Envie de dégoogliser à la Fête de l’Huma ? Bienvenue à bord !
Vous êtes libriste et vous avez envie de dégoogliser avec nous ?
Les milliers de visiteur-euse-s de la Fête de l’Humanité n’attendent que vous !
En septembre, c’est vraiment the place to be, comme disent nos amis de chez Apple !
Ce sont des milliers de personnes, depuis le simple amateur de bonne musique jusqu’à la militante la plus dévouée en passant par les curieux, qui se pressent à la Fête de l’Huma chaque année. Habituées à débattre, vigilants quant à leurs droits, beaucoup négligent pourtant leur hygiène numérique, offrant innocemment leurs données privées au premier GAFAM venu.
Contrairement aux événements libristes où nous croisons souvent des geeks déjà convaincus, nous aurons là la vraie famille Dupuis-Morizeau, celle dont nous vous parlons à longueur d’année. Il y a du boulot, nous ne serons jamais trop nombreux-ses.
Venez donc nous aider à tenir le stand !
Ça permettrait de se voir en vrai, et d’assurer des relais (pour les pauses techniques et les coups de fatigues). En général il y a une ambiance d’enfer. 😉
Manifestez-vous sur la page Contact, histoire de s’organiser.
Julie Guillot est une artiste graphique (son book en ligne) qui vient d’entamer le récit de son cheminement vers le partage libre de ses œuvres. Elle y témoigne de façon amusante et réfléchie de ses doutes et ignorances, puis de sa découverte progressive des libertés de création et de copie…
C’est avec plaisir que nous republions ici cette trajectoire magnifiquement illustrée.
Quand j’ai créé ce blog il y a 2 ans, puis le second sur les violences scolaires, mes proches m’ont encouragée et soutenue. Mais beaucoup (parfois les mêmes) m’ont aussi mise en garde, voire se sont sérieusement inquiétés.
Ces peurs étaient très liées à Internet, à l’idée d’un espace immense, obscur, peu ou pas réglementé, ainsi qu’à la notion de gratuité qui en fait partie. Y publier ses images et ses productions reviendrait à les jeter par la fenêtre.
Mais la crainte était, au-delà d’Internet et du support blog, une crainte (vraiment forte) du pillage, de l’expropriation et de la copie.
Personnellement, je ne pensais pas d’emblée à ces « risques ». J’avais envie et besoin de montrer mon travail, donc de le partager. Mais devant ces alertes, et voyant que tout le monde semblait partager le sentiment du danger et le besoin de s’en protéger, j’ai apposé un copyright en bas de mon blog, avec la mention « tous droits réservés », et j’ai supprimé le clic droit.
En fait je n’avais pas du tout réfléchi à cette question. Je ne savais pas grand chose du droit d’auteur et du copyright.
Mais dès le début je ressentais une forme de malaise. Je savais que supprimer le clic droit n’empêcherait personne de récupérer une image. Et j’avais vaguement entendu que cette mention de copyright ne servait pas à grand-chose non plus.
Était-ce une saine prudence… ou une forme de paranoïa ?
Et puis, j’ai commencé à recevoir des demandes de personnes qui souhaitaient utiliser mes images. Pour une expo, un travail de recherche, une conférence, un cours…. Spontanément, je disais toujours oui. Parce que je ne voyais aucune raison de refuser. Non seulement je trouvais cela flatteur, mais en plus cela m’apparaissait comme une évolution logique et saine de mon travail : à quoi sert-il s’il ne peut être diffusé, partagé, utile aux autres ?
Petit à petit cela m’a fait réfléchir. Des gens venaient me demander mon autorisation simplement pour citer mon blog quelque part (ce qui n’est pas interdit par le droit d’auteur… !). Je ne pouvais pas le leur reprocher : après tout, j’avais apposé une mention « touts droits réservés ». Mais l’absurdité de la situation commençait à me parvenir.
Un jour, j’ai reçu une demande d’ordre plus « commercial » : quelqu’un qui souhaitait utiliser mes images pour une campagne de financement d’une épicerie végane.
Spontanément, j’ai hésité. Ne devais-je pas lui demander de l’argent ?
J’ai exprimé des conditions : je voulais être informée des images qu’il utiliserait, à quel endroit, des textes qu’il allait modifier, etc. Ce qu’il a accepté.
Mais très vite je me suis demandé pourquoi j’avais posé de telles conditions. Parce qu’en réalité, ça m’était égal.
Finalement, il n’a pas utilisé mes images. Mais il m’a permis de réaliser que je n’avais pas de position claire sur la manière dont je voulais partager ou non mon travail, que je ne connaissais rien à la législation, aux licences d’utilisation et à de possibles alternatives.
J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à ces questions de copyright, de droit d’auteur, de culture libre et de licences.
Ce qui m’a amenée à réfléchir à me conception de l’art, de la créativité, et même, plus largement, du travail.
Gwenn Seemel explique très bien que le droit d’auteur n’est pas uniquement un système juridique, mais un paradigme :
Nous envisageons l’art, la production de la pensée, comme des productions inaliénables ; nous assimilons la copie à du vol ; nous considérons l’imitation comme un acte malhonnête, une paresse, quelque chose de forcément blâmable. Il va de soi que nous devons demander l’utilisation à quelqu’unE pour utiliser ses écrits, ses images, sa musique, afin de créer quelque chose avec. Et nous ne remettons quasiment jamais ce paradigme en question.
Nous avons tous grandi avec l’idée que copier était (très) (très) mal. Et punissable.
Quand j’étais à la fac, certainEs étudiantEs refusaient de dire quel était leur sujet de mémoire ou de thèse…de peur qu’on leur « pique » leur(s) idée(s). J’étais naïve…et consternée.
C’était pour moi incompatible avec la conception que j’avais de la recherche et du travail intellectuel.
Bien sûr, ces comportements sont le résultat de la compétition qui structure notre société et une grande partie de nos relations. Toute production est considérée comme strictement individuelle, personnelle, comme si nous étions capables de créer à partir de rien.
Je me suis sentie profondément enthousiaste de découvrir des artistes qui rendent leurs oeuvres publiques, c’est à dire qui en permettent la libre diffusion, la copie, l’utilisation, la modification, des gens qui réfléchissent à ces questions et militent pour une culture différente.
J’étais convaincue, au fond, par la pertinence d’une culture sans copyright et je me sentais soulagée à l’idée de franchir le pas, moi aussi.
Je n’ai jamais ressenti un sentiment fort de propriété vis-à-vis de mes dessins.
J’ai toujours aimé copier, je m’inspire du travail des autres (comme tout le monde), et je trouve a priori naturel que mes productions puissent circuler, servir à d’autres, être utilisées et même transformées.
L’idée de pouvoir utiliser les œuvres des autres, comme me dessiner habillée en Gwenn Seemel, est tout aussi enthousiasmante.
Cet élan spontané cohabitait en moi avec la persistance de craintes et de méfiances :
et si on se faisait de l’argent « sur mon dos » ? Et si je le regrettais ? Ne suis-je pas responsable de tout ce que je produis, et donc de tout ce que deviennent mes productions ? Ne devrais-je pas demander de l’argent pour toute utilisation de ce que j’ai fait ? Est-ce que je ne fais donc rien d’original et de personnel ? Et si cela m’empêchait de gagner de l’argent avec mon travail artistique ? Et comment faire dans une société où le principe du droit d’auteur est la règle ?
J’avais besoin d’en savoir plus sur les aspects juridiques de la question, même si ça me semblait au départ rébarbatif.
Alors je me suis penchée sur le sujet. Comme dit Gwenn Seemel, personne ne va se brosser les dents à votre place.
(mais il y a des gens qui fournissent le dentifrice, et ça c’est sympa).
[À suivre…]
Gwenn Seemel m’a beaucoup aidée à avancer dans ma réflexion sur le droit d’auteur, la culture libre, la pratique de l’art en général. Ses vidéos et ses articles ont répondu à beaucoup de mes questions (puisqu’elle s’était posé les mêmes que moi, logiquement). Je vous conseille la lecture de son blog, et de son livre sur le copyright.
Le blog de S.I.lex est aussi une mine d’informations sur le sujet.
Non, je ne veux pas télécharger votre &@µ$# d’application !
« Ne voulez-vous pas plutôt utiliser notre application ? »…
De plus en plus, les écrans de nos ordiphones et autres tablettes se voient pollués de ce genre de message dès qu’on ose utiliser un bon vieux navigateur web.
Étrangement, c’est toujours « pour notre bien » qu’on nous propose de s’installer sur notre machine parmi les applications que l’on a vraiment choisies…
Ruben Verborgh nous livre ici une toute autre analyse, et nous dévoile les dessous d’une conquête de nos attentions et nos comportements au détriment de nos libertés. Un article blog traduit par Framalang, et sur lequel l’auteur nous a offert encouragements, éclairages et relecture ! Toute l’équipe de Framalang l’en remercie chaleureusement et espère que nous avons fait honneur à son travail 😉
Sous des prétextes mensongers, les applications mobiles natives nous éloignent du Web. Nous ne devrions pas les laisser faire.
Peu de choses m’agacent plus qu’un site quelconque qui me demande « Ne voulez-vous pas utiliser plutôt notre application ? ». Évidemment que je ne veux pas, c’est pour ça que j’utilise votre site web. Certaines personnes aiment les applications et d’autres non, mais au-delà des préférences personnelles, il existe un enjeu plus important. La supplique croissante des applications pour envahir, littéralement, notre espace personnel affaiblit certaines des libertés pour lesquelles nous avons longtemps combattu. Le Web est la première plate-forme dans l’histoire de l’humanité qui nous permette de partager des informations et d’accéder à des services à travers un programme unique : un navigateur. Les applications, quant à elles, contournent joyeusement cette interface universelle, la remplaçant par leur propre environnement. Est-ce vraiment la prétendue meilleure expérience utilisateur qui nous pousse vers les applications natives, ou d’autres forces sont-elles à l’œuvre ?
Il y a 25 ans, le Web commença à tous nous transformer. Aujourd’hui, nous lisons, écoutons et regardons différemment. Nous communiquons à une échelle et à une vitesse inconnues auparavant. Nous apprenons des choses que nous n’aurions pas pu apprendre il y a quelques années, et discutons avec des personnes que nous n’aurions jamais rencontrées. Le Web façonne le monde de façon nouvelle et passionnante, et affecte la vie des gens au quotidien. C’est pour cela que certains se battent pour protéger le réseau Internet qui permet au Web d’exister à travers le globe. Des organisations comme Mozilla s’évertuent à faire reconnaître Internet comme une ressource fondamentale plutôt qu’un bien de luxe, et heureusement, elles y parviennent.
Toutefois, les libertés que nous apporte le Web sont menacées sur plusieurs fronts. L’un des dangers qui m’inquiète particulièrement est le développement agressif des applications natives qui tentent de se substituer au Web. Encore récemment, le directeur de la conception produit de Facebook comparait les sites web aux vinyles : s’éteignant peu à peu sans disparaître complètement. Facebook et d’autres souhaitent en effet que nous utilisions plutôt leurs applications ; mais pas simplement pour nous fournir une « meilleure expérience utilisateur ». Leur façon de nous pousser vers les applications met en danger un écosystème inestimable. Nous devons nous assurer que le Web ne disparaisse jamais, et ce n’est pas juste une question de nostalgie.
Le Web : une interface indépendante ouverte sur des milliards de sources
Pour comprendre pourquoi le Web est si important, il faut s’imaginer le monde d’avant le Web. De nombreux systèmes d’information existaient mais aucun ne pouvait réellement être interfacé avec les autres. Chaque source d’information nécessitait sa propre application. Dans cette situation, on comprend pourquoi la majeure partie de la population ne prenait pas la peine d’accéder à aucun de ces systèmes d’information.
Le Web a permis de libérer l’information grâce à une interface uniforme. Enfin, un seul logiciel – un navigateur web – suffisait pour interagir avec plusieurs sources. Mieux encore, le Web est ouvert : n’importe qui peut créer des navigateurs et des serveurs, et ils sont tous compatibles entre eux grâce à des standards ouverts. Peu après son arrivée, cet espace d’informations qu’était le Web est devenu un espace d’applications, où plus de 3 milliards de personnes pouvaient créer du contenu, passer des commandes et communiquer – le tout grâce au navigateur.
Au fil des années, les gens se mirent à naviguer sur le Web avec une large panoplie d’appareils qui étaient inimaginables à l’époque de la création du Web. Malgré cela, tous ces appareils peuvent accéder au Web grâce à cette interface uniforme. Il suffit de construire un site web une fois pour que celui-ci soit accessible depuis n’importe quel navigateur sur n’importe quel appareil (tant qu’on n’utilise rien de spécial ou qu’on suit au moins les méthodes d’amélioration progressive). De plus, un tel site continuera à fonctionner indéfiniment, comme le prouve le premier site web jamais créé. La compatibilité fonctionne dans les deux sens : mon site fonctionne même dans les navigateurs qui lui préexistaient.
La capacité qu’a le Web à fournir des informations et des services sur différents appareils et de façon pérenne est un don immense pour l’humanité. Pourquoi diable voudrions-nous revenir au temps où chaque source d’information nécessitait son propre logiciel ?
Les applications : des interfaces spécifiques à chaque appareil et une source unique
Après les avancées révolutionnaires du web, les applications natives essaient d’accomplir l’exacte inverse : forcer les gens à utiliser une interface spécifique pour chacune des sources avec lesquelles ils veulent interagir. Les applications natives fonctionnent sur des appareils spécifiques, et ne donnent accès qu’à une seule source (ironiquement, elles passent en général par le web, même s’il s’agit plus précisément d’une API web que vous n’utilisez pas directement). Ainsi elles détricotent des dizaines d’années de progrès dans les technologies de l’information. Au lieu de nous apporter un progrès, elles proposent simplement une expérience que le Web peut déjà fournir sans recourir à des techniques spécifiques à une plate-forme. Pire, les applications parviennent à susciter l’enthousiasme autour d’elles. Mais pendant que nous installons avec entrain de plus en plus d’applications, nous sommes insidieusement privés de notre fenêtre d’ouverture universelle sur l’information et les services du monde entier.
Ils trouvent nos navigateurs trop puissants
Pourquoi les éditeurs de contenus préfèrent-ils les applications ? Parce-qu’elles leur donnent bien plus de contrôle sur ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. Le « problème » avec les navigateurs, du point de vue de l’éditeur, est qu’ils appartiennent aux utilisateurs. Cela signifie que nous sommes libres d’utiliser le navigateur de notre choix. Cela signifie que nous pouvons utiliser des plugins qui vont étendre les capacités du navigateur, par exemple pour des raisons d’accessibilité, ou pour ajouter de nouvelles fonctionnalités. Cela signifie que nous pouvons installer des bloqueurs de publicité afin de restreindre à notre guise l’accès de tierces parties à notre activité en ligne. Et plus important encore, cela signifie que nous pouvons nous échapper vers d’autres sites web d’un simple clic.
Si, en revanche, vous utilisez l’application, ce sont eux qui décident à quoi vous avez accès. Votre comportement est pisté sans relâche, les publicités sont affichées sans pitié. Et la protection légale est bien moindre dans ce cadre. L’application offre les fonctionnalités que le fournisseur choisit, à prendre ou à laisser, et vous ne pourrez ni les modifier ni les contourner. Contrairement au Web qui vous donne accès au code source de la page, les applications sont distribuées sous forme de paquets binaires fermés.
« Ne voulez-vous pas plutôt l’application ? »
J’ai procédé à une petite expérience pour mesurer exactement quelle proportion des sites Web les plus visités incitent leurs utilisateurs à installer l’application. J’ai écrit un programme pour déterminer automatiquement si un site web affiche une bannière de promotion de son application. L’outil utilise PhantomJS pour simuler un navigateur d’appareil mobile et capture les popups qui pourraient être insérés dynamiquement. La détection heuristique est basée sur une combinaison de mots-clés et d’indices du langage naturel.
Ce graphique montre combien desites du top Alexa (classés par catégorie) vous proposent d’utiliser leur application :
Les chiffres obtenus sont basés sur une heuristique et sous-estiment probablement la réalité. Dans certaines catégories, au moins un tiers des sites préfèrent que vous utilisiez leur application. Cela signifie qu’un tiers des plus gros sites essaient de nous enfermer dans leur plate-forme propriétaire. Sans surprise, les catégories informations locales, sports et actualités atteignent un pourcentage élevé, puisqu’ils souhaitent être en première ligne pour vous offrir les meilleures publicités. Il est intéressant de noter que les contenus pour adultes sont en bas du classement : soit peu de personnes acceptent d’être vues avec une application classée X, soit les sites pornographiques adorent infecter leurs utilisateurs avec des malwares via le navigateur.
Des prétextes mensongers
Même si les éditeurs de contenu demandent si nous « souhaitons » utiliser leur application, c’est un euphémisme. Ils veulentque nous l’utilisions. En nous privant de la maîtrise plus grande offerte par les navigateurs, ils peuvent mieux influencer les éléments que nous voyons et les choix que nous faisons. Le Web nous appartient à tous, alors que l’application n’est réellement qu’entre les mains de l’éditeur. Généralement, ils justifient l’existence de l’application en plus du site web en marmonnant des arguments autour d’une « expérience utilisateur améliorée », qui serait évidemment « bien plus rapide ». Il est curieux que les éditeurs préfèrent investir dans une technologie complètement différente, plutôt que de prendre la décision logique d’améliorer leur site internet en le rendant plus léger. Leur objectif principal, en réalité, est de nous garder dans l’application. Depuis iOS 9, cliquer sur un lien dans une application permet d’ouvrir un navigateur interne à l’application. Non seulement cette fonctionnalité prête à confusion (depuis quelle application suis-je parti(e), déjà ?), mais surtout elle augmente le contrôle de l’application sur votre activité en ligne. Et une simple pression du doigt vous« ramène » vers l’application que vous n’aviez en fait jamais quittée. Dans ce sens, les applications contribuent sciemment à la « bulle de filtre ».
Les Articles Instantanés de Facebook sont un exemple extrême : un lien normal vous dirige vers la version « optimisée » d’une page à l’intérieur-même de l’application Facebook. Facebook salue cette nouveauté comme un moyen de « créer des articles rapides et interactifs sur Facebook » et ils ne mentent même pas sur ce point : vous ne naviguez même plus sur le vrai Web. Les Articles Instantanés sont vendus comme une expérience « interactive et immersive » avec plus de « flexibilité et de contrôle » (pour les fournisseurs de contenu bien sûr) qui entraînent de nouvelles possibilités de monétisation, et nous rendent une fois de plus « mesurables et traçables ».
Soyons honnêtes sur ce point : le Web fournit déjà des expériences interactives et immersives. Pour preuve, les Articles Instantanés sont développés en HTML5 ! Le Web, en revanche, vous permet de quitter Facebook, de contrôler ce que vous voyez, et de savoir si vous êtes pisté. Le nom « Articles Instantanés » fait référence à la promesse d’une rapidité accrue, et bien qu’ils soient effectivement plus rapides, cette rapidité ne nous est pas vraiment destinée. Facebook explique que les utilisateurs lisent 20% d’articles en plus et ont 70% de chances en moins d’abandonner leur lecture. Ces résultats favorisent principalement les éditeurs… et Facebook, qui a la possibilité de prendre une part des revenus publicitaires.
Rendez-nous le Web
Ne vous y trompez pas : les applications prétendent exister pour notre confort, mais leur véritable rôle est de nous attirer dans un environnement clos pour que les éditeurs de contenu puissent gagner plus d’argent en récoltant nos données et en vendant des publicités auxquelles on ne peut pas échapper. Les développeurs aussi gagnent plus, puisqu’ils sont désormais amenés à élaborer des interfaces pour plusieurs plate-formes au lieu d’une seule, le Web (comme si l’interface de programmation du Web n’était pas déjà assez coûteuse). Et les plate-formes de téléchargement d’applications font également tinter la caisse enregistreuse. Je ne suis pas naïf : les sites web aussi font de l’argent, mais au moins le font-ils dans un environnement ouvert dont nous avons nous-mêmes le contrôle. Pour l’instant, on peut encore souvent choisir entre le site et l’application, mais si ce choix venait à disparaître, l’accès illimité à l’information que nous considérons à juste titre comme normal sur le Web pourrait bien se volatiliser avec.
Certaines voix chez Facebook prédisent déjà la fin des sites web, et ce serait en effet bon pour eux : ils deviendraient enfin l’unique portail d’accès à Internet. Certains ont déjà oublié qu’il existe un Internet au-delà de Facebook ! La réaction logique de certains éditeurs est d’enfermer leur contenu au sein de leur propre application, pour ne plus dépendre de Facebook (ou ne plus avoir à y faire transiter leurs profits). Tout ceci crée exactement ce que je crains : un monde d’applications fragmenté, où un unique navigateur ne suffit plus pour consommer tous les contenus du monde. Nous devenons les prisonniers de leurs applis :
Last thing I remember, I was running for the door.
I had to find the passage back to the place I was before.
“Relax,” said the night man, “we are programmed to receive.”
“You can check out any time you like, but you can never leave!”
Eagles – Hotel California
Mon dernier souvenir, c’est que je courais vers la porte,
Je devais trouver un passage pour retourner d’où je venais
« Relax », m’a dit le gardien, « on est programmés pour recevoir »
« Tu peux rendre ta chambre quand tu veux, mais tu ne pourras jamais partir ! »
Eagles, Hotel California
Cette chanson me rappelle soudain le directeur de Facebook comparant les sites web et le vinyle. L’analogie ne pourrait pas être plus juste. Le Web est un disquaire, les sites sont des disques et le navigateur un tourne-disque : il peut jouer n’importe quel disque, et différents tourne-disques peuvent jouer le même disque. En revanche, une application est une boîte à musique : elle est peut-être aussi rapide qu’un fichier MP3, mais elle ne joue qu’un seul morceau, et contient tout un mécanisme dont vous n’auriez même pas besoin si seulement ce morceau était disponible en disque. Et ai-je déjà mentionné le fait qu’une boîte à musique ne vous laisse pas choisir le morceau qu’elle joue ?
C’est la raison pour laquelle je préfère les tourne-disques aux boîtes à musique – et les navigateurs aux applications. Alors à tous les éditeurs qui me demandent d’utiliser leur application, je voudrais répondre : pourquoi n’utilisez-vous pas plutôt le Web ?
Le projet Tor se dote d’un contrat social
Le projet Tor (Tor Project), est l’organisation à but non lucratif à l’origine du réseau de communication anonymisé et du logiciel éponyme. Il a décidé, à l’instar d’autres projets libres comme Debian ou Gentoo, de se doter d’un contrat social dans le but de clarifier et de pérenniser ses valeurs et ses objectifs.
Souvent associé au terrorisme, au trafic de drogue et autres contenus pédo-nazis par certains journaux télévisés ou personnages politiques en manque d’attention, Tor est au contraire mis en avant dans ce texte (gracieusement traduit pour vous par l’équipe de Framalang) pour son intérêt dans la protection des libertés fondamentales.
Au sein du Projet Tor, nous fabriquons des outils pour promouvoir et protéger les droits fondamentaux des personnes partout dans le monde. Nous avons un ensemble de principes directeurs qui rendent cela possible, mais pendant une longue période ces principes sont restés plus ou moins tacites. Afin de veiller à ce que les membres du projet construisent un Tor qui reflète l’engagement envers nos idéaux, nous nous sommes inspirés de nos amis de chez Debian pour écrire le Contrat Social de Tor, soit l’ensemble des principes qui reflètent qui nous sommes et pourquoi nous faisons Tor.
Notre contrat social est fait de comportement et d’objectifs : pas seulement les résultats idéaux que nous désirons pour notre communauté, mais également la manière dont nous cherchons à les atteindre. Nous voulons faire croître Tor en soutenant et améliorant ces recommandations en même temps que nous travaillons sur Tor, tout en faisant attention de ne pas les déshonorer le reste du temps.
Ces principes peuvent aussi être utilisés pour aider à reconnaître quand les actions ou les intentions des gens peuvent desservir Tor. Certains de ces principes sont des normes bien établies : des choses que nous faisons tous les jours depuis longtemps ; d’autres sont plutôt du domaine des aspirations, mais tous sont des valeurs que nous voulons faire vivre publiquement, et nous espérons qu’elles vont rendre nos choix futurs plus simples et plus ouverts. Ce contrat social est l’un des documents qui définissent nos normes communes, donc si vous cherchez des éléments qui semblent y manquer (par exemple quelque chose qui aurait sa place dans un code de conduite), rappelez-vous qu’il est possible qu’ils existent tout de même dans un autre document.
Les objectifs sociaux peuvent être complexes à exprimer. S’il devait exister des contradictions dans l’application des principes suivants, nous ferions tout pour garantir en priorité la sécurité et la liberté de ceux qui utilisent les fruits de nos efforts. Le contrat social peut aussi nous aider à régler ces contradictions. Par exemple, il peut arriver que nous ayons besoin d’utiliser des outils qui ne sont pas entièrement ouverts (contredisant alors le point 2) mais les rendre ouverts diminuerait la sécurité de nos utilisateurs (contredisant le point 6). Utiliser un tel outil implique donc de mesurer à quel point il est nécessaire pour rendre notre technologie utilisable (point 1). Et si nous utilisons effectivement un tel outil, nous devons être honnêtes concernant ses capacités et ses limites (point 5).
Tor n’est pas seulement un logiciel, mais un travail réalisé avec amour par une communauté internationale de personnes dévouées au respect des droits humains. Ce contrat social est une promesse de notre communauté au reste du monde, exprimant notre engagement à nos valeurs. Nous vous les présentons avec enthousiasme.
Nous favorisons les droits humains en créant et maintenant des technologies accessibles pour l’anonymat et la vie privée.
Nous croyons que la vie privée, l’échange libre des idées, et l’accès à l’information sont essentiels aux sociétés libres. Au travers des règles de notre communauté et du code que nous écrivons, nous fournissons des outils qui aident tout un chacun à protéger et à faire progresser ces droits.
Une recherche et des outils ouverts et transparents sont la clef de notre succès.
Nous sommes dévoués à la transparence. Pour cela, tout ce que nous publions est ouvert et notre développement se fait au grand jour. Chaque fois que cela sera possible, nous continuerons à rendre nos codes sources, nos exécutables et nos affirmations à leur sujet ouverts à des vérifications indépendantes. Dans les cas extrêmement rares où des développements ouverts altéreraient la sécurité de nos utilisateurs, nous serons particulièrement vigilants lors de l’évaluation par les pairs qui sera réalisée par des membres du projet.
L’accès, l’utilisation, la modification et la distribution de nos outils sont libres.
Plus notre panel d’utilisateurs sera diversifié, moins l’on pourra tirer d’informations à propos des personnes utilisant Tor. Cette diversité est un objectif fondamental et nous avons pour but de créer des outils et des services accessibles et utilisables par tous. La capacité d’un utilisateur à payer pour ces outils ou ces services ne devrait pas être un facteur déterminant dans ses possibilités à y accéder et à les utiliser. A fortiori nous ne restreignons pas l’accès à nos outils sauf si cet accès contrevient à notre objectif d’assurer plus de sécurité à nos utilisateurs.
Notre souhait est que le code et les recherches que nous publions seront revus et améliorés par beaucoup de personnes différentes et cela n’est possible que si tout le monde a la possibilité d’utiliser, de copier, de modifier et de redistribuer cette information. Nous concevons, compilons et diffusons également nos outils sans recueillir d’informations personnelles sur nos utilisateurs.
Nous rendons Tor et les technologies associées universels grâce à la sensibilisation et à l’éducation populaire.
Nous ne sommes pas seulement des gens qui concevons des logiciels, mais aussi des ambassadeurs de la liberté en ligne. Nous voulons que chaque habitant de la planète puisse comprendre que ses droits humains de base, et tout particulièrement sa liberté d’expression, d’accès à l’information et à la vie privée, peuvent être préservés quand il utilise Internet.
Nous apprenons aux utilisateurs d’Internet, comment et pourquoi utiliser Tor, et nous travaillons sans cesse pour rendre nos outils à la fois plus sécurisés et plus faciles d’utilisation et c’est pourquoi nous utilisons nos propres outils et sommes à l’écoute des retours d’expérience des utilisateurs. Notre vision d’une société plus libre ne sera pas accomplie seulement en restant derrière un écran, et donc, en plus d’écrire de bons programmes, nous donnons aussi de l’importance à leur promotion et sensibilisons la communauté.
Nous sommes honnêtes à propos des capacités et des limites de Tor et des technologies associées.
Nous ne trompons jamais intentionnellement nos utilisateurs ni ne mentons à propos des capacités des outils ou des risques potentiels associés à leur utilisation. Chaque utilisateur devrait être libre de prendre une décision éclairée quant au fait d’utiliser ou non un outil donné et sur la façon dont il devrait l’utiliser. Nous sommes responsables de l’exactitude de l’information quant à l’état de notre logiciel et nous travaillons assidûment pour tenir notre communauté informée à travers nos divers canaux de communication.
Nous ne nuirons jamais intentionnellement à nos utilisateurs.
Nous prenons au sérieux la confiance que nos utilisateurs nous accordent. Non seulement nous ferons toujours de notre mieux pour écrire du bon code, mais il est impératif de résister aux pressions d’adversaires qui souhaiteraient nuire à nos utilisateurs. Nous n’implémenterons jamais de portes dérobées dans nos projets. Dans notre souci de transparence, nous sommes honnêtes lorsque nous faisons des erreurs et nous communiquons avec nos utilisateurs sur nos projets d’amélioration.
Le libre a sa place à la Fête de l’Huma
C’est devenu quasiment une tradition : la Fête de l’Humanité accueille un espace dédié à la culture libre, aux hackers et aux fablabs.
L’occasion est belle pour les associations de montrer au grand public ce que produit concrètement le monde du libre.
C’est l’œuvre de l’infatigable Yann Le Pollotec et de quelques militants acharnés qui, chaque année se démènent pour faire renaître cette initiative.
Yann, peux-tu nous dire ce qu’il y aura de nouveau cette année, au-delà des habituels stands ?
Yann Le Pollotec : Les nouveaux de cette année seront « le petit fablab de Paris » qui proposera de construire collectivement une machine infernale interactive, le Journal du Hacker qui a pour ambition de présenter l’activité des hackers francophones, du mouvement du Logiciel Libre et open source en langue française, LinuxJobs.fr qui est le site d’emploi de la communauté du Logiciel Libre et Open Source, le camion AMI des Villages, fablab itinérant de Trira (initiation Informatique et Internet, permanences d’écrivain public numérique, package numérique social, ateliers bidouilles, fablab R2D2 (Récupération et Réemploi pour le Développement Durable… en Rhône-Alpes), et enfin la Fondation Gabriel Péri qui présentera son projet de recherche sur le travail et le numérique.
Par ailleurs trois grands débats rythmeront, la vie de l’Espace : le vendredi 9 septembre à 17h30 « Faire de Plaine Commune dans le 9-3 un territoire numérique apprenant et participatif avec la création d’un revenu contributif » avec Bernard Stiegler et Patrick Braouzec, le samedi 10 septembre à 10h30 « Les tiers lieux sont-ils des espaces du travail émancipé ? » avec Michel Lallemand, et Laurence Allard, et Emmanuel Gilloz, et à 18h30 « Les plateformes numériques et l’avenir du travail » avec Coopaname. Et bien sûr on retrouvera les stands de tous les habitués : April, Apedec/Ecodesign-Fablab, Collectif Emmabuntüs, FDN, Franciliens.net, Framasoft, Mageia, Les Ordis Libres, La Mouette (Libre Office), Licence Creative Commons France, Ubuntu-fr…
Collectif Emmabuntüs : Autre nouveauté cette année nous avons un projet d’affiche qui nous est réalisé gracieusement par notre ami dessinateur Péhä, fervent défenseur du logiciel libre. Cette affiche a pour but de créer une identité visuelle pour le public de la Fête, afin qu’il comprenne le titre de notre Espace : logiciel libre, hackers, fablabs, et les associe à des mots qu’il connaît mieux : « Liberté-Egalité-Fraternité ». Nous espérons que cette affiche sera adoptée par le public et les bénévoles de notre Espace, car nous avons dû la faire un peu dans l’urgence. 🙁
Collectif Emmabuntüs : Et aussi, sur notre stand, nous allons durant toute la Fête inviter des associations humanitaires : Ailleurs-Solidaires, YovoTogo, RAP2S avec qui nous avons travaillé cette année sur des projets d’équipement d’écoles, de centre de formation, des dispensaires pour qu’elles animent notre stand et qu’elles parlent aux visiteurs de cas concrets et réels d’utilisation d’ordinateurs de réemploi sous GNU/Linux, et de l’apport de ceux-ci à leur projet au Népal, Togo, Côte d’Ivoire. L’autre but est d’avoir nos associations partenaires sur notre stand afin d’échanger avec les membres de notre collectif sur des pratiques utilisation de Linux, et aussi et surtout de se connaître et de partager ce grand moment convivial qu’est la Fête de l’Huma.
Nous aurons aussi notre ami François de Multisystem & de OpenHardware qui reviendra cette année sur notre espace pour présenter la suite de son robot pendulaire libre Bidule, et qui nous fera des démonstrations de celui-ci dans les allées autour de l’Espace.
Quel bilan tires-tu des précédentes éditions ? Est-ce que cet espace est désormais un acquis ou est-ce qu’il te faut convaincre l’organisation de la Fête de l’Huma chaque année ?
Yann Le Pollotec : Il y a une vrai rencontre entre le public de la fête de l’Huma et les acteurs du logiciel libre et des fablabs, avec un gros brassage et une grande diversité allant de celui qui « découvre la lune », aux bidouilleurs avertis ou aux professionnels en passant par le curieux, le militant du libre, l’amateur éclairé. L’Espace est devenu à la fois un lieu de débat citoyen, de découverte par le faire, d’éducation populaire où se mêlent jeunes, militant-e-s, enseignant-e-s, technophiles et élu-e-s. On voit d’ailleurs d’une année sur l’autre un public de plus en plus averti et ayant une culture numérique de plus en plus étendue ce qui va nous pousser à faire évoluer l’Espace dans les années qui viennent pour le rendre encore plus participatif. Pourquoi pas pour la prochaine édition un hackathon.
L’Espace a certes conquis ses lettres de noblesse à la fête de l’Huma, mais il ne doit pas s’endormir sur ses lauriers, d’autant que les conditions économiques de tenue de la Fête sont de plus en plus difficiles.
Collectif Emmabuntüs : Nous partageons le point de vue de Yann, sur le ressenti du public, et il faut aussi que notre Espace se mette plus en avant avec des démonstrations à faire partager au public, comme cette année avec la construction collaborative d’une machine infernale interactive par le Petit Fablab de Paris, la réalisation d’une carte mentale avec le public par la Fondation Gabriel Péri, et les ateliers bidouilles de Trira sur la construction de Jerry. Nous espérons que le public sera conquis par plus de participation de sa part, et comprendra que le logiciel libre, les hackers et les fablabs ne sont pas réservés qu’à des geeks barbus 😉 mais que cela concerne tout le monde puisqu’ils portent dans leur philosophie le message de notre société démocratique : « Liberté-Egalité-Fraternité ». D’où l’idée de le mettre sur notre affiche pour que le public comprenne que notre message n’est pas seulement un message technique, et qu’il est aussi politique pour repenser la société technique et humaine de demain.
C’est aussi un moment privilégié pour les libristes qui se retrouvent après la parenthèse de l’été. Qu’est-ce qu’on attend des bénévoles ?
Yann Le Pollotec : On attend tout d’eux ! En fait ils sont les médiateurs essentiels entre le public quel qu’il soit et ce qui est présenté, montré, exposé, mis à disposition dans l’espace. Il s’agit d’impliquer le public, et même de le rendre acteur. Le combat pour le logiciel libre, la protection des données personnelles, la défense des communs numériques, l’open data, il se mène aussi au quotidien dans les entreprises, les administrations, l’école, les associations, et par son comportement de citoyen et de consommateur… Pour caricaturer, je crois que le numérique, c’est 90% d’humain et 10% de technique. Car même derrière les robots, les algos, les IA, il y a toujours des cerveaux et des mains humaines, avec leur créativité, leur génie mais aussi avec le « côté obscur de la force ».
J’ai en général beaucoup de retour positif de la part des bénévoles même si en fin de fête, ils sont souvent très fatigués, ce qui est normal.
Collectif Emmabuntüs : Sans les bénévoles et les associations qu’ils représentent, cet espace n’existerait pas, et ce sont eux qui animent l’Espace, qui est de plus en plus apprécié du public, ainsi que de la direction de la Fête de l’Humanité qui soutient notre mouvement de liberté, partage et d’égalité pour le logiciel et la connaissance technique. C’est la raison pour laquelle, elle nous donne l’opportunité d’être présents à l’une des plus grandes fêtes populaires au sens noble du terme en France, et nous savons que les libristes, hackers, que nous sommes, seront encore cette année à la hauteur d’une grande Fête de l’Huma et du Libre.
Tu parles des « conditions économiques » de la Fête. C’est encore plus difficile cette année de trouver des fonds pour faire tourner cet espace geek au milieu de l’immense Fête, si j’ai bien compris ?
Yann Le Pollotec : C’est plus difficile parce que structures et associations sont en difficulté économique car l’argent public comme le mécénat se font de plus en plus rares tandis que les particuliers ne voient pas leur revenu croître. Le Journal l’Humanité organisateur de la Fête, comme toute la presse indépendante des grands groupes industriels et financiers, connaît de très graves difficultés financières. Les coûts de la fête sont de plus affectés par le renchérissement des assurances et l’obligation de prendre de nouvelles mesures de sécurité à l’entrée et à l’intérieur de la fête en raison des événements dramatiques qu’a connu notre pays.
L’équation est aussi plus dure car le propriétaire de la halle augmente régulièrement substantiellement ses tarifs de location et de prestations (électricité, mobilier, parking…), ce qui nous a amené à porter le financement participatif sur https://fr.ulule.com/fablabs-fete-de-lhuma/ de 2000 € à 2100 €. De plus nous tenons à garder l’esprit d’une péréquation entre ceux qui ont le plus de moyen et ceux qui en ont le moins, ceux qui viennent de loin et ceux qui sont à côté. Au 15 août donc à 21 jours de la fin de la collecte nous en sommes à 79% de l’objectif, alors un petit effort de tous car comme on dit les petits ruisseaux font les grands fleuves.
Collectif Emmabuntüs : Nous sommes confiants dans la mobilisation de nos bénévoles et nos associations pour aider notre Espace et notre Mouvement pour la promotion du Logiciel Libre, du Partage et de l’Égalité vis à vis de la technique, et comme dit un proverbe Africain : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » donc nous savons que les membres et lecteurs de Framasoft nous soutiennent et que « la route est longue mais la voie est Libre ».
Un grand merci à Framasoft pour votre présence et votre soutien pour L’Espace du Logiciel Libre, des Hackers et des FabLabs à la Fête de l’Humanité 2016.
Bientôt l’Internet des objets risqués ?
Il sera peut-être une nouvelle fois traité de Cassandre et de parano, mais Bruce Schneier enfonce le clou !
Sensible aux signaux qu’envoient de façon croissante les faits divers mettant en cause les objets connectés — le fameux Internet des objets pour lequel « se mobilise » (sic) la grande distribution avec la French Tech — ce spécialiste de la sécurité informatique qui a rejoint récemment le comité directeur du projet Tor veut montrer que les risques désormais ne concernent plus seulement la vie numérique mais bien, directement ou non, la vie réelle. Il insiste aussi une fois encore sur les limites de la technologie et la nécessité d’un volontarisme politique.
Quand l’internet des objets menace la sécurité du monde réel
Les récits de catastrophes qui impliquent l’Internet des objets sont à la mode. Ils mettent en scène les voitures connectées (avec ou sans conducteur), le réseau électrique, les barrages hydroélectriques et les conduits d’aération. Un scénario particulièrement réaliste et vivant, qui se déroule dans un avenir proche, a été publié le mois dernier dans New York Magazine, décrivant une cyberattaque sur New York qui comprend le piratage de voitures, du réseau de distribution de l’eau, des hôpitaux, des ascenseurs et du réseau électrique. Dans de tels récits, un chaos total s’ensuit et des milliers de gens meurent. Bien sûr, certains de ces scénarios exagérèrent largement la destruction massive, mais les risques pour les individus sont bien réels. Et la sécurité classique des ordinateurs et des réseaux numériques n’est pas à la hauteur pour traiter de tels problèmes.
La sécurité traditionnelle des informations repose sur un triptyque : la confidentialité, l’intégrité et l’accès. On l’appelle aussi « C.I.A », ce qui, il faut bien le reconnaître, entretient la confusion dans le contexte de la sécurité nationale. Mais fondamentalement, voici les trois choses que je peux faire de vos données : les voler (confidentialité), les modifier (intégrité), ou vous empêcher de les obtenir (accès).
« L’internet des objets permettra des attaques que nous ne pouvons même pas imaginer. »
Jusqu’à présent, les menaces occasionnées par internet ont surtout concerné la confidentialité. Elles peuvent coûter cher; d’après cette étude chaque piratage de données a coûté 3.8 millions de dollars en moyenne. Elles peuvent s’avérer très gênantes, c’était le cas par exemple quand des photos de célébrités ont été volées sur le cloud d’Apple en 2014 ou lors du piratage du site de rencontres Ashley Madison en 2015. Elles peuvent faire des dégâts, comme quand le gouvernement de Corée du Nord a volé des milliers de documents à Sony ou quand des hackers ont piraté 83 millions de comptes de la banque JPMorgan Chase, dans les deux cas en 2014. Elles peuvent menacer la sécurité nationale, on l’a vu dans le cas du piratage de l’Office of Personnel Management par — pense-t-on — la Chine en 2015.
Avec l’Internet des objets, les menaces sur l’intégrité et la disponibilité sont plus importantes que celles concernant la confidentialité. C’est une chose si votre serrure intelligente peut être espionnée pour savoir qui est à la maison. C’est autre chose si elle peut être piratée pour permettre à un cambrioleur d’ouvrir la porte ou vous empêcher de l’ouvrir. Un pirate qui peut vous retirer le contrôle de votre voiture ou en prendre le contrôle est bien plus dangereux que celui qui peut espionner vos conversations ou pister la localisation de votre voiture.
Avec l’avènement de l’internet des objets et des systèmes physiques connectés en général, nous avons donné à Internet des bras et des jambes : la possibilité d’affecter directement le monde physique. Les attaques contre des données et des informations sont devenues des attaques contre la chair, l’acier et le béton.
Les menaces d’aujourd’hui incluent des hackers qui font s’écraser des avions en s’introduisant dans des réseaux informatiques, et qui désactivent à distance des voitures, qu’elles soient arrêtées et garées ou lancées à pleine vitesse sur une autoroute. Nous nous inquiétons à propos des manipulations de comptage des voix des machines de vote électronique, des canalisations d’eau gelées via des thermostats piratés, et de meurtre à distance au travers d’équipements médicaux piratés. Les possibilités sont à proprement parler infinies. L’internet des objets permettra des attaques que nous ne pouvons même pas imaginer.
L’accroissement des risques provient de trois choses : le contrôle logiciel des systèmes, les interconnexions entre systèmes, et les systèmes automatiques ou autonomes. Jetons un œil à chacune d’entre elles.
Contrôle logiciel. L’internet des objets est le résultat de la transformation de tous les objets en ordinateurs. Cela nous apporte une puissance et une flexibilité énormes, mais aussi des insécurités par la même occasion. À mesure que les objets deviennent contrôlables de façon logicielle, ils deviennent vulnérables à toutes les attaques dont nous avons été témoins contre les ordinateurs. Mais étant donné qu’un bon nombre de ces objets sont à la fois bon marché et durables, la plupart des systèmes de mise à jour et de correctifs qui fonctionnent pour les ordinateurs et les téléphones intelligents ne fonctionneront pas ici. À l’heure actuelle, la seule manière de mieux sécuriser les routeurs individuels c’est de les jeter à la poubelle pour en acheter de nouveaux. Et la sécurité que vous obtenez en changeant fréquemment d’ordiphone ou d’ordinateur ne servira à rien pour protéger votre thermostat ou votre réfrigérateur : en moyenne vous changez ce dernier tous les 15 ans, et l’autre à peu près… jamais. Une étude récente de Princeton a découvert 500 000 appareils non sécurisés sur Internet. Ce nombre est sur le point d’augmenter de façon explosive.
Interconnexions. Ces systèmes devenant de plus en plus interconnectés, une vulnérabilité de l’un entraîne des attaques contres les autres. Nous avons déjà vu des comptes Gmail compromis à cause d’une vulnérabilité dans un réfrigérateur connecté Samsung, le réseau d’un hôpital compromis à cause de vulnérabilités dans du matériel médical et l’entreprise Target piratée à cause d’une vulnérabilité dans son système d’air conditionné. Les systèmes sont soumis à nombre d’externalités qui affectent d’autres systèmes de façon imprévisible et potentiellement dangereuse. Ce qui peut sembler bénin aux concepteurs d’un système particulier peut s’avérer néfaste une fois combiné à un autre système. Les vulnérabilités d’un système peuvent se répercuter sur un autre système et le résultat sera une vulnérabilité que personne n’a vu venir et que personne ne prendra la responsabilité de corriger. L’internet des objets va rendre les failles exploitables beaucoup plus communes. C’est mathématique. Si 100 systèmes interagissent entre eux, cela fait environ 5000 interactions et 5 000 vulnérabilités potentielles résultant de ces interactions. Si 300 systèmes interagissent entre eux, c’est 45 000 interactions. 1 000 systèmes : 12,5 millions d’interactions. La plupart seront bénignes ou sans intérêt, mais certaines seront très préjudiciables.
Autonomie. Nos systèmes informatiques sont des plus en plus autonomes. Ils achètent et vendent des actions, allument et éteignent la chaudière, régulent les flux d’électricité à travers le réseau et, dans le cas des voitures autonomes, conduisent des véhicules de plusieurs tonnes jusqu’à destination. L’autonomie est une bonne chose pour toutes sortes de raisons, mais du point de vue de la sécurité, cela signifie qu’une attaque peut prendre effet immédiatement et partout à la fois. Plus nous retirons l’humain de la boucle, plus les attaques produiront des effets rapidement et plus nous perdrons notre capacité à compter sur une vraie intelligence pour remarquer que quelque chose ne va pas avant qu’il ne soit trop tard.
« Les risques et les solutions sont trop techniques pour être compris de la plupart des gens. »
Nous construisons des systèmes de plus en plus puissants et utiles. Le revers de la médaille est qu’ils sont de plus en plus dangereux. Une seule vulnérabilité a forcé Chrysler à rappeler 1,4 million de véhicules en 2015. Nous sommes habitués aux attaques à grande échelle contre les ordinateurs, rappelez-vous les infections massives de virus de ces dernières décennies, mais nous ne sommes pas préparés à ce que cela arrive à tout le reste de notre monde.
Les gouvernements en prennent conscience. L’année dernière, les directeurs du renseignement national James Clapper et de la NSA Mike Rogers ont témoigné devant le Congrès, mettant l’accent sur ces menaces. Tous deux pensent que nous sommes vulnérables.
La plupart des discussions sur les menaces numériques traitent de la disponibilité et de la confidentialité des informations ; l’espionnage en ligne s’attaque à la confidentialité, là où les attaques par déni de service ou les effacements de données menacent la disponibilité. À l’avenir, en revanche, nous verrons certainement apparaître des opérations modifiant les informations électroniques dont l’objectif sera de toucher à leur intégrité (c’est à dire leur précision et leur fiabilité) plutôt que de les effacer ou d’empêcher leur accès. Le processus de prise de décision des responsables gouvernementaux (civils ou militaires), des chefs d’entreprises, des investisseurs et d’autres sera handicapé s’ils ne peuvent faire confiance à l’information qu’ils reçoivent.
Le rapport sur l’évaluation de la menace pour 2016 mentionnait quelque chose de similaire :
Les futures opérations cybernétiques attacheront presque à coup sûr une plus grande importance à la modification et à la manipulation des données destinées à compromettre leur intégrité (c’est-à-dire la précision et la fiabilité) pour influencer la prise de décision, réduire la confiance dans les systèmes ou provoquer des effets physiques indésirables. Une plus large adoption des appareils connectés et de l’intelligence artificielle — dans des environnements tels que les services publics et la santé — ne fera qu’exacerber ces effets potentiels.
Les ingénieurs en sécurité travaillent sur des technologies qui peuvent atténuer une grande partie de ce risque, mais de nombreuses solutions ne seront pas déployées sans intervention du gouvernement. Ce n’est pas un problème que peut résoudre le marché. Comme dans le cas de la confidentialité des données, les risques et les solutions sont trop techniques pour être compris de la plupart des gens et des organisations ; les entreprises sont très désireuses de dissimuler le manque de sécurité de leurs propres systèmes à leurs clients, aux utilisateurs et au grand public ; les interconnexions peuvent rendre impossible d’établir le lien entre un piratage et les dégâts qu’il occasionne ; et les intérêts des entreprises coïncident rarement avec ceux du reste de la population.
Il faut que les gouvernements jouent un rôle plus important : fixer des normes, en surveiller le respect et proposer des solutions aux entreprises et aux réseaux. Et bien que le plan national d’action pour la cybersécurité de la Maison Blanche aille parfois dans la bonne direction, il ne va sûrement pas assez loin, parce que beaucoup d’entre nous avons la phobie de toute solution imposée par un gouvernement quelconque.
Le prochain président sera probablement contraint de gérer un désastre à grande échelle sur Internet, qui pourrait faire de nombreuses victimes. J’espère qu’il ou elle y fera face à la fois avec la conscience de ce que peut faire un gouvernement et qui est impossible aux entreprises, et avec la volonté politique nécessaire.
Bruce Schneier est un spécialiste reconnu en matière de sécurité informatique, sur laquelle il a publié plusieurs livres et de nombreux articles sur son blog schneier.com.
Les bénéfices d’un combat, témoignage
Il n’est pas toujours facile de militer activement, ça demande du temps, de l’énergie et le courage de surmonter les difficultés.
Mais c’est aussi l’occasion de se confronter à la réalité du monde, de se découvrir aussi, et de tirer une fierté légitime de victoires auxquelles on a contribué. C’est dans cet esprit que nous publions aujourd’hui le témoignage de Bram.
Membre de Framasoft, il fut militant à la Quadrature du net et à la Nurpa, il se concentre aujourd’hui sur des actions plus locales comme la Brique Internet ou encore Neutrinet, une association bruxelloise fournisseur d’accès à Internet et membre de la fédération FDN.
Il nous propose ici un retour d’expérience en définitive plutôt positif et nous explique fort bien quels bénéfices il a tirés de cet épisode militant. Alors bien sûr, face aux lobbies, les formes et stratégies du combat ont évolué depuis la victoire contre ACTA qu’il évoque dans ce témoignage, donc la lutte aux côtés de la Quadrature s’est donné de nouveaux outils et des campagnes moins difficiles à vivre.
Mais l’essentiel demeure : l’action collaborative résolue est déterminante et il est possible de faire une différence.
Le jour où j’ai compris que je pouvais faire une différence en politique
C’est une histoire que je raconte parfois, au coin d’une table, mais que je n’ai jamais eu le courage de mettre par écrit, je profite d’un instant de motivation parce que je pense qu’en ce moment difficile pour nos actions politiques il est important de partager nos histoires et les récits de réussites. Nous manquons d’ailleurs cruellement d’histoires de nos luttes dans nos communautés.
Cela remonte à l’année 2010, le gouvernement français venait de faire passer la loi Hadopi malgré tous ses déboires et j’avais regardé l’ensemble des débats à l’Assemblée nationale, j’étais particulièrement remonté avec l’envie de faire quelque chose et je venais à la fois de rejoindre la Quadrature du Net depuis 6 mois et de co-fonder la Nurpa dans la même période.
À ce moment-là, 4 eurodéputé·e·s venaient de lancer la déclaration écrite numéro 12 qui disait grosso merdo « si la Commission européenne ne rend pas public le texte d’ACTA, le Parlement européen votera contre ». Une déclaration écrite est un texte, qui, s’il est signé par la moitié des eurodéputé·e·s en moins de 6 mois, devient une prise de position officielle du Parlement européen (sans pour autant être contraignante).
Le problème c’est que signer ce texte ne peut se faire que de 2 manières : soit dans une salle obscure que personne ne connait au fin fond du Parlement européen, soit avant d’entrer en séance plénière, au moment où les Eurodéputé·e·s ont franchement beaucoup d’autres choses en tête que d’aller signer un papier — et bien entendu les plénières ne durent que quelques jours une seule fois par mois.
Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé
Pour précision, une déclaration écrite est également quelque chose de fort facile à proposer et par son côté non contraignant elle ne représente pas beaucoup d’enjeux. On a donc le droit à toute une série de déclarations écrites farfelues et sans grand intérêt généralement proposées par des Eurodéputé·e·s cherchant un moyen de montrer à leur électorat qu’elles ont foutu quelque chose sur un sujet quelconque. À l’époque nous avions trouvé, entre autres, une déclaration écrite proposant une journée internationale de la glace à Italienne artisanale et une autre demandant la déclassification de documents sur les OVNIs. Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé, la Quadrature du Net décida donc de soutenir cette déclaration écrite.
Février 2010, branle-bas de combat, un certain moustachu m’informe via IRC (eh oui) de la situation et me dit en gros : « ça serait bien si tu pouvais trouver quelques personnes et qu’on se rejoigne au Parlement, on a un truc important à faire signer aux Eurodéputé·e·s contre ACTA ». Pas tout à fait sûr de vraiment comprendre de quoi il s’agissait, mais ayant pressenti l’importance de l’événement, je me ramenai avec 4-5 personnes — à l’agréable surprise dudit moustachu. Ce fut alors le début de la bataille.
Une bataille épuisante qui dura plus de 6 mois à raison de une à deux visites au Parlement par mois. Notre action était simple : aller frapper à la porte des bureaux de tous les députés pour les convaincre de signer la déclaration écrite en leur expliquant à quel point c’était important et espérer qu’ils aillent signer, coller des affiches et distribuer mollement des tracts avant la plénière. Bien souvent nous n’avions affaire qu’aux assistants, les députés étant occupés à d’autres choses, quand ce n’était pas un bureau vide.
Ce fut l’occasion pour notre petit groupe (à l’exception du moustachu) de découvrir les rouages de l’advocatie de terrain, les lobbyistes ayant leur propre catégorie de badge au Parlement européen (que nous refusions, nous étions des citoyens, pas des lobbyistes) et les désillusions face aux arguments les plus efficaces… (« ton chef a signé et a dit de signer alors signe » « tous tes potes ont signé sauf toi » « ton adversaire a signé, si tu le fais pas tu vas passer pour un loser » « roh mais dites les Verts, l’ALDE a plus signé que vous ! » mais dit dans leur langue, bref, la cour de récré).
un travail pénible, ingrat et peu visible…
Je n’irai au Parlement que deux ou trois fois, cette activité étant bien trop stressante pour moi (merci les anxiétés sociales), je me suis retrouvé bien vite à m’occuper de quelque chose de fort important mais plus discret : maintenir la liste des signataires (en plus de trouver des bénévoles et de faire de la coordination). Une tâche bien moins simple que prévu à cause de l’incompétence technique du Parlement européen : il a plus de 700 Eurodéputé·e·s, certain·e·s partaient, certain·e·s venaient, les documents de ceux qui avaient signé changeaient tout le temps de forme et les députés parfois de nom (en fait c’était l’époque où le Parlement avait mal inscrit certains noms peu communs en Belgique notamment au niveau des accents) et le terme « opendata » commençait juste à apparaitre. Bref, un travail pénible, ingrat et peu visible, mais au moins on a pu faire des jolis graphiques (mmmh… en matplotlib) qui plaisaient beaucoup aux journalistes et qui étaient utilisés comme argumentaires auprès de certain·e·s Eurodéputé·e·s.
La route fut difficile, nous n’obtenions que peu de signatures au début, car nous préférions viser la droite en premier lieu dans l’espoir que ça ne finisse pas comme « un texte de gauche » que la droite refuserait de signer. Les progrès étaient lents et démotivants et le public était d’une totale indifférence pour cette procédure peu connue, sur un sujet pas encore très en vogue (pas grand-monde avait entendu parler d’ACTA ou saisi son importance). Ainsi, nos appels répétés à contacter les Eurodéputé·e·s restèrent sans grand résultat, pire encore à la plénière d’avril nous n’obtiendrons que 27 signatures. Combinées aux 62 et 57 signatures précédentes, cela nous amenait à 146 signatures : très très loin des 369 dont nous avions besoin alors qu’il ne nous restait que 4 plénières. Le moral était au plus bas et les drames présents.
des listes sur papier des Eurodéputé·e·s
Ce fut également une période intéressante au niveau de l’invention d’outils d’activisme : à partir des données des signataires (que j’avais extraites de memopol, qui à l’époque était une collection de 28 scripts Perl écrivant des pages mediawiki et pas le projet qui existe aujourd’hui) nous nous mîmes à concevoir des listes sur papier des Eurodéputé·e·s que nous prenions avec nous au Parlement européen avec des cases à remplir pour ensuite nous les échanger. Dans le désespoir de l’action « j’inventais » les pads avec la liste de toutes les informations des député·e·s à appeler et des champs à remplir en dessous avec les réponses obtenues (à l’époque le piphone n’existait même pas au stade d’idée, mais en est en partie inspiré) et j’invitais absolument tout le monde à aller dessus, ce fut très ironiquement aussi le moment où nous réalisions que les pads étaient limités par défaut à 14 connexions simultanées. Ce fut aussi l’époque où j’ouvris le compte twitter @UnGarage avec le moustachu.
l’instant magique plein de synergie
Les plénières suivantes ne furent gère meilleures : 39, 34 et 34 signatures soit 253 signatures au total, il nous en manquait 116 pour la dernière plénière, cela nous semblait totalement impossible. Coïncidence heureuse : cette dernière plénière de juillet eut lieu pile pendant les RMLLs 2010 de Bordeaux. La pression était à son comble, nous étions épuisé·e·s et déjà fort occupé·e·s, l’idée était de lancer une séance d’appels au Parlement avec des téléphones SIP mais rien ne marchait. Après 2-3 jours d’engueulades et de tensions intenses (je me rappelle avoir vu Benjamin consoler une permanente en larmes), nous finîmes par occuper un local et mettre en commun tous les téléphones des gens voulant bien nous les prêter (avec la promesse de remboursement des factures) et à faire un atelier d’appels au Eurodéputé·e·s.
Ce fut alors l’instant magique de synergie où plein de participant·e·s des RMLLs se sont mis·es à appeler les Eurodéputé·e·s à la chaîne. Je me rappelle d’un présentateur radio qui avait particulièrement marqué la salle : après avoir appelé impeccablement bien tou·te·s les Français·es et les Belges, nous découvrîmes qu’il était bilingue lorsqu’il se mit à faire pareil avec tou·te·s Bulgares dans leur langue ! De son côté, le moustachu qui était lui au Parlement européen n’était pas en reste et les 4 Eurodéputé·e·s à l’origine de la déclaration non plus. Le résultat fut au rendez-vous : nous obtînmes 100 signatures, ce n’était pas les 116 qu’il nous fallait, mais c’était assez pour pouvoir demander une rallonge à la plénière suivante, qui fut obtenue, et nous savions que les 16 signatures manquantes étaient une formalité (et nous les obtînmes par la suite).
Nous avions gagné.
Les conséquences de cet événement furent également intéressantes : cette victoire nous avait coûté cher matériellement (tout le budget « actions européennes » de la Quadrature y était passé et nous étions à la moitié de l’année) et humainement pour un résultat moyennement intéressant : une déclaration écrite, soit une prise de position officielle mais non contraignante du Parlement européen. Les effets de bord l’ont été bien plus cependant : les personnes que j’avais embarquées dans l’histoire se sont forcément beaucoup politisées (Bouska par exemple se présentera quelques années plus tard en tant que député pour les Français à l’étranger du Benelux et a foutu le bordel sur la question des votes sur Internet), ce fut également une des premières actions politiques de la toute jeune Nurpa qui a beaucoup grandi et on retrouve également l’influence de cette période dans une partie de la boîte à outils de la Quadrature (memopol, piphone) comme dans une partie des méthodes d’action qui furent et sont encore parfois utilisées.
Un travail de groupe avant tout
J’étais personnellement épuisé et ce fut l’un des plus grand soulagements de ma vie mais aussi un accomplissement : je n’avais absolument pas tout fait tout seul, c’était un travail de groupe avant tout mais j’y avais eu un des rôles centraux et je ne sais pas si ça se serait fait sans moi tant la victoire avait été difficile à obtenir. J’avais 22 ans et j’avais eu un rôle central dans un groupe qui avait obtenu une prise de position publique du Parlement européen.
C’était donc possible.
Ce que valent nos adresses quand nous signons une pétition
Le chant des sirènes de la bonne conscience est hypnotique, et rares sont ceux qui n’ont jamais cédé à la tentation de signer des pétitions en ligne… Surtout quand il s’agit de ces « bonnes causes » qui font appel à nos réactions citoyennes et humanistes, à nos convictions les mieux ancrées ou bien sûr à notre indignation, notre compassion… Bref, dès qu’il nous semble possible d’avoir une action sur le monde avec un simple clic, nous signons des pétitions. Il ne nous semble pas trop grave de fournir notre adresse mail pour vérifier la validité de notre « signature ». Mais c’est alors que des plateformes comme Change.org font de notre profil leur profit…
Voilà ce que dénonce, chiffres à l’appui, la journaliste de l’Espresso Stefania Maurizi. Active entre autres dans la publication en Italie des documents de Wikileaks et de Snowden, elle met ici en lumière ce qui est d’habitude laissé en coulisses : comment Change.org monétise nos données les plus sensibles.
Dans le cadre de notre campagne Dégooglisons, nous sommes sensibles à ce dévoilement, c’est un argument de plus pour vous proposer prochainement un Framapétitions, un outil de création de pétitions libre et open source, respectueux de vos données personnelles…
Voilà comment Change.org vend nos adresses électroniques
L’Espresso a obtenu les tarifs de l’entreprise (de 1,50 euro à 85 centimes) et a contacté certains clients. Entre les réponses embarrassées et les reconnaissances du bout des lèvres, nous avons étudié l’activité de l’« Amazon des pétitions en ligne ». Elle manipule des données extrêmement sensibles telles que les opinions politiques et fait l’objet en Allemagne d’une enquête sur le respect de la vie privée.
On l’a appelée le « Google de la politique moderne ». Change.org, la plateforme populaire pour lancer des pétitions sur les questions politiques et sociales, est un géant qui compte cent cinquante millions d’utilisateurs à travers le monde et ce nombre augmente d’un million chaque semaine : un événement comme le Brexit a déclenché à lui seul 400 pétitions. En Italie, où elle a débarqué il y a quatre ans, Change.org a atteint cinq millions d’utilisateurs. Depuis la pétition lancée par Ilaria Cucchi pour demander l’approbation d’une loi sur la torture, qui a jusqu’à présent recueilli plus de 232 000 signatures, jusqu’à celle sur le référendum constitutionnel, que celui qui n’a jamais apposé une signature sur Change.org dans l’espoir de faire pression sur telle ou telle institution pour changer les choses lève la main. Au 21e siècle, la participation démocratique va inévitablement vers les plateformes en ligne. Et en effet on ne manque pas d’exemples dans lesquels ces pétitions ont vraiment déclenché des changements.
Il suffit de quelques clics : tout le monde peut lancer une pétition et tout le monde peut la signer. Mais il y a un problème : combien de personnes se rendent-elles compte que les données personnelles qu’elles confient à la plateforme en signant les soi-disant « pétitions sponsorisées » — celles qui sont lancées par les utilisateurs qui paient pour les promouvoir (https://www.change.org/advertise) — seront en fait vendues et utilisées pour les profiler ? La question est cruciale, car ce sont des données très sensibles, vu qu’elles concernent des opinions politiques et sociales.
L’Espresso est en mesure de révéler les tarifs que Change.org applique à ceux qui lancent des pétitions sponsorisées : des ONG aux partis politiques qui payent pour obtenir les adresses électroniques des signataires. Les prix vont de un 1,5 € par adresse électronique, si le client en achète moins de dix mille, jusqu’à 85 centimes pour un nombre supérieur à cinq cent mille. Notre journal a aussi demandé à certaines des ONG clientes de Change.org s’il est vrai qu’elles acquièrent les adresses électroniques des signataires. Certaines ont répondu de façon trop évasive pour ne pas susciter d’interrogations. D’autres, comme Oxfam, ont été honnêtes et l’ont confirmé.
Pour Change.org, voici combien vaut votre adresse électronique
Beaucoup croient que Change.org est une association sans but lucratif, animée d’idéaux progressistes. En réalité, c’est une véritable entreprise, Change.org Inc, créée dans le Delaware, un paradis fiscal américain, dont le quartier général est à San Francisco, au cœur de cette Silicon Valley où les données ont remplacé le pétrole. Et c’est vrai qu’elle permet à n’importe qui de lancer gratuitement des pétitions et remplit une fonction sociale : permettre jusqu’au dernier sans domicile fixe de s’exprimer. Mais elle réalise des profits avec les pétitions sponsorisées, là où le client paie pour réussir à contacter ceux qui seront probablement les plus enclins à signer et à donner de l’argent dans les campagnes de récolte de fonds. Comment fait Change.org pour le savoir ? Chaque fois que nous souscrivons à un appel, elle accumule des informations sur nous et nous profile. Et comme l’a expliqué clairement la revue américaine Wired : « si vous avez signé une pétition sur les droits des animaux, l’entreprise sait que vous avez une probabilité 2,29 fois supérieure d’en signer une sur la justice. Et si vous avez signé une pétition sur la justice, vous avez une probabilité 6,3 fois supérieure d’en signer une sur la justice économique, 4,4 d’en signer une sur les droits des immigrés et 4 fois d’en signer une autre encore sur l’éducation. »
Celui qui souscrit à une pétition devrait d’abord lire soigneusement les règles relatives à la vie privée, mais combien le font et combien comprennent réellement que, lorsqu’ils signent une pétition sponsorisée, il suffit qu’ils laissent cochée la mention « Tenez-moi informé de cette pétition » pour que leur adresse électronique soit vendue par Change.org à ses clients qui ont payé pour cela ? Ce n’est pas seulement les tarifs obtenus par L’Espresso qui nous confirment la vente des adresses électroniques, c’est aussi Oxfam, une des rares ONG qui a répondu de façon complètement transparente à nos questions : « c’est seulement au moment où les signataires indiquent qu’ils soutiennent Oxfam qu’il nous est demandé de payer Change.org pour leurs adresses », nous explique l’organisation.
Nous avons demandé ce que signifiait exactement « les signataires ont indiqué vouloir soutenir Oxfam », l’ONG nous a répondu en montrant la case cochée par le signataire, par laquelle il demande à rester informé de la pétition. Interpellée par L’Espresso, l’entreprise Change.org n’a pas démenti les tarifs. De plus elle a confirmé qu’ « ils varient selon le client en fonction du volume de ses achats » ; comme l’a expliqué John Coventry, responsable des Relations publiques de Change.org, une fois que le signataire a choisi de cocher la case, ou l’a laissée cochée, son adresse électronique est transmise à l’organisation qui a lancé la pétition sponsorisée. Coventry est convaincu que la plupart des personnes qui choisissent cette option se rendent compte qu’elles recevront des messages de l’organisation. En d’autres termes, les signataires donnent leur consentement.
Depuis longtemps, Thilo Weichert, ex-commissaire pour la protection des données du Land allemand de Schleswig-Holstein, accuse l’entreprise de violation de la loi allemande en matière de confidentialité. Weichert explique à l’Espresso que la transparence de Change.org laisse beaucoup à désirer : « ils ne fournissent aucune information fiable sur la façon dont ils traitent les données ». Et quand nous lui faisons observer que ceux qui ont signé ces pétitions ont accepté la politique de confidentialité et ont donc donné leur consentement en toute conscience, Thilo répond que la question du consentement ne résout pas le problème, parce que si une pratique viole la loi allemande sur la protection des données, l’entreprise ne peut pas arguer du consentement des utilisateurs. En d’autres termes, il n’existe pas de consentement éclairé qui rende légal le fait d’enfreindre la loi.
Suite aux accusations de Thilo Weichert, la Commission pour la protection des données de Berlin a ouvert sur Change.org une enquête qui est toujours en cours, comme nous l’a confirmé la porte-parole de la Commission, Anja-Maria Gardain. Et en avril, l’organisation « Digitalcourage », qui en Allemagne organise le « Big Brother Award » a justement décerné ce prix négatif à Change.org. « Elle vise à devenir ce qu’est Amazon pour les livres, elle veut être la plus grande plateforme pour toutes les campagnes politiques » nous dit Tangens Rena de Digitalcourage. Elle explique comment l’entreprise s’est montrée réfractaire aux remarques de spécialistes comme Weichert : par exemple en novembre dernier, celui-ci a fait observer à Change.org que le Safe Harbour auquel se réfère l’entreprise pour sa politique de confidentialité n’est plus en vigueur, puisqu’il a été déclaré invalide par la Cour européenne de justice suite aux révélations d’Edward Snowden. Selon Tangens, « une entreprise comme Change.org aurait dû être en mesure de procéder à une modification pour ce genre de choses. »
L’experte de DigitalCourage ajoute qu’il existe en Allemagne des plateformes autres que Change.org, du type Campact.de : « elles ne sont pas parfaites » précise-t-elle, « et nous les avons également critiquées, mais au moins elles se sont montrées ouvertes au dialogue et à la possibilité d’opérer des modifications ». Bien sûr, pour les concurrents de Change.org, il n’est pas facile de rivaliser avec un géant d’une telle envergure et le défi est presque impossible à relever pour ceux qui choisissent de ne pas vendre les données des utilisateurs. Comment peuvent-ils rester sur le marché s’ils ne monétisent pas la seule denrée dont ils disposent : les données ?
Pour Rena Tagens l’ambition de l’entreprise Change.org, qui est de devenir l’Amazon de la pétition politique et sociale, l’a incitée à s’éloigner de ses tendances progressistes initiales et à accepter des clients et des utilisateurs dont les initiatives sont douteuses. On trouve aussi sur la plateforme des pétitions qui demandent d’autoriser le port d’armes à la Convention républicaine du 18 juillet, aux USA. Et certains l’accusent de faire de l’astroturfing, une pratique qui consiste à lancer une initiative politique en dissimulant qui est derrière, de façon à faire croire qu’elle vient de la base. Avec l’Espresso, Weichert et Tangens soulignent tous les deux que « le problème est que les données qui sont récoltées sont vraiment des données sensibles et que Change.org est située aux Etats-Unis », si bien que les données sont soumises à la surveillance des agences gouvernementales américaines, de la NSA à la CIA, comme l’ont confirmé les fichiers révélés par Snowden.
Mais Rena Tangens et Thilo Weichert, bien que tous deux critiques envers les pratiques de Change.org, soulignent qu’il est important de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, car ils ne visent pas à détruire l’existence de ces plateformes : « Je crois qu’il est important qu’elles existent pour la participation démocratique, dit Thilo Weichert, mais elles doivent protéger les données ».
Mise à jour du 22 juillet : la traduction de cet article a entraîné une réaction officielle de Change.org France sur leur page Facebook, suite auquel nous leur avons bien évidemment proposé de venir s’exprimer en commentaire sur le blog. Ils ont (sympathiquement) accepté. Nous vous encourageons donc à prendre connaissance de leur réponse, ainsi que les commentaires qui le suivent, afin de poursuivre le débat.