Bilan des actions de Framasoft en 2020 (hors confinement)

Nos actions sont financées par vos dons, amplifiées par vos contributions et utiles parce que vous les partagez et vous en emparez. Nous voulions donc prendre le temps de poser ici un bilan des principales actions que nous avons menées en 2020.

Car même si l’année n’est pas encore tout à fait finie, on peut d’ores et déjà voir ce que notre association (35 membres, 10 salarié·es) a fait des ressources que vous nous confiez.

À noter :

Graver les libertés dans le code

Dans le monde numérique, le code fait loi : les personnes qui dirigent le code ont le pouvoir et la responsabilité de déterminer ce qu’il sera possible de faire, ce qui sera impossible.

Voilà pourquoi nous avons pris la responsabilité de développer quelques logiciels : dans le but d’expérimenter d’autres manières d’ouvrir des possibles, pour proposer des façons alternatives d’organiser nos échanges numériques.

Coder ces logiciels en les plaçant sous licence libre, cela nous permet de limiter cet énorme pouvoir sur le code (donc sur ce qui fait loi dans nos écrans) grâce à des mécanismes de transparence, d’ouverture à la communauté et grâce à la possibilité de gouvernances alternatives.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Renforcer Framaforms pour faire rempart à Google Forms

Lorsque nous l’avons ouvert en 2016, nous n’imaginions pas que Framaforms, notre alternative à Google Forms, serait le service le plus utilisé de la campagne Dégooglisons Internet !

À l’époque, le défi était de montrer que les briques existantes du logiciel libre (ici Drupal et Webforms) permettent à des non-développeurs de bidouiller une alternative honorable à Google Forms en 14 jours de travail et en n’ajoutant que 60 lignes de code !

Depuis, des centaines de milliers de personnes se sont emparées de cet outil. Nous avons donc demandé à Théo, en stage chez nous, d’améliorer cet outil. Grâce à lui, Framaforms est passé en v1, une version qui corrige de nombreux bugs, permet l’effacement automatique des formulaires expirés et l’affichage d’une page pour contacter la personne qui a créé le formulaire.

Suite à son stage, Théo a rejoint notre équipe salariée pour quelques mois afin de poursuivre le travail sur Framaforms. La dernière version, la v1.0.3, permet d’installer le logiciel Framaforms dans d’autres langues que le français, et inclut de nombreux outils pour lutter contre le spam.

C’est peut-être un détail pour vous… Mais si vous saviez le nombre de personnes qui contactent notre support dans l’objectif de parler aux personnes qui ont créé un form.

Mobilizon, pour gérer groupes et événements hors de Facebook

Mobilizon, c’est notre outil libre et fédéré pour libérer nos événements et nos groupes des griffes de Facebook. Évoqué en décembre 2018 et financé par une collecte au printemps 2019, Mobilizon a été en développement tout au long de 2020.

Suite à un retard de développement (dû à une pandémie mondiale), la première version de Mobilizon est sortie en octobre, accompagnée d’une instance de démo, d’un site de présentation, d’une documentation complète, d’un roman photo relatant un cas d’usage, de notre instance publique (réservée aux francophones) et surtout du site Mobilizon.org pour vous aiguiller selon vos besoins, et vous y retrouver parmi tous ces outils !

Depuis la publication de cette première version, les contributions à Mobilizon sont nombreuses. Parmi elles, on peut noter une application Android (à retrouver ici sur le Playstore de Google et là sur Fdroid, le catalogue d’applications libres) réalisée par Tom79.

De nombreuses autres contributions (retours, questions, traductions, code et aide à l’installation etc.) ont fait qu’une mise à jour (la version 1.0.2) règle de nombreux bugs tout en ajoutant la possibilité de rejoindre les groupes en un clic, d’installer Mobilizon via Docker, et d’utiliser le logiciel dans 14 langues différentes.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

PeerTube, en route vers la diffusion live dans la v3

Cet été, nous avons lancé une collecte pour financer la route vers la troisième version de PeerTube, notre alternative libre et fédérée qui démocratise la diffusion de vidéos en ligne.

Alors qu’une pandémie touchait (et touche toujours) la France et le monde, nous avons choisi de casser les codes du crowdfunding, en affirmant que nous développerions les fonctionnalités annoncées pour la v3 (que l’on récolte l’argent ou non) et en laissant à qui veut la possibilité de participer au financement des 60 000 € que nous coûtera le projet.

Le pari a été réussi, puisque près de 68 000 € ont été récoltés, avec des dons importants de structures comme Octopuce, Code Lutin ou encore la Fondation Debian, qui nous offre en plus une belle reconnaissance de l’utilité de PeerTube.

Depuis juin, nous avons développé et ajouté de nombreuses fonctionnalités à PeerTube : la recherche globale des vidéos et des chaînes (disponible sur la barre de recherche des instances ainsi que sur notre moteur de recherches SepiaSearch), de nombreux outils de modération, des améliorations significatives pour les playlists, le système de plugin… la liste est longue !

La diffusion de vidéos en direct et en pair à pair est codée, mais il faut encore la tester, l’affiner… Car même si ce live sera minimaliste (pas d’outil de chat, de réactions, etc.), le plus gros du travail reste dans les détails et finitions. Nous estimons publier une version quasi-finie (la « Release Candidate » ou « RC ») à la mi-décembre et publier la v3 stable en Janvier 2021.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Décentraliser, c’est politique

Depuis le lancement de la campagne Dégooglisons Internet en 2014, l’association Framasoft travaille à :

  • sensibiliser sur les enjeux de la centralisation de nos données par des acteurs monopolistiques (GAFAM, etc.) ;
  • proposer des services alternatifs sur ses serveurs, pour démontrer que le logiciel libre offre des outils éthiques et pratiques ;
  • essaimer, diffuser ces outils afin de multiplier les options d’hébergement de services éthiques, et aider les internautes concerné·es dans leur effort d’émancipation numérique.

En 2020, nous nous sommes concentré·es sur la partie essaimage, dans l’objectif que les services proposés par Framasoft ne soient plus une solution par défaut mais bien une première marche dans son émancipation numérique.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Dégoogliser en gardant des services à taille humaine

Maintenir plus de 30 services en ligne, cela implique de suivre les mises à jour de tous les logiciels libres qui propulsent ces services, chacun développé par sa communauté, à des rythmes très variés. Cette année encore nous avons veillé à tenir à jour les services que nous proposons, avec des mises à jour notables pour Framadrive/Framagenda, Framatalk, Framaforms, Framapiaf, Framateam et ce matin même Framadate.

Plus nos services sont connus, plus ils deviennent attractifs pour les usages malveillants, dont le spam. L’inventivité des escrocs qui veulent afficher à tout prix leurs liens frauduleux est sans borne. Nous avons consacré de longs mois (et un article de ce blog) à la lutte contre les usages indésirables.

Début 2020, nous estimions qu’environ un million de personnes utilisaient nos services chaque mois. C’est beaucoup pour une petite association de 35 membres et 10 salarié·es. Comme nous l’avons expliqué dans l’article dédié à nos actions durant le premier confinement français, les besoins ont été décuplés et nous avons dû changer nos manières de faire pour accompagner vos usages.

Cela s’est concrétisé par une refonte des sites web et outils qui nous permettent d’échanger ensemble. Notre page de contact, notre page de dons, et le menu contextuel présent sur tous nos sites ont été complètement repensés. L’objectif est de vous autonomiser en vous apportant directement des réponses adaptées, et de favoriser l’entraide collective de notre forum.

Toutes ces complexités ont un point commun : la sur-utilisation de nos services par rapport à la taille de notre équipe, qui a fait le choix de modérer sa croissance. Pour compenser cela, nous allons continuer de transformer certains de nos services en portails vers les mêmes outils, mais installés chez d’autres hébergeurs de confiance, le plus souvent membres du collectif CHATONS.

Dégooglisons Internet, vu par Péhä (CC-By)

Le Collectif d’Hébergeurs Alternatifs CHATONS

Le collectif CHATONS, dont les membres proposent des services hébergés dans le respect des valeurs de leur Manifeste et des engagements de leur Charte, grandit et évolue. Framasoft y a consacré, tout au long de cette année, des heures d’animation, et la belle dynamique interne montre que cela a porté ses fruits.

Durant l’année, les CHATONS ont tenu une réunion mensuelle entre les membres disponibles, en plus des échanges sur le forum. Cela leur a permis de mieux s’organiser pour accueillir de nouveaux membres dans le collectif, pour réviser et mettre à jour la charte, ou pour alimenter la « litière », le wiki où les CHATONS partagent des informations techniques, légales, administratives, etc.

Notons que, durant le confinement français, les CHATONS ont ouvert la page « Entraide », qui donne accès à neuf services en ligne, sans inscription et hébergés de manière éthique. Cerise sur le gâteau, ces services sont décentralisés sans que vous n’ayez rien à faire : utilisez un service, et le site vous mènera aléatoirement vers un des membres du collectif qui propose cet outil.

Aujourd’hui de nombreuses actions sont en cours : des améliorations notables pour le site web chatons.org, des outils de récolte statistique dans l’objectif de valoriser ce que proposent les membres du collectif, et, bien entendu, l’accueil de la nouvelle portée des futurs membres du collectif prévue pour cette fin d’année !

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0
Edit : on nous demande où sont les stickers de ce visuel… C’est sur la boutique de David Revoy

Les partenariats dans notre archipel

Tout au long de l’année, nous avons continué à entretenir les liens qui nous unissent aux partenaires constituant notre archipel, tout en nouant de nouvelles relations.

Les échanges avec plusieurs organisations (ArtyFarty, Alternatiba, le réseau de l’Information Jeunesse, WebAssoc, LentCiné, Exodus Privacy, Designers Ethiques, l’Institut de Recherche et d’Innovation, les gilets jaunes etc.) sur leur démarche de passage à des outils libres nous font dire que de plus en plus de structures sont sensibles à la nécessité de mettre en cohérence leurs outils numériques avec les valeurs qu’elles prônent. Afin de montrer que cette mise en cohérence est possible, nous avons publié 3 billets de blogs pour documenter cette démarche et nous continuerons à le faire en 2021.

Avec certaines de ces organisations, nous allons même plus loin que les simples échanges, et nous tentons de les accompagner activement autant que nous le pouvons dans cette démarche. Par exemple nous accompagnons et soutenons la démarche du collectif InterHop qui promeut l’usage des logiciels libres dans le domaine de la santé (et sur ce vaste sujet qu’est le Health Data Hub). Nous avons fourni gracieusement pendant un an un serveur PeerTube de grosse capacité à ImagoTV. Enfin, nous travaillons directement avec Résistance à l’Agression Publicitaire sur le logiciel de pétitions libre Pytition.

De plus, sous l’impulsion du mouvement Colibris et en partenariat avec AnimaCoop et Ritimo, nous avons participé à la réalisation et à l’animation de la formation en ligne Créer un projet collectif : méthodes et outils éthiques à destination des organisations. Cette formation qui s’est déroulée du 2 novembre au 3 décembre a permis à 55 personnes de découvrir de nombreux outils collaboratifs libres. Nous avons aussi accepté avec joie de faire partie du groupe de travail du futur MOOC sur la contribution au logiciel libre qui sera produit par Telecom Paris.

Enfin, nous avons poursuivi tout au long de l’année notre partenariat avec Mélanie et Lilian qui sont en train de produire les Métacartes Numérique Éthique. Ce jeu de cartes physiques (toutes reliées à une page web) permet aux personnes qui promeuvent le numérique éthique d’expliquer des concepts, d’accompagner les usages, d’animer des discussions et de se questionner sur les critères de confiance en un outil numérique.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Émanciper par l’éducation populaire

En quelques années, Framasoft est passée de « association qui promeut le logiciel libre et sa culture » à « association d’éducation populaire aux enjeux du numérique ». Ce n’est pas anodin.

Au fil de nos expériences de dégooglisation et de décentralisation, nous avons compris qu’à nos yeux, le logiciel libre n’est pas une fin en soi : c’est un moyen (nécessaire et insuffisant) pour servir l’émancipation des humain·es qui utilisent ce logiciel. Et cela vaut pour tout outil numérique : logiciel, culturel, etc…

Nous avons pu constater, au fil de nos interventions et accompagnements, que la transmission des connaissances, des savoirs-faire et des concepts est beaucoup plus efficace lorsqu’elle advient dans une relation d’égal à égal, où chacun·e apprend de l’expérience de l’autre et sort enrichi·e de cet échange.

C’est pourquoi nous croyons que contribuer à l’émancipation numérique implique, pour nous, d’essayer d’appliquer (quand on le peut et si on y arrive) les valeurs et méthodes de l’éducation populaire.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Diffuser la culture du libre et des Communs

L’équipe de bénévoles de notre maison d’édition Framabook a publié, en mai dernier, quatre recueils de nouvelles écrits par Yann Kervran dans son univers médiéval Hexagora. Ces Qit’a (volume 1 à 4) permettent de mieux explorer ce temps des croisades que l’auteur évoque de façon si vivante. Allez sur Framabook pour vous procurer les Qit’a volume 01, volume 02, volume 03, volume 04.

C’est le quatrième volume de Grise Bouille que Framabook a publié cette année. « En quoi le profilage de code peut-il nous aider à lutter contre la fraude fiscale ? Quel est le rayon d’un atome de Savoie ? Faut-il refuser de rendre visite à des personnes qui possèdent une enceinte connectée ? La société industrielle va-t-elle bientôt s’effondrer ? » Dans ce livre, Gee répond à ces questions (et bien plus) en regroupant les BD, aquarelles et textes publiés entre juillet 2018 et septembre 2020 sur son blog grisebouille.net. L’anthologie est disponible sur Framabook.

Cette année encore, le Framablog a été très actif. Le Khryspresso, revue de web hebdomadaire concoctée par Khrys, est servi chaque lundi, et fait les joies des fidèles de ce rendez-vous informatif. Le groupe de traduction Framalang a publié de nombreuses traductions dont la série « Détruire le Capitalisme de Surveillance » de Cory Doctorow. Enfin, en décembre, nous allons dévoiler une bien belle contribution avec la lecture audio de certains articles du Framablog.

Nous avouons le plaisir de travailler de plus en plus régulièrement avec David Revoy, auteur du web comic libre Pepper & Carrot, qui produit de nombreuses illustrations pour nous. Nous avons demandé au papa de Sepia (mascotte de PeerTube) et Rȯse (mascotte de Mobilizon) de nous aider à illustrer régulièrement ce que nous faisons, comme par exemple cet article du Framablog.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Faciliter l’accompagnement au numérique éthique

C’est en février que nous avons pu publier le premier module du MOOC CHATONS : « Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle ? ». Co-conçu avec la Ligue de l’enseignement, ce cours en ligne et ouvert peut se pratiquer en toute autonomie pour découvrir comment s’est construit notre paysage numérique, comment il a été envahi et cloisonné par les géants du web, et quelles sont les pistes pour s’émanciper.

En mars, nous avons expérimenté un librecours pour acquérir les clés de la culture libre, et en particulier celles des licences libres. Que vous soyez créateur, prescriptrice, spectateur, étudiante, ou tout ça à la fois, ce cours permet de savoir comment exploiter un contenu culturel en ligne et diffuser les siens. Proposé par Stéphane Crozat (membre de Framasoft et prof à l’UTC), et animé par certain·es de nos membres, cette première expérience fut très enrichissante !

En juin dernier nous avons dévoilé [RÉSOLU]. C’est un projet hautement contributopique puisqu’il est le fruit du travail collaboratif de Framasoft, du Chaton Picasoft et de la Mission Libre-Éducation Nouvelle des CEMÉA. [RÉSOLU], c’est un ensemble de fiches didactiques, sous licence libre et aux formats PDF, web et papier… pour accompagner vers le Libre les organisations qui agissent pour l’Économie Sociale et Solidaire.

Réalisé en partenariat avec le collectif d’éducation populaire La Dérivation, l’annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre a été publié en septembre dernier. Même si ce n’est qu’un instantané, il permet de recenser les personnes, structures et organisations réalisant des accompagnements au numérique libre et de publier leurs coordonnées dans un annuaire pour celles qui le désirent.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Se parler, quelle que soit la distance

Avant que la pandémie n’éclate, nous avons été fidèles à notre habitude d’aller parler de nos sujets dans de nombreux événements. En début d’année, nous avons participé (entre autres) aux 100 ans de la société des Nations à Genève, aux WebAssembly days, au festival des libertés numériques, à un mini-village Alternatiba à Toulouse ou au café des sciences de Chambéry.

Les contribateliers sont des ateliers où l’on peut venir et contribuer au Libre sans écrire une seule ligne de code (sauf si on aime ça :p !). Alors qu’ils se sont multipliés début 2020 (Lyon, Tours, Toulouse, Paris, Nantes…), l’équipe qui les organise s’est adaptée à la pandémie et a proposé des Confinateliers. Grâce au logiciel libre de visio conférence BBB, deux confinateliers se sont organisés cette année, chacun permettant à près de 80 personnes de se réunir en divers salons de visio conférence pour contribuer à des projets libres.

Quant à Framasoft, nous avons continué d’intervenir, à distance, pour présenter les enjeux du numérique et les outils pour s’émanciper. Que ce soit pour partager en anglais nos expérimentations franchouillardes lors des 35 ans de la FSF, ou pour défendre la dignité du modèle associatif dans le festival en ligne EthicsByDesign, nous avons répondu à de nombreuses invitations à nous exprimer en ligne.

…et sinon, en 2020, on a aussi fait des prouts.

Traverser 2020 grâce à votre confiance

Cette année fut complexe et difficile, pour tout le monde, et en faire le bilan n’est pas un exercice aisé (à tel point qu’il nous a fallu faire deux articles, dont un expliquant nos actions durant le premier confinement).

Ce que nous avons fait cette année, si nous avons pu le réaliser en gardant l’esprit libre, c’est grâce à vous. Le soutien et la confiance que nous recevons, chaque année, sous formes de dons, de mots gentils, d’attentions et de contributions… tout cela donne un sens et une portée à nos expérimentations.

Nous vous remercions, vraiment, de nous accompagner dans ces cheminements.

C’est le moment de l’année où nous nous devons de rappeler que ces actions ont un coût, et que Framasoft est financée, quasi exclusivement, par vos dons. Avec la défiscalisation (disponible pour les contribuables français·es), un don de 100 € à Framasoft revient, après déduction, à 34 €.

Ainsi, si vous souhaitez soutenir nos actions et que vous estimez en avoir les moyens, n’hésitez pas à cliquer sur le bouton ci dessous ;).

Soutenir Framasoft




Review of Framasoft’s actions in 2020 (excluding the lockdown period)

Our actions are funded by your donations, increased by your contributions and are useful because you share them and make them your own. Therefore we wanted to take the time to make an review of our main actions carried out in 2020.

Even though the year is not over yet we can already see what our association (35 members, 10 employees) has done with the resources received.

Note:

Setting freedoms in code

In digital world, code is law: people running the code have the power and responsibility to determine what will be possible or impossible to do.

That’s why we have taken the responsibility to develop some softwares: in order to experiment other ways to open up possibilities, to offer alternative ways to organize our digital exchanges.

Coding these softwares under free licenses allows us to limit this huge power over the code (so what makes the rules on our screens) thanks to transparency mechanisms, works for opening up to the community and to the possibility of alternative governances.

Illustration by David Revoy – License: CC-by 4.0

Reinforcing Framaforms to face Google Forms

When it opened in 2016, we didn’t imagine that Framaforms, our alternative to Google Forms, would be the most used service of the De-google-ify the Internet campaign!

At this time, the challenge was to show that Free Libre Open Source Softwares (FLOSS) plugins (here Drupal and Webforms) allows non-developers to hack a respectable alternative to Google Forms in 14 working days by adding only 60 lines of code!

Since then, hundreds of thousands of people have been using this tool. We asked Théo, our intern, to improve this tool. Thanks to him, Framaforms has been upgraded to v1, a version correcting many bugs, allowing the automatic erasure of expired forms and the display of a page to contacta form creator.

Following his internship, Théo has joined our salaried team for a few months to continue his work on Framaforms. The last version, v1.0.3, enables to install Framaforms software in other languages than French and includes several tools to fight against spam.

It may be a detail for you… But if you knew how many people contact our support service to talk to forms’ creators…

Mobilizon: to manage groups and events out of Facebook

Mobilizon is our free and federated tool to free our events and groups from Facebook. Mentioned in December 2018 and financed by a fund-raising in the spring of 2019, Mobilizon has been developed throughout 2020.

Following a delay in development (due to a global pandemic), the first version of Mobilizon was released in October, with:

  • a demo instance,
  • a presentation site,
  • a complete documentation,
  • a photo novel telling a case study,
  • our public instance (for the French speaking only)
  • and Mobilizon.org: a website to guide you according to your needs and find your way among all these tools!

Since the publication of this first version, there are many contributions to Mobilizon. Among them, an Android application has been created by Tom79 and you can find it on Google’s Playstore and on Fdroid, the free app catalogue.

Many other contributions (feedbacks, issues, translations, code and assistance to the installation, etc.) allow an update (version 1.0.2) that corrects many bugs while adding the possibility to join groups in one click, to install Mobilizon via Docker and to use the software in 14 different languages.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

PeerTube: on its way to live streaming in the v3

That summer, we launched a fundraising to finance PeerTube’s third version, our free and federated alternative that generalizes video broadcasting.

While France and the world were affected (and still are) by a pandemic, we have chosen to break the codes of crowdfunding by assuring that we would develop v3 announced features (whether we raise the money or not) and giving whoever the possibility to participate to the financing of the 60 000€ that the project will cost.

The bet was achieved because almost €68 000 were raised thanks to important donations of structures as Octopuce, Code Lutin or the Debian Fondation that also gives us a great recognition of PeerTube’s usefulness.

Since June, we have developed and added many features to PeerTube: videos and channels global search (available on the search field of instances and on our search engine SepiaSearch as well), several moderation tools, significant improvements for playlists and to the plugin system… the list goes on!

Live and peer-to-peer video broadcasting is encoded but still needs to be tested and refined… Because even though this live will be minimalist (no chat or reaction tools, etc.), most of the work is in the details and finishing touches. We are planning to publish a nearly-finished version (the « Release Candidate » or « RC ») in mid-December and the stable v3 in January 2021.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Decentralizing is political

Since the launch of the De-google-ify Internet campaign in 2014, Framasoft works towards to:

  • raise awareness on data centralization by monopolistic actors (GAFAM, etc.);
  • offer alternative services on its servers to show that FLOSS presents ethical and practical tools;
  • swarm, spread these tools to increase ethical service hosting options and help internet users in seeking of digital emancipation.

In 2020, we focused on the swarming part with the objective that the services offered by Framasoft wouldn’t be a default solution anymore but a first step in its digital emancipation.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

 

De-google-ify while keeping services on a human scale

Maintaining more than 30 online services involves to keep track of updates of all the free-libre softwares behind these services, while each one is developed by its community at their own pace. Once again this year, we have ensured to keep the offered services up to date, with important updates for Framadrive, Framagenda, Framatalk, Framaforms, Framapiaf, Framateam and this morning Framadate.

The more our services are known, the more attractive they become for malevolent uses, including spam. The cheats’ inventiveness is limitless, they want to show their fraudulent links at all costs. For months we have dedicated ourselves (and an article of this blog) to fight against such unwanted uses.

It was estimated early 2020 that about one million people were using our services every month. That’s a lot for a small not-for-profit of 35 members including 10 employees. As explained in the article about our actions during the first French lockdown, needs for online services skyrocketed, we had to change our ways of helping users.

That’s why we completed the work on our websites and tools to exchange with each other. Our contact page, our donation page and the contextual menu on all of our websites have been completely redesigned. The aim is for you to be autonomous by giving you directly adapted answers, and to favor mutual aid on our forum.

All these issues have a common trait: the overuse of our services compared to our team size, who has decided to moderate its growth. To compensate for this, we will continue to transform some of our services into portals to the same tools but that are installed in other trusted hosts, most often members of the CHATONS collective.

De google-ify the Internet, seen by Péhä (CC-By)

 

CHATONS, the Collective of Alternative Hosters

The CHATONS collective, whose members offer ethical online services according to the values of their Manifesto and the commitments in their Charter, grows and evolves. Throughout this year, Framasoft has been spending hours to coordinate the collective. The pleasant internal dynamic proves that it pays off.

During the year, in addition to the forum exchanges, the CHATONS held a monthly audio-meeting between available members. The collective was thus better organized to welcome new members, to revise and update the charter, or to contribute to the « litter »(the wiki where the CHATONS share technical, legal and administrative information, etc.)

Let’s note that during the French lockdown, the CHATONS opened a new website that offers nine online services without registration, and hosted ethically. Icing on the cake, these services are decentralized and you have nothing to do: choose one service and the website will transfer you randomly to one of the collective members offering this tool.

Today many actions are in progress: important improvements for the chatons.org website, statistical collecting tools in order to improve what the collective members offer, and of course, the welcoming of the future collective members planned for the end of the year!

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0 Edit: stickers of this picture are available on David Revoy’s shop

Partnerships in our archipelago

Throughout the year, we kept maintaining the links that unite us to the partners composing our archipelago while creating new relationships.

Exchanges with many organizations (ArtyFarty, Alternatiba, Le réseau Information Jeunesse (the Youth Information Network), WebAssoc, LentCiné, Exodus Privacy, Designers Ethiques, L’Institut de Recherche et d’Innovation (Institute for Research and Innovation), the Gilets Jaunes (Yellow Vests movement), etc.) on their conversion to free-libre tools show that more and more organizations wish to match their digital tools with the values they uphold. In order to show that this consistency is possible, we published 3 blogposts to document this process and we will keep doing it in 2021.

With some of these organizations, we go even further than simple exchanges and try to actively support them as much as we can in this methodology. For example, we help and support the InterHop collective approach that promotes the use of FLOSS in the health field (and especially on the French Health Data Hub). For a year, we freely provided a PeerTube server of high capacity to ImagoTV. And we work directly with Résistance à l’Agression Publicitaire (a French nonprofit fighting against aggressive advertisement) on Pytition, a software for free-libre petitions.

Moreover, driven by the Colibris movement and in partnership with AnimaCoop and Ritimo, we took part in the realization and organization of the online training course Créer un projet collectif : méthodes et outils éthiques (Create a collective project: ethical methods and tools for organizations). This online course that took place from November 2nd to December 3rd allows 55 persons to discover many free-libre collaborative tools. We have also gladly accepted to be part of a working group tht is developing content for a MOOC produced by Telecom Paris about How to contribute to FLOSS.

Finally, throughout the year, we have continued our partnership with Mélanie and Lilian who are producing the Métacartes Numérique Ethique (Ethical Digital Metacards). This physical card game (each linked to a website) helps people promote ethical digital technology by explaining concepts, encouraging new uses, presenting discussions and questioning the criteria for trust in a digital tool.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Emancipating through popular education

In a few years, Framasoft went from an « association promoting free-libre softwares and its culture » to « a popular education association on digital issues ». That’s not insignificant.

As our degooglization and decentralization experiments went by, we have figured out that FLOSS is not an end in itself. It’s a mean (necessary and insufficient) to favor software users’ emancipation. It is true for every digital content: sotfwares, cultural works, etc.

In the course of our interventions and supports, we have noticed that knowledge, know-how and concepts transmission is much more effective when it happens in equal relationships, where each learns from the experience of others and comes out enriched from this exchange.

That’s why we believe that contributing to digital emancipation means trying to apply (when you can, and if you succeed) popular education values and methods.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Spreading FLOSS and Commons’ culture

Last May, the volunteers of our publishing house, Framabook, published four short story collections written by Yann Kervran in his medieval universe, Hexagora. His Qit’a (volume 1 to 4) let us explore the time of the Crusades that the author evoke so vividly. Go to Framabook to download the first, second, third and fourth volume of the Qit’a (in French).

This year, Framabook published the fourth volume of Grise Bouille. « How code profiling can help us fight against tax evasion? Should we refuse to visit people owning a smart speaker? Is the industrial society about to collapse? » In this book, Gee answers these questions (and much more) by gathering the comic books, watercolors and texts published between July 2018 and September 2020 on his grisebouille.net blog. The anthology is available on Framabook (French).

This year again, the Framablog has been really active. The weekly web review Khryspresso is released by Khrys every Monday and is the joy of every follower of this informative rendezvous. Framalang translation group published many translations including the collection « Détruire le Capitalisme de Surveillance » by Cory Doctorow. Finally, in December we are going to reveal a great contribution with the audio reading of some Framablog articles.

We had the pleasure to work more often with David Revoy, the author of Pepeer & Carrot, the free-libre open source webcomic, who draws a lot of illustrations for us. We asked the father of Sepia (PeerTube mascot) and Rose (Mobilizon mascot) to regularly help us illustrate what we do, such as this Framablog article.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

 

Sharing how to adopt ethical digital tools

In February, we published (in French) the first MOOC CHATONS module: « Internet: why and how to take back control? ». Co-conceived with the French organization La Ligue de l’enseignement, this online and open course can be followed in autonomy to discover how our digital landscape was built, invaded and walled by tech giants, and learn the ways to emancipate.

In March, we experimented a « librecours » to acquire the keys to FLOSS culture, especially those of free license. Whether you are a creator, a prescriber, a spectator, a student or all of the above, this course teaches you how to use online cultural content and spread your own. This first experience was lead by Stéphane Crozat (a Framasoft member and a teacher at UTC) and organized by some of our members. And it was very rewarding!

Last June, we revealed [RESOLU] (a guide to accompany organizations towards the adoption of free alternative solutions). It’s a highly contributopic project since it’s the result of the collaborative work of Framasoft, the « chaton » Picasoft and the « Mission Libre-Education Nouvelle des CEMEA ». [RESOLU] is a set of didactic sheets, under free-libre license and in PDF, web and paper format… to accompany towards FLOSS use organizations that act for the Social Solidarity Economy.

Created in partnership with the popular education collective La Dérivation, we published in September a directory of French actors of free digital accompanying. Even though it’s just a snapshot, it draws up an inventory of people, structures and organizations providing free digital accompanying with their contact details.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Talking to each other despite distance

Before the pandemic, we were faithful to our habit of speaking out in many events. At the beginning of the year, we participated (for example) to the hundredth anniversary of the League of Nations in Geneva, to the WebAssembly days, to the Digital Freedoms Festival, to an Alternatiba mini-village in Toulouse and to the Café des sciences of Chambéry.

The « contribateliers » are workshops where people can contribute to FLOSS without writing a single line of code (except if you like it!). While the contribateliers events spread in early 2020 (Lyon, Tours, Toulouse, Paris, Nantes…), their creators adapted themselves to the pandemic and offered « confinateliers », the online version of the « contribateliers ». Thanks to BBB, the free video conference software, two confinateliers took place this year, each gathering around 80 people in various video chatrooms to contribute to free-libre projects.

Framasoft kept intervening, remotely, to present digital issues and tools to get emancipated. Whether it’s to share in English our typically French experiments during the 35th anniversary of the FSF (Free Software Foundation), or to defend the dignity of the associative model during the online festival EthicsByDesign, we responded to many invitations to express ourselves online.

Free software activism successes in France with Pouhiou and Eda Nano – FSF 35th birthday

… by the way in 2020 we also farted.

 

Going through 2020 thanks to your trust

This year was complicated and difficult for everyone and it’s not easy to review it (to the extent where two articles were needed, including one explaining our actions during the first lockdown (French)).

If we were able to keep a free mind while doing what we did this year, it’s thanks to you. The support and trust we receive every year in donations, kind words, sympathy and contributions… all give meaning and significance to our experiments.

We truly thank you for accompanying us in this developments.

It’s the time of the year where we have to remind you that these actions have a cost and that Framasoft is almost exclusively funded by your donations. With tax relief (available for french taxpayers) a €100 donation to Framasoft represents €34 after deduction.

Thus, if you wish to support our actions and think you can afford it, don’t hesitate to click on the button below 😉

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Détruire le capitalisme de surveillance – 4

Voici la quatrième  partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (parcourir sur le blog les épisodes précédents – parcourir les trois premiers épisodes en PDF : doctorow-1-2-3).

Traduction Framalang : Claire, Fabrice, goofy,  jums, mo, ngfchristian, retrodev, tykayn

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Les monopoles n’engendrent pas la surveillance, mais ils l’encouragent certainement

par Cory Doctorow

Les industries compétitives sont fragmentées dans le sens où elles sont composées d’entreprises qui s’entre-déchirent en permanence et qui rognent sur leurs marges respectives lorsqu’elles proposent des offres à leurs meilleurs clients. Ce qui leur laisse moins d’investissement afin d’obtenir des règles plus favorables. Cette situation rend aussi plus difficile la mutualisation des ressources de chaque entreprise au profit de l’industrie toute entière.

La rencontre entre la surveillance et l’apprentissage machine est censé être l’aboutissement d’une crise existentielle, un moment particulier pour l’espèce humaine où notre libre arbitre serait très proche de l’extinction pure et simple. Même si je reste sceptique quant à cette hypothèse, je pense tout de même que la technologie pose de réelles menaces existentielles à notre société (et aussi plus généralement pour notre espèce entière).
Et ces menaces viennent des monopoles.

L’une des conséquences de l’emprise de la technologie sur la réglementation est qu’elle peut rejeter la responsabilité de mauvaises décisions en matière de sécurité sur ses clients et sur la société en général. Il est tout à fait banal dans le domaine de la technologie que les entreprises dissimulent les mécanismes de leurs produits, qu’elles en rendent le fonctionnement difficile à comprendre et qu’elles menacent les chercheurs en sécurité indépendants qui auditent ces objets.

L’informatique est le seul domaine dans lequel ces pratiques existent : personne ne construit un pont ou un hôpital en gardant secret la composition de l’acier ou les équations utilisées pour calculer les contraintes de charge. C’est une pratique assez bizarre qui conduit, encore et toujours, à des défauts de sécurité grotesques à une échelle tout aussi grotesque, des pans entiers de dispositifs étant révélés comme vulnérables bien après qu’ils ont été déployées et placés dans des endroits sensibles.

Le pouvoir monopolistique qui tient à distance toute conséquence significative de ces violations, signifie que les entreprises technologiques continuent à créer des produits exécrables, mal conçus et qui finissent par être intégrés à nos vies, par posséder nos données, et être connectés à notre monde physique. Pendant des années, Boeing s’est battu contre les conséquences d’une série de mauvaises décisions technologiques qui ont fait de sa flotte de 737 un paria mondial, c’est l’un des rares cas où des décisions technologiques de piètre qualité ont été sérieusement sanctionnées par le marché.

Ces mauvaises décisions en matière de sécurité sont encore aggravées par l’utilisation de verrous de copyright pour faire appliquer des décisions commerciales à l’encontre des consommateurs. Souvenez-vous que ces verrous sont devenus un moyen incontournable de façonner le comportement des consommateurs, qui rend techniquement impossible l’utilisation de cartouches d »encre compatibles, d’insuline, d’applications mobiles ou de dépôts de services tiers en relation avec vos biens acquis légalement.

Rappelez-vous également que ces verrous sont soutenus par une législation (telle que la section 1201 du DMCA ou l’article 6 de la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001) qui interdit de les altérer (de les « contourner »), et que ces lois ont été utilisées pour menacer les chercheurs en sécurité qui divulguent des vulnérabilités sans la permission des fabricants.

Cela revient à un véritable veto des fabricants sur les alertes de sécurité et les critiques. Bien que cela soit loin de l’intention législative du DMCA (et de son équivalent dans d’autres juridictions dans le monde), le Congrès n’est pas intervenu pour clarifier la loi et ne le fera jamais, car cela irait à l’encontre des intérêts des puissantes entreprises dont le lobbying est imparable.

Les verrous de copyright sont une arme à double tranchant. D’abord parce qu’ils provoquent de mauvaises décisions en matière de sécurité qui ne pourront pas être librement étudiées ni discutées. Si les marchés sont censés être des machines à agréger l’information (et si les rayons de contrôle mental fictif du capitalisme de surveillance en font un « capitalisme voyou » parce qu’il refuse aux consommateurs le pouvoir de prendre des décisions), alors un programme qui impose légalement l’ignorance sur les risques des produits rend le monopole encore plus « voyou » que les campagnes d’influence du capitalisme de surveillance.

Et contrairement aux rayons de contrôle mental, ce silence imposé sur la sécurité est un problème brûlant et documenté qui constitue une menace existentielle pour notre civilisation et peut-être même pour notre espèce. La prolifération des dispositifs non sécurisés – en particulier ceux qui nous espionnent et surtout lorsque ces dispositifs peuvent également manipuler le monde physique, par exemple, qui tourne le volant de votre voiture ou en actionnant un disjoncteur dans une centrale électrique – est une forme de dette technique.
En conception logicielle, la « dette technique » fait référence à des décisions anciennes et bien calculées qui, avec le recul, s’avèrent être mauvaises. Par exemple, un développeur de longue date a peut-être décidé d’intégrer un protocole réseau exigé par un fournisseur, qui a depuis cessé de le prendre en charge.

Mais tout dans le produit repose toujours sur ce protocole dépassé. Donc, à chaque révision, des équipes doivent travailler autour de ce noyau obsolète, en y ajoutant des couches de compatibilité, en l’entourant de contrôles de sécurité qui tentent de renforcer ses défenses, etc. Ces mesures de fortune aggravent la dette technique, car chaque révision ultérieure doit en tenir compte, tout comme les intérêts d’un crédit revolving. Et comme dans le cas d’un prêt à risque, les intérêts augmentent plus vite que vous ne pouvez espérer les rembourser : l’équipe en charge du produit doit consacrer tellement d’énergie au maintien de ce système complexe et fragile qu’il ne lui reste plus de temps pour remanier le produit de fond en comble et « rembourser la dette » une fois pour toutes.

En général, la dette technique entraîne une faillite technologique : le produit devient si fragile et instable qu’il finit par échouer de manière catastrophique. Pensez aux systèmes bancaires et comptables désuets basés sur du COBOL qui se sont effondrés au début de la pandémie lorsque les demandes d’allocations chômage se sont multipliées. Parfois, cela met fin au produit, parfois, cela entraîne l’entreprise dans sa chute. Être pris en défaut de paiement d’une dette technique est effrayant et traumatisant, tout comme lorsque l’on perd sa maison pour cause de faillite.
Mais la dette technique créée par les verrous de copyright n’est pas individuelle, elle est systémique. Chacun dans le monde est exposé à ce surendettement, comme ce fut le cas lors de la crise financière de 2008. Lorsque cette dette arrivera à échéance – lorsque nous serons confrontés à des violations de sécurité en cascade qui menacent le transport et la logistique mondiales, l’approvisionnement alimentaire, les processus de production pharmaceutique, les communications d’urgence et autres systèmes essentiels qui accumulent de la dette technique en partie due à la présence de verrous de copyright délibérément non sécurisés et délibérément non vérifiables – elle constituera en effet un risque existentiel.

Vie privée et monopole

De nombreuses entreprises technologiques sont prisonnières d’une orthodoxie : si elles recueillent assez de données sur suffisamment de nos activités, tout devient possible – le contrôle total des esprits et des profits infinis. C’est une hypothèse invérifiable : en effet, si des données permettent à une entreprise technologique d’améliorer ne serait-ce que légèrement ses prévisions de comportements, alors elle déclarera avoir fait le premier pas vers la domination mondiale sans retour en arrière possible. Si une entreprise ne parvient pas à améliorer la collecte et l’analyse des données, alors elle déclarera que le succès est juste au coin de la rue et qu’il sera possible de l’atteindre une fois qu’elle disposera de nouvelles données.

La technologie de surveillance est loin d’être la première industrie à adopter une croyance absurde et égoïste qui nuit au reste du monde, et elle n’est pas la première industrie à profiter largement d’une telle illusion. Bien avant que les gestionnaires de fonds spéculatifs ne prétendent (à tort) pouvoir battre le S&P 500 (l’équivalent du CAC40 américain), de nombreuses autres industries « respectables » se sont révélées être de véritables charlatans. Des fabricants de suppositoires au radium (si, si, ça existe!) aux cruels sociopathes qui prétendaient pouvoir « guérir » les homosexuels, l’histoire est jonchée de titans industriels autrefois respectables qui ont mal fini.

Cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien reprocher aux Géants de la tech et à leurs addictions idéologiques aux données. Si les avantages de la surveillance sont généralement surestimés, ses inconvénients sont, à tout le moins, sous-estimés.

Cette situation est très ironique. La croyance que le capitalisme de surveillance est un « capitalisme voyou » s’appuie sur l’hypothèse que les marchés ne toléreraient pas des entreprises engluées dans de fausses croyances. Une compagnie pétrolière qui se trompe souvent sur l’endroit où se trouve le pétrole finira par faire faillite en creusant tout le temps des puits déjà secs.

Mais les monopoles peuvent faire des choses graves pendant longtemps avant d’en payer le prix. Imaginez comment la concentration dans le secteur financier a permis à la crise des subprimes de s’envenimer alors que les agences de notation, les régulateurs, les investisseurs et les critiques sont tous tombés sous l’emprise d’une fausse croyance selon laquelle les mathématiques complexes pourraient construire des instruments de dette « entièrement couverts », qui ne pourraient pas faire défaut. Une petite banque qui se livrerait à ce genre de méfaits ferait tout simplement faillite au lieu d’échapper à une crise inévitable, à moins qu’elle ait pris une telle ampleur qu’elle l’aurait évitée. Mais les grandes banques ont pu continuer à attirer les investisseurs, et lorsqu’elles ont finalement réussi à s’en sortir, les gouvernements du monde entier les ont renflouées. Les pires auteurs de la crise des subprimes sont plus importants qu’ils ne l’étaient en 2008, rapportant plus de profits et payant leurs dirigeants des sommes encore plus importantes.

Les grandes entreprises technologiques sont en mesure de surveiller non seulement parce qu’elles sont technologiques, mais aussi parce qu’elles sont énormes. La raison pour laquelle tous les éditeurs de sites web intègrent le bouton «J’aime » de Facebook, est que Facebook domine les recommandations des médias sociaux sur Internet – et chacun de ces boutons « J’aime » espionne tous les utilisateurs qui visitent sur une page qui les contient (voir aussi : intégration de Google Analytics, boutons Twitter, etc.).

Si les gouvernements du monde entier ont tardé à mettre en place des sanctions significatives pour atteintes à la vie privée, c’est parce que la concentration des grandes entreprises technologiques génère d’énormes profits qui peuvent être utilisés pour faire pression contre ces sanctions.
La raison pour laquelle les ingénieurs les plus intelligents du monde veulent travailler pour les Géants de la tech est que ces derniers se taillent la part du lion des emplois dans l’industrie technologique.

Si les gens se sont horrifiés des pratiques de traitement des données de Facebook, Google et Amazon mais qu’ils continuent malgré tout d’utiliser ces services, c’est parce que tous leurs amis sont sur Facebook, que Google domine la recherche et qu’Amazon a mis tous les commerçants locaux en faillite.

Des marchés concurrentiels affaibliraient le pouvoir de lobbying des entreprises en réduisant leurs profits et en les opposant les unes aux autres à l’intérieur d’une réglementation commune. Cela donnerait aux clients d’autres endroits où aller pour obtenir leurs services en ligne. Les entreprises seraient alors suffisamment petites pour réglementer et ouvrir la voie à des sanctions significatives en cas d’infraction. Cela permettrait aux ingénieurs, dont les idées remettent en cause l’orthodoxie de la surveillance, de lever des capitaux pour concurrencer les opérateurs historiques. Cela donnerait aux éditeurs de sites web de multiples moyens d’atteindre leur public et de faire valoir leurs arguments contre l’intégration de Facebook, Google et Twitter.

En d’autres termes, si la surveillance ne provoque pas de monopoles, les monopoles encouragent certainement la surveillance…

Ronald Reagan, pionnier du monopole technologique

L’exceptionnalisme technologique est un péché, qu’il soit pratiqué par les partisans aveugles de la technologie ou par ses détracteurs. Ces deux camps sont enclins à expliquer la concentration monopolistique en invoquant certaines caractéristiques particulières de l’industrie technologique, comme les effets de réseau ou l’avantage du premier arrivé. La seule différence réelle entre ces deux groupes est que les apologistes de la technologie disent que le monopole est inévitable et que nous devrions donc laisser la technologie s’en tirer avec ses abus tandis que les régulateurs de la concurrence aux États-Unis et dans l’UE disent que le monopole est inévitable et que nous devrions donc punir la technologie pour ses abus mais sans essayer de briser les monopoles.

Pour comprendre comment la technologie est devenue aussi monopolistique, il est utile de se pencher sur l’aube de l’industrie technologique grand public : 1979, l’année où l’Apple II Plus a été lancé et est devenu le premier ordinateur domestique à succès. C’est également l’année où Ronald Reagan a fait campagne pour la présidentielle de 1980, qu’il a remportée, ce qui a entraîné un changement radical dans la manière dont les problèmes de concurrence sont traités en Amérique. Toute une cohorte d’hommes politiques de Reagan – dont Margaret Thatcher au Royaume-Uni, Brian Mulroney au Canada, Helmut Kohl en Allemagne et Augusto Pinochet au Chili – a ensuite procédé à des réformes similaires qui se sont finalement répandues dans le monde entier.

L’histoire de la lutte antitrust a commencé près d’un siècle avant tout cela avec des lois comme la loi Sherman, qui ciblait les monopoles au motif qu’ils étaient mauvais en soi – écrasant les concurrents, créant des « déséconomies d’échelle » (lorsqu’une entreprise est si grande que ses parties constitutives vont mal et qu’elle semble impuissante à résoudre les problèmes), et assujettissant leurs régulateurs à un point tel qu’ils ne peuvent s’en tirer sans une foule de difficultés.

Puis vint un affabulateur du nom de Robert Bork, un ancien avocat général que Reagan avait nommé à la puissante Cour d’appel américaine pour le district de Columbia et qui avait inventé de toutes pièces une histoire législative alternative de la loi Sherman et des lois suivantes. Bork a soutenu que ces lois n’ont jamais visé les monopoles (malgré de nombreuses preuves du contraire, y compris les discours retranscrits des auteurs des de ces lois) mais qu’elles visaient plutôt à prévenir les « préjudices aux consommateurs » – sous la forme de prix plus élevés.
Bork était un hurluberlu, certes, mais les riches aimaient vraiment ses idées. Les monopoles sont un excellent moyen de rendre les riches plus riches en leur permettant de recevoir des « rentes de monopole » (c’est-à-dire des profits plus importants) et d’assujettir les régulateurs, ce qui conduit à un cadre réglementaire plus faible et plus favorable, avec moins de protections pour les clients, les fournisseurs, l’environnement et les travailleurs.

Les théories de Bork étaient particulièrement satisfaisantes pour les mêmes personnalités influentes qui soutenaient Reagan. Le ministère de la Justice et d’autres agences gouvernementales de l’administration Reagan ont commencé à intégrer la doctrine antitrust de Bork dans leurs décisions d’application (Reagan a même proposé à Bork de siéger à la Cour suprême, mais Bork a été tellement mauvais à l’audience de confirmation du Sénat que, 40 ans plus tard, les experts de Washington utilisent le terme « borked » pour qualifier toute performance politique catastrophique).

Peu à peu, les théories de Bork se sont répandues, et leurs partisans ont commencé à infiltrer l’enseignement du droit, allant même jusqu’à organiser des séjours tous frais payés, où des membres de la magistrature étaient invités à de copieux repas, à participer à des activités de plein air et à assister à des séminaires où ils étaient endoctrinés contre la théorie antitrust et les dommages qu’elle cause aux consommateurs. Plus les théories de Bork s’imposaient, plus les monopolistes gagnaient de l’argent – et plus ils disposaient d’un capital excédentaire pour faire pression en faveur de campagnes d’influence antitrust à la Bork.

L’histoire des théories antitrust de Bork est un très bon exemple du type de retournements d’opinion publique obtenus secrètement et contre lesquels Zuboff nous met en garde, où les idées marginales deviennent peu à peu l’orthodoxie dominante. Mais Bork n’a pas changé le monde du jour au lendemain. Il a été très endurant, pendant plus d’une génération, et il a bénéficié d’un climat favorable parce que les forces qui ont soutenu les théories antitrust oligarchiques ont également soutenu de nombreux autres changements oligarchiques dans l’opinion publique. Par exemple, l’idée que la fiscalité est un vol, que la richesse est un signe de vertu, etc. – toutes ces théories se sont imbriquées pour former une idéologie cohérente qui a élevé l’inégalité au rang de vertu.

Aujourd’hui, beaucoup craignent que l’apprentissage machine permette au capitalisme de surveillance de vendre « Bork-as-a-Service », à la vitesse de l’Internet, afin qu’on puisse demander à une société d’apprentissage machine de provoquer des retournements rapides de l’opinion publique sans avoir besoin de capitaux pour soutenir un projet multiforme et multigénérationnel mené aux niveaux local, étatique, national et mondial, dans les domaines des affaires, du droit et de la philosophie. Je ne crois pas qu’un tel projet soit réalisable, bien que je sois d’accord avec le fait que c’est essentiellement ce que les plateformes prétendent vendre. Elles mentent tout simplement à ce sujet. Les (entreprises de la) Big Tech mentent tout le temps, y compris dans leur documentation commerciale.

L’idée que la technologie forme des « monopoles naturels » (des monopoles qui sont le résultat inévitable des réalités d’une industrie, comme les monopoles qui reviennent à la première entreprise à exploiter des lignes téléphoniques longue distance ou des lignes ferroviaires) est démentie par la propre histoire de la technologie : en l’absence de tactiques anticoncurrentielles, Google a réussi à détrôner AltaVista et Yahoo, et Facebook a réussi à se débarrasser de Myspace. La collecte de montagnes de données présente certains avantages, mais ces montagnes de données ont également des inconvénients : responsabilité (en raison de fuites), rendements décroissants (en raison d’anciennes données) et inertie institutionnelle (les grandes entreprises, comme la science, progressent en liquidant les autres à mesure).

En effet, la naissance du Web a vu l’extinction en masse des technologies propriétaires géantes et très rentables qui disposaient de capitaux, d’effets de réseau, de murs et de douves autour de leurs entreprises. Le Web a montré que lorsqu’une nouvelle industrie est construite autour d’un protocole, plutôt que d’un produit, la puissance combinée de tous ceux qui utilisent le protocole pour atteindre leurs clients, utilisateurs ou communautés, dépasse même les produits les plus massivement diffusés. CompuServe, AOL, MSN et une foule d’autres jardins clos propriétaires ont appris cette leçon à la dure : chacun croyait pouvoir rester séparé du Web, offrant une « curation » et une garantie de cohérence et de qualité au lieu du chaos d’un système ouvert. Chacun a eu tort et a fini par être absorbé dans le Web public.

Oui, la technologie est fortement monopolisée et elle est maintenant étroitement associée à la concentration de l’industrie, mais c’est davantage lié à une question de temps qu’à des tendances intrinsèquement monopolistiques. La technologie est née au moment où l’application de la législation antitrust était démantelée, et la technologie est tombée exactement dans les mêmes travers contre lesquels l’antitrust était censé se prémunir. En première approximation, il est raisonnable de supposer que les monopoles de Tech sont le résultat d’un manque d’action anti-monopole et non des caractéristiques uniques tant vantées de Tech, telles que les effets de réseau, l’avantage du premier arrivé, etc.

À l’appui de cette théorie, je propose de considérer la concentration que tous les autres secteurs ont connue au cours de la même période. De la lutte professionnelle aux biens de consommation emballés, en passant par le crédit-bail immobilier commercial, les banques, le fret maritime, le pétrole, les labels discographiques, la presse écrite et les parcs d’attractions, tous les secteurs ont connu un mouvement de concentration massif. Il n’y a pas d’effets de réseau évidents ni d’avantage de premier arrivé dans ces secteurs. Cependant, dans tous les cas, ils ont atteint leur statut de concentration grâce à des tactiques qui étaient interdites avant le triomphe de Bork : fusion avec des concurrents majeurs, rachat de nouveaux venus innovants sur le marché, intégration horizontale et verticale, et une série de tactiques anticoncurrentielles qui étaient autrefois illégales mais ne le sont plus.

Encore une fois : lorsque vous modifiez les lois destinées à empêcher les monopoles, puis que les monopoles se forment exactement comme la loi était censée les empêcher, il est raisonnable de supposer que ces faits sont liés. La concentration de Tech peut être facilement expliquée sans avoir recours aux théories radicales des effets de réseau – mais seulement si vous êtes prêt à accuser les marchés non réglementés de tendre vers le monopole. Tout comme un fumeur de longue date peut vous fournir une foule de raisons selon lesquelles ce n’est pas son tabagisme qui a provoqué son cancer (« Ce sont les toxines environnementales »), les vrais partisans des marchés non réglementés ont toute une série d’explications peu convaincantes pour prétendre que le monopole de la technologie ne modifie pas le capitalisme.

Conduire avec les essuie-glaces

Cela fait quarante ans que le projet de Bork pour réhabiliter les monopoles s’est réalisé, soit une génération et demie, c’est à dire suffisamment de temps pour qu’une idée commune puisse devenir farfelue ou l’inverse. Avant les années 40, les Américains aisés habillaient leurs petits garçons en rose alors que les filles portaient du bleu (une couleur « fragile et délicate »). Bien que les couleurs genrées soient totalement arbitraires, beaucoup découvriront cette information avec étonnement et trouveront difficile d’imaginer un temps où le rose suggérait la virilité.

Après quarante ans à ignorer scrupuleusement les mesures antitrust et leur mise en application, il n’est pas surprenant que nous ayons presque tous oublié que les lois antitrust existent, que la croissance à travers les fusions et les acquisitions était largement interdite par la loi, et que les stratégies d’isolation d’un marché, comme par l’intégration verticale, pouvait conduire une entreprise au tribunal.

L’antitrust, c’est le volant de cette voiture qu’est la société de marché, l’outil principal qui permet de contrôler la trajectoire de ces prétendants au titre de maîtres de l’univers. Mais Bork et ses amis nous ont arraché ce volant des mains il y a quarante ans. Puisque la voiture continue d’avancer, nous appuyons aussi fort que possible sur toutes les autres commandes de la voiture, de même que nous ouvrons et fermons les portes, montons et descendons les vitres dans l’espoir qu’une de ces commandes puisse nous permettre de choisir notre direction et de reprendre le contrôle avant de foncer dans le décor.

Ça ressemble à un scénario de science-fiction des années 60 qui deviendrait réalité : voyageant à travers les étoiles, des humains sont coincés dans un « vaisseau générationnel » autrefois piloté par leurs ancêtres, et maintenant, après une grande catastrophe, l’équipage a complètement oublié qu’il est dans un vaisseau et ne se souvient pas où est la salle de contrôle. À la dérive, le vaisseau court à sa perte, et, à moins que nous puissions reprendre le contrôle et corriger le cap en urgence, nous allons tout fonçons droit vers une mort ardente dans le cœur d’un soleil.

La surveillance a toujours son importance

Rien de tout cela ne doit minimiser les problèmes liés à la surveillance. La surveillance est importante, et les Géants de la tech qui l’utilisent font peser un véritable risque existentiel sur notre espèce, mais ce n’est pas parce que la surveillance et l’apprentissage machine nous subtilisent notre libre arbitre.

La surveillance est devenue bien plus efficace avec les Géants de la tech. En 1989, la Stasi — la police secrète est-allemande — avait l’intégralité du pays sous surveillance, un projet titanesque qui recrutait une personne sur 60 en tant qu’informateur ou comme agent de renseignement.

Aujourd’hui, nous savons que la NSA espionne une partie significative de la population mondiale, et le ratio entre agents de renseignement et population surveillée est plutôt de l’ordre de 1 pour 10 000 (ce chiffre est probablement sous-estimé puisqu’il suppose que tous les Américains détenant un niveau de confidentialité top secret travaillent pour la NSA — en fait on ne sait pas combien de personnes sont autorisées à espionner pour le compte de la NSA, mais ce n’est certainement pas toutes les personnes classées top secret).

Comment ce ratio de citoyens surveillés a-t-il pu exploser de 1/60 à 1/10 000 en moins de trente ans ? C’est bien grâce aux Géants de la tech. Nos appareils et leurs services collectent plus de données que ce que la NSA collecte pour ses propres projets de surveillance. Nous achetons ces appareils, nous nous connectons à leurs services, puis nous accomplissons laborieusement les tâches nécessaires pour insérer des données sur nous, notre vie, nos opinions et nos préférences. Cette surveillance de masse s’est révélée complètement inutile dans la lutte contre le terrorisme : la NSA évoque un seul et unique cas, dans lequel elle a utilisé un programme de collection de données pour faire échouer une tentative de transfert de fond de quelques milliers de dollars d’un citoyen américain vers un groupe terroriste basé à l’étranger. Les raisons de cette inefficacité déconcertante sont les mêmes que pour l’échec du ciblage publicitaire par les entreprises de surveillance commerciale : les personnes qui commettent des actes terroristes, tout comme celles qui achètent un frigo, se font très rares. Si vous voulez détecter un phénomène dont la probabilité de base est d’un sur un million avec un outil dont la précision n’est que de 99 %, chaque résultat juste apparaîtra au prix de 9 999 faux positifs.

Essayons de le formuler autrement : si une personne sur un million est terroriste, alors nous aurons seulement un terroriste dans un échantillon d’un million de personnes. Si votre test de détecteur à terroristes est précis à 99 %, il identifiera 10 000 terroristes dans votre échantillon d’un million de personnes (1 % d’un million = 10 000). Pour un résultat juste, vous vous retrouvez avec 9 999 faux positifs.

En réalité, la précision algorithmique de la détection de terroriste est bien inférieure à 99 %, tout comme pour les publicités de frigo. La différence, c’est qu’être accusé à tort d’être un potentiel acheteur de frigo est une nuisance somme toute assez faible, alors qu’être accusé à tort de planifier un attentat terroriste peut détruire votre vie et celle de toutes les personnes que vous aimez.

L’État ne peut surveiller massivement que parce que le capitalisme de surveillance et son très faible rendement existent, ce qui demande un flux constant de données personnelles pour pouvoir rester viable. L’échec majeur du capitalisme de surveillance vient des publicités mal ciblées, tandis que celui de la surveillance étatique vient des violations éhontées des Droits de l’humain, qui ont tendance à dériver vers du totalitarisme.

La surveillance de l’État n’est pas un simple parasite des Géants de la tech, qui pomperait les données sans rien accorder en retour. En réalité, ils sont plutôt en symbiose : les Géants pompent nos données pour le compte des agences de renseignement, et ces dernières s’assurent que le pouvoir politique ne restreint pas trop sévèrement les activités des Géants de la tech jusqu’à devenir inutile aux besoins du renseignement. Il n’y a aucune distinction claire entre la surveillance d’État et le capitalisme de surveillance, ils sont tous deux co-dépendants.

Pour comprendre comment tout cela fonctionne aujourd’hui, pas besoin de regarder plus loin que l’outil de surveillance d’Amazon, la sonnette Ring et son application associée Neighbors. Ring — un produit acheté et non développé par Amazon — est une sonnette munie d’une caméra qui diffuse les images de l’entrée devant votre porte sur votre téléphone. L’application Neighbors vous permet de mettre en place un réseau de surveillance à l’échelle de votre quartier avec les autres détenteurs de sonnette Ring autour de chez vous, avec lesquels vous pouvez partager des vidéos de « personnes suspectes ». Si vous pensez que ce système est le meilleur moyen pour permettre aux commères racistes de suspecter toute personne de couleur qui se balade dans le quartier, vous avez raison. Ring est devenu de facto, le bras officieux de la police sans s’embêter avec ces satanées lois et règlements.

À l’été 2019, une série de demande de documents publics a révélé qu’Amazon a passé des accords confidentiels avec plus de 400 services de police locaux au travers desquelles ces agences font la promotion de Ring and Neighbors en échange de l’accès à des vidéos filmées par les visiophones Ring. En théorie, la police devrait réclamer ces vidéos par l’intermédiaire d’Amazon (et des documents internes ont révélé qu’Amazon consacre des ressources non-négligeables pour former les policiers à formuler des histoires convaincantes dans ce but), mais dans la pratique, quand un client Ring refuse de transmettre ses vidéos à la police, Amazon n’exige de la police qu’une simple requête formelle à adresser à l’entreprise, ce qu’elle lui remet alors.

Ring et les forces de police ont trouvé de nombreuses façons de mêler leurs activités . Ring passe des accords secrets pour avoir un accès en temps réel aux appels d’urgence (le 911) pour ensuite diffuser à ses utilisateurs les procès-verbaux de certaines infractions, qui servent aussi à convaincre n’importe quelle personne qui envisage d’installer un portier de surveillance mais qui ne sait pas vraiment si son quartier est suffisamment dangereux pour que ça en vaille le coup.

Plus les flics vantent les mérites du réseau de surveillance capitaliste Ring, plus l’État dispose de capacités de surveillance. Les flics qui s’appuient sur des entités privées pour faire respecter la loi s’opposent ensuite à toute régulation du déploiement de cette technologie, tandis que les entreprises leur rendent la pareille en faisant pression contre les règles qui réclament une surveillance publique de la technologie de surveillance policière. Plus les flics s’appuient sur Ring and Neighbors, plus il sera difficile d’adopter des lois pour les freiner. Moins il y aura de lois contre eux, plus les flics se reposeront sur ces technologies.




La dégooglisation de l’éditeur

Il y a quelques mois, avant que la covid19 ne vienne chambouler notre quotidien, Angie faisait le constat que nous n’avions finalement que très peu documenté sur ce blog les démarches de passage à des outils libres réalisées au sein des organisations. Celles-ci sont pourtant nombreuses à s’être questionnées et à avoir entamé une « degooglisation ». Il nous a semblé pertinent de les interviewer pour comprendre pourquoi et comment elles se sont lancées dans cette aventure. Ce retour d’expérience est, pour Framasoft, l’occasion de prouver que c’est possible, sans ignorer les difficultés et les freins rencontrés, les écueils et erreurs à ne pas reproduire, etc. Peut-être ces quelques témoignages parviendront-ils à vous convaincre de passer au libre au sein de votre structure et à la libérer des outils des géants du Web ?

La maison d’édition Pourpenser a attiré notre attention sur Mastodon avec ses prises de position libristes. En discutant un peu nous avons compris qu’elle a joint le geste à la parole en faisant évoluer ses outils informatiques. Ça n’est pas si fréquent, une entreprise qui se dégooglise. Nous lui avons demandé un retour d’expérience.

N’hésitez pas à consulter les autres articles de cette série consacrée à l’autonomisation numérique des organisations.

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?

Albert, co-fondateur des éditions Pourpenser avec ma sœur Aline en 2002.

Petit je voulais être garde forestier ou cuisinier… autant dire que j’ai raté ma vocation 🙂 (même si j’adore toujours cuisiner).

En 1987 j’avais un voisin de palier qui travaillait chez Oracle. Après les cours je passais du temps sur un ordinateur qu’il me mettait à disposition : j’ai donc commencé avec un ordi sur MS-DOS et des tables SQL.

1987, c’était aussi le tout début de la PAO. Il y avait un logiciel dont j’ai perdu le nom dans lequel je mettais le texte en forme avec des balises du genre <A>ça fait du gras</A>, je trouvais ça beaucoup plus intéressant que PageMaker et lorsque j’ai découvert Ventura Publisher qui mariait les deux mondes, j’ai été conquis.

Par la suite j’ai travaillé une dizaine d’années dans la localisation de jeux vidéo et de CD-ROM : nous traduisions le contenu et le ré-intégrions dans le code. Ma première connexion à internet remonte à 1994 avec FranceNet, j’avais 25 ans. Je découvrais ce monde avec de grands yeux en m’intéressant au logiciel libre, à la gouvernance d’internet (je me rappelle notamment de l’ISOC et des rencontres d’Autrans) et ça bousculait pas mal de schémas que je pouvais avoir.

2000 : naissance de ma fille aînée, je quitte Paris, je prends un grand break : envie de donner plus de sens à ma vie.

2002 : naissance de mon fils et création de la maison d’édition avec ma sœur.

 

Tu nous parles de ton entreprise ?

Dans sa forme, Pourpenser est une SARL classique. Régulièrement, nous nous posons la question de revoir les statuts mais ça demande du temps et de l’argent que nous préférons mettre ailleurs. Finalement, le mode SARL est plutôt souple et dans les faits, nous avons une organisation très… anarchique. Même si avec Aline nous sentons bien qu’en tant que fondateurs notre voix compte un peu plus, l’organisation est très horizontale et les projets partent souvent dans tous les sens.

L'équipe des Éditions Pourpenser

Que fait-elle ?

Dès le départ, nous avons eu à cœur de proposer des livres « avec du sens ». Aborder des questions existentielles, des questions de sociétés ou autour de notre relation au vivant. La notion d’empreinte nous interpelle régulièrement. Ne pas laisser d’empreinte est compliqué. Mais peut-être pouvons-nous choisir de laisser une empreinte aussi légère qu’utile ? La cohérence entre le contenu des livres que nous éditons et la manière dont nous produisons et amenons ces livres aux lecteurs et lectrices a toujours été centrale… même si rester cohérent est loin d’être toujours simple.

Nous aimons dire que notre métier n’est pas de faire des livres mais de transmettre du questionnement. Ceci dit, depuis 2002, nous avons édité environ 120 titres et une soixantaines d’auteur·e·s. Nous aimons éditer des contes, des romans, des BD, des jeux, des contes musicaux qui vont amener à une discussion, à une réflexion. Mais qui sait si un jour nous n’irons pas vers du spectacle vivant, de la chanson…

Combien êtes-vous ?

Normalement, nous sommes 8 personnes à travailler quasi-quotidiennement sur le catalogue de la maison et cela fait l’équivalent d’environ 5 temps plein, mais avec la crise actuelle nous avons nettement plus de temps libre… À côté de ça, nous accompagnons une soixantaine d’auteur·e·s, travaillons avec une centaine de points de vente en direct et avons quelques dizaines de milliers de contacts lecteurs.

 

Est-ce que tout le monde travaille au même endroit ?

L’équipe de huit est principalement située dans l’ouest, et l’une de nous est du côté de Troyes. Nous nous réunissons environ deux fois par an et utilisons donc beaucoup le réseau pour échanger. Le confinement de mars n’a fondamentalement rien changé à notre façon de travailler en interne. Par contre, les salons et les festivals ou nous aimons présenter les livres de la maison nous manquent et le fait que les librairies fonctionnent au ralenti ne nous aide pas.


Tu dirais que les membres de l’organisation sont plutôt à l’aise avec le numérique ? Pas du tout ? Ça dépend ? Kamoulox ?

Globalement, la culture « utilisateur du numérique » est bien présente dans toute l’équipe. Mais je dirais que nous sommes surtout deux : Dominique et moi, que la question de « jouer avec » amuse. Pour le reste de l’équipe, il faut que ça fonctionne et soit efficace sans prise de tête.

 

Avant de lancer cette démarche, vous utilisiez quels outils / services numériques ?

Lors de la création en 2002, j’ai mis en place un site que j’avais développé depuis un ensemble de scripts PHP liés à une base MySQL. Pour la gestion interne et la facturation, j’utilisais Filemaker (lorsque je ne suis pas sur Linux, je suis sur MacOS), et au fur et à mesure de l’arrivée des outils de Google (gmail, partage de documents…) nous les avons adoptés : c’était tellement puissant et pratique pour une mini structure éclatée comme la nôtre.

Par la suite, nous avons remplacé Filemaker par une solution ERP-CRM qui était proposée en version communautaire et que j’hébergeais chez OVH (LundiMatin – LMB) et le site internet a été séparé en 2 : un site B2C avec Emajine une solution locale mais sous licence propriétaire (l’éditeur Medialibs est basé à Nantes) et un site B2B sous Prestashop.

Pour les réseaux sociaux : Facebook, Instagram Twitter, Youtube.

En interne, tout ce qui est documents de travail léger passaient par Google Drive, Hubic (solution cloud de chez OVH) et les documents plus lourds (illustrations, livres mis en page) par du transfert de fichiers (FTP ou Wetransfer).

 

Qu’est-ce qui posait problème ?

La version communautaire de LMB n’a jamais vraiment décollé et au bout de 3 ans nous avons été contraints de migrer vers la solution SaS, et là, nous avons vraiment eu l’impression de nous retrouver enfermés. Impossible d’avoir accès à nos tables SQL, impossible de modifier l’interface. À côté de ça une difficulté grandissante à utiliser les outils de Google pour des raisons éthiques (alors que je les portais aux nues au début des années 2000…)

 

Vous avez entamé une démarche en interne pour migrer vers des outils numériques plus éthiques. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette démarche ?

La démarche est en cours et bien avancée.

J’ai croisé l’existence de Framasoft au début des années 2000 et lorsque l’association a proposé des outils comme les Framapad, framacalc et toutes les framachoses ; j’en ai profité pour diffuser ces outils plutôt que ceux de Google auprès des associations avec lesquelles j’étais en contact. Mes activités associatives m’ont ainsi permis de tester petit à petit les outils avant de les utiliser au niveau de l’entreprise.

Des outils (LMB, Médialibs) propriétaires avec de grandes difficultés et/ou coûts pour disposer de fonctionnalités propre à notre métier d’éditeur. Des facturations pour utilisation des systèmes existants plutôt que pour du développement. Un sentiment d’impuissance pour répondre à nos besoins numériques et d’une non écoute de nos problématiques : c’est à nous de nous adapter aux solutions proposées… Aucune liberté.

« un besoin de cohérence »

Quelle était votre motivation ?

La motivation principale est vraiment liée à un besoin de cohérence.

Nous imprimons localement sur des papiers labellisés, nous calculons les droits d’auteurs sur les quantités imprimées, nos envois sont préparés par une entreprise adaptée, nous avons quitté Amazon dès 2013 (après seulement 1 an d’essai)…

À titre personnel j’ai quitté Gmail en 2014 et j’avais écrit un billet sur mon blog à ce sujet. Mais ensuite, passer du perso à l’entreprise, c’était plus compliqué, plus lent aussi.

Par ailleurs nous devions faire évoluer nos systèmes d’information et remettre tout à plat.

 

…et vos objectifs ?

Il y a clairement plusieurs objectifs dans cette démarche.

  • Une démarche militante : montrer qu’il est possible de faire autrement.
  • Le souhait de mieux maîtriser les données de l’entreprise et de nos clients.
  • Le besoin d’avoir des outils qui répondent au mieux à nos besoins et que nous pouvons faire évoluer.
  • Quitte à développer quelque chose pour nous autant que cela serve à d’autres.
  • Les fonds d’aides publiques retournent au public sous forme de licence libre.
  • Création d’un réseau d’acteurs et actrices culturelles autour de la question du numérique libre.

 

Quel lien avec les valeurs de votre maison d’édition ?

Les concepts de liberté et de responsabilité sont régulièrement présents dans les livres que nous éditons. Réussir à gagner petit à petit en cohérence est un vrai plaisir.
Partage et permaculture… Ce que je fais sert à autre chose que mon besoin propre…

 

Qui a travaillé sur cette démarche ?

Aujourd’hui ce sont surtout Dominique et moi-même qui travaillons sur les tests et la mise en place des outils.

Des entreprises associées : Symétrie sur Lyon, B2CK en Belgique , Dominique Chabort au début sur la question de l’hébergement.

Un des problèmes aujourd’hui est clairement le temps insuffisant que nous parvenons à y consacrer.

Aujourd’hui, la place du SI est pour nous primordiale pour prendre soin comme nous le souhaitons de nos contacts, lecteurs, pour diffuser notre catalogue et faire notre métier.

 

Vous avez les compétences pour faire ça dans l’entreprise ?

Il est clair que nous avons plus que des compétences basiques. Elles sont essentiellement liées à nos parcours et à notre curiosité : si Dominique a une expérience de dev et chef de projet que je n’ai pas, depuis 1987 j’ai eu le temps de comprendre les fonctionnements, faire un peu de code, et d’assemblages de briques 😉

 

Combien de temps ça vous a pris ?

Je dirais que la démarche est réellement entamée depuis 2 ans (le jour ou j’ai hébergé sauvagement un serveur NextCloud sur un hébergement mutualisé chez OVH). Et aujourd’hui il nous faudrait un équivalent mi-temps pour rester dans les délais que nous souhaitons.

 

Ça vous a coûté de l’argent ?

Aujourd’hui ça nous coûte plus car les systèmes sont un peu en parallèle et que nous sommes passés de Google « qui ne coûte rien » à l’hébergement sur un VPS pour 400 € l’année environ. Mais en fait ce n’est pas un coût, c’est réellement un investissement.

Nous ne pensons pas que nos systèmes nous coûteront moins chers qu’actuellement. Mais nous estimons que pour la moitié du budget, chaque année, les coûts seront en réalité des investissements.

Les coûts ne seront plus pour l’utilisation des logiciels, mais pour les développements. Ainsi nous pensons maîtriser les évolutions, pour qu’ils aillent dans notre sens, avec une grande pérennité.

 

Quelles étapes avez-vous suivi lors de cette démarche  de dégooglisation ?

Ah… la méthodologie 🙂

Elle est totalement diffuse et varie au fil de l’eau.

Clairement, je n’ai AUCUNE méthode (c’est même très gênant par moment). Je dirais que je teste, je regarde si ça marche ou pas, et si ça marche moyen, je teste autre chose. Heureusement que Dominique me recadre un peu par moment.

Beaucoup d’échanges et de controverse. Surtout que le choix que nous faisons fait reposer la responsabilité sur nous si nous ni parvenons pas. Nous ne pouvons plus nous reposer sur « c’est le système qui ne fonctionne pas », « nous sommes bloqué·e·s par l’entreprise ». C’est ce choix qui est difficile à faire.

La démarche c’est les rencontres, les échanges, les témoignages d’expériences des uns et des autres…

Et puis surtout : qu’avons nous envie de faire, réellement…

Dans un premier cas, est-ce que cela me parle, me met en joie d’avoir un jolie SI tout neuf ? Ou cela nous aiderait au quotidien, mais aucune énergie de plus.

Dans l’option que nous prenons, l’idée de faire pour que cela aide aussi les autres éditeurs, que ce que nous créons participe à une construction globale est très réjouissant…

La stratégie est là : joie et partage.

Au début ?

Un peu perdu, peur de la complexité, comment trouver les partenaires qui ont la même philosophie que nous…

Mais finalement le monde libre n’est pas si grand, et les contacts se font bien.

 

Ensuite ?

Trouver les financements, et se lancer.

 

Et à ce jour, où en êtes-vous ?

À ce jour nous avons totalement remplacé les GoogleDrive, Hubic et Wetransfer par Nextcloud ; remplacé également GoogleHangout par Talk sur Nextcloud.

Facebook, Instagram et Twitter sont toujours là… Mais nous avons un compte sur Mastodon !

Youtube est toujours là… Mais le serveur Peertube est en cours de création et Funkwhale pour l’audio également.

Concernant l’administration de ces outils, je suis devenu un grand fan de Yunohost : une solution qui permet l’auto-hébergement de façon assez simple et avec communauté très dynamique.

Notre plus gros projet est dans le co-développement d’un ERP open source : Oplibris

Ce projet est né en 2018 après une étude du Coll.LIBRIS (l’association des éditeurs en Pays de la Loire) auprès d’une centaine d’éditeurs de livres. Nous avons constaté qu’il n’existait à ce jour aucune solution plébiscité par les éditeurs indépendants qui ont entre 10 et 1000 titres au catalogue. Nous avons rencontré un autre éditeur (Symétrie, sur Lyon) qui avait de son côté fait le même constat et commencé à utiliser Tryton. (je profite de l’occasion pour lancer un petit appel : si des dev flask et des designers ont envie de travailler ensemble sur ce projet, nous sommes preneurs !)

Migrer LMB, notre ERP actuel, vers Oplibris est vraiment notre plus gros chantier.

À partir de là, nous pourrons revoir nos sites internet qui viendront se nourrir dans ses bases et le nourrir en retour.

 

Combien de temps entre la décision et le début des actions ?

Entre la décision et le début des actions : environ 15 secondes. Par contre, entre le début des actions et les premières mise en place utilisateur environ 6 mois. Ceci dit, de nombreuses graines plantées depuis des années ne demandaient qu’à germer.

« Nous mettons de grosses contraintes éthiques »

Avant de migrer, avez-vous testé plusieurs outils au préalable ?

J’ai l’impression d’être toujours en test. Par exemple, Talk/Discussion sur Nextcloud ne répond qu’imparfaitement à notre besoin. Je préférerais Mattermost, mais le fait que Talk/Discussion soit inclus dans Nextcloud est un point important côté utilisateurs.

Nous mettons de grosses contraintes éthiques, de ce fait les choix se réduisent d’eux-mêmes, il ne reste plus beaucoup de solutions. Lorsqu’on en trouve une qui nous correspond c’est déjà énorme !

 

Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices ?

L’équipe est assez réduite et plutôt que de prévoir de la documentation avec des captures écran ou de la vidéo, je préfère prendre du temps au téléphone ou en visio.

 

Prévoyez-vous des actions plus élaborées ?

Nous n’en sommes pas à ce stade, probablement que si le projet se développe et est apprécié par d’autres, des formations entre nous seront nécessaires.

 

Quels ont été les retours ?

Il y a régulièrement des remarques du genre : « Ah mais pourquoi je ne peux plus faire ça » et il faut expliquer qu’il faut faire différemment. Compliqué le changement des habitudes, ceci dit l’équipe est bien consciente de l’intérêt de la démarche.

 

Comment est constituée « l’équipe projet » ?

Dominique, B2CK, Symétrie.

 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La difficulté majeure est de trouver le bon équilibre entre la cohérence des outils et l’efficacité nécessaire dans le cadre d’une entreprise.

Le frein majeur côté utilisateurs est de faire migrer les personnes qui utilisent encore Gmail pour le traitement de leur courriel. L’interface est si pratique et la recherche tellement puissante et rapide qu’il est compliqué de le quitter.

Une autre difficulté est d’ordre comptable et financier : comment contribuer financièrement à ce monde du logiciel libre ? Comment donner ? A quelles structures ? (aujourd’hui nos financements vont principalement au développement de Tryton).

 

Et l’avenir ? Envisagez-vous de continuer cette démarche pour l’appliquer à d’autres aspects de votre organisation ?

Côté création, j’aimerais beaucoup que nous puissions utiliser des outils libres tels que Scribus, Inkscape, Krita ou GIMP plutôt que la suite Adobe. Mais aujourd’hui ces outils ne sont pas adoptés par l’équipe de création car trop compliqués d’utilisation et pas nativement adaptés à l’impression en CMJN. Une alternative serait d’utiliser la suite Affinity (mais qui n’est pas open source…)

Quels conseils donneriez-vous à d’autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?

Y prendre du plaisir ! Mine de rien, la démarche demande du temps et de l’attention. Il faut confier ça à des personnes qui prennent ça comme un jeu. Oubliez la notion de temps et de délais, optez pour les valeurs qui soient plus la finalité et le plaisir. Au pied de la montagne entre prendre le téléphérique ou le chemin à pied ce n’est pas le même projet, vous n’avez pas besoin des même moyens.

 

Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Sommes-nous les outils que nous utilisons ? Libres ?

Quitter les réseaux sociaux centralisés est extrêmement complexe. Je manque encore de visibilité à ce sujet et ça risque d’être encore très long. J’ai proposé à l’équipe une migration totale sans clore les comptes mais avec un mot régulièrement posté pour dire « rejoignez-nous ici plutôt que là ». Mon rêve serait d’embarquer au moins une centaine d’entreprises dans une telle démarche pour tous faire sécession le même jour. Des volontaires ? 🙂

 

Aller plus loin

  • Fair-play, Albert ne nous l’a jamais demandé, il sait qu’on est un peu allergique à la pub, mais on vous donne quand même le lien vers le site des Éditions Pourpenser

Crédits

  • Illustrations réalisées par Albert sur Gégé  à partir de dessins de Gee
  • Photo de l’équipe avec des illustrations d’Aline de Pétigny et Laura Edon
  • Logo de pourpenser mis en couleurs par Galou



TousAntiConneries

Gee avait publié sa BD StopConneries en réaction à StopCovid, il lui semble donc opportun de publier aujourd’hui une nouvelle BD, TousAntiConneries. N’hésitez pas à relire l’article d’origine qui reste tristement d’actualité.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




« I don’t want any spam ! »

Traduction : « Je ne veux pas de spam ! »

Le spam est un problème qu’à Framasoft, nous connaissons bien. Mais savez-vous à quel point ?
Je vais, dans cet article, vous dresser le tableau des soucis de spam que nous rencontrons et des contre-mesures que nous avons mises en place.

Avant cela, un peu d’histoire…

Qu’est-ce que le spam ?

Avant l’ère d’Internet, le spam n’était qu’une marque de viande en conserve.

Les Monty Python, humoristes anglais à qui l’on doit notamment les hilarants Sacré Graal ! et La vie de Brian, ont réalisé un sketch (version textuelle) dans lequel un couple, dans un restaurant, demande ce qu’il y a à la carte pour le petit déjeuner et où la serveuse ne propose que des plats avec du spam (et pas qu’un peu : « Spam, spam, spam, spam, spam, spam, baked beans, spam, spam, spam and spam. »). La femme du couple ne peut avoir de petit déjeuner sans spam, la serveuse ne lui proposant qu’encore plus de spam… (le titre de cet article est une citation de la femme du couple).

Un homme et une femme dans un restaurant
Capture d’écran du sketch des Monty Python sur le Spam

De ce sketch découle l’utilisation du terme spam pour les courriels indésirables (et tout autre message indésirable, quelle que soit la plateforme comme nous allons le voir).
De nos jours, le spam représente 50% des courriels échangés sur la planète.

Que serait une marque sans #CopyrightMadness ? Hormel Foods, l’entreprise derrière le spam a tenté d’utiliser le droit des marques pour éviter que le nom de son produit soit utilisé pour quelque chose dont personne ne veut et pour essayer d’empêcher d’autres entreprises d’utiliser le terme (comme des éditeurs de solutions anti-spam). Je croyais qu’Hormel Foods avait cessé cette lutte inutile, mais il semblerait que non, allant jusqu’à embêter Gee pour un dessin qu’il proposait sur RedBubble.

Un homme met un coup de pied dans une enveloppe pour l’envoyer dans une corbeille sur laquelle est marqué « spam »
Le dessin de Gee qui lui a valu une plainte d’Hormel Foods

Le spam dans les courriels

Chez Framasoft, nous sommes aux deux bouts de la chaîne : nous envoyons beaucoup de courriels (dans les 15 000 courriels par jour pour nos services – inscriptions, notifications, etc. – et plus de 200 000 courriels par jour pour Framalistes) et nous en recevons aussi, que ce soit au niveau de notre serveur de courriel interne ou sur Framalistes. Il y a aussi quelques autres services qui permettent d’interagir par courriel comme notre forum, Framavox et Framagit.

Deux astronautes regardant la terre. Une boîte de Spam est sur la terre. Le premier astronaute s’exclame « Mais le monde est plein de spam ! ». Le deuxième, un brassard « spam » sur le bras, braque un pistolet sur le premier astronaute et dit « Ça a toujours été ! »

Nous devons donc nous assurer, d’un côté, de ne pas passer pour des spammeur·euses et de l’autre, de nous en protéger.

Se protéger des spams par courriel

Rien de bien fantastique à ce niveau. Nous utilisons l’antispam Rspamd qui vérifie la validité du courriel par rapport à sa signature DKIM, à l’enregistrement SPF et à la politique DMARC du domaine (voir sur NextINpact pour un bon article sur le sujet). Bien entendu, cela ne vaut que si le domaine en question met en place ces mécanismes… On notera que la plupart des FAI français, s’ils vérifient bien les courriels entrants de la même façon que nous, se tamponnent allègrement le coquillard de mettre en place ces mécanismes pour leurs propres courriels. J’aimerais qu’un jour, ceux-ci arrêtent de faire de la merde 🙄 (remarquez, il semblerait que ça avance… très lentement, mais ça avance).

En plus de ces vérifications, Rspamd effectue aussi une vérification par filtrage bayésien, interroge des listes de blocage (RBL) et utilise un mécanisme de liste grise.

Thomas Bayes avec des yeux rouges (façon yeux laser)
Thomas Bayes analysant des courriels à la recherche de spam

Il y a toujours, bien évidemment des trous dans la raquette, mais le ratio spam intercepté/spam non détecté est assez haut et nous alimentons Rspamd avec les messages indésirables qui sont passés sous le radar.

Sur Framalistes, afin de ne pas risquer de supprimer de messages légitimes, nous avons forcé le passage des spams probables en modération : tout message considéré comme spam par Rspamd doit être approuvé (ou rejeté) par les modérateur·ices ou propriétaires de la liste.

(parenthèse technique)
Nous avons créé un scénario spam_status.x-spam-status dans Sympa :

title.gettext test x-spam-status  header

match([header->Subject][-1],/\*\*\*\*\*SPAM\*\*\*\*\*/) smtp,dkim,smime,md5 -> unsure
true()                                                  smtp,dkim,md5,smime -> ham

Et nous avons ajouté cette ligne à tous les scenarii de type send :

match ([msg->spam_status], /unsure/)   smtp,dkim,md5,smime   ->   editorkey

Le texte *****SPAM***** est ajouté au sujet du mail par Rspamd en cas de suspicion de spam. Si Rspamd est vraiment catégorique, le mail est directement rejeté.

Titre : « AdminSys, c’est pas drôle tous les jours. SPAM ou PAS SPAM ? ». Suit un bloc de texte où une femme propose d’envoyer des photos sexy d’elle. Un personnage : « J’hésite »
Difficile de déterminer si un message est du spam ou pas… 😅

Ne pas être considéré comme spammeur·euses

Là, c’est plus difficile. En effet, malgré notre respect de toutes les bonnes pratiques citées ci-dessus et d’autres (SPF, DKIM, DMARC…), nous restons à la merci de règles absurdes et non publiques mises en place par les autres services de courriel.

Vous mettez en place un nouveau serveur qui va envoyer des courriels ? Bon courage pour que les serveurs de Microsoft (hotmail.com, outlook.com…) l’acceptent. J’ai encore vécu ça il y a quelques mois et je ne sais toujours pas comment ça s’est débloqué (j’ai envoyé des courriels à des adresses chez eux que j’ai créées pour ça et je reclassais les courriels dans la catégorie « légitime », ça ne fonctionnait toujours pas mais quelques semaines plus tard, ça passait).

Bob l’éponge, les mains écartées et reliées par un arc-en-ciel. Texte : « It’s magic »

Votre serveur envoie beaucoup de courriels à Orange ? Pensez à limiter le nombre de courriels envoyés en même temps. Mais aussi à mettre en place un cache des connexions avec leurs serveurs. Eh oui : pas plus de X mails envoyés en même temps, mais pas plus de Y connexions par heure. Ou par minute. Ou par jour. C’est ça le problème : on n’en sait rien, on ne peut que poser la question à d’autres administrateurs de services de mail (pour cela, la liste de diffusion smtp-fr gagne à être connue. Le groupe des adminSys français, FRsAG est aussi à garder en tête).

Un autre problème est que nous ne sommes pas à l’origine du contenu de tous les courriels qui sortent de nos serveurs.
Par exemple, un spam arrivant sur une framaliste, s’il n’est pas détecté, sera envoyé à tou·tes les abonné·es de la liste, et ça peut vite faire du volume.

Les spams peuvent aussi passer de medium en medium : Framapiaf peut vous notifier par courriel d’une mention de votre identifiant dans un pouet (Ex. « Coucou @luc »). Si le pouet est un spam (« Coucou @luc, tu veux acheter une pierre magique contre les ondes 5G des reptiliens franc-maçons islamo-gauchistes partouzeurs de droite ? »), le spam se retrouve dans un courriel qui part de chez nous.

Mème avec le texte « Spam. Spam everywhere »

Certes, les courriels partant de chez nous sont aussi analysés par Rspamd et certains sont bloqués avant envoi, mais ce n’est pas efficace à 100 %.

Il y a aussi les faux positifs : que faire si nos courriels sont incorrectement classés comme spam par leurs destinataires ? Comme quelqu’un abonné sur une framaliste sans en être averti et qui d’un coup se retrouve submergé de courriels venant d’un expéditeur inconnu ?

Nous nous sommes inscrits à une boucle de rétroaction : nous recevons des notifications pour chaque courriel classé comme indésirable par un certain nombre de fournisseurs de messagerie.
Cela nous a permis (et nous permet toujours. Quotidiennement.) d’envoyer un message à de nombreuses personnes au courriel @laposte.net abonnées à des framalistes pour leur demander de ne pas nous mettre en indésirable, mais de se désabonner de la liste (en leur indiquant la marche à suivre) si elles ne souhaitent pas en recevoir les messages.

Au niveau de Framalistes, nous vérifions que les comptes possédant plus qu’un certain nombre de listes, et que les listes avec beaucoup d’abonné⋅es ne soient pas utilisées pour envoyer des messages indésirables. En effet, nous avons déjà souffert de quelques vagues de spam, nous obligeant à l’époque à modérer la création de listes en dehors des heures de travail car nous ne souhaitions pas, le matin, nous rendre compte que le service était tombé ou s’était fait bloquer pendant la nuit : l’envoi massif de courriels comme le faisaient les spammeur·euses rencontrait souvent un goulot d’étranglement au niveau du serveur, incapable de gérer autant de courriels d’un coup, ce qui faisait tomber le service.
Cette modération n’est plus active aujourd’hui, mais nous avons toujours cet outil prêt à être utilisé en cas de besoin.

Framalistes, si vous l’utilisez, a besoin de vous pour lutter contre le spam !

Petit rappel : il y a un lien de désinscription en bas de chaque courriel des framalistes. Utilisez ce lien pour vous désinscrire si vous ne souhaitez plus recevoir les messages de la liste.

Rien de plus simple que de déclarer un courriel comme étant du spam, n’est-ce pas ? Un clic dans son client mail et hop !

Eh bien non, pas pour Framalistes.

En effet, en faisant cela, vous déclarez notre serveur comme émettant du spam et non pas le serveur originel : nous risquons d’être complètement bannis et de ne plus pouvoir envoyer de courriels vers votre service de messagerie. De plus, l’apprentissage du spam (si le service de messagerie que vous utilisez fait bien son travail, les messages déclarés manuellement comme étant du spam passent dans une moulinette pour mettre à jour les règles de filtrage anti-spam) ne se fait que sur votre service de messagerie, pas chez nous.

Un chat devant un ordinateur portable, l’air halluciné. Texte : « You has spam. Glorious SPAM »

Si votre liste reçoit des spams, merci de le signaler à nom_de_la_liste-request@framalistes.org (l’adresse pour contacter les propriétaires de votre liste) : les propriétaires de la liste ont la possibilité, sur https://framalistes.org/sympa/arc/nom_de_la_liste, de supprimer un message des archives et de le signaler comme spam non détecté (n’hésitez pas à leur indiquer ce lien).

Le spam sur Framapiaf et Framasphère

Point d’antispam comme Rspamd possible sur Mastodon ou diaspora* (techniquement, il pourrait y avoir moyen de faire quelque chose, mais ça serait très compliqué).

Les serveurs Mastodon (pas que framapiaf.org, celui de Framasoft) font régulièrement l’objet de vagues d’inscription de spammeur·euses. Pour éviter l’épuisement de notre équipe de modération, nous avons décidé de modérer les inscriptions et donc d’accepter les comptes un à un.

Nous nous reposons sur les signalements des utilisateur·ices pour repérer les comptes de spam que nous aurions laissé passer et les supprimer (ce qui est très rare) ou les bloquer s’ils proviennent d’autres serveurs avec lesquels nous sommes fédérés.

Framasphère ne dispose pas, contrairement à Framapiaf de tels outils de modération : pas d’inscriptions modérées, pas de blocage de comptes distants… Nous ne pouvons que nous reposer sur les signalements et bloquer les comptes locaux.
Nous arrivons tout de même à bloquer les comptes distants, mais cela nécessite de modifier un enregistrement directement en base de données.

(parenthèse technique)
Voici comment nous bloquons les comptes distants sur Framasphère :

UPDATE people SET serialized_public_key = 'banned' WHERE guid = 'le_guid_du_compte';

Le spam sur Framaforms

Framaforms a rapidement été victime de son succès : sa fréquentation a presque triplé entre 2019 et 2020 (et l’année n’est pas terminée !), devenant aujourd’hui le service le plus utilisé de notre réseau !

Nous n’avons donc pas remarqué la création de nombreux, trop nombreux formulaires proposant, par exemple, des liens vers des sites de téléchargement illégal de films. C’est d’ailleurs suite à une réclamation d’un ayant droit que nous avons pris conscience du problème (oui, nous avons fait suite à cette réclamation : quoi que nous pensions du droit d’auteur, nous nous devons de respecter la loi).

Pic (x10) de clics provenant de recherches Google, principalement vers des formulaires de spam (warez).

La lutte contre le spam a occupé une bonne partie du temps de Théo qui a temporairement rejoint notre équipe salariée pour prêter main forte sur Framaforms :

  • détection de certains termes dans les formulaires avec mise en quarantaine (dépublication) en cas de suspicion de spam ;
  • quarantaine des formulaires ne contenant aucune question (juste la description, quoi) ;
  • interdiction de certains termes dans le titre des formulaires ;
  • intégration d’Akismet (un service anti-spam en ligne, proposé par Automattic, la société derrière https://wordpress.com/, contributrice à WordPress) ;
  • amélioration du système de CAPTCHA
  • ajout de vues permettant une gestion plus aisée des formulaires par les administrateur·ices.

Les efforts de Theo ont porté leurs fruits : la détection automatique des spams et leur dépublication tout aussi automatique limitent la pollution présente sur Framaforms (ce qui évite les réclamations, donc de monopoliser l’attention d’un salarié pour y répondre) et l’interface de gestion des spams facilite grandement le travail des administrateur·ices.

Un homme avec un lance-flamme. Texte « Kill it! Kill it with fire before it lays eggs! »
Théo s’attaquant au problème des spams sur Framaforms (allégorie)

Le spam sur Framagit

Nous avons beaucoup d’utilisateur⋅ices sur Framagit : nous avons dépassé les 90 000 inscrit⋅es. Mais pour notre malheur, la grande majorité d’entre elleux est constituée de comptes de spam !

Après des mois de ménage, nous sommes redescendus à un peu moins de 34 000 comptes, mais nous ne sommes pas dupes : il y a encore beaucoup de comptes illégitimes.

À noter cependant : ces comptes de spam ne semblent pas être dommageables pour les utilisateur⋅ices de Framagit. En effet, leur nuisance se limite généralement à mettre des liens vers un site de poker en ligne, de rencontres voire… de plombiers à Dubaï (je ne comprends pas non plus 😅).

Ceci explique en partie pourquoi nous n’avons pas lutté très activement contre le spam sur Framagit (l’autre raison étant que nous n’avions tout simplement pas de temps à y consacrer).

Nous avions déjà eu une vague de spams lors de l’ouverture de Framagit et nous avions dû interdire l’accès de notre forge logicielle à l’Inde, à l’Indonésie et au Viêt Nam, restriction active jusqu’à la semaine dernière.
Cela n’est pas dans nos habitudes mais s’il faut choisir entre ça et le risque d’épuisement professionnel d’un membre de l’équipe, Framasoft préfère faire passer l’humain avant tout (🤗).

Une grande vague de nettoyage a eu lieu en juin, où j’ai recherché des critères communs aux comptes de spam afin de les supprimer en masse… ce qui a donné lieu à une vilaine boulette lorsque j’ai choisi des critères bien trop larges, conduisant à la suppression de nombreux comptes légitimes (rétablis depuis).

Depuis, j’ai vérifié manuellement chaque compte remonté par mes recherches… soit plus de 18 000 comptes depuis septembre. Parmi ceux-ci, il devait y en avoir, à la louche (parce que mes souvenirs me trahissent), une ou deux dizaines de comptes légitimes. Heureusement ! Je crois que j’aurais assez mal pris le fait d’avoir vérifié chaque compte pour rien 😅

Nous avons désormais un script qui supprime automatiquement les comptes qui ne se sont jamais connectés dans les 10 jours suivant leur inscription : ce sont visiblement des comptes de spam qui ne reçoivent pas les mails de confirmation et donc ne se sont jamais connectés.
Ce script nous remonte aussi les comptes dont la biographie ou les liens contiennent certains termes usités par les spammeur·euses.

Nous avons recherché une solution de CAPTCHA pour Framagit, mais celui-ci ne supporte que reCaptcha, la solution d’Alphabet/Google… et il était hors de question de faire fuiter les informations (adresse IP, caractéristiques du navigateur…) et permettre le tracking de nos utilisateurs vers les services de l’infâme bête aux multiples têtes que nous combattons !

Hercule et l’hydre de Lernes
Framasoft combattant Google, allégorie

Nous avons alors recherché quelqu’un·e qui saurait développer, contre rémunération, une solution de type honeypot.
Dans le ticket que nous avons, sans aucune honte, squatté pour poser notre petite annonce, on nous a aiguillés vers une fonctionnalité d’honeypot expérimentale et cachée de Gitlab que je me suis empressé d’activer.
Il faut bien le dire : c’est très efficace ! Le nombre de comptes automatiquement supprimés par le script évoqué plus haut est descendu de près de 100 par jour à entre 0 et 2 comptes, ce qui montre bien que les scripts des spammeur·euses pour s’inscrire ne fonctionnent plus aussi bien.

Bien évidemment, il reste encore beaucoup de spam sur Framagit, et de nombreux comptes de spam sont créés chaque jour (10 ? 15 ? 20 ? Ça dépend des jours…), mais nous ne comptons pas en rester là. Le honeypot pourrait être amélioré, ou nous pourrions voir pour une intégration d’Akismet à Gitlab (il y en a déjà une, mais elle n’est pas utilisée pour vérifier les biographies des comptes).
Gitlab permet maintenant de modérer les inscriptions en les acceptant une à une (comme nous le faisons sur Framapiaf) : nous avons récemment activé cette fonctionnalité, pour voir si la charge de modération était acceptable et si cela avait un effet bénéfique.

Mème de Winnie l’ourson : Winnie, habillé normalement, l’air un peu déconfit : « Delete spam one by one ». Winnie en smoking, l’air satisfait « Install a honeypot »

Nous recevons de temps à autre (bien moins ces derniers temps, fort heureusement) des mails indiquant que Framalink est utilisé pour dissimuler des liens de hameçonnage dans des mails.

Lorsque la vague d’utilisation malveillante s’est intensifiée, j’ai développé (et amélioré au fil du temps) quelques fonctionnalités dans Lstu (le logiciel derrière Framalink) : une commande pour supprimer des raccourcis, pour rechercher les raccourcis contenant une chaîne de caractères ou provenant d’une certaine adresse IP, un système de bannissement d’adresse IP, un système de domaines interdits, empêchant le raccourcissement d’URL de tels domaines, une vérification des URL dans la base de données Google Safe Browsing (lien en anglais) avant raccourcissement et même a posteriori (je vous rassure, aucune donnée n’est envoyée à Google, la base de données est copiée et utilisée en local).

Ces efforts n’ont pas été suffisamment efficaces et nous avons été obligés de couper l’accès à l’API de Framalink, ce qui n’est pas une panacée, mais tout cela a fortement réduit nos problèmes de spam (ou pas, mais en tout cas, on a beaucoup moins de mails nous alertant de l’utilisation de Framalink pour du hameçonnage).

Notez que c’est à cause de l’utilisation de Framalink à des fins malveillantes que ce service est souvent persona non grata chez Facebook, Twitter et consorts.

Framasite

Des framasites avec de jeunes filles dénudées qui jouent au poker avec des plombiers de contrées lointaines ? Eh bien non, même pas. Les spammeurs se contentent de créer des comptes dont le nom d’utilisateur·ice est du genre « Best adult dating site, register on… ».

Et tout comme sur Framagit, beaucoup de comptes créés ne sont jamais validés (vous savez, avec l’email qui dit « cliquez sur ce lien pour finaliser votre inscription » ?).

Heureusement que ce n’est que cela, Framasite n’ayant pas d’interface d’administration permettant la suppression propre d’utilisateur·ices (« propre » voulant dire avec suppression des sites créés). Une simple suppression des comptes illégitimes en base de données suffit à faire le ménage.

Mème avec Gru des films « Moi moche et méchant » qui fait une présentation : « Faire de l’éducation populaire », « Proposer un outil pour faire des sites », « Avoir des comptes appelés « Best adult dating site » » Gru se retourne, interloqué par la page de présentation « Avoir des comptes appelés « Best adult dating site » »

Framalibre

Framalibre est aussi sujet aux spams, mais il s’agit généralement là de notices de logiciels non libres. Soit les personnes créant ces notices n’ont pas compris que Framalibre n’était dédié qu’aux logiciels libres, soit elles ont essayé d’améliorer leur référencement en ajoutant leurs logiciels.

Pour une fois, ce n’est pas bien méchant, pas bien violent (cela n’arrive pas souvent) et la vigilance de l’équipe de modération permet de supprimer (manuellement) ces notices indésirables très rapidement.

WordPress (commentaires)

Les spams dans les commentaires d’un blog sont un graaaaand classique ! Nous avons opté, sur nos sites wordpress, pour les extensions Antispam Bee et Spam Honey Pot.

C’est plutôt efficace, il est rare qu’un spam passe à travers ce système.

Drupal (inscriptions)

Nous avons quelques autres installations de Drupal autres que Framaforms et Framalibre. Les spammeurs s’inscrivent, voient qu’ils ne peuvent rien publier facilement : les Drupal en question ont les inscriptions ouvertes pour une bonne raison, mais ne permettent pas de créer des articles comme ça, hop !

Ce n’est donc, à l’heure actuelle, pas gênant.

Notre formulaire de contact

« Un formulaire de contact ? Oh chic ! » se disent les spammeurs. Là aussi, nous recevons un certain nombre de spams, tous les jours, toutes les semaines (une quarantaine par semaine), ou par une ancienne adresse de contact.

Nous nous contentons de répondre « #spam » en commentaire du ticket créé dans notre RequestTracker : cela supprime le message et empêche son expéditeur·ice de nous envoyer d’autres messages (voir sur mon wiki personnel pour commander son RequestTracker par mail).

Les faux positifs

Deux boutons : « Spam », « Pas spam ». Un homme s’essuie le front, angoissé par le choix à faire. L’homme est légendé « L’antispam »
Spam, pas spam… la vie d’un antispam n’est pas facile.

Je n’ai pas encore parlé des faux positifs : des messages légitimes détectés à tort comme étant du spam. Cela arrive forcément, quel que soit le type de plateforme, quels que soient les moyens déployés : statistiquement, il y aura toujours, un jour, une erreur du système ou des humain·es derrière (cf la boulette évoquée dans la partie « Framagit »).

Et dans l’autre sens, on aura toujours des spams qui arriveront à passer. Il est généralement difficile voire impossible de durcir les règles de détection de spam sans augmenter la proportion de faux positifs.

Conclusion

Il n’y en pas vraiment. La lutte contre le spam est un combat sans fin, un jeu du chat et de la souris qui ne se termine jamais. On tente de se protéger du mieux qu’on peut, on trouve des astuces, ça va mieux pendant un temps et ça recommence.

Il faut pas se le cacher : plus un hébergeur « grossit », plus il prend de la renommée sur Internet, plus il y a de chances que des personnes malveillantes repèrent son service et l’utilisent pour leur spam. Il y a donc un paradoxe de l’hébergement : trop petit, on est vite seul·e et débordé·e par la multiplicité des tâches à accomplir pour faire les choses correctement…

Mais trop gros, on centralise les attentions, dont celles des personnes malveillantes qui auront peu de scrupules à parasiter les ressources que vous mettez en commun. Ce qui induit encore plus de travail pour se protéger des spams et les nettoyer.

Ça vous paraît pessimiste ? Ça l’est un peu, sans doute ¯\_(ツ)_/¯

Sisyphe poussant son rocher
La lutte contre le spam (allégorie)




Framaprout : ceci est une Prout-révolution

Plus qu’un service, Framasoft lance aujourd’hui un mouvement, un art de vivre, un programme politique qui se résume en un mot : prout.

« Alors ça y est, Framasoft a prouté un câble…? »

Oui.

Il faut dire qu’entre un reconfinement mi-figue mimolette (dont les règles oscillent entre Kamoulox et chante-sloubi), des drames affreux récupérés de manière cynique et morbide par des obsédé·es du solutionnisme compulsif, la théâtralisation de jeux électoraux dont les conséquences risquent de n’amuser personne… Comment garder l’esprit sain ?

La solution est apparue au petit Pierre-Yves, 42 ans, alors que l’application Twitter l’entraînait dans un scroll infini. Les tweets anxiogènes défilaient sous ses yeux jusqu’à ce que : Prout.

J’ai alors un peu craqué nerveusement, témoigne-t-il. Je trouvais ça tellement génial que le site la RTBF (l’équivalent Belge de France Télévision) se retrouve avec des dizaines de milliers de pages terminant par « Prout ».

Justice nulle part…? Prout partout !

On pourrait vous pondre un essai long, intelligent et académique sur les vertus du Prout face au capitalisme de surveillance. (attention, ceci est une menace : ne nous poussez pas ou on l’écrit, hein !)

Nous y évoquerions à coup sûr la loi de Brandolini, qui explique qu’il est toujours moins fatiguant de dire une connerie que de démentir la connerie qui vient d’être dite. Vous aussi vous trouvez que c’est usant de répondre à une personne qui dénie le réchauffement climatique, dit que la terre est plate et que toutes les opinions -même les nazies- se valent…? Prout.

Notre éloge du Prout mentionnerait forcément la fenêtre d’Overton. Lorsque des partis, médias, groupes, etc. laissent certains membres dire des énormités choquantes, c’est pour que leur idée nauséabonde pue un peu moins en comparaison. Des politiques se lancent dans un nouveau concours Lépine des idées extrêmes ? Prout, prout et re-prout !

Vulgaire, le prout ? Que nenni ! C’est même tout un art ! Le prout est imparable, car il lâche une caisse d’irrévérence pour révéler l’absurdité de celles et ceux qui se prennent un poil trop au sérieux. Le prout est subversif, il souffle un vent de « je te pète à la gueule ». Par sa nature même, le prout est insaisissable. Son parfum vengeur vient et s’en va. Sans laisser de trace.

« Le prout n’est-il pas nihiliste, dépolitisant ou aquoiboniste ? » Non ! Sa matière, si tant est qu’on puisse parler de matière, est tellement éthérée, qu’elle ne porte pas d’autres poids que celui d’affirmer la fa(r)tuité de celui qui le génère. On peut même compléter en paraphrasant Victor Hugo dans un de ses plus beaux discours : « Le prout, comme épiphonème, appartient à son auteur, mais comme acte, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. ».

Enfin, le prout est in-censurable. « Prout » n’est pas une insulte, c’est une fonction naturelle. Prout.

Du prout comme arme d’auto-défense sociale

C’est une phrase connue sur Internet : argumenter avec des trolls, c’est comme jouer aux échecs contre un pigeon. Peu importe votre niveau, le pigeon va juste renverser toutes les pièces, chier sur le plateau et se pavaner fièrement comme s’il avait gagné.

Le meilleur moyen de s’en sortir c’est de s’écrier : « Aha ! Je te vois ! Tu es un pigeon ! Et les pigeons ne jouent pas aux échecs, donc je ne joue pas avec toi ! ». Mais, dans notre expérience, un tel recul est rare. Et s’il advient, le pigeon vous entraîne dans un nouveau débat d’un « mais pourquoi tu me traites de troll ? ». Donc : prout.

Le prout est un moyen de faire tomber les masques, de s’écrier ce « je te vois ! » au pigeon qui voulait nous mettre en échec. Notre paysage médiatique (qui inclut les médias sociaux) est rempli de postures d’autorité ballonnées, de rhétoriques foireuses, de techniques de manipulation nauséabondes et de vents de désinformation. Celles et ceux qui en pètent d’avoir tout le temps un avis : on vous voit. Prout.

Le monde n’a jamais eu autant besoin de Prouts. Parce qu’en fait, on n’a aucune place dans le débat en tant qu’individu. Parce que les médias sociaux sont des places où tout le monde crie et personne n’écoute. Parce que, pire encore, à gueuler et à voir que rien ne bouge alors qu’on est des milliers (millions) à être en désaccord ne fait qu’exacerber la haine de « l’autre », de cellelui qui n’entend pas. Mieux vaut prouter.

Framaprout, des outils numériques pour prouter en liberté

Nous, quand on commence à péter du casque, on le fait bien. Sur Framaprout.org, vous avez à votre disposition :

Proutify, l’extension navigateur qui va vous prouter le web

Proutify est une extension  pour votre navigateur que vous retrouverez ici. L’installation est facilitée sur Firefox, mais elle reste manuelle pour Chrome (parce que plutôt prouter que de créer un compte dev Google !). Une fois installée, Proutify remplacera toute une série de noms et d’expressions par leur version Proutesque. Parce que la vie est absurde.

Avant, la lecture des actualités me déprimait. Désormais, grâce à Proutify, je vois des Prouts partout !

L’actualité prend tout son arôme avec Proutify.

Les prouts de la Team Mème

La #TeamMémé a encore frappé. Ou Prouté. À vrai dire, la team est au bord du surmenage. Ses membres ont plus prouté qu’un Ariégeois venant de remporter un concours de dégustation de Mounjetada.

Nous ne pouvions pas tous les utiliser pour illustrer cet article, donc on vous a préparé une galerie de mèmes gastriques à télécharger et à prouter partout autour de vous.

Le prout-o-mètre, pour compter les prouts

Une personne vient de lâcher une grosse caisse et vous voulez identifier en quoi son prout pue ? Il y a un Framachin pour ça, un « bingo du prout » inspiré de notre Bingo du Troll.

Sur le prout-o-mètre, vous pouvez cocher les cases qui correspondent à ses flatulences. Et donnez lui son score en partageant avec lui le lien en bas de ce « bingo du prout ».

Le bon vieux prout artisanal

Il y a des moments où on n’en peut plus de répondre. Où on est fatigué·e de se prendre l’écume des jours dans les dents, ressassée par chaque nouvelle vague d’indignation. Si ça vous arrive, répondez simplement : prout.

Le bon vieux prout artisanal, n’y a que ça de vrai. C’est cinq touches sur votre clavier. Six si vous en faites un hashtag. Allez-y, lâchez-vous, vous verrez : ça soulage.

Voulez-vous prouter avec nous, ce soir ?

Nous serrons les fesses à l’idée de votre réponse. Du fond de l’internet, la Raie Publique se fraiera-t-elle un chemin vers la sortie du tunnel ?

Notre argument, vous l’aurez senti, c’est que ça sent le gaz. Et qu’on a besoin de se (dé)ballonner un peu.

Une action burlesco-dadaïste pour mettre le web en odorama, vous la sentez comment ?

 




Détruire le capitalisme de surveillance (3)

Voici une troisième partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (parcourir sur le blog les épisodes précédents – parcourir les trois premiers épisodes en PDF : doctorow-1-2-3). Il s’attache ici à démonter les mécanismes utilisés par les Gafam pour lutter contre nos facultés à échapper aux messages publicitaires, mais aussi pour faire croire aux publicitaires que leurs techniques sont magiquement efficaces. Il insiste également sur la quasi-impunité dont bénéficient jusqu’à présent les géants de la Tech…

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang :  Claire, Fabrice, Gangsoleil, Goofy, Jums, Laure, Retrodev

Si les données sont le nouvel or noir, alors les forages du capitalisme de surveillance ont des fuites

par Cory Doctorow

La faculté d’adaptation des internautes explique l’une des caractéristiques les plus alarmantes du capitalisme de surveillance : son insatiable appétit de données et l’expansion infinie de sa capacité à collecter des données au travers de la diffusion de capteurs, de la surveillance en ligne, et de l’acquisition de flux de données de tiers.

Zuboff étudie ce phénomène et conclut que les données doivent valoir très cher si le capitalisme de surveillance en est aussi friand (selon ses termes : « Tout comme le capitalisme industriel était motivé par l’intensification continue des moyens de production, le capitalisme de surveillance et ses acteurs sont maintenant enfermés dans l’intensification continue des moyens de modification comportementale et dans la collecte des instruments de pouvoir. »). Et si cet appétit vorace venait du fait que ces données ont une demi-vie très courte, puisque les gens s’habituent très vite aux nouvelles techniques de persuasion fondées sur les données au point que les entreprises sont engagées dans un bras de fer sans fin avec notre système limbique ? Et si c’était une course de la Reine rouge d’Alice dans laquelle il faut courir de plus en plus vite collecter de plus en plus de données, pour conserver la même place ?

Bien sûr, toutes les techniques de persuasion des géants de la tech travaillent de concert les unes avec les autres, et la collecte de données est utile au-delà de la simple tromperie comportementale.

Si une personne veut vous recruter pour acheter un réfrigérateur ou participer à un pogrom, elle peut utiliser le profilage et le ciblage pour envoyer des messages à des gens avec lesquels elle estime avoir de bonnes perspectives commerciales. Ces messages eux-mêmes peuvent être mensongers et promouvoir des thèmes que vous ne connaissez pas bien (la sécurité alimentaire, l’efficacité énergétique, l’eugénisme ou des affirmations historiques sur la supériorité raciale). Elle peut recourir à l’optimisation des moteurs de recherche ou à des armées de faux critiques et commentateurs ou bien encore au placement payant pour dominer le discours afin que toute recherche d’informations complémentaires vous ramène à ses messages. Enfin, elle peut affiner les différents discours en utilisant l’apprentissage machine et d’autres techniques afin de déterminer quel type de discours convient le mieux à quelqu’un comme vous.

Chacune des phases de ce processus bénéficie de la surveillance : plus ils possèdent de données sur vous, plus leur profilage est précis et plus ils peuvent vous cibler avec des messages spécifiques. Pensez à la façon dont vous vendriez un réfrigérateur si vous saviez que la garantie de celui de votre client potentiel venait d’expirer et qu’il allait percevoir un remboursement d’impôts le mois suivant.

De plus, plus ils ont de données, mieux ils peuvent élaborer des messages trompeurs. Si je sais que vous aimez la généalogie, je n’essaierai pas de vous refourguer des thèses pseudo-scientifiques sur les différences génétiques entre les « races », et je m’en tiendrai plutôt aux conspirationnistes habituels du « grand remplacement ».

Facebook vous aide aussi à localiser les gens qui ont les mêmes opinions odieuses ou antisociales que vous. Il permet de trouver d’autres personnes avec qui porter des torches enflammées dans les rues de Charlottesville déguisé en Confédéré. Il peut vous aider à trouver d’autres personnes qui veulent rejoindre votre milice et aller à la frontière pour terroriser les migrants illégaux. Il peut vous aider à trouver d’autres personnes qui pensent aussi que les vaccins sont un poison et que la Terre est plate.

La publicité ciblée profite en réalité uniquement à ceux qui défendent des causes socialement inacceptables car elle est invisible. Le racisme est présent sur toute la planète, et il y a peu d’endroits où les racistes, et seulement eux, se réunissent. C’est une situation similaire à celle de la vente de réfrigérateurs là où les clients potentiels sont dispersés géographiquement, et où il y a peu d’endroits où vous pouvez acheter un encart publicitaire qui sera principalement vu par des acheteurs de frigo. Mais acheter un frigo est acceptable socialement, tandis qu’être un nazi ne l’est pas, donc quand vous achetez un panneau publicitaire ou quand vous faites de la pub dans la rubrique sports d’un journal pour vendre votre frigo, le seul risque c’est que votre publicité soit vue par beaucoup de gens qui ne veulent pas de frigo, et vous aurez jeté votre argent par la fenêtre.

Mais même si vous vouliez faire de la pub pour votre mouvement nazi sur un panneau publicitaire, à la télé en première partie de soirée ou dans les petites annonces de la rubrique sports, vous auriez du mal à trouver quelqu’un qui serait prêt à vous vendre de l’espace pour votre publicité, en partie parce qu’il ne serait pas d’accord avec vos idées, et aussi parce qu’il aurait peur des retombées négatives (boycott, mauvaise image, etc.) de la part de ceux qui ne partagent pas vos opinions.

Ce problème disparaît avec les publicités ciblées : sur Internet, les encarts de publicité peuvent être personnalisés, ce qui veut dire que vous pouvez acheter des publicités qui ne seront montrées qu’à ceux qui semblent être des nazis et pas à ceux qui les haïssent. Quand un slogan raciste est diffusé à quelqu’un qui hait le racisme, il en résulte certaines conséquences, et la plateforme ou la publication peut faire l’objet d’une dénonciation publique ou privée de la part de personnes outrées. Mais la nature des risques encourus par l’acheteur de publicités en ligne est bien différente des risques encourus par un éditeur ou un propriétaire de panneaux publicitaires classiques qui pourrait vouloir publier une pub nazie.

Les publicités en ligne sont placées par des algorithmes qui servent d’intermédiaires entre un écosystème diversifié de plateformes publicitaires en libre-service où chacun peut acheter une annonce. Ainsi, les slogans nazis qui s’immiscent sur votre site web préféré ne doivent pas être vus comme une atteinte à la morale mais plutôt comme le raté d’un fournisseur de publicité lointain. Lorsqu’un éditeur reçoit une plainte pour une publicité gênante diffusée sur un de ses sites, il peut engager une procédure pour bloquer la diffusion de cette publicité. Mais les nazis pourraient acheter une publicité légèrement différente auprès d’un autre intermédiaire qui diffuse aussi sur ce site. Quoi qu’il en soit, les internautes comprennent de plus en plus que quand une publicité s’affiche sur leur écran, il est probable que l’annonceur n’a pas choisi l’éditeur du site et que l’éditeur n’a pas la moindre idée de qui sont ses annonceurs.
Ces couches d’indétermination entre les annonceurs et les éditeurs tiennent lieu de tampon moral : il y a aujourd’hui un large consensus moral selon lequel les éditeurs ne devraient pas être tenus pour responsables des publicités qui apparaissent sur leurs pages car ils ne choisissent pas directement de les y placer. C’est ainsi que les nazis peuvent surmonter d’importants obstacles pour organiser leur mouvement.

Les données entretiennent une relation complexe avec la domination. La capacité à espionner vos clients peut vous alerter sur leurs préférences pour vos concurrents directs et vous permettre par la même occasion de prendre l’ascendant sur eux.

Mais surtout, si vous pouvez dominer l’espace informationnel tout en collectant des données, alors vous renforcez d’autres stratégies trompeuses, car il devient plus difficile d’échapper à la toile de tromperie que vous tissez. Ce ne sont pas les données elles-mêmes mais la domination, c’est-à-dire le fait d’atteindre, à terme, une position de monopole, qui rend ces stratégies viables, car la domination monopolistique prive votre cible de toute alternative.

Si vous êtes un nazi qui veut s’assurer que ses cibles voient en priorité des informations trompeuses, qui vont se confirmer à mesure que les recherches se poursuivent, vous pouvez améliorer vos chances en leur suggérant des mots-clefs à travers vos communications initiales. Vous n’avez pas besoin de vous positionner sur les dix premiers résultats de la recherche décourager électeurs de voter si vous pouvez convaincre vos cibles de n’utiliser que les mots clefs voter fraud (fraude électorale), qui retourneront des résultats de recherche très différents.

Les capitalistes de la surveillance sont comme des illusionnistes qui affirment que leur extraordinaire connaissance des comportements humains leur permet de deviner le mot que vous avez noté sur un bout de papier plié et placé dans votre poche, alors qu’en réalité ils s’appuient sur des complices, des caméras cachées, des tours de passe-passe et de leur mémoire développée pour vous bluffer.

Ou peut-être sont-ils des comme des artistes de la drague, cette secte misogyne qui promet d’aider les hommes maladroits à coucher avec des femmes en leur apprenant quelques rudiments de programmation neurolinguistique, des techniques de communication non verbale et des stratégies de manipulation psychologique telles que le « negging », qui consiste à faire des commentaires dévalorisant aux femmes pour réduire leur amour-propre et susciter leur intérêt.

Certains dragueurs parviennent peut-être à convaincre des femmes de les suivre, mais ce n’est pas parce que ces hommes ont découvert comment court-circuiter l’esprit critique des femmes. Le « succès » des dragueurs vient plutôt du fait qu’ils sont tombés sur des femmes qui n’étaient pas en état d’exprimer leur consentement, des femmes contraintes, des femmes en état d’ébriété, des femmes animées d’une pulsion autodestructrice et de quelques femmes qui, bien que sobres et disposant de toutes leurs facultés, n’ont pas immédiatement compris qu’elles fréquentaient des hommes horribles mais qui ont corrigé cette erreur dès qu’elles l’ont pu.

Les dragueurs se figurent qu’ils ont découvert une formule secrète qui court-circuite les facultés critiques des femmes, mais ce n’est pas le cas. La plupart des stratégies qu’ils déploient, comme le negging, sont devenues des sujets de plaisanteries (tout comme les gens plaisantent à propos des mauvaises campagnes publicitaires) et il est fort probable que ceux qui mettent en pratique ces stratégies avec les femmes ont de fortes chances d’être aussitôt démasqués, jetés et considérés comme de gros losers.

Les dragueurs sont la preuve que les gens peuvent croire qu’ils ont développé un système de contrôle de l’esprit même s’il ne marche pas. Ils s’appuient simplement sur le fait qu’une technique qui fonctionne une fois sur un million peut finir par se révéler payante si vous l’essayez un million de fois. Ils considèrent qu’ils ont juste mal appliqué la technique les autres 999 999 fois et se jurent de faire mieux la prochaine fois. Seul un groupe de personnes trouve ces histoires de dragueurs convaincantes, les aspirants dragueurs, que l’anxiété et l’insécurité rend vulnérables aux escrocs et aux cinglés qui les persuadent que, s’ils payent leur mentorat et suivent leurs instructions, ils réussiront un jour. Les dragueurs considèrent que, s’ils ne parviennent pas à séduire les femmes, c’est parce qu’ils ne sont pas de bons dragueurs, et non parce que les techniques de drague sont du grand n’importe quoi. Les dragueurs ne parviennent pas à se vendre auprès des femmes, mais ils sont bien meilleurs pour se vendre auprès des hommes qui payent pour apprendre leurs prétendues techniques de séduction.

« Je sais que la moitié des sommes que je dépense en publicité l’est en pure perte mais je ne sais pas de quelle moitié il s’agit. » déplorait John Wanamaker, pionnier des grands magasins.

Le fait que Wanamaker considérait que la moitié seulement de ses dépenses publicitaires avait été gaspillée témoigne de la capacité de persuasion des cadres commerciaux, qui sont bien meilleurs pour convaincre de potentiels clients d’acheter leurs services que pour convaincre le grand public d’acheter les produits de leurs clients.

Qu’est-ce que Facebook ?

On considère Facebook comme l’origine de tous nos fléaux actuels, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Certaines entreprises technologiques cherchent à enfermer leurs utilisateurs mais font leur beurre en gardant le monopole sur l’accès aux applications pour leurs appareils et en abusant largement sur leurs tarifs plutôt qu’en espionnant leurs clients (c’est le cas d’Apple). D’autres ne cherchent pas à enfermer leurs utilisateurs et utilisatrices parce que ces entreprises ont bien compris comment les espionner où qu’ils soient et quoi qu’elles fassent, et elles gagnent de l’argent avec cette surveillance (Google). Seul Facebook, parmi les géants de la tech, fait reposer son business à la fois sur le verrouillage de ses utilisateurs et leur espionnage constant.

Le type de surveillance qu’exerce Facebook est véritablement sans équivalent dans le monde occidental. Bien que Facebook s’efforce de se rendre le moins visible possible sur le Web public, en masquant ce qui s’y passe aux yeux des gens qui ne sont pas connectés à Facebook, l’entreprise a disposé des pièges sur la totalité du Web avec des outils de surveillance, sous forme de boutons « J’aime » que les producteurs de contenus insèrent sur leur site pour doper leur profil Facebook. L’entreprise crée également diverses bibliothèques logicielles et autres bouts de code à l’attention des développeurs qui fonctionnent comme des mouchards sur les pages où on les utilise (journaux parcourus, sites de rencontres, forums…), transmettant à Facebook des informations sur les visiteurs du site.

Les géants de la tech peuvent surveiller, non seulement parce qu’ils font de la tech mais aussi parce que ce sont des géants.

Facebook offre des outils du même genre aux développeurs d’applications, si bien que les applications que vous utilisez, que ce soit des jeux, des applis pétomanes, des services d’évaluation des entreprises ou du suivi scolaire enverront des informations sur vos activités à Facebook même si vous n’avez pas de compte Facebook, et même si vous n’utilisez ni ne téléchargez aucune application Facebook. Et par-dessus le marché, Facebook achète des données à des tiers pour connaître les habitudes d’achat, la géolocalisation, l’utilisation de cartes de fidélité, les transactions bancaires, etc., puis croise ces données avec les dossiers constitués d’après les activités sur Facebook, avec les applications et sur le Web général.

S’il est simple d’intégrer des éléments web dans Facebook – faire un lien vers un article de presse, par exemple – les produits de Facebook ne peuvent en général pas être intégrés sur le Web. Vous pouvez inclure un tweet dans une publication Facebook, mais si vous intégrez une publication Facebook dans un tweet, tout ce que vous obtiendrez est un lien vers Facebook qui vous demande de vous authentifier avant d’y accéder. Facebook a eu recours à des contre-mesures techniques et légales radicales pour que ses concurrents ne puissent pas donner la possibilité à leurs utilisateurs d’intégrer des fragments de Facebook dans des services rivaux, ou de créer des interfaces alternatives qui fusionneraient votre messagerie Facebook avec celle des autres services que vous utilisez.

Et Facebook est incroyablement populaire, avec 2,3 milliards d’utilisateurs annoncés (même si beaucoup considèrent que ce nombre est exagéré). Facebook a été utilisé pour organiser des pogroms génocidaires, des émeutes racistes, des mouvements antivaccins, des théories de la Terre plate et la carrière politique des autocrates les plus horribles et les plus autoritaires au monde. Des choses réellement alarmantes se produisent dans le monde et Facebook est impliqué dans bon nombre d’entre elles, il est donc assez facile de conclure que ces choses sont le résultat du système de contrôle mental de Facebook, mis à disposition de toute personne prête à y dépenser quelques dollars.

Pour comprendre le rôle joué par Facebook dans l’élaboration et la mobilisation des mouvements nuisibles à la société, nous devons comprendre la double nature de Facebook.

Parce qu’il a beaucoup d’utilisateurs et beaucoup de données sur ces utilisateurs, l’outil Facebook est très efficace pour identifier des personnes avec des caractéristiques difficiles à trouver, le genre de caractéristiques qui sont suffisamment bien disséminées dans la population pour que les publicitaires aient toujours eu du mal à les atteindre de manière rentable.

Revenons aux réfrigérateurs. La plupart d’entre nous ne remplaçons notre gros électro-ménager qu’un petit nombre de fois dans nos vies. Si vous êtes un fabricant ou un vendeur de réfrigérateurs, il n’y a que ces brèves fenêtres temporelles dans la vie des consommateurs au cours desquelles ils réfléchissent à un achat, et vous devez trouver un moyen pour les atteindre. Toute personne ayant déjà enregistré un changement de titre de propriété après l’achat d’une maison a pu constater que les fabricants d’électroménager s’efforcent avec l’énergie du désespoir d’atteindre quiconque pourrait la moindre chance d’être à la recherche d’un nouveau frigo.

Facebook rend la recherche d’acheteurs de réfrigérateurs beaucoup plus facile. Il permet de cibler des publicités à destination des personnes ayant enregistré l’achat d’une nouvelle maison, des personnes qui ont cherché des conseils pour l’achat de réfrigérateurs, de personnes qui se sont plaintes du dysfonctionnement de leur frigo, ou n’importe quelle combinaison de celles-ci. Il peut même cibler des personnes qui ont récemment acheté d’autres équipements de cuisine, en faisant l’hypothèse que quelqu’un venant de remplacer son four et son lave-vaisselle pourrait être d’humeur à acheter un frigo. La grande majorité des personnes qui sont ciblées par ces publicités ne seront pas à la recherche d’un nouveau frigo mais – et c’est le point crucial – le pourcentage de personnes à la recherche de frigo que ces publicités atteignent est bien plus élevé que celui du groupe atteint par les techniques traditionnelles de ciblage marketing hors-ligne.

Facebook rend également beaucoup plus simple le fait de trouver des personnes qui ont la même maladie rare que vous, ce qui aurait été peut-être impossible avant, le plus proche compagnon d’infortune pouvant se trouver à des centaines de kilomètres. Il rend plus simple de retrouver des personnes qui sont allées dans le même lycée que vous, bien que des décennies se soient écoulées et que vos anciens camarades se soient disséminés aux quatre coins de la planète.

Facebook rend également beaucoup plus simple de trouver des personnes ayant les mêmes opinions politiques minoritaires que vous. Si vous avez toujours eu une affinité secrète pour le socialisme, sans jamais oser la formuler à voix haute de peur de vous aliéner vos voisins, Facebook peut vous aider à découvrir d’autres personnes qui pensent la même chose que vous (et cela pourrait vous démontrer que votre affinité est plus commune que vous ne l’auriez imaginée). Il peut rendre plus facile de trouver des personnes qui ont la même identité sexuelle que vous. Et, à nouveau, il peut vous aider à comprendre que ce que vous considériez comme un secret honteux qui ne regarde que vous est en réalité un trait répandu, vous donnant ainsi le réconfort et le courage nécessaire pour en parler à vos proches.

Tout cela constitue un dilemme pour Facebook : le ciblage rend les publicités de la plateforme plus efficaces que les publicités traditionnelles, mais il permet également aux annonceurs de savoir précisément à quel point leurs publicités sont efficaces. Si les annonceurs sont satisfaits d’apprendre que les publicités de Facebook sont plus efficaces que celles de systèmes au ciblage moins perfectionné, les annonceurs peuvent aussi voir que, dans presque tous les cas, les personnes qui voient leurs publicités les ignorent. Ou alors, tout au mieux, que leurs publicités ne fonctionnent qu’à un niveau inconscient, créant des effets nébuleux impossibles à quantifier comme la « reconnaissance de marque ». Cela signifie que le prix par publicité est très réduit dans la quasi-totalité des cas.

Pour ne rien arranger, beaucoup de groupes Facebook n’hébergent que très peu de discussions. Votre équipe de football locale, les personnes qui ont la même maladie rare que vous et ceux dont vous partagez l’orientation politique peuvent échanger des rafales de messages dans les moments critiques forts mais, dans la vie de tous les jours, il n’y a pas grand-chose à raconter à vos anciens camarades de lycée et autres collectionneurs de vignettes de football.

S’il n’y avait que des discussions « saines », Facebook ne générerait pas assez de trafic pour vendre des publicités et amasser ainsi les sommes nécessaires pour continuellement se développer en rachetant ses concurrents, tout en reversant de coquettes sommes à ses investisseurs.

Facebook doit donc augmenter le trafic tout en détournant ses propres forums de discussion : chaque fois que l’algorithme de Facebook injecte de la matière à polémiques dans un groupe – brûlots politiques, théories du complot, faits-divers révoltants – il peut détourner l’objectif initial de ce groupe avec des discussions affligeantes et gonfler ainsi artificiellement ces échanges en les transformant en interminables disputes agressives et improductives. Facebook est optimisé pour l’engagement, pas pour le bonheur, et il se trouve que les systèmes automatisés sont plutôt performants pour trouver des choses qui vont mettre les gens en colère.

Facebook peut modifier notre comportement mais seulement en suivant quelques modalités ordinaires. Tout d’abord, il peut vous enfermer avec vos amis et votre famille pour que vous passiez votre temps à vérifier sans cesse sur Facebook ce qu’ils sont en train de faire. Ensuite, il peut vous mettre en colère ou vous angoisser. Il peut vous forcer à choisir entre être constamment interrompu par des mises à jour, un processus qui vous déconcentre et vous empêche de réfléchir, et rester indéfiniment en contact avec vos amis. Il s’agit donc d’une forme de contrôle mental très limitée, qui ne peut nous rendre que furieux, déprimés et angoissés.

C’est pourquoi les systèmes de ciblage de Facebook – autant ceux qu’il montre aux annonceurs que ceux qui permettent aux utilisateurs de trouver des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt – sont si modernes, souples et faciles à utiliser, tandis que ses forums de discussion ont des fonctionnalités qui paraissent inchangées depuis le milieu des années 2000. Si Facebook offrait à ses utilisateurs un système de lecture de messages tout aussi souple et sophistiqué, ceux-ci pourraient se défendre contre les gros titres polémiques sur Donald Trump qui leur font saigner des yeux.

Plus vous passez de temps sur Facebook, plus il a de pubs à vous montrer. Comme les publicités sur Facebook ne marchent qu’une fois sur mille, leur solution est de tenter de multiplier par mille le temps que vous y passez. Au lieu de considérer Facebook comme une entreprise qui a trouvé un moyen de vous montrer la bonne publicité en obtenant de vous exactement ce que veulent les annonceurs publicitaires, considérez que c’est une entreprise qui sait parfaitement comment vous noyer dans un torrent permanent de controverses, même si elles vous rendent malheureux, de sorte que vous passiez tellement de temps sur le site que vous finissiez par voir au moins une pub qui va fonctionner pour vous.

Les monopoles et le droit au futur

Mme Zuboff et ceux qui la suivent sont particulièrement alarmés par l’influence de la surveillance des entreprises sur nos décisions. Cette influence nous prive de ce qu’elle appelle poétiquement « le droit au futur », c’est-à-dire le droit de décider par vous-même de ce que vous ferez à l’avenir.

Il est vrai que la publicité peut faire pencher la balance d’une manière ou d’une autre : lorsque vous envisagez d’acheter un frigo, une publicité pour un frigo qui vient juste à point peut mettre fin tout de suite à vos recherches. Mais Zuboff accorde un poids énorme et injustifié au pouvoir de persuasion des techniques d’influence basées sur la surveillance. La plupart d’entre elles ne fonctionnent pas très bien, et celles qui le font ne fonctionneront pas très longtemps. Les concepteurs de ces outils sont persuadés qu’ils les affineront un jour pour en faire des systèmes de contrôle total, mais on peut difficilement les considérer comme des observateurs sans parti-pris, et les risques que leurs rêves se réalisent sont très limités. En revanche, Zuboff est plutôt optimiste quant aux quarante années de pratiques antitrust laxistes qui ont permis à une poignée d’entreprises de dominer le Web, inaugurant une ère de l’information avec, comme l’a fait remarquer quelqu’un sur Twitter, cinq portails web géants remplis chacun de captures d’écran des quatre autres.

Cependant, si l’on doit s’inquiéter parce qu’on risque de perdre le droit de choisir nous-mêmes de quoi sera fait notre avenir, alors les préjudices tangibles et immédiats devraient être au cœur de nos débats sur les politiques technologiques, et non les préjudices potentiels décrit par Zuboff.

Commençons avec la « gestion des droits numériques ». En 1998, Bill Clinton promulgue le Digital Millennium Copyright Act (DMCA). Cette loi complexe comporte de nombreuses clauses controversées, mais aucune ne l’est plus que la section 1201, la règle « anti-contournement ».

Il s’agit d’une interdiction générale de modifier les systèmes qui limitent l’accès aux œuvres protégées par le copyright. L’interdiction est si stricte qu’elle interdit de retirer le verrou de copyright même si aucune violation de copyright n’a eut lieu. C’est dans la conception même du texte : les activités, que l’article 1201 du DMCA vise à interdire, ne sont pas des violations du copyright ; il s’agit plutôt d’activités légales qui contrarient les plans commerciaux des fabricants.

Par exemple, la première application majeure de la section 1201 a visé les lecteurs de DVD comme moyen de faire respecter le codage par « région » intégré dans ces appareils. Le DVD-CCA, l’organisme qui a normalisé les DVD et les lecteurs de DVD, a divisé le monde en six régions et a précisé que les lecteurs de DVD doivent vérifier chaque disque pour déterminer dans quelles régions il est autorisé à être lu. Les lecteurs de DVD devaient avoir leur propre région correspondante (un lecteur de DVD acheté aux États-Unis serait de la région 1, tandis qu’un lecteur acheté en Inde serait de la région 5). Si le lecteur et la région du disque correspondent, le lecteur lira le disque ; sinon, il le rejettera.

Pourtant, regarder un DVD acheté légalement dans un autre pays que celui dans lequel vous vous situez n’est pas une violation de copyright – bien au contraire. Les lois du copyright n’imposent qu’une seule obligation aux consommateurs de films : vous devez aller dans un magasin, trouver un DVD autorisé, et payer le prix demandé. Si vous faites cela – et rien de plus – tout ira bien.

Le fait qu’un studio de cinéma veuille faire payer les Indiens moins cher que les Américains, ou sortir un film plus tard en Australie qu’au Royaume-Uni n’a rien à voir avec les lois sur le copyright. Une fois que vous avez légalement acquis un DVD, ce n’est pas une violation du copyright que de le regarder depuis l’endroit où vous vous trouvez.

Donc les producteurs de DVD et de lecteurs de disques ne pourraient pas employer les accusations de complicité de violations du copyright pour punir les producteurs de lecteurs lisant des disques de n’importe quelle région, ou les ateliers de réparation qui ont modifié les lecteurs pour vous laisser regarder des disques achetés hors de votre région, ou encore les développeurs de logiciels qui ont créé des programmes pour vous aider à le faire.
C’est là que la section 1201 du DCMA entre en jeu : en interdisant de toucher aux contrôles d’accès, la loi a donné aux producteurs et aux ayants droit la possibilité de poursuivre en justice leurs concurrents qui produisent des produits supérieurs avec des caractéristiques très demandées par le marché (en l’occurrence, des lecteurs de disques sans restriction de région).

C’est une arnaque ignoble contre les consommateurs, mais, avec le temps, le champ de la section 1201 s’est étendu pour inclure toute une constellation grandissante d’appareils et de services, car certains producteurs malins ont compris un certain nombre de choses :

  • Tout appareil doté d’un logiciel contient une « œuvre protégée par copyright » (le logiciel en question).
  • Un appareil peut être conçu pour pouvoir reconfigurer son logiciel et contourner le « moyen de contrôle d’accès à une œuvre protégée par copyright », un délit d’après la section 1201.
  • Par conséquent, les entreprises peuvent contrôler le comportement de leurs consommateurs après qu’ils ont rapporté leurs achats à la maison. Elles peuvent en effet concevoir des produits pour que toutes les utilisations interdites demandent des modifications qui tombent sous le coup de la section 1201.

Cette section devient alors un moyen pour tout fabricant de contraindre ses clients à agir au profit de leurs actionnaires plutôt que dans l’intérêt des clients.
Cela se manifeste de nombreuses façons : une nouvelle génération d’imprimantes à jet d’encre utilisant des contre-mesures qui empêchent l’utilisation d’encre d’autres marques et qui ne peuvent être contournées sans risques juridiques, ou des systèmes similaires dans les tracteurs qui empêchent les réparateurs d’échanger les pièces du fabricant, car elles ne sont pas reconnues par le système du tracteur tant qu’un code de déverrouillage du fabricant n’est pas saisi.

Plus proches des particuliers, les iPhones d’Apple utilisent ces mesures pour empêcher à la fois les services de tierce partie et l’installation de logiciels tiers. Cela permet à Apple, et non à l’acheteur de l’iPhone, de décider quand celui-ci est irréparable et doit être réduit en pièces et jeté en déchetterie (l’entreprise Apple est connue pour sa politique écologiquement catastrophique qui consiste à détruire les vieux appareils électroniques plutôt que de permettre leur recyclage pour en récupérer les pièces). C’est un pouvoir très utile à exercer, surtout à la lumière de l’avertissement du PDG Tim Cook aux investisseurs en janvier 2019 : les profits de la société sont en danger si les clients choisissent de conserver leur téléphone plutôt que de le remplacer.
L’utilisation par Apple de verrous de copyright lui permet également d’établir un monopole sur la manière dont ses clients achètent des logiciels pour leurs téléphones. Les conditions commerciales de l’App Store garantissent à Apple une part de tous les revenus générés par les applications qui y sont vendues, ce qui signifie qu’Apple gagne de l’argent lorsque vous achetez une application dans son magasin et continue à gagner de l’argent chaque fois que vous achetez quelque chose en utilisant cette application. Cette situation retombe au final sur les développeurs de logiciels, qui doivent soit facturer plus cher, soit accepter des profits moindres sur leurs produits.

Il est important de comprendre que l’utilisation par Apple des verrous de copyright lui donne le pouvoir de prendre des décisions éditoriales sur les applications que vous pouvez ou ne pouvez pas installer sur votre propre appareil. Apple a utilisé ce pouvoir pour rejeter les dictionnaires qui contiennent des mots obscènes ; ou pour limiter certains discours politiques, en particulier les applications qui diffusent des propos politiques controversés, comme cette application qui vous avertit chaque fois qu’un drone américain tue quelqu’un quelque part dans le monde ; ou pour s’opposer à un jeu qui commente le conflit israélo-palestinien.

Apple justifie souvent son pouvoir monopolistique sur l’installation de logiciels au nom de la sécurité, en arguant que le contrôle des applications de sa boutique lui permet de protéger ses utilisateurs contre les applications qui contiennent du code qui surveille les utilisateurs. Mais ce pouvoir est à double tranchant. En Chine, le gouvernement a ordonné à Apple d’interdire la vente d’outils de protection de vie privée, comme les VPN, à l’exception de ceux dans lesquels des failles de sécurité ont délibérément été introduites pour permettre à l’État chinois d’écouter les utilisateurs. Étant donné qu’Apple utilise des contre-mesures technologiques – avec des mesures de protection légales – pour empêcher les clients d’installer des applications non autorisées, les propriétaires chinois d’iPhone ne peuvent pas facilement (ou légalement) se connecter à des VPN qui les protégeraient de l’espionnage de l’État chinois.

Zuboff décrit le capitalisme de surveillance comme un « capitalisme voyou ». Les théoriciens du capitalisme prétendent que sa vertu est d’agréger des informations relatives aux décisions des consommateurs, produisant ainsi des marchés efficaces. Le prétendu pouvoir du capitalisme de surveillance, de priver ses victimes de leur libre‑arbitre grâce à des campagnes d’influence surchargées de calculs, signifie que nos marchés n’agrègent plus les décisions des consommateurs parce que nous, les clients, ne décidons plus – nous sommes aux ordres des rayons de contrôle mental du capitalisme de surveillance.

Si notre problème c’est que les marchés cessent de fonctionner lorsque les consommateurs ne peuvent plus faire de choix, alors les verrous du copyright devraient nous préoccuper au moins autant que les campagnes d’influence. Une campagne d’influence peut vous pousser à acheter une certaine marque de téléphone, mais les verrous du copyright sur ce téléphone déterminent où vous pouvez l’utiliser, quelles applications peuvent fonctionner dessus et quand vous devez le jeter plutôt que le réparer.

Le classement des résultats de recherche et le droit au futur

Les marchés sont parfois présentés comme une sorte de formule magique : en découvrant des informations qui pourraient rester cachées mais sont transmises par le libre choix des consommateurs, les connaissances locales de ces derniers sont intégrées dans un système auto‑correcteur qui améliore les correspondances entre les résultats – de manière plus efficace que ce qu’un ordinateur pourrait calculer. Mais les monopoles sont incompatibles avec ce processus. Lorsque vous n’avez qu’un seul magasin d’applications, c’est le propriétaire du magasin, et non le consommateur, qui décide de l’éventail des choix. Comme l’a dit un jour Boss Tweed « peu importe qui gagne les élections, du moment que c’est moi qui fais les nominations ». Un marché monopolistique est une élection dont les candidats sont choisis par le monopole.

Ce trucage des votes est rendu plus toxique par l’existence de monopoles sur le classement des résultats. La part de marché de Google dans le domaine de la recherche est d’environ 90 %. Lorsque l’algorithme de classement de Google place dans son top 10 un résultat pour un terme de recherche populaire, cela détermine le comportement de millions de personnes. Si la réponse de Google à la question « Les vaccins sont-ils dangereux ? » est une page qui réfute les théories du complot anti-vax, alors une partie non négligeable du grand public apprendra que les vaccins sont sûrs. Si, en revanche, Google envoie ces personnes sur un site qui met en avant les conspirations anti-vax, une part non-négligeable de ces millions de personnes ressortira convaincue que les vaccins sont dangereux.

L’algorithme de Google est souvent détourné pour fournir de la désinformation comme principal résultat de recherche. Mais dans ces cas-là, Google ne persuade pas les gens de changer d’avis, il ne fait que présenter quelque chose de faux comme une vérité alors même que l’utilisateur n’a aucune raison d’en douter.

C’est vrai peu importe que la recherche porte sur « Les vaccins sont-ils dangereux ? » ou bien sur « meilleurs restaurants près de chez moi ». La plupart des utilisateurs ne regarderont jamais au-delà de la première page de résultats de recherche, et lorsque l’écrasante majorité des gens utilisent le même moteur de recherche, l’algorithme de classement utilisé par ce moteur de recherche aura déterminé une myriade de conséquences (adopter ou non un enfant, se faire opérer du cancer, où dîner, où déménager, où postuler pour un emploi) dans une proportion qui dépasse largement les résultats comportementaux dictés par les techniques de persuasion algorithmiques.

Beaucoup des questions que nous posons aux moteurs de recherche n’ont pas de réponses empiriquement correctes : « Où pourrais-je dîner ? » n’est pas une question objective. Même les questions qui ont des réponses objectives (« Les vaccins sont-ils dangereux ? ») n’ont pas de source empiriquement supérieure pour ces réponses. De nombreuses pages confirment l’innocuité des vaccins, alors laquelle afficher en premier ? Selon les règles de la concurrence, les consommateurs peuvent choisir parmi de nombreux moteurs de recherche et s’en tenir à celui dont le verdict algorithmique leur convient le mieux, mais en cas de monopole, nos réponses proviennent toutes du même endroit.

La domination de Google dans le domaine de la recherche n’est pas une simple question de mérite : pour atteindre sa position dominante, l’entreprise a utilisé de nombreuses tactiques qui auraient été interdites en vertu des normes antitrust classiques d’avant l’ère Reagan. Après tout, il s’agit d’une entreprise qui a développé deux produits majeurs : un très bon moteur de recherche et un assez bon clone de Hotmail. Tous ses autres grands succès, Android, YouTube, Google Maps, etc., ont été obtenus grâce à l’acquisition d’un concurrent naissant. De nombreuses branches clés de l’entreprise, comme la technologie publicitaire DoubleClick, violent le principe historique de séparation structurelle de la concurrence, qui interdisait aux entreprises de posséder des filiales en concurrence avec leurs clients. Les chemins de fer, par exemple, se sont vus interdire la possession de sociétés de fret qui auraient concurrencé les affréteurs dont ils transportent le fret.

Si nous craignons que les entreprises géantes ne détournent les marchés en privant les consommateurs de leur capacité à faire librement leurs choix, alors une application rigoureuse de la législation antitrust semble être un excellent remède. Si nous avions refusé à Google le droit d’effectuer ses nombreuses fusions, nous lui aurions probablement aussi refusé sa domination totale dans le domaine de la recherche. Sans cette domination, les théories, préjugés et erreurs (et le bon jugement aussi) des ingénieurs de recherche et des chefs de produits de Google n’auraient pas eu un effet aussi disproportionné sur le choix des consommateurs..

Cela vaut pour beaucoup d’autres entreprises. Amazon, l’entreprise type du capitalisme de surveillance, est évidemment l’outil dominant pour la recherche sur Amazon, bien que de nombreuses personnes arrivent sur Amazon après des recherches sur Google ou des messages sur Facebook. Évidemment, Amazon contrôle la recherche sur Amazon. Cela signifie que les choix éditoriaux et intéressés d’Amazon, comme la promotion de ses propres marques par rapport aux produits concurrents de ses vendeurs, ainsi que ses théories, ses préjugés et ses erreurs, déterminent une grande partie de ce que nous achetons sur Amazon. Et comme Amazon est le détaillant dominant du commerce électronique en dehors de la Chine et qu’elle a atteint cette domination en rachetant à la fois de grands rivaux et des concurrents naissants au mépris des règles antitrust historiques, nous pouvons reprocher à ce monopole de priver les consommateurs de leur droit à l’avenir et de leur capacité à façonner les marchés en faisant des choix raisonnés.

Tous les monopoles ne sont pas des capitalistes de surveillance, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas capables de façonner les choix des consommateurs de multiples façons. Zuboff fait l’éloge d’Apple pour son App Store et son iTunes Store, en insistant sur le fait qu’afficher le prix des fonctionnalités de ses plateformes était une recette secrète pour résister à la surveillance et ainsi créer de nouveaux marchés. Mais Apple est le seul détaillant autorisé à vendre sur ses plateformes, et c’est le deuxième plus grand vendeur d’appareils mobiles au monde. Les éditeurs de logiciels indépendants qui vendent sur le marché d’Apple accusent l’entreprise des mêmes vices de surveillance qu’Amazon et autres grands détaillants : espionner ses clients pour trouver de nouveaux produits lucratifs à lancer, utiliser efficacement les éditeurs de logiciels indépendants comme des prospecteurs de marché libre, puis les forcer à quitter tous les marchés qu’ils découvrent.

Avec l’utilisation des verrous de copyright, les clients qui possèdent un iPhone ne sont pas légalement autorisés à changer de distributeurs d’applications. Apple, évidemment, est la seule entité qui peut décider de la manière dont elle classe les résultats de recherche sur son store. Ces décisions garantissent que certaines applications sont souvent installées (parce qu’elles apparaissent dès la première page) et d’autres ne le sont jamais (parce qu’elles apparaissent sur la millionième page). Les décisions d’Apple en matière de classement des résultats de recherche ont un impact bien plus important sur les comportements des consommateurs que les campagnes d’influence des robots publicitaires du capitalisme de surveillance.

 

Les monopoles ont les moyens d’endormir les chiens de garde

Les idéologues du marché les plus fanatiques sont les seuls à penser que les marchés peuvent s’autoréguler sans contrôle de l’État. Pour rester honnêtes, les marchés ont besoin de chiens de garde : régulateurs, législateurs et autres représentants du contrôle démocratique. Lorsque ces chiens de garde s’endorment sur la tâche, les marchés cessent d’agréger les choix des consommateurs parce que ces choix sont limités par des activités illégitimes et trompeuses dont les entreprises peuvent se servir sans risques parce que personne ne leur demande des comptes.

Mais ce type de tutelle réglementaire a un coût élevé. Dans les secteurs concurrentiels, où la concurrence passe son temps à grappiller les marges des autres, les entreprises individuelles n’ont pas les excédents de capitaux nécessaires pour faire pression efficacement en faveur de lois et de réglementations qui serviraient leurs objectifs.

Beaucoup des préjudices causés par le capitalisme de surveillance sont le résultat d’une réglementation trop faible ou même inexistante. Ces vides réglementaires viennent du pouvoir des monopoles qui peuvent s’opposer à une réglementation plus stricte et adapter la réglementation existante pour continuer à exercer leurs activités telles quelles.

Voici un exemple : quand les entreprises collectent trop de données et les conservent trop longtemps, elles courent un risque accru de subir une fuite de données. En effet, vous ne pouvez pas divulguer des données que vous n’avez jamais collectées, et une fois que vous avez supprimé toutes les copies de ces données, vous ne pouvez plus risquer de les fuiter. Depuis plus d’une décennie, nous assistons à un festival ininterrompu de fuites de données de plus en plus graves, plus effrayantes les unes que les autres de par l’ampleur des violations et la sensibilité des données concernées.

Mais les entreprises persistent malgré tout à moissonner et conserver en trop grand nombre nos données pour trois raisons :

1. Elles sont enfermées dans cette course aux armements émotionnels (évoquée plus haut) avec notre capacité à renforcer nos systèmes de défense attentionnelle pour résister à leurs nouvelles techniques de persuasion. Elles sont également enfermées dans une course à l’armement avec leurs concurrents pour trouver de nouvelles façons de cibler les gens. Dès qu’elles découvrent un point faible dans nos défenses attentionnelles (une façon contre-intuitive et non évidente de cibler les acheteurs potentiels de réfrigérateurs), le public commence à prendre conscience de la tactique, et leurs concurrents s’y mettent également, hâtant le jour où tous les acheteurs potentiels de réfrigérateurs auront été initiés à cette tactique.

2. Elles souscrivent à cette belle croyance qu’est le capitalisme de surveillance. Les données sont peu coûteuses à agréger et à stocker, et les partisans, tout comme les opposants, du capitalisme de surveillance ont assuré aux managers et concepteurs de produits que si vous collectez suffisamment de données, vous pourrez pratiquer la sorcellerie du marketing pour contrôler les esprits ce qui fera grimper vos ventes. Même si vous ne savez pas comment tirer profit de ces données, quelqu’un d’autre finira par vous proposer de vous les acheter pour essayer. C’est la marque de toutes les bulles économiques : acquérir un bien en supposant que quelqu’un d’autre vous l’achètera à un prix plus élevé que celui que vous avez payé, souvent pour le vendre à quelqu’un d’autre à un prix encore plus élevé.

3. Les sanctions pour fuite de données sont négligeables. La plupart des pays limitent ces pénalités aux dommages réels, ce qui signifie que les consommateurs dont les données ont fuité doivent prouver qu’ils ont subi un préjudice financier réel pour obtenir réparation. En 2014, Home Depot a révélé qu’ils avaient perdu les données des cartes de crédit de 53 millions de ses clients, mais a réglé l’affaire en payant ces clients environ 0,34 $ chacun – et un tiers de ces 0,34 $ n’a même pas été payé en espèces. Cette réparation s’est matérialisée sous la forme d’un crédit pour se procurer un service de contrôle de crédit largement inefficace.

Mais les dégâts causés par les fuites sont beaucoup plus importants que ce que peuvent traiter ces règles sur les dommages réels. Les voleurs d’identité et les fraudeurs sont rusés et infiniment inventifs. Toutes les grandes fuites de données de notre époque sont continuellement recombinées, les ensembles de données sont fusionnés et exploités pour trouver de nouvelles façons de s’en prendre aux propriétaires de ces données. Toute politique raisonnable, fondée sur des preuves, de la dissuasion et de l’indemnisation des violations ne se limiterait pas aux dommages réels, mais permettrait plutôt aux utilisateurs de réclamer compensation pour ces préjudices à venir.

Quoi qu’il en soit, même les réglementations les plus ambitieuses sur la protection de la vie privée, telles que le règlement général de l’UE sur la protection des données, sont loin de prendre en compte les conséquences négatives de la collecte et de la conservation excessives et désinvoltes des données par les plateformes, et les sanctions qu’elles prévoient ne sont pas appliquées de façon assez agressive par ceux qui doivent les appliquer.

Cette tolérance, ou indifférence, à l’égard de la collecte et de la conservation excessives des données peut être attribuée en partie à la puissance de lobbying des plateformes. Ces plateformes sont si rentables qu’elles peuvent facilement se permettre de détourner des sommes gigantesques pour lutter contre tout changement réel – c’est-à-dire un changement qui les obligerait à internaliser les coûts de leurs activités de surveillance.
Et puis il y a la surveillance d’État, que l’histoire du capitalisme de surveillance rejette comme une relique d’une autre époque où la grande inquiétude était d’être emprisonné pour un discours subversif, et non de voir son libre‑arbitre dépouillé par l’apprentissage machine.

Mais la surveillance d’État et la surveillance privée sont intimement liées. Comme nous l’avons vu lorsque Apple a été enrôlé par le gouvernement chinois comme collaborateur majeur de la surveillance d’État. La seule manière abordable et efficace de mener une surveillance de masse à l’échelle pratiquée par les États modernes, qu’ils soient « libres » ou autocratiques, est de mettre sous leur coupe les services commerciaux.

Toute limitation stricte du capitalisme de surveillance paralyserait la capacité de surveillance d’État, qu’il s’agisse de l’utilisation de Google comme outil de localisation par les forces de l’ordre locales aux États-Unis ou du suivi des médias sociaux par le Département de la sécurité intérieure pour constituer des dossiers sur les participants aux manifestations contre la politique de séparation des familles des services de l’immigration et des douanes (ICE).

Sans Palantir, Amazon, Google et autres grands entrepreneurs technologiques, les flics états-uniens ne pourraient pas espionner la population noire comme ils le font, l’ICE ne pourrait pas gérer la mise en cage des enfants à la frontière américaine et les systèmes d’aides sociales des États ne pourraient pas purger leurs listes en déguisant la cruauté en empirisme et en prétendant que les personnes pauvres et vulnérables n’ont pas droit à une aide. On peut attribuer à cette relation symbiotique une partie de la réticence des États à prendre des mesures significatives pour réduire la surveillance. Il n’y a pas de surveillance d’État de masse sans surveillance commerciale de masse.

Le monopole est la clé du projet de surveillance massive d’État. Il est vrai que les petites entreprises technologiques sont susceptibles d’être moins bien défendues que les grandes, dont les experts en sécurité font partie des meilleurs dans leur domaine, elles disposent également d’énormes ressources pour sécuriser et surveiller leurs systèmes contre les intrusions. Mais les petites entreprises ont également moins à protéger : moins d’utilisateurs, des données plus fragmentées sur un plus grand nombre de systèmes et qui doivent être demandées une par une par les acteurs étatiques.

Un secteur technologique centralisé qui travaille avec les autorités est un allié beaucoup plus puissant dans le projet de surveillance massive d’État qu’un secteur fragmenté composé d’acteurs plus petits. Le secteur technologique états-unien est suffisamment petit pour que tous ses cadres supérieurs se retrouvent autour d’une seule table de conférence dans la Trump Tower en 2017, peu après l’inauguration de l’immeuble. La plupart de ses plus gros acteurs candidatent pour remporter le JEDI, le contrat à 10 milliards de dollars du Pentagone pour mettre en place une infrastructure de défense commune dans le cloud. Comme d’autres industries fortement concentrées, les géants de la tech font pantoufler leurs employés clés dans le service public. Ils les envoient servir au Ministère de la Défense et à la Maison Blanche, puis engagent des cadres et des officiers supérieurs de l’ex-Pentagone et de l’ex-DOD pour travailler dans leurs propres services de relations avec les gouvernements.

Ils ont même de bons arguments pour ça : après tout, quand il n’existe que quatre ou cinq grandes entreprises dans un secteur industriel, toute personne qualifiée pour contrôler la réglementation de ces entreprises a occupé un poste de direction dans au moins deux d’entre elles. De même, lorsqu’il n’y a que cinq entreprises dans un secteur, toute personne qualifiée pour occuper un poste de direction dans l’une d’entre elles travaille par définition dans l’une des autres.

 

(à suivre… )