Khrys’presso du lundi 24 avril 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial femmes dans le monde

Spécial Assange

Spécial France

Spécial femmes en France

Spécial médias et pouvoir

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite…

Spécial résistances

Spécial outils de résistance

  • Pétition : Emmanuel Macron ne nous écoute pas, n’écoutons plus Macron (change.org)

    nous appelons en premier lieu, à éteindre systématiquement nos postes de télévision et de radio lors des allocutions présidentielles jusqu’à ce qu’il nous respecte en acceptant d’ouvrir les conditions d’un dialogue véritable et mette un terme à cette logorrhée méprisante adressée à un peuple supposé ignorant de ce qui le concerne.

  • Recouvrons les publicités de l’armée ! (rebellyon.info)
    Si besoin, les affiches sont disponibles en PDF format A3 ici (craam.noblogs.org)
  • Les concerts de casseroles contre Macron, une pratique qui remonte au XIXe siècle (huffingtonpost.fr)
  • Posez le crayon – Conseils techniques pour une stratégie de la flemme en entreprise (lundi.am)

    dites que vous êtes épuisé·e, que votre corps et votre esprit souffrent. Et que pour faire deux ans de plus, vous devez adapter votre rythme et vous préserver. Puis passez à l’attaque : demandez des jours de repos, plus de pauses, des aménagements, du télétravail, plus de rotations (pas d’augmentations car on vous en demandera plus), à rencontrer un·e psychologue, læ médecin du travail. Et le lendemain qu’un·e collègue demande la même chose ! Puis un·e autre. Vous n’obtenez rien de cela ? Nul ne s’étonnera que vous soyez encore plus lent·e. On vous demande de faire quelque chose de nouveau ? Dites que vous ne préférez pas car vous devez vous préserver pour votre retraite.

Spécial Foutons le Zbeul

Spécial GAFAM et cie

Les autres lectures de la semaine

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine

Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).




Khrys’presso du lundi 17 avril 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial femmes dans le monde

Spécial Assange

Spécial France

Spécial femmes en France

  • «En France, il y a actuellement des pénuries de pilules abortives» (liberation.fr)

    Il y a le droit et l’effectivité du droit. Alors que des menaces d’interdiction planent au-dessus de la pilule abortive RU 486 (mifépristone) aux Etats-Unis, la France se retrouve, elle, confrontée à des pénuries, s’alarme l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds).Une réaction du ministère de la Santé […] se fait toujours attendre.

  • « La grande démission » des femmes : pourquoi elles quittent leurs entreprises (lesnouvellesnews.fr)

    Les femmes dirigeantes changent d’emploi comme jamais auparavant, et bien plus fréquemment que les hommes dirigeants. Elles sont largement sous-représentées dans les postes de direction. Pendant des années, elles ont été moins nombreuses à gravir les échelons en raison de barrières invisibles dès les premiers échelons de la hiérarchie.

  • Aymeric Caron (député LFI) à propos de la réintégration d’Adrien Quatennens : on “peut passer à autre chose une fois qu’une peine a été purgée” (lessurligneurs.eu)

    non seulement Adrien Quatennens n’a pas purgé sa peine, mais Aymeric Caron laisse entendre qu’il a été réhabilité, ce qui est également faux. […] Les difficultés pour trouver ou retrouver un emploi après un emprisonnement sont immenses pour les personnes condamnées, et le cas d’Adrien Quatennens devrait inciter ceux qui défendent son retour à l’Assemblée Nationale à réfléchir aux outils à mettre en place pour favoriser la même facilité de retour à l’emploi pour tous les autres condamnés qui ne sont pas, eux, députés.

  • Depardieu accusé de violences sexuelles par 13 femmes dans « Mediapart » (huffingtonpost.fr)

    Déjà mis en examen pour « viols » et « agressions sexuelles », l’acteur français de 74 ans est désormais sous le coup de nombreux témoignages supplémentaires pour des actes qui seraient survenus sur onze tournages.

Spécial médias et pouvoir

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

  • Emmanuel Macron met mal à l’aise les États-Unis avec ses propos sur Taiwan, la Maison Blanche contrainte de réagir (liberation.fr) – voir aussi Macron faces backlash over Taiwan comments (edition.cnn.com)

    One [Eastern European diplomat] said that Macron is “simply tone deaf to everything happening in the world. No wonder Macroning has become a synonym of bullshitting without any result.”[…]For all that Macron’s comments could be put down to a president under pressure at home doing things on the world stage to create a distraction, his comments on Taiwan have done real damage to the fragile transatlantic relationship.

  • La France, ce paradis fiscal (humanite.fr)

    Un siècle ne suffirait pas à un smicard pour gagner autant d’argent que Bernard Arnault. Ni même un millénaire. En réalité, il lui faudrait 9,7 millions d’années, à supposer qu’il ne dépense pas un centime pendant ce temps-là. […] notre pays compterait 43 milliardaires.[…] le taux d’imposition effectif des 370 ménages les plus aisés plafonne à 2 %. Ils peuvent remercier, entre autres, Emmanuel Macron, qui a supprimé l’ISF.

  • La fortune de Bernard Arnault sur un nouveau record grâce à LVMH (huffingtonpost.fr)

    La hausse record des ventes de LVMH permet à la première fortune de la planète d’atteindre 210 milliards de dollars

  • Patrimoine de Macron, ou sont passés les millions? (off-investigation.fr)

    Redressement suite à non paiement de l’impôt sur la fortune, non déclaration d’une créance de 350 000 euros sur son épouse Brigitte, « claquage » de près de 1,5 million d’euros en trois ans (un Smic par jour), déclaration peu crédible sur les honoraires perçus chez Rothschild and co lors d’un « deal » de 9 milliards d’euros conclu en 2012, depuis 2014, les déclarations de patrimoine et d’intérêt d’Emmanuel Macron suscitent beaucoup de questions.

  • Réforme des retraites : les grands patrons se font tout petits (liberation.fr)

    Alors que se tient ce jeudi la douzième journée de mobilisation, le malaise est palpable chez les chefs d’entreprise, partagés entre un soutien très modéré à l’exécutif et une vraie opposition au texte. […] Une stratégie qui confirme un peu plus l’isolement politique du chef de l’Etat. […] son obstination à faire de cette réforme des retraites l’alpha et l’oméga de sa capacité à réformer le pays, alors que tant d’autres urgences sont sur la table, l’aura vu divorcer avec le réformisme syndical d’un Berger, se prendre un vent avec ses nouveaux amis Républicains et trouver un allié patronal aux abonnés absents. Ou comment faire le vide autour de soi…

  • Le « Parcoursup des masters », aggrave les inégalités dans le supérieur (alternatives-economiques.fr)
  • Le gouvernement prêt à contourner les restrictions de l’Agence de sécurité sanitaire sur la phosphine, un insecticide pour céréales (liberation.fr)

    Au nom de la «vocation exportatrice» de la France, les ministres de l’Agriculture et du Commerce extérieur ont promis ce mardi 11 avril de trouver un moyen légal pour ne pas appliquer la décision de l’Anses.

  • Qui sont les vrais terroristes de l’environnement ? (basta.media)

    « 1700 activistes pour l’environnement assassinés depuis dix ans, il est là le véritable écoterrorisme »

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite…

Spécial résistances

Spécial outils de résistance

Spécial Foutons le Zbeul

Spécial nouvelles disciplines aux JO

Canoë revendicatif

Danse choré

Lancer de poubelles

Tennis de rue

Spécial GAFAM et cie

  • Google et Amazon découvrent le droit du travail en Europe (nextinpact.com)

    Aux États-Unis, Google, Amazon et leurs concurrents ont pu licencier sans rencontrer le moindre obstacle des milliers de salariés. Mais après des années d’implantation en Europe, elles semblent découvrir ses lois sociales et voient leurs plans de licenciements bloqués car hors des procédures adéquates.

Les autres lectures de la semaine

  • « Pourtant, j’avais fait barrage » : lettre au président de la République, par Coralie Miller (nouvelobs.com)

    Monsieur le président,J’ai voté pour vous. Et toujours malgré moi. Je ne voulais pas de vous comme président, mais j’ai serré les dents. Deux fois. J’ai regardé mes enfants, j’ai regardé mon pays, j’ai regardé notre histoire. Et j’ai fait ce que je considérais être mon devoir.[…] « Ce vote m’oblige pour les années à venir », avez-vous dit à notre intention, le soir de votre deuxième victoire. L’avez-vous pensé seulement une seconde ? Permettez-moi d’en douter. […] La gauche est rapidement devenue votre bouc émissaire, votre ennemie publique numéro 1. Jusqu’à ce que soit commis l’irréparable : deux vice-présidents RN élus à 280 voix. C’est-à-dire avec celles de votre majorité. Pourtant, j’avais fait barrage. […] Aujourd’hui, vous laissez votre ministre de l’Intérieur parler du «terrorisme intellectuel de l’extrême gauche» pour désigner l’opposition, traiter toute personne issue de la gauche et des écologistes comme un ennemi intérieur potentiel tout en niant la violence d’extrême droite[…] et – ça vient de tomber – menacer le financement de la Ligue des droits de l’Homme parce qu’elle documente l’usage de la force par la police en manifestations. Pourtant j’avais fait barrage. […] Monsieur le président, jusqu’où irez-vous ? […] est-ce que vous arrêterez un jour de faire de l’extrême droite votre marchepied ? À ce jeu, vous perdrez. Et nous tous avec vous. Est-ce que c’est là votre projet ?

  • Le Conseil Constitutionnel, ou l’illusion démocratique (contretemps.eu)
  • “Les règles de la Constitution sont censées être des limites, pas des armes pour le gouvernement” (humanite.fr)
  • Anti-Protest Laws Are Not About Safety, They Are About Silencing Dissent (truthout.org)

    While demonstrators always fear being criminalized for exercising their constitutional right to stage protests, being charged with domestic terrorism has a particularly chilling effect. […] Across the United States, we are seeing a rise in laws that seek to squelch and criminalize protests. […] Since January 2017, 45 states have considered 267 bills that restrict the right to protest, according to the International Center for Not-For-Profit Law. Currently, at least 39 laws restrict the right to protest […] That is not by mistake; we are seeing a coordinated effort to silence dissent in every state, every city and every jurisdiction. […] In the same way that legislators are becoming savvier in terms of bills that curtail protests, organizers for justice must be creative, determined and unrelenting. If we do this, we will continue to not only win but defend our victories. […] More than anything else, we cannot give in to fear. We cannot fear these efforts and thereby allow legislators who are out of step with the people to have their way. We must resist and expose — today, tomorrow and forever.

  • Abortion Rights Are Workers’ Rights (jacobin.com)

    Amid escalating attacks on abortion rights, health care workers at Planned Parenthood are forming unions — and their employers are retaliating. In a post-Roe world, the fight for reproductive justice and the struggle for labor rights are intimately linked.

  • Le nucléaire, arme de domination massive (blogs.mediapart.fr)

    On parle d’énergie propre tout en enfouissant les déchets près des frontières, en oubliant les milliards de mètres cube d’eau nécessaires au refroidissement des réacteurs et en fermant les yeux sur les conséquences environnementales sur des territoires et des populations lointaines. On invoque l’indépendance et on fait mine d’ignorer la complexité des chaînes d’approvisionnement – et les risques liés à leur saturation.

  • Infrastructures numériques de communication pour les anarchistes (et toustes les autres) (framablog.org)
  • How can we build a radical internet? (mctd.ac.uk)
  • If we lose the Internet Archive, we’re screwed (sbstatesman.com)

    When Julius Caesar burned the Library of Alexandria, it was hard to imagine a greater destruction of scholarship. Now, 2,000 years later, some petty, litigious schmucks are ready to deal an even bigger blow to the literary canon.This is fundamentally a strike against taxpayer-funded public services by corporations and private individuals.

  • Une « édition » minable de Pepper & Carrot sur Amazon (framablog.org) – voir aussi l’article original Fa Bd Comics books on SCAMazon: don’t buy them (davidrevoy.com)
  • The Free Software Foundation is dying (drewdevault.com)
  • Quand les postures bassinent, ou pourquoi tout n’est pas binaire (iaata.info)

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine

Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).




Évaluer l’impact de la médiation numérique

Cette semaine, dans le cadre de la série Lost in médiation, nous republions un article de Loïc Gervais qu’il a publié le 14 mars 2023 sur son blog personnel car nous trouvons que son contenu fait écho aux réflexions menées ces dernières semaines sur la médiation numérique. Bonne lecture !

Musicien, improvisateur, papa et médiateur numérique, Loïc Gervais est par ailleurs chargé de projet inclusion numérique pour le Département de la Haute Savoie.

 

Quand on aborde la question de la médiation numérique, la notion d’impact est très rapidement associée. Les différentes politiques publiques d’inclusion numérique partent du principe que le développement des compétences numériques va augmenter le pouvoir d’agir de l’usager. Ces politiques ont conduit à des logiques d’équipement de masse des différents publics. De nombreuses collectivités ont ainsi équipé les écoliers, collégiens ou lycéens d’ordinateurs ou de tablettes afin de contribuer à la réussite éducative de ces derniers. Pour autant chacun peut s’accorder à dire que l’équipement ne fait pas le bachelier. La réussite éducative d’un enfant ne se limite pas au fait de posséder un appareil connecté à internet fut-il la tablette dernier cri. L’accompagnement des publics s’est imposé par la force des choses. Bien souvent cet accompagnement n’a été pensé que sur la montée en compétence numérique de l’usager sans prendre en compte sa situation dans son ensemble. Aussi, si nous voulons mesurer l’impact de la médiation numérique il nous faut peut être le faire à l’aune d’autres critères.

Évaluation numérique

Nous n’avons guère le choix. Notre action s’inscrit dans une logique de montée en compétences numériques des publics. La stratégie nationale d’inclusion numérique est bâtie sur cette idée d’accompagner les publics éloignés du numérique en les faisant monter en compétence afin d’être autonome d’un point de vue numérique. Personne ne prétend que cela va améliorer leur situation. Tout au plus on explique qu’ainsi ils pourraient recourir à leurs droits sans appui d’un travailleur social. Or si l’objectif de l’autonomie numérique est de pouvoir s’affranchir de l’appui d’un travailleur social pour réclamer son droit, l’une des solutions possible est de rendre ses droits effectifs en les attribuant directement sans démarche proactive de la part de l’usager. Sauf que la logique qui prévaut c’est de demander à l’usager de se mettre au niveau de l’administration, et non l’inverse.

Aussi dans nos actions de médiation numérique, il nous faut jouer le jeu de cette montée en compétences techniques. Cela nécessite un travail d’ingénierie pédagogique pour définir d’une part des compétences pédagogiques à atteindre. D’autre part, il faut également associer une évaluation de la formation. La mise en place d’un référentiel pédagogique partagé est un préalable indispensable pour évaluer une action d’inclusion numérique. Si mon objectif est d’accompagner un usager jusqu’à l’autonomie (au minimum), il me faut savoir si cela signifie qu’il doit connaître la différence entre le clic droit et le clic gauche de la souris ou si cela implique de rédiger un prompt sur ChatGPT. J’ai ainsi proposé dans le cadre du Conseil National de la Refondation dédié à l’inclusion numérique de définir un référentiel de compétences socles à acquérir pour pouvoir être déclaré « autonome d’un point de vue numérique ». Cette évaluation apparaît incontournable. Elle répond à une commande institutionnelle (qui demande à être précisée) de l’État. Elle n’en demeure pas moins incomplète pour mesurer l’impact d’une action de médiation numérique.

Évaluation sociale

Les « éloignés du numérique » (pour reprendre l’expression du gouvernement) sont pour la plus grande partie des personnes en difficulté sociale. Leur motivation première est donc de trouver une réponse à cette problématique sociale dont le traitement ne peut se faire que par voie numérique. En fonction du dispositif dans lequel s’inscrit l’accompagné, nous disposons d’ores et déjà d’indicateurs à renseigner. Pour un demandeur d’emploi, nous aurons pour objectif de l’accompagner vers le retour à l’emploi. Évidemment, il faut adapter ces objectifs à la situation personnalisée de la personne accompagnée. Il est plus difficile de retrouver un emploi à 60 ans qu’à 28 ans. Dans tous les cas nous pourrons nous interroger sur la manière dont le numérique aura été mobilisé tout au long du parcours de l’usager et comment il aura contribué à répondre à la problématique. Cette prise en compte globale de la situation de la personne demande un travail en équipe transversale. Dans bien des cas, ce travail en équipe dépassera les murs de la structure en propre pour impliquer d’autres acteurs.

En intégrant la dimension sociale de l’usager à l’évaluation nous nous offrons une marge de priorisation. Une personne isolée qui a suivi dix ateliers en groupe sur le mail aura rompu son isolement sans nécessairement réussir à envoyer un mail. Nous devrons nous interroger sur ce qui nous importe et pour cette question nous devrons associer l’usager à la construction de ses propres objectifs. En ce sens, l’utilisation de la toile des capabilités pourrait s’avérer un atout précieux. Malheureusement cet outil a été abandonné avant même d’avoir eu l’opportunité d’être déployé.

Évaluation systémique

Ce qui est fascinant dans les démarches d’évaluation menées c’est qu’elles sont toutes centrées sur l’usager. Or si nous voulons répondre aux problématiques sociales des éloignés du numériques, nous devons remettre en cause notre façon d’aborder les problématiques. Nous déployons des dispositifs qui obéissent à une logique de silos, là où la prise en charge doit être transversale. Si la médiation numérique doit avoir un premier impact c’est dans notre manière de considérer la problématique de chaque individu en premier lieu. Un médiateur numérique endosse tour à tour les casquettes de travailleur social, conseiller en insertion, tiers de confiance et tant d’autres. Pour répondre à ces défis, il nous faut mobiliser des équipes pluridisciplinaires du social, de l’éducation, de l’enfance, des bâtiments, de l’informatique, des ressources humaines, des finances, de la culture, du développement durable et d’autres encore.

Si nous voulons réellement évaluer l’impact de ce que nous faisons, le premier défi auquel on doit s’attaquer c’est de réinterroger les manières de faire de l’institution à la lumière de l’impact du numérique dans la transformation de nos actions.

Un grand merci à Loïc Gervais d’avoir accepté qu’on publie ici ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires.




Khrys’presso du lundi 10 avril 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial femmes dans le monde

Spécial France

Spécial femmes en France

Spécial médias et pouvoir

  • Marlène Schiappa, Playboy, et l’image qui n’existait pas (affordance.framasoft.org)

    Si l’entretien avec Playboy était déjà nécessairement acté, sa révélation (par Le Parisien) le 31 Mars est en tout cas d’un opportun cynisme au lendemain de la révélation de l’enquête de France Télévision (30 Mars) sur le détournement de l’argent du fonds Marianne.

  • Réforme des retraites : quand la critique des médias vient des rédactions (acrimed.org)

    Au Parisien et à France Télévisions, des sociétés de journalistes (SDJ) et des organisations syndicales ont pris position contre le traitement réservé par leur média à la mobilisation contre la réforme des retraites.

  • Journalisme de préfecture : quand les médias légitiment la répression (acrimed.org)

    Face à la répression des mobilisations sociales et écologistes, si les violences policières ont « fait l’agenda » de certains grands médias plus rapidement qu’au moment des manifestations des Gilets jaunes, le traitement médiatique est encore loin d’être à la hauteur des enjeux…

  • Le Point s’arrange avec un sondage (acrimed.org)

    En annonçant fièrement sur Twitter que « Seulement 7% des Français estiment que les violences sont la faute des policiers selon un sondage de @Cluster17 pour Le Point », l’hebdomadaire de François Pinault tord la vérité.

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite…

Spécial résistances

Spécial outils de résistance

Spécial Foutons le Zbeul

Spécial GAFAM et cie

Les autres lectures de la semaine

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine

Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).




La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (seconde partie)

Toujours dans le cadre de la série « Lots in médiation », on retrouve aujourd’hui Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet pour la suite de l’article qu’elles ont publié la semaine dernière dans lequel elles ont commencé à partager avec nous leur analyse d’une expérimentation qu’elles ont menée lors d’une recherche-action. Pour une meilleure compréhension de ce qui va suivre, nous vous conseillons vivement de prendre connaissance de la première partie. Bonne lecture !

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.
Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.
Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

La translittératie numérique, objet de la médiation numérique.
Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations.

Deuxième partie : Articulations et mises en synergies des médiations

2.1. La confusion entre actions de médiations et types de médiateurs

La médiation numérique a été mobilisée durant le premier confinement de la « crise COVID » pour accélérer, via un « numéro vert », l’acculturation au numérique pour tous. L’expérimentation confirme que la médiation numérique, la médiation sociale, la médiation culturelle et la médiation éducative ne portent pas sur les mêmes objets mais peuvent concerner les mêmes personnes et un même projet d’intervention : ici la remobilisation scolaire. Ces deux constats permettent d’interroger la prévalence supposée de la médiation sociale devant la médiation numérique ; cette question se pose de manière similaire s’agissant de la médiation culturelle (notamment scientifique et technique) et de la médiation éducative (voire scolaire).

schéma de l'articulation entre les différentes formes de médiation
Articulation, Juxtaposition,
Distinction et Confusion entre médiations

Ces hiérarchisations entre médiations renvoient à des représentations culturelles institutionnalisées et ancrées dans des considérations idéologiques qui pèsent sur les priorités de l’action publique. Selon les situations, sont privilégiées des options politiques plus ou moins favorables aux libertés publiques : socialisation, contrôle social et émancipation sociale. L’analyse des sources de confusion entre ces médiations au-delà des populations ciblées s’impose donc.

2.1.1. Limites de la médiation numérique dans l’intervention sociale et limites de la médiation sociale en ligne et hors ligne…

En 2011, un rapport interministériel œuvre pour la reconnaissance des métiers de la médiation sociale : l’objet annoncé de la médiation sociale est « un mode original et efficace de résolution des tensions et d’amélioration des relations entre les populations des quartiers en difficulté et les institutions » (CIV, 20111). Sept champs d’intervention de la médiation sociale sont inventoriés : habitat, transport, santé, éducation, intervention sociale, tranquillité publique, accès aux services publics.

Le champ du travail social s’envisage à l’origine, dans une perspective réparatrice au bénéfice des personnes et des familles à soigner, à éduquer, à adapter : il ne s’inscrit pas d’emblée dans une logique de médiation. La médiation sociale apparaît à titre bénévole (femmes relais, correspondants de nuit) dans les années 80 ; elle est utilisée pour négocier les interventions des institutions et des travailleurs sociaux auprès des populations bénéficiaires. Elle naît explicitement en 1997 avec la circulaire interministérielle sur les contrats locaux de sécurité pour la prévention de la délinquance (CIV, Annexe 5, 2011).

Des médiateurs sociaux sont placés en appui des travailleurs sociaux grâce aux emplois aidés : « les grands frères », les emplois jeunes, les adultes relais… N’y apparaissent pas les éducateurs spécialisés qui opèrent dans les quartiers prioritaires, travailleurs sociaux porteurs depuis leur création de médiation sociale auprès des jeunes qu’ils accompagnent et souvent vers le droit commun. Les dispositifs publics de médiateurs sociaux, nouveaux entrants dans le travail social au statut précarisé s’additionnent. Ils permettent d’ouvrir les moyens d’intervention tout en limitant les budgets et en fluidifiant les corporatismes des travailleurs sociaux : rémunérations, conventions collectives, secret professionnel, niveaux de qualification, périmètres d’intervention.

Les objectifs des pouvoirs publics sont de faciliter la prise en charge sociale face à des situations interculturelles complexes et face à la montée du chômage notamment des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit d’en maîtriser les risques : égalité des chances, discriminations, insécurité, insalubrité, … Le rôle des médiateurs sociaux est d’intermédier, à la faveur de leur situation de proximité géographique et socio-professionnelle avec les groupes de populations visées (âge, habitat, précarité, origine sociale, sexe…). Leurs compétences attendues d’acculturation aux logiques interculturelles (bilinguisme, leadership, négociation…), sont censées faciliter les relations entre les bénéficiaires visés et les dispositifs publics du champ des politiques sociales. Ils permettent la mise en lien de personnes issues de cultures urbaines, rurales et également proches par la langue avec les structures associatives porteuses des dispositifs publics. Cette proximité enclave aussi une médiation sociale qui permettrait de sortir des recours habituels du quartier ou du territoire. L’expérimentation a montré que la médiation numérique et la médiation culturelle sont des leviers d’ouverture sur d’autres horizons.

Les premiers médiateurs numériques bénéficient des mêmes emplois aidés pour œuvrer sur les territoires : la création du premier Point Information Multiservices (PIMMS) à Lyon en 1995, les animateurs multimédias ainsi que les cyber-médiateurs qui existent réglementairement depuis 1999 pour porter ce qui deviendra la médiation numérique.

Rappelons quelques éléments repères sur l’histoire de la constitution de la médiation numérique en termes de valeurs, de principes et d’objectifs. En 2015, l’ensemble des réseaux de la médiation numérique se réunissent sous la bannière d’un logo commun. Ce rassemblement s’est opéré à la faveur des résultats de la consultation nationale de la médiation numérique, organisée par la Délégation aux Usages de l’Internet de juin à octobre 2014. Ce logo national de la médiation numérique a été proposé par le ministère du numérique, en concertation avec les acteurs de la médiation numérique, lors de l’inauguration du site gouvernemental mediationnumerique.fr en octobre 2015.

Logo gouvernemental de la médiation numérique
Logo gouvernemental de la médiation numérique

L’analyse des concepts constituant ce logo (innover, coopérer, réfléchir, accompagner, découvrir et échanger) montre que les champs d’action de la médiation numérique ont une dimension sociétale, avec une approche d’éducation populaire assumée : découvrir, réfléchir, coopérer…. De fait, la médiation numérique traverse les champs d’intervention de la médiation sociale (CIV, 2011), par effets de dématérialisation progressive des interactions bénéficiaires/institutions : accès aux services publics, santé, habitat…

Quand on parle de médiation numérique soluble dans la médiation sociale, dépasse-t-on les attendus des formulaires administratifs ? (Lequesne-Roth, 20212) S’agit-il d’intervenir sur les écueils de la conditionnalité et de la vulnérabilité numériques ? de trouver des solutions de formation aux logiques administratives pour éviter l’hybridation de l’accès aux services publics (accueil physique, accueil téléphonique et accueil numérique) ? En 2022, la Défenseure des droits préconise l’hybridation des modes d’accueils face à l’échec de la généralisation des « compétences numériques de base ». Après plus de 20 ans de dématérialisation, et 16,5% de personnes touchées par l’illectronisme (INSEE, 2021), l’objectif réitéré de l’administration est la dématérialisation de 250 services publics.

L’éducation de proximité au numérique sur les territoires est très contrastée dans ses objectifs. La CAF (Caisse d’allocations familiales) est un financeur historique de la médiation numérique dans les centres sociaux, en politique de la ville. Elle finance également des interventions des « Promeneurs du Net » (CNAF, 20183). Depuis les années 2010, « Les promeneurs du Net » pratiquent du dialogue en ligne en direct avec les jeunes. Encore plus ancien, « SOS fil info santé jeunes » anime des tchats entre jeunes et médecins avec des réseaux sociaux de soutien psychologique. Comme pour « SOS fil info santé jeunes », les « promeneurs du net » ont accès aux jeunes qui sont déjà dans une pratique particulière du numérique. Ainsi les jeunes les plus éloignés d’un usage « éducatif » du numérique sont ici comme ailleurs « intouchables » (Têtard, 20104). C’est le cas par exemple, des enfants et des adolescents observés et accompagnés dans le cadre de l’expérimentation : ils ont un usage récréatif du numérique via les réseaux sociaux tels que tiktok et snapchat.

Ainsi, malgré un environnement du « tout numérique », la médiation sociale en ligne peine à « toucher » les bénéficiaires les plus éloignés des pratiques sociétales actuelles et des plus innovantes.

2.1.2. « Fractures / Inclusions » : slogans communs et prévalence associative

La première source de confusion entre médiation sociale et médiation numérique, semble liée à l’analogie politique historique (car intrinsèque au programme des élections présidentielles de Jacques Chirac) entre « réduction de la fracture sociale » et « réduction de la fracture numérique » (Vandeninden, 20075). La dénonciation de la fracture sociale a été antérieure à la dénonciation de la fracture numérique. Cette confusion apparaît précisément au moment où le numérique est l’apanage des pionniers de l’Internet, une élite aisée et instruite. Le sujet ciblé concerne l’accès financier aux outils. Dans un deuxième temps, cette confusion a été confortée par l’utilisation généralisée des terminologies européennes : le terme choisi d’inclusion pour remplacer celui de fracture est plus propice à une vision constructive des politiques d’intervention publiques (Toledano Laredo, 20226). L’inclusion sociale a en quelque sorte embarqué l’inclusion numérique (Hue, 20197). Ces locutions ont remplacé les expressions de fractures mais aussi d’exclusions sociales et numériques. Pourtant et pendant tout ce temps, les difficultés de littératie numérique étaient tout autant socio-économiques, générationnelles, que culturelles et/ou physiologiques et cognitives (handicap).

La deuxième source de confusion peut provenir de la proximité des institutions et des acteurs eux-mêmes car les acteurs de la médiation numérique et de la médiation sociale s’inscrivent tous dans le secteur de l’économie sociale et solidaires (ESS) et dans les administrations de la fonction publique territoriale. Comme pour le champ du travail social, le champ de la médiation numérique, de la formation et de l’éducation au numérique, est l’apanage du secteur associatif, des collectivités territoriales et des services publics. A ce titre, la médiation numérique a donc été l’objet dès son lancement dans les années 2000, d’une politique publique socio-économique de réduction de la fracture numérique soutenue par des emplois aidés « les Emplois Jeunes ». Ces animateurs multimédia, médiateurs cyber-jeunes, (etc.) sont venus se juxtaposer à grand renfort de précautions juridiques sur les périmètres d’intervention à l’offre privée préexistante : les Cybercafés. Ils ont renouvelé laborieusement cette première offre pédagogique et andragogique de lutte contre l’illectronisme, centrée sur l’accès aux outils numériques, le dépannage ponctuel, le soutien individuel et les cours collectifs.

Cette réduction publique ou privée de la fracture numérique se limite donc à l’origine à mettre à disposition du matériel informatique connecté en état de marche, et à donner quelques conseils individuels d’utilisation et de manipulation. Le modèle du service à la carte du réseau du label Cyber-base (Turet, 20188) a établi une évaluation positive du service offert, en cas d’absence de nouvelle sollicitation des publics sur un même sujet. Ce modèle relevait de cette même démarche de soutien ponctuel sans qu’une recherche d’autonomie numérique globale de la personne soit engagée.

L’actuelle offre publique « France Services » encourage pour une grande part ce service ponctuel à la demande, centré sur l’accueil individuel. Les formations et les certifications des Conseillers Numériques France Service (CNFS) prennent toutefois en compte des besoins plus larges et des compétences d’accompagnement collectifs. Ces formations ne se référent pas totalement à la charte nationale9 de la médiation numérique (2015), issue de la consultation nationale sur la médiation numérique10. Elles n’englobent pas non plus la charte des Espaces Publics Numériques en vigueur de 2011 à 2016 (Turet, 201811).

2.2. La clarification des champs d’intervention des médiations

Pour clarifier les périmètres d’intervention des médiations, il faut donc déterminer précisément leurs champs d’action à partir de leur objet d’existence. Les recherches interdisciplinaires de l’ANR Translit ont permis d’identifier l’objet de la médiation numérique qui jusque-là semblait s’emparer de multiples sujets. Cette multiplication des sujets numériques ont créé des frictions et des interrogations sur la nécessité de former les travailleurs sociaux au numérique mais aussi les enseignants au C2i2e. L’Éducation nationale choisit d’abandonner la logique du C2i2e au profit de l’autoformation par PIX et le travail social accentue la formation de ses cadres et de ses intervenants aux compétences numériques. L’expérimentation apporte de nouveaux angles de réflexion sur la pertinence du croisement des médiations.

2.2.1. Translittératie numérique et identité professionnelle des médiateurs numériques

Les professionnels de la médiation numérique ont pris la mesure de leur impact malgré les vagues successives de nouveaux entrants chez les commanditaires (élus, administrateurs) et chez les acteurs de terrain (services civiques, emplois d’avenir, …) au petit bonheur de la variété des politiques publiques et des acceptions locales des missions attendues. Les jurys successifs du « Label Ville, Villages et Territoires Internet » œuvrent à comparer les efforts des collectivités locales dans leur offre de médiation numérique. La transmission d’une culture numérique (Voirol, 201112) devient progressivement incontournable au-delà de la maîtrise du « socle des compétences numériques de base » définies par la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP).

Des tensions existent entre les injonctions de mise en conformité aux commandes publiques, financièrement incitatives issues des politiques nationales, et les contrats européens de financement : certains appels à projets favorisent une inclusion numérique qui relève davantage des valeurs de la formation aux utilisations civiques. D’autres, plus rares soutiennent des valeurs plus émancipatrices et critiques proches de l’éducation populaire. Les institutions phares de l’éducation populaire tardent à se positionner face aux orientations de développement du numérique. Elles n’ont pas d’offre politique concernant les besoins corrélés de la population : une vision globale des enjeux, une capacité d’orientation et de choix d’émancipation et de développement personnel pour être un citoyen libre et égal en droits face au numérique. Il s’agit de surcroît, d’usages personnels mais aussi des usages des personnes dont on a la charge : enfants, ascendants, personnes en situation de handicap.

Les médiateurs numériques doivent être capables d’initier la population pour faire reculer l’illectronisme quels que soient les critères socio-économiques et culturels en jeux : ils sont donc généralement dotés non seulement des connaissances techniques (outils) liées à des technologies en perpétuelle évolution mais aussi informationnelles et médiatiques (réseaux sociaux, fake news…). Ils doivent aussi faire relais, coopération ou partenariat avec les spécialistes de champs particuliers : l’administration, le social, l’emploi, l’entreprise, le commerce, etc. Ils sont au cœur de la translittératie numérique qui elle, se déploie dans tous les champs de la société.

Dans le cadre de l’expérimentation auprès des enfants, la convocation d’un médiateur numérique s’est avérée incontournable face au manque de culture numérique transversale des autres médiateurs scolaires, sociaux, culturels, économiques. Le médiateur numérique est porteur d’une mise en intelligibilité socio-technique : il a besoin de s’acculturer pour éviter le biais de « la suprématie » et confisquer le pouvoir d’agir. Il s’est retrouvé chargé de mettre en place des ateliers non seulement pour les enfants mais aussi pour quelques adultes référents de l’expérimentation.

2.2.1.1. L’écrivain public numérique : figure croisée de médiations

L’écrivain public numérique est une figure de l’autonomie, de l’émancipation et de la citoyenneté retrouvées à l’heure de l’indispensable maîtrise des écritures numériques. Il s’agit aussi de la compréhension de la logique des algorithmes (AFFELNET13, Parcours Sup). Le médiateur du cybercafé aide à l’accès, aide parfois « à faire » quand l’écrivain public numérique fait à la place, tel le secrétaire de mairie ou le scribe des temps reculés. Il s’agit là de la méthode et de la limite de la médiation : jusqu’à quels niveaux d’émancipation et de socialisation, les clés de connaissances et de compétences sont-elles transférées ?

La vision aujourd’hui répandue d’un « médiateur numérique-administratif » est centrée sur la levée des blocages de l’utilisateur à l’utilisation des applications et des formulaires de l’eAdministration. Elle renvoie à l’image initiale du médiateur numérique centré sur l’accès aux matériels informatiques. Elle relève pourtant majoritairement d’un besoin de médiation administrative liée à la non maîtrise de la culture administrative : permettre de comprendre les attendus du formulaire opposable à l’administré. C’est le cas de la réplique célèbre du film Le père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982) concernant le remplissage d’un formulaire CERFA de la sécurité sociale14 : quand Josette, la protagoniste ne peut pas dire si elle travaille ou non, alors qu’il faut remplir le formulaire par oui ou par non. Elle n’est pas d’accord puisqu’elle veut écrire sa réalité mouvante par « ça dépend » mais elle constate que « ça dépend, ça dépasse » des cases à cocher. Pour remplir correctement un formulaire, il faut connaître l’approche administrative et développer une stratégie administrative. Cette logique de l’administré est niée par l’administrateur qui veut pouvoir préjuger d’une réalité fiable à partir de ses propres indicateurs non explicités à l’administré. L’administrateur, gestionnaire de l’optimisation des critères, ne saurait prendre en compte une réalité aménagée par l’administré en fonction de ses propres attendus. Le dialogue, voire la négociation, encore rendus possibles par une communication orale ou manuscrite au guichet physique, permettait cette médiation administrative. Dans un cadre informatisé non médié, cette médiation est de facto supprimée.

L’écrivain public, le « donneur de mots » pour ceux qui n’en ont pas…15 est une figure tutélaire du médiateur administratif : auparavant complémentaire, il est aujourd’hui supplétif du fonctionnaire d’accueil au guichet des administrations. De profession libérale parfois, (227 recensés en 2011 pour toute la France), il est le plus souvent bénévole (Ollivier, 200916). La profession n’étant pas réglementée, toute personne peut se déclarer écrivain public bénévole. Il est lié à la médiation sociale : il exerce souvent dans les centres sociaux. Il maîtrise à la fois les fondamentaux du savoir administratif et du savoir juridique. Il a l’expérience de situations socio-économiques et culturelles toujours singulières et donc majoritairement atypiques qu’il faut rapporter à l’étalon attendu par l’administration. L’écrivain public a dû progressivement se doter d’une culture et de compétences numériques associées aux compétences qu’il maîtrise déjà pour son métier.

Quasiment chaque administration a recruté à un moment donné, des services civiques « digital natives »17 ou Génération Z, en soutien au remplissage de tel ou tel formulaire en ligne. Ces derniers sont souvent moins performants que les anciens écrivains publics des centres sociaux qui par leur maîtrise de la culture administrative pouvaient intervenir sur tous types d’illettrismes. L’écrivain public est une sorte d’interprète entre le langage commun et le langage juridico-administratif. Il est identifié comme un levier pour créer des ponts interculturels.

Lors de l’expérimentation, deux services civiques issus du même quartier que les enfants ont permis de nouer un lien de confiance avec les intervenants et notamment avec la médiatrice culturelle qui les accompagne à écrire la musique et les paroles des chansons. L’apport médiatique d’enregistrement des répétitions, des concerts, des chorales, relayé par le numérique crée une occasion de partages de savoirs, de compétences, de remémoration qui ouvrent sur des besoins puis sur des demandes des enfants pour être en autonomie de manipulation des outils d’abord, puis à termes de création de contenus. Cette combinatoire a invité progressivement les enfants à s’initier directement à l’écriture et à la lecture.

La translittératie numérique est donc prépondérante dans cette logique de mise en autonomie : dans le cas suivant, concernant l’acculturation au numérique des chefs d’entreprise, la question de médiation sociale est remplacée par la question de la médiation de l’économie numérique.

2.2.1.2. Translitteratie et chefs d’entreprise : une médiation numérique à dominante économique ?

La translitteratie numérique concerne les entreprises, qu’elles soient engagées dans des stratégies de transformation numérique ou formation continue. Le champ de la médiation numérique pour ces entreprises n’est pas soluble dans la médiation sociale même si les responsables de TPE PME bénéficient des « dispositifs publics pour tous » : Tiers lieux, Fablabs, EPN…

Dans ce champ du développement économique, les médiateurs numériques sont plutôt désignés conseillers numériques. Leur activité est bien plus lucrative et attractive en termes de reconnaissance professionnelle. A la demande d’un réseau d’acteurs économiques de haut niveau, un diplôme de niveau master (niveau 2) de conseiller numérique pour les entreprises est reconnu au RNCP. Doit-on en déduire que la solvabilité économique des bénéficiaires induit une médiation numérique et un travail translittératique hors de toute question sociale ? Dans ce cadre précis, il n’y a pas de médiation sociale sauf à y inclure les travaux de l’ANACT, sur le sujet de la transformation numérique aux prises avec la Qualité de vie au travail. A contrario, s’agit-il d’une autre médiation numérique selon qu’elle s’exerce à la chambre de commerce et d’industrie ou au centre social ? La question de la médiation numérique dans la médiation sociale n’a ici pas d’objet.

Pour ce qui concerne la participation des entreprises à l’expérimentation de remobilisation scolaire des enfants, il s’est avéré que la médiation des entreprises n’a pas opéré en tant qu’offre de services et de produits, ni en tant que passeurs de valeurs et de processus. Lors de la première phase de l’expérimentation, le groupement économique innovant devant assurer l’intégration des entrepreneurs s’est trouvé dépassé par les représentations sociales attachées aux enjeux et aux besoins identifiés de la remobilisation scolaire des enfants : le jeu de plateau a été réalisé sans les enfants et les adultes référents, le budget a été dilapidé dans des activités de secrétariats et de quelques réunions préparatoires assimilées à des séances de consulting.

Ces questionnements nous conduisent à interroger les qualifications des médiateurs numériques aux prises avec ces sphères d’intervention et l’objet de la médiation numérique : la translittératie numérique.

2.2.2. Faciliter la mobilité entre les sphères d’intervention du secteur de la médiation numérique

Quel enjeu de la gestion prévisionnelle des emplois et des qualifications « GPEQ » pour le secteur de la médiation numérique : faciliter la mobilité entre ses sphères d’intervention ? La « filière métiers de la médiation numérique » a été initiée par la Délégation aux Usages de l’Internet. Deux centres de ressource régionaux, désignés à partir des dynamiques régionales déjà existantes en 2014 ont participé à cette définition sur la question des compétences métiers et des niveaux d’intervention. Il apparaît alors la nécessité d’aligner le niveau d’intervention avec celui des enseignants du second degré et de l’enseignement supérieur : le C2I2E. Il s’agit a minima de monter le niveau d’intervention à Bac +2 pour prendre en compte les compétences nécessaires aux trois phases de diagnostic, d’ingénierie et d’intervention selon les cas pédagogiques ou andragogiques. Ce projet de filière de compétences perd sa légitimité avec l’abandon du C2I2E obligatoire pour les enseignants.

A partir de 2017, la généralisation du PIX comme outil d’auto formation et de certification accompagnée à l’éducation nationale et dans les espaces publics numériques contribue à une forme de plateformisation de la médiation numérique. Cette nouvelle médiation scolaire du numérique pour les mineurs, concomitante du renforcement de la médiation sociale du numérique pour les plus éloignés du numérique, met en tension l’éducation critique et citoyenne au numérique. Cette éducation critique nécessite l’échange, le questionnement, la confrontation à l’autre et le débat au-delà de l’apprentissage de compétences et de bonnes pratiques : « Les dispositifs artificiels reflètent une extériorisation des compétences formatives. Les dispositifs intériorisés humains sont un construit fait d’habitus et de qualifications nourries de théories et d’expériences pratiques qui se cristallise dans l’opportunité d’une rencontre favorisant la transmission et l’alerte incarnée par une histoire et un parcours de vie unique et singulière » (Turet, 2018). La filière métiers de la médiation numérique et ses portefeuilles de compétences peuvent-ils aujourd’hui se fonder sur les questions de translittératie numérique au-delà des seules transmissions de compétences et de culture numérique ?

Conclusion

L’expérimentation sur la remobilisation scolaire par la translittératie numérique accompagnée par de multi-médiations invite à repenser les stratégies de reproduction (Bourdieu, 197018) et de distinction (Bourdieu, 197919) à l’œuvre : avec ces multi-médiations, les enfants peuvent transférer leurs compétences familiales, numériques et scolaires d’un univers à l’autre de manière fluide et émancipatrice. L’expérimentation rappelle l’importance de la présence humaine, de « l’adulte référent », du pair qui partage dans l’ici et maintenant, le faire ensemble et l’émotion éphémère du moment partagé. « Les scénarios d’un futur sans éducation critique et politique au numérique ouvrent sur un monde programmé par une minorité dictant au reste du monde des usages, des processus et des horizons non discutés » (Turet, 2018). L’intervention sociale et l’éducation populaire sont deux démarches qui selon les politiques publiques à l’œuvre sont souvent irréductibles l’une à l’autre mais toujours complémentaires. Les résultats de l’ANR Translit (Frau-Meigs, 2017[noteFrau-Meigs, Divina. ANR Translit 2017, Rapport final[/note]) permettent de déduire que la médiation numérique a pour objet premier la translittératie numérique. Par son approche éducative associée à sa mission socialisatrice et émancipatrice dans une société numérique, elle doit en dispenser les savoirs, les savoir être, les savoirs faire et les savoir devenir nécessaires.

La médiation numérique a des fondements politiques dans l’éducation populaire : la fabrique numérique, ses pratiques et ses usages sont politiques en ce qu’ils organisent le vivre ensemble. La médiation numérique a donc pour finalité d’éveiller l’esprit critique des « homonuméricus » : « En se concentrant sur les phénomènes de médiation technologique et sur la matérialité du travail d’intermédiation, nous interrogeons la capacité des plateformes à influencer et à configurer des pratiques, et des formes d’autorité, à organiser l’action en imposant des contraintes, mais aussi l’existence de modes d’appropriation et de critiques de la part d’usagers, souvent « dominés » par ces plateformes » (Bigot, 202120). Davantage de travaux restent nécessaires pour relier les médiations numériques au bénéfice d’une émancipation critique des usages des technologies numériques.

Constituer des savoirs collaboratifs et universitaires entre pratiquants et professionnels de différents métiers, institutions, centres de formation pourrait faire émerger les « bidouillages » (Leroi-Gourhan, 196421) de chacun afin de fabriquer un bien commun d’utilités et « la circulation de la pensée scientifique entre les littératies : la programmation informatique, la programmation médiatique et les sciences de l’information et de la communication. La question de la diffusion d’une culture numérique éclairée par la recherche et les savoirs universitaires sur le modèle de la « translittératie numérique » s’avère vitale d’un strict point de vue démocratique. » (Turet, 2018). Ainsi le cas de la translittératie numérique étudiée pendant l’expérimentation avec un groupe d’enfants dépasse la question de la remobilisation scolaire via des médiations croisées. Il s’agit par l’analyse et la réflexion collective sur leurs pratiques numériques de les conduire vers une émancipation citoyenne et l’acquisition de compétences en Savoir devenir qui donnera du sens à leurs parcours et à leurs sociabilités scolaires.

La médiation numérique par ses dimensions émancipatrices et citoyennes et ses champs d’intervention culturels, techniques et éducatifs est génératrice d’innovations socio-techniques à l’écoute d’un monde en mouvement. La médiation numérique ne vise pas intrinsèquement la remédiation des absences de compétences ; elle ne cible pas non plus uniquement les dérives d’usage en rapport à une norme minimale d’inclusion. La médiation numérique n’est donc ni soluble, ni réductible à la médiation sociale et inversement, car tout en initiant et en mettant à jour les connaissances, elle participe à la réflexion individuelle et collective pour un positionnement éclairé sur les orientations éthiques et démocratique de développement de notre humanité numérique (Guichard, 201622).

La combinatoire de ces deux types de médiation ne signifie pas la dissolution de l’une au profit de l’autre car les objets sont différents. Quand un seul médiateur porte deux types de médiation, le risque de confusion est important avec ses conséquences d’instrumentalisation. L’expérimentation a permis une observation de ces médiateurs généralistes mis en « panne » lors des collectifs de travail associant des médiateurs plus spécialisés et centrés sur leurs objets de médiation. Il en est ressorti l’importance de l’attention à porter sur l’articulation des médiations dans l’intérêt librement partagé des populations bénéficiaires.

Un grand merci à Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet d’avoir partagé avec nous leurs réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Khrys’presso du lundi 3 avril 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial France

Spécial femmes en France

Spécial médias et pouvoir

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite… »

Spécial résistances

Spécial GAFAM et cie

Les autres lectures de la semaine

  • L’affrontement (blog.mondediplo.net)

    Voilà donc l’Intersyndicale rendue au point d’échec qui l’attendait depuis le début, sans la moindre solution alternative puisqu’elle les refuse toutes, que ce soit la grève générale, à laquelle elle n’aura jamais appelé, ou la déclaration du moindre soutien à tous ceux qui, avec conséquence, sont passés à d’autres moyens — les seuls que ce pouvoir a jamais laissés à la disposition de la contestation décidée. […] tout le monde a bien compris que sans une armée de gendarmes dépêchée pour garder un trou (!), les opposants ne rencontrant ni provocation ni confrontation, la manifestation, par défaut, serait restée entièrement paisible. Mais la confrontation est ardemment souhaitée par le pouvoir. Le pouvoir veut la violence, car il sait pouvoir compter sur le traitement médiatique de la violence. Aussi, voulant la violence, il n’a de cesse de l’organiser lui-même. Avec, croit-il, son double bénéfice : et de communication et d’intimidation. […] Il n’est plus douteux en tout cas, et c’était somme toute assez logique, que du gouvernement d’un forcené, nous sommes passés à un gouvernement de la peur. Appliquer des moyens de violence indiscriminée pour terroriser une population à des fins politiques, c’est une définition possible du terrorisme.

  • Philippe Poutou : « Tout redevient possible » (revue-ballast.fr)
  • Reste avec nous (blogs.mediapart.fr)
  • Données personnelles : rien à cacher, mais beaucoup à perdre (theconversation.com)
  • Pausing AI Developments Isn’t Enough. We Need to Shut it All Down (time.com)
  • La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (première partie) (framablog.org)

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine


Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).




La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (première partie)

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir la première partie d’un article de Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet dans lequel elles nous partagent leur analyse d’une expérimentation qu’elles ont menée lors d’une recherche-action. Bonne lecture !

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.
Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.
Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

La translittératie numérique, objet de la médiation numérique.
Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations.

L’expérimentation choisie pour illustrer la translittératie numérique s’appuie sur la pédagogie du détour pour relancer des dynamiques éducatives, culturelles, et socio-économiques d’apprentissage au profit de la remobilisation scolaire. La démarche de recherche action s’ancre sur un territoire pour lequel, elle a su rendre visible des questions d’apprentissage avec une population cible permettant des interventions de médiation mobilisatrices transdisciplinaires. Elle se fonde sur le principe de la continuité éducative et pédagogique grâce à l’utilisation d’une articulation de différents socles de médiations23. Elle se déploie en s’étayant par l’utilisation des connaissances des phénomènes de translittératie numérique.

Les résultats de cette expérimentation vont éclairer la question initiale : « La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ». L’objet de cet article est d’apporter, avec l’analyse de cette expérimentation, des éléments de réflexion qui montrent les complexités des articulations entre médiations à l’œuvre et gestion des risques inhérents à leurs dynamiques : la fusion de médiations d’ordres différents (juridique, culturelle, …) peut effectivement être porteuse d’une altération profonde d’une médiation par rapport à l’autre. L’expérimentation montre par exemple, qu’un seul médiateur porteur de plusieurs médiations, se perd dans ses différents rôles et logiques d’action, ce qui peut dégrader une synergie opérante et pertinente.

Pour découvrir les altérations citées plus haut sur la médiation numérique, l’expérimentation montrera que la fusion entre médiation sociale et médiation numérique relève souvent de problématiques circonstanciées de régulations. Pendant l’expérimentation, par exemple, l’usage des tablettes à vocation de continuité pédagogique ont immédiatement donné lieu à une régulation des usages par les médiateurs : des consignes d’utilisation suivis de « rappels à l’ordre » sur les sites WEB autorisés ou non à la consultation et sur les moments dédiés à l’utilisation à titre de récompense ou pour la réalisation d’exercices pédagogiques.

Pour approfondir l’explicitation de cette question des altérations de médiations, il convient de définir précisément les objets de la médiation sociale et de la médiation numérique en partant de la translittératie numérique et de son lien avec la médiation numérique.

Première partie : Observations d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations

1.1. La translittératie numérique, objet de la médiation numérique

L’usage du numérique marque aujourd’hui l’ensemble des activités humaines. Par analogie avec l’homo faber ou l’homo economicus, concepts théoriques utilisés pour montrer respectivement l’homme aux prises avec la fabrication, puis avec l’économie, l’homo numericus (Compiègne, 201024) désigne l’homme aux prises avec son environnement numérique (Doueihi, 201325). Par opposition avec l’environnement pré-numérique, dans l’environnement numérique, toute information se présente sous forme de nombre, qu’elle ait été numérisée ou directement créée grâce à des outils informatiques. L’enjeu de la translittératie numérique est l’éducation à l’autonomie dans cette nouvelle ère communicationnelle : « La translittératie définie comme la convergence de l’éducation aux médias, de l’éducation à l’information et de l’informatique rend possible l’autonomisation. » (Frau-Meigs, 201926).

La translittératie se définit comme le « passage d’un système d’écriture à un autre » (Frau-Meigs, 2012). Elle désigne une double capacité : celle de savoir maîtriser l’architecture du multimédia qui englobe les compétences de lecture, d’écriture et de calcul avec tous les outils disponibles (du papier à l’image, du livre au wiki) ; et celle de naviguer dans de multiples domaines, et ainsi de se permettre de rechercher, d’évaluer, de tester, de valider et de modifier l’information en fonction de ses contextes d’utilisation (code, actualités, sources documentaires) et d’usages27. Elle fait également référence aux modes de transfert de compétences numériques d’un univers culturel et cognitif à un autre (ANR Translit, 2017).

Avec la translittératie numérique, la médiation numérique s’invite et ainsi relève des humanités numériques : « les modèles scientifiques sont en train de donner une nouvelle forme à la « créati­vité » à travers le Web, combinant « médiation » et « médiatisation » afin de construire un répertoire des « e-strategies » en « humanités créatives » (Frau-Meigs, 2019). Elle a pour objet d’expliciter et d’accompagner pour favoriser la prise d’autonomie et ainsi le pouvoir d’agir par une maîtrise critique de l’environnement numérique. Elle nécessite pour exercer cette éducation, formation et transformation des représentations et des apports des autres médiations qui œuvrent au même moment parfois, sur d’autres besoins de maîtrise et d’émancipation de l’apprenant : « Ce renou­vellement des études créatives modifie les Humanités classiques en les invitant à une forme de coopération interdisciplinaire. » (Frau-Meigs, 2019). La modélisation des processus d’apprentissage par la trans­littératie ne suffit pas sans une compréhension des interrelations entre la médiation numérique et la médiation pédagogique : « Ce projet rend possible de nouveaux modes cognitifs d’apprentissage partagés, centrés sur l’apprenant, libérés de l’aspect technologique dans la perspective d’une alliance SMILE (Synergies for Media and Information Littératies) » (Frau-Meigs, 2019).

1.1.1 L’expérimentation : les ateliers de remobilisation scolaire

L’expérimentation construite en 3 phases s’appuie sur des observations de terrain liées à un groupe de 70 enfants de 6 à 15 ans et leurs familles, accompagnés par 7 étudiants, 6 médiateurs, 4 enseignants, 4 chefs d’entreprise, des partenaires culturels et psycho-sociaux, 1 responsable de projet, sur le sujet de la remobilisation scolaire des enfants.

Les 3 phases sont :

  • phase 1 : ateliers de remobilisation de compétences,
  • phase 2 : ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles, numériques, scientifiques et de mobilité,
  • phase 3 : ateliers de fabrication du jeu vidéo

L’expérimentation a produit à travers ces trois phases des données qualitatives et quantitatives qui ont permis une analyse d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations. L’observation in situ a eu lieu pendant 11 mois.

La première phase nommée « ateliers de remobilisation de compétences » met en situation des enfants et des pré-adolescents de 6 à 15 ans non scolarisés ou peu scolarisés, et des médiateurs pédagogiques pendant 2 mois au sein d’une association socio-culturelle implantée depuis plusieurs années dans un quartier. Cette association de quartier est associée à ce travail de remobilisation car elle a un savoir-faire d’activités musicales auprès des enfants. Cette association a la confiance des familles du quartier : les familles ne confient pas leurs enfants à l’école, mais les confient à cette association même pour des déplacements éloignés pour des concerts et des journées éducatives.

Six étudiantes en sciences de l’éducation et une étudiante en FLE (français langues étrangères) ont été mobilisées pour y effectuer respectivement leur stage de 180 heures et de 300 heures. L’objectif de ces ateliers était de commencer l’apprentissage de base des fondamentaux (lire, écrire, compter), d’évaluer le niveau d’apprentissage scolaire des enfants, de transmettre des connaissances aux enfants par le biais d’activités ludiques afin de mieux repérer leurs difficultés et réussites. Il s’agissait également de tester des méthodes d’apprentissage adaptées pour identifier les apports possibles de recours à des dispositifs numériques socio-culturels (tablettes, jeux multimédia). Chaque étudiante a développé un atelier avec les enfants présents dont les objectifs et intitulés étaient littéralement les suivants :

  • Atelier 1 : « Situer des repères géographiques et identifier les noms des rues au sein du quartier avec Google Maps, Mixmo »,
  • Atelier 2 : « le train des mots » : jeu avec des syllabes pour ceux qui savent lire,
  • Atelier 3 : « Représenter son quartier et le situer dans la ville, en France et en Europe en lien avec l’actualité sportive »,
  • Atelier 4 : « Animaux connus, animaux de la ferme, animaux marins : chaîne alimentaire et milieux de vie ». Supports : écriture, lecture sur feuille et sur tablette numérique, dessin sur un livre imagé,
  • Atelier 5 : « Fresque : réaliser une fresque sur panneau » à partir des expériences des enfants : sortie à l’aquarium, repères familiaux. » Supports : peinture, photomontages, écriture de mots, lecture, analyse spatiale (noms de rue).
  • Atelier 6 : Exploration numérique de documents authentiques sur Excel avec les encadrants : formulaires administratifs de la vie courante (CV, permis de conduire, constat d’accident routier…)
  • Atelier 7 : Exercices d’entraînements au français / langues étrangères

Ces ateliers ont facilité et permis l’implication des familles qui ont contribué à leur élaboration (accès à leur domicile pour les photos) puis sont venues aux restitutions organisées en fin de première session expérimentale.

Une deuxième phase « les ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles et scientifiques » a été mise en œuvre par les mêmes intervenants, exceptées les 6 stagiaires futures professeures des écoles : notamment l’étudiante en FLE, et la médiatrice artistique. Sont alors nouvellement mobilisés cinq enseignants de l’école du secteur, une association de médiation sur la vulgarisation scientifique par le jeu théâtral, deux animateurs d’Escape Game et deux psychologues :

  • Atelier 8 : Capsules vidéo en QR codes disséminées dans le quartier : vulgarisation scientifique sous forme de chasse aux trésors et déambulation. Les enfants ont été très participatifs sur des contenus scientifiques d’accès difficile car la forme était très attractive et inhabituelle.
  • Atelier 9 : Compréhension du vocabulaire des chansons de la chorale de l’association : hymne européen, chanson sur les addictions (réseaux sociaux, alcool, drogues), et sur le quartier.
  • Atelier 10 : Reportage photos par les enfants dans les maisons des familles et exposition au festival international de photographies.
  • Atelier 11 : Escape Game avec des casques de réalité virtuelle avec accompagnement par des psychologues spécialisés sur l’accès aux droits et à la santé : les enfants ont été très performants et solidaires.
  • Atelier 12 : Déplacement en soirée des enfants à l’école du secteur en mini bus pour travailler sur des activités scolaires classiques par petits groupes (2 à 4 enfants) avec les professeurs des écoles de l’école du secteur.

Les observations récoltées par les médiateurs, incluant les psychologues dans la phase 2, lors de ces ateliers non obligatoires dans l’expérimentation, ont été par exemple les suivants.

L’intérêt des enfants envers ces ateliers a été mesuré par :

  • leur fréquentation aux ateliers :  elle a augmenté au cours du temps : 30 enfants présents au début et 47 à la fin
  • leurs réalisations concrètes pendant les ateliers
  • leur temps de concentration a augmenté au fur et à mesure de leur niveau d’apprentissage et donc de réalisation

En 2 mois, les étudiantes ont vu des améliorations sur les connaissances des enfants qui sont venus régulièrement aux ateliers. Quelques retours à l’école notables mais non explicitement corrélés ont été comptabilisés : 4 sont retournés à l’école après le premier mois d’ateliers.

La démarche a été bien accueillie et identifiée dans le quartier :

  • les ateliers ont permis de créer un premier travail collaboratif avec les familles : elles sont venues à l’association pour assister à la restitution des premiers ateliers et sont devenues force de proposition pour la suite des activités, notamment numériques.
  • Les parents commencent à se confier sur les raisons du décrochage de leurs enfants notamment au collège : « se retrouver seul en classe est difficile, anxiogène ».

Les types de données recueillies ont été des photos et des vidéos des ateliers avec les enfants à l’œuvre, des verbatims des parties prenantes (enfants et adultes référents : professionnels, bénévoles), des relevés statistiques des présences aux ateliers et à l’école, les mémoires des 6 stagiaires professeurs des écoles, le mémoire de l’étudiante en FLE, les travaux d’analyse et d’orientation des consultants extérieurs qui ont accompagné l’expérimentation sur un mode startup de mai à juillet 2022.

Lors de la phase 3, « Co-création d’un jeu vidéo ludo-éducatif », ces données ont fait l’objet d’une première analyse entre les médiateurs et les chefs d’entreprise (création de jeu de plateau, design, évènementiel), l’objectif de la phase 3 étant d’inciter et de motiver l’enfant à aller à l’école en créant un scénario suffisamment efficace pour intéresser le triptyque (enfant, parents, école) avec un support numérique accessible.

1.1.2. L’expérimentation : la translittératie numérique à l’œuvre entre médiations

L’expérimentation est un exemple concret de translittératie numérique dans un cadre transculturel d’intervention sociale : des enfants et des adolescents en absentéisme scolaire issus d’un quartier. Cet exemple porte pour partie sur la remédiation du passage vers l’école dans une démarche d’aller vers, par la mobilisation de compétences et de modes d’apprentissages numériques. La stratégie de remédiation propose des trajectoires expérimentales innovantes qui articulent différentes natures de médiation dont la médiation sociale et la médiation numérique. Il s’agit concrètement d’identifier et d’expérimenter de nouveaux leviers de remobilisation scolaire pour ces jeunes.

Lors de l’expérimentation, ont été observés et analysés plusieurs types de transferts de compétences numériques et analogiques vers l’école et les jeux ludo-éducatifs numériques :

  • les compétences de socialisation et de créativité développées dans la famille et son écosystème,
  • les compétences artistiques et de socialisation développées dans l’espace socioculturel associatif,
  • les compétences de manipulation des smartphones, tablettes, navigateurs WEB et applications ludiques et médiatiques (voir tableau ci-dessous) des jeunes entre pairs,
  • les compétences de calcul, expression, stratégies sur les temps de jeux ludo-éducatifs physiques proposés par les différents profils de médiateurs (enseignants, artistes, étudiants, services civiques, adulte relais, psychologue, intervenante numérique, vidéaste…),
  • les compétences inter-relationnelles entre les enfants, pendant leurs jeux traditionnels en présentiel (copains, rue, fratries) et en ligne avec les jeux multi-joueurs sur le WEB…

L’observation des pratiques numériques de ces jeunes a eu lieu pendant et entre les ateliers. Elle a permis l’analyse de leurs évolutions à partir de ces différents espaces de socialisation, de formation, et d’acquisition de compétences en savoirs, en savoir-faire et en savoir-être. Des tableaux de compétences en lien avec les référentiels de compétences scolaires ont été renseignés par les sept étudiantes stagiaires. Les pratiques numériques observées chez les 70 enfants participant à l’expérimentation montrent les fréquences d’usage suivantes :

Tableau des applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l'expérimentation
Applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l’expérimentation

Les réseaux sociaux et les jeux privilégiés sont ceux qui font le moins appel à l’écrit mais le plus appel à l’image fixe et animée. Le schéma ci-dessous montre les institutions dans lesquelles évoluent les 70 enfants pendant l’expérimentation ainsi que les différents types de médiations dont ils sont l’objet.

Figure : Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation
Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :
médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation

Ces compositions structurelles (structures publiques et groupes sociaux) des différentes médiations et outils mobilisés sont autant de repères d’influence pour les enfants. Elles permettent de rendre intelligibles les liens entre les 5 espaces de socialisation et d’apprentissages des enfants. Le 6ème espace, numérique, existe de manière transversale dans les « médiations par l’outil » qui instituent des logiques d’action comme le jeu vidéo qui véhicule les valeurs, les principes et les modes de fonctionnement de ses constructeurs. Les contextes institutionnels d’usage des outils socio-techniques, comme l’école ou l’association de quartier, influent sur les modes d’utilisations : temporalités, interdits de contenus ou de formes d’utilisation (comportements appropriés).

La translittératie numérique désigne ici le transfert de compétences numériques par les enfants d’un espace à l’autre. La médiation numérique explicite et accompagne ces processus de transfert pour permettre aux enfants d’en prendre conscience et de s’autonomiser dans leurs usages. Par exemple, lors de l’atelier « Escape Game » : confrontation à un univers numérique où la place de l’écrit est déterminante pour avancer : le besoin d’un facilitateur est formulé par l’enfant. La réponse du médiateur s’inscrira dans sa logique de médiation d’appartenance : pour à la fois répondre à la demande immédiate de l’enfant et embarquer son expérience dans une réflexion pour un agir en devenir.

1.2. La distinction entre logiques de Médiations et stratégies de médiateurs

Pour comprendre la distinction entre les logiques de médiations, il convient d’analyser les évolutions des objets des médiations dans la sphère des politiques publiques et des activités libres. L’observation des tensions et des controverses sur les pratiques et les attendus permet d’inventorier les distorsions entre les logiques professionnelles des médiateurs et les logiques politiques des médiations.

Les différentes stratégies des médiateurs mises en œuvre pour « faire » et « réaliser » (Clot, 201028), relèvent effectivement de leurs référentiels métiers : « Les différentes théorisations de la médiation nous engagent … à considérer les relations entre individualités, représentations et sociabilités. » (Gadras, 201029). La spécification des champs d’intervention des médiateurs, dans un cadre de dispositif public, définit de fait la nature de leur activité et par conséquent leurs conditions d’emploi et d’exercice économique et administratif (statuts, rémunérations, profils de poste), professionnel (métiers, compétences, modalités possibles d’exercice pédagogique, offres de formations).

1.2.1. Le métier de médiateur numérique : une histoire de dispositifs publics à caractère social

La question La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? interroge la formation et la qualification des métiers de la médiation numérique mobilisés sur la translittératie numérique.

La qualification et la formation de tout médiateur dépend de son cœur de métier et de son statut qui résulte lui-même des dispositifs publics ou privés en cours. Ces dispositifs sont la concrétisation de perceptions politiques structurelles et conjoncturelles pour résoudre des urgences et des problèmes fluctuants selon les actualités socio-politiques. Dans les années 2000, l’urgence était la lutte contre le chômage et la mise à niveau des demandeurs d’emploi à grand renfort de production de « CV / lettre de motivation ». Dans les années 2010, il est attendu de tous les demandeurs d’emploi, la maîtrise du socle de compétences numériques de base30 énoncé par la DGEFP (Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) . Dans les années 2015, le développement de l’e-administration impose aux médiateurs numériques de former l’ensemble de la population à la maîtrise des formulaires administratifs en ligne. En 2020, le développement de l’e-commerce (« Clic and Collect ») et de « Stop Covid » fait que l’ANCT (Agence nationale de la Cohésion des Territoires) fournit un numéro vert d’assistance téléphonique en médiation numérique ouvert à tous, puis transforme les Maisons de Services Au Public (MSAP) en Maisons France Services (MFS).

L’accompagnement et la formation au numérique de la population non éligible à la formation professionnelle au numérique initialement prises en charge par les médiateurs numériques s’étend dès lors à l’ensemble des travailleurs sociaux.

1.2.2. Illectronisme : des besoins de médiations sociales et numériques

La médiation numérique est une figure centrale des démarches de lutte contre l’illectronisme au même titre que la médiation sociale l’est dans la lutte contre l’illettrisme ainsi que la médiation culturelle l’est depuis quelques années dans le domaine des Arts et des Cultures. Ces types de médiations ne relèvent pas de la stricte acception juridique de la médiation au sens de négociation. Ces médiations renvoient néanmoins à une forme de négociation avec soi-même : entrer dans un processus de transformation de soi (compréhension, regard, point de vue, …) soutenu ou non (autodidactes) par des tiers (humains ou outils). La médiation sociale et la médiation culturelle sont également convoquées depuis l’origine du développement des outils numériques en soutien aux populations nécessitant une assistance particulière pour leur inclusion numérique. Il s’agit là de soutiens à visée de compensation de difficultés de santé et de nature sociale (socio-économique) ou culturelle : éducative et socioculturelle (déficits de culture administrative, culture documentaire, illettrisme, codes conversationnels, …).

Concernant le processus de la translittératie numérique et le domaine de la lutte contre l’illectronisme, la théorie des champs éclaire ce qui se noue sur ce sujet de l’autonomisation progressive de domaines d’activité (Bourdieu, 202231). La translittératie numérique se trouve à la croisée de plusieurs champs de médiations, dès lors répondre à la question initiale de fusion de la médiation numérique dans la médiation sociale nécessite de répondre à des questions intermédiaires et situées. Par exemple, celle posée par notre terrain d’expérimentation, serait : la médiation numérique et la médiation sociale sont-elles réductibles l’une à l’autre quand il s’agit d’une logique d’inclusion socio-numérique s’inscrivant dans une dynamique d’égalité des chances ? Cet exemple de problématique nécessite même d’inclure deux autres points de vue : celui de la formation initiale normée par l’Éducation Nationale et celui pluriel de l’éducation populaire, toutes deux génératrices de médiations et de médiateurs spécifiques.

Le capital culturel mobilisable de chacun est inégal pour appréhender l’innovation permanente du secteur du numérique. Dans une société numérique, la maîtrise de l’environnement socio-numérique et des logiques générales de l’innovation sont des prérequis technologiques et socio-économiques incontournables pour faire face à l’incertitude du changement permanent. La société numérique a fait émerger une nouvelle capacité à acquérir, le « Savoir Devenir » : la maîtrise du numérique est un des leviers de l’émancipation sociale (Frau Meigs, 2019). De nature environnementale, cette maîtrise nécessite un corpus de compétences socio-techniques et socio-culturelles : elle s’inscrit dans le phénomène de l’« habitus » (Bourdieu, 197232).

1.2.3. Fractures numériques économiques et culturelles : médier la translittératie numérique

Des fractures numériques économiques et matérielles aux fractures numériques ergonomiques et culturelles, la médiation numérique est-elle par nature socio-économique ou universelle ? En 2013, le rapport du Conseil National du Numérique sur la littératie numérique (CnNum, 201333) a documenté, à la demande de l’État, l’étendue de l’illectronisme dans la population générale française face à une innovation numérique renouvelée et sans cesse en accélération. Ce rapport faisait suite à de nombreux travaux universitaires déjà existants sur le sujet (Turet, 20188). La question de la nature socio-professionnelle, culturelle, et générationnelle des fractures numériques est ajoutée officiellement aux analyses antérieures.

L’illectronisme doit alors être combattu par des améliorations ergonomiques réalisées par les producteurs de matériels, de logiciels et de services en ligne. De nouvelles pratiques de production dites de développement en mode agile centrées sur l’expérience des utilisateurs (« UX ») sont déployées. L’État encourage via des dispositifs publics une dématérialisation qui passe par un intérêt pensé comme commun, allant de la simplification à la protection des usagers.

L’actualisation renouvelée du Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) pour les personnes en situation de handicap fait partie de cet arsenal. Le Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) éduque la population et fournit des outils de protection des données personnelles. Le lancement du dispositif Démarches simplifiées de l’Observatoire des services en ligne de l’administration et de l’outil « Vox Usagers »34 soutiennent un accès facilité à une e-administration ouverte sur les smartphones. Mais toutes ces approches visant la simplification de l’utilisation procédurale des outils ne parviennent pas à compenser un illectronisme socio-culturel rendu encore plus visible par la pandémie. La nécessité d’autonomie numérique non seulement opératoire mais aussi stratège, en situation de confinement (télétravail, e.commerce, e.administration, associative…) est, depuis mars 2020, devenue indispensable tant le numérique a été placé au centre du fonctionnement socio-économique et culturel de la France.

Dès le premier confinement, l’État est contraint de lancer deux dispositifs d’urgence : une assistance téléphonique35 soutenue par le secteur de la médiation numérique (le 2 avril 2020) et la mise à disposition des collectivités territoriales d’une nouvelle cohorte de médiateurs numériques : les conseillers numériques France services (CNFS). Ceux-ci sont les derniers nés d’une longue liste de médiateurs numériques subventionnés – Cf. emplois aidés : « emplois jeunes » en 2000, « emplois d’avenirs numériques » en 2012 (Oulahbib, Turet, 201736), « services civiques numériques » (2014). Ces dispositifs d’urgence visent prioritairement des bénéficiaires dans l’incapacité d’accéder aux services publics dématérialisés pour des raisons multiples qui relèvent de situations de handicap de différentes natures face au numérique : physiologiques, cognitifs, culturels, économiques, psychologiques.

1.2.4. Médiation numérique et continuité éducative pendant les confinements

Durant cette même période, l’Éducation Nationale, pour assurer la continuité de son service public a dû recourir aux outils numériques. Cet impératif lié à une situation extraordinaire a mis en exergue une fracture numérique des élèves et d’une partie des enseignants démultipliée par des conditions familiales d’accompagnement très diverses, jusqu’à ne pas permettre la continuité pédagogique pour les enfants (Escobar, 200737).

Pendant le confinement, la continuité éducative a été interrompue notamment faute d’équipement informatique des élèves. Cette période a cristallisé la déscolarisation des enfants qui étaient dans ce parcours, et d’autres issus de certaines cartographies urbaines, comme les enfants issus de quartiers pouvant être déjà déscolarisés à 70 % avant le confinement. La majorité des enfants issus de ces quartiers ne fréquente pas ou très peu les établissements scolaires de proximité au contraire des structures socio-culturelles.

Dans le cas de notre expérimentation, les enfants du quartier sont en contact avec le numérique via des pratiques diffusées par leur écosystème : pairs, familles et modélisations quotidiennes proposées par différents canaux. L’usage des smartphones est répandu mais ils n’émargent pas aux dispositifs publics dont ils ne sont pas des cibles identifiées et souvent éloignées. Ils ont découvert pendant l’expérimentation les tablettes diffusées dans les écoles au titre de la continuité pédagogique pendant le confinement  par une fédération d’éducation populaire venue en soutien.

La conduite de l’expérimentation a montré l’émergence de discontinuités voire de conflits de logiques et de champs d’actions entre les médiations et les médiateurs. La deuxième partie de l’expérimentation vise à articuler les interventions entre les médiations et les médiateurs pour identifier des aménagements plus fluides favorables à une mise en synergie.

La semaine prochaine, dans la deuxième partie de l’article, nous aborderons donc une réflexion sur les articulations et les dynamiques de ces différentes natures de médiations pour qu’elles fassent système afin de guider à « savoir devenir ».




Khrys’presso du lundi 27 mars 2023

Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière.


Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer votre bloqueur de javascript favori ou à passer en “mode lecture” (Firefox) 😉

Brave New World

Spécial femmes dans le monde

  • Féminicides politiques : tuées parce que femmes et militantes (information.tv5monde.com)

    Il s’agit de la première enquête internationale sur les féminicides politiques. Le collectif de journalistes d’investigation « Femmes à abattre » met au jour les mécanismes d’effacement, d’élimination, de femmes qui ont osé s’engager pour défendre leurs droits, leur communauté, l’environnement, les minorités ou tout à la fois : 300 partout dans le monde.

Spécial France

Spécial femmes en France

Spécial médias et pouvoir

Spécial emmerdeurs irresponsables gérant comme des pieds (et à la néolibérale)

Spécial recul des droits et libertés, violences policières, montée de l’extrême-droite…

Spécial résistances

Spécial outils de résistance

Spécial Foutons le Zbeul

Spécial GAFAM et cie

Les autres lectures de la semaine

Les BDs/graphiques/photos de la semaine

Les vidéos/podcasts de la semaine

Les trucs chouettes de la semaine


Retrouvez les revues de web précédentes dans la catégorie Libre Veille du Framablog.

Les articles, commentaires et autres images qui composent ces « Khrys’presso » n’engagent que moi (Khrys).