Entretien avec trois candidats du Parti Pirate aux legislatives 2012

Le dimanche 10 juin prochain aura lieu le premier tour des élections législatives françaises.

Dans plus d’une centaine de circonscriptions, vous avez le choix entre aller à la pêche, voter pour un parti traditionnel ou, et c’est nouveau, apporter votre voix au Parti Pirate (PP) et ainsi donner de la voix aux thèmes qu’ils soutiennent et qui nous sont chers.

Rencontre avec Carole Fabre (candidate pour la 3ème circonscription de Haute-Garonne), Pierre Mounier et David Dufresne (respectivement candidat et suppléant pour la 15ème circonscription de Paris) que nous connaissions avant qu’ils ne se présentent et qui ont bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.

Espoir et énergie communicative. À force de pousser de tous les côtés, nous finirons bien par faire bouger les lignes 🙂

Carole Fabre

Bonjour à tous les trois, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Carole Fabre (CF) : Actuellement, je fais du conseil formation autour des usages du web, j’essaie d’amener le partage, la collaboration, la réciprocité, les liens, l’éthique, la responsabilité numérique, que ce soit pour la veille, pour l’identité numérique, pour les médias sociaux, pour le management, etc … Je donne aussi des cours ponctuellement.

David Dufresne (DD) : Punk un jour, punk toujours. Je suis aussi journaliste à l’ancienne, et réalisateur de webdocumentaires. Incapable de tenir une guitare, je pianote sur mon clavier toutes la journée. Ma première connexion remonte à 1994. Je passais par un prestataire américain, CompuServe. On payait en dollars. Et certains mois, la parité franc/dollar jouait de sales tours.

Pierre Mounier (PM) : Je suis professeur de lettres ; je travaille aujourd’hui dans l’édition numérique de sciences humaines et sociales en libre accès.

Qu’est-ce qui, dans votre CV, peut expliquer cet engagement ? Est-ce votre premier pas en politique ? Et dans la vie associative ?

CF : Dès la fin des années 80, j’ai eu un ordinateur personnel et je suis connectée à Internet depuis 1996. J’ai rapidement compris que le numérique allait changer considérablement nos façons de faire et qu’Internet nous ouvrait des voies inédites pour plus de partage et de collaboration.

Petit à petit, il s’est dessiné un chemin nouveau, une autre façon d’envisager les relations humaines, les liens sociaux; la puissance du réseau des réseaux est devenue incontournable. Elle nous a montré une autre voie possible en nous connectant aux autres dans le monde entier, un accès inépuisable aux connaissances, une entraide pour apprendre, l’autonomie pour publier, une voie plus libre, plus responsable !

Mais cette liberté fait peur, surtout à ceux qui dirigent, aux experts, aux enseignants, …, à tous ceux qui pensent avoir autorité sur d’autres. Alors ils reculent et je n’ai pas envie de reculer mais d’avancer. C’est pourquoi j’ai rejoint le Parti Pirate. Je n’avais jamais envisagé avant de rejoindre un parti politique, les trouvant tous à mille lieues des préoccupations essentielles, les regardant fonctionner avec leurs petits pouvoirs, leurs petites visions, leurs fonctions à privilégier.

Non, la politique ce n’était pas pour moi. Mais la virulence qui s’est accentuée, et cela dans le monde entier, contre les libertés acquises, numériques ou pas numériques, a fait que j’ai sauté le pas. Insidieusement, certains tentent de faire d’Internet une simple télévision pour consommateur, certains tentent de surveiller et de punir la liberté d’expression, certains tentent de nous mettre en fichiers, certains tentent d’empêcher le partage. Et toutes ces tentatives ricochent par effet induit dans la vie de tous les jours. Vidéosurveillance, vidéo-protection, fichage biométrique, scanners corporels dans les aéroports, brevetage du vivant … bientôt les marchandises seront plus libres que les humains.

Je ne peux cautionner cela et rester à attendre sans rien faire. La société qui advient est basée sur le numérique, que ce soit la création monétaire, les logiciels boursiers, le vote électronique, …, toute la communication, tous les échanges. Il est temps de décider ce que l’on désire vraiment comme société.

Une autre raison m’a poussée à me porter candidate. Je milite activement depuis 3 ans pour l’instauration d’un revenu de base pour tous. Et le Parti Pirate français le propose en mesure compatible avec le programme national.

DD : Il y a très longtemps, en 2000, l’un de mes livres était intitulé « Flics et Pirates du Net » (écrit avec Florent Latrive)… Autant dire que la question du « piratage » me travaille depuis un certain temps. A dire vrai, depuis 18 ans maintenant, mon travail se partage entre le Net et les questions liées aux libertés (individuelles, collectives).

La nuit, je milite pour un Net ouvert et non marchand; le jour, je réalise des films et écrit des enquêtes sur la police, la justice. Le Parti Pirate rejoint mes deux préoccupations, en quelque sorte. Oui, premier engagement au sens engagement-parti-politique; oui, première carte politique. Pour être franc: je suis le premier étonné, moi qui suis d’ordinaire si réfractaire à toute idée de hiérarchie. Mais le PP est assez foutraque, et plein d’énergie, pour être excitant.


PM : je me suis intéressé aux enjeux politiques et sociaux d’Internet et du numérique à partir de la fin des années 90. J’ai créé un site, Homo Numericus, qui m’a permis d’explorer la révolution numérique dans ses différentes dimensions. J’ai bien vu lors des premières lois qui ont été adoptées sur la sujet qu’il y avait un décalage considérable entre les usages réels des internautes et la manière dont la classe politique traditionnelle considère et prétende réguler ces usages.

J’ai été proche de plusieurs associations de défense des libertés sur Internet et j’ai participé à plusieurs des mobilisations à l’occasion du vote sur ces lois. Et à chaque fois, j’ai été déçu par la faiblesse et le manque de retentissement de ces mobilisations. Tout se passe encore comme si les questions politiques liées au numérique relevaient encore d’un autre monde virtuel sans prise avec la vie réelle. C’est pour cela que j’ai cherché une autre forme d’engagement, qui cherche à prendre pied dans le réel, sur le terrain même des politiques, en établissant un rapport de force, en présentant des candidats aux élections.

Pas n’importe quel engagement : le Parti Pirate. Alors pourquoi lui et pas un autre ? Où se situe son originalité et son espoir ?

CF : Comme une vague générationnelle, le Parti Pirate, présent dans 64 pays, déferle sur le monde ancien. Ce n’est pas un parti enfermé dans ses frontières, il y a quelque chose de beaucoup plus fort, beaucoup plus important que les vaines revendications des autres partis politiques complètement sclérosés, incapables de lever le nez hors de leurs privilèges; Je ressens un souffle de liberté avec le Parti Pirate, d’ailleurs les libertés sont au cœur du programme politique. Liberté, un mot, que l’on a très rarement entendu pendant les présidentielles…

DD : Comme Carole, parce que je crois que le PP peut déferler sur le monde ancien, le bousculer, le hacker et le hâcher menu. Il faudra du temps, il faudra même passer — peut-être ? — par une forme de durcissement du discours, mais c’est jouable. Et plus que tentant. Certains adhérents du PP revendiquent le ni droite ni gauche. Pas moi. Je comprends bien l’idée (« ni droite ni gauche, devant ! »), qui est séduisante sur bien des points, elle reste pour l’heure trop floue. Personnellement, je suis venu au PP pensant y trouver un levier pour hacker la gauche de gauche.

PM : j’ai été conquis par cette idée de démocratie directe qui est au cœur du Parti Pirate. Le Parti Pirate est né de l’Internet. Il en porte la culture politique : horizontal, peu de délégation, ouvert aux contributions de tous, se coordonnant de manière flexible et réactive.

Peut-on vous qualifier de « power user » d’Internet et si oui en quoi cela a pu faciliter le rapprochement avec le Parti Pirate et ses thèmes de prédilection ?

CF : Oui, je dois être « power user », c’est ça 🙂 (voir réponses plus haut)

DD : Je suis Interneto-dépendant, littéralement. C’est affreux, et délicieux. J’imagine que bien des lecteurs du Framablog ressentent la même chose. Ma grande (et bonne) surprise a été de voir, en arrivant au PP, que ce n’était pas, justement, les Internautes Anonymes. Tous les sympathisants ne sont pas forcément des « power users ». On est loin de l’image des réunions de Geeks parfois, et c’est très bien ainsi. Ça montre que le PP fédère large.

PM : Oui, c’est évident. Je travaille avec Internet, je vis sur Internet et je considère le cyberespace comme ma patrie d’adoption. Mais en même temps : n’est-ce pas le cas d’un très grand nombre de personnes ? Ne sommes-nous pas tous des power users ?

La plupart des enquêtes le montrent : les usages des nouvelles technologies sont très répandus et intensifs, souvent sur un mode de communication particulier. Tout le secteur tertiaire travaille en permanence sur ordinateur. Les services de communication en ligne ont des millions d’utilisateurs, les smartphones ont un taux de pénétration considérable.

Ce qui est caractéristique de nos trois profils en revanche, c’est que nous sommes des médiateurs : formateur, journaliste et enseignant. Nous ne sommes donc pas nécessairement plus « geeks » que d’autres, mais je crois que nous sommes dans des positions qui nous amènent à avoir une conscience plus aiguë de ces nouveaux usages et de leurs implications politiques.

La « grande presse » a consacré de nombreux articles à la présence du Parti Pirate lors de ces élections. Est-ce déjà un succès en soi et êtes-vous satisfait de la manière dont les journalistes ont parlé de vous ?

DD : La presse a besoin de nouveauté, et il ne faut pas s’y tromper: l’incroyable couverture récente du PP doit beaucoup à cet aspect des choses. Les résultats de dimanche, bien sûr, seront importants pour la suite que la presse voudra bien accorder, ou non, au PP. L’essentiel est que le nom ait circulé dans les rédactions, que le PP se soit fait une petite place, que nous ayons, par exemple, été repris du Figaro à TF1, du Monde à Europe 1, sur la question du vote par Internet des Français de l’étranger, au point que le Quai d’Orsay se soit senti contraint de nous répliquer. Ou que Marianne, en nous rangeant dans les « farfelus », se soit vu immédiatement contredit sur Twitter.

Malgré le retentissement récent, tout reste à faire. Je pense qu’on peut être plus inventifs, plus percutants, plus pirates. D’autant que nous butons sur un sacré conservatisme de la part des journalistes politiques. Ne pas comprendre que ce qui se joue aujourd’hui d’un point de vue technologique est aussi crucial que les combats écologiques lancés par les Verts est, au mieux, une preuve de cécité de leur part; au pire, une faute professionnelle.

CF : C’est un premier pas. Il est vrai que les succès électoraux en Allemagne nous ouvrent la voie. Localement, c’est assez amusant, la première fois que la Dépêche du Midi nous a cité, ils ont mis PP Parti Populaire… ils n’avaient jamais entendu parler du Parti Pirate !

En général, nous sommes encore trop qualifiés de geeks et d’informaticiens à lunettes, les journaliste ont du mal à voir que nos revendications dépassent largement Internet. Peu signalent par exemple que nous nous engageons à suivre la charte anti-corruption de Anticor. Dès qu’on parle de transparence politique ils sont assez surpris et tentent de nous faire revenir sur le téléchargement 😉

PM : Oui, et je dois avouer que c’est une surprise pour moi. La plupart des mouvements politiques et mouvements sociaux d’un type nouveau traversent une longue période à leurs débuts au cours de laquelle les médias ne leur donnent aucune visibilité et, pire, déforment leur positionnement et leurs propositions. Je trouve que cela n’a pas été trop le cas au cours de cette campagne. J’ai noté beaucoup de curiosité de la part des journalistes qui ont cherché à comprendre sincèrement ce qu’était ce mouvement.

Le meilleur exemple pour moi est l’article d’Yves Eudes dans le Monde qui établit une coupe sociologique objective du mouvement et qui a appris, je crois, beaucoup aux adhérents du Parti Pirate eux-mêmes… Par contre, cet article a été classé dans la rubrique…. Technologies. C’est caractéristique.L’engouement médiatique a beaucoup été le fait des secteurs culture et technologies de la presse, mais n’a pas encore touché le cœur du cœur du système médiatique : les journalistes politiques de la presse nationale qui ne nous ont pas encore repérés dans leur radar.

Le Parti Pirate a été très actif pour dénoncer le vote électronique des français de l’étranger. En quoi est-ce une affaire importante pragmatiquement et symboliquement parlant ?

CF : Encore une fois, nous comprenons et maîtrisons le numérique et savons que le numérique c’est piratable 🙂 … A partir de ce constat, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Le vote électronique est incontrôlable. Peut-être un jour arriverons nous à sécuriser le vote électronique mais pas actuellement. Au-delà des problèmes techniques et de la non vérification possible par les citoyens, l’ironie est que c’est une entreprise privée d’Espagne qui s’occupe de gérer ce vote …

DD : À mes yeux, cette affaire constitue un enjeu majeur dans le sens où c’est un peu de la démocratie qu’on confisque, avec des dysfonctionnements patents, une privatisation partielle du vote, une opacité réelle. C’est bien parce que nous défendons Internet que nous nous devons de traquer les abus des pouvoirs publics et des sociétés privées. Le vote électronique des français de l’étranger est apparu au fil des jours pour ce qu’il est : un cheval de Troie.

Les Partis Pirates suédois et allemand ont une longueur d’avance. De plus lors des récentes manifestations contre ACTA on a pu voir l’Est de l’Europe beaucoup plus mobilisée que l’Ouest, France incluse. Y a-t-il une raison à cela et n’est-ce pas un indicateur défavorable quant à ces prochaines élections ?

CF : Même si nous parlons beaucoup d’ACTA entre acteurs du numérique sur Internet et que l’on sent tout de même un revirement positif de la situation au niveau européen, le problème est que la plupart des citoyens n’en ont jamais entendu parler ! Il faut expliquer encore et encore. En tout cas ce n’est vraiment pas au cœur des débats des autres partis politiques pour ces élections, que dis-je au cœur, c’est complètement absent. Et oui, c’est défavorable, car le grand public ne comprend pas encore l’importance de ces enjeux.

DD : La France est un pays terriblement passéiste et passablement frileux. Avec un Front National si fort, et une gauche parlementaire qui a si peur de son ombre, tout semble bloqué. Depuis déjà un paquet de temps, et pour longtemps. Nos voisins, moins auto-centrés, ont compris bien avant nous l’importance de la… révolution numérique. Sincèrement, oui, la bataille ne fait que commencer de ce côté_-ci du Rhin. C’est ce qui en fait, aussi, sa beauté: tout est à faire.

PM : Nous sommes un pays technophobe et c’est une malédiction qui nous frappe de manière renouvelée. Beaucoup de gens pensent que la politique s’arrête aux déclarations de principe (le « fétichisme des principes » est une autre de nos malédictions) et ne voient pas du tout comment il peut y avoir des enjeux politiques dans ce qu’ils considèrent comme des « affaires de garagistes » (sic, citation réelle).

Il y a bien une tradition intellectuelle française qui s’intéresse à la chose technique et à ses enjeux sociaux et politiques ; les encyclopédistes, Saint Simon, Simondon, Latour, Serres. Mais elle est isolée et minoritaire, rarement dominante à chacune des époques considérées. Or, c’est un vrai handicap, alors que nous vivons à une époque complètement dominée par des enjeux techno-scientifiques. Peut-on faire évoluer les mentalités et intéresser les français aux enjeux politiques des choix technologiques ? Je pense que la montée en puissance d’un Parti Pirate en France peut y contribuer.

David Dufresne

Cory Doctorow a pu dire qu’il est fondamental de gagner la bataille actuelle contre le copyright car elle fait figure de laboratoire pour les autres batailles à venir entre le citoyen, les multinationales et les états affaiblis. D’accord pas d’accord ?

CF : Entièrement d’accord. Si les droits d’auteur et les brevets ont pu être profitables au XIXème siècle, ils sont maintenant complètement obsolètes. Nous devons repenser tout cela.

Quand on voit que certains tentent maintenant de breveter aussi le vivant … c’est impensable de s’approprier nos biens communs, breveter des gènes humains, des gènes animaux, des gènes de plantes. Quelle société cela préfigure t-il ? Avons-nous envie de tout marquer et de tout jouer en bourse ? Les dégâts sont bien déjà assez suffisants avec le marché des matières premières et des matières alimentaires.

PM : Oui, absolument. La conférence de Cory Doctorow devant le Chaos Computer Club si mes souvenirs sont bons est un moment historique qui a donné un sens politique général a un combat qui pouvait sembler à la fois pointu et un peu secondaire parce que concernant seulement la consommation culturelle.

Le logiciel libre est un des pionniers et un des piliers de la révolution à venir. Délire ou prophétie ?

CF : Prophétie, oui ! Quand on voit que près de 95% des serveurs dans le monde sont sous Unix et non pas sous Windows, nous nous devons de demander pourquoi c’est mieux fabriqué. Et comment ça se fabrique. Là encore, la pédagogie est indispensable, peu de personnes savent.

L’autre jour, je me demandais : « et si on ouvrait les codes de la loi et qu’on puisse les améliorer, et même en faire un fork pour simplifier, repartir sur des bases saines et non pas un empilement où plus personne ne comprend plus rien. » 🙂

Mais sans aller aussi loin, on constate déjà que des initiatives voient le jour dans d’autres domaines que les logiciels : des plans partagés et améliorés de moteur, des systèmes agricoles, des systèmes d’eau potables, etc.

C’est en fait naturel à l’être humain, pouvoir comprendre, contribuer, améliorer, cela s’est toujours fait. La propriété généralisée à toute chose est finalement assez récente dans l’histoire de l’humanité. Si le silex avait été breveté et privatisé, nous ne serions peut-être pas là aujourd’hui. 🙂 Et la roue, hein, la roue…

DD : C’est moins l’outil libre que sa confection qui importe. Ce que le logiciel libre bouleverse, c’est cette forme de société de contribution qu’il annonce. Cette notion de pot commun, de partage, de désintéressement parfois provisoire, qu’importe. Mais nous avons un effort de pédagogie à mener: seule la communauté du Libre sait de quoi il s’agit. Hors de celle-ci, libre et free, gratuit et open source, sont des notions encore mal comprises et qui semblent vidées de leur caractère politique.

PM : Ni l’un ni l’autre : le logiciel libre est aujourd’hui un des piliers fondamentaux de la révolution en cours (et non à venir). Mais cela implique de devoir résoudre des problèmes que pose ce mouvement continu d’élargissement du « libre » à d’autres secteurs d’activités que la conception logicielle.

Et sur ce chemin, la voie est étroite entre une forme d’intransigeance aristocratique et parfois puriste qui empêche la greffe de prendre d’un côté, et ce qui constituerait une dilution tellement importante qu’on n’y retrouverait plus l’esprit originel de l’autre : logiciel libre, art libre, culture libre, creative commons, libre accès, open data, on a là une galaxie qui témoigne d’une dynamique positive. Cette dynamique ne peut exister que parce qu’une certaine souplesse est permise, mais aussi parce qu’un sens et des limites sont données.

Occupy, Anonymous, Indignados, Wikileaks sont des mots clés qui vous parlent ?

CF : Yep ! Tous ces mouvements dénoncent les opacités, les corruptions qui entachent notre civilisation et chacun à leur manière agit soit par Internet, soit dans la rue. Au Parti Pirate, on attaque par un autre biais, on tente de hacker la politique.

DD : + 1, Carole. Le Parti Pirate est un allié, sincère, de tous ces mouvements. Ils sont le signe du changement réel, d’une prise de conscience à la fois mondiale et citoyenne. Non violente pour certains, intrusives et hors la loi pour d’autres. Le phénomène des casseroles à Montréal s’inscrit aussi dans cet élan. Et ce n’est pas pour rien que les Anonymous ont infiltré les serveurs de la police canadienne dans le même temps ou diffusé des vidéos gênantes sur la collusion médias-politiques.

PM : Oui. Mais je me permets d’insister sur un fait : toutes ces initiatives qui procèdent de mouvements sociaux de fond n’ont pas encore trouvé de débouché politique. Je crois qu’on a tous un peu vécu sur le mythe qu’un pouvoir en place ne peut résister longtemps à des manifestations, occupations, assemblées populaires, mobilisations citoyennes, révélations compromettantes.

L’expérience politique de ces dernières années est que ce n’est pas tout à fait le cas. Et même lorsqu’il y a alternance, cela ne signifie pas nécessairement que les revendications que portent ces mouvements soient mieux représentées. Il y a donc une situation potentielle de danger avec des mouvements sociaux d’un côté qui se développent, bouillonnent, élaborent des propositions, et de l’autre un monde politique qui tourne en rond et continue sa petite musique sans que l’un n’arrive à embrayer sur l’autre.

Je ne dis pas que la Parti Pirate soit aujourd’hui en mesure d’être le débouché politique des ces mouvements. Ce serait très prétentieux et inexact. Mais je pense que c’est la direction dans laquelle nous devons aller. Pour moi, un des enjeux après les élections pour le Parti Pirate est de construire patiemment des liens solides avec ces mouvements, et d’autres, pour nourrir sa réflexion et son programme de l’expertise citoyenne qui s’y développe.

L’Europe semble bloquée par « la crise », une économie financiarisée injuste et incontrôlable et des mouvements identitaires de repli sur soi. Est-ce la bonne période pour « faire de la politique autrement” ?

CF : Plus que jamais, et il y a même urgence, tant que nous avons les moyens. La pauvreté, l’injustice amènent aux révoltes et aux guerres, et après il est beaucoup plus difficile d’agir.

DD : Si nous n’avons pas peur de nous-mêmes, si nous arrivons à nous regrouper autour de thèmes forts et précis, c’est déjà le cas en partie, tout est possible. Justement parce que nous sortons totalement des clivages et des raisonnements classiques, tous porteurs de repli.

PM : PLUS QUE JAMAIS. La crise financière et économique est d’abord une crise de la démocratie. La véritable question est moins de savoir quelles seraient les « bonnes » mesures à prendre que de savoir comment faire en sorte que les mesures qui sont prises soient voulues et soutenues par l’ensemble de la population ; en un mot : légitimes. J’ai écrit un billet à ce propos sur notre site de candidats ; je me permets d’y renvoyer.

Il a été dit que la France sous Sarkozy n’aura pas été spécialement brillante du côté d’Internet et des libertés. Votre avis ? Doit-on penser que vous accordez la même défiance au nouveau gouvernement en vous présentant ou bien est-ce au contraire pour le pousser à mettre en avant les thèmes que vous portez ?

CF : Les deux mon capitaine ! Si on peut interagir, aider à la réflexion tant mieux. Nous verrons bien. Personnellement, je n’ai guère confiance en ce nouveau gouvernement. Même si j’espère qu’il y aura moins de fracture sociale, j’ai bien peur que la notion de liberté et de partage leur échappe. Pierre Lescure, nommé pour la Hadopi, voyons, comment dire … Et que feront-ils des fichiers de citoyens, des caméras de surveillance, de la biométrie ?

DD : Sur la question des libertés individuelles et collectives, il n’y a aucune raison de laisser un blanc seing à la gauche socialiste. La nomination de Manuel Valls à l’Intérieur est assez claire: il n’y aura pas de rupture ou alors à la marge. J’ai en partie rejoint le PP pour travailler sur ces questions et c’est la raison pour laquelle avec Pierre Mounier, nous avons explicitement défendu notre point de vue dans notre profession de foi.


« Exiger que les procédures parlementaires de contrôle de services comme la Direction centrale du renseignement intérieur soient complètes et renforcées. Faire cesser les dérives d’une police politique au service de l’appareil d’Etat. Ouvrir le débat sur la privatisation du Renseignement (officines, mais pas seulement) et le jeu malsain entre « Services » et opérateurs de téléphonie (ex: fadettes, relevés téléphoniques, etc) / FAI. ». J’ai publié dans Le Monde une tribune sur le sujet.

PM : Pour ma part, je ne parlerai pas (encore) de défiance. Plutôt de méfiance. Le candidat devenu président ne s’est pas beaucoup engagé sur la question et il a même été en net retrait par rapport au programme de son propre parti. Les premiers signes qui ont été envoyés, les premières nominations, comme dit Carole, ne sont pas encourageantes. J’ai bien peur que ce gouvernement ait besoin d’un aiguillon qui constitue une menace électorale suffisamment importante pour qu’il se sente concerné par la question d’Internet et des libertés. On aura compris qui pourrait être cet aiguillon…

Vous donnez-vous le moindre objectif chiffré ou bien, comme disait De Coubertin, l’important ici c’est d’abord de participer car ça n’est qu’une première étape ?

CF : Comme Coubertin, c’est un galop d’essai !

DD : Un tour de chauffe, un moyen de s’aguerrir, d’expérimenter, de se compter, d’apprendre à se connaître, à partager, à travailler ensemble.

PM : C’est bien un galop d’essai, mais aussi un peu plus que cela : nous avons gagné une certaine visibilité dans l’espace public, du fait de la campagne électorale (il faut savoir que nous diffusons grâce à cela un spot télévisé visionné par tous les français, c’est absolument énorme comme caisse de résonance). Du coup, si, au moins dans certaines circonscriptions, nous faisons un score non négligeable, voire gênant pour d’autres formations politiques, cela va changer beaucoup de choses pour la suite. Bref, il y a un vrai enjeu en termes de résultats sur cette élection. Cela vaut le coup de se mobiliser.

Une fois les législatives passées, quel sera le prochain rendez-vous et comptez-vous personnellement poursuivre l’aventure avec le Parti Pirate ?

CF : Si le Parti Pirate continue sur la même lancée avec ouverture, transparence, liberté de chacun des membres, oui ! En 2014, il y a les municipales et surtout les européennes. Il devrait y avoir un programme commun européen, et là nous serons bien plus préparés !

DD : Le PP a vu dans ses rangs arriver de plus en plus de quadras et plus. On peut s’attendre à ce que le PP se dote bientôt d’une épine dorsale qui pourrait faire très mal. Connaissance des rapports de force + énergie bouillonnante = formule magique.

La prochaine étape sera donc interne: comment fusionner toutes ces énergies, les fédérer ? Ensuite, il faudra que le PP prenne part à la vie politique de manière constante, pas uniquement lors des échéances électorales. Pour ce qui est de mon implication, tout va dépendre des discussions et des orientations qui seront prises. Pour l’heure, comment dire, c’est bien parti, quelle aventure !

PM : Oui, j’ai très envie de continuer avec le Parti Pirate au delà de l’échéance. Il y a clairement une dynamique, un élargissement de la base militante, des perspectives de pouvoir faire bouger les choses, enfin !

En conclusion, dimanche 10 juin prochain, le « vote utile » c’est le Parti Pirate ?

CF : C’est le vote de ceux qui n’ont pas froid au yeux et qui arrêtent de penser « de toute façon, on ne peut rien faire ». Le Parti Pirate, c’est la reprise en main de la démocratie.

DD : Utile, heu… j’en sais rien. Protestataire et constructif, pirate et novateur, oui, vraiment.

PM : Le seul vote utile est celui qui est au plus proche des convictions de celui qui vote. que chacun s’informe et vote selon ses convictions. C’est tout ce que nous demandons.

Vous pouvez suivre nos trois candidats sur Twitter : Carole Fabre, Pierre Mounier et David Dufresne.

Affiche PP




Avec SILLAGES l’esprit du libre gagne les grandes écoles

L’association SILLAGES.info a été créée en octobre 2011.

L’ambition de l’initiative SILLAGES est de développer une production collaborative de contenus pédagogiques multimédias contribuant à l’ouverture Sociale et InternationaLe de LAccès aux Grandes EcoleS, et notamment de développer un échange pédagogique avec des universités étrangères souhaitant mieux préparer leurs étudiants aux exigences spécifiques des grandes écoles françaises[1].

Nous avons rencontré deux acteurs de l’initiative SILLAGES : Nathalie Van de Wiele, chef de projet, et Jean-Pierre Archambault, responsable de la communication.

Tulane Public Relations - CC by

Framablog : vous proposez des ressources que vous qualifiez de libres[2]

Nathalie Van de Wiele : oui. L’initiative SILLAGES est à l’origine de la création de deux sites complémentaires disponibles sur internet : une plate-forme et un wiki. Ces sites comptent près de 500 ressources pluridisciplinaires libres et gratuites de niveau L0, L1 ou L2, portant sur les mathématiques, la physique, l’économie, la littérature, le grec ancien, le latin, …

Les ressources SILLAGES pouvant aussi être utiles aux enseignants, elles sont publiées sous licence « Creative Commons » pour une utilisation optimale (elles peuvent ainsi être réutilisées, transformées, modifiées, complétées), les auteurs SILLAGES devant se conformer à la législation en vigueur en terme de droits d’auteurs. Nous avions choisi la licence CC BY – NC avec la possibilité de remixer l’oeuvre. Pour que les choses soient plus claires, nous allons ajouter SA ! SILLAGES menant des partenariats avec les Universités numériques thématiques (UNT), les ressources déposées sur la plate-forme sont référencées par les UNT afin de rendre ces ressources également accessibles par les sites des UNT partenaires (à ce jour UNISCIEL et UOH).

Framablog : la mise en place de ces sites a été dictée par deux aspects essentiels, liés tous deux à la mission même de l’initiative SILLAGES : d’une part, l’aspect « ouverture sociale » et d’autre part, l’aspect « ouverture internationale »; à qui s’adressent vos sites ?

Nathalie Van de Wiele : en terme d’ouverture sociale, les sites SILLAGES s’adressent :

  • aux étudiants abordant l’enseignement supérieur avec des bagages scolaires différents,
  • aux étudiants de milieu modeste éprouvant des difficultés en classes préparatoires,
  • aux étudiants en formation L1 ou L2 préparant leur entrée en grande école.

En terme d’ouverture internationale, ils s’adressent :

  • aux étudiants étrangers désirant entrer en classes préparatoires ou en grande école en France,
  • aux étudiants étrangers n’ayant pas d’accès facile à des bibliothèques et voulant compléter leurs supports pédagogiques.

Framablog : vous proposez des ressources en grec ancien…

Nathalie Van de Wiele : Michèle Tillard, professeur de lettres classiques au lycée Montesquieu du Mans, est l’auteure de nombreux documents concernant le grec ancien et la préparation au programme du concours d’entrée à l’ENS de Lyon, documents disponibles sur la plate-forme ou le wiki SILLAGES, les deux types de ressources étant reliées par des liens hypertextes : un cours complet pour hellénistes débutants, en cours d’élaboration ; un cours de version grecque, sous forme de feuilleton, et en complément, un « kit de survie de l’helléniste » regroupant les principales notions grammaticales sous forme de fiches ; un cours sur l‘Icaroménippe de Lucien (programme de l’ENS Lyon, 2012) ; des fiches de vocabulaire grec.

D’autres cours sont en projet, en particulier sur les œuvres latines et grecques de l’option « Lettres classiques » du concours d’entrée de l’ENS Lyon, à paraître prochainement.

Framablog : et des ressources en sciences physiques…

Nathalie Van de Wiele : Olivier Granier, professeur de physique au lycée Montesquieu du Mans en classe de spéciales PC, a souhaité placer sur la plate-forme SILLAGES de nombreux documents personnels (polycopiés de cours, séances de travaux dirigés, résolution de problèmes de concours, polycopiés de travaux pratiques d’électronique et d’optique), couvrant ainsi l’ensemble du programme de Physique des classes préparatoires au grandes écoles scientifiques et des universités scientifiques (niveau L1 et L2).

Olivier Granier, par ailleurs administrateur de la plate-forme SILLAGES, reçoit d’ailleurs régulièrement des messages électroniques d’utilisateurs souhaitant des informations complémentaires sur les études qu’ils suivent, posant des questions sur tels ou tels points du cours ou demandant encore des précisions sur la résolution d’un exercice.

Framablog : pouvez-vous nous préciser l’apport pour les étudiants étrangers ?

Jean-Pierre Archambault : J’ai eu le plaisir de suivre au sein de SILLAGES deux étudiants de l’ESIA (Ecole supérieure d’informatique, électronique, automatique) chargés d’un projet visant à mieux faire connaître les ressources SILLAGES.

L’un d’eux, Wassim CHIADLI, affirme : « les cours que les étudiants peuvent trouver sur SILLAGES sont à grande valeur ajoutée et constituent pour eux un vrai appui pendant leurs années d’études et surtout pendant leur période de révisions. Cela s’adresse en particulier aux étudiants des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient bercés dans la francophonie. Le Maroc en est un bon exemple. En effet, il existe beaucoup de similitudes entre les systèmes d’études supérieures français et marocain. Un nombre important d’étudiants marocains s’orientent vers les classes préparatoires pour accéder aux grandes écoles marocaines mais également françaises telles que l’Ecole Polytechnique, Centrale, Mines Ponts et Chaussées, HEC, etc.

Et le plus difficile pour ces jeunes étudiants est de trouver des informations, des cours et des exercices fiables et gratuits afin de réussir leurs parcours. De même, la France reste la destination favorite des Marocains ayant pour but de finaliser leurs études à l’étranger. Cela reste néanmoins une mission délicate pour les candidats libres qui ne possèdent pas systématiquement d’appuis, ni de références.

Le projet SILLAGES peut ainsi aider les étudiants en classes préparatoires à renforcer leurs connaissances et, d’autre part, donner une nouvelle opportunité aux personnes ayant le plus de mal à accéder à l’information ».

Framablog : on voit bien l’intérêt de tels sites qui est de mettre à disposition du plus grand nombre des documents pertinents et adaptés au public visé, enseignants et étudiants de niveau L1 et L2. Mais entretenez-vous des relations en présentiel avec les publics étrangers ?

Nathalie Van de Wiele : nos sites visent à favoriser les échanges pédagogiques à travers le monde. Nous les complétons avec des missions. Olivier Granier a ainsi participé à plusieurs missions à l’étranger, au Liban (Université Saint Joseph, Beyrouth, en avril 2011 et avril 2012), au Cambodge (Institut de technologie du Cambodge, Phnom Penh, en novembre 2011) et au Cameroun (Institut supérieur des technologies et du design industriel, Douala, en février 2012).

Le but de ces missions était à chaque fois sensiblement le même : faire connaître, utiliser et enrichir les ressources SILLAGES, former des étudiants de ces universités étrangères aux spécificités des concours des grandes écoles scientifiques françaises. Olivier Granier a ainsi organisé des séances de préparation aux écrits des concours, effectué des compléments de cours et organisé des séances spécifiques de préparation aux oraux des concours (sous forme d’interrogations orales de type « colles »).

Michèle Tillard est actuellement en train de mettre sur pied un stage en présentiel, destiné aux étudiants hellénistes de l’IPELSHT (Institut Préparatoire aux études littéraires et de Sciences Humaines de Tunis), qui complètera la formation à distance qu’elle a bâtie sur la plate-forme SILLAGES pour ces étudiants, débattant sur un forum dédié de « L’enseignement à distance pour sauver l’enseignement du grec ancien ? ».

Framablog : SILLAGES et le libre ?

Jean-Pierre Archambault : il y a donc tous ces documents en Creative Commons. En outre, bon nombre de ressources élaborées pour l’enseignement à distance sont conçues grâce à des logiciels libres, tels que Geany, Amaya ou encore OpenOffice, et destinés à être lus par l’ensemble des navigateurs, en particulier Mozilla Firefox ou Safari. C’est le cas, notamment, des ressources créées en grec ancien. Les sites eux-mêmes font appel aux logiciels et licences libres (MediaWiki doté d’un éditeur LaTeX pour le wiki SILLAGES et CeCILL pour l’utilisation de la plate-forme SILLAGES).

Et puis, l’esprit avec lequel les enseignants associés à SILLAGES travaillent, notamment lors des missions à l’étranger, relève de l’approche du libre. L’objectif de SILLAGES est bien de favoriser le partage de documents libres mis à disposition sur internet et de promouvoir l’utilisation et la réappropriation qui en est faite auprès de publics demandeurs et souvent éloignés de grands centres documentaires.

Je citerai cette phrase (tirée du site framasoft.net) : « Issu du monde éducatif, Framasoft est un réseau de sites web collaboratifs à géométrie variable dont le dénominateur commun est le logiciel libre et son état d’esprit. Il vise à diffuser le logiciel libre et à le faire connaître auprès du plus large public. ». A mon sens, elle s’applique à la communauté SILLAGES.

Framablog : quels problèmes rencontrez-vous ? Quelles sont vos perspectives ?

Nathalie Van de Wiele : si, dans le contexte de l’ouverture sociale et internationale de l’accès aux grandes écoles l’initiative SILLAGES prend toute sa place, participant à l’offre numérique de l’enseignement supérieur français, menant des expériences concrètes à l’international et offrant une souplesse de moyens sachant répondre à la demande des étudiants, des progrès sont encore à réaliser.

Un bilan des ressources placées sur la plate-forme SILLAGES montre que les ressources scientifiques sont majoritaires mais incomplètes (il n’y a ni chimie, ni biologie, ni sciences de l’ingénieur), que les langues sont absentes des disciplines littéraires et que les sciences économiques et commerciales sont sous-représentées. Sur le wiki SILLAGES, l’édition collaborative a du mal à démarrer.

Le manque de moyens financiers (les membres de SILLAGES sont tous bénévoles et dégagent pour SILLAGES du temps sur leurs activités professionnelles) freine pour le moment des développements plus ambitieux. En terme d’usage, si des efforts sont fait en terme de travail collaboratif pour adapter les ressources à la demande, d’accompagnement des étudiants dans l’utilisation de celles-ci, de coopération internationale entre établissements, l’initiative SILLAGES souffre de ne pas être encore assez connue.

L’association SILLAGES est encore jeune et ne demande qu’à se développer afin d’augmenter le nombre de ressources placées sur la plate-forme ou le nombre d’articles édités sur le wiki et d’attirer vers elle de nombreux enseignants prêts à rejoindre la communauté SILLAGES et à relever le défi qui l’anime.

Framablog : quel rapport établissez-vous entre coopération sur un pied d’égalité et approche du libre ?

Jean-Pierre Archambault : si SILLAGES s’inscrit pleinement dans l’approche du libre aux plans des logiciels utilisés et des ressources pédagogiques produites, des modalités de leur réalisation et de mise à disposition de tous, des réponses en termes de droit d’auteur, ce n’est pas le fruit du hasard.

En effet, si chacun a vocation à produire ses propres ressources, la coopération internationale et des formes de solidarité numérique c’est aussi l’adaptation de celles réalisées par l’autre. Avec le libre, chaque communauté peut prendre en main la localisation/culturisation qui la concerne, connaissant ses propres besoins et ses propres codes culturels mieux que quiconque. Il y a donc, outre une plus grande liberté et un moindre impact des retours économiques, une plus grande efficacité dans le processus, en jouant sur la flexibilité naturelle des créations immatérielles pour les adapter à ses besoins et à son génie propre.

C’est aussi plus généralement ce que permettent les « contenus libres », c’est-à-dire les ressources intellectuelles – artistiques, éducatives, techniques ou scientifiques – laissées par leurs créateurs en usage libre pour tous. Logiciels et contenus libres promeuvent, dans un cadre naturel de coopération entre égaux, l’indépendance et la diversité culturelle, l’intégration sans l’aliénation.

Framablog : d’une manière générale, pensez-vous que pédagogie rime avec libre ?

Jean-Pierre Archambault : oui, et le mouvement est irréversible.

D’évidence, il existe des auteurs par milliers, des acteurs multiples (enseignants, associations, institutions, collectivités territoriales) qui mettent en place des coopérations souples et diverses. Certes, de tout temps les enseignants ont réalisé des documents en préparant leurs cours. Mais, avant la banalisation des outils numériques de production des contenus (traitement de texte, présentation, publication) et le développement d’internet qui donne à l’auteur un vaste public potentiel qui peut aisément reproduire les documents qu’il a récupérés, qui en bénéficiait au-delà d’un cercle nécessairement restreint ?

La numérisation des œuvres et de la connaissance en général, et leur diffusion sur internet posent avec une acuité sans pareille le problème de l’usage que l’on peut en faire. Des millions d’utilisateurs ont accès à des millions d’œuvres, grandes ou petites. Difficile d’imaginer que leur utilisation puisse passer par une demande d’autorisation. De ce point de vue, le copyright est un non-sens sur internet. La loi doit pouvoir être applicable. D’où la pertinence de la démarche de Creative Commons dans laquelle l’auteur, en mettant à disposition sa création sur la toile, indique ce que les internautes peuvent en faire. Elle permet l’indispensable circulation fluide des documents et, si nécessaire, leur modification.

Framablog : un mot pour conclure…

Jean-Pierre Archambault : les enjeux sont forts : appropriation de la connaissance par tous, constitution d’un patrimoine pédagogique mondial accessible à tous. SILLAGES a l’ambition d’y apporter sa modeste contribution.

Notes

[1] Crédit photo : Tulane Public Relations (Creative Commons By)

[2] La licence Creative Commons By-Nc-Sa n’étant pas considérée comme libre au sens des logiciels libres.




Les 20 personnalités préférées de l’Internet Libre

L’excellent quotidien d’information britannique The Guardian (que nous traduisons souvent ici) a récemment proposé une liste restreinte et subjective de vingt « fighters for Internet freedom ».

Stallman, Torvalds, Wales, Lessig, Assange, Sunde, Berners-Lee, Anonymous… Il y en a que nous connaissons bien ici. D’autres moins, mais c’est l’occasion de les découvrir[1].

Certains lecteurs regrettent ainsi par exemple l’absence de Cory Doctorow, Eben Moglen ou Mitchell Baker.

Qu’en pensez-vous ? Qui rajouteriez-vous ? Et pourquoi aucun français ni francophone ?

D’ailleurs s’il fallait faire une liste nationale vous choisiriez qui ?

(Petite liste alphabétique qui s’édite en fonction des commentaires : Philippe Aigrain, Jean-Pierre Archambault, Benjamin Bayart, Stéphane Bortzmeyer, Guillaume Champeau, Frédéric Couchet, Laurent Chemla, Loïc Dachary, Florence Dévouart, François Elie, Fabrice Epelboin, Roberto Di Cosmo, Christophe Espern, Sam Hocevar, Antoine Moreau, Tristan Nitot, Valentin Lacambre, Bernard Lang, Olivier Laurelli, Jean-Marc Manach, Jean Peyratout, Bernard Stiegler, Thierry Stoehr, Jérémie Zimmermann…)

Un billet à rapprocher de celui qui rendait hommage à quelques figures marquantes du monde du Libre : Sur la place des grands hommes du logiciel libre.

Aaron Brown - CC by-nc

Top 20 du Guardian : ceux qui se battent pour un Internet libre

The Guardian’s Open 20: fighters for internet freedom

Des hommes politiques et professeurs aux informaticiens en passant par le premier programmeur, les champions de l’Internet libre. Qui avons-nous oublié ? Faites votre propre liste ici.

Anonymous

Légions, partout
(Wikipédia)

Le cri de ralliement des Anonymous – « Nous sommes Anonymes. Nous sommes Légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Redoutez-nous » (We are Anonymous. We are Legion. We do not forgive. We do not forget. Expect us) – n’est pas du goût de tout le monde, mais est certainement très connu. À l’inverse de son groupe frère Lulzsec, le collectif Anonymous est vraiment fragmenté et sans leader et a donc pu continuer malgré les arrestations du FBI qui ont paralysé Lulzsec. Les pirates ont récemment mis brièvement hors ligne le site web du ministère de l’intérieur anglais et certains des sites web les plus visités au monde en protestation contre les propositions de lois de surveillance d’internet.

Jacob Appelbaum

Militant, chercheur et développeur, Projet Tor
(Wikipédia)

Appelbaum, un chercheur en informatique à l’Université de Washington, est l’un des principaux membres du projet Tor, qui permet de garantir l’anonymat de milliers d’internautes à travers le monde. Egalement connu comme le principal défenseur du groupe, Appelbaum a attiré l’attention du public après avoir été arrêté et fouillé à de nombreuses reprises par des douaniers américains, qui lui ont confisqué son matériel électronique, après qu’il a défendu Julian Assange pendant une conférence.

Julian Assange

Éditeur en chef, WikiLeaks
(WikipédiaFramablog)

La force motrice derrière Wikileaks, Assange a coordonné la publication de documents secrets concernant les guerrres en Afghanistan et en Irak, de fichiers de prisonniers de la Baie de Guantanamo, et de 250 000 câbles diplomatiques. Assange est quelqu’un qui divise l’opinion, à cause des nombreuses polémiques qui l’entourent mais malgré cela (ou peut-être grâce à cela), il est sûrement le chef de file du mouvement pour un Internet libre et un interlocuteur important.

John Perry Barlow

Co-fondateur, Electronic Frontier Foundation
(Wikipédia)

Fondée en 1990, l’EFF se décrit elle-même comme « la première ligne de défense » lorsque les libertés numériques sont menacées. Grâce à un mélange d’action directe, d’actions en justice et de lobbying dans le milieu politique, le groupe défend la liberté d’expression et se bat contre la surveillance et les problèmes de propriété intellectuelle. L’ancien parolier des Grateful Dead est un des membres fondateurs de l’EFF et a depuis été l’un de ses plus importants porte-parole.

Sir Tim Berners-Lee

Inventeur du world wide web
(WikipédiaFramablog)

Étant l’inventeur d’une des parties les plus visible de l’Internet (le world wide web), la place de Berners-Lee dans l’histoire de l’Internet était déjà réservée. Il ne s’est cependant pas reposé sur ses lauriers: il joue un rôle important dans la promotion de l’open data jusque dans les hautes sphères des gouvernements à travers le monde, il fait également campagne contre un internet à « deux vitesses ». Il s’est aussi récemment excusé pour les deux slashes au début d’une adresse web (http://), reconnaissant qu’ils sont «?complètement inutiles?».

Heather Brooke

Journaliste et militante
(Wikipédia)

Militante pour la liberté d’information et contre la surveillance des états, Heather Brooke a eu un rôle capital dans les procès qui ont permis de réveler les abus dans le système de dépense du premier ministre britannique. Durant ses recherches sur la culture hacker et l’activisme en ligne, Brooke s’est procuré les câbles diplomatiques de Wikilieaks et a été l’une des journalistes à travailler sur le projet. Elle siège au conseil de l’Open Rights Group et elle est professeur en résidence à la City University de Londres.

Bram Cohen

Scientifique en chef, BitTorrent
(Wikipédia)

Bram Cohen n’est pas un homme populaire à Hollywood. Cohen a non seulement inventé la technologie du peer-to-peer qui est derrière le réseau BitTorrent, mais a également mis au point le logiciel qui permet aux utilisateurs de partager leurs fichiers. La technologie revendique plus de 100 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, téléchargeant à peu près 400 000 fichiers chaque jour – quelques-uns sont légaux, mais pour beaucoup, il s’agit de films, musiques et programmes télé protégés par le droit d’auteur.

Rickard Falkvinge

Fondateur, le parti Pirate
(WikipédiaFramablog)

Falkvinge a fondé le parti Pirate Suédois en 2006 afin de se concentrer sur la réforme des lois sur le droit d’auteur, les brevets et le partage de fichiers. Le parti a maintenant une présence souvent marginale dans 22 pays, voire significative en Suède, où il dispose de deux députés européens, ainsi qu’en Allemagne, où il est la troisième force politique du pays.

Birgitta Jonsdottir

Membre du Parlement, The Movement, Islande
(Wikipédia)

Une poètesse et militante devenue femme politique, Jonsdottir est élue au parlement islandais depuis 2009. Principalement connue pour son rôle dans la diffusion de la vidéo WikiLeaks Collateral Murder au grand public, Jonsdottir a également eu un rôle prépondérant dans l’effort qu’a fait l’Islande pour être un paradis de la liberté d’expression, et c’est l’une des plaignantes dans les poursuites contre le gouvernement américain concernant les pouvoirs de surveillance que permet la loi NDAA.

Dr Susan Landau

Chercheur en cyber-sécurité, Membre de Guggenheim
(Wikipédia)

Susan Landau est professeur invitée du département de sciences informatiques de l’Université d’Harvard avec plus de 30 ans de publications sur la cyber-sécurité, la surveillance et la cryptographie derrière elle. Elle milite pour le respect de la vie privée des utilisateurs et dénonce les systèmes de surveillance installés sur les canaux de communication. Elle combat également pour la cause des femmes dans les sciences, et dirige la mailing list ResearcHers. Elle a gagné le prix Women of Vision social impact en 2008.

Lawrence Lessig

Fondateur, Creative Commons
(WikipédiaFramablog)

Tandis que que beaucoup d’hacktivistes se contentent simplement d’ignorer les lois et en risquent donc les conséquences, Lawrence Lessig a suivi une approche plus douce, en introduisant un type de licence qui autorise le partage de contenu sans crainte de poursuites. Les personnes qui créent des œuvres qui devraient normalement être soumises au droit d’auteur peuvent utiliser les licences Creative Commons (CC) qui autorisent une ré-utilisation libre, en y adjoignant une clause d’usage non-commercial ou de non-modification s’ils le souhaitent. Plus de 100 millions d’images sont déjà disponibles sur internet sous licences Creative Commons.

Ada Lovelace

Programmeuse
(Wikipédia)

Ada Lovelace, morte en 1852, sert d’inspiration à un internet libre. Lovelace travaillait avec Charles Babbage sur sa machine analytique, a écrit certains des premiers programmes informatiques, et elle est donc considérée comme la première programmeuse d’ordinateur. À l’opposé de Babbage, elle avait compris le rôle que pourraient jouer les ordinateurs pour faire de la musique, de l’art et plus encore. Ces dernières années, le jour Ada Lovelace est devenu une institution sur Internet, promouvant le rôle des femmes dans les sciences et technologies, et modifiant la vision que l’on a d’elles dans les médias.

Alex MacGillivray

Conseiller Général, Twitter
(Wikipédia)

Alex MacGillivray, l’avocat général de Twitter, est celui a qui l’on attribue le mantra de l’entreprise « la branche liberté d’expression du parti de la liberté d’expression » (the free-speech wing of the free-speech party), et a joué un rôle important dans les efforts qu’a faits le site pour rester le plus transparent possible sans pour autant se rendre hors-la-loi. Ses récents efforts en vue de limiter la censure non plus au niveau planétaire mais pays par pays, ont d’abord provoqué une fronde mais ont finalement été vus par beaucoup comme une façon habile de n’adopter que le minimum des restrictions exigées par la législation.

Clay Shirky

Ecrivain, professeur assistant à l’Université de New York
(WikipédiaFramablog)

Clay Shirky a été l’un des premiers ardents défenseurs du crowdsourcing, de la collaboration et de l’aggrégation de contenus et du journalisme en ligne, et donc des institutions ouvertes nécessaires à leur développement. Shirky encourage des institutions à se remettre en question dans un monde toujours plus connecté, et il est crédité comme l’une des personnes qui a inspiré la politique de journalisme ouvert du Guardian.

Richard Stallman

Fondateur, Free Software Foundation
(WikipédiaFramablog)

L’un des défenseurs les plus ardents du logiciel libre (et non open source, terme qu’il déteste), Stallman fait le tour du monde afin de montrer les avantages qu’apportent des logiciels libres d’utilisation et libres de modification. Cependant, Stallman est davantage qu’un porte-parole, il est également l’un des principaux programmeurs de GNU (un système d’exploitation qu’il a mis au point).

Peter Sunde

Co-foundateur, Pirate Bay
(WikipédiaFramablog)

Peter Sunde était une des personnes responsables de Pirate Bay, un moteur de recherche permettant l’accès à plus de 4 millions de fichiers sur le réseau BitTorrent, et un portail clé pour toute personne échangeant des fichiers. Le site a longtemps évité les tentatives de la justice pour l’interdire, mais Sunde est déjà passé à autre chose, en fondant Flattr, un site de micro-paiement qui a pour but de rétribuer financièrement et volontairement les sites indépendants et les blogs. Pendant ce temps, Pirate Bay prétend mettre au point des serveurs embarqués sur des drones, afin de s’assurer que le gouvernement ne sera jamais capable de les déconnecter.

Aaron Swartz

Programmeur, militant
(Wikipédia)

Si un vendeur sur un marché tunisien a lancé le printemps arabe, il est peut être juste de créditer Aaron Swartz d’avoir lancé le «?printemps universitaire?», si les accusations le concernant s’avèrent fondées. Swartz est accusé d’avoir téléchargé plus de 4 millions d’articles universitaires du site JSTOR afin d’améliorer l’accès à la littérature savante. Après son inculpation, et alors qu’il se dit innocent, d’autres personnes ont commencé à partager des milliers de papiers sur le net sans aucune permission. Maintenant, l’accès aux publications universitaires est en train d’être libéré par des moyens légaux et de plus en plus rapidement, avec comme principal appui financier le Wellcome Trust, et certains ministres du Royaume Uni qui soutiennent maintenant le libre accès.

Professeur Sebastian Thrun

Fondateur, Udacity
(Wikipédia)

Le professeur Thrun n’était pas un homme qui avait à se soucier de son prochain salaire?: en tant que professeur permanent en intelligence artificielle à la prestigieuse Stanford University, il avait un poste à vie. Non satisfait d’enseigner à un nombre restreint d’étudiants, il a donné accès à ses cours en ligne gratuitement, à travers un site nommé Udacity. La première année, plus de 140 000 étudiants se sont inscrits à ses cours.

Linus Torvalds

Architecte en chef, Linux
(WikipédiaFramablog)

Pour ceux qui ne seraient pas désireux d’avoir à choisir entre Microsoft Windows et Apple Mac OSX, une alternative libre existe, qui s’accompagne d’une valeur ajoutée (pour les programmeurs) : elle est ouverte aux modifications et personnalisations, cette alternative c’est Linux. Linus Torvalds est un développeur Finno-Américain qui a démarré ce projet, et a depuis lors montré la voie à de nombreuses distributions en tant que défenseur de l’open source et des logiciels libres.

Jimmy Wales

Fondateur et membre du Board, Fondation Wikimedia
(WikipédiaFramablog)

Jimmy Wales est l’homme derrière Wikipédia, la plus grosse encyclopédie au monde (avec 21 millions d’articles), rédigé exclusivement par des bénévoles, grâce à son système d’édition ouvert. De plus, Wales a récemment gagné en légitimité en matière d’Internet ouvert en encourageant le comité du site à sortir de sa politique habituelle de neutralité afin d’organiser un black-out d’une journée de la version anglophone du site, en réponse à la proposition de loi SOPA contre la piraterie.

Qui avons-nous oublié ? Faites-le nous savoir en proposant vos propres choix dans les commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Aaron Brown (Creative Commons By-Nc)




Lire, écrire, compter et coder ? Faut pas déconner !

L’informatique est de plus en plus présente dans nos vies et globalement toujours aussi absente dans l’éducation. Résultat, une sorte de frénésie s’est emparée de la plupart des observateurs : il faut apprendre à la société à coder !

Le Framablog n’est d’ailleurs pas le dernier à participer au mouvement :

Une voix discordante vient cependant de se faire entendre récemment en suscitant de nombreuses réactions.

Une voix de l’intérieur, puisqu’il s’agit de Jeff Atwood, développeur de renom[1].

One Laptop per Child - CC by

N’apprenez pas à coder, merci.

Please Don’t Learn to Code

Jeff Atwood – 15 mai 2012 – CodingHorror.com
(Traduction Framalang : Goofy)

Le nouveau mantra « tout le monde devrait apprendre à programmer » a pris des proportions tellement incontrôlables ces derniers temps que même le maire de New York a pris cette résolution du nouvel an.

Tweet - Mike Bloomberg

Voilà certes une noble déclaration propre à engranger les suffrages de la communauté techno de NYC, mais si le maire de la ville de New York a vraiment besoin de tricoter du code JavaScript pour faire son travail, c’est un symptôme de grave maladie pour la vie politique de l’état de New York. Même si M. Bloomberg se mettait vraiment à «apprendre à coder », que Adam Vandenberg me pardonne cet emprunt, je crois qu’on aboutirait à quelque chose comme :

10 PRINT "JE SUIS LE MAIRE"
20 GOTO 10

Heureusement, les risques qu’une telle prouesse technologique se produise sont proches de zéro, et pour une bonne et simple raison : le maire de New York passera plutôt son temps à faire le travail pour lequel les contribuables le paient, et c’est tant mieux. Selon la page d’accueil du secrétariat du maire, il s’agit de lutter contre l’absentéisme scolaire, pour l’amélioration des services de transports en commun, pour l’équilibre de budget municipal en 2013 et… dois-je vraiment poursuivre ?

Je m’adresse à ceux qui prétendent que savoir programmer est une compétence essentielle que nous devrions enseigner à nos enfants, au même titre que lire, écrire et compter. Pourriez-vous m’expliquer en quoi Micheal Bloomberg accomplirait mieux sa tâche quotidienne à la tête de la plus grande ville des USA s’il se réveillait un beau matin en étant devenu un petit génie de la programmation en Java ? Il me semble évident qu’être un lecteur averti, un écrivain talentueux, et posséder le minimum requis en mathématiques sont essentiels à l’exécution du travail d’un politicien. Et à n’importe quel autre emploi du reste. Ça l’est beaucoup moins pour ce qui concerne la maîtrise des variables, des fonctions, des pointeurs ou de la récursivité,

Attendez, j’adore programmer. Je suis également convaincu que la programmation c’est important… mais dans le contexte adéquat, et pour certaines personnes. Tout comme un grand nombre de compétences. Je n’inciterais pas tout le monde à apprendre la programmation, pas plus que je ne pousserais tout le monde à apprendre la plomberie. Ce serait ridicule, non ?

Plumbers

La mode du « tout le monde devrait apprendre à coder » n’est pas seulement néfaste parce qu’elle met la programmation sur un pied d’égalité avec d’autres compétences comme la lecture, l’écriture et le calcul. Selon moi, elle est mauvaise pour un grand nombre d’autres raisons.

  • Elle part du postulat que le monde entier désire ardemment davantage de code. En trente ans de carrière comme programmeur, j’ai constaté que… ce n’est pas le cas. Devriez-vous apprendre à écrire du code ? Non, je n’en démords pas. Vous devriez apprendre à écrire le moins de code possible. Et même pas de code du tout, idéalement.
  • Elle présuppose que la programmation est un but en soi. Les développeurs de logiciels ont tendance à devenir des drogués de la programmation qui croient que leur travail consiste à écrire du code. Ils se trompent. Leur travail consiste à résoudre des problèmes. Ne célébrez pas la création de code, célébrez la mise au point de solutions. Nous avons déjà une pléthore de codeurs complètement accros à l’idée d’ajouter encore une ligne de code.
  • Elle met la charrue avant les bœufs. Avant de vous précipiter pour apprendre à coder, analysez soigneusement la nature exacte de votre problème. Avez-vous seulement un problème, au fait ? Êtes-vous capable de l’expliquer à d’autres de manière compréhensible ? Avez-vous mené une recherche approfondie des possibles solutions à ce problème ? La programmation permet-elle de résoudre le problème ? En êtes-vous sûr ?
  • Elle suppose qu’il existe une cloison mobile de l’épaisseur d’une feuille à cigarette entre apprendre à programmer et en faire une activité professionnelle rémunérée. Regardez un peu ces nouveaux programmeurs à qui l’on propose des emplois payés sur la base de $79k/an (NdT : environ 62 000 euros) après avoir assisté à une simple session d’entraînement de deux mois et demi ! Vous pouvez même apprendre le Perl par vous-même en 24 heures ! Certes j’adore que la programmation soit un domaine égalitaire dans lequel les diplômes et les certifications sont sans objet en regard de l’expérience, mais il va bien falloir vous y plonger pendant dix mille heures comme nous tous.

Je suppose que je peux accepter l’idée qu’apprendre un peu de programmation vous permet de savoir reconnaître ce qu’est le code, et quand le code peut être un moyen adéquat d’aborder un problème que vous rencontrez. Mais je peux aussi bien repérer des problèmes de plomberie quand j’en vois sans avoir bénéficié d’une formation spécifique dans ce domaine. La population au sens large (et ses dirigeants politiques) tirerait probablement le meilleur profit d’une meilleure compréhension du fonctionnement d’un ordinateur et d’Internet. Être capable de se débrouiller avec Internet est devenu une compétence vitale de base, et c’est ce qui devrait être notre obejctif principal prioritaire, avant de nous jeter à corps perdu dans la programmation.

Merci de ne pas argumenter en faveur de l’apprentissage de la programmation pour le plaisir d’apprendre à programmer. Ou pire encore pour le nombre de zéros sur le bulletin de paie. Je suggère humblement que nous passions plutôt du temps à apprendre à…

  • Mener des recherches avec avidité, et comprendre comment fonctionnent les choses autour de nous à un niveau basique.
  • Communiquer efficacement avec les autres êtres humains.

Voilà des compétences qui vont bien au-delà de la pure programmation et qui vous aideront dans toutes les circonstances de votre vie.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)




Et si l’on pouvait enfin choisir son système d’exploitation ?

Est-ce le moment pour OSchoice.eu ?

BrowserChoice.eu, aussi appelé ballot screen ou écran de choix du navigateur, est un site web de Microsoft permettant de choisir son navigateur Web, lancé en février 2010.

Il est le résultat d’un procès intenté par l’Union européenne à Microsoft pour abus de position dominante.

À l’installation d’un système d’exploitation de Microsoft dans l’Union européenne, ou par le biais d’une mise à jour pour ceux installés avant l’apparition de BrowserChoice.eu, une fenêtre s’ouvre (une icône sur le bureau apparaît si elle est fermée), affichant une page web permettant de choisir parmi 12 navigateurs.

Et si, mettant fin une fois pour toute à la vente liée, il en allait de même pour les systèmes d’exploitation et qu’on nous donnait le choix entre Windows, Mac ou GNU/Linux au démarrage de l’ordinateur que nous venons d’acheter ?

Ceci est la traduction d’un article de Jacopo Nespolo paru dans FreeSoftwareMagazine
Traduction : Lolo le 13, Cédric Corazza, e-Jim, Eric/DonRico

Est-ce le moment pour OSchoice.eu ?

Dans mon article précédent, j’ai exposé l’histoire de la décision du Commission européenne à propos de la concurrence contre Microsoft Corporation qui a conclu par la mise en ligne du site browserchoice.eu pour permettre au consommateur de choisir librement son navigateur. Cependant, ce n’est pas suffisant. L’origine du problème se trouve dans le fait que la plupart des PC du marché sont vendus liés avec un seul système d’exploitation : Microsoft Windows.

Je vais tenter d’analyser comment dans cet environnement de concurrence quasi inexistante un site tel que OSchoice.eu pourrait changer la donne.

Introduction

Même si j’apprécie les efforts que la Commission a faits en vue de libérer le marché des pratiques anti-concurrentielles, je trouve que dans son approche du marché des ordinateurs personnels, elle a fait une grosse erreur : elle a cherché une solution aux effets, sans se préoccuper de la cause. Selon moi, le problème ne réside pas dans le fait que Windows Media Player ou Internet Explorer soit incorporé dans Windows, mais bien que Windows lui-même soit incorporé dans presque chaque PC. En six années d’utilisation de GNU/Linux comme seul système d’exploitation, j’ai rencontré beaucoup de difficultés et de frustrations à vouloir acheter un ordinateur —et c’est particulièrement le cas pour les portables et les netbooks— sans payer une licence Windows.

Jusqu’à présent, la Commission européenne a cherché une solution aux effets, sans se préoccuper de la cause

Il est intéressant de noter qu’un juge de la Cour de Florence, en Italie, a donné gain de cause à un utilisateur qui réclamait depuis longtemps à HP le remboursement d’une licence Windows qu’il n’utilisait pas. Des jugements similaires ont été rendus en France contre Asus et Acer1 et dans d’autres pays. Je ne suis pas certain que ces décisions soient encore en application aujourd’hui, car Microsoft a depuis mis à jour son Contrat de Licence à l’Utilisateur Final (CLUF). En effet, le CLUF de Microsoft Windows 7 indique qu’en cas des désaccord sur les termes du contrat, l’utilisateur doit « contacte[r] le fabricant ou l’installateur pour connaître les modalités de retour des produits (…) [et se] conformer à ces modalités qui peuvent restreindre vos droits ou exiger que vous retourniez l’ensemble du système sur lequel le logiciel est installé »2. Il faut également souligner que le prix réel que le consommateur paie pour une licence OEM de Windows est inconnu, puisque les factures de PC ne reprennent pas le prix des différents composants. De telles conditions de licences sont une grossière violation des droits des consommateurs, et ont pour conséquence l’impossibilité de fait d’acheter un grand nombre de modèles de PC sans souscrire également à une licence Windows.

L’offre des détaillants en ordinateurs portables sans Windows pré-installé est extrêmement limitée et souvent restreinte à des catégories très inférieures (les ordinateurs anciens et bon marché) et très hautes du marché (les ordinateurs chers). Parmi les 571 ordinateurs portables disponibles sur le site internet de la boutique italienne eprice.it, à la date du 1er août 2011, seules 13 machines sont vendues sans le système d’exploitation Windows, c’est-à-dire avec GNU/Linux, Free Dos ou même sans aucun système préinstallé. En d’autres termes, seuls 2,3% des ordinateurs portables disponibles sur ce site marchand sont vendus sans Windows pré-installé.

D’aucuns pourraient arguer que l’offre de 2,3% des grands magasins est plus ou moins en rapport avec la part de marché de 2,8% des systèmes d’exploitation autres que Windows et Mac OS3. Je rejette cette critique car le faible niveau d’adoption peut très bien être une conséquence —et non la cause— de ne pas offrir de choix pour les systèmes d’exploitation.

De plus, Microsoft a récemment annoncé que le futur Windows 8 nécessiterait de la part des fabricants de mettre en œuvre le démarrage sécurisé pour participer à son programme de certification5. Cela pourrait potentiellement rendre les choses vraiment compliquées pour les inconditionnels de Linux qui achètent un ordinateur avec Microsoft Windows et qui installent par dessus leur distribution préférée, car l’ordinateur pourrait être verrouillé par le vendeur pour n’exécuter que le système d’exploitation avec lequel il a été vendu.

Un écran de choix pour les systèmes d’exploitation

Pour ces raisons, j’affirme qu’il est nécessaire de continuer ce que la Commission européenne a commencé, et d’exiger de la part des vendeurs le respect de notre droit de consommateur à choisir le système d’exploitation qui nous convient.

Je ne suis pas informaticien, et par conséquent pas plus un expert dans le fonctionnement des ordinateurs et des systèmes d’exploitation, mais je suis certain que la plupart d’entre nous savent lancer une distribution à partir d’un Live CD. Préparer un CD ou une clé USB «?bootable » est une tâche triviale grâce aux programmes tels que UNetbootin6. L’installation d’images peut varier grandement en taille, d’une centaine de Mo pour les installations réseau qui téléchargent des composants additionnels sur Internet, à 600 Mo pour les images CD complètes, et à plusieurs Go pour des images DVD complètes. Nous savons aussi très bien utiliser des gestionnaires de démarrage comme GNU Grub pour utiliser des PC avec plusieurs systèmes d’exploitation, ce qui est particulièrement utile quand nous sommes contraints d’utiliser un système d’exploitation spécifique (ou une de ses versions) en raison de problèmes de compatibilité d’une application.

Alors, pourquoi ne pas rassembler tous ces ingrédients et créer un « Écran de choix pour les systèmes d’exploitation » ? Imaginons pour une fois que nous entrons dans un magasin, que nous nous promenons dans les rayons pour voir les différents modèles de PC et que nous choisissons la machine que nous recherchions. Le vendeur nous félicite pour notre choix et propose de nous aider à installer le système d’exploitation : « C’est facile et cela ne prendra pas plus de 15 minutes ». Nos allumons le PC ensemble, et l’écran de choix s’affiche, ce qui pourrait ressembler à la maquette de l’illustration 1. En deux clics, et éventuellement l’achat du logiciel par carte bancaire sur Internet ou sur la même facture que le matériel avec le code d’activation, l’installation automatique s’exécute et se termine en quelques minutes. Nous remettons ensuite tout dans la boîte et nous retournons joyeusement chez nous. Les consommateurs les plus courageux remercient gentiment le vendeur et choisissent d’installer le système d’exploitation dans le confort de leur domicile.

Maquette de l'écran de choix pour les OS

Illustration 1 : Maquette de l’écran de choix des systèmes d’exploitation. Toutes les marques apparaissant sur cette image appartiennent à leurs propriétaires respectifs.

L’environnement « live » minimal, pourrait nous permettre de sélectionner le système d’exploitation dans la liste, de la même manière qu’un CD d’installation Debian nous propose l’option de choisir notre environnement de bureau. Les images d’installation pourraient être facilement stockées sur le disque dur : l’espace nécessaire à un ensemble de systèmes d’exploitation n’excéderait pas quelques Go, car des installation par le réseau suffiraient.Cet espace est en adéquation avec celui qu’utilisent la plupart des vendeurs pour les partitions de restauration que nous trouvons sur la majorité des PC. Les magasins pourraient aussi avoir un dépôt local pour des fichiers supplémentaires nécessaires destinés à terminer l’installation et accélérer le processus.

L’écran de choix pourrait être supprimé après installation ou conservé pour plus tard, au cas où le consommateur déciderait d’essayer un nouveau système d’exploitation. Les achats de logiciels ou les contrats d’assistance pourraient être affichés à l’écran et réglés au moyen de transactions électroniques.

Réponse et impact du consommateur sur le marché

Bien sûr, ce que j’ai imaginé ne peut se réaliser en une nuit, et aurait un impact important sur les relations entre les consommateurs et les revendeurs et fabricants. Plus de deux décennies avec un seul système d’exploitation ont entraîné une formidable inertie des consommateurs. Ceci amplifierait certainement « l’embarras du choix » qu’un tel écran apporterait, c’est-à-dire le dilemme d’avoir trop d’options à la fois. C’est un problème que les utilisateurs de logiciels libres connaissent bien, avoir à choisir parmi des centaines de distributions GNU/Linux, une dizaine d’environnements de bureau et tant de programmes d’alternatifs disponibles pour chaque tâche.

Il est tout à fait probable que le déploiement initial embêterait un peu les consommateurs qui ont été habitués à avoir leur nouveau PC prêt à utiliser après l’achat, sans étape intermédiaire. Il est probable qu’au début, seuls quelques-uns essaieraient quelque chose de différent, mais ils serviront de base à la constitution d’une masse critique. En fait, ces consommateurs qui seront contents de leur découverte de systèmes d’exploitation alternatifs inviteront beaucoup d’autres à franchir le pas de manière plus avisée.

Le déploiement initial embêtera sûrement les consommateurs

L’introduction de l’écran de choix pour les systèmes d’exploitation serait une autre étape majeure vers la protection des droits des consommateurs : pour la première fois les consommateurs sauraient exactement ce qu’ils paient pour le paquet de logiciels installés sur leur ordinateur. Avoir la possibilité de comparer les systèmes d’exploitation qui nécessitent un droit d’utilisation considérable à d’autres systèmes moins chers ou gratuits permettra aux consommateurs de se rendre vraiment compte de ce pour quoi ils paient, et plus important, de ce pour quoi ils veulent payer. C’est un point essentiel par rapport à l’écran de choix des navigateurs, où les logiciels proposés sont pour la plupart gratuits.

Les vendeurs de matériel et de logiciels devront investir dans l’information de leurs clients sur les avantages et les problèmes qui pourraient apparaître en choisissant un système d’exploitation plutôt qu’un autre. Les vendeurs devront être informés des différences entre les systèmes d’exploitation et, en écoutant les besoins de leurs clients, les conseilleront en restreignant les choix à une ou deux options, tout en rappelant qu’il est possible de revenir sur ce choix plus tard.

La redistribution des clients parmi les acteurs du marché conduira à plus d’investissements dans la recherche et le développement de nouvelles technologies, car cet environnement concurrentiel plus sain permettra une vraie concurrence basée sur les mérites. De plus, la présence de plusieurs acteurs sur le marché accélérera l’interopérabilité, car la compatibilité d’une application avec plusieurs systèmes d’exploitation deviendra un facteur important à considérer pour être capable d’atteindre un grand nombre de clients. Beaucoup d’emplois pourraient être créés par une telle vitalité du marché car l’interopérabilité et les standards pourraient potentiellement réduire les coûts de développement.

Il y aura bien sûr un coût initial à prendre en compte associé à la correction des problèmes de compatibilité existants et des accords sur des standards communs pour les développements futurs. Une partie considérable de ce problème est cependant déjà résolue grâce à la tendance actuelle des services Web et de l’informatique dans les nuages.

Conclusions

Les avantages de l’introduction d’un écran de choix des systèmes d’exploitation surpassent largement ses inconvénients

En dépit du fait que nous avons commencé à voir quelques ordinateurs non Windows dans les rayons, nous sommes encore loin d’un marché ouvert et non faussé. La mise en œuvre d’un équivalent de browserchoice.eu pour les systèmes d’exploitation pourrait être un moyen de stimulation de la concurrence sur les mérites et l’accélération de l’adoption des standards. Cela pourrait avoir pour conséquence la création de nouveaux emplois qui, en ces temps de stagnation économique, seraient très appréciée. Cette solution aura un coût, mais je suis certain que ses avantages, avec un accent particulier sur le respect des droits des consommateurs et sur l’incitation à l’avancée technologique, surpassent largement les inconvénients.

Remerciements

Je suis reconnaissant à Sherpya pour la discussion au sujet des outils libres de création de distributions « live ».

Références

  1. Juridiction de proximité de Puteaux. Jugement du 23 Juillet 2007, Gutzwillere vs. Acer Computer France. 23 juillet 2007.
  2. Microsoft Corporation. Microsoft Software License Terms – Windows 7 Ultimate N.
  3. J’ai obtenu ce chiffre de 2,8% en additionnant les parts de marché pour « Linux » et « Autres » dans les données de StatCounter4
  4. StatCounter. Les 5 premiers systèmes d’exploitation en Italie en juillet 2011.
  5. Thom Holwerda. OSNews. Windows 8 Requires Secure Boot, May Hinder Other Software. Sept. 21, 2011.
  6. Page Web de UNetBootin



Des e-books sans DRM ? C’est possible même chez les grands éditeurs !

L’écrivain Cory Doctorow, l’un des auteurs les plus traduits sur le Framablog, se félicite ici qu’un grand éditeur de livres numériques ose enfin faire sauter le verrou des DRMJohn Blyberg - CC by.

En espérant que d’autres suivent, ce qui va, à priori, dans le sens de l’Histoire mais qui peut prendre un certain temps tant sont grandes les résistances du vieux monde économique…

[1]

Aux éditions Tor, les livres se délivrent complètement des DRM

Tor Books goes completely DRM-free

Cory Doctorow – 24 avril 2012 – BoingBoing
(Traduction Framalang : e-Jim, Goofy)

Aujourd’hui, Tor Books, le plus important éditeur de science-fiction au monde, a annoncé que dorénavant tous ses e-books seraient complètement libres de DRM. Cette annonce fait suite à six semaines d’action antitrust contre la société-mère de Tor, Macmillan USA, poursuivie pour entente illicite sur les prix avec Apple et Amazon.

Maintenant qu’un premier éditeur de poids s’est débarrassé des DRM (et d’autres vont suivre, j’en suis convaincu ; j’ai eu des contacts avec des décideurs de haut niveau chez deux autres des six acteurs majeurs de l’édition[2]), il existe tout à coup un marché pour des outils de conversion et téléchargement automatique des e-books de différents formats et distributeurs.

Par exemple, j’espère que quelqu’un aura l’idée de créer un plugin pour navigateur qui propose un bouton « Achetez ce livre sur BN.com » sur les pages d’Amazon (et réciproquement) , ce qui faciliterait la conversion automatique entre les formats. J’aimerais aussi que BN.com élabore un « kit de transfert » pour les propriétaires de Kindle qui voudraient adopter un Nook et vice-versa.

Je crois que ça pourrait être le grand tournant pour les ebooks sous DRM, le moment décisif à partir duquel tous les ebooks seront finalement libérés des DRM. Voilà une bonne journée.

Tom Doherty Associates, du groupe des éditions Tor, Forge, Orb, Starscape et Tor Teen, a annoncé aujourd’hui que début juillet 2012, la totalité de leur catalogue d’ebooks serait disponible sans DRM.

« Nos auteurs et nos lecteurs l’ont réclamé depuis longtemps », a déclaré l’éditeur et président Tom Doherty. « C’est un public techniquement très averti, et à leurs yeux les DRM sont une source constante de tracas. Ces verrous les empêchent d’utiliser de façon parfaitement légale des ebooks acquis tout aussi légalement, par exemple en les déplaçant d’un type de liseuse à l’autre ».

Les ouvrages sans DRM de Tom Doherty Associates seront disponibles chez les principaux détaillants qui vendent aujourd’hui des ebooks. De plus, l’entreprise espère lancer la vente de titres par des détaillants qui ne proposent que des ebooks sans DRM.

Notes

[1] Crédit photo : John Blyberg (Creative Commons By)

[2] Hachette, Macmillan, Penguin Group, HarperCollins, Random House et Simon & Schuster




DRM et e-book : la preuve par l’absurde

La gestion des droits numériques ou (DRM) a pour objectif de contrôler par des mesures techniques de protection, l’utilisation qui est faite des œuvres numériques, nous dit Wikipédia. Dans la pratique il s’agit surtout ici de rendre artificiellement sa rareté à un produit culturel qui se diffusait auparavant sur support physique (disque, dvd, livre…) afin, pense-t-on, de lui conférer ainsi une plus grande valeur commerciale.

Le problème c’est que le contrôle finit toujours par compliquer la tâche de l’utilisateur qui avant même de songer à partager souhaite juste jouir de son bien sur le périphérique de son choix (ordinateur, lecteur, baladeur, smartphone…). On ne sait plus trop alors ce qu’on achète finalement car on est plus dans la location temporaire fortement balisée que dans la propriété sans entrave[1].

Et d’aboutir à ce témoignage absurde et révélateur où ce sont ceux-là mêmes qui placent les DRM qui décident de tenter illégalement de s’en débarrasser une fois passés de l’autre côté de la barrière, c’est-à-dire simple client.

La mémoire étant courte, et les mêmes causes produisant les mêmes effets on attend avec impatience le Napster ou le Megaupload du livre numérique

PS : Chez Framabook non seulement il n’y a pas de DRM mais la version électronique des livres est librement téléchargeable sur le site du projet 🙂

Daniel Sancho - CC by

« Pourquoi je casse les DRM sur mes e-books » : un cadre du monde de l’édition s’exprime

“Why I break DRM on e-books”: A publishing exec speaks out

Laura Hazard Owen – 24 avril 2012 – paidContent.org
(Traduction Framalang : e-Jim, Evpok, Goofy)

Les appels aux poids lourds de l’édition pour qu’ils abandonnent les DRM se sont multipliés ces dernières semaines, coïncidant avec le procès antitrust intenté par le Département de la Justice (NdT: à Apple et plusieurs éditeurs) pour entente sur les prix. Beaucoup d’observateurs craignent que ce procès n’ait en réalité pour effet de réduire la compétition sur le marché de l’e-book, en bétonnant la position d’Amazon comme acteur dominant ; et ils se demandent si les DRM ne sont pas simplement une arme supplémentaire de l’arsenal d’Amazon, puisqu’ils enferment les consommateurs dans leur Kindle Store.

Emily Gould et Ruth Curry, de la librairie électronique indépendante Emily Books ont estimé dans nos colonnes que les DRM étouffent les libraires en ligne indépendants. Et la vice-présidente d’Hachette Digital, Maja Thomas, a récemment décrit les DRM comme des « ralentisseurs » n’empêchant pas le piratage.

Pourtant il pourrait se passer un sacré bout de temps entre ce débat et le moment où la première des grosses pointures de l’édition supprimera effectivement les DRM de ses e-books.Pour l’instant, de nombreux lecteurs savent qu’ils peuvent télécharger des outils gratuits qui leur permettent de lire un livre provenant de chez Barnes & Nobles sur un Kindle, ou un ouvrage issu de l’iBookstore d’Apple sur un Nook, ou encore un Google book sur un Kobo. J’ai utilisé ces outils. J’ai récemment acheté un Google book sur le site d’une librairie indépendante, cassé les DRM, et l’ai converti pour pouvoir le lire sur mon Kindle.

Récemment, j’ai commencé à discuter de ce problème avec un cadre de l’industrie de l’édition. Cette personne, appelons-là Cadre, voulait apprendre comment casser les DRM des e-books. Environ un mois plus tard, Cadre était converti et désireux de témoigner de son expérience, à la condition que son anonymat soit préservé. Je ne pense pas que Cadre soit la seule personne dans l’industrie de l’édition à casser les DRM des livres qu’elle achète… et celles qui ne le font pas encore pourraient être tentées d’essayer, ne serait-ce que pour voir ce que les lecteurs endurent.

Voici son histoire :

« J’en arrivais à la conclusion que je voulais commencer à casser les DRM sur les e-books que j’achetais afin de pouvoir les lire sur n’importe quelle liseuse, mais ce qui m’a fait franchir le pas, c’est un formidable article intitulé Cutting their own throats (NdT: Ils se coupent eux-même la gorge) que l’auteur de science-fiction Charlie Stross a publié sur son blog. Il y soutient que les DRM sont une façon pour tous les Amazon du monde d’enchaîner les utilisateurs à leur plateforme.

À l’époque, j’avais déjà acheté plusieurs dizaines d’e-books chez Amazon, et comme les plateformes importantes avaient toutes des applications Kindle, je ne me sentais pas enfermé. Mais qu’arriverait-il si Amazon décidait de ne pas prendre en charge une plateforme particulière. Ou si de nouvelles fonctions étaient rendues disponibles pour les liseuses Kindles, mais pas pour les applications ?

J’avais aussi acheté un e-book chez Apple, et j’avais vite compris que les options étaient encore plus limitées. On ne verra pas d’application iBook pour Android de sitôt, par exemple. J’ai décidé qu’il était temps pour moi de reprendre le contrôle, et d’empêcher les vendeurs de me limiter.

J’avais déjà pensé à casser les DRM, mais je n’avais jamais sauté le pas. La raison principale était que je ne voulais pas bafouer les droits des éditeurs. Mais en y pensant à deux fois, j’ai réalisé que puisque j’avais acheté ce livre,il était légitime de vouloir le lire sur l’appareil de mon choix.

Je veux qu’il soit bien clair que je ne partage ces livres avec personne. Ils sont juste destinés à mon usage personnel. Je n’en fais pas de torrents et je ne les partage ni avec ma famille, ni avec mes amis.

Je pense que c’est justifié : quand j’achète un livre à Amazon, j’achète en fait une licence, pas le contenu. C’est assez stupide d’ailleurs. J’ai l’impression que les vendeurs d’e-books se servent de cet argument pour forcer l’utilisation des DRM et décourager les éditeurs qui les refusent. Je ne veux pas dire où je travaille, ou quoi que ce soit à propos de ma société, mais je peux dire que je ne pense pas que les DRM soient une bonne chose, ni pour l’éditeur, ni pour l’auteur, ni pour le lecteur. Pourquoi les éditeurs pro-DRM ne se rendent-ils pas compte que c’est la principale source de mécontentement de leurs clients ? Énormément de consommateurs me disent à juste titre que le prix des e-books devrait être plus bas puisqu’ils n’achètent qu’un accès au contenu sans en être propriétaire. Cette situation doit changer.

En pratique, casser les DRM est assez simple. Il y a quantité de tutoriels, qui ne demandent qu’une simple recherche Google pour les trouver. J’ai ainsi déverrouillé des livres d’Amazon et Apple. Il y eut bien apparition de quelques bugs mineurs mais là encore Internet et quelques amis de confiance m’ont facilement permis de les résoudre. Ces livres sont maintenant lisibles sur tous les appareils que je veux. Mon conseil aux petits nouveaux est de surtout ne pas renoncer. Si vous rencontrez un problème, regardez autour de vous, je suis sûr que vous trouverez la réponse sur le web. La plupart des lecteurs peuvent y arriver facilement. Il faut juste être préparé à mener l’enquête, et ne pas renoncer devant les difficultés.

Est-ce que je me sens coupable ? Non, pas vraiment. Si je distribuais ces livres, oui ; mais je suis le seul à m’en servir.

Je ne sais pas si d’autres éditeurs le font. Mais je suis certain que, comme moi, ils préfèrent que cela reste confidentiel. Et je pense que tous devraient essayer, pour voir quel gâchis sont les DRM. En l’espace de quinze minutes, n’importe qui peut déverrouiller n’importe quel e-book.

Depuis un mois, casser les DRM fait partie de ma routine d’e-lecteur. Je ne me pose même plus la question de savoir si je peux lire mes livres sur une autre plateforme. Je peux le faire. À partir de maintenant, je déverrouillerai tous les livres que j’achète. »

Notes

[1] Crédit photo : Daniel Sancho (Creative Commons By)




Sommes-nous en train de tuer l’Internet ?

Tristan Louis se définit lui-même sur son site comme un vétéran d’Internet, ce que confirme son article Wikipédia. Il sait donc de quoi il parle lorsqu’il décide aujourd’hui de sonner l’alarme.

Les réseaux sociaux, les applications pour mobile… participent à un dangereux mouvement de fermeture[1]. Il faut tout faire pour ne pas avoir à dire dans quelques années : « l’Internet, c’était mieux avant ! ».

The U.S. Army - CC by

J’ai tué Internet

I killed the Internet

Tristan Louis – 3 mars 2012 – TNL.net
(Traduction Framalang/Twittica : Evpok, @Thb0c, @KarmaSama,Giljåm, @nico3333fr,@0ri0nS, M0tty, LGr, Gatitac, HgO)

J’ai tué Internet.

Ce n’était pas volontaire, mais c’est le résultat direct de mes actes. Je vais vous raconter comment c’est arrivé.

Internet

Autrefois il y avait beaucoup de réseaux privés. À cette époque, avant l’avènement d’Internet, pour pouvoir communiquer avec les utilisateurs d’un service en particulier, il fallait y être inscrit. Chaque service gérait ses propres silos[2] et avait sa propre culture : certains étaient spécialisés dans les affaires (par exemple CompuServe), d’autres se concentraient sur les consommateurs (comme AOL) ; certains étaient soutenus par de grandes entreprises (comme Prodigy), d’autres par de nouveaux arrivants dans le monde de l’informatique (comme eWorld). Mais aucun d’entre eux ne communiquait réellement avec les autres.

Pendant ce temps, une technologie de type et d’approche différente émergeait lentement. Issues de la peur durant la guerre froide que les communications centralisées puissent être coupées si une bombe nucléaire détruisait les serveurs hébergeant les communications. Les technologies d’Internet ont été conçues pour créer des connexions entre les différents réseaux, permettant de voyager d’un réseau à un autre sans rencontrer d’obstacle (d’où le terme inter-net qui signifie entre les réseaux). En cours de route, cela a également généré une philosophie différente : afin de participer au réseau et de voir d’autres réseaux transporter du trafic à partir et vers le vôtre, vous deviez accepter de faire la même chose pour tous les autres réseaux, sans discrimination, quelles que soient l’origine et la nature du trafic sur ce réseau.

Internet se développa d’abord en tant que projet militaire, mais la recherche était faite par des entreprises privées en partenariat avec des universités. Ainsi, ces ensembles commencèrent à s’interconnecter à la fin des années 60 et les ingénieurs ajoutèrent de plus en plus de technologies au réseau, le rendant de plus en plus utile, passant de l’échange de fichiers à la gestion de courriels, de groupes de discussion et finalement au web.

Quand Tim Berners-Lee a inventé le web, il n’a pas voulu le faire breveter, il a préféré partager son invention du http, des navigateurs, des serveurs web et du HTML avec le reste de la communauté Internet (c’est du reste assez incroyable qu’il ait inventé et présenté tous ces composants en même temps). Au fil des ans, la communauté les a améliorés, et a partagé ces améliorations avec le reste d’Internet. Ceux qui décidaient de construire des modèles propriétaires pour leurs services étaient en général méprisés et leurs idées n’avaient que peu de succès.

L’âge d’or

En ajoutant une couche graphique – le world wide web – à Internet, celui-ci a commencé à croître de plus en plus vite, forçant tous les silos à s’ouvrir ou à mourir. CompuServe a été le premier, suivi d’AOL et de Prodigy. La facilité d’utilisation d’AOL a permis à des millions de personnes d’accéder aux ressources d’Internet, alors que les difficultés techniques de l’utilisation de CompuServe l’ont perdu (ce qui a conduit à son acquisition par AOL) et l’arrivée tardive de Prodigy dans le monde d’Internet l’a rendu vulnérable à une acquisition par Yahoo, qui a fini par tous les supplanter.

Les deux décennies suivantes ont fait passer Internet d’un lieu où traînaient seulement des geeks au système de communication incontournable que nous connaissons aujourd’hui. En 1995, AT&T lança un forfait Internet appelé Worldnet, qui força tous les fournisseurs d’accès à se convertir au modèle d’accès Internet illimité à prix unique. Cette innovation avait pour but non seulement de se différencier mais aussi d’étouffer les concurrents d’AT&T car celui-ci possédait déjà une infrastructure suffisante pour s’assurer que le trafic lui coûterait moins cher qu’à tout autre FAI.

Entre-temps, plusieurs services ont fourni une infrastructure peu coûteuse pour héberger un site web, permettant à n’importe qui ayant un minimum de connaissances de créer un nom de domaine et de proposer ses produits en ligne. Dans cet environnement équitable, l’argent n’était pas un problème pour démarrer, et un site comme TNL.net (NdT : celui de l’auteur) avait les mêmes droits sur Internet que les plus grandes entreprises comme IBM, Gen­eral Electrics, Esso, ou Microsoft.

Dès lors, à partir de 1995, la logique d’Internet se retrouva fondée sur deux principes : toutes les ressources étaient disponibles pour tous à un prix unique et ceux qui avaient la volonté de travailler dur pouvaient réussir et, de là, construire une entreprise florissante.

De sombres nuages

Mais ces beaux jours ne sont jamais assez loin pour des gens qui préfèrent que l’équilibre des forces penche en leur faveur. Innocemment au début, mais de plus en plus souvent, de nouveaux silos ont commencé à apparaître.

Au début, ces silos semblaient inoffensifs parce qu’ils étaient petits et que le reste d’Internet était bien plus gros qu’eux. Mais à l’instar d’un petit trou dans un barrage qui, au départ, semble bénin, la pression commença à monter et au final conduisit à l’augmentation du nombre de zones autour d’Internet où le trafic ne passait que dans un sens, vers ces communautés, mais sans jamais en revenir. Par exemple, sur Facebook, ce qui suit est devenu plus courant quand on nous signale quelque chose sur le net :

I killed Internet

En d’autres termes, Facebook a jugé préférable d’intercepter le lien externe en essayant de vous faire installer une application qui vous ferait rester dans leur pré carré, comme souvent avec les applications qui permettent d’accèder aux réseaux sociaux :

I killed Internet

À chaque fois que quelqu’un installe l’une de ces applications, il déplace tout partage qu’il a de son histoire de ce site vers les silos1 privés de Facebook. Maintenant, vous avez deux options quand vous cliquez sur un lien : soit vous installez l’application et ainsi vous prenez une part active au lent démentelement d’Internet, soit vous décidez de ne pas lire cette histoire. Facebook a pleinement réussi à faire en sorte que partager un lien en dehors de Facebook soit si difficile qu’il s’assure que le trafic ne va jamais aller que vers Facebook.

Mais ce n’est pas que l’apanage de Facebook. Par exemple quand je reçois un message LinkedIn, on me demande de cliquer sur un lien « Voir/Répondre à ce message ». Pourquoi donc ? Ce message est dans ma boîte-mail, je peux le lire en entier, et je peux y répondre en cliquant sur le bouton « Répondre » de mon client mail :

I killed Internet

Ce lien est utile pour LinkedIn, pas pour moi en tant qu’utilisateur, puisque toutes les fonctionalités dont j’ai besoin sont juste là, dans mon client mail.

Autre exemple, prenons Path, le nouveau meilleur ami des réseaux sociaux. Path est un réseau social pour mobiles (pensez à Facebook pour votre smartphone) et son site propose un bouton pour se connecter (pour en savoir plus sur la raison de l’absence de liens vers Path dans cette entrée, voir « Allez-vous le ressuciter ? » plus bas). Mais quand vous vous connectez, l’univers de Path est très limité. C’est ci-dessous, sans rire, la page où j’atterris quand je me connecte à travers leur interface web :

I killed Internet

Pas de contenu ici, au-delà de mes préférences. Je ne peux pas avoir accès aux données que j’ai créées sur mon appareil mobile, ou celles créées par d’autres personnes sur les leurs. Je ne peux pas non plus partager sur le web des choses que j’ai créées sur mon mobile… et personne ne semble trouver à y redire.

Comment j’ai tué Internet

Quand je l’ai remarqué il y a quelques mois, je n’y ai pas trop réfléchi. J’ai pensé que c’était une fonctionnalité d’une bêta qui n’avait pas encore de contenu en ligne. Et donc j’ai continué à utiliser le service. Mais finalement, l’impossibilité de partager sur le net m’a fait tiquer car j’ai réalisé que j’étais captif de Path. J’ai arrêté d’utiliser ce service.

Mais ce que je n’ai pas fait, c’est arrêter d’utiliser les nombreuses autres applications qui fonctionnaient sur mon téléphone Android (cela serait tout aussi vrai si j’avais utilisé un iPhone). J’ai continué à utiliser une application dédiée au Kin­dle d’Ama­zon, une autre pour son lecteur MP3, encore une autre pour Google Cur­rents, ou pour Drop­box, Ever­note, Face­book, Flickr, Foursquare, etc. J’étais d’accord pour obtenir seulement quelques petits morceaux du web empaquetés et prémâchées sur mon mobile. Je n’ai pas demandé à ces mêmes sites de développer une version web ouverte qui fonctionnerait dans un navigateur de façon à ce que je puisse moi-même choisir le périphérique d’accès à leur contenu.

Je n’ai pas tiqué quand j’ai eu à réinstaller ces applications sur un autre périphérique, lorsque j’en ai changé. Et quand j’ai vu qu’un de ces périphériques ne supportait pas l’application, je n’ai pas blâmé le créateur de l’application mais la plateforme pour ne pas avoir aidé le développeur. J’ai opté pour plus de fragmentation dans ce qui était disponible pour tout le monde parce je devais avoir le dernier « jouet à la mode » au lieu de demander à ce que tout le monde fasse le choix, plus difficile, de travailler ensemble.

Quand il manque une fonctionnalité au web, je ne cherche pas un moyen de régler cela en utilisant la capacité que ce materiel offre mais je m’en détourne et dis « abandonnons le web et utilisons les applications à la place ». Je n’ai pas poussé au dialogue pour trouver des solutions à l’accès ouvert aux caméras/accéléromètres/microphones/WiFi/GPS/Bluetooth. À la place je tombe dans la facilité et me concentre pour développer sur une seule plateforme (ou un petit groupe de plateformes).

À chaque fois que je suis tombé sur un silo comme Facebook, j’ai peut-être râlé mais je ne suis pas parti. En fait, j’ai publié toujours plus de contenus dessus sans me demander si je pouvais le récupérer. J’ai fait cela parce que c’était là où étaient les lecteurs, là où je pouvais avoir plus d’utilisateurs, etc.

Quand mon opérateur mobile a décidé de mettre en place un plafond sur la consommation de mon forfait illimité, je ne l’ai pas quitté parce que je devais être sur un réseau où je pouvais continuer à utiliser mon iPhone/iPad/Kindle (peu importe le périphérique). Je me suis plaint sur Twitter et j’ajoutais un billet sur Tumblr mais je suis quand même resté.

Quand les politiciens commencèrent à parler de sujets comme la neutralité du net ou d’autres acronymes bizarres comme PIPA/SOPA/ACTA/etc., je me suis battu contre ces lois mais à l’époque je n’avais pas insisté sur le fait que tout ce qui attaque Internet attaque la population et donc ébranle la démocratie.

Je pense que vous réalisez peut-être que je ne suis pas seul dans ce cas, et la vérité c’est que j’ai peut-être tué Internet… mais vous aussi.

Le ressusciterez-vous ?

Donc comment on le ramène ? Comment nous, assis sur le bord de la route, pouvons-nous aider Internet à continer de se croître comme un endroit où tout un chacun, qu’il soit une énorme entreprise ou un simple individu, ait des chances égales de développer et construire le prochain « truc génial d’Internet » ?

Bon, la façon dont je vois les choses c’est que nous combattons avec les outils qu’on a et le meilleur d’entre eux est Internet lui même… et nos portes-monnaies.

Vous voulez de l’argent ? Eh bien, dans ce cas vous devrez être ouvert. Vous voulez me faire de la publicité ? Parfait ! Faites que votre site complet soit une part d’Internet et j’arrêterai de bloquer vos publicités. Je cliquerai même sur les publicités si elles pointent vers un site internet ouvert, mais je bloquerai celles qui m’entraînent vers des silos. Vous voulez m’offrir une inscription à quelque chose ? C’est bien mais vous ne pouvez pas être indexé par les moteurs de recherche.

Vous voulez que j’installe une application ? OK, seulement si les fonctionnalités sont valables pour un internet ouvert ! Et si c’est dû à une limitation des technologies, alors expliquez-le moi et dites-moi à qui je dois me plaindre pour que s’arrêtent ces restrictions.

Vous voulez que je partage un lien vers votre application ou votre site ? D’accord, mais comment puis-je partager les liens provenant d’autres sites ou applications DANS votre application ? Comment puis-je circuler dans les deux sens (et permettre aux moteurs de recherche ou aux personnes non enregistrées de voir au moins une partie du contenu que je partage ?).

Vous êtes un fabricant de matériel informatique ? Allez-y. Mais vous devez travailler avec d’autres fabricants pour assurer que l’accès aux appareils que vous construisez via le web soit standardisé.

Vous êtes un opérateur télécom et vous avez du mal rentabiliser votre bande passante ? Peut être que nous pouvons vous aider. Partagez TOUTES vos données (anonymisées bien sûr) qui concernent le trafic et les habitudes de vos utilisateurs. Des passionnés de réseaux se feront un plaisir de travailler avec vous pour trouver des moyens d’améliorer les choses.

Vous dirigez un moteur de recherche ? Bien. Si vous trouvez que certaines pages sont cloisonnées, refusez simplement l’indexation de l’ensemble du site. Travaillez avec vos concurrents pour assurer la création d’un liste noire, semblable à la liste noire des spammeurs. Si une entreprise ne veut pas jouer le jeu, très bien, mais elle ne devrait pas alors avoir le beurre et l’argent du beurre.

Vous voulez écrire une loi relative à certains comportements néfastes sur Internet ? D’accord mais vous devez la mettre a disposition sur un site Internet public et faire en sorte que tout le monde en parle. Peut-être sous la forme d’un wiki pour permettre une bonne participation du public et assurer le meilleur dialogue possible.

Vous lancez un site sur ce sujet de l’Internet ouvert ? Eh bien tout d’abord merci ! Mais souvenez vous que l’outil dont nous disposons est Internet lui-même. Ne faites pas de lien vers les pages publiques des sites cloisonnés (fermés). En effet, il est préférable de ne pas les mentionner, néanmoins, si vous devez absolument le faire, faites en sorte qu’il soit difficile de les trouver.

Vous êtes juste un utilisateur ? Génial ! Pour commencer, il suffit juste d’exiger qu’Internet reste ouvert. Vous avez protesté lorsque SOPA a menacé Internet. Si votre opérateur Internet devient liberticide, partez pour un opérateur qui promet de rester ouvert ! Quand les politiciens tentent d’abuser d’Internet, interpellez-les ! Et quand un FAI essaye de vous limiter, barrez-vous ! Vous pouvez faire ça encore et encore. La lutte va être longue mais elle en vaut vraiment la peine.

Ne le faites pas pour moi. Ne le faites même pas seulement pour la liberté. Ne le faites pas parce les anciennes générations d’utilisateurs d’Internet se sont battues pour réaliser ce travail.

Faites-le parce que Internet est génial.
Faites-le pour les générations futures.
Faites-le pour vos amis.
Faites-le pour vous mêmes.
Faites-le pour les chatons.

Mikael Tigerstrom - CC by

Notes

[1] Crédit photos : The U.S. Army et Mikael Tigerström (Creative Commons By)

[2] Silo : Un silo est la traduction littérale de l’anglais « Information silo technologies » qui peut se traduire partiellement par « prés carrés » ou « coffre-fort », et qui fait référence à des réseaux numériques fermés qui stockent de grandes quantités d’informations de façon opaque. On ne peut y avoir accès de l’exterieur et ceux-ci ne communiquent pas avec le reste des réseaux. Les communications ne se font donc que dans un sens.