mieux connaître deux chaînes éditoriales libres, La Poule ou l’Oeuf et Scenari. La Poule ou l’Œuf est une chaîne éditoriale Web dédiée à l’édition de documents longs (monographies, cours, mémoires, thèses, actes…), à destination électronique aussi bien que papier. Elle s’adresse à toute institution éditrice de contenus académiques pour une production structurée sémantiquement et intégrée au réseau, en vue d’une exploitation dynamique et évolutive des savoirs. Scenari, elle, est une chaîne éditoriale générique, basée sur la séparation des formats de stockage et des formats de publication : les formats de stockage décrivent la structure du fonds documentaire et les formats de publication la forme physique du document vue par l’utilisateur.

Seront également présents l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) et Scidéralle (les logiciels du Terrier, AbulÉdu, AbulEduLive…).


Educatice est un moment important de l’année scolaire pour le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN.

Effectivement. Il s’inscrit aussi dans ce qui est la mission première du pôle qui est d’informer la communauté éducative, afin d’aider les uns et les autres à faire leurs choix. Les modalités sont diverses : organisation et/ou participation à des journées, séminaires, colloques, salons mais aussi textes et articles. Les initiatives sont multiples. Pour les dernières années scolaires, on peut mentionner, entre autres : depuis 2000, la présidence du cycle Education du salon Solutions Linux ; Paris Capitale du Libre ; le Forum Mondial du Libre ; les journées Autour du libre coorganisées par le CNDP et les ENST ; les colloques et séminaires d’ePrep ; les Rencontres de l’Orme, les Trophées du libre ; la Semaine de la Science ; les Rencontres mondiales des logiciels libres…


Comment ces actions d’information sont-elles reçues ?


En général très bien ! Il faut dire qu’est tellement évidente la convergence entre les principes du libre et les missions du système éducatif, la culture enseignante de libre accès à la connaissance et de sa diffusion à tous, de formation aux notions et non à des recettes. L’enseignement requiert la diversité des environnements scientifiques et techniques. La compréhension des systèmes suppose l’accès à leur « secret de fabrication ». Des formes de travail en commun des enseignants, de travail et d’usages coopératifs supposent des modalités de droit d’auteur facilitant l’échange et la mutualisation des documents qu’ils produisent. Du côté des usages éducatifs des TIC, on retrouve l’approche du libre, notamment ses licences GPL ou Creative Commons.

Il faut cependant ajouter qu’informer sur le libre, dans un esprit de diversité scientifique et technologique, ne fut pas toujours un « long fleuve tranquille ». Dans l’éducation comme ailleurs, il y a une pluralité de points de vue. Mais les choses sont entendues, depuis un certain temps déjà : le libre est sans conteste une composante à part entière et de premier plan de l’informatique pédagogique.


Peux-tu nous rappeler le contexte institutionnel ?

Créé en 2002, regroupant aujourd’hui vingt-trois CRDP, le pôle de compétences logiciels libres du SCÉRÉN est à la fois une structure de réflexion et d’action. Il a pris le relais de la Mission veille technologique à qui la direction générale du CNDP avait confié, dès 1999, le pilotage du « chantier » des logiciels libres, dans le contexte institutionnel éducatif défini, en octobre 1998, par un accord-cadre signé entre le Ministère de l’Éducation nationale et l’AFUL. Cet accord, régulièrement reconduit depuis lors, indiquait qu’il y a pour les établissements scolaires, du côté des logiciels libres, des solutions alternatives de qualité et à très moindre coût aux logiciels propriétaires, dans une perspective de pluralisme technologique. Et depuis plus de dix ans, les différents directeurs généraux qui se sont succédé à la tête du CNDP ont accordé une attention particulière au dossier des logiciels libres.


Quel est l’accueil du côté des collectivités locales ?

Bon également. Il y a des enjeux financiers, la question étant moins celle de la gratuité que celle du caractère « raisonnable » des coûts informatiques. Comme le dit François Elie, président de l’Adullact (Association pour le développement des logiciels libres dans l’administration et les collectivités territoriales), un logiciel est gratuit une fois qu’il a été payé et l’argent public ne doit servir qu’une fois pour payer un logiciel.

Les logiciels libres permettent de réduire d’une manière très significative les dépenses informatiques dans le système éducatif. Les collectivités locales sont de plus en plus sensibles à cet aspect des choses, notamment pour le poste de travail avec la suite bureautique OpenOfice.org. La licence GPL permet aux élèves, et aux enseignants, de retrouver à leur domicile leurs outils informatiques, sans frais supplémentaires et en toute légalité. Concernant les ENT, la région Ile-de-France va déployer une solution libre.


Et les ressources pédagogiques ?

Dans l’éducation, le libre c’est le logiciel mais également (et peut-être surtout) les ressources pédagogiques. Dans ce domaine, le « vaisseau-amiral » est l’association Sésamath[3]. Les lecteurs de Framasoft étant très bien informés des multiples activités de cette association remarquable, nous rappellerons qu’elle a eu un Prix de l’UNESCO en 2007 et qu’elle édite (en partenariat avec un éditeur privé) des manuels scolaires pour le collège qui connaissent un franc succès, et bientôt pour les CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles).


On sait que le numérique et les réseaux ont plongé l’édition scolaire (et l’édition en général) dans une période de turbulences. D’un côté, Sésamath met librement et gratuitement ses réalisations pédagogiques sur la Toile. De l’autre, elle procède à des coéditions, à des prix « raisonnables », de logiciels, de documents d’accompagnement, de produits dérivés sur support papier avec des éditeurs, public (les CRDP de Paris et de Lille) et privé, à partir des ressources mises en ligne sur la Toile. Le succès est au rendez-vous. La question est posée de savoir si ce type de démarche préfigure un nouveau modèle économique de l’édition scolaire, dans lequel la rémunération se fait sur le produit papier, sur le produit dérivé, le produit hybride et par le service rendu.


Des enjeux de société aussi


Oui, comme l’ont montré les vifs débats qui ont accompagné la transposition par le Parlement en 2006 de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) et plus récemment à propos de la loi Hadopi.

John Sulston, prix Nobel de médecine, évoquant en décembre 2002 dans les colonnes du Monde Diplomatique les risques de privatisation du génome humain, disait que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l’instar du modèle de l’open source pour les logiciels ». Il existe une transférabilité de l’approche du libre à la réalisation des biens informationnels en général.

La question est donc posée de savoir si le modèle du libre préfigure des évolutions majeures en termes de modèles économiques et de propriété intellectuelle. Le logiciel libre est un « outil conceptuel » pour entrer dans les problématiques de l’économie de l’immatériel et de la connaissance. Incontournable pour le citoyen. Or l’on sait que l’une des trois missions de l’Ecole est de former le citoyen !

En guise de conclusion

Je voudrais profiter de cet interview pour remercier l’association Framasoft pour la place qu’elle occupe dans le paysage éducatif et culturel, et le rôle qu’elle y joue, la qualité de sa réflexion, son attachement au bien commun et au pluralisme.

Et puis, rendez-vous au salon Educatice. Pré-enregistrement sur le site d’Educatec-Educatice avec demande de badge d’accès gratuit.

Notes

[1] Crédit photo : Styeb (Creative Commons By-Sa)

[2] Signalons que Jean-Pierre Archambault, cette fois-ci avec sa casquette de président de l’EPI, animera également une table ronde, le vendredi 20 novembre de 11h15 à 12h45, « Un enseignement de l’informatique au lycée », avec Gérard Berry, Professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences, Gilles Dowek, Professeur d’informatique à l’École Polytechnique et Pierre Michalak, IA-IPR de l’Académie de Versailles. Thème souvent évoqué dans le Framablog.

[3] Remarque : Sésamath sera non seulement présent à Educatice mais également au Salon de l’Éducation, stand CE40.




0,01 % du budget licences Microsoft pour soutenir et déployer OOo4Kids à l’école !

Libre ou pas libre, là où Microsoft Office et OpenOffice.org se rejoignent dans le pire, c’est au niveau ergonomique, avec une interface peu adaptée aux jeunes enfants. Cela les déroute de prime abord et complexifie inutilement leur initiation à cet indispensable outil qu’est une suite bureautique.

Il se trouve qu’un projet, initié par un enseignant français, souhaite justement remédier à cela en optimisant son utilisation pour la tranche d’âge 7-12 ans. Et, tiens donc, il ne peut le faire qu’avec OpenOffice.org, qui elle seule autorise les modifications du code source de par sa licence libre.

Ce projet s’appelle OOo4Kids et nous avions déjà eu l’occasion d’en parler il y a peu en interviewant Éric Bachard, l’enseignant dont nous parlions au paragraphe précédent.

Le projet avance, comme en témoigne cette excellente petite vidéo ci-dessous qui présente tout ce qu’OOo4Kids peut apporter aujourd’hui et demain aux écoliers.

—> La vidéo au format webm

Le projet avance, mais il manque de ressources et de moyens, ainsi que vient nous le rappeller l’appel au don final de la vidéo. Et nous vous invitons tous bien entendu à participer pour soutenir le projet.

Mais, franchement, qui devrait avant tout aider un tel projet ? Qui devrait aider un enseignant et son équipe à développer cette application libre à vocation internationale ayant pour objectif de faciliter l’appropriation et l’usage de l’outil informatique dans les classes ?

L’Éducation nationale, bien sûr, avec nos sous de contribuables. Et j’en serais fier pour mon Institution.

Dans le cas contraire, c’est purement et simplement à désespérer…




Ce que nous dit Windows Vista de l’Éducation nationale

Cave Canem - CC by-saRetournons le titre de mon billet du jour en mode interrogatif. Qu’est-ce que nous dit l’Éducation nationale de Windows Vista ?

Rien. Elle ne nous a strictement rien dit, et c’est bien là le problème.

Aujourd’hui, l’arrivée de Windows 7 vient refermer le chapitre du système d’exploitation précédent de Microsoft. On aurait cependant tort de ne pas tenter de tirer le bilan de cet épisode, en particulier au sein de l’Éducation nationale française. Parce qu’il se pourrait bien que cet (assourdissant) silence soit révélateur…

Petit retour en arrière. Windows Vista a vu officiellement le jour en janvier 2007. Et très vite, comme nous le rappelle Wikipédia, « de nombreuses critiques ont fusé concernant la faible compatibilité matérielle, le matériel minimum nécessaire, les mauvaises performances et le peu d’innovations depuis Windows XP ».

Un an plus tard paraissait en Angleterre un rapport, riche et détaillé, de la très sérieuse et officielle agence Becta, sur l’opportunité ou non d’utiliser Windows Vista et MS Office 2007 dans les écoles du pays[1].

Les arguments et conclusions de ce rapport étaient sans équivoque.

Pour rappel en voici quelques extraits (dont je vous laisse juge de leur actualité un an et demi plus tard) :

« Les nouvelles fonctionnalités de Microsoft Vista présentent certes un intérêt, mais ne justifient pas une implantation immédiate dans le domaine de l’éducation : les coûts seraient élevés et les avantages loin d’être évidents. »

« Alors qu’on estime à 66% le nombre de machines du parc informatique scolaire pouvant fonctionner avec Vista (d’après la définition de Microsoft), nous estimons quant à nous à 22% le nombre de machines répondant aux critères pour faire fonctionner Vista de manière correcte. »

« Le coût total du déploiement de Vista dans les écoles anglaises et galloises se situe autour de 175 millions de livres sterling (environ 230 millions d’euros). Si cette estimation n’inclut pas les cartes graphiques supplémentaires nécessaires au fonctionnement de l’interface Aero (ce qui augmenterait nettement le montant minimum) elle tient compte des mises à niveau matérielles nécessaires, du coût des licences, des tests ainsi que du coût de la configuration et du déploiement. Environ un tiers de cette somme est imputable au prix des licences Microsoft. »

« Les machines sous Vista pourraient ne fonctionner qu’avec une autre version d’une application voir même seulement avec des produits différents. Cela peut être source de confusion si le personnel ou les élèves doivent travailler avec les deux systèmes d’exploitation. Il pourrait aussi être nécessaire de dupliquer le travail pour certaines leçons ou pour certains projets pour les adapter à Windows Vista et Windows XP. »

« Nous suggérons que les nouvelles machines achetées avec Windows Vista pré-installé soient remises sous Windows XP en attendant que tout le réseau puisse être mis à jour. »

« une standardisation de fait (par l’utilisation généralisée de produits d’un même fournisseur) peut être néfaste pour la concurrence et le choix, ce qui revient à augmenter les coûts. De plus en plus, les gouvernements, les entreprises et le système d’éducation refusent de voir leurs informations contrôlées par un fournisseur unique. Il en résulte un mouvement qui tend à délaisser les formats de fichiers propriétaires pour s’intéresser aux nouveaux formats de fichiers, plus ouverts, sous le contrôle d’un organisme de normalisation efficace. »

« Si l’on n’intervient pas, ces évolutions vont créer, pour les utilisateurs béotiens, une vision de l’intéropérabilité des documents qui sera complexe et partisane, ce qui serait un échec de l’objectif initial d’aller vers des standards ouverts. Microsoft a une position dominante sur le segment des systèmes d’exploitation pour PC et cette position risque d’être renforcée par son approche actuelle des standards de documents ouverts. »

« Contrairement à d’autres secteurs ou la demande pour des solutions en logiciels libres est visible et croissante, les estimations dans le secteur éducatif montrent une demande faible, Becta est vu comme un facteur clé dans l’instauration de cette demande. »

« Au cours des douze prochains mois Becta prendra un certain nombre de mesures pour encourager un choix plus efficace dans le cadre d’un usage éducatif. Ce travail inclura la publication d’un programme de travail dont le but sera de :
– fournir plus d’informations sur le site de Becta sur ce qu’est un logiciel libre et quels sont ses avantages pour l’éducation en Grande-Bretagne
– compléter la base de recherche actuelle qui recense les usages des logiciels libres dans le secteur éducatif et identifier des déploiements modèles de logiciels libres. Cela engloberait également l’esquisse d’un tableau national des usages des logiciels libres dans les écoles et les universités
– travailler avec la communauté du logiciel libre pour établir un catalogue en ligne des logiciels libres appropriés pour l’usage dans les écoles de Grande-Bretagne. Parmi les informations disponibles on retrouvera les moyens d’obtenir une assistance dédiée à ces logiciels et comment contribuer à leur développement futur. Ce catalogue sera publié sous une licence Creative Commons afin que les fournisseurs puissent le modifier pour leur propre usage
– donner des indications aux sociétés de services en logiciels libres pour qu’elles puissent efficacement participer dans de nouvelles structures compétitives et pour qu’elles puissent proposer des logiciels libres via la structure de fournisseurs existante de Becta »

Si nous pouvons vous proposer ces citations directement en français c’est parce que nous avions décidé de traduire ce rapport dans son intégralité, annoncé en juin 2008 sur le Framablog sous la forme d’une question (dont on a malheureusement aujourd’hui la réponse) : Le débat sur Windows Vista et MS Office 2007 à l’école aura-t-il lieu ?

Et pourquoi avions-nous fait cet effort ? Parce que, Anne, ma sœur Anne, nous ne voyions justement rien de similaire venir en France.

Il y a peut-être eu des mémos internes, quelques craintes exprimées ça et là localement sur des sites académiques, et bien sûr de la perplexité chez certains profs d’en bas. Mais, à ma connaissance, aucune étude digne de ce nom, aucune recommandation ou mise en garde publiée publiquement sur les sites nationaux de l’Education nationale, à commencer par Educnet, le site portail des TICE.

Le ministère de la Défense peut qualifier, avec la diplomatie qui le caractérise (mais tout le monde aura compris), Windows Vista de système qui « manque de maturité » et préconiser l’usage des distributions GNU/Linux Mandriva et Ubuntu, la contagion interministérielle n’aura pas lieu du côté de la rue de Grenelle.

Qu’un Café Pédagogique, soutenu par Microsoft, demeure muet si ce n’est pour annoncer benoîtement la sortie de Vista et de ses mises à jour, c’est dommageable mais compréhensible (et c’est même certainement compris dans le prix du soutien), mais il en va tout autrement pour le ministère.

N’en allait-il pas de sa responsabilité de prévenir tous ses établissements scolaires et toutes les collectivités territoriales pourvoyeuses de nouveaux matériels (susceptibles de subir le phénomène de la vente liée), qu’il était au moins urgent d’attendre ? Attente qu’il aurait pu mettre à profit pour évaluer les alternatives libres et prendre enfin les décisions qui s’imposent (comme par exemple ce qui se fait dans le Canton de Genève).

Au lieu de cela un silence radio pour le moins étonnant. Et trois années de perdues pour le déploiement massif, assumé et coordonné du logiciel libre à l’école ! Avec en prime prolifération de Vista et passage à la caisse.

Étudiants, enseignants, parents d’élèves, contribuables, et plus généralement tous ceux désormais nombreux que le sujet intéresse, sont légitimement en droit de se demander pourquoi, afin que cette politique de l’autruche ne se reproduise plus.

Notes

[1] Crédit photo : Cave Canem (Creative Commons By-Sa)