OpenKeys.science, des clés de détermination pour ouvrir les portes de la biodiversité

Nous avons rencontré les serruriers de la biodiversité, une fine équipe qui veut vous donner les clés du vivant pour apprendre à mieux le connaître…

… et qui veut vous apprendre aussi (vous allez voir, c’est facile et plutôt amusant) à contribuer vous-même à la création et l’enrichissement d’un vaste trousseau de « clés ». Libres, naturellement. 

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Avant même de vous présenter, vous allez tout de suite nous expliquer ce qu’est une clé de détermination et à quoi ça sert, sinon, vous savez comme sont les lecteurs et les lectrices (exigeantes, intelligentes, attentionnées, etc.), ils et elles vont quitter cet article pour se précipiter sur Peertube afin de trouver une vidéo qui leur explique à notre place.
Sébastien Une clé de détermination, c’est un peu comme un livre dont on est le héros ! Une succession de questions vous permet d’aboutir à la détermination d’un être vivant. Au fil des questions et de vos réponses, la liste des espèces possibles se réduit progressivement jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul candidat (ou une liste très réduite). Certaines questions font parfois appel à du vocabulaire spécialisé, pas de panique ! Une illustration et une définition sont systématiquement présentes pour vous guider.
À titre d’exemple, vous pouvez consulter cette clé de détermination des insectes pollinisateurs.

1. Je réponds à des questions qui me sont proposées :


2. et ensuite visualiser les espèces candidates pour découvrir l’insecte que j’observe :

Donc si je dis qu’une clé de détermination c’est une liste de questions qui a pour objectif d’identifier à quelle espèce appartient un animal ou un végétal que j’observe, je simplifie un peu, mais j’ai bon ?

C’est l’idée oui.

Maintenant qu’on a compris de quoi on va parler, vous pouvez vous présenter !

Sébastien Turpin : Je suis enseignant de Sciences de la Vie et de la Terre et je travaille au Muséum national d’Histoire naturelle où je coordonne un programme de sciences participatives pour les scolaires. Et comme Thibaut, j’aime me balader dans la nature même si je n’arrive pas à y aller aussi souvent que je le souhaiterais !

Grégoire Loïs : Je suis naturaliste depuis toujours et j’ai la chance de travailler dans ce même établissement avec Sébastien, mais depuis un peu plus de 25 ans en ce qui me concerne. Je m’occupe comme lui de programmes de sciences participatives et plus particulièrement de bases de données.

Thibaut Arribe : Je suis développeur dans une petite SCOP qui s’appelle Kelis. On édite des solutions documentaires open-source pour produire et diffuser des documents numériques (vous avez peut-être déjà entendu parler de Scenari ou Opale, deux logiciels édités par Kelis). Accessoirement, je suis accompagnateur en montagne. J’emmène des groupes et particuliers se balader dans la nature sauvage des Pyrénées et des Cévennes.

Entrons dans le vif du sujet, c’est quoi OpenKeys.science ?

Thibaut OpenKeys.science est un service en ligne qui permet de produire et diffuser des clés de détermination sous la forme de petit sites web autonomes.

Autonomes, ça veut dire qu’ils peuvent aller se promener tout seuls, sans attestation ?

Thibaut C’est exactement ça ! Pour tout un tas de bonnes et moins bonnes raisons, un site web est souvent dépendant de nombreux programmes à installer sur un serveur. Cette complexité rend bien service, mais l’installation de ce genre de site web en devient réservée à un public d’initiés.

Dans notre cas, une fois produit, rendre ce site “autonome” disponible sur le web est simple : n’importe quel espace web perso suffit (qu’il soit fourni par votre CHATON favori ou votre fournisseur d’accès à Internet).

Surtout, ça signifie qu’il est très simple d’en faire une copie pour l’emporter en balade dans la nature, et ça, c’est assez chouette.

Et donc produire des clés ? On a compris que c’était pas des vraies clés avec du métal, mais vous pouvez préciser en quoi ça consiste ?

Thibaut Prenons un exemple simple : tu veux avoir un moyen de différencier à tous les coups un frelon européen (Vespa crabro pour les intimes) d’un frelon asiatique (le fameux Vespa velutina). C’est important de faire la différence, le frelon asiatique est une espèce invasive qui fait des dégats, par exemple dans l’apiculture… (il raffole des boulettes d’abeille à l’automne ! Chacun son truc…)

Bon, avec OpenKeys, je vais commencer par créer une belle fiche illustrée sur le frelon européen dans un éditeur adapté. Ça pourrait ressembler à ça :

Ensuite, je fais la même pour son lointain cousin.

Voilà, toutes les espèces mentionnées par ma clé sont en place, je peux maintenant créer des critères qui vont m’aider à différencier ces deux espèces.

J’ai lu dans un bouquin que le critère le plus facile, c’est de regarder la couleur du thorax (la partie centrale du corps, entre la tête et l’abdomen). Pour les frelons asiatique, le thorax est de couleur unie (noire) et pour le frelon européen, c’est un mélange de bordeaux et noir.


J’associe chaque valeur à la fiche correspondante dans OpenKeys et le tour est joué. Je n’ai plus qu’à générer ma clé, la publier sur le Web et envoyer un email à la Fédération des apiculteurs pour les aider à faire connaître le frelon asiatique, ses risques sur les abeilles, et les moyens de le reconnaître.

Attends, je t’arrête, qui a envie de faire ça ?

Thibaut Très certainement plus de personnes que tu ne le crois ! Assez rapidement, on peut imaginer plusieurs publics :

  • les chercheuses et chercheurs qui s’intéressent à la biodiversité comme ceux de Vigie-nature
  • les enseignantes et enseignants (à l’école, en SVT au collège ou à l’université) pour un usage en classe
  • les médiatrices et médiateurs de l’environnement, des gardiens des parcs nationaux aux intervenants nature en passant par les agents de l’Office National des Forêts (ONF) ou l’Office Français pour la Biodiversité (OFB)
  • et au final, toutes les contemplatrices et contemplateurs de la nature et de la biodiversité, qui s’intéressent aux plantes, aux oiseaux, aux insectes, aux champignons… ou juste à ce qu’on peut observer à proximité de la maison.

OK, je vois. Et, une fois les clés produites, qu’en font ces structures et ces gens ?

Thibaut Ça dépend des profils… Le laboratoire Vigie-Nature utilise la clé des insectes pollinisateurs dans son observatoire de sciences participatives SPIPOLL par exemple.
Un⋅e enseignant⋅e va produire une ressource éducative pour sa classe (par exemple ici).
Un⋅e médiateur⋅rice de l’environnement va produire des clés pour le grand public (comme le fait l’ONF ici)
On voit aussi des naturalistes amateur⋅ices mettre leurs connaissances à disposition : le site Champ Yves en est un bon exemple.

De mon côté, j’utilise des clés pour progresser et identifier de nouvelles espèces dans mon activité en montagne. J’en propose aussi aux groupes que j’accompagne pour identifier les espèces de montagne qui les entoureront au cours leurs prochaines randonnées.

Sébastien et Grégoire, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Vigie-nature ?
Sébastien Vigie-Nature est un programme de sciences participatives ouvert à tous. En s’appuyant sur des protocoles simples et rigoureux, il propose à chacun de contribuer à la recherche en découvrant la biodiversité qui nous entoure. Initié il y a plus de 30 ans avec le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC), le programme Vigie-Nature s’est renforcé depuis avec le suivi de nouveaux groupes : les papillons, chauves-souris, escargots, insectes pollinisateurs, libellules, plantes sauvages des villes…. En partageant avec les scientifiques des données de terrain essentielles les participants contribuent à l’amélioration des connaissances sur la biodiversité ordinaire et sur ses réponses face aux changements globaux (urbanisation, changement climatique…). Chacun peut y participer qu’il s’y connaisse ou non. À vous de jouer !
Grégoire En participant, on découvre un monde. Nous avons des échanges avec des participants qui se sont pris au jeu et sont devenus de véritables experts passionnés en quelques années alors qu’ils ne prêtaient pas attention aux plantes et aux animaux qui les entouraient. D’autres ont découvert cet univers puis ont butiné de programmes participatifs en programmes participatifs, au gré des découvertes. Enfin, il faut souligner que toute l’année, en ville comme à la campagne, on peut s’impliquer et contribuer à la recherche scientifique en s’enrichissant d’expériences de nature.

Donc si je veux, je peux observer des papillons et des abeilles dans mon jardin, utiliser les clés de détermination pour les identifier correctement, et remonter les résultats à Vigie-Nature ? C’est un peu comme améliorer les cartes d’OpenStreetMap, avec des êtres vivants à la place des bâtiments, mon analogie est bonne ?

Grégoire Oui en quelque sorte. Mais on pourrait même dire que ça va un peu plus loin qu’Open Street Map. C’est un peu comme si l’amélioration permanente d’Open Street Map était cadrée. Comme si, en participant, vous vous engagiez à faire une contribution régulière à Open Street Map, en revenant sur les mêmes lieux et dans les mêmes conditions. La différence est ténue mais elle est importante. En faisant de la sorte, vous pourriez suivre de manière rigoureuse les changements d’occupation du sol. Et en multipliant le nombre de personnes agissant de la sorte, il serait possible de modéliser puis d’extrapoler les divers changements, voire d’en faire des prédictions pour le futur.

Vous nous avez aussi parlé de SPIPOLL, c’est pour espionner les insectes ? (mais espion, ça prend un Y en anglais…)
Grégoire Ici, Spipoll signifie Suivi Photographique des Insectes POLLinisteurs.

De quoi s’agit-il ? La pollinisation de laquelle dépend la reproduction des plantes à fleurs peut se faire de plusieurs manières.
Ainsi les graminées ou encore certains arbres profitent du vent pour faire circuler le pollen. C’est malheureusement à l’origine des allergies qu’on regroupe sous le nom de rhume des foins.
Mais pour beaucoup d’espèces, un bénéfice mutuel s’est mis en place entre plantes et insectes il y a un peu plus de 100 millions d’années (sous notre latitude, dans les tropiques, oiseaux et chauves-souris s’en mêlent). La plante fournit en abondance pollen et même nectar, un liquide sucré qui n’a d’autre rôle que d’attirer les insectes. Ces derniers viennent consommer ces deux ressources et passent de fleurs en fleurs chargés de minuscules grains de pollen. Ils assurent ainsi la reproduction sexuée des plantes et tirent bénéfice de ce service sous forme de ressources alimentaires.
Dans certains cas même, la plante ensorcelle littéralement l’insecte puisqu’elle l’attire et se fait passer pour un partenaire sexuel, trompant ainsi les mâles qui passent de fleurs en fleurs en transportant de petits sacs de pollens mais sans bénéficier de victuailles.

Suite aux incroyables bouleversement qu’ont subis les milieux naturels notamment depuis la révolution industrielle, on a pu constater des déclins d’insectes et des difficultés pour les plantes à échanger leurs gamètes. C’est crucial : sans cet échange, pas de fruits, et par exemple, aux États-Unis, les plantations d’orangers ont de grandes difficultés à fructifier. Dans ce cas, les arboriculteurs installent des ruches d’abeilles domestiques mais il semble que la situation soit tout de même critique. Les chercheurs en Écologie fondamentale se posent donc beaucoup de questions sur les communautés de pollinisateurs. On parle ici de communautés parce qu’on estime à entre cinq et dix mille le nombre d’espèces d’invertébrés impliqués dans la pollinisation en France ! Aucun spécialiste des insectes n’est à même d’étudier un si vaste nombre d’espèces, surtout qu’elles appartiennent à des groupes très variés (mouches, guêpes, abeilles et fourmis, coléoptères, papillons diurnes et nocturnes, punaises, etc.).

L’idée du Spipoll est de solliciter les personnes intéressées pour collecter des informations sur les réseaux d’interaction entre plantes et insectes partout sur le territoire. Il s’agit de prendre des photos de tout ce qui s’active sur les parties florales d’une espèce de plante dans un rayon de 5 mètres, puis de trier ces photos pour n’en garder qu’une par “bestiole différente” puis de tenter de ranger ces bestioles au sein d’une simplification taxonomique comptant quand même 630 branches !!! Et c’est là qu’une clé se révèle indispensable…

Vous avez mentionné au début de l’article que vous aimiez contempler la nature, ça fait envie, vous pouvez me décrire concrètement en quoi OpenKeys.science va m’y aider ?

Thibaut Savoir nommer les espèces qui nous entourent, c’est ouvrir une porte sur la complexité du vivant. De découverte en découverte, les paysages que nous contemplons nous apparaissent comme des lieux de vies ou cohabitent des milliers d’espèces. La diversité des espèces, des milieux et des relations entre ces espèces donne le vertige (et une soif d’en découvrir toujours plus).

En fournissant des clés à utiliser chez soi ou à emmener en balade, OpenKeys met le pied à l’étrier pour changer son regard sur la nature et pour découvrir tout ce qui se cache autour de nous.

Avec une clé de détermination dans la poche, je peux prendre le temps de m’arrêter, d’observer les alentours et d’identifier ce qui m’entoure. De découverte en découverte, c’est toute cette richesse de la nature qui s’offrira à vous…

Entre deux confinements, on va pouvoir retourner se balader, quelles clés sont disponibles sur OpenKeys.science pour une débutante ou un débutant ?

Sébastien Une clé des insectes pollinisateurs est déjà disponible, avec laquelle vous devriez pouvoir nommer la plupart des insectes que vous verrez dans votre jardin !
Nous travaillons également à proposer rapidement une clé pour :

des oiseaux communs ,

des chauve-souris

et des escargots

Thibaut Depuis la liste des domaines sur OpenKeys.science, on peut aller se balader sur chacun des domaines et y consulter les clés qui y seront publiées. On y retrouve par exemple une clé pour identifier certains arbres à partir de leurs feuilles.

Cet interview est aussi l’occasion de faire un appel… Vous voulez partager vos connaissances, venez faire un tour sur OpenKeys.science et créez votre clé. Par exemple, j’adorerais avoir une clé pour progresser dans l’identification des champignons.

Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essayer de googliser la clé de détermination ? Et après vous allez capter toutes les données, les monétiser, disrupter, on connaît la suite…

Thibaut Hé hé ! Non, ce n’est pas du tout l’idée. Les contenus sources sont dans des formats libres et ouverts. Il est possible d’importer et exporter ses productions. Le service OpenKeys.science est construit avec des technologies libres (la suite logicielle Scenari et le modèle associé IDKey). Il est donc possible d’héberger ce genre de service ailleurs…

On peut considérer OpenKeys.science comme une îlot en interaction avec d’autres dans l’archipel des connaissances libres. Chez nous, on fabrique et diffuse des ressources pour comprendre la nature qui nous entoure. On utilise des technologies open source et les ressources produites sont sous licence libre pour favoriser la circulation des connaissances.

On a découvert qu’il existait plusieurs clés de détermination sur le site de TelaBotanica. Qu’est-ce que la vôtre aura de plus ?

Thibaut On peut discuter sur le plan technique. Les clés produites sur OpenKeys.science sont plus ergonomiques (ça, c’est pas moi, c’est Anna, l’ergonome qui a travaillé avec moi sur ces clés qui le dit). Elles s’adaptent mieux à l’affichage sur grand et petit écran. Elles utilisent des standards récents du Web pour être installées sur son ordinateur ou téléphone. Elles peuvent donc fonctionner sans Internet…

Après, ce n’est pas vraiment le sujet, je crois. Il ne s’agit pas de concurrencer des sites de référence comme TelaBotanica ou MycoDB par exemple. J’insiste, on ne souhaite pas centraliser les connaissances sur les clés ni challenger le reste du monde. L’idée est plutôt d’aider ces communautés de passionnés à partager. Je serai ravi de donner un coup de main aux autrices et auteurs de ces sites pour migrer techniquement leur contenu et ainsi leur permettre de générer leur clé sur OpenKeys.science ou ailleurs avec les mêmes technologies open-source. Elles ou ils y gagnent une clé plus facile à utiliser et à installer sur leur site ainsi qu’un outil pour mettre à jour et enrichir cette clé facilement.

Je suis nul en smartphone, mais un pote m’a parlé de Pl@ntnet, ça va pas vous couper l’herbe sous le pied ? Est-ce que des IA dans la blockchain avec des drones autonomes connectés 5.0 ne seraient pas plus efficaces que des humains qui se promènent avec des sites statiques ? C’est pas un peu old tech votre histoire ?

Sébastien Mais non 🙂 ! Ce n’est juste pas du tout les mêmes approches ! Une clé de détermination permet de guider le regard, d’apprendre à observer, de prendre son temps, bref de s’intéresser et de découvrir un être vivant… c’est certainement un peu plus long que de prendre une photo et d’attendre qu’une IA du Web 3.0 fasse tout le travail mais tellement plus valorisant !
Et puis, quand on a pris le temps d’observer à fond une espèce, lors de la prochaine rencontre vous vous en rappellerez tout seul et sans aide !

Thibaut Côté technique, plutôt que old tech, je revendiquerais plutôt le terme low tech. Oui, c’est volontairement un objet technique simple. Ça a plein d’avantages. Par exemple, c’est bien moins consommateur d’énergie, ça marchera encore bien après la fin d’un projet comme Pl@ntnet…

Votre projet démontre que logiciel libre et biodiversité peuvent aller de pair, et ça c’est une bonne nouvelle pour les gens qui se préoccupent de l’un et l’autre, et on est pas mal dans ce cas à Framasoft. Est-ce que vous avez d’autres idées dans le genre ?
Thibaut Je crois que OpenKeys.science est un bon exemple d’interactions super positives entre ces deux mondes ! Disons que ça valide complètement l’intuition de départ… Oui, mettre en relation l’univers de l’informatique libre et la recherche en biodiversité nous profite à tous.

Je vais donc continuer d’explorer cette piste. D’un côté, rencontrer des chercheurs pour discuter des difficultés technologiques dans leurs travaux. De l’autre, identifier des développeurs qui pourraient les aider. Je pense que ça intéresserait du monde, par exemple pour prendre le temps de découvrir une nouvelle techno en menant un projet sympa, ou une organisation qui cherche un sujet pour créer un démonstrateur de son savoir-faire, ou encore des étudiants et enseignants à la recherche de projets à mener dans un cadre universitaire… les contextes ne manquent pas.

Et pourquoi pas, si tout ça fonctionne et rend service, fédérer la démarche dans une association ou une fondation.

 

(image d’illustration : CC BY-SA Dominik Stodulski, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Coccinellidae)




Le logiciel éducatif GCompris fête ses 20 ans

Si je vous dis GCompris, ce nom résonnera aux oreilles de beaucoup d’entre vous. Même si nous l’avons évoqué à plusieurs reprises sur le Framablog, nous n’avons jusqu’ici jamais eu le plaisir de consacrer un article à cette référence du jeu éducatif libre. Quoi de mieux que les 20 ans du logiciel pour réparer ce manque. Entrevue avec Timothée Giet pour fêter cet anniversaire.

Pour ceux qui n’ont pas eu d’enfant dans leur entourage ces vingt dernières années, vous pouvez nous expliquer ce qu’est GCompris ?

GCompris est un logiciel éducatif libre pour les enfants de 2 à 10 ans et plus. Il propose de nombreuses activités (159 dans la dernière version) couvrant un large éventail de sujets : découverte de l’ordinateur, lecture, mathématiques, sciences, art, histoire, géographie…  Il fonctionne sur de nombreuses plateformes : nous fournissons des paquets pour les systèmes GNU/Linux, Raspberry Pi, Android, Windows et macOS.

Pouvez-vous nous présenter les personnes qui sont derrière le projet GCompris ? S’agit-il des mêmes aujourd’hui qu’au début de l’aventure ?

Le logiciel a été créé par Bruno Coudoin, qui l’a maintenu pendant plus de 15 ans. En 2016, il a finalement dû arrêter par manque de temps et nous a donc confié la maintenance du projet. Nous sommes maintenant deux co-mainteneurs, Johnny Jazeix et moi (Timothée Giet). Johnny est un développeur qui contribue sur son temps libre. Il s’occupe principalement des parties les plus compliquées du code, de l’intégration des contributions et de la coordination pour les traductions. De mon côté, je suis illustrateur/graphiste/développeur, et on peut dire que je travaille actuellement à mi-temps sur le projet. Je m’occupe principalement de la partie graphisme et design du logiciel, mais également de corriger des bugs et d’améliorer l’expérience utilisateur. Après, nous nous répartissons le reste des tâches en fonctions de nos disponibilités et de nos compétences.

Moment nostalgie : le site GCompris en 2005

GCompris a 20 ans… Ça veut dire que certains de vos joueuses et joueurs aussi ! Ça vous fait quoi ? Pas trop un coup de vieux ?

C’est toujours réjouissant lorsque nous voyons des commentaires de personnes relatant leurs bons souvenirs de jeunesse avec GCompris. Après, comme Johnny et moi sommes arrivés sur le projet en 2014, cela nous motive surtout à continuer d’apporter cette expérience positive aux nouvelles générations.

 

Il va falloir nous expliquer comment vous êtes passés de la version 15.10 à la version 0.5. Une envie, un soir en regardant Retour vers le futur ?

En 2014, Bruno a décidé de commencer une réécriture complète avec de nouveaux outils, principalement pour permettre au logiciel de tourner sur les plateformes mobiles. Après quelques recherches sur les diverses technologies disponibles à cette époque, il a choisi de développer la nouvelle version en QtQuick (Qt + QML/JavaScript), qui offrait selon lui le meilleur support multi-plateforme avec des outils permettant de créer une interface moderne, tout en étant relativement facile d’accès pour les nouveaux développeurs. C’est d’ailleurs à ce moment là que Johnny et moi avons rejoint l’équipe.

Pour l’occasion, et pour permettre de conserver quelque temps en parallèle l’ancienne version, cette nouvelle version a été renommée en interne « gcompris-qt », et la numérotation est logiquement repartie de zéro.

 

Quel a été le plus gros chamboulement dans l’histoire de GCompris ?  Le changement de moteur au milieu des années 2010 ?

Le plus gros chamboulement a en effet été cette réécriture complète du logiciel. Avec le passage de Gtk+ à Qt, le projet a logiquement migré de la communauté Gnome vers la communauté KDE. Ce travail de réécriture a demandé plusieurs années de travail, et n’est pas encore tout à fait fini. Nous avons perdu au passage quelques activités de l’ancienne version qui n’ont pas été portées, mais nous en avons aussi développé de nouvelles. De même pour les traductions, certaines langues supportées par l’ancienne version ne le sont pas encore dans la nouvelle.

Par ailleurs, pour cette nouvelle version, ma première contribution a été de créer une charte graphique adaptée, et de créer de nouveaux graphismes pour les nombreuses activités en suivant cette charte. Cette tâche n’est pas encore tout à fait terminée, mais le logiciel est déjà bien plus agréable et harmonieux visuellement pour les enfants, et les nombreux retours que nous avons eus depuis confirment que ce changement est très apprécié par nos utilisateurs.

Au niveau communautaire, comment se déroulent les contributions à votre logiciel ? Plutôt liées aux traductions ou aux activités ?

Les contributions de traductions par la communauté sont un point essentiel pour permettre aux enfants du monde entier d’utiliser le logiciel. Nous avons une consigne en interne de n’inclure les traductions que si elles sont au moins complètes à 80%, pour éviter que les enfants ne se retrouvent avec un logiciel à moitié traduit. Le nombre de textes à traduire est assez élevé, cela demande donc un certain effort pour les contributeurs de fournir les traductions pour une nouvelle langue. Une bonne partie des traductions est faite par les traducteurs de la communauté KDE, mais il y a aussi des traducteurs externes qui nous contactent directement pour plusieurs langues. La nouvelle version 1.0 est entièrement traduite en 22 langues, et partiellement traduite en 4 langues. Depuis sa sortie il y a une dizaine de jours, nous avons déjà été contactés par plusieurs personnes qui souhaitent participer pour ajouter de nouvelles traductions. Nous ferons donc très certainement bientôt une nouvelle version mineure pour les inclure.

Pour les activités, c’est assez variable. Nous avons eu de nombreux contributeurs au fil du temps, en particulier des étudiants participant à des programmes comme le GSoC (Google Summer of Code) et SoK (Season of KDE), qui ont chacun ajouté quelques activités. Mais la plupart restent seulement le temps de leur session et ne contribuent plus vraiment ensuite, ce qui est dommage. Il y a aussi des instituteurs et des parents qui nous aident en donnant des retours sur le contenu pédagogique.

Avancement des principales traductions de GCompris

Vous avez besoin de contributrices ? Sur quels aspects ?

Nous recherchons toujours des traducteurs pour de nouvelles langues ou pour aider à maintenir les traductions existantes. De même, il reste beaucoup d’enregistrements de voix à fournir pour la plupart des langues (pour le français les voix sont complètes actuellement).

Au plan pédagogique, nous venons de démarrer un projet de cookbook (livre de cuisine) pour présenter des exemples d’utilisation du logiciel en classe. Les instituteurs sont donc bienvenus pour y partager leurs recettes.

Et bien sûr, nous sommes toujours ouverts aux développeurs qui souhaitent ajouter de nouvelles activités, tant qu’elles restent dans le cadre de la philosophie du logiciel.

 

L’année 2020 a aussi été marquée par une évolution importante pour GCompris, financière celle-ci, avec l’abandon du système de code d’activation sur certains OS. Pourquoi ce changement ?

C’est un changement que j’avais en tête depuis un bon moment. Ma motivation principale était l’envie de fournir le logiciel complet au maximum d’enfants possible. C’est déjà assez compliqué pour certains d’avoir accès au matériel. L’accès à l’éducation gratuite pour tous est un sujet important.

Un autre point qui me dérangeait un peu avec le code d’activation pour les OS non libres : étant moi même un défenseur des valeurs du logiciel libre, je voyais une certaine contradiction dans le fait que mes revenus dépendaient des gens qui continuent d’utiliser des logiciels privateurs.

Enfin, l’élément déclencheur a malheureusement été l’arrivée de la pandémie… Dès le début de l’année, voyant la situation arriver au loin, j’ai vite compris qu’il était plus que jamais nécessaire de fournir notre logiciel éducatif gratuitement à tous les enfants qui allaient se retrouver confinés. Et par la suite j’ai pu constater qu’en effet, cela a été d’une grande aide pour les instituteurs, les parents, et surtout pour les enfants.

 

Une question qu’on nous pose souvent, « Alors c’est quoi votre modèle économique ? » (© startup magazine)

Désormais notre modèle économique est uniquement basé sur le financement participatif. Avec l’abandon de la version payante, j’ai fait le pari de continuer à financer mon travail sur GCompris via ma page Patreon. J’espère que suffisamment de personnes soutiendront le projet pour que cela tienne sur le long terme.

Il y a une dizaine d’années, le paysage éducatif comportait plusieurs suites éducatives libres (Childsplay, Omnitux, suite pédagogique d’Abuledu). Actuellement, GCompris semble être la seule avec un développement actif. Vous avez écrasé la concurrence ?

Je ne connais pas en détail l’évolution de ces autres suites éducatives libres. Cependant, je suppose que le manque de budget pour les logiciels éducatifs en général, et en particulier pour ceux qui sont libres, est un facteur important.

 

Plus globalement, quel regard portez-vous sur l’évolution du libre dans l’éducation sur ces 20 dernières années ?

En lisant des articles comme celui-ci, on voit bien que le logiciel libre n’est plus du tout soutenu par l’éducation nationale dans notre pays. Si seulement le budget était correctement utilisé pour développer des solutions éducatives libres…

On peut voir dans d’autres pays des solutions libres déployées efficacement. Par exemple au Kerala (état du sud de l’Inde), l’état utilise exclusivement des logiciels libres pour les écoles publiques et a financé le développement d’une distribution GNU/Linux déployée sur tous les ordinateurs de toutes les écoles. Les instituteurs sont formés sur ces logiciels et les élèves apprennent à utiliser des outils qu’ils peuvent ensuite utiliser librement chez eux. Plus proche de chez nous, plusieurs régions d’Espagne ont développé et déployé des distributions GNU/Linux dans leurs écoles.

Il y a donc beaucoup de progrès à (re)faire dans ce domaine en France.

 

C’est quoi la feuille de route pour les 20 prochaines années ?… Bon au moins pour les 20 prochains mois ?

Nous travaillons actuellement sur un nouvel outil « serveur » qui permettra aux instituteurs de personnaliser le contenu des activités et d’interagir avec le logiciel sur les postes des élèves. Il s’agit cependant d’un énorme projet qui va demander beaucoup de travail, il est donc difficile pour l’instant de prédire quand il sera prêt.

De mon côté, il me reste plusieurs activités à refaire au niveau des graphismes et de l’interface. Comme les activités doivent être conçues de manière responsive, en plus de créer des nouvelles images, il faut souvent ré-écrire une bonne partie de l’interface pour qu’elles soient utilisables aussi bien sur un écran d’ordinateur que sur un téléphone en mode vertical ou horizontal. Chaque activité ayant ses propres contraintes, c’est parfois un vrai challenge.

Enfin, nous allons probablement avoir un peu de travail à l’avenir pour porter le logiciel sur la nouvelle version de Qt (Qt 6), qui apporte son lot de changements à prendre en compte.




Refuser les rapports et soutenances de stages confidentiels

Aujourd’hui, nous vous proposons de sortir un peu des sentiers (re)battus du libre et des communs pour explorer un peu plus ceux de l’éducation et du partage. Stéphane Crozat, membre de Framasoft et prof. à l’Université de Technologie de Compiègne, souhaite partager ici une réflexion autour des conditions de publication des rapports de stage. Profitons du fait que le Framablog est aussi le blog des membres de l’association Framasoft pour lui donner la parole.

Stéphane Crozat, Framasoft

Chaque semestre, une partie significative des entreprises qui accueillent des stagiaires de l’Université Technologique de Compiègne dont je suis suiveur font une demande de procédure de confidentialité concernant le rapport et/ou la soutenance de l’étudiant. Je suis opposé à cette pratique.

Récemment encore une grande société française impliquée notamment dans des activités en lien avec la défense m’a fait une telle demande.

Ce semestre, j’ai pris le temps de poser mes arguments à plat, à la suite de quoi la demande a été retirée. Le mail que j’ai reçu en réponse faisait état du bien-fondé de ces arguments. Je les partage donc afin de contribuer peut-être à rendre les demandes de confidentialité plus marginales.

Préambule : la confidentialité est un droit de l’entreprise

Je ne suis pas opposé aux besoins de confidentialité des entreprises. De nombreux contextes l’exigent. À titre personnel il est par exemple évident que les informations dont je dispose sur les étudiants ne sauraient être divulguées publiquement.

Il est à noter que :

  • le principe de confidentialité est inclus par défaut dans le droit de travail : « le contrat de travail est exécuté de bonne foi (article L1222–1 du Code du travail) » ce qui implique notamment la loyauté, la non-concurrence ou la confidentialité ;
  • le stagiaire n’est pas complètement soumis au code du travail mais le principe de confidentialité reste présent dans la logique du stage et est communément explicité par une clause de non divulgation qui peut être ajoutée au contrat de travail ou à la convention de stage.

Donc, la confidentialité est une règle qui s’applique légitimement par défaut.

Entretien d'embauche. À la question "pouvez-vous m'en dire plus sur votre stage" le candidat répond "euh, non".

Argument 1 : Le rapport de l’étudiant est un élément de son CV, s’il est confidentiel, il ne pourra pas le produire.

Si un rapport est confidentiel, alors il ne pourra pas être produit pour faire valoir le travail réalisé, lors de la recherche d’un stage ultérieur ou lors de la recherche d’un emploi.

  • Un mémoire de stage est un travail personnel significatif pour le stagiaire qui mérite de figurer au rang des choses dont il peut être fier et qu’il peut montrer. C’est le déposséder de quelque chose d’important que de lui interdire de produire le résultat de son travail.
  • À défaut, c’est minorer l’importance de ce travail de restitution, ce qui peut conduire à des rapports sans intérêt, puisqu’en fin de compte personne ne les lira (à part peut-être à des fins d’évaluation, une fois, peut-être distraitement).

Proposition 1 : faire un rapport court et public

Je propose d’écrire un rapport synthétique et de bonne facture, non confidentiel et éventuellement de lui annexer un document confidentiel (qu’il n’est pas nécessaire de diffuser hors de l’entreprise).

On aura d’emblée l’ambition que ce rapport soit public, destiné à être diffusé sur le Web typiquement.

Le stagiaire cherchera à faire valoir les actions qu’il a pu mener sans divulguer d’information sensible. On peut pour cela procéder à de l’anonymisation, ou encore à la troncature d’information, sans nuire à la bonne compréhension du propos général. C’est en soi un bon exercice. La stagiaire pourra bien entendu mentionner en préambule qu’il a rédigé son rapport sous cette contrainte (un exemple d’approche : librecours.net/module/ing/rap).

Cette proposition a également le mérite de simplifier la gestion de la confidentialité et d’éviter les entre-deux inconfortables où personne ne sait exactement ce qu’il peut faire et laisser faire :

  1. un rapport public accessible à tous tout le temps,
  2. un rapport privé accessible à l’entreprise uniquement.

Argument 2 : La soutenance est un moment de mise en commun, cela ne peut pas fonctionner si tout le monde ne joue pas le jeu.

La soutenance est un moment d’échange entre étudiants, enseignants et entreprises. Les sessions sont organisées de telle façon que chacun profite des expériences des autres. Lorsque quelqu’un demande une soutenance confidentielle, il exclut de fait les autres de ce partage, c’est donc un appauvrissement de cette phase de restitution de stage. Si tout le monde procède ainsi, l’exercice perd tout intérêt, c’est en quelque sort un cas de dilemme du prisonnier1 : si personne ne se fait confiance, alors tout le monde perd.

Les paroles de l'étudiant sont "caviardées" dans sa bulle

Pour que la situation reste équitable, les soutenances confidentielles doivent se dérouler à part, en dehors de l’espace commun partagé par les autres. Ainsi ceux qui refusent de partager leur expérience se privent de la possibilité de profiter de l’expérience des autres.

C’est donc une dégradation de la situation d’apprentissage pour le stagiaire.

Proposition 2 : sélectionner ce qui est présenté en excluant ce qui est confidentiel

Je propose une soutenance non confidentielle sans information sensible. Il est possible qu’une soutenance ne porte pas sur l’ensemble du stage, c’est même souvent le cas, on peut donc se focaliser sur quelques-unes des tâches les moins sensibles et les exposer avec soin.

Le but d’une soutenance n’est pas de rendre compte dans le détail de tout ce qui a été fait, le temps ne le permettrait pas, mais de donner à voir une partie de ce que l’on a appris, ce que l’on sait faire, et, peut être en premier lieu : de communiquer des choses intéressantes au public.

Le public de la soutenance : ses oreilles sont bouchées de gros tampons d'ouate.

Une bonne soutenance est pour moi une soutenance à l’issue de laquelle on a appris des choses que l’on ignorait grâce à la clarté de l’exposé du stagiaire.

Cela n’implique pas de révéler des secrets spécifiques, mais au contraire d’avoir été capable de monter en généralité pour présenter en dehors du contexte les compétences et connaissances acquises. C’est ce qui fait leur valeur pour le stagiaire et ses futurs collaborateurs.

Conclusion : un argument personnel complémentaire

Accepter un travail d’encadrement de stage correspond à la perspective d’instaurer un échange. On consacre un peu de temps, on fait éventuellement bénéficier un peu de son expérience lorsque c’est utile, et en échange on apprend des choses que l’on peut réinvestir dans sa propre pratique professionnelle.

Le métier d’un enseignant-chercheur consistant à publier de la connaissance au service de tous, les informations confidentielles lui sont mal utiles. Donc le bilan est négatif : on ne gagne rien et on perd un peu de ce temps si précieux pour tous.

Je refuse a priori tout engagement dans le suivi de stages comprenant des rapports ou soutenances confidentielles.




La place du numérique à l’école relève de la place de l’école dans la société

Début septembre, nous avons été contactés par Hervé Le Crosnier, éditeur de (l’excellente) maison d’édition C&F éditions. Il demandait si nous accepterions d’écrire un court texte sur la façon dont Framasoft avait vécu ses interactions avec le milieu éducatif pendant ce moment très particulier qu’était le confinement (entre le 17 mars et le 11 mai 2020). Ce texte servirait à alimenter l’ouvrage « L’École sans école : ce que le confinement nous apprend sur l’école » à paraître en décembre 2020 chez C&F éditions.

Nous avons déjà énormément écrit et partagé pendant le confinement. Nos quatorze « carnets de bord du confinement » représentaient déjà pas loin de 200 pages (indispensables mèmes inclus). Cependant, il est vrai que nous n’avions évoqué qu’en pointillé nos rapports avec l’école pendant ces deux mois. Quasiment quatre ans jour pour jour après notre « billet de sécession » et à quelques jours de la tenue des États Généraux du Numérique Éducatif, il nous a paru important de prendre un peu de recul et de documenter cette période là, et de mettre à jour notre positionnement.

C’est Pierre-Yves Gosset, co-directeur de l’association, qui s’est chargé de la rédaction du texte qui suit. Réputé pour ses bilans trimestriels de quarante pages, il aura transformé ce qui devait être un « court texte » en un document d’une quinzaine de pages (et encore, il s’est retenu, paraît-il). La raison en est assez simple : pour comprendre les décisions et actions de Framasoft pendant le confinement, il faut non seulement avoir un contexte des relations entre l’association et « l’institution Éducation Nationale » depuis près de vingt ans, mais aussi avoir la possibilité de déployer une pensée qui s’écarte du simple solutionnisme technologique.

La période de confinement aura été, pour Framasoft, comme pour une large partie de l’humanité, une période marquante. Pour nombre d’élèves, elle aura été une période traumatisante. Avant de parler de « continuité pédagogique » ou de « numérique éducatif », qui sont évidemment des sujets importants, il nous semblait important de donner un éclairage certes partiel, mais donnant à la fois une dimension historique et une dimension prospective. Les outils ne sont pas que des outils, comme l’écrivait Stph, un autre membre de Framasoft, dans son billet « Connaître les machines ». L’éducation aux médias et à l’information (EMI), le développement de la littératie numérique sont les véritables enjeux du numérique à l’école. Et la place de l’école – avec ou sans murs –  est le véritable enjeu de notre société.

 


La place du numérique à l’école est à l’image de la place de l’école dans la société.

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Histoire

Nous sommes en 2001, dans un lycée de Bobigny. Une professeure de français et un professeur de mathématiques souhaitent expérimenter internet, cette technologie récemment arrivée dans les établissements scolaires. Internet est avant tout un objet technique : il faut avoir le matériel nécessaire (les cartes réseaux n’étaient pas encore la norme ; en France, le wifi n’était utilisé que par quelques poignées de personnes), savoir utiliser ce matériel, savoir se connecter et, surtout, savoir, selon l’expression de l’époque, « surfer en ligne ». Internet est une fenêtre ouverte sur le monde, même si la création de Wikipédia date de janvier de la même année et mettra quelques années à prendre de l’ampleur. C’est aussi un outil d’expression permettant de rendre votre publication potentiellement accessible à toute autre personne connectée. Avoir cette possibilité, en tant qu’enseignant dans un lycée, c’était parcourir des chemins d’expérimentation jusqu’alors peu empruntés : non seulement cela permettait de découvrir ou approfondir l’usage des « Technologies de l’Information et de la Communication », mais plus important encore de partager de l’information, des pratiques, des retours d’expériences entre enseignants.

C’est cette dernière possibilité qui intéresse particulièrement ces deux enseignants. D’abord nommé « Framanet » (pour FRAnçais et MAthématiques sur intraNET, car publié sur le réseau interne du lycée), puis rendu public sur internet, leur site permettait d’expérimenter l’usage pédagogique des nouvelles technologies, en direction notamment des élèves en difficulté à l’entrée en sixième. Au départ simple page du projet Framanet, puis devenue peu à peu une rubrique du site à part entière, la catégorie « Framasoft » listait pour sa part une sélection de logiciels (libres et non-libres) qui pouvaient être utiles aux enseignant⋅es.

Quelques années plus tard, cette rubrique deviendra un site web indépendant (framasoft.net), et une association verra le jour afin de pouvoir gérer collectivement ce modeste commun numérique2
.

Faisant le choix en 2004 de ne référencer que des logiciels libres, par conviction philosophique, politique et pédagogique, l’annuaire Framasoft allait devenir l’une des principales portes d’entrée francophone du logiciel libre.

 

 

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Ses rapports avec le monde de l’éducation sont alors encore très forts : l’association est principalement composée d’enseignants ou de personnes proches du monde éducatif, le site est hébergé gracieusement pendant plusieurs années par le Centre de Ressources Informatique de Haute-Savoie (CRI74), les relations avec le pôle logiciels libres du SCÉRÉN3 sont au beau fixe, les enseignants s’emparent du libre et créent de multiples associations (ABULEdu4, Sésamath5, Scidéralle6, etc.). C’est une période extrêmement riche et foisonnante pour le libre à l’école. Évidemment, les solutions de Microsoft sont omniprésentes dans les établissements, et les victoires des partisans du logiciel libre sont rares. Mais il n’en demeure pas moins que la marge de manœuvre laissée aux enseignants est grande, et que les sujets du libre à l’école, des Ressources Éducatives Libres, des licences Creative Commons, etc. ne sont certes pas soutenus par l’institution, mais pas freinés non plus.

Mais au début des années 2010, les frictions se multiplient ; la ligne institutionnelle se durcit, au ministère de l’Éducation nationale comme dans tout le pays. En 2012, des organismes publics comme le CRI74 ferment, mettant de facto à la porte d’internet des projets comme la distribution éducative libre Pingoo, les espaces d’échanges et les manuels libres de mathématiques de l’association Sésamath, ou le site Framasoft.net. Le SCÉRÉN devient Canopée en 2014 et voit son pôle logiciel libre disparaître. De plus en plus de professeurs font remonter auprès de nous les difficultés qu’ils rencontrent pour parler du libre à leur hiérarchie, ou à le mettre en œuvre dans leurs établissements.

Du côté de l’équipe Framasoft, on sent bien que le monde numérique a changé. On installe de moins en moins les logiciels – libres ou pas – sur les disques durs des ordinateurs, mais on les utilise de plus en plus dans les navigateurs web. En parlant de navigateurs web, justement, le logiciel libre vedette Firefox, qui avait atteint 30 % de parts de marché dans le monde en 2010 (son plus haut niveau, provoquant la fin de l’hégémonie d’Internet Explorer et évitant de peu une « Microsoftisation » du web) se prend de plein fouet l’arrivée de Google Chrome. Ce dernier, porté par la puissance de Google, dépassera Firefox en 2 ans à peine et culmine à plus de 65 % de parts de marché en 2020. Google devient alors omniprésent, notamment sur les marchés de la recherche web et du navigateur, mais aussi sur celui des applications web (Google Drive, Google Docs, GMail, etc.) et, bien entendu, des smartphones avec son système Androïd (80 % des parts de marché dans le monde).

L’école, comme le reste de la société, migre donc d’un numérique « logiciel » où les choix étaient très nombreux, et où les marges de manœuvres par établissement relativement larges, à un numérique « serviciel » où le ministère peut bien plus facilement pousser ses préconisations du haut vers le bas et où les enseignants se voient enjoints à utiliser telle ou telle application. Quant au numérique « matériel » ? On voit la multiplication des « TNI » (tableaux blancs interactifs), des plans « 1 élève, 1 tablette », etc. Mais là encore, la puissance de Google, Apple et bien entendu Microsoft ne laissera aucune chance aux initiatives locales et libres, comme le projet TabulEdu6 par exemple.

L’épuisement

À cette époque (2010/2015), Framasoft est une des associations (avec l’April7, l’AFUL8, AbulEdu, Scidéralle et d’autres) qui militent activement pour que le logiciel libre et ses valeurs ne soient pas un impensé dans les pratiques numériques éducatives.

Nous rencontrons à de nombreuses reprises des conseillers, des fonctionnaires, des élus, des chefs d’établissements, et même des secrétaires d’État et des minitres. Nous leur présentons, avec autant d’objectivité que possible, quels sont les avantages, mais aussi les inconvénients du logiciel libre, notamment dans ses processus de développements, souvent éloignés du modèle capitalistique dominant.

Mais, peu à peu, les portes comme les oreilles se ferment. Ce qui compte, ce sont les usages, et uniquement les usages. Peu importe les conséquences d’une dépendance à tel ou tel acteur, tant que le logiciel fait le boulot. L’Éducation nationale veut acheter du logiciel comme on achète des petits pois : sur étagère. Oh évidemment, les enseignants sont invités à « donner leur avis », à « faire remonter leurs besoins », à « co-construire » le logiciel. Mais attention, ces échanges doivent se faire chez l’éditeur. Car il s’agit bien pour ce dernier de profiter de ces retours d’expériences et de l’expertise des enseignants pour améliorer ce qui n’est rien d’autre qu’un produit : le logiciel, leur logiciel. Microsoft a des moyens plus que conséquents. En 2016, Microsoft était la troisième capitalisation boursière mondiale (425 milliards de dollars), derrière… Alphabet/Google (556 Mds$ ) et Apple (582 Mds$ ). En conséquence, on nous demandait, à nous, représentants du milieu du libre, porteurs de valeurs, d’idées, mais aussi de code logiciel de qualité (tels ceux de Firefox, de LibreOffice, de GNU/Linux et de milliers d’autres) de lutter à armes soi-disant égales contre les trois plus grosses entreprises mondiales, aux moyens quasi illimités. Comment lutter pied à pied avec une entreprise qui, du jour au lendemain, peut inviter – tous frais payés – des centaines de personnels de l’éducation de nombreux pays dans un hôtel luxueux en Thaïlande9
, quand nous peinions déjà, en tant qu’association, à payer la facture de notre hébergement web de quelques dizaines d’euros mensuels ? Comment paraître crédible quand Microsoft pouvait inviter des « enseignants innovants »10 dans ses gigantesques locaux d’Issy-les-Moulineaux11 (pardon, son « Campus équipé de Showrooms et de classes immersives »), alors que le local de Framasoft se limitait à 6m² dans un quartier populaire de Lyon ? (rassurez-vous, depuis nous avons multiplié par 3 la surface de nos bureaux.)

Bref, les pas en arrière furent pendant ces années-là bien plus nombreux que les pas en avant.

Progression du libre dans l’Éducation nationale — Allégorie

Mais nous ne désespérions pas. Nous pensions pouvoir de nouveau trouver des interlocuteurs avec qui échanger. Nous estimions nos requêtes raisonnables : 1) faire une place suffisante au logiciel libre à l’école ; 2) libérer quelques heures de formations aux enseignants aux questions de licences (que ça soit pour les logiciels, mais aussi pour leurs productions pédagogiques et les ressources qu’ils pourraient trouver en ligne) ; 3) comprendre et accepter quels étaient les modes du développement d’un logiciel libre (basé sur la contribution des acteurs, et non sur l’acquisition des consommateurs).

Cependant, les institutions françaises étant ce qu’elles sont, nos interlocuteurs disparaissaient d’une année sur l’autre, suite à une élection, une mutation, une mise en retraite, ou au placard. Et la société française, elle, rentrait peu à peu dans l’ère de la start-up nation, de l’ubérisation. En conséquence, nous entendions de plus en plus souvent la petite musique « Le numérique à l’école est un marché, et le logiciel libre est bien utile pour mettre en tension ce marché ». « Mettre en tension », tout est là. Le principal intérêt du logiciel libre n’est plus de donner du pouvoir pédagogique aux enseignants, il n’est plus de pouvoir adapter les logiciels aux besoins spécifiques des élèves, il n’est plus de faciliter l’émancipation par la capacitation, il n’est plus de proposer une force de résistance à la marchandisation de l’école… Il devient juste une variable d’ajustement permettant de négocier à la baisse les prix des logiciels de Microsoft & co. Nous, considérés comme des hippies du numérique, étions devenus un épouvantail qu’on agitait sous le nez d’entreprises multi-milliardaires, leur suggérant : « Si vous ne baissez pas vos prix, on va peut-être préférer du logiciel libre ! ».

L’agacement et la frustration laissèrent peu à peu place à la fatigue, puis à l’épuisement.

La rupture

Cette emprise des géants du numérique sur l’éducation se traduira concrètement, politiquement, en 2015 lorsque la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud Belkacem signera un partenariat avec Microsoft. Pour comprendre en quoi ce partenariat est un camouflet envers les acteurs du Libre, nous pouvons ici simplement citer le communiqué de presse de Microsoft12 :

« 13 millions d’euros seront ainsi investis par Microsoft pour le développement du numérique éducatif : l’accompagnement des enseignants et des cadres de l’éducation, la mise à disposition de plateformes collaboratives, ainsi que l’apprentissage du code informatique. Cette signature s’inscrit dans le prolongement de la visite à Paris de Satya Nadella, CEO de Microsoft, le 9 novembre dernier, et de sa rencontre avec le président de la République, François Hollande. »

Trois choses me semblent importantes ici.

D’abord, il s’agit d’un partenariat décidé au plus haut niveau de l’État. Le patron de la troisième entreprise mondiale rencontre le patron – pardon le président – de la cinquième puissance mondiale, et ils décident de signer un contrat – pardon, un partenariat – concernant plus de dix millions d’élèves. Les raisons pédagogiques présidant au choix de cette entreprise sont-elles rendues publiques ? Non. Y a-t-il eu consultation des enseignants et de la société civile ? Non plus. Difficile à prouver tant la manœuvre fut opaque, mais cela avait le goût amer d’une action de lobbying fort bien orchestrée.

Ensuite, ce partenariat fut signé juste après la grande consultation nationale pour le projet de loi Pour une République Numérique13 porté par la ministre Axelle Lemaire. Cette consultation avait fait ressortir un véritable plébiscite en faveur du logiciel libre dans les administrations publiques et des amendements ont été discutés dans ce sens, même si le Sénat a finalement enterré l’idée. Il n’en demeure pas moins que les défenseurs du logiciel libre ont cru déceler chez nombre d’élus une oreille attentive, surtout du point de vue de la souveraineté numérique. Pourtant, la ministre Najat Vallaud Belkacem a finalement décidé de montrer à quel point l’Éducation nationale ne saurait être réceptive à l’usage des logiciels libre en signant ce partenariat, qui constituait, selon l’analyse par l’April des termes de l’accord, une « mise sous tutelle de l’informatique à l’école » par Microsoft.

Enfin, notez bien qui investit. Est-ce l’État qui achète pour 13 millions d’euros de produits Microsoft ? Non. C’est bien Microsoft, entreprise privée étatsunienne, qui investit 13 millions d’euros dans l’institution publique qui devrait être l’objet du plus de protection : l’Éducation nationale. Nike aurait-il offert pour 13 millions d’euros de paires de chaussures pour les cours de sport ou McDonald’s aurait-il offert pour 13 millions d’euros de burgers pour les cantines, je doute que la ministre s’en serait vantée. Mais comme il ne s’agit « que » de logiciels, tout va bien, il ne s’agit absolument pas d’un pas de géant dans la marchandisation de l’école. Nous avons l’esprit mal placé. Nous voyons le mal partout.

Mais nous ne sommes pas aveugles, et le départ de Mathieu Jandron, nommé en septembre 2015 au plus haut poste « numérique » du Ministère et principal architecte de ce partenariat, ne nous échappera pas : il partira en 2018 travailler chez une autre entreprise du secteur privé, Amazon14.

Les « Revolving doors » : mécanisme décrivant une rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur, et un poste dans l’industrie affecté par ces mêmes législation et régulation (donc avec suspicion de conflit d’intérêt).,
Source : Grandvgartam, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

 

Au sein de Framasoft, nous sommes atterrés. Et en colère.

Nous écrivons alors un billet intitulé « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation nationale »15.

Rédigé principalement par Christophe Masutti, alors co-président de l’association, nous y rappelions notre positionnement à la fois philosophique et politique :

« Une technologie n’est pas neutre, et encore moins celui ou celle qui fait des choix technologiques. Contrairement à l’affirmation de la ministre de l’Éducation Mme Najat Vallaud-Belkacem, une institution publique ne peut pas être “neutre technologiquement”, ou alors elle assume son incompétence technique (ce qui serait grave). En fait, la position de la ministre est un sophisme déjà bien ancien ; c’est celui du Gorgias de Platon qui explique que la rhétorique étant une technique, il n’y en a pas de bon ou de mauvais usage, elle ne serait qu’un moyen. Or, lui oppose Socrate, aucune technique n’est neutre : le principe d’efficacité suppose déjà d’opérer des choix, y compris économiques, pour utiliser une technique plutôt qu’une autre ; la possession d’une technique est déjà en soi une position de pouvoir ; enfin, rappelons l’analyse qu’en faisait Jacques Ellul : la technique est un système autonome qui impose des usages à l’homme qui en retour en devient dépendant. Même s’il est consternant de rappeler de tels fondamentaux à ceux qui nous gouvernent, tout choix technologique suppose donc une forme d’aliénation. En matière de logiciels, censés servir de supports dans l’Éducation nationale pour la diffusion et la production de connaissances pour les enfants, il est donc plus qu’évident que choisir un système plutôt qu’un autre relève d’une stratégie réfléchie et partisane. »

Nous faisions par ailleurs dans cet article une chronologie des interactions entre l’Éducation nationale et le libre plus détaillée que dans le présent texte. Mais sa raison d’être, en dehors d’y exprimer notre colère, était surtout d’annoncer une rupture stratégique dans nos modalités d’actions (un « pivot » aurait-on dit dans la startup nation). Cette rupture se traduisait notamment non seulement par notre volonté de ne plus être dans une démarche active vis-à-vis du ministère (c’est-à-dire de ne plus les interpeller, ni les solliciter du tout), mais aussi en mettant une condition claire à toute discussion que l’institution souhaiterait engager avec nous : à chaque fois qu’un membre de l’institution relativement haut placé (ministère, rectorat, académie, Canopée, etc.) souhaiterait avoir notre avis, notre expertise, ou une intervention de notre part, nous demandions au préalable une prise de position écrite et publique que cet avis, cette expertise, ou cette intervention valait comme volonté de l’institution en question de reconnaître les valeurs portées par le mouvement du logiciel libre (partage, entraide, transparence, co-construction, contribution, etc.). Par ce mécanisme, nous évitions de perdre notre temps, notre énergie, et l’argent de nos donateurs (l’association Framasoft n’étant financée que par les dons, essentiellement de particuliers, et ne percevant aucune subvention).

Dit autrement, nous avons fait sécession, rompu le lien de soumission qui nous liait à l’Éducation nationale, et pris une autre voie, celle de l’éducation populaire.

La sécession

Pendant les années qui suivirent, ce mécanisme fut plutôt efficace. Lorsque nous recevions une sollicitation, nous répondions : « Votre institution est-elle prête, publiquement, à reconnaître les valeurs portées par le mouvement du logiciel libre ? ». La réponse, lorsqu’il y en avait une, était généralement « Non ». Cela réglait le problème pour nous. Inutile de perdre de l’énergie pour servir de caution. Nous renvoyions alors nos interlocuteurs vers des associations de plaidoyers – ce que n’a jamais été Framasoft – telles que l’April ou l’Aful, et nous retournions vaquer à nos occupations.

Car fin 2014, Framasoft avait lancé une campagne intitulée « Dégooglisons Internet »16 qui visait trois objectifs : 1) sensibiliser le plus large public aux dominations techniques, économiques et culturelles des GAFAM ; 2) démontrer que le logiciel libre proposait des solutions efficaces et actionnables à moindre coût et 3) essaimer notre démarche de décentralisation d’internet, afin de ne pas transformer Framasoft en « Google du libre ».

Cette campagne fut un formidable succès. Entre 2015 et 2018, l’association a donné des centaines de conférences et d’interviews alertant sur la toxicité des GAFAM. Elle proposait 30 services libres, éthiques, décentralisés et solidaires (soit quasiment la mise en service d’une plateforme par mois, pendant trois ans !), et impulsait la création d’un collectif nommé CHATONS17 (Collectif des hébergeurs alternatifs transparent ouverts neutres et solidaires) regroupant aujourd’hui plus de 70 structures reprenant la démarche de Framasoft.

Les différents services mis en œuvre accueillaient plus de 500 000 personnes par mois, dont un très grand nombre d’enseignants et d’élèves. Sans aucun soutien de l’administration. Le tout pour un coût dérisoire- : moins de 700 000€ investis sur 3 ans, soit un coût inférieur à celui de la construction d’un seul gymnase scolaire.

Le confinement

Retour au temps présent. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, annonce d’abord le 12 mars que la fermeture des écoles dans le cadre de la pandémie COVID-19 « n’a jamais été envisagée »18. Le 13 mars – le lendemain, donc – le même ministre annonce la fermeture des écoles19, en affirmant que le dispositif « Ma classe à la maison » est prêt et permettra à près d’un million d’enseignants qui n’ont jamais été préparés à cela d’assurer une « continuité pédagogique ». Il affirme aussi «  Je veux qu’aucun élève ne reste sur le bord du chemin.  »

LOL. À peine deux semaines plus tard, le ministre lui-même reconnaît avoir « perdu le contact » avec 5 à 8 % des élèves20. Sur 12 352 000 écoliers, collégiens ou lycéens, cela fait quand même entre 600 000 et un million d’élèves « perdus ». Une broutille.

La raison principale en est la totale impréparation du ministère, qui dans une tradition bien française, a donné ses ordres à ses troupes, pensant sans doute comme le disait de Gaulle que « l’intendance suivra ». Ce ministère complètement hors-sol, avec des directives contredisant régulièrement celles de la veille ne comprend pas ce qui lui arrive. Pourtant, ils étaient en place, ces Espaces Numériques de Travail (et avaient coûté cher). Elles existaient bien, ces applications pédagogiques vendues par les « EdTech ». Alors ? Alors les enseignants n’étaient ni formés ni préparés ; les équipes et les infrastructures techniques étaient sous-dimensionnées. On n’envoie pas un million d’élèves un lundi matin sur un ENT prévu pour n’en accueillir que quelques milliers simultanément. Les élèves – comme les enseignants – étaient sous-équipés. Dans les foyers qui avaient la chance d’avoir un ordinateur et une connexion internet, il fallait bien partager cette machine non seulement entre frères et sœurs, mais aussi avec les parents sommés de télétravailler.

Élèves et profs tentant de rejoindre leur Espace Numérique de Travail pendant le confinement — allégorie
Source : Flickr CC BY-NC-SA

 

La conséquence, c’est que les enseignants les plus à l’aise se sont adaptés. Prenant même parfois conseils auprès des élèves, ils multiplient les groupes WhatsApp, les visio Zoom, les comptes sur Google Classrooms, les discussions sur Discord, etc. Ils s’auto-organisent hors des outils le plus souvent, hors des services proposés par leur propre institution. Comment leur en vouloir ? En tout cas, la position de Framasoft est claire : même si nous ne souhaitons évidemment pas promouvoir les outils des GAFAM, le bien-être psychologique des enfants dans cette forte période de stress passe avant tout. Le chaos dû à l’incurie de l’institution doit être compensé, par tous les moyens. Et si cela signifie échanger par Télégram plutôt que ne pas échanger du tout, eh bien tant pis. Même si cela nous fait mal au cœur, et pas qu’au cœur, de voir les services de GAFAM tant utilisés alors que le logiciel libre propose de véritables alternatives, nous nous refusons de nous ériger en moralisateurs et de rajouter de la culpabilité à la détresse. La santé avant le respect du RGPD.

Pour autant, des outils libres existent ! Notamment ceux proposés par Framasoft. Dès le 13 mars, nous voyons certains services pris d’assaut par des enseignants et leurs classes. Des milliers de Framapads (alternative à Google Docs) sont créés chaque jour ; nous ouvrons jusqu’à 20 000 visioconférences Framatalk en une semaine. Car l’information circule, les enseignants sensibilisés aux questions du RGPD, de la vie privée, ou de la toxicité des GAFAM se passent le mot : rendez-vous sur les services de Framasoft. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche enverra même une note officielle recommandant nos services à leurs personnels21.

 

Pendant les deux premières semaines de confinement, c’est la folie : nous mettons en pause tous nos projets, et la petite équipe de 9 salariés que nous sommes redirigent tous leurs efforts pour faire en sorte de pouvoir continuer à « faire du lien » entre personnes confinées (qu’il s’agisse de profs, d’élèves ou pas). Nous louons une demi-douzaine de serveurs supplémentaires, nous renforçons les services existants, nous en proposons de nouveaux, nous écrivons des guides de bonnes pratiques22, etc. Nous documentons publiquement notre quotidien dans une série d’articles de confinement, un carnet qui totalisera l’équivalent de plus de 200 pages au final23. Nous dormons peu. Et mal.

Mais rapidement et malgré nos efforts, nous voyons bien que la part du public scolaire dans la proportion de nos utilisateurs explose24. Si nous continuons ainsi, les élèves vont monopoliser nos services, les rendant indisponibles pour les syndicalistes, les associations, l’urgence sociale, les collectifs, les soignants. Nous nous réunissons (virtuellement) et prenons une décision inédite et radicale : nous faisons le choix, difficile pour nous, d’afficher le message suivant sur nos principaux services :

Nous demandons aux personnes relevant de l’Éducation nationale (profs, élèves, personnel administratif) de ne pas utiliser nos services durant le confinement et de demander conseil à leurs référent·es. Nous savons que le ministère de l’Éducation nationale a les moyens, les compétences et la visibilité pour créer les services en ligne nécessaires à son bon fonctionnement durant un confinement. Notre association loi 1901 ne peut pas compenser le manque de préparation et de volonté du ministère. Merci de réserver nos services aux personnes qui n’ont pas les moyens informatiques d’une institution nationale (individus, associations, petites entreprises et coopératives, collectifs, familles, etc.). Le formulaire ci-dessous vous permettra de créer un salon chez un hébergeur éthique aléatoire en qui nous avons confiance.

Suite à ce texte, nous recevons des messages via les médias sociaux ou par contacts privés. Alors que nous nous attendions à nous prendre des insultes, voire des cailloux, les enseignants nous… remercient ! Ils nous expliquent qu’évidemment, cela leur aurait mieux convenu d’utiliser nos services plutôt que ceux des CHATONS, vers qui nous les redirigeons, mais ils comprennent notre position, et soutiennent notre volonté de les appeler à interpeller leur hiérarchie. Évidemment, les tenants de la startup nation, eux, se serviront de notre décision pour décrédibiliser le libre, en disant en substance « Vous voyez : même la plus grosse association du libre francophone n’arrive pas à passer à l’échelle. C’est bien la preuve que seuls les GAFAM sont sérieux ». Bon, à part le fait que nous n’avons jamais eu pour but de « passer à l’échelle », cela ne fait que renforcer notre sentiment que leur façon de penser (basée sur le succès, la croissance, la réussite, le chiffre d’affaires, bref devenir et rester le « premier de cordée ») ne pourra jamais s’adapter à la nôtre qui ne vise ni à la gloire, ni à la pérennité, ni au fait de créer un mouvement de masse, et encore moins au succès financier.

Quelques remerciements de profs (ou pas) reçus pendant le confinement. <3

Ce message d’alerte aura peut-être eu aussi un effet inattendu et non mesurable pour le moment. Un projet interne à la direction du numérique éducatif, nommé « apps.education.fr »25 est rendu public par anticipation fin avril. Prévu initialement pour être annoncé fin 2020, ce projet de la direction du numérique éducatif vise à proposer plusieurs services en ligne (hébergement de blogs, vidéos, documents collaboratifs, etc), basés exclusivement sur du logiciel libre, réservés aux enseignants et élèves. C’est en quelque sorte le pendant de Framasoft, mais mis en place et géré par et pour l’Éducation nationale. Pour nous, c’est (enfin !) le premier signe concret et positif que nous voyons de la part de l’institution depuis des années. Nous y voyons, peut-être par manque d’humilité, le fait que notre discours, nos idées, et surtout notre volonté que les données des élèves soient gérées en interne et non par des tiers – qu’il s’agisse de Microsoft ou de Framasoft – ont peut-être fini par être entendues. L’avenir nous le dira.

Nous serons d’ailleurs contactés par les personnes gérant le service apps.education.fr peu après l’annonce de son lancement. Elles nous proposent de réaliser deux plugins qui permettraient une authentification plus facile des professeurs au sein du logiciel PeerTube, proposé sur plateforme. Nous en discutons au sein de l’association, car une prestation réalisée pour le compte d’un ministère dont nous critiquons une grande partie des décisions depuis plusieurs années pourrait nous mettre en porte-à-faux en délégitimant notre parole. D’autant plus que la DNE pourrait parfaitement solliciter n’importe quelle société informatique pour cette prestation puisque le code de PeerTube est libre et ouvert. Cependant, nous décidons de réaliser ces plugins, essentiellement parce que nous nous sentons en confiance et écoutés par l’équipe de apps.education.fr. Malgré l’urgence, les plugins seront livrés à temps et toutes les parties prenantes seront satisfaites. Ce plugin permet aujourd’hui à l’Éducation nationale d’héberger plus de 22 000 vidéos, sur une trentaine « d’instances PeerTube » (c’est-à-dire des sites web différents, hébergeant chacun le logiciel PeerTube et des vidéos associées)26. Ces instances sont par ailleurs fédérées entre elles. c’est-à-dire que depuis l’instance PeerTube de l’académie de Lyon (8 000 vidéos), il est parfaitement possible, sans changer de site web, de visionner les vidéos des instances de l’académie de Nancy-Metz (2 300 vidéos) ou celles de l’académie de Nantes (458 vidéos). Cette réalisation pourrait laisser penser à une forme de « partenariat public commun »27 mais nous sommes plus circonspects dans l’analyse : ce n’est pas parce que nous constatons un pas en avant dans la bonne direction que nous oublions toutes les bassesses et les dérobades de ces dernières années.

Pendant cette période, nous accompagnons aussi ponctuellement le collectif citoyen « Continuité pédagogique », créé dans l’urgence pour accompagner numériquement les enseignants. Le Framablog publiera leur première communication publique28 et nous leur apporterons avis et conseils. Ce collectif informel, créé spontanément lors de la pandémie, donnera naissance à l’association « Faire École Ensemble »29 qui facilite le soutien citoyen à la communauté éducative pendant l’épidémie de COVID-19.

En parallèle, Framasoft et d’autres membres du collectif CHATONS mettront en place un site web dédié30 permettant de choisir parmi plusieurs services web, indépendamment de l’hébergeur dudit service. Cela nous permettra de répartir la forte charge subie par Framasoft sur les épaules de nombreux « chatons », engagés eux aussi dans une démarche éthique de solidarité et de respect des données personnelles.

 

Site https://entraide.chatons.org.

L’À venir

« Et maintenant ? ». Eh bien maintenant, il serait sans doute bon de se poser la question des enjeux du numérique à l’école.

Pour l’instant, côté ministère, ces enjeux sont les mêmes marronniers depuis des années : il y a le sacro-saint enjeu des usages (qui utilise quels outils et comment ?), celui du rapport à l’écran (l’écran c’est bien mais pas trop), et celui des apports pédagogiques (est-ce que l’élève progresse plus ou moins vite avec telle ou telle application, ou sans ?). Misère ! Comment être plus à côté de la plaque ?

Les débats autour du numérique à l’école relèvent avant tout de la place de l’école dans la société.

Framasoft n’a rien à vendre. Et ne cherche même plus à convaincre les institutions. Même si une proportion non négligeable des membres de l’association sont enseignants, nous ne nous prétendons pas experts en pédagogie. Cependant, cela ne nous empêche pas d’être une force d’interpellation, notamment sur les sujets du numérique. Cela, plutôt que de réitérer une liste de propositions comme nous l’avions déjà fait avec d’autres associations il y a plus de dix ans31, m’amène plutôt à poser quelques questions.

Plutôt que le rapport à l’écran, ne devrait-on pas interroger le rapport à la distance ?

Comment réinventer les liens entre enseignants et élèves, profs et enseignants, mais aussi entre élèves ? La posture de l’enseignant en ligne ne peut pas être la même qu’en classe « physique ». En ligne, les enfants ne sont pas un public captif, cela a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. La place des parents, bien plus présents dans cette école hors des murs, bouscule aussi les habitudes des uns et des autres. Les notions de groupes, mais aussi de présence ou d’absence vont ainsi devoir être ré-interrogées.

Un risque que l’on peut déjà identifier est de vouloir inclure dans les outils numériques des dispositifs de surveillance bien trop poussés. Comme tout mécanisme de contrôle, ces traqueurs seront au départ proposés comme facilitant la vie de l’enseignant ou de l’élève (« Camille Dupuis-Morizeau ne s’est pas connectée depuis 4 jours, voulez-vous lui envoyer un rappel automatique ? »), ou des outils de remédiation (par exemple lorsque qu’un élève commet une erreur lors de la réalisation d’un exercice en ligne, et que l’application lui propose des pistes pour corriger son erreur et aboutir à la « bonne » solution). Mais, malgré tous les avantages qu’on peut y voir, c’est probablement ouvrir une boite de Pandore. En effet, une fois mis en place, non seulement le retour en arrière sera très compliqué, mais les risques de surenchère seront inévitables, à coup de prétendue « intelligence artificielle » ou d’algorithmes étudiant de façon détaillée les comportements des utilisateurs de ces plateformes afin de conseiller en permanence des corrections pédagogiques, mais aussi comportementales.

Comme le démontre Christophe Masutti dans son ouvrage Affaires Privées : Aux sources du capitalisme de surveillance32, la surveillance est un corrélat social. Là où cela peut poser problème, c’est lorsqu’on finit par ne plus penser nos relations sociales autrement que par l’automatisation et la technicisation de la surveillance.

« Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance, par Christophe Masutti», paru chez C&F éditions. Plus d’informations ici : https://cfeditions.com/masutti/

Qui définira les limites éthiques du périmètre souhaitable de ces mesures ? En amont – c’est-à-dire avant que ces technologies de surveillance ne soient intégrées dans les plateformes éducatives – et non pas en aval. Car aujourd’hui, l’un des principaux arguments des EdTech33 est bien de faciliter le travail de l’enseignant en automatisant cette surveillance. Certes cela donne de beaux graphiques, de jolies courbes, des niveaux d’alerte ou d’attention pour tel ou tel élève. Sauf que rares sont les pédagogues qui comprennent comment fonctionnent ces algorithmes, ou par qui et comment ils sont écrits, ni quels sont les bénéfices que l’entreprise qui les a réalisés escompte. S’ils le savaient, je doute qu’ils regarderaient ces applications avec autant d’appétence.

Cela m’amène à une seconde question.

Le numérique étant, qu’on le veuille ou non, omniprésent : quelle place veut-on donner à l’éducation aux médias et à la littératie numérique ?

La littératie numérique peut se définir comme « la capacité d’un individu à participer à une société qui utilise les technologies de communications numériques dans tous ses domaines d’activité » (Wikipédia34). Cela inclut de nombreuses composantes : la littératie informatique (notamment le rapport à l’ordinateur, qu’il soit de bureau ou de poche), la littératie technologique (posant plutôt le rapport aux enjeux entre technologies et individus ou sociétés), la littératie informationnelle (notamment notre capacité à avoir une analyse critique de la masse d’informations reçue chaque jour, ainsi que notre capacité à chercher – et trouver – l’information pertinente), la littératie communicationnelle (notre capacité à écrire et publier pour un public), etc.

Or, s’il y a bien une chose qu’a pu démontrer la crise de la COVID-19, c’est bien que cette littératie était loin d’être un acquis. Non seulement pour les élèves, qu’on présentait souvent comme des digital natives alors qu’il n’en était rien, mais aussi – et surtout – pour les enseignants.

Alors certes, nous avons bien compris que l’Éducation nationale était en mutation, suite à la pandémie. Notamment Canopée dont le métier historique d’éditeur devient de plus en plus celui de formateur. Mais dans l’ensemble, nous voyons surtout des éléments qui nous donnent à penser que ces formations se feront encore principalement sur des « outils », y compris les outils Framasoft, d’ailleurs. Or, c’est voir le problème par le mauvais bout de la lorgnette. Pour reprendre la métaphore du proverbe bien connu, cela revient certes à donner un poisson aux enseignants formés à tel ou tel outil, et après tout pourquoi pas. Mais ça n’est sûrement pas leur apprendre à pêcher. Tant que les formations au numérique se focaliseront davantage sur les outils, les pratiques, les usages, que sur l’éducation aux technologies en général, et aux médias en particulier, les capacités de littératie numérique stagneront.

Or, il ne s’agit pas d’un impensé au niveau du ministère – du moins je ne le pense pas – mais bien d’une volonté politique. Former aux outils permet de garder le contrôle du public (entre autres parce que ces outils n’ont de cesse d’évoluer, rendant le public dépendant aux formations elles-mêmes). Partager et diffuser ces savoirs auprès des enseignants les rendraient beaucoup, beaucoup, plus autonomes dans leurs pratiques, ce qui poserait de nombreux problèmes non seulement aux lobbyistes des GAFAM, mais aussi à l’institution qui devrait lâcher prise sur la question de la ligne de conduite à tenir sur les enjeux et l’apport des technologies dans notre société.

Cela m’amène à une troisième question.

Quelle est la position du monde enseignant sur la question de la technologie ?

Les outils sont-ils neutres, comme le disait le Gorgias de Platon ? Ou, au contraire, comme Socrate (et Framasoft) reconnaît-on que les technologies générant par nature pouvoir et aliénation, il convient de penser leur place à l’école ? D’autant plus quand elles deviennent aujourd’hui une soi-disant « compétence à acquérir ».

La réponse à cette question n’est pas sans conséquence. Si les enseignants pensent que les outils sont neutres, alors au final seul compte le fait d’acquérir tel savoir, telle compétence ou telle maîtrise de cet outil. Il reste bien sûr une marge de manœuvre pédagogique, et heureusement, mais la réflexion est limitée : j’utilise l’outil parce qu’il me permet d’améliorer la situation dans laquelle je n’ai pas l’outil. Si par contre, le monde éducatif reconnaît le caractère ambivalent des outils (toute technologie est un pharmakon35, c’est-à-dire à la fois remède, poison et bouc-émissaire, disait le philosophe Bernard Stiegler, décédé cet été), alors on ne peut pas uniquement travailler l’aspect positif/remède de ces derniers. Il faut impérativement se poser la question de leurs effets négatifs/poisons, ainsi que la dimension exutoire qu’ils portent en eux.

Or, force est de constater que si ces aspects, qui ne relèvent pas de la vision d’un « solutionnisme technologique », sont parfois abordés dans le débat public – le plus souvent portés par la société civile – cela est rarement le cas au cours de la formation des enseignants, et encore moins face aux élèves. À l’exception des réseaux sociaux, présentés avant tout comme un lieu de désinformation ou de danger (ce qui peut effectivement être le cas), les logiciels, applications, ou technologies numériques ne sont souvent présentées que comme un moyen d’étendre un champ d’action individuel ou collectif, mais rarement comme un instrument à double tranchant.

Pourtant, même rapidement formés à cette question, je pense que les enseignants parviendraient rapidement à identifier les valeurs du logiciel libre – « liberté, égalité, fraternité » – et à les mettre en regard de celles des logiciels dits privateurs : aliénation, discrimination, marchandisation.

J’en viens donc à une quatrième question.

L’école doit-elle rester un espace sanctuarisé vis-à-vis de la marchandisation ?

Si oui, comment accepter et justifier l’emprise de certaines entreprises du numérique dont les logos se retrouvent sur chaque machine, et dont la manipulation des produits (les fameux « usages et pratiques ») sont ni plus ni moins qu’enseignés et imposés à des millions d’élèves chaque année ?

Cela n’est d’ailleurs pas sans poser la question des inégalités face au numérique. Pendant le confinement, seules les personnes (profs, élèves ou parents) qui disposaient à la fois d’une connexion internet, de matériels adéquats, des savoirs nécessaires, et de conditions adaptées (par exemple une chambre ou un bureau au calme) ont réellement pu expérimenter ce qu’était « l’école confinée ».

Cela me conduit à une dernière question, récurrente et qui peut sonner triviale, mais qui demeure la plus importante à mon sens :

L’école doit-elle accompagner les élèves à faire société ? Ou doit-elle exclusivement les préparer à un emploi ?

Le rôle de l’école semble bien d’être, au moins sur le papier, de former des citoyens éclairés, critiques et créatifs36.

Cependant, comme l’indique Nico Hirtt dans son ouvrage L’école prostituée : L’offensive des entreprises sur l’enseignement37, le numérique à l’école peut alors servir de cheval de Troie afin de faciliter l’introduction de concepts néo-libéraux tels que « l’employabilité ».

Vouloir familiariser les élèves aux nouveaux supports numériques, favoriser l’éducation à distance sont des objectifs tout à fait légitimes, ce sont les conditions dans lesquelles ces transformations s’effectuent qui sont contestables. En s’alliant avec le privé, l’État permet aux industriels de contribuer aux décisions dans le domaine des programmes interactifs (introduire des marques…), d’intervenir dans la gestion des écoles (promouvoir la sélection), de favoriser des enseignements discriminatifs (reconnaissance de diplômes en ligne payants, services éducatifs payants, etc.). L’État, en réduisant ses impératifs éducatifs aux impératifs du marché du travail et notamment technologique, risque ainsi de provoquer une dévalorisation de la connaissance et l’ exacerbation d’une école à deux vitesses. 38

Il semblerait bien qu’on ne puisse avoir ni de société libérée, ni d’école délivrée, sans logiciel libre.

Je demeure en tout cas persuadé que ce n’est qu’en répondant à des questions de ce type, et surtout en affirmant publiquement et collectivement la place de l’école dans la société, que nous pourrons apprendre à articuler l’école et le numérique, et que l’institution pourra se dépêtrer d’une vision « solutionniste » ne servant que des intérêts privés et non l’intérêt général.

 

 

Pierre-Yves Gosset, co-directeur et délégué général de l’association Framasoft (texte sous licence Creative Commons BY39)

Image d’illustration : école Arménienne équipée d’ordinateurs du projet (libre) One Laptop Per Child

 

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1 – Il est à noter que la partie « TICE et Français » de Framanet donnera pour sa part naissance au site weblettres.net, actuellement l’un des principaux portails de l’enseignement des lettres en France.

2 – Le SCÉRÉN (Services Culture, Éditions, Ressources pour l’Éducation Nationale) est le réseau national composé du Centre national de documentation pédagogique (CNDP), des 31 Centres régionaux de documentation pédagogique et de leurs centres départementaux et locaux. Son pôle « logiciels libres », coordonné par Jean-Pierre Archambault, fut créé en 2002. Il disparaîtra autour de 2014, lorsque le SCÉRÉN se « modernisera » et deviendra le réseau Canopée.

3https://abuledu-fr.org

4https://www.sesamath.net/

5http://scideralle.org/

6https://www.ryxeo.com/les-tablettes-tabuledu/

7https://april.org

8https://aful.org

9 – Le « Microsoft Innovative Teacher Awards de 2008 » par exemple a eu lieu à Bangkok

https://web.archive.org/web/20121203043808/http://www.schoolnet.org.za/itf/2008_ITA_Flier.pdf.

Officiellement, 5 enseignants français étaient invités. (voir : https://framablog.org/2008/02/19/forum-des-enseignants-innovants-suite-et-fin/). Ce genre d’événements est organisé régulièrement depuis des décennies par Microsoft, qui se construit ainsi un réseau de soutiens. Même si rien n’est contractualisé, les participants à de telles rencontres sont « en dette » auprès de l’entreprise qui les a invitée. C’est la logique profonde du « don et contre-don » qui cimente les partenariats.

10 – https://framablog.org/2008/02/18/forum-enseignants-innovants-microsoft-partenaire/.

11https://framablog.org/2014/09/30/microsoft-education-logiciel-libre-video/.

12https://news.microsoft.com/fr-fr/2015/11/30/numerique-a-l-ecole-microsoft-france-renforce-son-partenariat-avec-le-ministere-de-l-education-nationale/.

13https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_pour_une_R%C3%A9publique_num%C3%A9rique.

14 – http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/04/05042018Article636585093683659445.aspx.

15 – https://framablog.org/2016/11/25/pourquoi-framasoft-nira-plus-prendre-le-the-au-ministere-de-leducation-nationale/#fn4.

16 – https://degooglisons-internet.org.

17 – https://chatons.org.

18 – https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-la-fermeture-totale-de-toutes-les-ecoles-jamais-envisagee-assure-le-ministre-de-l-education_3862803.html.

19 – https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-13-mars-2020.

20 – https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/coronavirus-l-education-nationale-a-perdu-le-contact-avec-5-a-8-des-eleves-dit-blanquer-7800338180.

21 – Dans le « ¨lan de continuité pédagogique », on peut lire : « Parmi les actions possibles : […] Travail collaboratif en ligne : par exemple, solutions libres de type https://framasoft.org/ ou

cloud (ex : OneDrive ou Google Drive) qui permettent de travailler en groupe à distance pour une création d’un texte/dissertation/présentation collaborative. ». (http://people.irisa.fr/Martin.Quinson/Fiches-PlanContinuite%CC%81Pe%CC%81dagogique.pdf). Une assertion devenue quelques semaines plus tard suite aux protestations de Framasoft : « Du côté des logiciels libres l’association Framasoft propose de nombreux services dont la plupart sont malheureusement victimes de leurs succès mais propose presque toujours des liens vers des solutions alternatives portées par des hébergeurs éthiques comme l’association Chatons (https://chatons.org/). » (https://services.dgesip.fr/fichiers/PlanContinuitePedagogiqueDGESIP_19052020.pdf)

22 – https://framasoft.frama.io/teletravail/.

23 – https://framablog.org/tag/log/.

24 – Dans le thread Twitter du 21 mars 2020, j’expliquais : « Le truc, c’est qu’avec le coronavirus, on est passé du jour au lendemain de 100 paniers/j à 140. Ca pique déjà, pour nous. Mais on a vu les profs se retourner vers nous en disant « Vous pouvez nous fournir 1800 paniers /j ? ». La réponse est « non ». A titre perso, je paie des impôts pour que le MEN fournisse des pratiques, des lieux, du matériel ET des services aux enseignants et aux élèves. A part envoyer mes collègues au burnout, ça n’a aucun sens d’accueillir les enseignant⋅es en ce moment. On ne pourra pas fournir. » https://twitter.com/pyg/status/1241410351436005377.

25 – https://apps.education.fr.

26 – Pour mettre à jour ce calcul, aller sur https://instances.joinpeertube.org/instances et dans le champ de recherche, filtrer avec les mots clés « education » ou « ac- ».

27 – https://politiquesdescommuns.cc/outils/partenariat-public-communs.

28 – https://framablog.org/2020/03/18/une-mobilisation-citoyenne-pour-la-continuite-pedagogique/.

29 – https://faire-ecole.org/.

30 – https://entraide.chatons.org.

31 – http://scideralle.org/spip.php?page=article&id_article=597.

32 – https://cfeditions.com/masutti/.

33 – https://fr.wikipedia.org/wiki/Technologies_de_l’%C3%A9ducation. Il est intéressant de noter qu’en France, la « EdTech » représente clairement le secteur marchand des technologies de l’éducation, notamment les start-up de ce domaine, alors que dans d’autres pays les EdTech regroupent plutôt un champ disciplinaire visant à rapprocher apprenants, enseignants, et nouvelles technologies. Ce champ est, en France, identifié sous l’acronyme « TICE » (Technologies de l’Information et de la Communication appliquées à l’Éducation).

34 – https://fr.wikipedia.org/wiki/Littératie_numérique.

35 – http://arsindustrialis.org/pharmakon.

36 – Lire notamment les précoccupations des signataires de « L’appel de la société civile francophone contre la marchandisation de l’école » : http://nevendezpasleducation.org/.

37 – https://www.laicite.be/publication/lecole-prostituee/.

38 – Zetlaoui Tiphaine. « L’école prostituée de Nico Hirtt », In: Quaderni, n°48, Automne 2002. Le risque : les choix technopolitiques.p. 127-130.

39 – https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.fr.




Appel à participer aux États généraux du numérique libre et des communs pédagogiques

Lors de l’annonce du confinement, Framasoft se faisait le relai d’un collectif citoyen dont l’objectif était d’accompagner et soutenir les enseignant⋅es dans leur pratiques numériques. Ce collectif, quelques mois plus tard, donnait naissance à l’association collégiale Faire École Ensemble (FÉE). Aujourd’hui, bien que la position de Framasoft vis-à-vis du Ministère de l’Éducation Nationale soit sensiblement la même qu’en 2016, nous relayons leur appel dans les colonnes du Framablog afin que les publics intéressés par la démarche d’« États Généraux du Numérique libre et des communs pédagogiques » puissent y participer.


Appel à participation
État généraux du numérique libre dans l’éducation
— Auteur : Faire École Ensemble (FÉE)

 

Des États généraux du numérique libre et des communs pédagogiques sont proposés par Internet le 3 novembre 2020 sur l’impulsion initiale de l’association collégiale Faire École Ensemble (FÉE) qui facilite les collaborations entre les citoyens et la communauté éducative.

Ces rencontres sont une contribution originale aux États Généraux du Numérique organisée par le Ministère de l’Éducation Nationale et s’adressent à un public large et diversifié : enseignants, parents, libristes, designers, acteurs de l’éducation populaire, médiateurs numériques, bricoleurs, agents des collectivités, élus, syndicalistes, amateurs et curieux…

S’inscrire

Le confinement et la fermeture brutale des établissements scolaires ont conduit à une situation sans précédent d’enseignement « à distance » généralisé. Face à l’urgence de la situation, de nombreux enseignants, parents et acteurs associatifs ont fait preuve d’une créativité renouvelée et ont repensé leur manière d’agir avec le numérique. Quotidiennement nombre d’entre-eux se tournaient – par nécessité – vers les GAFAM et autres plateformes internationales, que ce soit pour trouver une vidéo (YouTube), pour concevoir des exercices (Google Edu), pour partager des références (Padlet), pour faire une visioconférence (Zoom) ou pour écrire un document à plusieurs mains (Google Docs).

Le manque de débat sur la place prise par les GAFAM dans l’éducation pendant cette crise ne doit pas restreindre celui sur les solutions alternatives et les autres modèles de collaboration et d’apprentissage tournés vers la culture du libre et la pratique des communs. En effet, des milliers d’enseignants, de parents et d’acteurs associatifs se sont tournés vers la production et l’utilisation de ressources libres (contenus, logiciels, données) pour coopérer, mutualiser des connaissances, élaborer des scénarios d’apprentissage et s’organiser tout au long de la crise provoquée par le confinement. Si ces pratiques ont fait preuve de leur efficience, elles méritent d’être connues et partagées au plus grand nombre.

Afin que la mise en débat public ait lieu, Faire École Ensemble propose de se réunir par Internet le 3 novembre, pour les États généraux du numérique libre et des communs pédagogiques. Cette initiative, s’inscrit comme une forme originale de contribution aux États généraux du numérique éducatif organisés par le Ministère de l’Éducation Nationale, les 4 et 5 novembre à Poitiers.

Les EGN libre et des communs pédagogiques proposeront des temps d’inspiration, d’écoute des besoins, de mise en discussion (enjeux et propositions) et de mise en pratique. Ils participeront par cela à révéler l’existant, à faciliter le lien entre communautés qui agissent pour la production, l’usage ou la pérennisation de ressources libres et de communs pédagogiques. La programmation se destine à être entièrement co-construite avec les différents participants d’ici le 20 octobre.

Appel à participation

Enseignants, parents, développeurs, designers, acteurs de l’éducation, populaire et du numérique, communautés organisées, bricoleurs, agents des collectivités, élus, syndicats, etc. il nous est donné une occasion de se rencontrer, de révéler des pratiques et de promouvoir la culture du libre et des communs dans l’éducation. Nous vous invitons  à vous joindre aux #EGN_Libre pour témoigner de votre expérience, vous informer et échanger 🙂

Comment participer ?

  • S’inscrireici
  • Alimenter la programmation et proposer un événement : ici
  • Partager votre expérience et témoigner de votre pratique du libre et des commun dans l’éducation sous la forme de récit audio : suivre ce lien
  • Soutenir les propositions déposées sur la plateforme officielle des EGN  et regroupées ici et relayées quotidiennement sur ce compte twitter et ce compte mastodon
  • Pour toute suggestion : logiciel.libre@faire-ecole.org



Annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre

En octobre 2019, nous avons publié un article signalant notre besoin d’identifier les acteurs et actrices de l’accompagnement au libre dans lequel nous proposions à toutes celles et ceux qui exercent une activité de médiation numérique (bénévole et/ou professionnelle) autour des logiciels libres de répondre à un questionnaire en ligne.

L’objectif : recenser les personnes, structures et organisations réalisant des accompagnements au numérique libre et publier leurs coordonnées dans un annuaire pour celles qui le désirent. Nous souhaitions d’une part pouvoir estimer la taille de l’écosystème dans lequel nous nous inscrivons, d’autre part pouvoir réorienter les demandes que nous recevons vers d’autres acteur·ices, plus disponibles, plus localisé·es ou plus spécialisé·es que nous.

Une publication retardée pour cause de pandémie mondiale

Nous avons confié ce travail à La dérivation, un collectif d’éducation populaire composé de Mélissa et Lunar, deux camarades de longue date de Framasoft. Nous avons reçu 402 réponses à ce questionnaire. Et après avoir supprimé les réponses vides, les doublons et celles hors du périmètre de l’enquête, nous avons retenu 371 réponses, dont 293 ont choisi de figurer dans l’annuaire.

Nous avions prévu de publier cet annuaire au printemps, mais la diffusion d’un tel recensement au beau milieu d’une pandémie et d’un confinement général ne nous a pas semblé pertinente. Merci pour votre patience concernant ce délai entre l’enquête et la publication des résultats. La « photo » prise par ces documents est de fait déjà un peu datée au moment de sa sortie. Nous espérons cependant qu’elle permettra à celles et ceux qui recherchent un accompagnement dans ce domaine de trouver des contacts adéquats vers lesquels se tourner.

Nous avons fait le choix de ne pas faire figurer dans cet annuaire les structures proposant des accompagnements dédiés à un logiciel ou à une solution technique précise. Notre raisonnement étant que les personnes cherchant un accompagnement sur un outil bien spécifique seront mieux renseignées par une requête type « formations Dolibarr » dans un moteur de recherche.

L’annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre

L’annuaire des accompagnements présente plusieurs moyens de découvrir les données récoltées par ce questionnaire. L’annuaire alphabétique diffuse les informations de chaque répondant⋅e et plusieurs index (type de public, domaine d’intervention, format d’intervention, zone géographique) permettent d’y référer. Diffusé au format .pdf, cet annuaire est à considérer comme un instantané : les informations qui y sont indiquées ne sont peut-être plus à jour et méritent donc d’être vérifiées.

Framasoft menant de front de nombreux projets, nous ne nous lancerons pas dans la mise à jour régulière des données qui composent cet annuaire. Mais en publiant les données brutes, nous permettons à la communauté d’en prendre connaissance pour proposer des modalités de recherche différentes et/ou la création de nouvelles interfaces y donnant accès, et potentiellement permettant de les mettre à jour.

Ces données brutes sont disponibles sous 2 formats. Le fichier Accompagner_au_numérique_donnees_brutes.csv contient les données brutes (séparateur : points virgules ; séparateur de chaînes de caractères : guillemets doubles). Le fichier Accompagner_au_numérique_donnees_brutes.ods est un fichier LibreOffice Calc reprenant ces mêmes données brutes, accompagnées d’un onglet « Glossaire », qui détaille les différentes réponses des questions à choix multiples (séparées par des virgules). Nous avons rédigé un document annexe à destination des personnes souhaitant exploiter les données brutes du questionnaire dans lequel nous avons précisé quelques aspects concernant leur utilisation.

La synthèse des réponses à l’enquête

Les résultats de l’enquête sont présentés dans une synthèse explicative des réponses. Ce sont les grandes tendances que nous avons saisies concernant le statut des intervenant·es, les publics touchés, ainsi que les domaines, formats et zones géographiques des interventions.

Les personnes ayant répondu à ce questionnaire sont pour  39% des bénévoles, pour 33% des professionnels et 27% pratiquent les deux formes d’intervention. Les accompagnements recensés s’adressent plutôt aux néophytes et aux utilisateur·ices quotidien·nes. Les domaines d’intervention les plus souvent cités font écho aux axes principaux d’actions de Framasoft : les alternatives aux GAFAM, les logiciels libres sur ordinateur personnel (plutôt que sur plateformes mobiles) et les outils collaboratifs. Les ateliers pratiques et les accompagnements personnalisés sont les formats d’intervention les plus recensés. Et nous savons désormais que 39% des répondant⋅es ont indiqué proposer des accompagnements en ligne, ce qui, dans le contexte actuel, est une information très utile.

Framasoft tient à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à cette enquête. Nous vous incitons vivement à faire connaître ce document en le partageant au sein de vos communautés. Et nous serions ravi⋅es que d’autres s’emparent à leur tour de cette question et envisagent, en utilisant les données brutes, de proposer des interfaces qui permettraient de mettre à jour facilement cet outil qui répond à une demande forte.




Quelques conseils pour télé-enseigner

Euh oui, ça va casser l’ambiance : une rentrée scolaire et universitaire un peu compliquée se profile et pour beaucoup d’enseignant⋅e⋅s qui ont appris au printemps avec plus ou moins de facilité et de bonheur à animer des cours à distance, il va peut-être falloir y revenir de temps en temps, ici ou là…

Le document ci-dessous est fourni par l’université du Cap (consulter la source en anglais) et nous l’avons traduit pour vous. Il s’agit ici d’un partage de conseils et d’astuces, entre professionnel·les de l’enseignement, qui n’a pas de prétention à l’exhaustivité ni à la recette magique.

Qui verrait dans ce texte autant d’exigences à faire peser sur les épaules du personnel enseignant n’aurait, au final, rien compris à son esprit. L’usage d’outils numériques dans l’enseignement à distance est une pratique délicate qui demande un temps de formation et d’adaptation progressive. Pas d’injonctions péremptoires ici, mais bien un ensemble de recommandations à partager entre collègues que chacun⋅e pourra librement s’approprier ou non.

Il y a d’ailleurs une recommandation qui n’apparaît pas plus bas et qu’on aimerait bien ajouter : utiliser à chaque fois que c’est possible des outils numériques libres et pas des trucs blindés de traqueurs qui vont siphonner les données personnelles de vos élèves et les vôtres d’ailleurs…

Les commentaires, comme toujours sur ce blog, sont ouverts et modérés

Logo de l’Université de Cape Town

  1. Rester simple et utiliser des technologies de bas niveau.
    Utilisez des outils qui vous sont familiers, à vous et à vos élèves, avec un apport limité de nouveaux outils pour interagir en ligne. Soyez attentifs aux inégalités d’accès et de connectivité.
  2. L’accessibilité est essentielle, et non facultative.
    Créez des formats multiples pour vos supports d’enseignement. Pour les vidéos, assurez-vous de disposer de sous-titres et de transcriptions. Vérifiez très en amont auprès de vos élèves que vous répondez à leurs besoins en matière d’accessibilité.
  3. Fournir une structure en utilisant une plateforme d’apprentissage. Pour passer à l’enseignement à distance, utilisez la plateforme connue des élèves pour créer un parcours d’apprentissage structuré. Organisez le contenu pédagogique par semaine ou par module.
  4. Utiliser ce qui est disponible.
    Vous ne disposez pas de beaucoup de temps de préparation. Quelles ressources des années précédentes pouvez-vous réutiliser ? Quelles sont les ressources externes disponibles ? Vous n’avez pas besoin de produire une vidéo de haute technologie pour un apprentissage de qualité.
  5. Continuer à enseigner de manière active.
    L’interaction en face à face sera minimale pendant une période indéterminée. Utilisez autant que possible le forum de discussion et le chat pour briser la glace et donner un sentiment de proximité.
  6. Échafauder un apprentissage par la fragmentation du contenu.
    Divisez votre cours en petits segments, organisés en fonction du temps d’activité que vous attendez de vos étudiants par semaine. Soyez explicite sur les dates d’achèvement et le temps nécessaire pour chaque activité.
  7. Indiquer un plan de cours clair.
    Ayez un plan de cours dans un endroit dédié sur votre site de cours qui détaille la structure du cours, les changements, les nouveaux délais et les évaluations et tenez-le à jour. Informez les élèves de toute modification.
  8. Être visible en ligne et rapidement joignable.
    Assurez régulièrement des « créneaux de présence » en ligne, en utilisant les forums et le chat pour répondre aux questions. Les collègues peuvent vous aider : il est important d’être disponible et de répondre rapidement.
  9. Aider les élèves à rester sur la bonne voie.
    Mettez en place de petites activités d’apprentissage obligatoires, telles que de courts quiz hebdomadaires ou des forums de discussion, pour encourager l’investissement régulier des élèves et identifier ceux qui ont des difficultés.
  10. Être indulgent⋅e avec soi-même et rester en empathie avec ses élèves. C’est une période difficile pour tout le monde. Encouragez un environnement d’attention aux autres et de soutien. Faites preuve de souplesse : des exceptions peuvent être nécessaires en fonction des exigences du cours.

​Faire plutôt ceci… mais pas cela.

Utiliser des technologies légères
Utilisez des technologies sobres, telles que du texte ou des diapos. Si vous utilisez des vidéos, prévoyez toujours des alternatives, sous-titres ou transcriptions.
Utiliser des technologies high-tech. Ne supposez pas que tous les étudiants ont un bon accès à Internet avec des données illimitées et le wifi en permanence.
Communiquer fréquemment et de façon cohérente. Toutes les instructions et tous les travaux à effectuer doivent passer d’abord par la même plateforme. L’usage d’autres canaux peut venir en complément pour que les messages soient redondants. Communiquer de façon dispersée. Utiliser plusieurs plateformes et divers canaux de façon irrégulière peut avoir pour conséquence la perte d’informations importantes pour les élèves.
Être inclusif/inclusive
Soyez bien conscient⋅e des différents environnements d’apprentissage dans lesquels peuvent se trouver les élèves, efforcez-vous d’être souple. Fournissez divers formats aux élèves. Utilisez du texte, des diapos, des transcriptions, des légendes et des fichiers audios en complément de vidéos éventuelles.
Se limiter à un seul format
Ne pas prévoir beaucoup de contextes d’apprentissage (technologies disponibles, environnement d’apprentissage, ressources, aides disponibles ou non…) et n’adopter qu’un seul format ne fera que limiter le nombre de participants.
Enseigner de façon asynchrone
Créez une expérience d’apprentissage pour les élèves qui leur permette de dépasser les obstacles (tels que le manque d’énergie électrique, de connectivité, ou le contexte social). Réalisez des activités asynchrones (p. ex : le courriel permet la communication asynchrone, mais pas le chat).
Enseigner de façon synchrone
Réaliser des interactions en ligne avec des webinaires ou des tutoriels « live » exclura certains élèves. Assurez-vous que vous proposez des moyens alternatifs.
Moins c’est mieux. Les travaux « à la maison » risquent de prendre deux fois plus de temps qu’en classe. Définissez vos priorités de façon réaliste. Avoir des demandes irréalistes. Demander un travail quotidien à terminer chaque jour aux élèves en un délai limité ne prend pas en compte les circonstances particulières dans lesquelles on enseigne à distance.
Bien organiser les ressources
Utilisez des cours structurés sur la plateforme pour lancer vos activités. Intitulez et classez clairement vos cours de façon organisée.
Laisser les élèves chercher
Demander aux élèves de chercher les ressources et supports de cours dont ils ont besoin les éloigne des activités pédagogiques essentielles.
Donner des instructions claires
Mettez bien en évidence les consignes détaillées sur ce qu’il faut faire, le délai de rendu des travaux, et précisez le temps de réalisation estimé des tâches demandées.
Donner des instructions confuses
Communiquer en longs pavés de texte avec des consignes difficiles à suivre et des tâches vagues fait perdre du temps d’apprentissage aux élèves et les démotive.
Fixer des créneaux de disponibilité en ligne
Donnez aux élèves des créneaux réguliers de rendez-vous distants où vous êtes disponibles pour les aider, répondre aux questions, clarifier une consigne, etc.
Rester disponible 24h/24
Il n’est pas question de vous rendre joignable 24/7 sans temps de pause pour vous-même hors-connexion (sauf en cas d’urgence, ça peut attendre les créneaux de votre emploi du temps que vous déterminez)
Demander des retours aux élèves
Parlez avec eux de leur charge de travail, de leur état émotionnel, de leurs matières préférées, de leur rythme de travail…
Faire un cours magistral
Enseigner de façon à ne pas laisser la parole aux élèves ni leur donner le choix peut leur donner le sentiment qu’ils sont dépassés, « perdus » ou qu’on les oublie….
Utiliser un nombre limité de nouveaux outils
Utiliser des outils familiers aux élèves et limitez le nombre de nouveaux outils pédagogiques pour l’enseignement à distance.
Essayer de multiples nouveaux outils
Essayer de nouveaux outils que vous n’aviez jamais utilisés peut occasionner quelques problèmes techniques pour vous comme pour vos élèves.
Diviser le contenu en segments digestes
Fournir du matériel pédagogique en fragments plus courts avec des objectifs d’apprentissage et des résultats d’évaluation clairs.
Donner de longs cours complets sans orientation nette.
N’imposez pas de longs articles de journaux ou des vidéos sans indication claire sur les objectifs pédagogiques et leur bénéfice.
Conserver en un seul lieu le plan détaillé du cours
Donnez en un seul endroit aux élèves un planning contenant les dates des devoirs à remettre. Avertissez-les qu’il peut y avoir des changements et indiquez comment ils seront informés.
Envoyer des mises à jour par messages successifs
Assurez-vous que les étudiants peuvent facilement trouver les informations clés sur votre cours en un seul endroit. Cela réduit l’anxiété.

 

prof au premier plan qui envoie une grosse vdéo HD sur la biologie moléculaire et donne un boulot à faire. Au deuxième plan un élève endormidevant son écran qui porteste car il télécharge à 51 octets/seconde, et un autre à l’état de squelette qui dit qu’il aura la fibre en 2023
Image réalisée avec https://framalab.org/gknd-creator/#




La dégooglisation de WebAssoc

Il y a quelques mois, avant que la covid19 vienne chambouler notre quotidien, Angie faisait le constat que nous n’avions finalement que très peu documenté sur ce blog les démarches de passage à des outils libres réalisées au sein des organisations. Celles-ci sont pourtant nombreuses à s’être questionnées et à avoir entamé leur « degooglisation ». Il nous a semblé pertinent de les interviewer pour comprendre pourquoi et comment elles se sont lancées dans cette aventure. Ce retour d’expérience est, pour Framasoft, l’occasion de prouver que c’est possible, tout en ne niant pas les difficultés et les freins rencontrés, les écueils à ne pas reproduire, etc. Peut-être arriveront-elles ainsi à vous convaincre de passer au libre au sein de votre structure et à la libérer des outils des géants du web.

N’hésitez pas à consulter les autres articles de cette série consacrée à l’autonomisation numérique des organisations.

Logo de WebAssoc

WebAssoc est une pépite du monde associatif, qui déploie une énergie incroyable pour aider les autres associations à utiliser les outils numériques. Cela fait 2 ans que cette structure a engagé une réflexion sur l’adoption d’outils libres. Nous avons demandé à l’un de ses membres de nous parler de la dégooglisation de cette dynamique association.

Bonjour, peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?

Bonjour Framasoft. Je suis Jean-Luc, geek de longue date (j’ai débuté sur un ZX81) sans que ce soit mon taf (je bosse dans le tuyau). Je suis arrivé à WebAssoc il y deux ans. Comme je suis branché sur le Libre depuis longtemps, Raphaëlle, notre présidente, m’a demandé de développer son usage dans l’association.

Tu nous parles de ton association ?

Chez WebAssoc, nous sommes plus de 1600 bénévoles et nous avons fait, en 2019, plus de 1 300 actions auprès des associations qui nous sollicitent. Nous mettons en relation des associations humanitaires, d’environnement ou de solidarité avec des bénévoles du numérique qui les forment ou apportent des renforts personnalisés.

Combien de salariées avez-vous ?

Aucun salarié, nous n’avons même pas de compte en banque ! Sur les 1600 qui interviennent ponctuellement, 40 font tourner la machine (recevoir les demandes, les analyser, les proposer, organiser les formations, alimenter les réseaux sociaux, notre site…) et nous sommes 5 dans le bureau.Jean-Luc Mahé

Où se trouvent vos membres ?

Un peu partout, même si nous sommes concentrés sur Paris et les métropoles puisque issus du monde numérique.

En termes d’organisation, y a-t-il une seule entité ? Plusieurs groupes de travail distincts ?

Nous fonctionnons par bulles dans lesquelles nous pouvons avoir plusieurs équipes de 4-5 personnes, C’est très informel et cela nous correspond. Par exemple, je suis en charge de la bulle « tech » qui comporte les équipes « front », « back », « crm » et « cloud », nous assurons toute la partie infrastructure et logiciels.

Tu dirais que les membres de l’association sont plutôt à l’aise avec le numérique ?

Oui, tout le monde est à l’aise. En revanche, nous n’avons pas tous un profil technique, bien au contraire.

Quelles sont les valeurs portées par l’association ?

La joie de donner son savoir et son temps sans se prendre la tête. Avec l’idée que lorsque nous n’apporterons plus rien, nous passerons à autre chose. Mais les événements récents ont montré qu’il reste du chemin pour que les associations soient à l’aise dans leurs choix numériques.

Avant de lancer cette démarche, vous utilisiez quels outils ou services numériques ?

GSuite (Gmail, Gdrive), Google Analytics, Slack, Trello, Word, Excel, nos photos sur Flickr, notre site sous WordPress.

Comment est configuré le système d’information et les différentes applications ?

Euh, vous pouvez répéter la question ? 🙂

Plus sérieusement, à mon arrivée, nous utilisions WordPress et CiviCRM sur un espace prêté. Le reste était basé sur des outils propriétaires en mode SAAS.

Qu’est-ce qui fonctionnait bien ? Qu’est-ce qui posait problème ?

La première faiblesse était que nous utilisions la machine d’un bénévole. Le reste de nos informations étaient chez d’autres (Google pour nos documents, Gmail pour nos échanges avec l’externe, GAnalytics pour notre trafic, Flickr, Doodle…). Cela marchait, mais nous étions fragiles et nous ne maîtrisions pas nos données, pas top !

Vous avez entamé une démarche en interne pour migrer vers des outils numériques plus éthiques. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette démarche ?

Une volonté, appliquer à soi-même pour mieux expliquer.

D’où est venue l’idée, qu’est-ce qui vous a motivé⋅e⋅s ?

WebAssoc avait déjà mis en avant les solutions libres lors d’interventions. Mais il nous manquait l’expérience et la légitimité, « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais » ne marche pas bien. 🙂

Quels sont les objectifs ? Les résultats attendus ?

Notre feuille de route reprend quatre thèmes. Ils sont totalement cloisonnés pour proposer notre expérience sur l’un sans requérir les autres, d’où (on le verra plus loin) le choix de prendre un hébergeur propre à chacun d’eux :

Pour la planète, mettre en avant le réemploi

Nous avons fait notre journée annuelle en janvier sur un PC acheté 50 € sur le … qui tournait sur Emmabuntüs (Linux Debian). Nous adorons cette distribution qui comprend tous les logiciels nécessaires à un bénévole, et qui a permis de belles actions comme Yovotogo.

Proposer un espace pour le bureau regroupant tous les outils

Avec NextCloud et ses applications (partage de fichiers, édition avec Collabora, visio-conférence à quelques-uns, tableau de tâches, gestion des mots de passe partagés et plein, plein d’autres choses).

L’association sur le Web

Avec un blog (WordPress), des photos (Piwigo), un wiki tout simple (DokuWiki), un Framadate, un Wallabag… C’est un espace que nous considérons public donc pas de données sensibles.

Avec l’œil RGPD

Suivre notre trafic avec Matomo, gérer nos contacts et campagnes mails avec CiviCRM, faire des webinaires libre avec BigBlueButton et bientôt des vidéos avec Peertube (merci Framasoft !)

Quel est le lien avec les valeurs de WebAssoc ?

Le libre et son sens des communs correspond bien à nos valeurs. Il a le mérite de scinder hébergeur et logiciel. Ce qui est une garantie pour les associations : changer d’abri (si d’aventure, les besoins évoluent) sans recommencer à zéro la formation des bénévoles. C’est la liberté de choix en somme, c’est évident quand on en parle et pourtant c’est tellement facile de céder aux sirènes opposées.

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ?

Pas vraiment de moyens dédiés, nous sommes allés à notre vitesse, en parallèle de nos anciens usages sans imposer la bascule. Mais le constat qui m’a moi-même surpris, c’est que tout le monde s’y est mis naturellement. Quelques usages restent (comme notre tchat sur Slack en attendant un équivalent fonctionnel intégré à NextCloud).

Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Ou plutôt une personne seule ?

En fait c’est Raphaëlle et le bureau du début qui m’ont poussé dans la piscine. J’ai proposé des expériences avec ça ou ça.
Plusieurs bénévoles (des vrais pros) se sont investis sur chaque thème. Heureusement, parce que pour moi DNS voulait dire « Dîner Nocturne Sympathique » !

Quelles compétences ont été nécessaires ?

Rien pour Emmabuntus : y’a qu’à suivre les tutos.

 

Framasoft, WebAssoc, Emmabuntüs. Crédit photo : Anne Devillers

 

NextCloud pour le collaboratif : juste installer et configurer des applis comme sur son smartphone.

PHP pour les services Web : mais pas obligatoire de développer en acceptant une esthétique simple.

Adminsys pour gérer les VM (virtual machine). C’est le plus technique et ardu à tenir dans le temps, mais pas grave si cela plante, nous n’y conservons pas d’archivage.

Combien de temps ça vous a pris ?

Je dirais une année, mais ce n’est pas fini. Il reste des pistes à explorer.

Ça vous a coûté de l’argent ?

Comme expliqué plus haut, rien. Mais c’est de toute façon abordable : 60€/an pour NextCloud sur une instance dédiée et 80€/an pour nos services Web. Ce qui couvre déjà les besoins de la plupart des associations. Pour rester dans le concept de transposer nos expériences, il fallait que cela soit accessible.

50 + 60 + 80, à moins de 200€, une association peut tout avoir sur un PC, basculer de GDrive à NextCloud, avoir à côté du site des sous-domaines comme celui-ci. En fait, une totale autonomie avec des données chez des locaux. Par exemple, j’ai rencontré notre hébergeur NextCloud à Niort, c’est sympa quand même.

Bien sûr, pour de l’envoi de mails en masse ou avoir son propre service de visio-conférence, c’est plus conséquent. Mais cela va de pair avec la taille de l’association et ses moyens. C’est comme le bio, il faut payer un peu plus pour savoir d’où ça vient et sincèrement, les fraises ont un autre goût.

Quelles étapes avez-vous suivi lors de cette démarche, au début, par exemple ?

C’est tout bête, j’ai pris la liste de Degooglisons sans avoir recours aux « Framatrucs ». Vu les annonces, j’ai cherché des équivalents sur NextCloud ou autres services Web.

Ensuite, nous avons démarché des hébergeurs pour nous accueillir, https://yourownnet.net/ pour NextCloud, https://www.o2switch.fr/ pour nos services web, https://www.alinto.com/ pour nos envois de mails et tout récemment https://www.gandi.net pour BigBlueButton.
Nous les remercions tous énormément.

Les étapes intermédiaires ?

Pas vraiment, l’équipe « tech » met à disposition, chacun membre est libre d’utiliser ces nouveaux services. Et par exemple, NextCloud avec l’édition en ligne peut s’utiliser sans rien installer sur son PC.

À ce jour, on en est où ?

Il reste des choses à fiabiliser, par exemple la gestion des droits sur les dossiers, mais rien de rédhibitoire.

Combien de temps entre la décision et le début des actions ?

Le temps de trouver des gentils hébergeurs et des gentils bénévoles.

Avant de migrer, avez-vous testé plusieurs outils au préalable ?

Nous avons profité de la mise à disposition d’instances pendant le confinement, nous avions déjà Talk/NextCloud pour échanger à quelques-uns et nous avons retenu BigBlueButton plutôt que Jitsi pour sa tenue à la charge sur nos webinaires.
Et maintenant, on peut piloter BigBlueButton depuis NextCloud, c’est cool.

Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices ?

Certain⋅e⋅s connaissaient déjà, d’autres découvraient en connaissant des équivalents propriétaires. Nous avons laissé venir les questions.

Sous quelle forme avez-vous répondu à ces questions ?

Un wiki où nous avons commencé à mettre des tutos, nous avons aussi récupéré ceux des autres.
Et nous avons fait un webinaire dédié NextCloud.

Quels ont été les retours ?

Globalement positifs. Nous prévoyons quelques séances de visio-partage pour s’améliorer ensemble.

Quels sont les moyens de « l’équipe projet » ?

Par thème, chaque équipe varie de 2 à 4 personnes au gré du temps.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Parfois des détails, avoir des étiquettes entre Thundebird et RoundCube comme sur Gmail. Retrouver nos enregistrements sur BigBlueButton. Il y a un temps de rodage à ne pas négliger.

Il y aussi une difficulté plus importante de formation des équipes pour les aider à basculer et à prendre en main les nouveaux outils. C’est simplement une question d’habitude en réalité, les fonctionnalités des outils étant proches, mais les habitudes sont parfois lourdes à changer : c’est pourquoi un soutien du bureau est utile sur ces enjeux, pour pousser au changement. En fait, y aller en premier pour que les autres suivent.

Envisagez-vous de poursuivre cette démarche pour l’appliquer à d’autres aspects de votre association ?

Nous souhaitons mettre nos webinaires en ligne avec PeerTube, avoir un annuaire des membres avec des accès SSO via OAuth, remplacer Slack en restant dans NextCloud.

Mais surtout, développer l’usage de CiviCRM que nous exploitons à 10 % de ses capacités faute d’un écosystème suffisant en France. L’effet de boule de neige du Libre manque, davantage d’utilisateurs et utilisatrices en amène davantage encore.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?

  • Oser sauter le pas, via un hébergeur pour ne pas galérer au départ, y mettre quelques euros.
  • Basculer thème par thème en gardant l’ancienne solution quelques temps.
  • Accepter le moins « joli » en se recentrant sur ses besoins qui sont souvent largement couverts.

Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Nous ne sommes pas des libristes à fond, la preuve dans la liste de nos formations qui sont encore pas mal orientées GAFAM. À WebAssoc, nous ne vous dirons pas que le libre c’est bien, mais que c’est mieux (moins cher, moins de dépendance, plus performant, plus respectueux de vos données). Alors allons-y ensemble. 🙂

À l’inverse, si vous maîtrisez NextCloud, ou si vous connaissez CiviCRM ou voulez le découvrir, ou encore si vous avez des compétences OAuth, SSO…, enfin si vous savez installer Peertube et d’autres trucs, venez nous rejoindre, l’ambiance est SUPER sympa.

Pour aller plus loin :